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Il en est de la critique comme de l'art

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Academic year: 2021

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Nous avons tenté, dans cette étude, de faire la synthèse des différentes façons d'aborder FLAUBERT et son œuvre. En étudiant l'histoire de la critique flaubertienne depuis le début de ce siècle, nous avons été frappé d'une chose : la brièveté des "âges d'or", la fragilité des formules esthétiques.

Certains que l'homme est perpétuellement en procès et que le grand critique est peu ou prou son témoin, les critiques ne se sont guère gênés d'examiner la déposition de FLAUBERT, de tenter de la comprendre, d'entrer dans le monde flaubertien, de saisir ses intuitions fondamentales, d'essayer de trouver dans les mouvements de sa sensibilité les secrets de son discours. A coup sûr, "l'angle d'ouverture du compas critique", selon la formule de Raymonde DEBRAY-GENETTE et de Jacques NEEFS663, est devenu proéminent.

Les multiples directions où s'est engagée la critique flaubertienne du XXe siècle sont véritablement hétérogènes664. Il en est de la critique comme de l'art. Ce dernier, on le sait, est essentiellement relatif : relatif à l'artiste, relatif à l'époque, relatif aux circonstances où il s'exerce. La critique a fait part, et souvent avec

663 Romans d'archives, Lille, Presses universitaires de Lille, 1987, p. 7.

664 Ferdinand ALQUIE, dans "PASCAL et la critique contemporaine", a bien perçu le phénomène : "L'histoire des idées n'est pas une science exacte. En ce domaine, nulle universalité n'est jamais atteinte, et les résultats varient selon les méthodes. Les images que divers critiques nous proposent d'un même auteur, les interprétations qu'ils donnent du même texte sont aussi opposées que les modes de compréhension mis en œuvre. Car les pensées ne sont pas des choses, toute compréhension est valorisation, et chacun valorise selon son système de références, sa hiérarchie axiologique, son critère de vérité"

Paris, Critique, n° 26, nov. 1957, p. 953.

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maestria, de toutes les sphères de résonance de l'œuvre de FLAUBERT.

Le premier versant de la critique flaubertienne, qui s'est davantage contenté d'étudier l'injection du réel dans le texte, s'est voulu plus historique. L'approche psychologique a pensé avoir expliqué FLAUBERT, dès lors qu'elle a cru élucider certaines allusions biographiques qui se cachent sous les apparences de certains textes ; l'approche historique nous a présenté le "climat"

biographique et social ayant influencé l'œuvre flaubertienne jusqu'à un certain point ; l'approche esthétique a tenté de disséquer les éléments d'une émotion gratuite et enthousiaste pour la saisir dans sa complexité et la restituer dans la lumière de l'esprit ; enfin l'approche philosophique a voulu raccorder à leurs normes métaphysiques ou mystiques les idées traduites par les œuvres de FLAUBERT.

En partant de l'idée que quand FLAUBERT peint le milieu humain dans lequel doivent se mouvoir ses personnages il le fait selon son propre point de vue -donc il ne peint que ce qu'il connaît-, certains critiques de cette période ont voulu chercher systématiquement dans l'œuvre de FLAUBERT un décalque de la vie privée. C'est le reproche que l'on peut véritablement faire à une partie de cette critique flaubertienne. Car notre foi la plus dure est que, en général, l'œuvre ne ressemble pas à l'homme social. Certes existe-t-il, dans l'individu, des aptitudes, des tendances plus ou moins subsconscientes, qui sont déterminantes des vocations ; mais il est clair cependant, en ce qui concerne FLAUBERT, que sa vie privée n'est entrée dans son œuvre que comme les matériaux d'un édifice.

Et ces derniers, on le sait, peuvent à la fois être utilisés pour la

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construction d'un palais, d'une chaumière, d'une église, d'une prison, etc.

Les personnages flaubertiens trouvent à coup sûr dans la réalité leurs germes, c'est-à-dire une espèce de vagues noyaux primaires dont ils sont issus. Mais lorsqu'ils se présentent à nous, ils le sont complexes, recomposés, reconstruits, deviennent des corps chimiques nouveaux qui, transmués par des combinaisons multiples et savantes, font disparaître à jamais les éléments originels. A l'un FLAUBERT emprunte telle partie du corps, à l'autre telle autre partie et ainsi de suite. Et le résultat est que de ces éléments disparates et grappillés un peu partout devra se composer un être unique et cohérent, un être neuf, solide et dont la personnalité nettement déterminée s'impose avec une force irrésistible à FLAUBERT.

