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Oedipe aveugle: à propos de Terence Cave "Recognitions"...

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Oedipe aveugle: à propos de Terence Cave "Recognitions"...

JEANNERET, Michel

JEANNERET, Michel. Oedipe aveugle: à propos de Terence Cave "Recognitions".. Littérature , 1990, vol. 77, p. 117-124

Available at:

http://archive-ouverte.unige.ch/unige:74814

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A PROPOS DE TERENCE CAVE,

« RECOGNITIONS~.

OXFORD UP --,.1' 1.919

1-;:;;~.-

Michel Jcanr.eret, UniuerJité de Genève

ŒDIPE AVEUGLE

Une corne d'abondance, mais pleine de vide, un corps hypertrophié qui menace de se désintégrer : ces métaphores du texte hantent, depuis une dizaine d'années, les études seiziémistes. Elles sortent du livre de Terence Cave, The Cornucopian Text 1, qui allait changer radicalement notre perception de Rabelais, Ronsard et Montaigne. Dans la copia qui gonfle leur discours, dans la fragmentation des formes et le constant retour de l'écriture sur soi, Cave discernait les symptômes d'une crise du langage. A travers leurs œuvres décentrées et débordées, les hommes de la Renaissance, disait-il, exhibent le dysfonctionnement des signes. S'ils en disent rrop, c'est que, frappés par la malédiction de Babel, ils demeurent toujours en deçà d'une plénitude qui leur échappe, condamnés à une poursuite du sens qui n'a pas de fin. La thèse était d'autant plus forte que, si elle trouvait des impulsions chez Derrida et dans les principes de la déconstruction qui, alors, se mettait en place aux États-Unis, elle découvrait, dans la poétique de la Renaissance, les fondements théoriques de cette pratique sauvage. Sur l'humanisme et sa vision du monde réputée optimiste, maintes idées reçues allaient sauter.

Un vent de tempête balaie, depuis lors, le territoire jadis protégé des seiziémistes.

Voici maintenant, sorti en 1988"' Recognitions 2, qui mène l'enquête à une plus grande échell< sur la littérature, sur les pièges et les sophismes de la fiction,' pose des questions encore plus inconfortables. Le livre, pourtant, s'entoure àe toutes les sauvegardes du savoir canonique : la première partie recense les étapes marquantes et les glissements significatifs de la poétique de la reconnaissance, d'Aristote à Freud et Roland Barthes, en passant par les théoriciens néo-classiques ; la seconde traverse elle aussi vingt~d.nq siècles - et plUsieurs barrières linguistiques - pour dégager, d'après quelques œuvres-témoins, les ressources littéraires de la scène de

1. Thr. c~mJtcopùJr. Tcxt. ProbirmJ tif Writing in J/Jc Frcnth Rmaimma, Oxford Univc:nity Press, 1979.

2. RmgnùionJ. A Stm!y in Padies, Oxford, O:.rendoo Prc~s, 1988:

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reconnaissance, des archétypes grecs - Œdipe et Ulysse - jusqu'à la dissémination du modèle, avec Shakespeare, chez les dramaturges français du XVII' siècle, puis dans Gœthe, Balzac, Dickens, James, Conrad et quelques autres. Se décou- vre alors, par-dessous les variantes, la consistance d'un paradigme qui, comme un enjeu de la théorie et comme un ferment de la fiction, habite la culture occidentale. Il valait bien la peine d'une monographie- la première sur le sujet.

Mais Cave fait plus: c'est la chose littéraire et son inquiétante étrangeté qu'il interroge, ni plus ni moins.

LES SCANDALES La reconnaissance, selon Aristote, est un « passage de 1 'ignorance à la connais- sance >> 3C'est aussi, après les troubles et les incertitudes de l'intrigue, le dénouement idéal, au théâtre comme dans le roman. Un étranger révèle son identité (Ulysse), un person- nage supposé connu découvre son origine réelle (Œdipe) : l'effet dramatique crée la surprise, il suscite l'émotion, tandis que, simultanément, le dévoilement apaise une tension et ramène l'ordre. Une famille écartelée retrouve son unité et dans la cité, la stabilité sociale, l'équilibre politique son;

r~staurés. Comme dans le roman policier, le plaisir de la fin nent à l'élucidation de l'erreur - acquisition d'un savoir nouveau qui à la fois sauve la morale et récompense l'intelli- gence. Tout se passe comme si la scène de reconnaissance permettait à la collectivité d'évaluer son aptitude à surmonter les menaces de désordre.

