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L'enfant sourd : un être de langage

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Academic year: 2022

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L'enfant sourd : un être de langage

BOUVET, Danielle

BOUVET, Danielle. L'enfant sourd : un être de langage . Genève : Université de Genève, Faculté de psychologie et des sciences de l'éducation, 1980, 73 p.

Available at:

http://archive-ouverte.unige.ch/unige:33391

Disclaimer: layout of this document may differ from the published version.

(2)

UNIVERSITÉ DE GENÉVE - FACULTÉ DE PSYCHOLOGIE ET DES SCIENCES DE L'ÉDUCAT O.

Cahiers de la Section des Sciences de !'Education

PRATIQUES ET THÉORIE

DANIELLE BOUVET

L'ENFANT SOURD:

UN ÊTRE DE LANGAGE

Cahier N° 20

UNIVERSITE DE GENEVE

FACULTE DE PSYCHOLOGIE ET DES SCIENCES DE L'EDUCATION

L'ENFANT SOURD : UN ETRE DE LANGAGE

Danielle Bouvet

Cahier No 20

Pour toute correspondance :

Section des Sciences de l'éducation UNI Il

1211 -Geni!ve 4 (Suisse)

AOUT 1980

(3)

PL A N

In trod uc t io n

L'ENFANT SOURD, QUI EST-IL ?

Chapi tre 1

LE DROIT DE L'ENFANT SOURD A LA LANGUE MATERNELLE

Chapi tre Il

LA LANGUE DES SIGNES

(Sym posium National de Chicago, mai-juin 1977)

Chapi tre Ill

UN APERCU HISTORIQUE DE L'EDUCATION DES SOURDS A PARTIR DE L'OUVRAGE DE J.-M. DEGERANDO

Conc l u s ion

POUR UNE EDUCATION BILINGUE DE L'ENFANT SOURD

Bibliographie

L'identité de l'enfant sourd et son éducation Recherches linguistiques en Langue des Signes

3

9

25

47

65

71 72

(4)

cuit audition-phonation : l'enfant tente de reproduire ce qu'il entend autour de lui, son oreille exerce une influence sur ses émissions voca­

les. Les lallations font place à un gazouillis imitatif reproduisant la mélodie et le rythme de la parole parlée autour de lui.

Chez l'enfant sourd le gazouillis imitatif n'apparaît pas : le jeu kinesthésique des lallations ne va pas être repris par ce plaisir de l'audition, ce jeu vocal va s'éteindre. Un appareillage auditif pré­

coce peut aider l'enfant sourd à conserver un certain jeu vocal mais sans lui donner pleinement accès à ce jeu d'imitation sonore. L'en­

fant sourd devient alors un enfant plus silencieux que l'enfant ordinai­

re. Cela signifie-t-il qu'il devienne de ce fait un être sans langage?

Non : si cet enfant ne se met pas à parler c'est seulement parce qu'il n'entend pas les sons de la parole. Mais ce tout-petit a les mêmes besoins de communication et les mêmes potentialités linguisti­

ques que tout autre enfant : l'enfant sourd est lui aussi un être de langage.

On sait qu'au cours des premiers mois de la vie, les échanges entre le tout-petit et son entourage se font dans tout un réseau de sensorialités que sont la vue, le toucher, les odeurs et l'audition.

De cette première communication tout à fait polysensorielle le langa­

ge oral émerge comme élémerit privilégié. Le petit enfant sourd con­

naît lui aussi, dès la naissance, cet échange polysensoriel dans lequel il communique par le regard, le sourire, les gestes, la mimique; seu­

les, les paroles ne lui parviennent pas et ceci a pour lourde consé­

quence de ne pas lui permettre l'accession aux tout-débuts du langa­

ge oral. C'est alors que l'entourage de l'enfant suspecte une surdité qu'un examen audiométrique vient confirmer ... A partir de ce moment, l'enfant sourd est confronté au désarroi de son entourage : jusqu'à la découverte de la surdité, son entourage se comportait vis-à-vis de lui comme avec un enfant ordinaire, lui donnant tout un bain d'échan­

ges et de paroles. La brusque révélation de la surdité produit un certain arrêt de ces échanges. On se demande alors comment faire pour rejoindre ce tout-petit qui n'entend pas et l'on perd le naturel d'une communication heureuse lorsque rien n'est suspecté. Le handi­

cap de la surdité est un handicap que l'on partage. On devient

"sourd" devant l'enfant sourd dans la mesure où l'on ne sait pas comment communiquer avec lui. Il tente bien de correspondre et de se faire comprendre avec son regard et ses gestes, mais son entourage si habitué à la communication orale basée sur le sens de l'audition manque de savoir-faire et se trouve bien désarmé pour communiquer

avec ce tout petit enfant qui reste néanmoins un être assoiffé d'échanges .. Ce désarroi de l'entourage pèse lourd dans la vie de l'enfant sourd.

Il existe toutefois une situation où ce handicap de la communica­

tion disparaît : lorsqu'un enfant sourd naît de parents sourds eux­

mêmes, la communication polysensorielle des tout débuts de la vie débouche alors sur une langue visuelle, la langue naturelle de ses parents sourds, langue dans laquelle l'enfant sourd ne connaît aucun handicap . A l'âge où les enfants entendants produisent leurs pre­

miers énoncés en langue orale, les enfants sourds nés de parents sourds produisent leurs premiers énoncés en Langue des Signes. Il est même intéressant de noter que, pour ces premières conduites linguisti­

ques, les enfants sourds peuvent présenter une avance de un ou deux mois par rapport aux enfants entendants. Des enregistrements vidéo sur l'interaction de la mère sourde avec son enfant montrent que lorsqu'elle lui parle en signes, elle lui modèle la (ou les) main(s).

Cette interaction motrice, s'ajoutant à toute l'imprégnation de langa­

ge par signes, semble donc favoriser une éclosion plus précoce des premiers énoncés en signes. li se peut aussi que le contrôle moteur des muscles de la main précède le contrôle des muscles des organes entrant en jeu dans la parole.

On le voit donc, sous certaines conditions l'enfant sourd dévelop­

pe son langage tout à fait précocement par l'intermédiaire de la Langue des Signes. li jouit alors d'une communication heureuse et satisfaisante. L'enfant sourd s'épanouit ainsi comme un être de langa­

ge et d'échanges, ce langage et ces échanges fussent-ils produits sur un mode visuel. Mais cette situation ne se réalise que dans une pro­

portion très minime, car 90% des enfants sourds naissent dans des familles entendantes. L'enfant sourd se trouve alors privé de la lan­

gue du seul fait qu'elle soit orale.

La question qui se pose alors est celle-ci : comment donner aux enfants sourds nés de parents entendants les avantages que connais­

sent les enfants sourds nés de parents sourds? C'est-à-dire, comment donner aux enfants sourds de familles entendantes la possibilité d'une communication familiale satisfaisante et une acquisition précoce du langage?

Les trois articles présentés dans ce Cahier tentent de répondre à cette question.

Le premier article : "Le droit de l'enfant sourd à la langue mater­

nelle" montre comment des parents entendants peuvent établir une

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INTRODUCTION

Avant d'entreprendre toute étude sur l'éducation de l'enfant sourd, il est nécessaire de se poser cette question préalable : "L'enfa�

sourd, qui est-il?"

L'enfant sourd de naissance arrive dans notre monde de paroles avec cette particularité de ne pas entendre les sons de la parole. Il pourra réagir à certains sons comme ceux d'un avion à réaction ou d'une voitire qui démarre. Ce sont des bruits dont les fréquences et les intensités sont hors du champ de la parole qui, lui, se situe prin­

cipalement dans une aire allant de 500 à 4.000 hertz avec une inten­

sité variant de 50 à 70 décibels pour le niveau de la voix normale.

