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Le pouvoir par le discours

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Academic year: 2022

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Texte intégral

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Groupe & Société

Publication pédagogique d’éducation permanente

Groupe & Société

Publication pédagogique d’éducation permanente

mobilisations sociales

Le pouvoir par le discours

La légitimation comme stratégie de domination

Sacha Lesage

mobilisations sociales

Groupe & Société

Publication pédagogique d’éducation permanente

Satisfaction au travail et conflits de valeurs

Sylvain Delouvée Thaïs Birot

travail en action

Qui est le moins aliéné : l’individu qui travaille avec pour seul objectif de gagner sa vie ? Ou celui qui s’engage au nom de valeurs mais qui n’a «plus de vie» car sa vie professionnelle et sa vie privée se rejoignent voire se confondent ? Autrement dit, quelle est la place des va- leurs en situation de travail ? Il s’agit ici de présenter et d’articuler les notions d’engagement, de satisfaction au travail et de (changements de) valeurs (en organisation) à travers une étude de cas d’une association sans but lucratif de l’Économie sociale et solidaire.

Avec le soutien de la Fédération Wallonie-Bruxelles

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CDGAI

Centre de Dynamique des Groupes et d’Analyse Institutionnelle asbl Publication pédagogique d’éducation permanente

Satisfaction au travail et conflits de valeurs

Auteurs Sylvain Delouvée et Thaïs Birot Concept et coordination Marie-Anne Muyshondt - CDGAI

Collection Travail en action - 2015

Éditrice responsable : Chantal Faidherbe Présidente du C.D.G.A.I.

Parc Scientifique du Sart Tilman Rue Bois Saint-Jean, 9 B 4102 - Seraing - Belgique Graphisme : Le Graphoscope legraphoscope@gmail.com

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Les publications pédagogiques d’éducation permanente du CDGAI

La finalité de ces publications est de contribuer à construire des échanges de regards et de savoirs de tout type qui nous permettront collectivement d’élaborer une société plus humaine, plus « reliante » que celle qui domine actuellement. Fondée sur un système économique capitaliste qui encourage la concurrence de tous avec tous et sur une morale de la responsabilité, notre société fragilise les humains, fragmente leur psychisme et mutile de nombreuses dimensions d’eux- mêmes, les rendant plus vulnérables à toutes les formes de domination et oppression sociétales, institutionnelles, organisationnelles, groupales et interpersonnelles.

La collection Travail en action

Champ hautement investi socialement et économiquement aussi bien au niveau sociétal qu’institutionnel, organisationnel, groupal et individuel, le travail, ou notre absence de travail, s’impose dans notre environnement comme une manière de nous définir, de structurer nos vies, notre temps, nos espaces. Il peut être source de notre emprisonnement mental et physique ou terrain propice à nous émanciper individuellement et collectivement.

Ces publications proposent une lecture critique du travail sous le prisme de la souffrance qui peut en résulter. Tout en se voulant dénonciatrices des mécanismes structurels qui produisent insidieusement ces souffrances, elles sont des grilles de lecture de l’expérience vécue ou écoutée par les acteurs des secteurs sociaux, socioculturels, de la santé et de l’économie sociale, dans l’intention d’initier ou de renforcer des cheminements individuels et collectifs vers des issues possibles.

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3 Intentions de ce livret

Qui est le moins aliéné : l’individu qui travaille avec pour seul objectif de gagner sa vie ? Ou celui qui s’engage au nom de valeurs mais qui n’a «plus de vie» car sa vie professionnelle et sa vie privée se rejoignent voire se confondent ? Autrement dit, quelle est la place des valeurs en situation de travail ? Il s’agit ici de présenter et d’articuler les notions d’engagement, de satisfaction au travail et de (changements de) valeurs (en organisation) à travers une étude de cas d’une association sans but lucratif de l’Économie sociale et solidaire.

Publics visés

u Travailleurs sociaux

u Salariés de l’économie sociale et solidaire

u Salariés de structures associatives

u Toute personne intéressée par le sujet

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SOMMAIRE

Sommaire 5

Introduction 7

Quelques repères 9 La satisfaction au travail 9 Les valeurs 10

L’engagement 12

Le conflit et le changement 13 Étude de cas 15

L’Association 15

Les témoins 16

Croyances et valeurs 18 Définir l’Économie sociale et solidaire 18 Quelles sont les valeurs qu’ils défendent pour eux ? 22 Quelles sont les valeurs qu’ils partagent ? 25

Conclusion 35

Bibliographie 37

Annexe : Les 10 valeurs de Schwartz 40

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INTRODUCTION

MARION, 23 ANS

Marion a terminé ses études universitaires en sciences humaines et sociales il y a quelques mois. Elle est ensuite partie pendant trois mois à l’étranger pour travailler bénévolement au sein d’une organisation non gouvernementale afin de lutter contre l’illettrisme.

Riche de son expérience et de retour en Belgique, Marion a décroché un emploi dans une asbl dont l’objectif principal est la lutte contre le décrochage scolaire des jeunes enfants. Ses missions sont extrêmement variées : elle y anime des ateliers, propose des actions culturelles ou éducatives, participe à des projets menés en collaboration avec d’autres asbl.

