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«IL EST GRAND LE MYSTÈRE DE LA FRATERNITÉ»

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« IL EST GRAND LE MYSTÈRE DE LA FRATERNITÉ » Introduction

Vous avez en tête et dans le cœur - même si malheureusement ça fait quelques semaines que vous n'avez pas chanté en communauté – « il est grand le mystère de la foi » : la proclamation d'anamnèse qu’entonne le prêtre juste après la consécration.

Cet émerveillement devant le mystère de la foi peut se décliner : - il est grand le mystère de la foi,

- mais aussi le mystère de l'espérance théologale,

- le mystère de la charité (l'Amour qui vient de Dieu, qui mène à Lui, en se mettant pleinement au service des autres)

- il est grand le mystère de la fraternité.

Vous savez, la foi chrétienne, c'est un ensemble. Nous sommes sensibles au « tout est lié » de l'encyclique Laudato si. Ce « tout est lié », il est encore plus pertinent dans le rapport à la foi, parce que notre foi est une cohérence. Voilà pourquoi on ne peut pas faire son marché comme dans une grande surface. Tout est lié dans la foi, c'est ce qu'on appelle en théologie le « nexus mysteriorum », le « lien des mystères ». Tout est lié, mais d'une cohérence qui n'enferme pas. Une cohérence, au contraire, qui ouvre et qui libère.

Un mot encore pour commenter ce titre : le mot « mystère ». C'est un mot magnifique du vocabulaire chrétien. Il faut toujours nous rappeler que le « mystère » ce n'est pas « ce qu'il est impossible de connaître » mais « ce qu'on n’a jamais fini de découvrir ». Plus on connaît quelque chose du mystère, plus on sait en même temps qu’il sera toujours plus grand que ce qu’on en connaîtra. Il y a d'ailleurs une dimension déjà naturelle du mystère : le mystère de la vie, le mystère de l'être.

Je vous recommande un petit livre de philosophie, au titre un peu compliqué mais magnifique, de Gabriel Marcel : « Position et approche concrète du mystère ontologique ». Que ce titre ne vous fasse pas peur, c'est un très beau petit livre qui réfléchit sur la notion philosophique de mystère. Au plan de la foi, le mot mystère prend encore toute sa signification : le mystère, c'est cette réalité si riche de l'Amour de Dieu pour nous, que nous n'aurons même pas assez de l'éternité pour le découvrir en plénitude.

Pour introduire ces quelques réflexions, je vous invite à prendre conscience que la fraternité, c'est une réalité : un appel à contempler pour en vivre.

Je vous invite d'abord à prendre dans la première lettre de Saint Jean 3, 1-2 :

01 Voyez quel grand amour nous a donné le Père pour que nous soyons appelés enfants de Dieu – et nous le sommes. Voici pourquoi le monde ne nous connaît pas : c’est qu’il n’a pas connu Dieu.

02 Bien-aimés, dès maintenant, nous sommes enfants de Dieu, mais ce que nous serons n’a pas encore été manifesté. Nous le savons : quand cela sera manifesté, nous lui serons semblables car nous le verrons tel qu’il est.

Si nous sommes frères et sœurs, c'est parce que nous sommes enfants du Père dans le Christ.

La fraternité au sens le plus fort du terme est : le don que le Père nous fait par son Fils et dans l'Esprit d'être ses enfants, et d'être frères & sœurs les uns des autres. C'est le don de Dieu.

Rappelez-vous la parole de Jésus à la samaritaine : « si tu savais le don de Dieu ». Ce don infiniment riche et varié. La fraternité s'inscrit dans ce don de Dieu : c'est d'être frères et sœurs parce que nous nous découvrons enfants d'un même Père au sens le plus fort du terme.