Etre sourd ne signifie donc pas que l'on ne puisse rien entendre : cela signifie que l'oreille ne peut percevoir les fréquences utiles à la reconnaissance des sons de la parole.

L'appareillage

p

eut permettre à l'enfant sourd profond d'entendre des bruits et des sons mois ceux-ci ne lui apportent que des informations très tronquées sur les caractéristiques acoustiques de Io parole, si fines

et si nuancées.

Il s'avère donc que l'enfant sourd profond, même appareillé, ne pourra saisir les sons de la parole. Seulement un long travail d'édu­

cation auditive pourra le rendre capable de percevoir certaines carac­

téristiques des sons de la parole.

A certains de ces enfants, un vibrateur apporte pl us d'informations que leur prothèse auditive. Or le vibrateur ne fait que traduire des informations acoustiques en informations tactiles beaucoup plus gros­

sières et imprécises. Ceci remplit cependant de joie l'enfant qui pense "entendre" avec ce procédé ne l'informant que sur le rythme de la parole et non pas sur ses éléments distinctifs permettant la reconnaissance des mots.

Il faut aussi savoir que le petit enfant sourd, auquel les sons de la parole ne parviennent pas, est cependant capable de produire de la voix. Et même jusqu'à l'âge de trois mois, il émet des lallations comme tout autre enfant entendant. Ces émissions vocales sont dues à un jeu basé essentiellement sur les sensations kinesthésiques. Elles sont le résultat d'une grande activité motrice au niveau des organes phonateurs intacts chez l'enfant sourd. Mais ces lallations vont dispa­

raître à l'époque où elles devraient évoluer vers un jeu basé plus essentiellement sur les sensations auditives et l'établissement du cir-

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bonne communication avec leur bébé sourd lorsqu'ils accompagnent leurs paroles de gestes appartenant à la Langue des Signes. Cette communication bosée sur un mélange des deux langues, la langue orale et la langue visuelle, sera le premier idiolecte de l'enfant sourd, sa langue maternelle. C'est à partir de "sa" langue maternel­

le qu'il pourra s'approprier la Langue des Signes s'il est mis en con­

tact avec des adultes sourcls, et la langue orale s'il reçoit toute une éducation appropriée, car c'est une véritable prouesse de parler et de comprendre la parole lorsque l'on ne l'entend pas. Cette acquisi­

tion de la langue orale se fait d'autant mieux que l'enfant a pu établir une communication harmonieuse dans sa famille et développer ses facultés linguistiques grâce à l'acquisition précoce de la Langue des Signes. Cet article démontre donc comment l'enfant sourd ne peut s'épanouir qu'en devenant un sujet bilingue.

Le deuxième article est consacré à la Langue des Signes. Des recherches linguistiques récentes ont prouvé que, contrairement aux préjugés reçus, la communication gestuelle des sourds répondait à tous les critères qui permettent de lui donner le statut de langue. Le té­

moignage de linguistes sourds montre comment le fait de découvrir que leur communication gestuelle était une véritable langue leur ont permis de mieux s'accepter comme une personne sourde et de se sentir alors plus à l'aise dans la société des entendants. Reconnaitre la Langue des Signes, c'est reconnaitre le droit à la personne sourde d'accéder à s�n identité propre. Seul ce droit à la différence permet une intégration réelle, car chacun a besoin de pouvoir s'identifier à ce qu'il est pour être capable d'entrer en relation avec les autres.

Or, la personne sourde est une personne qui ne connait aucun handi­

cap pour la manipulation de la langue des signes puisque cette lan­

gue est bosée sur la vue. Contester cet état de fait et méconnaitre la Langue des Signes, c'est refuser à la personne sourde d'être au clair avec sa différence. On comprend donc comment une approche de l'enfant sourd où la Langue des Signes est rejetée est une appro­

che nuisible pour son développement personnel, aux niveaux linguis­

tique, affectif et intellectuel. La nécessité d'une éducation bilingue de l'enfant sourd s'impose donc.

Le troisième article donne un aperçu historique de l'éducation des sourds, de l'origine de cet art jusqu'au début du XIXe siècle, à par­

tir de l'ouvrage de J.-M. Degérando. Il est important de savoir combien les sourds ont été victimes de préjugés quant à leur état.

Ces préjugés sont loin d'avoir disparu de nos jours encore, où la

personne sourde a souvent plus à souffrir des réactions de son entou­

rage que de sa surdité elle-même. Bien que la linguistique ne fut pas encore née, on avait cependant su reconnaitre cette faculté que les sourds avaient de communiquer par signes. Degérando parle d'un

"langage de signes, d'un vrai langage conventionnel". Il montre la nécessité pour tout éducateur de se mettre à la place de l'enfant sourd et de partir de ce qui est positif en lui : sa faculté à commu­

niquer par signes. S'il fait l'éloge de l'Abbé de !'Epée pour son idée d'enseigner la langue française à l'enfant sourd en prenant pour point de départ la Langue des Signes, il le critique pour son idée d'adjonction de "signes méthodiques" par lesquels il voulait faire de cette Langue des Signes une parfaite réplique de la structure du français. Avant que ne fut née la sociolinguistique, Degérando avait pressenti que vouloir modifier une langue était aussi dangereux pour son existence que de l'interdire. Le récent article de Lane : "His­

toire chronologique ,de la répression de la Langue des Signes en France et aux Etats-Unis" (in Langages no

56, 1979)

t ient le même propos.

Il est bon de voir comment, à travers les siècles, les grandes vé­

rités réapparaissent, même si, parfois, el les furent éclipsées par une attitude par trop technique ou médicalisée, trop centrée sur la défi­

cience, faisant perdre de vue la situation réelle de la personne sourde et ses véritables besoins.

Dans un siècle où les sourds avaient accès à l'éducation des sourds, Dégerando leur recommandait d'être vigilants car c'était à eux de parfaire ce que les entendants entreprenaient à leur égard.

On ne peut réussir l'éducation de l'enfant sourd que par une étroite collaboration entre des éducateurs sourds et des éducateurs entendants. Cette vérité est en train d'être redécouverte actuelle­

ment pour le plus grand bien des enfants sourds et de leur famille en tendante.

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I n t r o d u c t i o n

Chapitre 1

LE DROIT DE L'ENFANT SOURD A LA LANGUE MATERNELLE

L'acquisition du langage est une activité complexe qui commence dès la naissance et qui réclame des conditions bien particulières pour se réa 1 iser sans heurts.

En effet, l'entourage de l'enfant doit pouvoir offrir à ce dernier un bain de langage et lui donner aussi le plaisir d'être compris.

C'est alors que celui-ci peut s'approprier le langage dans une inter­

action adulte-enfant dont le rôle est tout à fait fondamental. L'en­

fant sourd, du fait qu'il n'entend pas, va se trouver dans une situa­

tion bien particulière. Sera-t-il exclu de ce plaisir du langage et de ce travail d'appropriation de la langue ou bien, lui aussi, a-t-il droit à la langue maternelle?

1. Po u r u n e d é f i n i t i o n d e l a l a n g u e m a t e r n e l l e Dans des conditions favorables d'éducation, la mère parle à son tout-petit d'une manière tout autre que celle qu'elle emploie habi­

tuellement : elle ralentit son débit, son élocution est claire et mélo­

dieuse. Elle utilise un vocabulaire simple et des structures de phrases appropriées à l'état de développement de son enfant. Elle recourt à beaucoup de répétitions de ce que lui dit son enfant; c'est la mère qui fait le plus de répétitions : trois fois plus que ne le fait l'enfant.