En réalité, l'événement libère davantage de démons qu'il n'en apaise. Tirésias prédit à Œdipe: «Avant ce soir, tu recevras le jour et le perdras. >> 4 Si la découverte du secret lève la malédiction qui pèse sur Thèbes, elle révèle aussi des horreurs. Confronté à la vérité de sa naissance le héros se crève les yeux, tout comme Stéphanie, dans Adieu de Balzac, meurt de retrouver la conscience d'un passé abominable. Il apparaît alors que la reconnaissance, bien loin de travailler pour le plaisir et pour la raison, fonctionne comme l'agent pervers de deux scandales. Regarder en arrière, c'est risquer d'abord de faire surgir des infamies et d'avoir à dire ce qui aurait dû rester tu : l'inceste, le meurtre, l'adultère ... Mais la reconnaissance ne viole pas seulement la morale et les bien- séances ; elle ébranle aussi la possibilité même du vrai. Malgré les édifiantes définitions de la théorie, elle engendre, en effet,

3. Poiliq:r~,H52a 29.

4 Sophocle:, Ordipt Ro1~ v. 438.

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Réflcxiow critiques

plus de doutes que de certitudes. Comment Pénélope serait- elle absolument sûre que l'homme avec qui elle couche est bien Ulysse? Comment distinguer, chez ce grand fabulateur, la part de la ruse et celle de la vérité? Les preuves comportent souvent un résidu opaque. Sur le livre de Cave plane le spectre de Martin Guerre - l'histoire d'une identification à jamais douteuse, un cas authentique, pourtant, mais plus inquiétant que la plus trouble des fictions 5. Des deux suspects qui reviennent au village et prétendent retrouver leurs droits, lequel est l'imposteur? Pour ramener l'ordre, le juge envoie l'un d'eux à la potence. Mais s'il a pu trancher, c'est en alléguant la force de la loi ; l'opacité des êtres demeure totale.

La scène de reconnaissance devait dissiper le doute ? Elle ne fait qu'accuser les puissances de la feinte et la précarité du vrai. Le Colonel Chabert offre une variation sur le même thème : si le soldat de Napoléon ne peut se faire authentifier, c'est qu'un monde emporté par des mutations politiques et économiques ne garantit pas la persistance d'une identité fixe;

la société se défend en refusant de reconnaître le héros ; elle l'envoie à Charenton.

La théorie pensait trouver dans les textes un dispositif au service de l'ordre et de la clarté. Mais la littérature se l'approprie pour faire la part du sang et celle de l'ombre.

L'aveuglement d'Œdipe s'inscrit dans la logique même de la reconnaissance - une logique paradoxale et inquiétante.

D'ARISTOTE À FREUD En dépit de quelques grands exemples, Foucault en tête, les vastes balayages historiques, aujourd'hui, sont rares. La théorie, les effets secondaires du structuralisme, les cloisons universitaires ont fait de nous des myopes. Encore qu'imbibé de post-modernisme, Cave rejoint la tradition des grands Romanistes allemands ; les mutations qu'il observe, dans le devenir de la reconnaissance littéraire, ouvrent une de ces perspectives plongeantes qui sont le fondement même de l'histoire des idées.

Des Grecs aux néo-classiques, la scène de reconnaissance est traitée comme un événement spectaculaire, le coup de théâtre qui renverse le cours de l'action. Le dispositif est résolument externe : on reconstitue un état-civil, on restaure les liens du sexe ou du sang, une famille recompose ses bribes.

Les moyens de l'identification sont eux-mêmes des signes

5. Voir Natalie Zemon Davis, Lt R(tour dt A!artin Gutrn, trad. fr., Paris, Laffont, 1982.

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matériels : une cicatrice, une bague, une lettre, tout un attiraü d'indices policiers créent la sensation. La qualité du procédé se mesure alors à son effet dramatique ou romanesque. Le théâtre et le récit baroques exploitent largement ce potentiel : on ne compte plus les jumeaux réunis. les :f1lles enlevées, travesties, puis retrouvées. L'opéra et, de tout temps, la littérature de grande consommation tirent sur les mêmes ficelles. La reconnaissance produit la merveille et le public éprouve à la fois de l'émotion et de l'enthousiasme, comme partagé entre le pathétique de Yaventure et Yadmiration que lui inspire l'ingéniosité du montage.

