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Reference
Trouble vestibulaire chez l'enfant sourd : quelle influence sur le langage écrit ?
GROS, Stéphanie
Abstract
Le but de notre étude est d'analyser l'impact de l'atteinte vestibulaire sur le développement du langage écrit chez l'enfant sourd implanté. Étant donné que la moitié des enfants sourds souffrent d'un trouble vestibulaire, il est important de déterminer si ce facteur entrave leur développement. Certaines répercussions du déficit vestibulaire chez l'enfant sourd ont déjà été démontrées telles qu'un retard du développement psychomoteur ainsi qu'un retard du développement du langage oral. Cependant, aucune étude n'a examiné son effet sur les performances en langage écrit. Afin d'investiguer la question, 27 enfants sourds profonds implantés entre 6 et 13 ans ont été évalués sur des épreuves standardisées de langage oral, de prédicteurs du langage écrit et de langage écrit...
GROS, Stéphanie. Trouble vestibulaire chez l'enfant sourd : quelle influence sur le langage écrit ?. Master : Univ. Genève, 2016
Available at:
http://archive-ouverte.unige.ch/unige:88811
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MAITRISE UNIVERSITAIRE EN LOGOPEDIE
Section de Psychologie
TROUBLE VESTIBULAIRE CHEZ L’ENFANT SOURD
Quelle influence sur le langage écrit ?
Mémoire réalisé par Stéphanie Gros
Septembre 2016
Rédigé sous la direction du Docteur Hélène Cao Van et du Docteur Hélène Delage
Jury : Docteur Hélène Cao Van, Docteur Hélène Delage et Professeur Pascal Zesiger
Remerciements
Je souhaiterais remercier le Docteur Hélène Delage, le Docteur Hélène Cao Van et Marielle Deriaz pour leur encadrement, leur investissement, leurs nombreux conseils et leur soutien lors de la réalisation de ce mémoire.
Je remercie également la fondation Auris qui a financé ce projet. Un grand merci au Centre Romand d’Implants Cochléaires ainsi qu’au Centre Parler et Comprendre de Bruxelles qui ont rendu possible cette recherche.
Un immense merci à tous les enfants pour leur participation et à leurs parents pour leur disponibilité.
Enfin, je remercie particulièrement ma collègue de mémoire Matilde Legrand pour son travail acharné et de grande qualité ainsi que pour son soutien infaillible pendant ces deux années.
Résumé
Le but de notre étude est d’analyser l’impact de l’atteinte vestibulaire sur le développement du langage écrit chez l’enfant sourd implanté. Étant donné que la moitié des enfants sourds souffrent d’un trouble vestibulaire, il est important de déterminer si ce facteur entrave leur développement. Certaines répercussions du déficit vestibulaire chez l’enfant sourd ont déjà été démontrées telles qu’un retard du développement psychomoteur ainsi qu’un retard du développement du langage oral. Cependant, aucune étude n’a examiné son effet sur les performances en langage écrit. Afin d’investiguer la question, 27 enfants sourds profonds implantés entre 6 et 13 ans ont été évalués sur des épreuves standardisées de langage oral, de prédicteurs du langage écrit et de langage écrit. Ensuite, quatre groupes de sujets ont été formés en fonction de la sévérité de leur atteinte vestibulaire. Selon les résultats, les performances des groupes sans trouble (N=8), avec atteinte partielle (N=14) et avec atteinte unilatérale (N=4) ne diffèrent pas de manière significative. Souffrir d’une atteinte partielle ou unilatérale du vestibule ne représenterait donc pas un risque supplémentaire pour le développement du langage. Dans notre échantillon, un seul sujet s’est avéré présenter une atteinte totale (bilatérale) du vestibule. Dans son cas, le trouble vestibulaire semble entraver le développement de son langage écrit. Cependant, ses résultats ne peuvent pas être généralisés à l’ensemble des enfants atteints de déficience vestibulaire bilatérale. Dans un deuxième temps, les effets de facteurs pronostiques (environnementaux, auditifs, intrinsèques, et langagiers) des performances en langage écrit ont été évalués. Les facteurs langagiers, à savoir le langage oral et les prédicteurs du langage écrit sont les seuls facteurs corrélés aux performances de lecture des enfants sourds. Les résultats de la présente étude ne répliquent donc pas ceux de la littérature, puisque le milieu linguistique, le type de scolarité, l’âge d’implantation, l’âge chronologique et l’implantation uni-‐ vs bilatérale n’ont pas d’effets significatifs sur les résultats en langage écrit. Les informations recueillies lors de cette étude permettront une prise en charge des patients atteints de trouble vestibulaire plus adaptée et efficace.