En conclusion, disons que prétendre découvrir la vie de FLAUBERT dans les aventures qu'il conte ou dans les personnages des êtres qu'ils a connus relève de l'absurde. Dès lors, la recherche des clés, au point de vue artistique, est sans fondement. Les modèles que FLAUBERT prend dans la vie, il s'en sert dans le cadre d'un roman, donc une structure, qui doit par conséquent renfermer -c'est un truisme de le rappeler- sa propre signification. N'oublions pas que

"l'invention romanesque" s'exerce dans le cadre d'un travail fait sur le discours, sur les formes que l'écrivain emprunte ou qu'il crée665.

Dans ce premier versant de la critique flaubertienne, ce mouvement centrifuge, il n'y a pas -fort heureusement-, que des

"zones poussiéreuses" : des choses irremplaçables ont été dites -par de bons lecteurs de FLAUBERT-, que les méthodes de ceux qui

665 Lire Raymonde DEBRAY-GENETTE, Romans d'archives, Lille, Presses Universitaires de Lille, op. cit., p. 8.

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viendront assurer la relève ne feront que confirmer. Il se trouve simplement, qu'à partir des années cinquante, la critique va suivre un autre mouvement, centripète celui-là, fondé sur des approches nouvelles, davantage textuelles, et lequel s'évertuera à refermer l'œuvre sur elle-même, à en faire sa propre fin. La psychanalyse, la sociologie, la linguistique, la sémantique "littéraire", la théorie de la production littéraire dans sa version marxiste ont investi l'œuvre de FLAUBERT qui n'a, par conséquent, offert à ces sciences aucune résistance.

S'il est vrai que la volonté des explorateurs de cette voie a été d'entreprendre une analyse systématique du corps de l'œuvre, de son tissu charnel, en faisant abstraction de tout ce qui l'entoure, force est de constater que toutes ces méthodes n'ont pas abouti aux mêmes résultats. Très souvent, certains critiques se sont servis du texte pour se livrer à une sorte de métacritique, c'est-à-dire, tout en impliquant la lecture dans leur entreprise, de faire très explicitement une construction théorique -solide, il est vrai-, par le fait qu'avec leur intelligence, ils arrivent à formuler certains concepts, à les articuler de façon cohérente, à veiller à leur pertinence par rapport à l'objet qu'elle s'est fixé.

Le troisième versant de la critique flaubertienne, constitué par la critique des années 1970, s'est voulu plus "sectaire", car s'adressant surtout à des spécialistes, c'est-à-dire à ceux qui sont au fait des canons de la critique d'aujourd'hui. Cette critique ne fera qu'emboîter le pas à celle des années cinquante, mais en étant plus ascétique. La génétique, durant la décade 1970-1980, grâce aux travaux de Mme DEBRAY-GENETTE, apporte un souffle nouveau à

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une critique qui semblait en mal d'inspiration.. Apparue comme "la dernière terra incognita", elle a permis -bien qu'étant à ses débuts- d'éclairer la forme et le sens futur de l'œuvre de FLAUBERT, d'édifier les gens sur l'importance des inédits, mais également de déchiffrer tout l'effort de FLAUBERT, de suivre toute son invention dans son exercice acharné, dans ses recherches, ses hésitations, son lent débrouillement.

Le travail précurseur de Marie-Jeanne DURRY666 des années cinquante a donc été complété, ici, par une "critique génétique", osons oser "genettique", "conçue comme investigation dans les chantiers de l'écriture et comme mise à jour d'une dimension foisonnante, complexe, de la textualité en mouvement"667. L'existence, la nature, la disposition et les composantes des

"dossiers manuscrits" sont apparues comme un "objet particulier". Et l'édition des œuvres de FLAUBERT, à partir de cette période, sera surtout caractéristique de l'intérêt accordé aux "variantes",

"documents" et "esquisses", et de la place accordée aux "avant- textes" ou aux textes d'accompagnement.

L'examen de la critique flaubertienne nous édifie sur une chose : toutes ces voies explorées n'ont pas donné les mêmes résultats.