Restons encore un instant sur cette proclamation de Jean. Vous savez, la première lettre de saint Jean - c'est la fin du corpus Johannique - qui est placé dans la bouche de Jean à la fin de sa vie, à Ephèse. On dit qu'il ne pouvait plus dire grand-chose, mais qu'il venait rejoindre les chrétiens pour la prière,

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soutenu à droite et à gauche, et qu’il ne disait plus qu'une seule chose à la fin de sa vie : « mes petits- enfants, aimez-vous les uns les autres ». Un peu comme un vieillard, qui répète toujours la même chose. On voit ça parfois avec des personnes très âgées : il ne reste plus que le meilleur d'eux-mêmes, et donc ce n'est pas une restriction, mais c'est comme une sorte de révélation. Je me souviens d’une vieille dame merveilleuse, qui n'avait plus que son sourire et sa gentillesse à la fin de sa vie, malgré un Alzheimer un peu cruel. Un jour, quelqu'un lui a dit : « Madame votre sourire est une preuve de l'existence de Dieu ». Il y avait un peu de ça chez Jean à la fin de sa vie : « mes petits-enfants, aimez- vous les uns les autres ». Dans cette première lettre, il y a cet émerveillement devant la fraternité. Et en même temps, cet émerveillement est réaliste, vous voyez ça au verset 2 : « dès maintenant nous sommes enfants de Dieu, mais ce que nous serons n'a pas encore été manifesté. Nous le savons quand cela sera manifesté nous Lui seront semblables, car nous le verrons tel qu'Il est ».

Nous sommes les enfants de Dieu, nous sommes - par le Christ - frères et sœurs les uns les autres, mais nous le sommes de manière inchoative : nous le sommes dans un commencement de fraternité, qui ne sera pleinement accompli que dans la vie éternelle. Et donc, ne nous étonnons pas, ne nous scandalisons pas - au sens précis du Nouveau Testament - du fait que la fraternité soit parfois laborieuse. C'est le signe que nous sommes dans le temps de la grâce, le temps du salut, le temps de la préparation du véritable déconfinement, celui de la vie éternelle.

Je voudrais, en écho à ce que je viens de vous dire, insister sur trois points :

1/ Cette fraternité est le don du Père qui, par le Christ et dans l'Esprit, fait de nous ses enfants, et du coup des frères et sœurs les uns des autres. Et donc c'est une expérience éminemment baptismale.

C'est par le baptême que nous devenons enfants de Dieu et frères & sœurs les uns des autres. Le baptême comme entrée dans la communauté chrétienne, c’est l’entrée dans cette fraternité qu’est l'Eglise. L’Eglise, ce n'est pas une institution administrative, c'est la fraternité des baptisés, de ceux qui sont devenus par le baptême enfants du Père.

Je voudrais étendre un peu l'expression : la fraternité c’est l'expérience baptismale, mais j'aimerai insister sur le fait qu’il faut prendre en compte l’ensemble de l'initiation chrétienne : et donc la fraternité c'est une expérience baptismale, chrismale et eucharistique.

Je m'explique sur l'adjectif chrismal : vous avez en tête la messe chrismale. « Chrismal » c'est à cause du chrême, du chrisme ; et quand j'emploie « chrisme » c’est évidemment en référence à la confirmation.

C’est par :

- le baptême, qui nous fait passer de la mort à la vie avec le Christ pour entrer dans la vie des enfants de Dieu ;

- la chrismation - la confirmation – que l'Esprit-Saint nous est donné pour entrer pleinement dans la Vie nouvelle ;

- et par l'Eucharistie, l'initiation sans cesse approfondie qui fait que notre vie est offerte à Dieu et aux autres avec le Christ,

que nous vivons de cette fraternité au sens le plus fort du terme.

Donc la fraternité : une expérience baptismale, chrismale et eucharistique.

2/ La fraternité c'est aussi une nouveauté de la foi chrétienne.

Dans la première Alliance, Dieu est le père plutôt du peuple que de chacun des disciples. Je reviendrai dans un instant sur cette articulation entre la dimension individuelle ET collective. Mais, en tout cas, c'est une nouveauté qui vient approfondir ce qui a déjà été donné à la première Alliance : une relation filiale de chacun avec Dieu révélé comme Père et, du coup, une relation pleinement fraternelle entre tous les disciples. C'est aussi une nouveauté par rapport à toutes les recherches spirituelles de notre

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humanité. Vous savez que chez les musulmans il y a 99 noms pour désigner Dieu, mais il n'y a pas le nom Père.