Table des matières
Liste des abréviations ... 7
Synonymes ... 7
Introduction ... 8
1. Cadre théorique ... 9
1.1 Implant cochléaire ... 9
1.1.1 Indication chez l’enfant sourd ... 9
1.1.2 Prévalence ... 9
1.1.3 Définition et fonctionnement ... 9
1.1.4 Bénéfices de l’implant ... 11
1.1.5 Hétérogénéité dans les performances ... 12
1.1.6 Facteurs pronostiques des performances en langage ... 13
1.2 Système vestibulaire ... 18
1.2.1 Définition et anatomie ... 18
1.2.2 Fonctionnement et rôles de l’appareil vestibulaire ... 19
1.3 Atteinte vestibulaire ... 20
1.3.1 Prévalence ... 20
1.3.2 Types d’atteintes ... 20
1.3.3 Conséquences générales du trouble vestibulaire chez l’enfant sourd ... 22
1.3.4 Conséquences sur le langage chez l’enfant sourd implanté ... 23
1.4 Problématique et hypothèses exploratoires ... 27
1.5 Apports de l’étude ... 29
2. Méthode ... 30
2.1 Population ... 30
2.2 Evaluations ... 31
2.2.1 Tests vestibulaires ... 31
2.2.2 Tests logopédiques ... 34
2.3 Déroulement de la passation ... 39
2.4 Plan expérimental pour l’hypothèse A (HA) ... 39
2.4.1 Variable indépendante ... 39
2.4.2 Variables dépendantes ... 40
2.4.3 Variables contrôlées ... 40
2.5 Plan expérimental pour l’hypothèse B (HB) ... 41
2.5.1 Variables indépendantes ... 41
2.5.2 Variable dépendante ... 42
2.6 Hypothèses opérationnelles et prédictions ... 42
2.6.1 Hypothèse A (HA) ... 42
2.6.2 Hypothèse B (HB) ... 44
3. Résultats ... 46
3.1. Traitement des données et analyses préalables ... 46
3.2 Hypothèse HA1 (FV normale -‐ FV absente) ... 48
3.3 Hypothèse HA2 ... 50
3.4 Hypothèse HA3 (FV normale/partielle > FV unilatérale/ absente) ... 52
3.5 Analyse qualitative : Etude de cas P.F. ... 53
3.5.1 Profil de P.F. : sujet aréflexique bilatéral ... 53
3.5.2 P.F. en comparaison aux autres groupes ... 54
3.5.3 Comparaison de P.F. à deux autres sujets (M.A. et L.R.) ... 55
3.6 Hypothèse HB1 (Facteurs pronostiques du langage écrit) ... 56
4. Discussion ... 58
4.1 Tableau récapitulatif des résultats ... 59
4.2 Hypothèse A (HA) ... 60
4.2.1 Influence du trouble vestibulaire sur le langage ... 60
4.2.2 Influence du trouble vestibulaire selon le degré d’atteinte ... 61
4.2.3 Conclusion pour HA ... 63
4.2.4 Implications cliniques HA ... 63
4.3 Hypothèse B (HB) ... 66
4.3.1 Facteurs auditifs ... 67
4.3.2 Facteurs environnementaux ... 68
4.3.3 Facteurs intrinsèques à l’enfant ... 69
4.3.4 Facteurs langagiers ... 70
4.3.5 Conclusions pour HB ... 71
4.4 Synthèse des résultats ... 71
4.5 Limites et perspectives futures ... 72
4.5.1 Un sujet unique aréflexique bilatéral ... 72
4.5.2 Les choix des épreuves ... 73
4.5.3 Perspectives futures ... 74
4.6 Conclusion générale ... 75
Bibliographie ... 76
Annexes ... 82
Annexe I : Protocole de passation ... 82
Annexe II : Fiche clinique ... 101
Annexe III : Analyses statistiques ... 102
Liste des abréviations
DRA : Dénomination rapide Automatisée ET : Ecart-‐type
Fe : Féminin
FV : Fonction vestibulaire HE : Hypothèse exploratoire HO : Hypothèse opérationnelle IC : Implant cochléaire
M : Moyenne Ma : Masculin
N : Nombre d’enfants VD : Variable dépendante VI : Variable indépendante
Synonymes
Fonction vestibulaire intacte = Sans atteinte vestibulaire
Fonction vestibulaire partielle = Atteinte vestibulaire partielle
Fonction vestibulaire unilatérale = Atteinte vestibulaire unilatérale = Aréflexie unilatérale
Fonction vestibulaire absente = Atteinte totale/complète = Atteinte bilatérale = Aréflexie bilatérale
Introduction
L’implant cochléaire est une prothèse électro-‐acoustique visant à restituer la fonction auditive de patients sourds profonds. Il est aujourd’hui admis et reconnu que ce dispositif permet une importante progression au niveau du langage oral (Niparko & al., 2010 ; Svirsky & al., 2000) et écrit (Johnson & Goswami, 2010 ; Thoutenhood, 2004) chez les enfants sourds. Néanmoins, différents auteurs ont constaté que les enfants portant un implant cochléaire ne suivaient pas tous un développement langagier similaire, mais que d’importantes différences interindividuelles apparaissaient malgré des implants identiques (Geers, 2003 ; Loundon & Busquet, 2009 ; Le Normand, 2009).
Plusieurs facteurs ont été identifiés comme influençant le niveau de langage des enfants implantés et donc pouvant expliquer en partie la variabilité des performances (Boons et al., 2012). Étant donné que la moitié des enfants sourds de naissance souffrent d’un trouble du vestibule, un intérêt particulier a récemment été porté sur ce déficit afin de déterminer son influence sur le développement langagier des enfants sourds. De Lamaze (2008) a démontré qu’un déficit de l’appareil vestibulaire entrave de manière significative le développement du langage oral. D’autres études mettent en évidence l’implication du vestibule dans diverses compétences nécessaires au développement du langage écrit (ex. construction de la spatialité, maintien de la posture et du regard) (Lecervoisier, 2010 ; Lasserre, 2009). Cependant, l’influence directe de l’atteinte vestibulaire sur le développement du langage écrit n’a encore jamais été investiguée.