Dans leur volonté de donner de la production flaubertienne une interprétation, quelques-unes ont paru plus complètes, mieux armées et parfaitement systématiques. Chacune, en tout cas, a eu au moins la possibilité d'exister en présence du texte flaubertien.

666 FLAUBERT et ses projets inédits, op. cit.,

667 NEEFS (Jacques), "Critique génétique et histoire littéraire", in L'histoire littéraire aujourd'hui, Paris, A. COLIN, 1990, p. 23.

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Une chose reste sûre cependant : FLAUBERT sort grandi de tous ses admirables travaux ; certes, les écrits d'un écrivain comme PROUST ont également bénéficié de cette explosion critique et théorique caractéristique de la critique contemporaine ; mais peut-on citer beaucoup d'écrivains qui puissent fournir une matière aussi constamment opulente à des commentaires aussi vastes et aussi pénétrants ?

Gustave FLAUBERT reste singulièrement présent et actuel:

mondialement connu et reconnu, commenté, étudié, interrogé ; diffusé partout, dans toutes les éditions savantes, scolaires, projeté à l'écran ; assidûment visité chez lui, à Croisset, dans cette propriété que son père avait achetée pour en faire une maison de campagne, mais aussi à l'I.T.E.M., où un centre porte son nom ; l'Université l'a soumis aux formalités d'une agrégation et lui a prodigué de multiples thèses. Cet écrivain qui "refusa la mode comme la modernité" est continuellement remis à la mode et garde une grande place "en notre modernité". A vrai dire, FLAUBERT avait bien senti cette évolution :

"(...) Car, j'écris (je parle d'un auteur qui se respecte) non pour le lecteur d'aujourd'hui mais pour tous les lecteurs qui pourront se présenter, tant que la langue vivra. Ma marchandise ne peut être consommée maintenant, car elle n'est pas faite exclusivement pour mes contemporains. Mon service reste donc indéfini et par conséquent impayable" 668.

FLAUBERT, on le voit, s'était préoccupé de la survivance de son œuvre. Cela est d'autant plus vrai qu'une certaine représentation de

668 Lettre adressée à George SAND, du 4 décembre 1872, in Correspondance FLAUBERT-SAND, op. cit., p. 410.

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son œuvre semble "engagée dans la conservation des manuscrits préparatoires, des versions successives". Un tel assemblage laisse supposer "que le livre publié n'est qu'une version d'une multitude de possibles dont seuls les manuscrits portent la trace, en virtualité"669.

Aujourd'hui, la preuve est faite. Il convient de préciser, ici, que, parmi ces nombreuses approches critiques, aucune n'est la meilleure ; pas plus que la dernière n'est la définitive. Chacune d'elles, après qu'elle nous eut ému par sa fraîcheur et sa pénétrante intelligence, est devenue aussitôt surannée : une autre l'ayant remplacée. Leur apport est certes décisif ; mais aucune n'est parvenue pratiquement à "fournir le principe du déchiffrement critique". C'est la raison pour laquelle la critique flaubertienne, en dépit de sa qualité avérée, est restée toujours ouverte, comme le sont du reste les œuvres qu'elle explicite.

Pouvons-nous, à partir de ce constat, en guise de prospective, jeter un coup d'œil rapide sur l'avenir des recherches flaubertiennes et leurs prolongements immédiats et prévoir ce que sera la critique flaubertienne à l'an 2000 670?

Il y a, c'est sûr, dans la critique de FLAUBERT, des pans qui sont définitifs. Toutefois, il est clair que la vie ne cesse de recommencer et d'être immuable, et dans des conditions toujours différentes et qui nécessitent à chaque époque une réadaptation nouvelle, une nouvelle optique romanesque. Le roman, on le sait bien, est compris

669 NEEFS (Jacques), "page à page", in Leçons d'écriture, op. cit., p. 334.

670 Cette partie doit beaucoup aux suggestions qui nous ont été faites par Peter Michael WETHERILL et Yvan LECLERC, dont nous avons recueilli les avis, à travers un questionnaire que nous leur avions fait parvenir.

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comme l'expression d'un accord de l'homme avec lui-même, avec le monde, accord sans cesse remis en question par l'existence.