Depuis Aristote, les poéticiens, de leur côté, relayés par les structuralistes, ont traité la scène de reconnaissance comme l'un des ressorts ordinaires de l'action, au même titre que la péripétie. Ils ne s'embarrassent pas d'interprétation. Ils s'in- téressent à la conduite de l'histoire, ils mesurent des enchaî- nements et des effets, si bien qu'à les en croire, la reconnais- sance serait douée d'un statut essentiellement fonctionnel

donc, ici encore, externe. '

Mais Cave, habilement, révèle l'envers du tableau. Autant qu'une manifestation publique et une action dramatique, la reconnaissance postule une crise intime et comporte un travail d'introspection. D'entrée de jeu, Œdipe Roi prouve que la dimension psychique est constitutive. IVIais elle s'affirmera, se creusera progressivement et Recognitions montre comment l'enquête, peu à peu, se déplace de la connaissance de l'autre à celle de soi, de la primauté de l'action à celle du caractère.

Ce processus d'intériorisation culminera bien sûr avec Freud, qui rend d'ailleurs à Œdipe la vedette qu'il avait perdue depuis Aristote. L'anagnorisis devient alors figure de

r

ana!Jse' le moteur du drame se transforme en drame de l'inconscient et la fonction structurelle le cède à l'activité interprétative. Restent, en commun, l'opération de remontée vers un passé occulté et les énergies réprimées qu'elle libère.

Relus à la lumière de Freud, les scénarios classiques de la reconnaissance acquièrent une profondeur nouvelle : ils ne faisaient peut-être que mimer, sans le savoir, la découverte des désirs refoulés. La tendance se précise dès le XVIIe siècle. La vogue du spiritualisme augustinien, dans le milieu janséniste, en serait un jalon : le pénitent obnubilé par le monde ou par la passion apprend à faire retour sur soi, afin de déceler, par delà les poses et les dérobades, sa propre vérité. Racine et les moralistes classiques explorent les multiples voies de cette anamnèse de l'esprit en quête de son secret personnel ;

R1jlcxior/J rritiqrrN

l'intrigue s'intériorise, la fable devient le roman de l'âme à la recherche de soi. Les Romantiques, surtout les Allemands, franchiront un palier de plus ; de Hegel à Nietzsche, ils rejettent les effets faciles de la reconnaissance aristotélicienne pour la transfê.rer dans un registre purement intérieur. Ils assignent à la tragédie, dont le héros solitaire est livré à la reconnaissance vertigineuse de son moi éclaté, une tournure réflexive. Viennent Proust, Henry James, le roman contem- porain, et le modèle antique, entièrement déplacé, sera absorbé dans un prügramme qui est celui àe la modernjté : la littérature comme analyse et l'analyse comme littérature.

LES RUSES DE LA FICTION Avec une première partie sur les transformations du paradigme dans la théorie et une seconde sur les scénarios de la reconnaissance dans la fiction, Terence Cave semble vouloir épuiser le sujet ct se ranger à de banales exigences académi- ques. L'opération est plus retorse. D'un domaine à l'autre, il traque les ffialentendus, les contradictions. A tout moment, il surprend la théorie qui cherche à cont!ôler la pratique, mais se trouve, en fait, débordée.

A travers son histoire, la poétique entretient une double complicité. Comme produit de la philosophie, clJe forge des instruments qui permettent d'expliquer ct de rationaliser la fable ; ce qui défie ses catégories, elle tente de l'exorciser en l'assimilant. Mais l'effort de description et de classement ne tarde pas à s'imposer comme norme, entraînant la poétique dans le champ de la morale et lui assignant la tâche de veiller au respect de lois qui confondent volontiers le beau ct le bien.

Cet impérialisme de la poétique classique, le traitement qu'elle réserve à la scène de reconnaissance ie met à jour.

Un lien de parenté providentiel qui tombe à point pour dénouer l'intrigue, c'est un lapin magique commode, un peu trop facile pour convenir aux graves théoriciens du XVI(

siècle. La reconnaissance choque le bon sens, elle contourne la règle du vraisemblable et, pire, elle injecte dans l'histoire des affaires scabreuses qui transgressent les principes de la bien- séance. Aussi longtemps qu'ils défendent la cause de la raison ou de la décence, les continuateurs d'Aristote ne pourrOnt donc que s'en méfier; ils en parlent d'ailleurs de moins en moins, ou invitent les auteurs à en camoufler les extravagan- ces.