Les résultats des études évaluant les fonctions de l’appareil vestibulaire ainsi que les observations cliniques des professionnels de la santé du Centre Romand d’Implants Cochléaires de Genève et du Centre Comprendre et Parler de Bruxelles suggèrent qu’une déficience vestibulaire pourrait interférer avec le développement du langage écrit des enfants sourds implantés. Notre étude a pour but d’explorer cette intuition clinique, permettant ainsi d’avancer dans la compréhension des différences interindividuelles de ces enfants. Pour ce faire, nous présenterons dans un premier temps les notions d’implant cochléaire et de système vestibulaire ainsi que les enjeux associés. Par la suite, nous détaillerons la méthodologie adoptée dans notre étude et énoncerons nos hypothèses expérimentales. Enfin, nous exposerons nos résultats que nous interprèterons en dernière partie afin de conclure sur nos hypothèses.
1. Cadre théorique
1.1 Implant cochléaire
1.1.1 Indication chez l’enfant sourd
L’implant cochléaire est préconisé pour les enfants présentant une surdité de perception bilatérale sévère à profonde1. Dans un premier temps, la remédiation proposée pour ce type de déficience est l’utilisation d’une prothèse auditive (Krahe, 2007 cité par Morel, 2013). Lorsque la prothèse ne permet pas de gain auditif suffisant pour le développement du langage oral, la pose d’implant cochléaire peut être envisagée (Camilleri, Chaix & Lorenzi, 2013). L’opération doit être largement discutée avec les familles afin de s’assurer qu’elle correspond à leur projet. L’implant permet à l’enfant sourd d’avoir accès aux fréquences conversationnelles (250 à 8000 Hz) à une période cruciale de son développement, encourageant ainsi l’émergence de la communication orale (Morel, 2013).
1.1.2 Prévalence
Les surdités sévères et profondes affectent environ deux nouveau-‐nés sur 1000 (Vohr, 1996). En Suisse romande, 200 patients sourds profonds sont actuellement répertoriés et suivis au Centre Romand d’Implants Cochléaires des Hôpitaux Universitaires de Genève (CURIC, 2015).
1.1.3 Définition et fonctionnement
L’implant cochléaire est un dispositif électro-‐acoustique ayant pour objectif la restauration de la fonction auditive et de la communication orale (Jeon & al, 2015). Les premières implantations ont été pratiquées sur des adultes et, depuis le début des années 90, les enfants peuvent également bénéficier de cette technologie (Deriaz, 2009). L’implant est formé de deux parties : interne et externe. La partie externe consiste en un processeur vocal composé d’un microphone (sous forme de contour d’oreille) et d’une antenne. La partie interne est placée chirurgicalement sous la peau,
1 La surdité de perception est causée par une dégradation ou un manque de cellules ciliées à l’intérieur de la cochlée (organe de l’oreille interne) et/ou par l’atteinte du nerf auditif. Une surdité sévère correspond à une perte auditive sur les fréquences conversationnelles de 70 à 90 dB et une surdité profonde correspond à une perte sur les fréquences conversationnelles supérieure à 90 dB.
derrière l’oreille. Elle est composée d’un récepteur prolongé d’un faisceau d’électrodes venant s’insérer dans la cochlée. La Figure 1 illustre les différentes étapes du fonctionnement de l’implant cochléaire.
Figure 1. Fonctionnement de l’implant cochléaire (image : © Cochlear Corp.).
1. Le microphone capte les sons de l’environnement ainsi que de la parole et les transmet au processeur vocal. Ensuite, le processeur convertit les signaux sonores en information électrique.
2. L’antenne transmet le code électrique à la partie implantée du dispositif au moyen d’ondes radio.
3. Le récepteur interne capte et décode les ondes, puis envoie des impulsions électriques au faisceau d’électrodes implanté dans la cochlée. Chaque électrode correspond à une bande de fréquence du signal sonore (aigu ou grave) ce qui va permettre la résolution spectrale.
4. Les électrodes placées dans la cochlée se substituent aux cellules ciliées et stimulent les fibres du nerf auditif. Les informations transitent ensuite par les voies auditives centrales jusqu’aux aires auditives du cerveau, qui interprètent les signaux comme des sons (Bouccara & al., 2005)
Afin que le procédé soit efficace, plusieurs conditions doivent être réunies.
Premièrement, la cochlée doit être existante et non ossifiée. Ensuite, le nerf auditif ainsi que les centres auditifs corticaux ne doivent pas être lésés (HAS, 2012).
1.1.4 Bénéfices de l’implant
Les opérations de réhabilitation de la surdité profonde ont permis une évolution considérable du développement langagier des enfants sourds. En effet, de multiples études ont permis de constater de conséquents bénéfices suite à l’implantation cochléaire.
Bénéfices pour le développement du langage oral
La progression des enfants sourds en langage oral suite à l’implantation cochléaire a été investiguée par Svirsky & al. (2000). Dans un premier temps, les habiletés de langage en anglais de 113 enfants sourds prélinguaux d’âges variés et portant des appareils auditifs (et non des implants cochléaires) ont été évaluées à l’aide de la section expressive du Reynell Developmental Language Scales2. Ensuite, 23 enfants sourds profonds au bénéfice d’implants cochléaires ont été testés quatre mois avant l’implantation puis cinq fois jusqu’à 2;5 ans après l’implantation. Leur développement langagier a été comparé à celui des enfants sans implants ainsi qu’aux normes d’enfants normo-‐entendants. Selon les résultats, le développement langagier des enfants implantés se fait pratiquement à la même vitesse que celui des normo-‐entendants et significativement plus rapidement que celui des sourds non implantés. Le gain est encore visible à 2;5 ans après l’implantation et empêche ainsi un accroissement du retard des enfants implantés par rapport aux normo-‐entendants. Les auteurs constatent donc des effets bénéfiques significatifs de l’implantation cochléaire sur le développement du langage oral.