Ce qui est extraordinaire dans cette nouveauté, c’est qu’elle vient apporter la nouveauté du Salut, la nouveauté de ce qui nous délivre du péché de la mort.

3/ Et parfois c’est une épreuve.

Ce n’est pas grave et ce n'est pas inexplicable : nous sommes dans le temps où la nouveauté du Christ vient visiter tous les vieillissements de l'humanité dans sa condition blessée. Et donc la fraternité, c'est aussi bien un don qu'un programme / une tâche / un travail / une œuvre, jusqu'au jour où nous entrerons dans la pleine lumière de la Communion avec Dieu - c’est-à-dire aussi de la Fraternité.

Nouveauté et épreuve vont ensemble. Evidemment il faut s'appuyer sur la nouveauté pour pouvoir traverser dans la paix et l'énergie spirituelle les épreuves.

Au début de la vie de la communauté chrétienne, cette nouveauté était source d'un bonheur incroyable. Pensez par exemple à Félicité et Perpétue, baptisées toutes les deux à Carthage : l'esclave et la propriétaire d'esclaves qui se retrouvent sœurs - au sens le plus fort du terme - par le baptême.

Saint Paul « il n'y a plus ni esclave ni homme libre, ni homme ni femme, ni juif ni païen. »(Gal 3,28) Les trois grandes séparations de la société antique du monde biblique.

Nous sommes tous UN dans le Christ Jésus : unité de fraternité que le Christ opère.

Anne-Marie Pelletier, dans un livre que certains d'entre vous ont peut-être lu, « L'Église, des femmes avec des hommes 1» parle de la dignité insurpassable du baptême, qui est vraiment ce qui nous rassemble.

Nous allons parler maintenant de trois paradoxes de la fraternité.

C’est très important d'aimer le mot « paradoxe ». « Paradoxe » ce n'est pas la même chose que

« contradiction » : quand il y a des réalités contradictoires, ça ne peut pas aller ensemble. On n'est pas dans la vérité quand on est dans la contradiction.

Le paradoxe exprime la richesse du réel, où il y a des réalités qui peuvent être en tension mais qui sont en fait fondamentalement unies. Un signe de l'authenticité chrétienne, c'est de vivre des paradoxes.

L'autre jour quelqu'un m’a dit « Ah, Monseigneur, je ne voudrai pas être désagréable, mais ce que vous écrivez ici, c'est un peu paradoxal. » J’ai répondu : « Cela ne me fait pas de peine, au contraire, parce que le signe d'une réalité authentiquement chrétienne c'est qu'elle est paradoxale. » 

Je vous renvoie à une très belle série de petits aphorismes du cardinal de Lubac, grand théologien jésuite : « Paradoxes, Nouveaux paradoxes et Autres paradoxes », qui ont été réunis en un seul volume. Il explique que tout ce qui est chrétien est paradoxal et que le paradoxe par excellence c'est le Christ - vrai Dieu ET vrai homme.

Donc, trois paradoxes de la fraternité, avec des réalités qu'il faut tenir ensemble.

1/ Une réalité naturelle ET surnaturelle 2/ La personne ET la communauté 3/ Un don ET une tâche / mission

Et puis nous terminerons en évoquant le « Nous » du notre Père.

Encore une petite remarque sur les termes, mon professeur de théologie fondamentale, en première année de théologie, disait que le mot le plus important de la foi catholique, c'est le mot « ET ».

On l'a bien vécu ces derniers temps autour de l’eucharistie. Dans la vie chrétienne, ce n’est pas la Parole ou l’Eucharistie ; la prière ou le service des pauvres. Non. La foi authentiquement catholique,

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c'est la table de la Parole ET la table de l'Eucharistie ; la vie eucharistique ET la vie de charité. C'est l'unité de réalités qui peuvent être apparemment en tension, qui est la marque de ce qui est authentiquement chrétien.