Ces répétitions iouent un grand rôle dans l'interaction adulte-enfant:

en répétant les paroles de son enfant, la mère exprime la joie qu'elle a de recevoir sa parole, elle lui montre qu'elle le comprend bien et lui donne ainsi ce plaisir d'être compris. En refonnulant ainsi le dire de son enfant, elle offre à ce dernier un modèle correct : l'enfant, heureux de cette répétition de sa mère, la reprend à son tour, amélio­

rant souvent ainsi sa façon de parler. Tout ceci se fait dans le plai­

sir et l'échange facile.

Si l'on regarde de très près cette relation mère-enfant, on y dé­

couvre tout un comportement bien particulier. La mère doit avoir une attitude de détente et de bien-être pour pouvoir être réellement atten­

tive, mais sans tension excessive, aux besoins et aux dits de son tout-

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petit. Par une compréhension plus intuitive qu'intellectuelle, on voit qu'une mère adapte son langage au niveau de développement de son enfant. Elle ne lui parle pas comme elle parle à son mari ou à quelque autre personne. Elle a un mode tout à fait particulier lors­

qu'il s'agit de communiquer avec son enfant : c'est cette "langue"

tout à fait particulière,qui s'adapte sans cesse aux besoins du tout­

petit, que j'appellerai "langue maternelle". J'en donnerai un exem­

ple tiré du livre de G.L. Wyatt

(1969):

"Observation 1

J'ai fait l'observation suivante par une chaude journée d'été, sur une plage surpeuplée; l'enfant observé, un garçon de dix-sept mois, était accompagné de sa mère et de sa grand-mère. Il s'ap­

pelait Ricky.

Modèle d'étude de l'interaction adulte-enfant :

Ricky était en train de courir sans but précis quand sa mère l'in­

terpella : "Viens ... creuse ... creuse dans le sable ... viens ...

voilà ta pelle ... creuse dans le sable ... ne pleure pas . •. nous allons construire une maison ... voilà ta pelle . • . creuse dans le sable. "

Quelques minutes plus tard, Ricky recommença à tourner en rond et sa mère lui dit : "Tu veux aller dans l'eau? ... très bien •••

nous allons dans l'eau ... très bien ... viens, nous allons dans l'eau ...

regarde l'eau ... " En se tenant par la main, tous deux coururent vers l'eau; la mère dit encore : "Regarde l'eau ..• regarde l'eau ...

l'eau ... " Ricky répéta: "Eau: Eau :•1 et la mère reprit: "Regar­

de l'eau ... regarde l'eau ... voilà l'eau ... nous allons dans l'eau ..•

regarde l'eau :

"

Tous les deux se mirent à patauger dans l'eau et ils furent bien­

tôt trop éloignés de moi pour que je puisse les entendre. Quelques minutes plus tard, ils revinrent ensemble; Ricky était à cheval sur les épaules de sa mère et i 1 hurlait de plaisir.

Ils s'assirent près de la grand-mère qui remarqua : "L'eau est trop froide." "Je lui ai enlevé sa culotte, car l'eau est en effet très froide. " Et elle se retourna vers Ricky : "Maintenant, mets ton peignoir ... tu as besoin de ton peignoir ... voilà ton peignoir. "

Tout en parlant ainsi à Ricky, la mère lui enfila un petit peignoir blanc. Dès qu'il fut habillé, Ricky se mit à sauter en rond en poussant des cris de joie. La mère se mit à rire : "Petit coquet:

Petit coquet : Oh, tu es beau, tu es vraiment bien beau : Tu

es vraiment bien beau: Tu veux partir en promenade?"

Ricky : "Partir ••. partir : " La mère : "Par ici, par ici : "Ricky éclata de rire et se sauva; sa mère le rattrapa en riant et le prit par la main pendant qu'ils se dirigeaient vers l'eau. "

Cette observation montre que la communication mère-enfant com­

porte autant d'éléments non verbaux que verbaux : il s'agit d'une communication totale qui recourt à toutes les possibilités de commu­

nication. A ce sujet, Alice Doumic

(1975)

parle de polysensorialité qui entoure les tout débuts de langage; ainsi, lorsque la mère dit

"dodo" à son bébé elle accompagne son émission verbale de tout un bain de sensations liées au câlin du soir, à la chaleur du lit : ou tempo de sa voix, à son intonation, à son émission, chuchotée, chantante, etc ...

Pour Alice Doumic, certaines mère se défendent contre cet enga­

gement affectif lié à cette communication polysensorielle : elles ne parlent pas à leur enfant mais elles lui apprennent à parler. li s'a�it alors d'une certaine aseptisation de la communication par la conna1s-

I 1 Il h Il "t f't" à sance. Trop souvent es mères par ent trop out ou rop o leur enfant, elles privent ce dernier de la "langue maternel

!

e". Une observation, tirée encore du livre de G. Wyatt, p. 41-42, illustre bien cette situation

"Observation VI

Comme exemple final, nous allons observer une autre mère de cinq enfants et sa plus petite fille, Ann, âgée de 4 ans. Les frères et sœurs d'Ann étaient déjà tous dans le cycle inférieur ou supérieur de l'école secondaire. La mère d'Ann appartenait à la classe moyenne supérieure.

La mère d'Ann m'avait été envoyée par le pédiatre à cause de l'articulation gravement défectueuse de sa fille. L'ouf·e d'Ann était normale selon les tests, mais ses paroles spontanées étaient à peu près incompréhensibles pour un étranger. Comme d'habitude, je fis une visite à domicile pour observer l'ambiance et l' inter­

action entre l'enfant et sa mère. Ann et sa mère me reçurent d'une manière cérémonieuse dans le salon. Ann, une jolie petite fille portait une robe habillée et des souliers vernis noirs. Après ovoi

échangé quelques mots de bienvenue avec la mère de l'en­

fant, je suivis ma procédure habituelle et je leur demandai à tou­

tes deux de s'asseoir sur le divan et de regarder ensemble un livre d'images. La mère et l'enfant se mirent à regarder une ima-

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ge qui représentait le bord de Io mer, avec de l'eau, des bateaux, des oiseaux, des animaux marins, un petit garçon debout sur Io plage avec un seau et une pelle, et un phare à l'arrière-pion.

Voici ce que j'ai observé.

Lo mère dit : "Regarde, ce n'est pas une belle image � C'est tout à fait Cape Cod, n'est-ce pas ? Maintenant, regarde les ba­

teaux à voile et le bateau à vapeur et les oiseaux et tous les animaux, les crabes, les mouettes, le lézard. Maintenant, regarde cet animal-là. Qu'est-ce que c'est? Tu te rappelles ce que c'est? Tu sois - tu dois te le rappeler - c'est le genre d'animal que papa et moi aimons bien manger, et que tu n'aimes pas man­

ger, tu te rappelles? Tu ne te rappelles pas? Nous descendions à Harbor House pour le manger - tu dois connaître le nom : un homard � " (a lobster}.

Ann répontit : "Oh voui ... ze me 'appelle ... ze sois ... un homo' ...

ze me 'appelle." (Oye ... 1 know ... 1 wemember ... a wobser, 1 wemember i t = Oh yes... 1 know ... 1 remember... a lobster, 1 remember i t.)

Lo mère continuo : "Et puis, regarde ce qu'il y a là. Qu'est-ce qu'il y a là, dans le fond? Tu te rappelles ça? Tu l'as vu à Cape Cod aussi. Tu te rappelles le phare? Tu sais à quoi sert un phare? Dans un phare, il y a une lumière qui brille toute la nuit pour protéger les bateaux, pour le; empêcher de dévier de leur chemin et de heurter les rochers." Ann répondit par une phrase assez longue et qui était si mal articulée qu'il me fut impossible de la comprendre et d'en prendre note."

Ann n'avait donc pu s'approprier le langage dans Io mesure où sa mère n'avait pas su lui donner "la langue maternelle" adaptée à ses besoins. G. L. Wyatt note en effet : "La mère parlait très rapidement, avec une articulation un peu confuse, en utilisant un vocabulaire assez avancé et une structure de phrase très élaborée."