Bénéfices pour le développement du langage écrit
L’implant cochléaire permet aux enfants de percevoir les fréquences relatives aux sons de la parole et donc de stimuler le développement des représentations phonologiques.
Les compétences phonologiques vont ensuite soutenir le développement du décodage et de la compréhension en lecture (Johnson & Goswami, 2010). Thoutenhood (2006) a réalisé une étude longitudinale de quatre ans sur 152 élèves sourds implantés de 8 à 14 ans et scolarisés en Écosse. La moyenne d’âge d’implantation de sa population est de trois ans et les enfants ont minimum quatre ans d’expérience auditive avec leur implant.
2 La section expressive du Reynell Developmental Language Scales est destinée aux enfants de 1 à 7 ans.
Elle évalue le niveau de langage expressif en anglais et comporte des épreuves de vocabulaire, de syntaxe et de contenu/utilisation du langage.
Lors de la passation de tests nationaux (incluant des épreuves de lecture, d’écriture et de mathématiques), les enfants implantés ont obtenu des scores se rapprochant davantage de ceux des enfants normo-‐entendants que de ceux des enfants sourds sans implant. Sur la deuxième mesure prise en compte (Standard Grade : moyenne des notes sur deux ans), les résultats des enfants implantés ne sont pas significativement différents de ceux des normo-‐entendants. Dans cette étude, 76% des enfants sourds implantés sont scolarisés dans le cursus ordinaire. Les enfants implantés parviennent donc à bénéficier des informations perceptives transmises par leur implant, soutenant ainsi le développement de leur langage écrit. En résumé, l’implant cochléaire permet une progression en perception, en production et en lecture des enfants sourds.
1.1.5 Hétérogénéité dans les performances
Malgré les bénéfices indéniables apportés par l’implantation cochléaire, une importante variabilité est fréquemment constatée dans les performances langagières des enfants sourds implantés. Par exemple, les résultats de Loundon et Busquet (2009) mettent en évidence une inconstance dans les performances en langage oral des enfants sourds profonds. Dans cette étude, 100 enfants implantés autour de trois ans sont évalués cinq ans après l’implantation sur des épreuves de compréhension et de production de langage oral. Selon les résultats, 55% des enfants performent dans la norme, 24,5% se situent entre -‐1 et -‐2 ET et 20,5% manifestent des difficultés linguistiques (-‐2 ET).
L’hétérogénéité des performances des enfants implantés s’observe également en langage écrit. En effet, l’étude de Geers (2003) évalue les résultats de 181 enfants de huit à neuf ans implantés en moyenne à 5;6 ans. Le protocole est composé d’épreuves d’habiletés en lecture et de conscience phonologique3. Bien que l’implantation soit associée à un bénéfice au niveau du langage écrit, l’auteur souligne l’hétérogénéité observée dans les résultats : 52% des enfants obtiennent des performances dans la moyenne compte tenu de leur âge alors que 48% des enfants se situent en dessous de la moyenne.
3 Les différentes épreuves administrées sont : une épreuve de lecture de pseudo-‐mots du Woodcock Reading Mastery Test ; Le Peabody Individual Achievement Test ; épreuve de lecture de mots ; compréhension en lecture ; tâche de décision lexicale ; tâche de rimes ; empan numérique.
Limites de l’implantation cochléaire
Ces résultats suggèrent que malgré l’évolution observée, l’utilisation de l’implant présente des limites, ne permettant pas à tous les enfants d’en bénéficier de façon optimale. En effet, malgré la progression généralement constatée suite à l’implantation, certains enfants sourds ne parviennent pas à rattraper leur retard. Ce constat est vérifié dans l’étude de Nittrouer (2012) qui évalue 52 enfants à la fin du jardin d’enfants. Cet échantillon est composé de 27 enfants implants, de 8 enfants appareillés bilatéralement et de 17 enfants normo-‐entendants. L’auteur compare les performances des trois groupes d’enfants à des tâches de conscience phonémique et syllabique, de lecture de mots, de compréhension en lecture et de langage oral. Dans tous les domaines, excepté en conscience syllabique, les enfants implantés obtiennent de moins bons scores que les enfants normo-‐entendants. Ces résultats confirment que suivant les domaines évalués, la technologie cochléaire n’est pas suffisante pour permettre aux enfants sourds de rattraper leur retard.
En résumé, une hétérogénéité est constatée dans les performances langagières des enfants implantés. Certains parviennent à rejoindre la norme, alors que d’autres conservent un retard plus ou moins important. Ce constat traduit les limites de l’implant cochléaire, qui n’est pas efficace de la même manière pour tous. Plusieurs auteurs ont évidemment tenté d’expliquer ces différences interindividuelles et ont donc évalué les effets de facteurs pouvant varier d’un enfant sourd à l’autre.
1.1.6 Facteurs pronostiques des performances en langage
Différents facteurs ont été identifiés comme pouvant expliquer les disparités observées dans les performances langagières des enfants sourds.
Facteurs auditifs
Premièrement, l’âge d’implantation est reconnu comme étant le facteur pronostique principal des performances langagières des enfants sourds implantés. Selon Boons et al.