1er paradoxe : Une réalité naturelle ET surnaturelle

Matthieu 12, 46-50

46 Comme Jésus parlait encore aux foules, voici que sa mère et ses frères se tenaient au-dehors, cherchant à lui parler.

47 Quelqu’un lui dit : « Ta mère et tes frères sont là, dehors, qui cherchent à te parler. »

48 Jésus lui répondit : « Qui est ma mère, et qui sont mes frères ? »

49 Puis, étendant la main vers ses disciples, il dit : « Voici ma mère et mes frères.

50 Car celui qui fait la volonté de mon Père qui est aux cieux, celui-là est pour moi un frère, une sœur, une mère. »

Quand on parle de fraternité entre baptisés, mais aussi de paternité de Dieu, ou de relation filiale à l'égard de Dieu, nous pouvons dire :

- il y a la vraie paternité, c'est celle des parents à l'égard de leurs enfants - il y a la vraie fraternité, c'est celle à l'égard de nos frères et sœurs de sang - il y a la vraie attitude filiale, c'est celle à l'égard de nos parents

- et puis il y a de manière un peu symbolique, le vocabulaire chrétien de la paternité, de la filiation et de la fraternité.

En réalité c'est le contraire : la paternité au sens le plus riche du terme c'est la paternité de Dieu.

La fraternité au sens le plus riche du terme c'est la fraternité ecclésiale.

La filiation au sens le plus riche du terme c'est notre relation filiale à l'égard de Dieu notre Père.

La fraternité et la paternité naturelles, humaines, sont comme une prophétie créée de la Paternité et de la Fraternité qui sont données par Dieu. Elles sont comme un lieu de pédagogie et d'apprentissage de la Fraternité et de la Paternité au sens le plus réel du terme.

C’est ce que Jésus manifeste : il a des frères qui sont ses cousins dans le langage qu'on trouve aujourd'hui encore dans la civilisation africaine, par exemple. Beaucoup d'entre vous qui sont d'origine africaine le savent bien : on n'hésite pas en Afrique, quand on présente son frère, à dire qu'on est ou pas de même père / même mère, parce qu'on sait bien que la fraternité est une relation beaucoup plus large que le strict cercle de la famille nucléaire, qui est une invention relativement récente de la société occidentale. Jésus dit « mes frères et ma mère, c’est vous tous si vous faites la volonté du Père ». Cette parole de Jésus est reprise dans les 3 synoptiques. Dans cette parole il y a la mention du Père, parce qu'il n’y a pas de fraternité sans relation à la paternité.

Nos familles sont des lieux d'apprentissage de la fraternité, en vue d'entrer dans la fraternité baptismale et la fraternité « universelle » de notre cher Père de Foucauld que nous fêterons le 1er décembre. Notre relation à nos parents est faite pour être un apprentissage de notre relation avec Dieu.

Ceci ajoute deux conséquences :

D'abord c'est très libérateur : parce que chacun d'entre nous peut avoir un type de relation différent avec ses parents. Mais, Dieu n'est pas l'image de nos parents. Nos parents de la terre font comme ils peuvent pour exercer une paternité et éveiller à la paternité de Dieu. Pour exercer une paternité spirituelle ou charnelle (ou les deux) : nous avons à contempler Dieu. C'est lui le maître de la paternité authentique.

La fraternité familiale nous prépare à la Fraternité véritable.

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J'en tire trois enseignements :

1/ Insister sur la source de l'authentique fraternité qui est en Dieu.

Lettre aux Ephésien 3, 14-15

14 C’est pourquoi je tombe à genoux devant le Père,

15 de qui toute paternité au ciel et sur la terre tient son nom.

Paul pourrait aussi tomber à genoux devant Celui de qui toute fraternité vient, c'est-à-dire le Christ : le fils du Père qui fait de nous des enfants de son Père et notre Père. C'est un des grands thèmes de Paul que celui de notre filiation adoptive du Christ, qui partage avec nous l'intimité qu'il a avec le Père.

