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Sur la prétendue transparence de Rabelais

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Sur la prétendue transparence de Rabelais

CAVE, Terence, JEANNERET, Michel, RIGOLOT, François

CAVE, Terence, JEANNERET, Michel, RIGOLOT, François. Sur la prétendue transparence de Rabelais. Revue d'histoire littéraire de la France , 1986, vol. 86, p. 709-716

Available at:

http://archive-ouverte.unige.ch/unige:74290

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DÉBATS

A la suite de l'article de Gérard Defaux sur le Prologue de Gargantua paru dans notre Revue, 1985, rf 2, MM. Terence Cave, Michel Jeanneret, François Rigolot nous ont adressé le texte qu'on va lire. Nous en avons donné connaissance, avec l'accord des auteurs, à M. Gérard Defaux, dont nous publions ci- dessous la réponse.

Après cet échange, nous considérons la discussion comme close.

NDLR.

SUR lA PRÉTENDUE TRANSPARENCE DE RABElAIS

Jamais en maulvaise partie ne prendront choses quelconques ilz cognoistront sourdre de bon, franc et loyal couraige.

Tiers Livre, Prologue.

Dans un article récent 1, Gérard Defaux, reprenant une thèse d'Edwin M. Duval 2, part en guerre ici même contre les partisans de l'ambiguïté et de la pluralité de l'écriture de Rabelais ; il croit pouvoir démontrer que le Prologue de Gargantua impose une lecture transparente, sans équivoque et en déduit que la duplicité consciente ou inconsciente du texte rabelaisien n'est qu'une fiction inventée par la critique moderne.

1. «D'un problême l'autre: herméneutique de I'altior sensu.s etcaptalio lectoris dans le Prologue de Gargantua», RHL.F., 1985, n° 2, p. 195-216.

2. «Interpretation and the «Doctrine absconce » of Rabelais's Prologue to Gargantua», Études rabelaislennes, 18 (1985), p. 1-17. ·

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Mis en cause par cet article et désignés nommément comme les représentants de cette modernité abusive, il nous a paru opportun de répondre collectivement à des accusations qui procèdent d'une lecture partielle et partiale, à la fois de nos propres travaux (ce qui a peu d'importance) et de l'œuvre de Rabelais (ce qui en a beaucoup plus).

Il n'est pas question de développer ici des arguments complexes qui ont fait l'objet ailleurs d'exposés et de débats plus élaborés'. Il ne s'agit pas non plus de dénier aux travaux de la critique positiviste (à laquelle appartiennent Gérard Defaux et Edwin M. Duval mais aussi V.-L. Saulnier, M.A. Screech et d'autres) leurs qualités indéniables d'intelligence et de sérieux'. En fait, nous sommes les premiers à reconnaître l'importance primordiale d'une formation historique et philologique sûre pour aborder les textes du XVI' siècle sans s'exposer à des anachronismes graves ; et nous avons nous- mêmes émis de sérieuses réserves sur les extravagances d'une certaine critique qui, trop pressée de voir partout l'ambiguïté et la contradiction, croit pouvoir faire l'économie d'une érudition pourtant indispensable'.

3. Citons en particulier Leo Spitzer, «Rabelais et les « Rabelaisants )> », Studi Francesi, 12 (1960), p. 401-423; et« Ancora sul prologo al primo libro del Gargantua di Rabelais», Studi Francesi, 27 (1965). p. 423-434. F. Gray,« Ambiguity and Point ofView in the Prologue ta Gargantua», Romanic Review, 56 (1965), p. 12-21. A. Glauser, Rabelais créateur (Paris : Nizet, 1966). F. Rigolot. Les Langages de Rabelais (Genêve:

Droz. 1972). A. Gendre, «Le Prologue de Pantagrnel, le Prologue de Gargantua», R.H.L.F., 74 (1974), p. 3-19. M. Charles, Rhétorique de la lecture (Paris: Éditions du Seuil, 1977), p. 33-.58. T. Cave, The Cornucopian Text. Problems of Writing in the French Renaissance (Oxford: Clarendon Press, 1979). M. Jeanneret, ((Rabelais et Montaigne:

l'écriture comme parole» in The French Renaissance 'Mind. Studies Presented to W.G.