(2012), l’âge d’implantation s’avère être un prédicteur significatif des performances en langage oral durant les trois années suivant l’implantation et il permet d’expliquer 40%
de la variance des performances langagières des enfants implantés. Dans leur étude, les auteurs ont évalué 288 enfants sourds prélinguaux implantés avant cinq ans. Les
performances des enfants en expression et en réception orales4 ont été mesurées à un an, deux ans et trois ans après l’implantation. Les résultats suggèrent que les enfants implantés avant deux ans performent de manière significativement meilleure que ceux implantés après deux ans. Concernant le langage écrit, Johnson et Goswami (2010) ont entre autres testé les performances en lecture de 43 enfants sourds implantés âgés de 5 à 15 ans. Les 21 enfants implantés avant trois ans ont montré de meilleurs scores aux épreuves de lecture que les 22 enfants implantés plus tardivement. Les résultats de ces études permettent de conclure que l’âge d’implantation est un facteur pronostique déterminant pour les performances langagières des enfants implantés.
Un second facteur auditif pouvant influencer les performances langagières des enfants implantés est le nombre d’implants porté par l’enfant. Selon l’étude de Boons et al.
(2012) détaillée précédemment, l’implantation bilatérale explique entre 5 et 11% de la variance des performances langagières des enfants implantés et elle est associée à de meilleurs résultats en langage oral comparativement aux implantations unilatérales.
Johnstone, Godar et Litovsky (2009) ont investigué l’effet de cette variable et pour cela, ils ont évalué 20 enfants sourds prélinguaux âgés de 4 à 14 ans et implantés entre deux et cinq ans. La moitié de l’échantillon est composée d’enfants portant deux implants cochléaires (G1) et l’autre moitié, d’enfants portant un implant et un appareil auditif (G2). La compréhension de mots dans le silence et dans le bruit5 ainsi que la capacité à localiser des sons ont été testées. Dans un premier temps, les deux groupes ont réalisé les épreuves avec un seul implant activé. Ensuite, ils ont repassé les tests avec leurs deux aides auditives activées (G1 : deux implants activés; G2 : un implant et un appareil auditif activés). Selon les résultats, le gain de performance entre la première et la deuxième passation était plus élevé pour le Groupe 1, portant deux implants cochléaires. L’implantation bilatérale permet une progression importante du niveau perceptif des enfants sourds comparativement aux enfants bénéficiant d’un seul implant et représente donc un avantage par rapport à l’implantation unilatérale.
4 Le protocole de Boons et al. (2012) inclut le Reynell Developmental Language Scales, le Schlichting Expressive Language Test (production de mots et de phrases) et un quotient langagier est calculé pour situer les enfants par rapport à la norme d’âge.
5 Evaluée à l’aide du test CRISP.
Facteurs environnementaux
Divers facteurs environnementaux ont été identifiés comme affectant les performances langagières des enfants sourds implantés tels que le milieu socio-‐économique (Boons &
al., 2012 ; Geers, 2003 ; Nittrouer, 2012), le nombre d’enfants dans la fratrie (Geers, 2003), l’implication des parents (Boons & al, 2012), le multilinguisme et le type de scolarité. Seuls les effets des deux derniers facteurs seront discutés, étant donné qu’ils seront pris en compte dans cette étude.
Premièrement, le multilinguisme a été identifié comme un facteur influençant les performances langagières des enfants implantés. Teschendorf et al. (2011) ont investigué l’influence de l’apprentissage d’une deuxième langue sur le développement de la langue maternelle (allemande) des enfants sourds suite à leur implantation.
L’échantillon de cette étude est composé de 52 enfants vivant dans des foyers bilingues et implantés en moyenne à 36;5 mois et de 41 enfants visant dans des foyers monolingues et implantés en moyenne à 39;6 mois. Les capacités langagières en perception et en production6 des enfants ont été évaluées tous les six mois après leur implantation, et ce jusqu’à trois ans post-‐implantation. Les enfants évoluant dans un milieu monolingue obtiennent des meilleurs scores aux différentes épreuves administrées comparativement aux bilingues, suggérant que le bilinguisme représente un désavantage pour le développement langagier de la langue maternelle chez les enfants implantés. Ces résultats sont confirmés par ceux de Boons et al. (2012) selon lesquels les 17% d’enfants multilingues composant leur échantillon7 obtiennent de moins bonnes performances en réception et en production orale après deux ans d’implantation comparativement aux monolingues. Le multilinguisme serait donc un facteur de risque pour le développement langagier des enfants implantés.
Deuxièmement, des informations sur le type de scolarité seront récoltées dans notre étude, car cette variable est également susceptible de corréler avec les performances langagières des enfants sourds implantés. Parmi les 288 enfants sourds prélinguaux implantés avant cinq ans composant la population de l’étude de Boons et al. (2012), 72
6 Epreuves administrées : reconnaissance de mots (Mainzer test) ; répétition et désignation de mots (Göttinger test) ; le Pollack score pour évaluer le vocabulaire et la grammaire ; le Schmid-‐Giovannini score qui évalue la perception et contient des épreuves de reconnaissance de sons, compréhension de langage oral et complétion de phrases.
7 288 enfants sourds prélinguaux implantés avant 5 ans.