Lorsgu'il écr.it leçon. Il est un

son Œdipe, Corneille se des rares, en France,

souvient de leur à oser affronter

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l'archétype du héros scandaleux, mais avec quels détours, quelle sourdine ! Pour atténuer la violence primitive du mythe, il trouve dans le goût de son temps plusieurs straté- gies : il dilue le monstrueux dans le romanesque, prête au personnage maudit des vertus héroïques ... Il subit, à l'éviden- ce, la fascination du scénario original, mais l'entoure d'ellipses et de litotes qui le rendent acceptable aux bien-pensants. La désaffection du paradigme grec aboutira finalement à la censure d'un Diderot ou d'un Lessing qui, au nom de la nature et de la vérité des caractères, au nom de la sensibilité et du pathos, bannissent les coups de théâtre. On pourrait croire que la vraisemblance et la morale ont dressé des barrières si efficaces que les dérapages inhérents à la scène de reconnais- sance ont été finalement maîtrisés.

Mais la fiction est plus rusée que cela. Quoique serrée de près par la théorie, comme à J'.âge classique, elle est toujours en avant, toujours excessive et singulière, irréductible à la norme, rebelle au système. La confrontation des deux types de discours trahit l'impuissance de la poétique à rendre compte et, à plus forte raison, à assurer le contrôle, des forces au travail dans les œuvres. Cave montre que la reconnaissance est l'un des moteurs privilégiés de cet affranchissement; avec son arsenal de sang et de désirs inavouables, avec ses accessoires et ses trucs douteux, elle subvertit les codes. Elle est une synecdoque de la machine littéraire, mais, en tant qu'elle en illustre l'irrépressible liberté, elle lui sert aussi de métaphore;

suspecte, vulgaire, controuvée, et pourtant, dans son étran- geté même, la quintessence de la fiction.

Du coup, la littérature, libérant le refoulé, procède à sa propre reconnaissance. Tandis que prolifèrent les commentai- res d'Aristote, un Shakespeare, un Corneille, un dramaturge baroque comme Rotrou construisent de folles intriaues sur les

. ~

1mpostures, les crises familiales et les paralogismes du scéna- rio. Chassés par la porte, les fantasmes de meurtre et d'inceste rentrent par la fenêtre. Comme l'a montré Peter Brooks dans un livre auquel Cave doit beaucoup 6, le mélodrame roman- tique lèvera toute inhibition pour produire du plaisir à partir des mêmes constructions spécieuses et des mêmes effets spectaculaires.

La grande cérémonie racinienne est habitée, elle aussi, par les vestiges du prototype œdipien. Dès La Thébaïde qui, avec

. 6. J"_l)( lv!rlodramalic Imagination; Balzac, Hmry jatJJU, Mt!odrama and tbe Mode of Exuss, Y:de UmversJty Press, 1976. Du même :tuteur, YOir aussi Rradingfor 1/;t PIM, New York, Knopf, 1984.

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Reflexions critiqHts

l

l'épouse et les fils de l'inceste, évoque l'horreur au second degré, le scandale sera diffracté, déplacé, mais n'en exercera pas moins son pouvoir. Les traces affleurent un peu partout;

dans Bajazet, à travers l'effroi de désirs obscurs et de trou~les

rebondissements; dans Iphigénie, avec l'identification d'Eri- phile; dans Phèdre, avec la transgression suprême et le passage constant de l'ignorance à la connaissance . . 4thalie, enfin, actualise toute la force du paradigme - l e cortège des visions de cauchemar et des fantasmes sexuels, mais surtout les ressources structurelles du dispositif, avec l'intrigue qui culmine dans la grande scène de reconnaissance montée par Joad. Le paradoxe est à son comble : pour manifester sa Vérité, Dieu, grand manipulateur ou habile psychanalyste, met en scène un spectacle sensationnel. Les Jansénistes s'y retrouvaient : dans le monde de la Chute, la Révélation elle-même doit se faire connaître par des coups de théâtre !