Moore. L'Esprit Créateur, XVI, 4 (1976). p. 78-94; et« Du mystêre à la mystification: le sens caché à la Renaissance et dans Rabelais», Versants. Revue Suisse des littératures romanes, 2 (hiver 1981-1982), p. 31-.52. A. Tripet, «Le Prologue de Gargantua : problêmes d'interprétation "• Etudes de Lettres. Revue de la Faculté des Lettres de l'Université de Lausanne, (avril-juin 1984), p. 135-150. M. Baraz, «Un texte polyvalent: le Prologue de Gargantua JI, in Mélanges sur la littérature de la Renaissance à la mémoire de V.-L.

Saulnier (Genêve : Droz, 1984), p. 527-535.

4. Cf. G. Defaux. Pantagruel et les sophistes. Contribution à l'histoire de l'Humanisme chrétien au XVI~ siècle (La Haye : M. Nijhoff, 1973) ; et Le Curieux, le Glorieux et la sagesse du monde dans la premlère moitié du

xvze

siècle (Lexington, Kentucky : French Forum, 1982). Michael A. Screech,Rabelais (Londres: Duckworth, 1979); etEcstasy and the Praise of Folly (Ibid .• 1980).

5. « On peut lire Rabelais pour y chercher un dessein caché, un aveu personnel déguisé, un message ésotérique. On peut le lire aussi, plus sérieusement sans doute, pour repérer les sources. expliquer les allusions obscures et mettre le vocabulaire sur fiches :c'est J'humble et patient travail du philologue, toujours à refaire, et qui fournit à l'innocent lecteur des renseignements indispensables», Les Langages de Rabelais, op. cit., p. 9. « 1 have not adopted any specifie mode! of analysis - structuralist, Lacanian, Dcrridian - since ta do sa would have been to reduce the xv1th-century texts to the status of local illustrations of a modem theory. [ ... ] 1 fee! indebted to those wh ose patient and exacting investigation of Rabelais's historical, intellectual. and textual environment has clarified sa many difficulties and corrected sa many errors and anachronisms ». The Cornucopian Text, op. cil., p. XVI et XXIV.« Le positivisme historique qui[ ... ] par l'élucidation des rapports intertextuels et la recherche des incidences socio-culturelles, vise à identifier le sens et travaille à éclaircir le

• !

DÉBATS 711·

Réglons tout d'abord un problème de sémantique et, pour cela, rappelons une fois de plus le passage controversé du Prologue de Gargantua:

A l'exemple d'icelluy [chien} vous convient estre saiges, pour fleurer, sentir et estimer ces beaux livres de haulte gresse, legiers au prochaz et hardiz à la rencontre. Puis, par curieuse leczon et meditation frequente rompre l'os et sugcer la substantificque mouelle- c'est à dire, ce que j'entends par ces ~ymb?les Pythagoricques avecques espoir certain d'estre faictz esc?rs et preux a ladtcte lecture. Car en icelle bien aultre goust trouverez, et doctrme plus absconce, que vous revelera de tresaultz sacremens et mysteres horrificques, tant en ce qui concerne nostre religion que aussi l'estat politicq et vie œconomicque.

Creiez vous en vostre foy qu'oncques Homere, escrivant 1'fliade et Odyssée, pensast es allegories lesquelles de luy ont beluté Plutarche, Heraclides Ponticq, Eustatie et Phornute, et que d'iceulx Politian a desrobé ?