On le voit donc, il n'est pas trop fort de parler de "conditions de luxe" nécessaires à l'apprentissage du langage, selon l'expression du Pr Diotkine (1973). Pour ce dernier, en effet, le bain de langage recouvre une réalité très complexe dons laquelle Io mère sait tout à la fois donner à son enfant des "temps forts" comme ceux décrits entre Ricky et sa mère, mais aussi soit foire participer son enfant à tout un "discours lâche" peu investi par elle, mais très chargé d'affects. Ainsi pur "illusion anticipatoire" elle parle à son enfant comme s'il pouvait Io comprendre. Ce dont elle parle alors, ce sont

des problèmes qui l'habitent plus ou moins inconsciemment. La mère doit être ainsi capable de vivre son enfant de deux façons contraires, comme prolongement d'elle-même mais aussi comme distinct. En effet, le langage ne peut apparaitre que dans un contexte relationnel, c'est­

à-dire dans une certaine distance entre l'enfant et sa mère : "quand à la fin de la première année l'enfant est capable de se souvenir suf­

fisamment du visage de sa mère pour faire une réaction dépressive devant le visage de l'autre, reprendre une activité verbale, liée à l'image de la mère, devient pour lui source de plaisir secondaire et fait partie de son système de régulation" (Diatkine, 1973). Cette observa­

tion est importante et montre comment l'histoire du langage commence dès la naissance, comment la façon dont l'enfant est élevé va déterminer son appétence à reproduire ce qu'il entend, d'abord dans un système d'échanges phoniques qui deviendront des échanges linguistiques.

Pour mieux comprendre les tout débuts de l'installation du langage, il est nécessaire de recourir à certaines notions de psychanalyse d'enfants. Lorsque, dès la fin de la première année, l'enfant doit lutter contre le déplaisir de l'absence, il recourt à deux processus mentaux opposés. En déplaçant l'investissement sur un objet de subs­

titution, ce dernier va jouer un rôle comparable à l'objet primitif.

L'enfant établit une certaine confusion entre l'objet transitionnel et l'objet primitif, mais cette confusion ne doit pas être trop grande car l'enfant se retrouverait dans la situation déplaisante contre la­

quelle il tentait de se défendre. Tout en confondant, i 1 doit donc être capable d'opposer, "car une bobine de bois n'est pas une mère et à force de confondre les deux, on risquerait de se trouver dans une situation aussi déplaisante que celle du départ. C'est pour cette raison qu'un autre système d'opposition et de séparation se développe parallèlement, permettant très vite à l'enfant de les différencier par­

faitement tout en leur donnant une sorte de qualité affective compa­

rable. Le langage s'introduit à ce moment-là, la dénomination joue un rôle extrêmement important." (Diotkine, 1973)

Le fait de "parler", de dire des mots et de ne plus seulement se livrer à une activité phonique est donc pour l'enfant un merveilleux moyen dans le règlement de ses conflits. Mois l'enfant ne découvre ce plaisir des mots que s'il a connu une certaine continuité dans les soins dont il est l'objet. En effet, pour que l'enfant vive l'absence et le désir de retrouver la présence, i 1 faut qu' i 1 ait pu vivre une continuité dans ses premières relations, il faut qu'il y ait eu pré­

sence.

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Ce n'est pas dans le "no man's land" que le tout-petit construit sa personnalité et que le langage s'installe, mais dans ce que j'ap­

pellerai par analogie la "mother's land", la terre de la mère, d'où d'ailleurs le père n'est pas exclu dans la mesure où le comportement affectif de la mère est lié à sa vie de femme et d'épouse.

La façon dont la mère se situe vis-à-vis de son enfant dépend de sa relation amoureuse et donc de la place du père dans leur relation avec leur enfant.

Pour conclure ce point, je dirai que Io longue maternelle est cette langue qui pennet à la mère d'être "la mère de son enfant", d'être cette terre dans laquelle il va pouvoir prendre son essor. Nous l'avons vu, la langue maternelle est le produit d'une élaboration com­

plexe aux niveaux affectif et linguistique. Cette langue maternelle dont on parle si peu tellement elle paraît "évidente", m'apparaît au contraire être une réalité trop rare, une perle fine trop méconnue.

li me semble que beaucoup d'enfants sont sans langue maternelle (dans l'acception donnée ici à ce tenne), alors que ce sont des petits Français habitants en France. Ce sont ces enfants que l'on retrouve plus tard en situation d'échec scolaire. Au contraire, lorsque l'enfant est en possession de sa langue maternelle, de sa terre, il va très vite s'envoler vers d'autres terres, d'autres langues : la langue de l'école, les langues du savoir.

Piaget a bien montré comment l'enfant se développe à travers tou­

te une activité de man ipu lotions, manipulations concrètes qui se déta­

chent progressivement de l'action présente, pour devenir des manipula­

tions abstraites. Or, le langage offre à l'enfant un terrain privilégié de manipulations. Très tôt, il joue avec la langue : il produit un énoncé et le répète en faisant varier l'intonation ou en changeant l'ordre des mots. En effet, pour s'approprier la langue, l'enfant doit pouvoir jouer de ses possibi 1 ités, prendre une certaine distance avec elle : "Tout procès d'apprentissage de langage, en particulier l'acqui­

sitioo par l'enfant de la langue maternelle a abondamment recours à des opérations 'métalinguistiques' " écrit Jakobson (1963).

Apprendre à parler, c'est aussi apprendre à "déparler", à jouer avec les sonorités et avec les structures syntaxiques. C'est donc, par ce jeu, mieux comprendre la combinatoire complexe de toute langue.

Lorsqu'autour de 3 ans un enfant "parle", i 1 fait donc preuve d'une intense activité intellectuelle. Pour G. Dornon (1965)(Directeur de l'hôpital universitaire de Philadelphie) "il n'y a jamais eu depuis que l'homme existe, de savants aussi curieux que n'est curieux n'importe

quel enfant entre 18 mois et 4 ans. Le jeu de l'enfant comme celui du petit chat a un but : i 1 tend à apprendre plutôt qu'à s'amuser.

L'acquisition du langage sous toutes ses fonnes est l'un de ses pre­

miers buts et nous devrions en prendre conscience".

Certains auteurs comme Penfield et Roberts (1959) ont souligné l'importance d'un certain "horaire biologique de l'apprentissage du langage" selon lequel l'apprentissage le plus intensif se ferait entre 2 et 4 ans.

Ceci rejoint les recherches faites actuellement en France par Laurence Lentin (1973), qui montrent que l'apparition des structures syntaxiques se fait très tôt, bien avant "l'acquisition d'une morpholo­

gie correcte, d'un vocabulaire abondant, d'une prononciation parfai­

te". En effet, le langage est avant tout une syntaxe par laquelle la pensée peut se traduire dans une certaine organisation des mots : c'est très tôt que l'enfant découvre cela, lorsqu'il est dans de bonnes conditions d'éducation. Au contraire, lorsque pour des raisons diver­

ses l'enfant ne s'approprie pas le langage, ses acquisitions syntaxiques sont pauvres. et ne connaissent pas cet essor rapide que l'on trouve entre 2 et 4 ans chez les enfants qui manipulent précocement l'orga­

nisation syntaxique.

Ceci est grave et montre l'importaru.;e de cet "horaire biologique"

de l'apprentissage du langage.

Lorsque le langage tarde à s'installer, l'enfant est non seulement privé de toute une activité de manipulations linguistiques développant son fonctionnement mental, il est aussi privé d'un support pour sa pensée : "Tandis que l'intelligence sensori-motrice procède par ac­

tions successives et de proche en proche, la pensée parvient, grâce en particulier au langage, à des représentations d'ensemble simulta­

nées." (Piaget, 1966)

Nous avons vu comment, par le langage, l'enfant pouvait se dé­

fendre contre ses peurs et ses angoisses, comment le langage pouvait être aussi le support de tout un système de régulation plaisir/ déplai­

sir.