C'est ici que la littérature prend sa revanche. Lorsque la vérité ne se laisse pas réduire à l'évidence des théorèmes, elle s'exprime de biais, à travers des constructions imaginaires, par la médiation de scénarios symboliques. Aux côtés du mythe et du merveilleux, la reconnaissance opère dans les territoires désertés par le savoir rationnel. Philosophes et moralistes ont d'excellentes raisons de s'en méfier: elle donne à voir le non-dit du discours institué, elle exploite la formidable puissance des fantasmes et, par les moyens de l'art, leur prête une sorte de légitimité. Du kitsch? Peut-être, mais qui ne voit qu'il y a du vrai dans le faux et, dans tout ce Grand-Guignol, rien· moins que l'objet obscur du désir?

FICTIONS ÉPISTÉMOLOGIQUES Si la reconnaissance littéraire contribue au dévoiement des moyens orthodoxes de la connaissance, elle n'en désigne pas moins la dimension épistémologique des œuvres oû elle s'inscrit. Cave rappelle que le déchiffrement des indices et le geste d'identification sont peut-être l'une des premières opérations intellectuelles de l'homme- et l'un des lieux où se croisent anthropologie et fiction. Il rejoint l'hy- pothèse de Carlo Ginzburg 7, qui situe les origines possibles de la connaissance dans deux activités remontant à la nuit des temps : la chasse, la recherche des traces et le déchiffrement des empreintes de l'animal, et la divination, autre tentative de repérer des signes et d'en extraire un savoir. Par analepses ou

7. Voir« Tr:~oçes », d:~ns Af.yha, Emblima, Tram. i\Jnrphologir rf histoire, trad. fr., Paris,

Flamm~rion, 1989.

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prolepses, par induction OLJ intuition, il s'agit toujours de mener le travail du limier qui reconstitue une piste ou rétablit la logique d'un système. La reconnaissance littéraire, avec ses énigmes et ses découvertes, ne fait peut-etre que mimer l'acte élémentaire de l'homme qui, pour se nourrir, pour se proté- ger, pour ordonner la vie du groupe, tente de repérer un sens et un ordre dans la confUsion du monde ambiant.

Les fictions épistémologiques peuvent se lire à deux degrés. Elles sont d'abord l'histoire d'une enquête, selon un modèle qui serait celui du roman policier. Un héros perspicace réunit des indices, démonte des feintes, perce des secrets ct, par reffort de l'esprit, renoue les fils d'une cohésion perdue.

Qu'il s'applique à reconnaître autrui ou se cherche soi-même, que la découverte balaie le doute ou laisse planer des hésitations, une même topique s'organise autour de la ques- tion du signe. Comment distinguer les données pertinentes, disqualifier les contrefaçons et démasquer les impostures?

Comment interpréter?

J

usgu'à quel point les hypothèses peuvent-elles être vérifiées? Une théorie ou une pratique des signes fonctionne comme moteur de maintes fictions, et Cave en esquisse ici la typologie.

Ces mêmes histoires se prêtent aussi, bien sûr, à une approche réflexive: elles thématisent l'activité du lecteur et déploient, aux yeux de l'interprète~ les difficultés de l'inter- prétation. Cave rappelle l'association étymologique, en grec, de anag11orùis (reconnaissance) et anagnostès (lecteur). Ce qui se donne à reconnaître, c'est aussi, à travers ses équivoques et ses déguisements, l'hypothétique vérité de l'œuvre; le détective dans l'histoire est aussi le détective de l'histoire, exposé aux mêmes résistances ct aux mêmes erreurs. Déchiffrant le déchiffreur, je me déchiffre moi-même. Lisant le livre, je me lis comme lecteur. Recognitions se déplace à travers tous les niveaux de cette stratification vertigineuse et pose finalement, dans une perspectî\~e nouvelle, la question même de la lecture.

On ne croise pas souvent, dans le champ de la théorie et de la cridque littéraires, des livres d'une telle envergure. Le sujet est vieux comme le monde, mais on en mesure pour la première fois la portée. Il exige une érudition considérable, mais inspire aussi une réflexion fondamentale sur la chose littéraire et sur l'interprétation. S'il était plus facilement accessible, Recognitions jrriguerait tout un secteur de la recher- che et, sur le rapport de la littérature aux sciences humaü1es, apporterait des perspectives novatrices. Une traduction serait logigue.

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