% d’entre eux sont scolarisés en cursus spécialisé et 28% en cursus ordinaire à deux et trois ans post-‐implantation. Les enfants scolarisés en maternelle ordinaire obtiennent de meilleurs résultats en réception et production orales comparativement aux enfants suivant le cursus spécialisé, et ce jusqu’à cinq ans post-‐implant. L’étude de Geers, Nicholas et Sedey (2003) évalue 181 enfants sourds prélinguaux âgés de huit à neuf ans et implantés avant cinq ans et demi. Des tests de compréhension et de production orales8 sont administrés aux enfants. Les résultats mettent en évidence qu’à degré scolaire équivalent, les enfants ayant passé plus d’années en circuit ordinaire tendent à avoir de meilleures compétences langagières que les enfants ayant suivi moins longtemps la filière ordinaire. Le type de scolarité suivi par les enfants implantés pourrait donc être lié à leurs performances langagières. Cependant, le sens de cette relation n’est pas précisé. Il est en effet compliqué de savoir si le type de scolarité influence le développement langagier ou si le niveau langagier détermine le type de scolarité suivi par l’enfant.
Facteur intrinsèque à l’enfant
L’âge chronologique peut être un facteur qui corrèle avec les performances langagières des enfants sourds implantés. En effet, différentes études mettent en évidence que plus les enfants grandissent, plus l’écart de performance en lecture et écriture se creuse entre les enfants sourds implantés et les enfants entendants. C’est le cas dans l’étude Geers, Nicholas et Sedey (2003) qui évalue les performances de 181 enfants sourds prélinguaux âgés de huit à neuf ans et implantés avant cinq ans et demi à des épreuves de compréhension et de production orales. Cette étude met en évidence une corrélation négative entre l’âge chronologique et le niveau d’intelligibilité des enfants implantés, traduisant une augmentation de leur retard par rapport aux normo-‐
entendants. En résumé, en grandissant, les enfants implantés progressent moins rapidement que les normo-‐entendants et leur retard par rapport à ceux-‐ci augmente.
Facteurs langagiers
Différents prédicteurs des performances en langage écrit des enfants sourds implantés ont été identifiés dans la littérature. Premièrement, Johnson et Goswami
8 Test de compréhension : Test for Auditory Comprehension of Language-‐Revised
Test de production : Complétion de phrases et réponses à des questions ouvertes. Les réponses de l’enfant sont enregistrées, transcrites sur CHAT et analysées avec le logiciel CLAN
(2010) évaluent les performances de 43 enfants implantés (21 implantés avant deux ans et demi et 22 implantés avant cinq ans), 16 enfants sourds appareillés et 19 enfants normo-‐entendants sur de multiples tâches9. Selon les résultats, la conscience phonologique, les mémoires auditive et visuelle, l’intelligibilité, les capacités de lecture labiale et le développement du vocabulaire prédisent les performances en lecture des enfants implantés.Les auteurs constatent donc que les enfants implantés et les normo-‐entendants partagent des prédicteurs du niveau de lecture tels que la conscience phonologique et la mémoire auditive. Cependant, ces facteurs communs ne sont pas les seuls à prédire le niveau de lecture des enfants implantés. Ensuite, Nittrouer (2012) qui évalue 27 enfants implantés, huit enfants appareillés bilatéralement et 17 enfants normo-‐entendants, identifie la conscience syllabique comme un prédicteur important des performances en langage écrit des enfants implantés. Finalement, Spencer, Barker et Tomblin (2003) proposent des tâches de langage oral, de compréhension écrite et d’écriture à 32 enfants. La moitié de l’échantillon est composée d’enfants sourds prélinguaux âgés en moyenne de 9;8 ans et implantés entre 2;5 ans et 3;3 ans, et l’autre moitié se compose de 16 enfants normo-‐
entendants âgés en moyenne de 9;8 ans. Une corrélation positive est observée entre le niveau de langage oral et les performances en langage écrit pour la totalité des sujets.
Cette corrélation est cependant plus forte pour les enfants implantés que pour les normo-‐entendants, suggérant que le langage oral prédit davantage le développement en langage écrit des enfants implantés que celui des normo-‐entendants.
En résumé, il existe de multiples facteurs influençant les performances en langage des enfants implantés et pouvant donc expliquer en partie l’hétérogénéité de leurs compétences langagières. Un autre facteur non cité dans cette première partie a récemment suscité l’intérêt du monde scientifique de par ses implications multiples dans le développement de l’enfant sourd. Il s’agit du trouble vestibulaire. Les raisons des suppositions de son influence sur les performances langagières des enfants implantés seront développées dans la seconde partie de ce mémoire.
9 Des tâches de traitement phonologique, de lecture, de vocabulaire, de lecture labiale, d’intelligibilité, de discrimination auditive et de mémoire visuelle et auditive sont administrées aux sujets.
1.2 Système vestibulaire 1.2.1 Définition et anatomie
L’appareil vestibulaire est un organe sensoriel localisé dans le labyrinthe de l’oreille interne. Il est reconnu comme étant l’organe de l’équilibre et est composé de trois canaux semi-‐circulaires (canal horizontal, vertical antérieur et vertical postérieur) et de deux renflements en forme de sacs, l’utricule et le saccule. Toutes ces structures sont contenues dans des tunnels de l’os temporal, de chaque côté de la tête. (Widmaier, Raff
& Stang, 2009). L’anatomie du système vestibulaire est illustrée sur la Figure 2.
Figure 2. Anatomie du système vestibulaire (Widmaier, Raff, & Stang, 2009).
Les canaux semi-‐circulaires sont disposés dans les trois plans de l’espace, perpendiculairement les uns aux autres, et sont responsables de la perception du mouvement et de la rotation de la tête (accélération angulaire). La Figure 3 présente les rotations dans les trois plans de l’espace détectées par les canaux semi-‐circulaires.
1 2 3
Figure 3. Rotations détectées par les canaux semi-circulaires (1. Pencher la tête sur le côté ; 2.