Dans les tout débuts de la vie de l'enfant, le développement du langage joue donc un rôle primordial : il semble, en effet, que c'est en se constituant que l'enfant constitue son langage et que cette ap­

propriation même du langage par l'enfant pennet à ce dernier de se construire. L'enfant qui n'entend pas est donc dans une situation bien particulière.

(11)

2. la s i t u a t i o n d e l'e n f a n t s o u r d

Cet enfant sourd, qui est-il? C'est d'abord un enfant; c'est aussi un enfant nonnal. C'est seulement parce qu'il n'entend pas qu'il ne peut pas s'approprier la langue parlée autour de lui. 'Cela ne signi­

fie pas que cet enfant soit sans pensée, sans intelligence ni sans langage. Comme l'enfant entendant, l'enfant sourd fait preuve de toute une activité symbolique dans le jeu et l'imitation différée.

Dans le domaine du langage, il a même une démarche tout à fait originale : là où l'enfant ordinaire répète, lui doit inventer, car "il est contraint d'inventer pour communiquer" Dégerando, 1827). Ce qu'il invente, c'est un langage par gestes "qu'il est obligé de se créer tout entier à lui-même" alors que l'enfant entendant reçoit une langue toute faite donnée par son entourage.

Dans seulement 5 % des cas, l'enfant sourd a la chance d'avoir des parents sourds qui lui apportent donc leur langue dans laquelle il ne connan aucune entrave puisqu'il s'agit d'une langue visuelle.

le petit enfant sourd connan alors un développement tout à fait har­

monieux de son langage dans la mesure où il peut profiter sans res­

triction aucune des conditions de luxe dont nous avons parlé : le bain de langage et le plaisir d'être compris, cela à travers la Langue des Signes.

Depuis toujours on sait que les sourds ont un système de communi­

cation visuelle mais, jusqu'à très récemment, on avait refusé à ce système le statut de langue; ceci par un a priori sans fondement, puisqu'aucune étude linguistique n'avait été entreprise. Ce n'est qu'il y a une vingtaine d'années que le linguiste américain W. Stockoe démontra que cette communication visuelle répondait à tous les critè­

res linguistiques de la définition d'une longue naturelle.

11 serait trop long, dans le cadre de ce chapitre, de passer tous ces critères en revue. Contentons-nous de présenter celui de la

"double articulation" : la Langue des Signes est articulée en unités significatives : les morphèmes qui s'articulent eux-mêmes en unités distinctives, les chérèmes. leur liste est une liste fennée comme celle des phonèmes dans les langues orales. Ainsi, à partir d'un nombre fixe d'unités distinctes, Io langue crée une infinité de messages. Il y a environ 55 chérèmes en longue des Signes Américaine. Ce sont des éléments qui se rapportent à la configuration de la main, à son emplacement, à son mouvement et à la direction du mouvement.

Comme les langues orales, les longues des Signes sont variées et nombreuses : il existe autant de longues de Signes qu'il existe de

communautés de sourds. les sourds américains et les sourds anglais n'ont pas la même longue des Signes a lors que ces deux pays ont Io même longue orale : l'anglais. Par contre, il y a cousinage entre la langue des Signes des sourds américains et celle des sourds fran­

çais à cause d'un contact dans l'histoire de ces deux langues.

Toutes les Longues des Signes peuvent répondre à la définition du linguiste danois Hjelmsley d'une langue : "une longue dons laquelle toutes les outres longues se laissent traduire".

Si "scientifiquement" on reconnan bien maintenant le statut de langue aux Langues des Signes, il demeure néanmoins dans l'incons­

cient collectif beaucoup de préjugés et d'a priori à l'égard de ces dernières : les gestes, ce n'est pas beau, c'est sans grammaire, ça ne peut dire que le concret, bref, ce n'est pas une langue.

Or, la réalité est tout autre : l'enfant sourd dont les parents sont sourds reçoit dès sa naissance tout un héritage linguistique à travers la langue de ses parents.

Mais que se passe-t-il alors pour l'enfant sourd dont les parents sont entendants? C'est Io situation la plus courante puisqu'elle se réa 1 i se dans 95 % des cas.

Dans de bonnes conditions d'éducation, la mère a toute une com­

munication polysensorielle avec son tout-petit, mais dont n'émergera pas comme élément privilégié la langue orale, puisque son enfant n'entend pas. Il ne peut pas s'approprier la langue de sa mère, il ne peut pas acquérir sa langue maternelle. Pour lui, n'existent ni le bain de langage ni non plus le plaisir d'être compris; car si l'en- fant ne comprend pas ce que sa mère lui dit, cette dernière ne com­

prend pas ce que son enfant voudrait lui dire. Ceci est grave : "l'en­

fant atteint de surdité n'est pas comme l'aveugle qui est vu bien qu'il ne voie pas; le sourd lui, non seulement n'entend pas, mais n'est pas entendu" {Ajuriaguerra, 1972).

Cette situation entraîne de forts sentiments de confusion et de frustration chez l'enfant et chez sa mère.

Quelle aide reçoivent-ils alors tous les deux? Ils entrent dans un circuit médical et para-médical où tout est mis en œuvre pour que l'enfant parle. Ceci sera long et difficile mais on. a bien expli­

qué à la mère qu' "un jour" son enfant parlera, sera "comme les outres". Elle s'arme donc de courage, de patience et les années passent dans un climat de tragédie, car cette éducation de la parole consiste plutôt en un "gavage" fonctionnant sur le modèle behavio­

riste S R : l'enfant coupé du bain linguistique oral ne peut agir

(12)

en chercheur qui fait ses hypothèses et construit son système langa­

gier par lui-même. Nous avons vu combien la parole est le produit d'un processus délicat et complexe; elle n'est pas quelque chose

"qui se greffe" même lorsque l'on y met une énergie farouche. Sous la parole, il y a la langue, tout ce jeu de manipulation auquel l'enfant se livre dans cette interaction mère-enfant faite à travers la langue orale.

Chez l'enfant sourd, cette parole "imposée" dans le mesure où il ne peut trouver lui-même les clés du système, reste longtemps une parole "pauvre" permettant une communication très réduite : on sait combien la moindre pensée demande toute une élaboration syntaxique pour se traduire précisément en mots. Même si son enfant sourd "parle", dit quelques mots, cela ne veut pas dire, et la mère le découvre à leurs dépens à tous les deux, qu'ils peuvent avoir une réelle communication linguistique. Ceci est grave.

Le fait que la grande majorité des adultes sourds ne peuvent pas lire malgré que toute leur éducation ait tourné autour de la parole, montre bien que cette emphase mise trop exclusivement sur la paro- . le ne conduit pas à une réelle acquisition de la langue orale. La

lecture demande, en effet, une profonde connaissance de la langue.

Privés de cette connaissance, les sourds sont donc privés de la lec­

ture qui serait cependant pour eux, plus que pour tout autre, un mer­

vei li eux moyen de connaissance, d'évasion et de communication.

Si les sourds "parlent", cela ne veut donc pas dire qu'ils aient la langue de la société et qu'ils soient de vrais lecteurs. Ceci mon­

tre combien l'éducation de l'enfant sourd, trop exclusivement centrée sur la parole, conduit à un échec.