Si le creiez, vous n'approchez ne de pieds ny de mains à mon opinion, qui decrete icelles aussi peu avoir esté songéez d'Homère que d'Ovide~ en ses Métamorphoses les sacremens de l'Évangile, lesquelz un Fr~re Lubm, _vray croquelardon, s'est efforcé demonstrer, si d'adventure il rencontrott gens auss1 folz que luy, et (come dict le proverbe) couvercle digne du chaudron. _

Si ne le creiez, quelle cause est, pourquoy autant n'en ferez de ces Joyeuses et nouvelles chronicques ? combien que, les dictant, n'y pensasse en plus que vous, qui par adventure beviez comme moy. Car, à la composition de ce livr~

seigneurial, je ne perdiz ni emploiay oncques plus, ny aultre temps que celluy qm estoit estably à prendre ma refection corporelle, sçavoir est, beu-:ant et mangeant Aussi est ce la juste heure d'escrire ces haultes matie:res et scxences _profondes, comme bien faire sçavoit Homere, paragon de tous philologes, et E?m~, pere des poëtes latins, ainsi que tesmoigne Horace, quay qu'un malautru att dtct que ses carmes sentoyent plus le vin que l'huile.

Autant en dict un tirelupin de mes livres ; mais bren pour luy !

Dans leurs articles respectifs, Defaux et Duval entendent restituer la succession des idées de Rabelais à propos de l'interprétation du livre qui s'annonce. De toute évidence, ils ont raison de corriger une erreur de traduction qui s'est glissée malencontreusement dans quelques éditions modernes. Qui, à la vérité, contesterait que l'expression << combien que » doit être prise au sens de« bien que >> ? La question de l'antécédent de« autant n'en ferez>> fait l'objet d'une proposition plus douteuse de la part de Defaux : « en>> renverrait au chien de Platon, beaucoup trop éloigné pour être grammaticalement admissible. Depuis quand Rabelais donne-t-il pour antécédent à en un mot ou une locution verbale placé, dans !'édition princeps, vingt lignes plus haut? En revanche, l'argument fourni par Duv':l témoigne d'une meilleure lecture syntaxique du passage et parmt plus convaincant : l'antécédent se~ait la question d~s « int~ntions >>

allégorisantes de l'auteur (ou du presentateur)- so_lutwn q':n, ~our la première fois, confère à cette séquence une log1que satisfaisante, sans qu'il soit besoin de recourir à l'hypothèse d'une volte-face dans l'argumentation.

texte[ ... ], répond, au nom du même impératif de lisibilité, à une nécessité permanente». M.

J eanneret, « Polyphonie de Rabelais : ambivalence, antithêse et ambiguïté », Lîttérature 55 (oct 1984), p. 98-111; p. 107 .

... ~-·~ -~~--~--~---

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Forts de leurs conjectures- si différentes qu'elles soient- Defaux et Duval en déduisent que, toutes difficultés désormais écartées, ils peuvent retrouver, clairement énoncée dans le Prologue une invitation sans équivoque à chercher la« substantificque moudlle » :

Le reste ~u Prologue ne présente à vrai dire aucun obstacle susceptible d'arrêter la lecture, m sur le plan de la syntaxe, ni sur celui de la logique et de la progression de l'argument Le lecteur y évolue en pays de connaissance. Il s'y trouve confronté à une voix familière et à une situation connue 6.

La« contradiction>> qu'on avait cru déceler dans le Prologue n'était que<< le fruit d'une mauvaise lecture ». « Cette contradiction une fois réduite, l'ambiguïté et la pluralité prétendues du Prologue s'évaporent » 1.