Dès lors que nous venons de noter que la critique flaubertienne, malgré sa grande qualité, a été incapable de tirer des livres de FLAUBERT jusqu'à la dernière goutte de substance, il est par conséquent clair qu'elle s'offre à une autre exégèse, reste ouverte à un sens nouveau. "La littérature, à dit DOUBROVSKI, c'est toujours une question à travers une réponse, une réponse à travers une question. Telle est, en effet, la nature de la conscience, qu'elle est toujours

"donneuse de sens", que le "non sens" est strictement impensable, mais que le sens ne peut jamais être "arrêté"671. Telles semblent les ressources inépuisables de la critique. Jamais le sens véritable de l'œuvre n'a été possédé. A coup sûr il faudra toujours, pour comprendre l'œuvre de FLAUBERT, faire appel à cette infinité de connaissances biographiques, bibliographiques, textuelles, etc.

Toutefois, dès lors que ces connaissances ne coïncident pas avec la connaissance interne de l'œuvre, que le sujet qui se trouve révélé à nous dans les œuvres, n'est point l'auteur, soit dans la totalité désordonnée de son existence externe, soit même dans l'ensemble mieux organisé et mieux concentré de ses écrits, la critique reste ouverte.

Entre le XVIIIe et le XIX e siècle, tout le système de la connaissance, alors fondé sur la "mathesis" et la taxonomie, avait été remis en question. Face à cette nouvelle donne, les penseurs ont exploré d'autres voies, et cela a donné naissance à toutes ces différentes disciplines scientifiques.

671 op. cit., p. 95.

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Le texte flaubertien a su valablement résister à tous ces partis pris et prétentions. L'exégèse flaubertienne s'orientera, dans les prochaines années, vers au moins trois directions : d'abord, l'approfondissement et la systématisation des méthodes venant de disciplines annexes. A ce sujet, le travail fait par Pierre BOURDIEU, qui a consisté à montrer que l'analyse scientifique, au lieu de

"détruire ce qui fait la spécificité de l'œuvre littéraire et de la lecture", et tout en refusant de se "laisser réduire aux données immédiates de l'expérience sensible dans lesquelles elle se livre", de viser "à donner à voir ou à sentir", et tout en cherchant "à construire des systèmes de relations intelligibles capables de rendre raison des données sensibles", reste remarquable à plus d'un titre.

Remettant en cause la manière, à ses yeux hâtive, dont Yvonne DANGELZER672 et Béatrice SLAMA673 qui, en ne s'en tenant qu'aux indices les plus extérieurs, sont arrivés, tout de même, à trouver à L'Education sentimentale le statut de "document sociologique", Pierre BOURDIEU tente, à travers sa "lecture sociologique" du texte de FLAUBERT, de dire à l'intérieur de l'œuvre les indices immanents d'une extériorité intériorisée, de mettre "en suspens la complicité qui unit l'auteur et le lecteur dans le même rapport de dénégation de la réalité exprimée par le texte"; et ainsi de "porter au jour ce qui rend l'œuvre d'art nécessaire, c'est-à-dire la formule informatrice, le principe générateur, la raison d'être".674

672 La description du milieu dans le roman français, de BALZAC à ZOLA, 673 "Une lecture de L'Education sentimentale", in Littérature, n° 2, op. cit.,

674 Les règles de l'art. Genèse et structure du champ littéraire, Paris, Seuil, 1992, p. 13.

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Certaines œuvres passeront, sans doute, du domaine de la littérature à celui de l'histoire littéraire. Ce travail entrepris par BOURDIEU en s'appuyant sur la sociologie devra, peut-être, être tenté au niveau d'autres sciences qui n'étaient guère sûres d'elles- mêmes675.

L'édition critique des Carnets de voyage sera probablement faite.

L'exploitation sera faite du travail de Pierre-Marc de BIASI676. Le texte sûr, scientifiquement établi, permettra, à coup sûr, dans les prochaines années, la reprise de la question si complexe du

"réalisme" et ouvrira, comme le note fort justement Yvan LECLERC,

"entre les deux bouts de la chaîne d'écriture, tout l'entre-deux du travail génétique sur les brouillons qui nécessitent, pour chaque œuvre, un volume plus gros que celui-ci" 677.