Il pourrait en être tout autrement. Il s'agirait alors de ne plus voir l'enfant sourd �eulement dans son manque, mais de le voir dans sa totalité. A un congrès mondial de "l'enfant sourd dans sa famille", celui-ci était représenté par une oreille barrée. Non, l'enfant sourd ne se réduit pas à une orei lie barrée � Une éducation uniquement basée sur une déficience ne peut conduire qu'à un gavage, à un remplissage, et donc qu'à un échec : Le sociologue Bernard Mottez, dans un article au titre percutant : "A s'obstiner contre les déficien­

ces, on augriente souvent le handicap"

(1977),

donne un éclairage impitoyable sur cette philosophie d'éducation où l'enfant sourd n'a même pas le droit d'être ce qu'il est, c'est-à-dire "être sourd", parce qu'on ne pose même pas cette question préalable : qu'est-ce que c'est qu'être sourd ? quelle est la réalité d'une personne sour­

de ?

La personne sourde n'est pas une personne incomplète ni une personne inachevée comme le suggère le dessin d'une oreille barrée.

C'est une personne différente dans la mesure où, obligée de vivre une situation différente du fait de sa surdité, elle développe des capacités différentes.

Or, être différent, être "autre" ne signifie pas être altéré, être détérioré. C'est cependant le contraire qui se vit journellement dans les relations interpersonnelles. Tel est le cas de cette mère européen­

ne rejetant son enfant métis car pour elle " . • . l'altérité n'existe pas;

ce qui existe c'est l'altération, toute différence d'avec elle est le signe d'une détérioration". Janine de la Robertie

(1978).

L'altérité existe-t-elle dans nos philosophies éducatives ? Lorsque jeune orthophoniste, j'ai voulu rencontrer des adultes sourds, pensant qu'il était impossible è:l'oimer un enfant sourd sans pouvoir imaginer son devenir, ma· démarche fut ressentie, dans mon milieu de travail, à la limite de l'inconvenance. Car, me disait-on : "les enfants sourds dont nous nous occupons seront comme tout le monde, ils parleront (notons le futur), pourquoi donc vouloir connaitre des adultes sourds ?" "L'enfant sourd n'étant qu'un entendant à qui il manque quelque chose, mais dont le manque sera un jour comblé, pourquoi s'intéresser à Io communauté des adultes sourds ? Cette communauté est un autre monde à laquelle l'enfant sourd n'appar­

tiendra jamais puisqu'on lui apprend à parler."

Comme c'est étrange, pour une jeune orthophoniste, de découvrir cette négation totale de la surdité et ce clivage parfait entre les enfants sourds et les adultes sourds. Seul, tout un travail linguisti­

que et psychologique approfondi pourra la rendre en mesure de faire tomber toutes les "évidences" dont on l'assaille, mais qui n'ont d'évident que d'être un refus de la réalité. Malheureusement, ces évidences sont fortement enracinées dans les mentalités et la jeune maman entendante d'un enfant sourd se trouve, elle aussi, dans une situation bien confuse ainsi que son enfant. Combien d'enfants sourds ne se sont pas imaginé mourir jeunes puisque jamais ils n'avaient vu de grandes personnes sourdes ?

Les mères, tout en suivant les conseils donnés par le corps médi­

cal et para-médical, vivent avec leur enfant une tragédie journalière due aux nombreuses difficultés de communication qu'ils rencontrent.

Elles sentent bien que quelque chose ne va pas dans la façon dont on envisage leur situation, mais elles ne se l'avouent pas toujours, ayant mis toute leur confiance dans les professionnels de la surdité.

(13)

Or, lorsque ceux-ci ne se donnent pas la peine de prendre au sé­

rieux la réalité de la surdité en son entier, ils ne peuvent pas ré­

pondre aux besoins de la mère et de son enfant sourd qui se trouvent alors plongés dans un abîme de détresse malgré tous les processus thérapeutiques dont ils peuvent être l'objet. Car la vie ne fait pas de cadeaux, et ça se paie très cher de tricher avec elle.

Celui, bien sûr, qui paie le plus cher est l'enfant lui-même et le futur adulte qu'il deviendra. On écrit alors des livres sur "la psychologie de l'enfant sourd" ..• Sur cet enfant qui n'a pas eu le droit d'être ce qu'il est, c'est-à-dire d'être reconnu dans sa surdité, dans sa différence. On comprend que cet enfant ait une psychologie particulière non pas due alors à sa surdité, mais à tout ce qui a été mis en œuvre pour la nier. Mais les choses n'ont pas à se passer ainsi : le tout petit enfant sourd peut connaitre un développement harmonieux, il peut avoir une langue maternelle et vivre dans une communication réelle et heureuse avec sa famille, même si celle-ci est entendante. Mais seule une approche réaliste de l'enfant sourd et une acceptation totale de la surdité peuvent permettre à une tel le situation de s'installer.

3. L e d r o i t d e l ' e n f a n t s o u r d à l a l a n g u e m a t e r n e l l e Il s'agira, au moment de la découverte de la surdité de l'enfant, d'aider la maman à comprendre qui est son enfant, à le voir non pas seulement dans son manque (absence d'audition), mais dans sa réalité.

Il est alors important pour elle de rencontrer des adultes sourds qui lui permettront d'imaginer son enfant dons son devenir et découvrir ainsi que la différence chez son enfant sourd n'est pas une altéra­

tion mais une façon différence de se constituer et de constituer son langage.

Une chanson en Longue des Signes composée par une mère d'en­

fant sourd exprime bien ce que toute mère devra peu à peu réaliser :

"Ami, regarde ce que je dis le monde que tu entends est le même que je vois

Donne-moi ta main, j'entends ta main On dit que je suis sourd, mais je vois les oiseaux chanter et le vent dons les arbres et les enfants rire

Mon uni vers est vide sans toi

Regarde-moi et souris

Et serre ma main dons la tienne

Donne-moi ta main et apprends ma langue Tu peux parler par signes dans l'air Nous pouvons atteindre les étoiles Il y a tant de choses à foire ensemble."

Ainsi, c'est seulement en acceptant la différence chez son enfant sours, et en reconnaissant son besoin de la Langue des Signes, qu'elle pourra vivre normalement avec lui, c'est-à-dire retrouver Io "mother's land", la terre partagée d'où seule peut naitre la langue maternelle.

Elle le sait, le monde que son enfant voit est le même que celui qu'elle entend : elle va se mettre à sa portée et recourir à la Lan­

gue des Signes.

Nous avons vu comment la langue maternelle est une réalité com­

plexe, comment elle consiste dans une certaine adaptation de la lan­

gue aux besoin du tout-petit afin que la mère puisse rejoindre son enfant par sa langue. Dans le cas d'une maman entendante avec son enfant sourd, il s'agira alors d'une adaptation encore plus délicate.

Puisque ses paroles, bien que simples et adoptées, ne peuvent parve­

nir à l'oreille de son enfant, la mère les accompagnera de signes . Ainsi elle rendra ses énoncés tout à fait clairs pour son enfant qui ne peut les saisir auditivement; elle les rend donc adoptés à ses besoins. La communication avec son enfant peut donc s'établir tout à fait. A son tour, l'enfant s'exprime avec aisance par signes, la mère peut alors reprendre ce que son enfant veut lui dire (lui signer) en répétant son signe et en lui donnant le modèle exact.

Dans cette interacfion tout à fait semblable à celle d'une mère avec son enfant entendant, l'enfant découvre à son heure le plaisir d'être compris et profite d'un bain de langage, sa mère lui parlant tout en faisant des signes.

Pour ce faire, la mère doit apprendre la Langue des Signes dès qu'elle a découvert la surdité de son enfant. Elle fait cet apprentis­

sage auprès d'adultes sourds qui viennent régulièrement chez elle lui apprendre à communiquer avec son tout petit enfant sourd, dès l'âge de 6 mois, si la surdité est déjà décelée. Ainsi est rétablie cette situation nécessaire à un développement harmonieux du langa­

ge : le bain linguistique donné dès la naissaice. Ainsi une mère m'a confié avec beaucoup de joie : "Grâce à la Langue des Signes, j'ai pu rester la mère de mon enfant sourd, c'est-à-dire communi­

quer et lui apprendre à communiquer." Cette mère n'avait donc pas

(14)

été privée de cet émerveillement qui consiste à donner la langue maternelle à son enfant et à recevoir ses premiers mots, c'est-à-dire ses premiers signes.