Est-ce vraiment aussi simple? Tout en clarifiant utilement un certain nombre de problèmes sémantiques et syntaxiques l'explication de Defaux et Duval refuse de prendre en compte de~

difficultés textuelles qui pourtant relèvent également d'une bonne lecture philologique. En effet, réduire le Prologue à un simple plrudoyer en faveur d'un programme -de résolutions allégoriques, c'est escamoter les résistances d'un texte particulièrement complexe, avec ses changements abrupts de thèmes, de styles et la superposition troublante d'un message sérieux à un ton comique. Il suffit de le comparer à la tradition dont il est issu (comme l'a fait Terence Cave dans The Cornucopian Text) et de rappeler la ré?action successive de ses avant-textes (comme l'a fait François R1golot dans les Langages de Rabelais) pour convenir que, bien loin de réduire les possibilités de lecture, le discours préfaciel de Rabelais les multiplie et les encourage.

Si Rabelais avait tout simplement voulu préparer son lecteur à recevoir un message univoque, on ne voit pas pourquoi il aurait choisi de parasiter un exposé sérieux par des interférences burlesques : thème de la mangeaille, comparaisons triviales vocabulaire hyperbolique, etc. Par exemple, même si l'on reconnaît un sens positif à l'injonction : « Interpretez tous mes faictz et mes

~ictz en. la perfectissime parti~» (et Duval a raison de rappeler 1 expressiOn latme dont elle est Issue), on n'a pas le droit d'oublier que le texte re~e~ ce _s~r~e~x en questi<:n par un brusque changement de registre. L ObJectlVlte Impose de citer la phrase de Rabelais en

~ntie; _et de ne pas raturer les termes burlesques qui suivent Immediatement :

Pour tant. interpretez tous me~ faictz et_ mes dictz en la perfectissime partie ; ayez en reverence le cerveau casetforme qut vous paist de ces belles billes vezées et, à vostre povoir. tenez moy tousjours joyeux.

C'est justement dans ce genre de télescopages, de paradoxes et de renversements (« cerveau caseiforme », «belles billes vezées ») que

6. Art. cit., p. 200-201.

7. Ibid., p. 206.

DÉBATS 713

réside l'immense différence entre Rabelais et les humanistes évangéliques de son temps- ce qui n'empêche pas Defaux et Duval

de les assimiler.

Il ne suffit pas non plus d'invoquer la notion de festivitas, chère aux rhétoriciens d'inspiration érasmienne, pour évacuer les turbulences tenaces du discours rabelaisien :

Le discours de Maistre Alcofrybas [ ... } est d'une clarté et d'une univocité quasiment parfaites. Sa transparence, qui autorise une saisie immédiate, qui semble, ma foi, s'accommoder fort bien d'une festivitas et d'une copia exemplaires, dessine un mouvement sans surprises.

L'accommodement est un peu rapide. La fête des mots n'est pas innocente ; elle n'annule pas les problèmes, mais les suscite à plaisir.

Et l'on s'étonne de voir surgir ici, contre l'évidence du texte, un Rabelais « sans surprise ,,,

Quelle que soit d'ailleurs l'issue du débat sur le sens du Prologue de Gargantua, elle n'est pas déterminante pour la lecture de l'œuvre entière de Rabelais, et cela pour plusieurs raisons. Tout d'abord, aucune affirmation d'auteur, même placée en position liminaire, ne saurait prescrire le sens à donner à un texte littéraire'. Ensuite, dans le cas particulier du Prologue qui nous occupe, les directives de lecture nous sont données non par Rabelais lui-même mais, comme G. Defaux l'a lui-même reconnu ailleurs, par son « masque comique >> 10. Enfin, le Prologue précède une œuvre dont la diversité générique et stylistique, à l'intérieur de chacun des récits comme dans l'ensemble qu'ils constituent, défie tout effort de totalisation et impose une multiplicité de méthodes, même si certaines lectures tendancieuses ont cherché, dès le XVI"' siècle, à réduire et fixer cette mobilité.

G. Defaux, qui conteste la pluralité du texte de Rabelais, admet cependant qu'il puisse exister, çà et là, des chapitres

<< pluriels»- par exemple dans l'épisode du Pantagruelion 11Mais comment concilier pareil aveu avec le postulat d'une « épiphanie » du sens comme telos de l'œuvre? 12 Il est vrai que cette concession se trouve reléguée dans une note en bas de page, geste qui trahit le désir de renvoyer l'opacité à la marge et d'en éliminer la signification.