675 Notons que, dans le domaine de la psychanalyse, il y a une reprise du texte flaubertien. Jean Bellemin NOEL, dans Le Quatrième conte de Gustave FLAUBERT, en partant "de la triade oralité, analité, génitalité", souligne que

"chacun des contes est massivement marqué par la primauté d'une de ces grandes formes de sensibilité inconsciente, et en suivant un ordre rétrograde, c'est-à-dire que la rédaction suit un ordre inverse de celui de l'apparition des modes de notre organisation sexuelle : La Légende de saint Julien l'Hospitalier se place d'emblée sous le signe de l'œdipe, du combat corps à corps, de la revendication phallique : c'est le stade terminal ; Un cœur simple comporte (sans que la chose saute aux yeux (...) beaucoup de traits propres au régime anal ; Hérodias enfin se signale par ses caractéristiques d'oralité, d'une part à cause du festin, cela va de soi, d'autre part à cause du personnage envahissant, un peu embarrassant qu'est le goinfre" Paris, PUF, "le texte rêve", 1990, pp. 17-18.

676 Les Carnets de Travail, Paris, BALLAND, 1988.

677 "Les Carnets de travail 1000 pages d'avant-FLAUBERT", in Etudes Normandes, n° 3, Rouen, Lecerf, 1988, p. 37.

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La portée d'une œuvre, on le sait, est liée à ses "enjeux", non seulement aux déterminations qui ont pesé sur son élaboration, mais à la place de l'œuvre dans la vie, de la vie dans le siècle, à l'apport de l'œuvre dans la vie, à l'apport de l'œuvre au flux mouvant et changeant des idées et des formes, à la fonction de l'écrivain dans la société. Bref, il s'agit de réhabiliter "l'histoire de la littérature".

Si, avec FLAUBERT, quelque chose d'essentiel se met à changer dans l'art, dans la littérature ("il est, nous dit Jean ROUSSET, le premier en date des non-figuratifs du roman moderne"678), il faut bien admettre que ce déplacement de l'échelle des valeurs esthétiques procède d'un faisceau convergent de facteurs qui réclament la participation de disciplines et d'approches multiples.

La critique flaubertienne subira la contagion de la critique en général (On sait que, de nos jours, les romans témoignent pour la plupart d'un désir de communication immédiate). Après une longue période de rupture caractéristique de la "modernité", la littérature semble se réconcilier avec le monde et la vie quotidienne. Aujourd'hui, le déclin de la théorie est largement amorcé. Place est donnée, de plus en plus, au concret, au biographique (biographie des personnages, biographie des auteurs). La présence de l'auteur, dont le structuralisme niait l'intérêt, se fera de plus en plus insistante. Il en sera de même, croyons-nous, du social et de l'historique - et les textes, sans rien perdre de leur textualité (le retour du concret n'étant point un retour en arrière), reprendront enfin le statut moral que l'on a depuis longtemps tendance à ignorer. On parlera plus nettement de l'interférence de l'écriture et du moral, de la difficile confrontation

678 Formes et signification. Essais sur les structures littéraires de CORNEILLE à CLAUDEL, op. cit., p. 111.

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des textes, du créateur, du lecteur et de la société. Car en fait si, depuis presque un demi-siècle, c'est le versant "ascétique",

"janséniste", celui qui étudie les idées dans les œuvres, qui l'emporte, il convient de se rendre à l'évidence que FLAUBERT et son œuvre se trouvent au confluent de deux approches. L'analyse textuelle, qui, à coup sûr, ne disparaîtra point, devra s'appuyer sur les données fournies par l'exploration inlassable du "contexte"

personnel, familial, social, culturel, idéologique, bref de l'histoire appréhendée sur le plan le plus large.

Pendant longtemps on s'est usé les ongles à vouloir priver entièrement de la parole la partie subjective de l'être. Aujourd'hui, cette partie subjective réapparaît, s'affirme autrement. La tentative

"d'objectivation de la littérature" s'est muée en "une réinstauration du sujet".

De ce point de vue, peut-être serions-nous amené à reconnaître que la critique historique, qui n'a pas manqué -comme nous l'avons dit- d'égarer FLAUBERT, reste, en dépit de ses imperfections, la seule qui soit intemporelle.

Pierre AUDIAT, dans La biographie de l'œuvre littéraire, n'avait pas manqué de souligner le caractère bancal d'une étude génétique qui se contenterait d'un seul roman pour définir les lois de la création littéraire chez FLAUBERT :

"Il y aurait un livre à écrire sur la genèse de chacun des romans de FLAUBERT. Une fois ces livres écrits, on pourrait tenter de déterminer quelles furent les lois de son imagination et ses procédés de création" 679.