2/ Dans son encyclique Fratelli Tutti, le pape François insiste plus sur la fraternité humaine, l'amitié sociale, que sur la fraternité proprement baptismale. Comment penser ensemble ces deux réalités ? Est-ce qu'il n'y a pas quelque chose de limitatif d'insister, comme je le fais, sur la fraternité baptismale ? Non évidemment, parce que le Christ comme le commente l'Évangile selon saint Jean 11, 52 « est venu rassembler dans l'unité les enfants de Dieu dispersés. »

Le Christ vient, par l'offrande de sa vie, nous réconcilier avec le Père, pour faire de nous des frères et des sœurs ; et pour, du coup, révéler à l'humanité dispersée / divisée parfois par la violence et la haine, la fraternité pour laquelle elle est faite. On est vraiment dans le rapport entre création / salut / grâce.

L'humanité est divisée par la violence ; le Christ vient révéler ce qu'est l'humanité : « voici l'homme en vérité » ; et Il crée entre ses disciples une fraternité qui est appelée à être un germe de fraternité pour l'humanité toute entière, appelée à entrer dans la logique du Salut.

Voilà pourquoi, et c'est aussi un des beaux paradoxes de la fraternité chrétienne : plus elle est intense, moins elle est fermée. Parce que c'est la fraternité dans le Christ qui vient ouvrir l'humanité entière à la fraternité.

3/ Le lieu où nous comprenons le mieux la fraternité, c'est le mystère de la Trinité.

C'est le Père qui suscite le Fils ; un Fils qui se donne au Père ; et leur don mutuel, plein de liberté et de joie, c'est l'Esprit-Saint. Ceci est très important aussi à contempler : Dieu est Père. Qu'est-ce que cela veut dire ? Mille choses évidemment. Mais au moins deux qu’il faut penser ensemble : une infinie tendresse et un éveil à la liberté. Il peut y avoir des tendresses enfermantes. L'amour de Dieu ne cesse de nous mettre au monde, de nous éveiller à notre liberté. Et l'Esprit qu’Il nous donne est un « Esprit de liberté », comme le dit saint Paul. Nous sommes faits pour la liberté.

Donc, en contemplant le mystère de la Trinité, nous voyons qu’être fils et frère, c'est accepter de nous recevoir d'un Autre ; et, en nous recevant d'un Autre, entrer dans une authentique liberté.

2ème paradoxe : la personne ET la communauté

Là je vous renvoie à 1 Corinthiens : la grande lettre de la fraternité et du corps, de l'unité et de la diversité de l'Église.

1 Corinthiens 3, 16-17

16 Ne savez-vous pas que vous êtes un sanctuaire de Dieu, et que l’Esprit de Dieu habite en vous ?

17 Si quelqu’un détruit le sanctuaire de Dieu, cet homme, Dieu le détruira, car le sanctuaire de Dieu est saint, et ce sanctuaire, c’est vous.

Ce sanctuaire c'est vous. Qui est ce « vous » ? Est-ce-que c'est chacun d'entre vous ou est-ce-que c'est nous tous ?

Vous voyez, je crois qu'il nous faut nous défier des écueils symétriques : l'individualisme qui aujourd'hui prévaut beaucoup dans notre société, et puis le collectivisme où l'individu n'existe plus et où rien ne peut être accompli autrement que par un collectif. Là aussi c'est important dans la vie de l'Église : autant l'esprit d'équipe et de communion est absolument essentiel, et en même temps il faut que chacun puisse respirer et vivre. Eh bien précisément, la compréhension chrétienne de la personne

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qui s'accomplit dans la fraternité, elle est consciente de la profondeur singulière de chacun ET du fait que cette profondeur singulière se reçoit dans la relation à Dieu et se déploie dans la relation aux autres.

C'est d'ailleurs la distinction qu'on peut faire entre individus et personnes. Le mot « personne » est un mot éminemment chrétien : il a été construit à partir du droit romain et du théâtre grec pour parler du Christ et pour parler de la Trinité, et ensuite il rejoint la personne humaine. C'est vraiment cette richesse de la personne humaine dans la lumière du Christ qui est ainsi exprimée, et le mot

« personne » dit à la fois notre caractère unique et notre dimension relationnelle.