Toute lecture qui prétend dégager un sens << univoque» et

<< transparent >> omet de rendre compte du choix d'une forme et d'une

8. Ibid., p. 201.

9. A propos du problème de l'intentionnalité du texte. voir F. Rigolot. Le Texte de la Renaissance (Genève: Droz. 1982), p. 61~76.

10. «Rabelais et son masque comique», Études rabelaisiennes, XI (1974), p. 89-136.

11. Art. dt., p. 198-199, note 10.

12. Rabelais serait de «ceux qui croient, comme Érasme. au langage, au texte et à

!'Cpiphanie possible du sens». Art. cit., p. 195.

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langue t~ujours en excès par rapport à ce qui serait requis pour

commu~uquer un tel sens, et cela même d'une manière « plaisante ».

I:es m_ellleures t~ntatives de récupération idéologique n'y changent nen : Il y a toujours des « restes » dans l'écriture de Rabelais.

, A ne. ~'en temr même qu'aux« idées» exposées par les humanistes evan?eli9-ue~.dans l~u_rs propres œuvres, c'est leur faire injure que de les redmre a une sene de topai aisés à définir et à répertorier. G.

Defaux veut que le message soit clair ; il ne peut tolérer l'incertitude et ~e moque du_ scepticisme de la critique dite « moderne», qu'il attnbue aux accidents de la mode. Les contemporains de Rabelais ont P_o~rtant r~connu l'ambiguïté du langage, ils l'ont illustrée et explOitee (serait-ce pour la dénoncer). Defaux lui-même dans un ouvrage récent, a insisté sur l'importance du (( scepticisme'chrétien >>

dans les années 1520-153013Jouer avec le doute à tous les niveaux sauf à celui de la foi, c'est là un passe-temps favori de la génération' de Rabelais.

Voilà pc:urquoi1 dans 11ze Cornucopian Text, Terence Cave a vou!? souligner a gue! point Érasme- pour ne prendre que le repres_entant le plus Illustre de cette tendance humaniste - avait été conscient des.carences et_de_s ?éf";Ïlla~ces du_ langage e~ à quel point son propre discours avrut ete SUJet a la meme problematique. En affi:~ant 9-u'É_rasme " croit au langage », G. Defaux adopte une po~I1lon simpliste pour des raisons polémiques 14 • Il s'ingénie à presenter sans nuances les conclusions de Marjorie O'Rourke Boyle et de. Terence Cave pour leur donner une allure grossièrement antJthe~Ique '~·Ce f~is~t, !!laisse de côté l'argument essentiel de T.

C~ve, a savOir q~~ 1 optJm_Isme logocentnque d'Érasme n'est jamais nruf ou. b_anal, qu Il ~st toujours accompagné d'une conscience aiguë de la denve du. sigmfiant, au-delà de la distinction illusoire entre un discours « comtque » et un discours « sérieux ». Contrairement à ce que pense G. Defaux, la devise " ubi uber, ibi tuber» n'est pas un capnce de la mode 16 ; elle se situe au cœur de l'écriture humaniste d:erasme et, que cela plaise ou non, désigne l'runbivalence du discours - la plénitude et ses pièges.

<?n peut se demander enfig s'il est légitime de faire appel à la foi

~hretienne de Rabelais O? _d:erasme pour assigner automatiquement a !eur œuvre un. so;ns _spmtuel. G. Defaux semble ériger en a priori theonque la revelation de la parole divine (dont la valeur transcendante n'est d'ailleurs pas discutée), sans se rendre compte que c_ette yaleur. ne peut. s'étend:e au fonctionnement du langage humam, necessmrement tmparfatt, et a fortiori à l'écriture d'une

. 1_3._ Le Curieu;=. op. cit., passim. ,«Ce Ia~gage fidéiste et sceptique est aussi, et mdcmab!eme?t, 1 un des langages de 1 Humamsme le plus authentique,_ Ibid., p. 108.