Une relation et une communication harmonieuse s'établissent ainsi entre la mère et son enfant. Celles-ci, nous l'avons vu, sont à la base d'une saine organisation mentale : l'enfant se constitue tout en constituant son langage et inversement. Comme tout autre enfant, l'enfant sourd trouve dans sa langue maternelle l'élan pour prendre son essor vers d'autres terres et vers d'autres langues. En effet, dans l'interaction 1 inguistique mère-enfant sourd, i 1 s'agit d'un français signé : la mère parle tout en faisant des signes : c'est ce qui est naturel pour elle et efficace pour son enfant. 11 ne s'agit pas de la réelle Langue des Signes car on le sait, il n'y a jamais correspon­

dance terme à terme entre deux langues quelles qu'elles soient. De plus, la langue orale et la Langue des Signes ont une structure très différente.

A partir de ce français signé, à partir de sa langue maternelle, l'enfant devra donc être en contact avec la Langue des Signes dans une communauté de sourds adultes. Il manipulera alors à l'âge préco­

ce de 3 ou 4 ans cette langue, comme tout autre enfant manipule la langue orale, lorsqu'il a pu, dans sa toute petite enfance, avoir sa langue maternelle.

Ainsi même l'enfant sourd de parents entendants peut connaitre un développement linguistique tout à fait harmonieux.

Parallèlement à l'acquisition de la Langue des Signes, l'enfant sourd débutera son apprentissage de la langue orale, apprentissage qui demande beaucoup de temps et de patience et doit recourir à une technique très appropriée, car c'est tout à fait une prouesse de parler lorsque l'on n'entend pas. L'enfant réalise d'autant mieux cette prouesse qu'il a pu communiquer dès son plus jeune âge grâce à la Langue des Signes et n'est pas resté dans les années primordia­

les de sa toute petite enfance sans système linguistique.

L'éducation de l'enfant sourd qui a eu droit à sa langue mater­

nel le débouche donc sur l'apprentissage de deux langues appartenant à chacune des communautés à laquelle il aura à appartenir: le mon­

de des entendants et le monde des sourds. Il s'agit là d'un réel bilinguisme vécu dans un contexte bilinguiste.

C o n c l u s i o n

Je donnerai en conclusion de témoignage de cette maman qui a voulu être la mère de son enfant sourd en recourant à la Langue des

Signes. Pour elle " refuser les gestes, cela aurait été refuser son en­

fant sourd". Or, dans son désir d'aimer et d'accueillir inconditionnel­

lement son enfant, dans sa différence même, dans sa surdité même, elle a découvert que "Io surdité c'est un handicap, oui, mais ce n'est plus une tragédie �" Son enfant de 3 ans

V2

est "normal, trop nor­

mal �",ne posant aucun problème particulier. En fait, cette mère entendante avait su donner à son enfant sa langue maternel le en accompagnant ses paroles de gestes appartenant à la Langue des Signes.

(15)

REFERENCES

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Wyatt - La relation mère-enfant et l'acquisition du langage.

Dessert,

1973

(lère édition

1969).

Chapitre Il

"LA LANGUE DES SIGNES"

(Symposium national de Chicago, mai-juin

1977)

Ce symposium sur la Langue des Signes Américaine a réuni plus de

250

participants et bien qu'il ait été prévu comme symposium national,

5

pays étrangers aux U.S.A. y furent représentés : l'Aus­

tralie, la France, la Grande-Bretagne, la Hollande et la Suède.

Ceci montre tout un changement à l'égard de la Longue des Signes dont le nombre des chercheurs, il y a une vingtaine d'années, se comptait sur les doigts d'une main.

Les thèmes traités ou cours de ce symposium touchaient deux do­

maines, celui de la recherche en Langue des Signes Américaine et celui de son ens eignement.

Quoique ce symposium n'ait pas eu directement pour thème la pédagogie de l'enfant sourd et les problèmes que soulève son éduca­

tion, Mme Borel-Maisonny

(1)

et moi-même avons trouvé très impor­

tant d'en connaître le contenu.

Degérando avait montré il y a cent cinquante ans que l'art d'ins­

truire les sourds-muets connaissait un certain vague, une certaine indécision. Il mentionnait différentes raisons. Je retiendrai l'une d'elles dons la présentation de ce symposium : "On a généralement trop négligé d'étudier avec suite et méthode ce que nous appelons l'histoire naturelle du sourd-muet, c'est-à-dire le phénomène intel­

lectuel et moral que représente le sourd-muet, avant qu'il reçoive l'instruction d'un maitre, et lorsqu'il n'a reçu encore que l'éduca­

tion des circonstances." "Cependant on le compare aux enfants ordinaires, on veut le traiter comme eux; on lui fait presque un tort des obstacles que sa condition lui crée et 9uelquefois même des erreurs qu'on commettait envers lui : on ne se met point assez à sa place

(2)

: et, tandis qu'on s'embarrasse dans les difficultés que

l'on rencontre, on ne tire pas assez de parti des ressources cachées qui subsistent."

(2).

"Ces signes mimiques propres au sourd-muet, inventés par lui, qui nous offriraient une image fidèle de ce qui se passe dans son intelligence n'ont même pas été recueillis et tracés

1. Fondatrice de l'orthophonie en France.

2.

C'est moi qui souligne.

(16)

dans aucun vocabulaire."

Il paraît en effet inconcevable d'éduquer un enfant sourd en fai­

sant abstraction de la communauté des sourds et en ignorant la lan­

gue de cette communaÜté : la Langue des Signes.

Et pourtant, c'est ce qui se fait trop souvent lorsque les parents et les éducateurs n'ont aucune relation avec le monde adulte des sourds et ignorent leur langue.

Or l'enfant sourd que nous éduquons deviendra un adulte sourd.

Même s'il arrive à parler avec des entendants il restera le fait qu'il n'entend pas. Et c'est une différence qui ne peut être ignorée. Ce symposium a été un magnifique exemple d'une rencontre et d'une collaboration entre les sourds et les entendants.

Dans l'auditoire il y avait plus d'un tiers de personnes sourdes et parmi les seize conférences que j'ai pu suivre, neuf, plus de la moitié, ont été données par des sourds.

Pour toutes les conférences, qu'elles soient faites en Langues des Signes Américaine ou en anglais, il y avait un interprète afin que, dans l'auditoire, sourds et entendants puissent suivre.

A ce sujet, il faut noter l'intervention de Louie J. Fant, fils de sourds, acteur et professeur de Langue des Signes Américaine (l).

Bien qu'il soit entendant, il choisit de faire sa conférence en Langue des Signes Américaine et il prit l'initiative de demander que so confé­

rence ne soit pas traduite simultanément en anglais mais qu'il puisse donner son exposé par petites parties, chacune d'elles étant ensuite traduite en anglais. Les deux langues pouvaient ainsi prendre chacune leur envol. Les entendants ayant leur attention libérée de la traduction anglaise simultanée, pouvaient goûter pleinement toute l'élégance et toute la beauté de la Langue des Signes Américaine. Louie Fant fut suivi dans son initiative par d'autres conférenciers sourds.

C'est ainsi que ce symposium se déroula dans une atmosphère de célébration. Il fut une fête en l'honneur de la Langue des Signes Américaine, bannie de l'éducation des sourds en 1880. Cette date fut souvent évoquée pour montrer qu'en 1977, presque cent ans plus tard, la Langue des Signes peut réapparaître en plein jour et ne plus être reléguée aux endroits sombres et aux situations honteuses.