Une deuxième remarque : la personne est relation. Vous voyez, dans tous les débats qu'on a pu avoir - et qu'on continue d'avoir en ce moment - autour du rapport aux personnes fragiles (et notamment âgées) dans la société : c'est important de se rappeler qu'une personne n'est pas simplement un corps qu'on pourrait sauver et protéger en isolant absolument : la personne est relation. Je vous conseille un très beau livre de Marie de Hennezel, une des grandes spécialistes de la fin de vie et de la personne âgée & fragile, qui est sorti cette année sur cette thématique-là (L’adieu interdit). Nous sommes faits pour être en relation avec les autres, et ce qui nous fait vivre c'est d'abord notre relation à Dieu qui, ensuite, se déploie. Quand on parle d'être de relation, pour nous qui sommes chrétiens, évidemment il y a tout de suite une dimension trinitaire. Dieu est relation. Vous savez que le Père, le Fils et l'Esprit se distinguent dans l'unité du mystère de Dieu-Amour par leurs relations subsistantes. La personne, dans sa profondeur, est relation.

Du coup, on peut répondre maintenant à la question « qui est ce "vous" de saint Paul ? » Ce sanctuaire, c'est vous.

Un peu plus loin dans sa lettre il dira « l'Esprit de Dieu habite en vous ».

Ce vous, c'est à la fois chacun ET la communauté que nous formons et que nous incarnons.

Toujours ce ET qui est si précieux dans notre foi catholique.

Voyez, par exemple, quand on interroge sur la foi en prenant le credo baptismal : « croyez-vous en Dieu le Père tout puissant, croyez-vous en Jésus-Christ son Fils, croyez-vous à l'Esprit-Saint ? » Personnellement je crois plus juste de répondre (comme d'ailleurs le propose - ça dépend des rituels - la liturgie) non pas « nous croyons » mais « je crois ». Parce que chacun est responsable de son propre engagement, de sa propre foi. Mais quand nous disons « je crois » tous ensemble, ce « je » c'est pas simplement le « je crois » individuel de chacun, c'est le « je crois » de l'Eglise comme corps vivant, comme corps du Christ rassemblé, que chacun d'entre nous - comme être ecclésial - incarne et représente. Quand je dis « je crois », je dis non seulement ma foi, mais aussi la foi de l'Eglise qui est le corps que nous formons.

3ème paradoxe : un don ET une tâche

Jean 13, 34-35

34 Je vous donne un commandement nouveau : c’est de vous aimer les uns les autres. Comme je vous ai aimés, vous aussi aimez-vous les uns les autres.

35 À ceci, tous reconnaîtront que vous êtes mes disciples : si vous avez de l’amour les uns pour les autres.

« Comme je vous ai aimés » : c'est ça qui donne sa nouveauté au commandement de Jésus.

Comment comprendre ce « comme » ?

Pas seulement « à la manière dont je vous ai aimés » : le Christ nous a aimés jusqu'au bout par le don total de lui-même sur la croix.

Non, le « comme » dit : « à la manière du Christ », mais aussi et davantage : « parce que le Christ nous a aimés et s'est donné jusqu'au bout ».

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C'est en nous appuyant sur ce que le Christ a fait pour nous que nous pouvons nous-mêmes vivre ce qu'Il nous demande. C'est parce que le Christ s'est fait frère universel, que nous pouvons devenir frères et sœurs les uns les autres. C'est parce que le Christ a partagé avec nous fraternellement sa relation filiale au Père, que nous pouvons nous aimer comme des frères et sœurs. Voilà pourquoi nous ne pouvons vivre la fraternité qu’en nous appuyant sur le Christ.