14. Art. ca., p. 195 sq.

15. Ibid., note 42, p. 215.

16. «Existerait-il. en dépit de la mode, de I'uber sans tuber?» Art. cit., p. 201.

DÉBATS 715

œuvre de fiction. Il pousse même si loin l'assimilation de la parole sacrée à la parole fictive qu'il se croit autorisé à invoquer Nicolas de Lyre et son "sensus (sic) mysticum et spiritua/em sub littera /atentem » 17 • Le même nivellement le conduit à assimiler deux ordres incompatibles - confusion entre le temporel et le spirituel qu'un Évangélique n'aurait pu admettre:

Le texte [de Rabelais] est bien, en définitive, comme pour Marot l'Écriture, (( la touche oû l'on treuve/Le plus haule or » 18 •

On comprend désormais pourquoi les adeptes de la

« transparence » de Rabelais conçoivent le récit comme une simple parabole et la langue comme un revêtement provisoire, le médiateur fidèle et innocent de la pensée. « Le texte est lu pour être traversé, pour mener jusqu'à son auteur et disparaître derrière lui »19Suivant l'exemple de V.-L. Saulnier, ils sont convaincus que c'est «un dessein de pensée » qui représente l'intérêt majeur de Rabelais et qu'à ce compte le style n'est qu'un jeu d'auteur, un «luxe>> de romancier : la << verve» ne sert en définitive qu'à habiller 1a pensée du théologien pour l'empêcher d'être triste et froide20 • Or même V.- L. Saulnier concédait que « l'intention» de Rabelais était peut-être

« équivoque» et qu'il n'était pas dit qu'on pût dépasser les« pitreries et calembours » pour répondre à l'invitation sereine d'un Rabelais totalement maitre de son écriture".

Il est vrai qu'il arrive à G. Defaux de reconnaitre qu'« un texte de Rabelais ne saurait jrunais être ni totalement sérieux, ni totalement joyeux, puisqu'il a justement été conçu pour déjoue: ce ge~re de réduction »22 • Mais c'est pour conclure, selon une Iog1que qm nous échappe, "que le jeu ici n'offusque en rien la' clarté du messag_e » 23• A ce compte, les turbulences langagières ne seraient qu'une ruse, une captatio du public lettré contre les accusations possibles des calomniateurs 24 • Devant la persécution des cagots, l'humaniste devait s'entourer de précautions : non pas proprement« chiffrer» le message, mais l'envelopper, l'enrober pour mieux le faire avaler à ses gogos de lecteurs ...

Refuser une conception aussi naïve du langage, noter que le style de Rabelais, loin de conduire directement à un message univoque, s'interpose, s'exhibe et complique à plaisir l'interprétation, est-ce

17. Ibid., p. 196.

18. Ibid., p. 196.

19. Ibid., p. 214.

20. V.-L. Saulnier, Rabelais. n. Rabelais dans son enquête (Paris : S.E.D.E.S., 1982), p.

51.

21. «Nous n'avons pas le droit de faire fond sur la page illustre oU Rabelais nous invite à briser l'os médullaire afin de découvrir la substantifique moelle : elle est d'une autre date, d'intention peut-être équivoque», Ibid., p. 133.

22. Art. cit., p. 212.

23. Ibid., p. 212.

24. Ibid .. p. 213.

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vraiment verser dans les excès d'une subversion moderniste ? Devant un texte aussi écrit que celui de Rabelais, la violence est plutôt du côté de ceux qui, contre toute évidence, dénient aux mots leur part d'autonomie et les forcent dans des significations simples, au nom d'une « transparence » que récusent précisément la philologie et l'histoire.

TERENCE CAVE.

MICHEL JEANNERET.

FRANÇOIS R.!GOLOT.

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