Après avoir tenté de faire partager le climat dans lequel s'est

1. Aux U.S.A., cette expression est abrégée en A. S. L. {American Sign Language) ou Ames Ion.

déroulé ce symposium, en voici maintenant le résumé en suivant les deux thèmes qui ont été traités.

L ' e n s e i g n e m e n t d e l a L a n g u e d e s S i g n e s A m é r i c a i n e Terrence J. O'Rourke, directeur du "Communicative skills program"

de ('Association Nationale des Sourds, a fait un historique de l'ensei­

gnement de la Langue des Signes Américaine à travers les publica- tions faites sur cette langue. .

En 1856, James S. Brown's publia "A vocabulary of Mutes Signs"

et jusqu'en 1960, il n'y eut que très peu de publications. Seulement trois ouvrages sont à relever. En 1918 parut "The Sign Language : a Manual of Signs" de Long J. Schuyler; en 1923 parurent "A Handbook of the Sign Language of the Deaf" de Mi chaels (J. W.) et "How to talk to the Deaf" de Hiffins (D. D.).

C'est seulement depuis une quinzaine d'années que le nombre des publications augmenta grâce aux travaux du linguiste W. Stokoe, directeur du laboratoire de recherche en linguistique au Gallaudet College. En 1960, il publia "Sign Language Structure : An outline of the Visual Communication System of the American Deaf in 1960"

Puis, en 1965, parut son dictionnaire de la Langue des Signes fait en collaboration avec deux autres linguistes sourds. Tous les travaux qui ont suivi sur les Langues des Signes et qui se font ac

uellei;ie�t prennent comme référence les recherche de W. Stokoe. C est ainsi qu'en France, l'étude faite par Pierre Sallagoïty {1975) sur la Lan­

gue des Signes Française, s'appuie sur les données de W. Stokoe.

Jusqu'à W. Stokoe, on ignorait les langues des signes, on ne l:ur reconnaissait pas le statut de langue. Les sourds ont certes tou1ours utilisé leur langue mais sans avoir conscience de sa réalité en tant que système linguistique. C'est donc à partir de 1960 qu'aux U.S.A.

la Langue des Signes Américaine, reconnue, prit son essor. Le pro­

blème de son développement de son enseignement se posa.

On recourut à elle dans l'éducation des sourds oD fut préconisée la communication totale. -

Cette dernière n'est pas une méthode mais simplement une option philosophique. Elle consiste à recourir à tout ce gui peut augmenter la communication entre l'enfant sourd et son entourage.

- Dans cette optique de la communication totale, il apparaît néces­

saire que parents et éducateurs d'enfants sourds connaissent la Langue

(17)

des Signes Américaine. li en est résulté une grande demande au ni­

veau de l'enseignement de cette langue.

T.O'Rourke a établi un questionnaire pour savoir ce qui se passait réellement dans cet enseignement de la Langue des Signes Américai­

ne. Sur 278 enseignants touchés, seulement 203 enseignaient Io Lan­

gue des Signes Américaine. Les 75 autres enseignaient soit de l'an­

glais signé - les signes sont mis dons l'ordre de l'anglais - soit des systèmes artificiels - non seulement les signes sont mis dans l'ordre de l'anglais, mais des signes nouveaux sont créés pour rendre compte des marques grammaticales anglaises et de l'étymologie de certains mots. Ces systèmes artificiels sont nombreux et visent à représenter visuellement la langue anglaise. Les plus connus de ces systèmes sont : SEEl (Seeing Esssential English), SEE2 (Signing Exact English),

"LOVE" (Linguistic of Visual English), etc. Sur les 203 enseignants qui enseignaient la Langue des Signes Américaine, la langue natu­

relle des sourds américains, 93 seulement pratiquaient cette langue depuis 4 ans et les outres depuis moins de temps. Or, pour

T. 0' Rourke, c'est 6 ans de pratique journal i:ère qui sont nécessai­

res pour arriver à maihiser parfaitement cette langue, la signer d'une façon tout à fait aisée et sons bavure aucune.

Puisqu'on ne peut enseigner correctement que ce que l'on possède excellemment, on voit donc qu'il reste encore beaucoup à faire aux U.S.A. pour améliorer cet enseignement de la Langue des Signes Américaine. Cependant, celle-ci est enseignée dans certains collèges

et certaines universités et les étudiants peuvent choisir ce cours dans leur cursus scolaire et universitaire au même titre que n'importe quelle autre langue.

T. O'Rourke clôtura sa cor.férence en montrant un fi lm de 1913 présentant un hommP. âgé et très digne qui faisait un discours en Longue des Signes Américaine pour demander aux sourds de préser­

ver leur langue. Ceci se passait 33 ans après le congrès de Milan.

Toute l'assemblée fut bouleversée à la fois par le style et le con­

tenu de ce discours. L' "orateur" parlait du temps lointain où, 50 ans plus tard, d'autres générations regarderaient ce film et connaî­

traient ainsi l'état de la langue en 1913. En juin 77, les 50 ans se trouvaient écoulés depuis longtemps ...

Puis Harry Hoemann, professeur en psycholog.ie en Ohio, spécia­

lisé dans l'enseignement de la Langue des Signes Américaine, a montré comment il procédait dans sa pratique pédagogique. li ne veut pas tenir séparés l'univers de la salle de classe et le monde

des sourds. Son enseignement a pour but de rendre ses élèves capa­

bles de faire leurs premiers pas dans la communauté des sourds. C'est avec eux qu'ils perfectionneront leur langue des signes. Ceci est le propre de la pédagogie de toute langue étrangère : le professeur d'anglais veut donner à ses élèves la culture anglaise, il sait que seul un séjour en Angleterre parachèvera son enseignement.

Harry Hoemann invite aussi les sourds à venir dans sa classe : il les utilise comme informateurs pour montrer aux élèves toutes les possibilités de traductions différentes d'un énoncé anglais en Langue des Signes Américaine. Les élèves découvrent ainsi toutes les nuan­

ces de cette langue.

Il utilise aussi une technique très usuelle en anthropologie qui s'appelle la "back translation". Elle consiste à retraduire un texte dans la langue dont il provient. Ainsi pour vérifier la traduction d'un énoncé anglais en Langue des Signes Américaine, on montre cet énoncé à un sourd en lui demandant de le traduire en anglais.

Ceci permet des vérifications et une analyse plus fine de la Langue des Signes Américaine.

Harry Hoemann a proposé la progression qu'il utilise dans son propre enseignement. Il entraîne d'abord ses élèves à voir les données visuelles de cette langue des signes. li s'agit d'une éducation per­

ceptive qui est à la base de tout apprentissage d'une langue étran­

gère et de toute rééducation d'un retard de parole ou de langage.

Mais cette éducation perceptive au lieu de se faire dans le domaine de l'audition se fait dans le domaine visuel. Il s'agit d'éduquer le regard, d'en développer l'attention. Il s'agit aussi de foire prendre conscience de l'espace et de son utilisation par le corps.

Parallèlement à cette éducation, on donne aux élèves des modè­

les à imiter. Pour ce faire, H. Hoemann recourt à des bandes vidéo où des sujets sourds sont filmés de face et de profil. C'est un maté­

riel pédagogique très utile, permettant à l'élève de travailler seul et de gagner du temps dans la sa lie de classe. On sait que la per­

ception et la réalisation d'un mouvement vont de pair : on ne per­

çoit bien que ce que l'on sait produire.

Au niveau proprement linguistique, ce qui est d'abord développé c'est la capacité à recevoir un message en Langue des Signes Amé­

ricaine. En effet, dans tout apprentissage linguistique, la compré­

hension précède la réalisation.

De� linguistes sourds ont aussi fait d'excellentes conférences à propos de cet enseignement de la Langue des Signes Américaine.

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