Lever, baisser la tête ; 3. Tourner la tête à gauche, à droite) (Neuroreille, 2013).
Les organes otolitiques sont responsables de la perception de l’accélération linéaire verticale (saccule) et horizontale (utricule) ainsi que de la perception de la gravité. Les mouvements détectés par les organes otolitiques sont présentés dans la Figure 4.
Figure 4. Accélérations linéaires verticale (haut, bas) (A) et horizontale (avant, arrière) (B), détectées par les organes otolitiques. (Roi & Girard, 2013).
1.2.2 Fonctionnement et rôles de l’appareil vestibulaire
Les cellules ciliées du système vestibulaire sont stimulées par le mouvement de la tête et vont transmettre un signal électrique, via le nerf vestibulaire, au système nerveux central. Comme illustré sur la Figure 5, les noyaux vestibulaires ne reçoivent pas uniquement des afférences vestibulaires, mais également visuelles et proprioceptives.
L’intégration des informations sensori-‐motrices est faite dans les noyaux et permet le maintien de l’équilibre (Moore & Dalley, 2007).
Figure 5. Noyaux vestibulaires : centre d’intégration d’informations sensori-motrices, permettant l’équilibre (Wiener-Vacher et al., 2012).
Les informations provenant du vestibule et intégrées dans les noyaux vestibulaires auront par la suite une triple utilisation. La première est le contrôle des muscles oculomoteurs (le reflex vestibulo-‐oculaire), nécessaire pour garder une vision stable pendant les mouvements de la tête (Widmaier, Raff, & Stang, 2009). En deuxième lieu, l’information vestibulaire renseigne sur les déplacements du corps et de la tête dans l’espace et, par conséquent, participe à leur équilibration, lorsqu’ils sont en mouvement (Lasserre, 2009). La troisième utilisation de l’information vestibulaire permet la prise de conscience du positionnement et de l’accélération du corps, la perception de l’espace environnant le corps et l’accès à une mémoire de l’information spatiale. Cette fonction contribue à la construction du schéma corporel (Lasserre, 2009), ainsi qu’à l’élaboration de repères spatiaux et rythmiques servant à l’organisation et la représentation de l’espace. Il est néanmoins important de garder en tête que les informations vestibulaires sont intégrées avec des informations d’autres types (ex. visuels et proprioceptifs) afin d’assurer ces différentes fonctions.
1.3 Atteinte vestibulaire 1.3.1 Prévalence
Du fait de la proximité anatomique de l’organe de l’audition et de celui de l’équilibre, les enfants sourds représentent la population la plus touchée par les troubles vestibulaires.
Une étude de Jacot, Van Den Abbeele et Wiener-‐Vacher (2009) a répertorié l’état de la fonction vestibulaire chez 224 enfants sourds profonds avant l’implantation, âgés en moyenne de 4;3 ans. La fonction vestibulaire s’avère être préservée dans 50% des cas, 30% des sujets présentent une fonction vestibulaire partiellement altérée et 20 % souffrent d’altération totale du système vestibulaire (aréflexie bilatérale).
1.3.2 Types d’atteintes
Différents niveaux d’atteintes vestibulaires sont distingués : fonction normale, fonction partielle (ou atteinte partielle), aréflexie unilatérale et aréflexie totale. La différenciation de ces niveaux d’atteintes permettra une analyse plus fine des effets du trouble vestibulaire ainsi que de justifier certaines de nos hypothèses opérationnelles.
Atteinte totale vs atteinte partielle
Dans un premier temps, afin d’étudier la différence entre une atteinte totale et une atteinte partielle, nous allons nous référer à l’étude de Inoue et al. (2013). Cet article distingue les fonctions vestibulaires supérieure et inférieure, qui sont présentes dans chaque oreille. L’atteinte est qualifiée de partielle lorsque dans une ou deux oreilles, une des fonctions (supérieure ou inférieure) fonctionne alors que l’autre ne fonctionne pas.
Chaque oreille reçoit donc encore de l’information vestibulaire, même si elle n’est pas totalement intacte. L’atteinte est qualifiée de totale lorsque les fonctions supérieures et inférieures des deux oreilles ne fonctionnent pas. Alors, aucune information vestibulaire n’est enregistrée et l’aréflexie est bilatérale. Les fonctions supérieures et inférieures peuvent être évaluées à l’aide d’outils distincts. Le test de rotation ainsi que le test calorique sont utilisés afin de mesurer la fonction supérieure, alors que le test des VEMPs (vestibular evoked myogenic potential) permet d’évaluer la fonction inférieure.
Sur 61 enfants sourds implantés âgés de 1;8 ans à 8 ans testés, 43 obtiennent des résultats dans la norme aux trois épreuves, indiquant que leurs fonctions supérieures et inférieures ne sont pas altérées. Ce groupe de sujets présente donc une fonction vestibulaire normale. Ensuite 25% des sujets, échouent aux trois épreuves. Ceci indique que leurs fonctions supérieures et inférieures dysfonctionnent et qu’ils souffrent d’aréflexie totale. Enfin, 16% réussissent uniquement les tests de rotation et calorique et échouent aux VEMPs, indiquant une fonction supérieure intacte et une fonction inférieure absente et 16% présentent le schéma inverse. 32% des sujets ont donc une seule voie vestibulaire qui fonctionne : soit la supérieure, soit l’inférieure. Ils sont référés comme les enfants avec une atteinte partielle. Dans cette étude, les enfants avec une fonction vestibulaire totalement absente (aréflexie totale) manifestent un retard de l’âge du maintien de la tête et l’âge de la marche. Cependant, ce retard du développement moteur n’est pas observé dans le groupe avec fonction vestibulaire partielle qui semble réussir à compenser son déficit vestibulaire.