Quand nous commençons nos réunions en écoutant la Parole de Dieu et en priant, ce n'est pas un conformisme catholique superficiel, ce n'est même pas pour nourrir un peu notre foi ensemble, mais c'est pour éprouver que nous recevons notre fraternité - appelée à être missionnaire - de la Parole de Dieu, de la Parole en personne qu'est le Christ. Le ministère ordonné des évêques, des prêtres et des diacres est fondamentalement cela : un témoignage efficace, sacramentel, à cette source permanente de la fraternité qu'est le Christ lui-même. Nous avons à recevoir constamment ce don.

Cette fraternité est une invitation à nous aimer les uns les autres comme le Christ, c'est-à-dire à nous estimer les uns les autres dans notre diversité ; à aimer la diversité de nos dons.

La fraternité c'est une manière pour parler de l'Eglise. Il y en aurait beaucoup d'autres. Comme saint Paul on peut parler de l'Eglise comme « un corps ». Mais on peut aussi, un peu comme saint Jean au pied de la croix, parler de l'Eglise comme « une épouse ». Aucun terme dans la foi ne suffit à dire intégralement la richesse des choses. C'est toujours en faisant jouer de manière symphonique la diversité des termes qu'on entre dans la profondeur des choses (« la vérité symphonique » disait le grand théologien Hans Urss Von balthasar).

Parce que notre fraternité a besoin d'être sans cesse créée par le Seigneur lui-même, nous avons un peu spontanément le sentiment que nous avons raison, et que notre vision est la bonne. En réalité nous avons besoin de la vision les uns des autres pour avancer sur le chemin de la vérité. Il y a une fraternité nécessaire pour être dans la Vérité. Et puis, même dans des attitudes qui peuvent être erronées, il y a toujours une part de vérité à chercher et à reconnaître.

Les dernières semaines, certains qui voulaient manifester étaient prêts à condamner tous ceux qui ne le voulaient pas, et ceux qui ne voulaient pas manifester étaient prêts à condamner avec beaucoup de dureté ceux qui voulaient manifester. Ce que je trouverai plus intéressant, c'est que ceux qui pour rien au monde ne seraient allés manifester se demandent ce qu'il y avait d'estimable dans le désir de manifester ; et ceux qui, mordicus, voulaient organiser les grandes manifs se disent : « Mais qu'est-ce qu'il avait d'estimable dans la volonté de ne pas manifester ? ».

Beaucoup plus largement, au-delà des manifs : ceux qui sont plus sensibles à la dimension sacramentelle et ceux plus sensibles à la dimension d’engagement : que chacun fasse ce travail en estimant les autres.

Le Nouveau Testament nous dit même « Ayez assez d'humilité pour estimer les autres supérieurs à nous-mêmes » (Ph 2,3).

C’est très important pour vivre la fraternité en actes que, d'abord, nous nous disions qu'il peut y avoir plusieurs bonnes manières de vivre les choses.

Il y a des domaines dans lesquels il y a un discernement : il y a le bien à faire et le mal à ne pas faire.

Mais il y a aussi plein de domaines où il y a différents « bien » possibles, et il ne faut pas trop vite absolutiser un « bien » plutôt qu'un autre. C'est un lieu très important de croissance dans la fraternité.

Une des tâches / des missions, qui nous permettent d'entrer dans ce don de la fraternité, c'est toujours le chemin de la profondeur. Parce que quand on reste à la surface, alors on est dans l'affrontement ou dans l'illusion d'une fraternité un peu superficielle.

Quand il y a une difficulté, avant même de chercher à résoudre un problème, il faut toujours reprendre son souffle, rentrer en soi-même, pour accueillir le don l'Esprit qui permet à la Parole du premier des frères – « le fils aîné d'une multitude de frères » comme dit saint Paul - de nous rassembler dans l'unité.

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Voilà les trois paradoxes que je voulais vous inviter à méditer :

- une réalité naturelle ET surnaturelle : elles se renvoient l'une à l'autre, dans un sens et dans l'autre - la personne ET la communauté : chacun se déploie personnellement dans ce qu'il est de plus singulier par les relations fraternelles, et les relations fraternelles s'enrichissent des charismes de chacun - un don ET une tâche : un don à contempler dans le Christ et puis une tâche / une mission à remplir en cultivant, en particulier par la profondeur, l'estime de chacun.