679 Paris, CHAMPION, 1924, p. 96.

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Aujourd'hui que son vœu semble exaucé, les travaux de la génétique garderont toujours leur place. On ne pourra plus, dans l'abstraction, parler de l'élégante mouvance de l'écriture. Sans doute aura-t-on tendance, de plus en plus, à évoquer la substance vécue, par les personnages, par l'auteur, et la substance prévue par le lecteur.

L'humain (avec ses retombées morales) sera au centre de tout cela.

Il sera davantage question, pour tous les groupes concernés, de l'investissement progressif, dans ses conflits avec l'écriture, d'expériences, de savoirs, de paysages.

De son vivant, FLAUBERT ne sut livrer que la partie la plus figée et la plus parfaite de ses écrits. Aujourd'hui qu'on lit non FLAUBERT mais du FLAUBERT, il est davantage question de prendre son œuvre, de la reprendre et de s'y perdre. FLAUBERT, disons-le une fois pour toutes, "est le cas limite où l'histoire de la création est plus passionnante que la création elle-même"680.

Il ne s'agit pas, comme le remarque pertinemment Raymonde DEBRAY-GENETTE, de récupérer FLAUBERT, mais plutôt de nous laisser récupérer par "l'entier de son œuvre". Et il est un fait que, malgré l'élargissement du champ génétique par FLAUBERT, ses manuscrits n'ont pas fini de nous livrer leurs "secrets de fabrication".

On pourrait, finalement, appliquer à FLAUBERT ces mots de Ferdinand ALQUIE sur PASCAL : "Il a fixé un moment de la recherche elle-même, il a permis à tous d'apercevoir ce qu'est la critique vivante, de comprendre comment, de la diversité des points de vue, se dégage une

680 ALBERES (R.M.), Les Nouvelles littéraires, 7 janvier 1965, in Les Amis de FLAUBERT, n° 26, janvier 1965, p. 40.

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vérité qui ne saurait contraindre l'esprit, puisqu'elle est sa liberté même"

681.

Disons, enfin, que si FLAUBERT reste toujours, malgré la patine du temps, un contemporain, intégré à une sensibilité où façon de dire et façon de percevoir sont inextricablement mêlés, c'est que, au-delà du plaisir qu'offrent les recherches historiques et biographiques, narratologiques, du plaisir de l'analyse, etc., ses œuvres offrent toujours, après des lectures et décryptages, ce plaisir qui semble prendre le pas sur tous les autres, "le plaisir esthétique".

*

***

*

681 "PASCAL et la critique contemporaine" Paris, Critique, Revue Générale des publications françaises et étrangères, tome XII, n° 126, nov. 1957, p. 957.

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Avant-Propos

. Manifestation, depuis le début de ce siècle, d'un élan très marqué de curiosité et de sympathie en faveur de FLAUBERT par l'apport considérable de documents, de publications nouvelles, d'éditions critiques, cependant de valeur fort inégale.

. Réputation sérieuse, établie par des hommes distingués, des

"gourmets de l'intelligence". Peu de pics démolisseurs portés dans le superbe édifice sorti de son imagination.

. Formation autour de lui d'une chapelle qui professe à son endroit un culte sans partage. Existence d'une postérité reconnaissante lui apportant des fleurs et une couronne. Un atelier FLAUBERT.

. Est venue donc l'heure où, sur bien des points, la certitude remplace les doutes, où donc l'on éprouve le besoin d'opérer une synthèse sur des faits acquis.

. Ramener un certain nombre de "brebis" galeuses dans leur bercail.

Explicitation de notre désir et de notre curiosité.

. Question de procédure : où commencer et où finir notre investigation ? Pourquoi 1979 ? Problèmes d'évaluation et d'organisation. Pourquoi la limitation du champ au seul domaine français ?

Remerciements

INTRODUCTION pp. 11-73.

- L'art comme enchantement de toute une vie.

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FLAUBERT, par ce qu'il représente dans le monde des lettres, reste un "homme historique", celui qui, ne se contentant pas d'avoir été jeté dans le monde par l'aventure de sa naissance, s'élève au- dessus du troupeau, peut contester les idées naturelles de son milieu "naturel" et rompre avec "ce qui se fait" autour de lui.