Atteinte totale vs atteinte unilatérale
Nous allons à présent distinguer l’atteinte totale de l’atteinte unilatérale. L’atteinte est considérée comme unilatérale lorsque les fonctions supérieure et inférieure d’une oreille dysfonctionnent. Contrairement à l’atteinte partielle, l’oreille concernée ne reçoit aucune information vestibulaire alors que l’autre oreille fonctionne normalement. Dans leur étude, Braswell et Rine (2006) 14 enfants sourds profonds sont distingués selon
leur niveau d’atteinte vestibulaire : aréflexie totale, aréflexie unilatérale et fonction normale. L’acuité visuelle et la stabilité du regard des 14 sujets sourds et de 23 sujets normo-‐entendants sont évaluées. Lors de l’analyse des résultats, les groupes aréflexie totale et atteinte unilatérale performent de manière inférieure au groupe des enfants sourds sans trouble vestibulaire et du groupe des enfants normo-‐entendants. Les auteurs constatent que les atteintes vestibulaires totale et unilatérale entravent la stabilité du regard ainsi que l’acuité visuelle, ce qui altère le réflexe vestibulo-‐oculaire de ces sujets.
1.3.3 Conséquences générales du trouble vestibulaire chez l’enfant sourd Premièrement, l’atteinte vestibulaire entraine un retard du développement psychomoteur du jeune enfant sourd. Par exemple, le contrôle du maintien de la tête est acquis au-‐delà de 3 mois, la tenue assise est maitrisée après l’âge de 9 mois et l’apparition de la marche après 18 mois (Lecervoisier, 2010). Les difficultés motrices des enfants avec trouble vestibulaire se traduisent également par une détérioration de l’équilibre, causée par la mauvaise intégration sensorielle dans les noyaux vestibulaires (Rine, Dannenbaum & Szabo, 2015). Maes et de Kegel (2014) ont évalué les performances motrices et d’équilibre de 36 enfants âgés en moyenne de sept ans et demi, répartis en trois groupes : les normo-‐entendants sans trouble vestibulaire, les enfants sourds sans trouble vestibulaire et les enfants sourds avec trouble vestibulaire.
Le groupe d’enfants sourds avec atteinte vestibulaire a montré davantage de difficultés que les autres groupes aux tests d’équilibre10. Enfin, les difficultés motrices des enfants sourds avec trouble vestibulaire se manifestent également par une mauvaise régulation du tonus. L’enfant est généralement hypotonique au début de sa vie ou devient hypertonique et crispé afin de compenser son déficit (Lecervoisier, 2010).
Deuxièmement, le trouble vestibulaire cause l’absence des réflexes vestibulo-‐spinal et oculaire, empêchant la stabilisation du corps, de la tête et du regard. Dès les premières semaines de vie, des troubles de la posture et du regard sont constatés chez les enfants
10 Epreuves administrées : Balance Beam Walking, One-‐leg Hopping, One-‐leg Stance with Eyes Closed issues du Körperkoordinationstest für Kinder (KTK), un test standardisé qui mesure la coordination motrice chez les enfants de 5 à 14 ans.
sourds avec atteinte vestibulaire (Lasserre, 2009). Les bébés présentent souvent une hypotonie axiale ce qui entraine des difficultés de redressement et de maintien de l’axe tête-‐cou-‐tronc (Lecervoisier, 2010). L’absence de réflexe vestibulo-‐oculaire entrave la stabilisation du regard, et, par conséquent, limite la prise d’informations visuelles.
Braswell et Rine (2006) relèvent également des problèmes d’acuité visuelle chez les enfants avec déficience vestibulaire. Ces déficits peuvent ensuite avoir des répercussions sur le développement des capacités visuo-‐attentionnelles (Lecervoisier, 2010). Finalement, l’atteinte vestibulaire impacte également la construction des représentations spatiales liées au corps et à l’environnement des enfants sourds. Les patients sourds souffrant de trouble du vestibule se distinguent par un schéma corporel mal intégré. Ils ont du mal à localiser leurs articulations et ont une conscience biaisée des proportions des parties du corps (Lecervoisier, 2010). Leur représentation de l’espace est imprécise et ils s’orientent donc difficilement. Ils présentent également une latéralité indécise due à l’indifférenciation des deux hémicorps. Ceci va résulter en une difficulté à discriminer la gauche et la droite sur soi, ce qui peut avoir des conséquences sur la reconnaissance des lettres ou des signes (Lecervoisier, 2010).
1.3.4 Conséquences sur le langage chez l’enfant sourd implanté
Lasserre (2009), prédit des répercussions de l’atteinte vestibulaire dans diverses modalités langagières. Selon son hypothèse, des fonctions vestibulaires défaillantes mèneraient à une expérience précoce visuelle et motrice altérée ce qui empêcherait l’intégration du schéma corporel et donc entraverait l’automatisation des enchainements de mouvements complexes, nécessaires pour l’écriture et la lecture, et de mouvements rapides, nécessaires pour signer et pour articuler. Dans la partie qui suit, nous allons discuter des répercussions du trouble vestibulaire sur les différentes modalités langagières.
Modalité gestuelle
Concernant la modalité gestuelle, Lecervoisier (2010) prédit que la difficulté d’orientation spatiale engendrée par l’atteinte vestibulaire compliquerait l’accès à la modalité signée en réception et en production.