Conclusion

Je voudrais maintenant conclure en revenant au Notre Père. Moi je suis je suis un fan du Notre Père et notamment du Notre Père pendant la messe. Parce que dans l’Eucharistie, tout s'y condense, tout s’y cristallise. Pourquoi est-ce que je suis un fan du Notre Père pendant la messe : nous sommes rassemblés, nous avons écouté la Parole de Dieu, nous avons fait mémoire de l'offrande du Christ au point qu'elle soit rendue présente, et là nous sommes devenus déjà le corps du Christ que nous allons recevoir pour l'être davantage, et c'est le corps du Christ qui parle.

Un de mes plus grands bonheurs de célébrant, c'est quand j'ai entamé le Notre Père, de laisser ma voix se perdre dans la voix de l'assemblée et d'entendre comme une seule voix le « je » de chacun ET de l'Eglise, dont je parlais tout à l'heure, qui dit Notre Père. Le corps du Christ est là : c'est le corps du Christ vivant, le corps du Christ présent, le corps du Christ parlant, le corps du Christ priant, le corps du Christ rayonnant.

Alors dans ce « nous » du Notre Père, qu'est-ce qu'il y a ? Il y a notre « nous » à chacun intime, unique, mystérieux, avec le Christ. C'est ton Père, Jésus, et c'est mon Père.

Imaginez le Notre Père de Marie-Madeleine, le Notre Père de Marie, le Notre Père des apôtres.

Et puis il y a le Notre Père des époux, par exemple. Quand je célébrais des mariages, j'aimais - le jour du mariage - leur dire « c'est la première fois que vous dites Notre Père en époux ».

Et puis il y a le Notre Père des parents et des enfants, c'est extraordinaire cela : les parents sont vraiment les parents de leurs enfants mais, attention, la fraternité baptismale est première, et il y a aussi une Fraternité des parents et des enfants entre eux.

Il y a le Notre Père d'une communauté religieuse, il y a le Notre Père d'une communauté paroissiale, il y a le Notre Père qui traverse l’abîme de la mort. Souvent quand des gens me demandent « comment puis-je éprouver la proximité de celui qui est parti ? », je réponds : l'eucharistie, bien sûr, nous fait communier au même Christ ressuscité entre ceux qui sont sur terre et ceux qui sont à la maison du Père ; mais aussi le Notre Père : incroyable densité du Notre Père qui franchit l’abîme de la mort.

Et puis il y a le Notre Père de toute l'Eglise. Il y a le Notre Père de tous les baptisés, quelle que soit leur confession : chaque fois que nous disons le Notre Père, nous contribuons à l'unité plus grande de l'Eglise ; cette unité que nous devons attendre et préparer avec énergie, l'unité de tous les baptisés.

Dans « Fratelli tutti », il y a quelque chose de la paix et de l'unité du monde entier qui est exprimée : parce que - même si tous ne se savent pas encore inconditionnellement aimés par le Père et rassemblés dans la fraternité par le Christ et par l'Esprit - tous y sont appelés, tous, par l'unité de la nature humaine, en vivent déjà quelque chose ; et donc cette fraternité universelle que le pape déploie abondamment dans Fratelli Tutti, elle est aussi donnée dans ce Notre Père.

Alors prenez le temps de méditer cela. J'avoue que de temps en temps, je commence le Notre Père, et j'aimerais m'arrêter là tellement c'est déjà d'une densité inouïe.

Ce que je vous propose, c’est de dire ensemble le Notre Père, en rendant grâce déjà pour ce don de la Fraternité, qui nous est donnée, que nous avons à construire, qui nous permet de nous accomplir chacun personnellement et en communauté, et en demandant la grâce d'être tous vraiment des serviteurs de cette fraternité qui est un des noms de l'Eglise et une des sources de son rayonnement possible - nécessaire en ce temps - pour la gloire de Dieu et le Salut du monde.

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