- Rapport avec la pensée de son temps

Il n'y a guère d'écrivain sérieux, qu'il appartienne à une école, ou à une autre, qui n'exprime de quelque manière son époque, qu'il le veuille ou non. Une représentation de la vie un peu approfondie et originale, qui n'est pas la copie ou l'écho d'œuvres antérieures, est toujours l'expression d'un temps.

Même si l'œuvre de FLAUBERT, en tant qu'œuvre "géniale", a déterminé, dans le devenir historique antérieur, une cristallisation nouvelle, y a fait apparaître des directions, des problèmes, bref des

"lignes de force", elle doit, néanmoins, pour être appréciée, être située à partir de celles qui l'ont précédée, ou qui lui sont contemporaines.

- Rapport avec le romantisme. Rapport avec le réalisme. Rapport avec le parnasse. Rapport avec le naturalisme. Rapport avec la pensée politique, philosophique, religieuse et sociale du XIX e siècle.

- La spécificité du roman et de la littérature

"Qu'est-ce que la littérature ?" Le mystère de l'œuvre d'art ("la vraie vie, c'est la littérature"). L'espace du langage et l'espace réel (y a-t- il une opposition entre chose écrite et chose réelle ? y a-t-il un constant dépassement dialectique de cette opposition dans l'acte

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d'écrire ?) Le rapport de l'écrivain avec son œuvre ; du critique avec l'écrivain.

- La "poétique" de FLAUBERT

FLAUBERT reste un véritable "tétrarque honoraire", et sa vie demeurera l'éternel honneur des lettres françaises et, pour tous les écrivains, un modèle d'élévation intellectuelle et de conscience. De nos jours, il semble impossible d'aborder les problèmes de la littérature sans avoir à citer son nom et à discuter son influence.

Nul, dans la religion de l'art, n'a apporté plus d'enthousiasme douloureux que FLAUBERT. Le temps ayant fait apparaître, dans toute leur valeur, des modèles de pages belles comme le marbre, a, en même temps, révélé la Correspondance, fougueuse et vibrante, et donc les théories que FLAUBERT a méthodiquement mises en pratique.

L'art impersonnel. Généralité de la description. "Le détail distinctif".

L'art plus beau que la vie. La question du style.

PREMIERE PARTIE pp. 74 - 196.

FLAUBERT devant la critique contemporaine : les diverses perspectives de la critique flaubertienne

La critique traditionnelle : 1900-1952 : méthode historique et méthode esthétique ; approches d'œuvres particulières.

Chapitre premier : Méthode historique pp.76 -133.

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I) La critique d'érudition pp.76 -79.

Etudes ou essais visant à éclairer la vie de l'auteur et les paysages de l'œuvre ou de la pensée. Les travaux de synthèse (monographies consacrées à "l'homme et l'œuvre"). Les premières intrusions dans l'atelier FLAUBERT. Compilations bibliographiques. Les intentions philosophiques et religieuses de l'œuvre.

A) Les biographes et leurs méthodes pp. 80 - 101.

Rappel de la vie de FLAUBERT pour conclure qu'il a tenté beaucoup de biographes auxquels une vie si commune posait des problèmes intéressants et difficiles à résoudre. Quelle contribution ces biographies apportent à la compréhension de l'œuvre. (René DUMESNIL, René DESCHARMES, Louis BERTRAND, Henri GUILLEMIN, Edouard MAYNIAL, GERARD-GAILLY, Hélène FREJLICH, G. M. MASON, Jean POMMIER, Claude DIGEON, Jacques-Louis DOUCHIN, R. J. SHERRINGTON, Jean BRUNEAU).

B) Etudes des "sources" ou d'influences pp. 101 - 113.

1) Etude des sources Jean SEZNEC 2) Etude des influences

René DESCHARMES, René DUMESNIL, Louis

BERTRAND, Edouard MAYNIAL, Albert THIBAUDET, André VIAL

C) Etude d'un aspect précis de l'œuvre de FLAUBERT pp.113 - 117.

E. L. FERRERE, Don Louis DEMOREST

D) La publication d'inédits pp. 117 -121.

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Louis BERTRAND, Marie-Jeanne DURRY

E) La publication de la Correspondance pp. 121 - 125.

René DESCHARMES, René DUMESNIL, Maurice SCHÖNE, Hélène FREJLICH

F) Les éditions pp. 125 - 127.

1) L'édition CONARD, L'édition du Centenaire

II) Les monographies pp. 127 -133.

René DUMESNIL, Alfred COLLING, René DESCHARMES, Louis BERTRAND, Jean de LA VARENDE, Albert THIBAUDET

Chapitre deuxième : Méthode esthétique pp.134 -153.

La critique formelle

Marcel PROUST, Albert THIBAUDET, Paul CLAUDEL, Paul VALERY, Charles DU BOS

Chapitre troisième : Etudes d'œuvres particulières

pp. 154 - 195.

I) La tentation de Saint Antoine pp. 154 -160.

II) Madame Bovary pp. 160 - 169.

III) Salammbô p. 169.

IV) L'Education sentimentale pp. 170 -174.

V) Bouvard et Pécuchet pp. 174 -184.

VI) Le Dictionnaire des Idées reçues pp. 184 -195.

Conclusion partielle p. 196.

DEUXIEME PARTIE pp. 197 - 277.

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De Charybde en Scylla

Chapitre premier : La nouvelle critique ou l'œuvre comme donnée fondamentale pp. 199 - 240.

I) Les doctrines mystico-esthétiques pp. 200 -223.

A) Georges POULET pp. 200 -208.

B) Jean-Pierre RICHARD pp. 208 - 212.

C) Jean ROUSSET pp. 213 - 220.

D) Maurice BLANCHOT pp. 220 - 223.

II) La critique d'inspiration scientifique pp. 223 -237.

A) Roland BARTHES pp. 223 -226.

B) Jean-Paul SARTRE pp. 226 -237.

III) La poétique : Gérard GENETTE pp. 237 -239.

Conclusion partielle pp. 239-240

Chapitre deuxième : Survivances du "passé" et renouvellements de la "critique érudite" pp. 241 -277.

I) Survivances de la tradition pp. 241 - 253.

A) Les grandes synthèses

II) Les éditions complètes pp. 254 - 255.

III) La Correspondance pp. 255 - 257.

IV) Etudes d'œuvres particulières pp. 257 - 273.

A) La Tentation de Saint Antoine pp. 257 - 258.

B) L'Education sentimentale p. 259.

1 - Les études d'ensemble

(21)

2 - Les études particulières 3 - Les sources historiques

4 - Genèse et étapes de la création 5 - Structures et significations

6 - Technique descriptive ou narrative C) Les trois contes p. 269.

V) L'établissement des textes, les appareils critiques

pp. 271-273.

VI) La monographie d'écrivain p. 273.

VII) Les inédits p. 274.

VIII) Les idées et la pensée p. 275.

IX) Les problèmes du roman pp. 275-276.

X) Les inclassables p. 276-277.

TROISIEME PARTIE pp. 278 - 339.

FLAUBERT et la critique des années 1970

Chapitre premier : "Le premier des modernes"

pp. 280-312.

I) La métamorphose chimique et merveilleuse du réel pp. 283-290.

II) Le littérateur/poète pp. 291- 294.

III) Rapport avec les personnages et impersonnalité pp. 295-302.

IV) Un certain "comportement romanesque" pp. 303 - 312.

(22)

A) Discontinuité du récit comme mode de production du sens pp. 303 -309.

B) Rupture dans l'histoire de la

représentation pp. 309-312

Chapitre deuxième : "La flaubertôlatrie" pp. 313-335.

I) Les rapports avec l'Université pp. 313-324.

1) Technique descriptive ou narrative 2) Rhétorique flaubertienne

3) Thématique

4) Structures et significations 5) Expression et langage 6) Réalité et fiction 7) Edition critique

8) FLAUBERT et quelques autres II) Rapport avec les romanciers p. 324.

III) Génétique /poétique et socio-critique p. 325-330.

1) Raymonde DEBRAY-GENETTE ou "le domaine double"

2) La socio-critique

IV) Les numéros spéciaux de revues pp. 330 - 335.

1) La revue "Europe" 1969

2) Le colloque sur Madame Bovary 3) La revue Littérature

4) Le colloque FLAUBERT de Cerisy Conclusion partielle pp. 335-339.

CONCLUSION GENERALE pp. 340 - 356.

(23)

Annexe : FLAUBERT et la filmographie pp. 357-362.

Index des Œuvres de FLAUBERT pp. 363 - 365.

Index des Noms propres pp. 366 - 388.

BIBLIOGRAPHIE pp. 390 - 425.

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