Elle s’investit énormément et ne compte pas ses heures. Ses week-ends sont souvent occupés et il n’est pas rare que, sur son temps libre, elle donne un coup de mains ou travaille chez elle sur de futures actions. L’ambiance est agréable au sein de l’asbl et souvent, elle retrouve ses collègues pour boire un verre ou assister à un concert. Les discussions qui s’en suivent sont alors l’occasion de «refaire le monde» ensemble.

Depuis quelques semaines, cependant, Marion s’interroge sur son avenir. Les jeunes qu’elle côtoie sont toujours aussi attachants, ses collègues s’investissent autant qu’elle, les projets s’enchainent à un rythme élevé mais… mais…

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Il lui est également demandé de plus en plus de rapports d’activités, d’évaluer les performances des actions mises en œuvre, de lister des objectifs et de noter leur degré de réalisation, de se concentrer sur des actions moins chères, d’arrêter certains groupes où il n’y a plus assez d’enfants…

Marion a l’impression d’être de moins en moins à sa place. Est- ce l’asbl qui évolue... qui modifie ses missions ? Ou est-ce elle, Marion, qui change ? Elle se sent de plus en plus en décalage avec les valeurs qu’elle pensait partager avec l’asbl.

u

Ce cas, fictif, nous permet de nous interroger sur la satisfaction au travail, sur les valeurs (les nôtres et/ou celles de la structure dans laquelle nous travaillons) et sur l’engagement.

Professeur, policier, médecin, avocat, membre d’une association sans but lucratif... à quel point s’engage-t-on et choisit-on une voie professionnelle par adhésion à des valeurs, à un idéal, à des grands principes ? Et que se passe(ra)-t-il si la réalité du métier ou le contexte professionnel entrent finalement en contradiction avec ces valeurs ?

Il n’existe évidemment pas une seule réponse et il ne s’agit pas, ici, de fournir un modèle prêt-à-penser et prêt à appliquer. Après quelques repères théoriques, nous proposerons une étude de cas réalisée auprès d’une association sans but lucratif française s’inscrivant dans le cadre de l’Économie sociale et solidaire.

Nous constaterons que les membres (salariés, administrateurs, bénévoles...) s’interrogent pour des raisons similaires ou différentes mais pratiquement toujours liées à des valeurs.

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QUELQUES REPÈRES

LA SATISFACTION AU TRAVAIL

Au même titre que la performance, la satisfaction au travail peut être vue comme un indicateur du fonctionnement des entreprises et de certaines organisations. Tout autant que ce qui est «produit» (en quantité et/ou en qualité), la satisfaction des ouvriers, des employés et des salariés eux-mêmes semble être de plus en plus prise en compte.

Au cours du 20ème siècle, par exemple, plus de 10.000 études portant sur la satisfaction au travail ont été réalisées (Spector, 1997) ! Cette satisfaction au travail a généralement été étudiée sous l’angle des facteurs liés à l’environnement de travail (variété des compétences, identité de la tâche, sens de la tâche, autonomie et feedback sur le travail ; voir Hackman et Oldham,1976) et sous l’angle des facteurs liés à l’individu lui- même. Dans ce dernier cas, il s’agissait de voir si certaines caractéristiques telles que l’âge, le sexe, le niveau socio-culturel ou certains traits de personnalité pouvaient avoir un effet sur la satisfaction au travail.

Castel et ses collaborateurs (2011), à travers leur étude comparant une SCOP (société coopérative et participative) et une SARL (société commerciale) ont montré que «les principes soutenus par les organisations relevant de l’économie sociale, et par les SCOP en particulier, ont un effet positif sur la satisfaction au travail. Celui-ci réside dans l’adhésion des salariés à ces principes (…) : utilité plutôt que rentabilité, autonomie en interne comme à l’externe, processus de décision démocratique, réduction de la séparation entre conception et exécution.» Satisfaction et valeurs semblent donc liées. Mais jusqu’à quel point ?

La satisfaction au travail est définie par Locke (1969) comme

«l’état émotionnel agréable résultant de l’évaluation de son travail comme accompli ou facilitant l’accomplissement des valeurs de son travail.

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L’insatisfaction au travail est l’état émotionnel désagréable résultant de l’évaluation de son travail comme frustrant ou empêchant l’accomplissement des valeurs de son travail ou entraînant des dévalues. La satisfaction et l’insatisfaction au travail sont fonction de la relation perçue entre ce qu’une personne a besoin dans son travail et ce qu’elle perçoit de lui comme offrant ou comportant» (p. 316).

Il s’agit donc d’une évaluation, ou d’une attitude, liée aux valeurs de son travail. Valeur propre, valeur personnelle, valeur du travail, de quelle valeur s’agit-il ?

LES VALEURS

Les différents auteurs qui se sont penchés sur la notion de valeurs ont tenté de déterminer des structures de valeurs Morchain, (2009). Pour Rokeach, par exemple, le nombre de valeurs d’une personne est relativement petit ; tous les êtres humains ont les mêmes valeurs mais à des degrés différents ; les valeurs sont organisées en systèmes de valeurs ; les origines des valeurs humaines se trouvent dans la culture, la société, les institutions et la personnalité ; les conséquences des valeurs se manifestent pratiquement dans tous les phénomènes que les chercheurs en sciences humaines peuvent étudier.

Rokeach considère plus précisément que les valeurs représentent des croyances qui peuvent avoir des composantes cognitives, affectives et comportementales :

u la composante cognitive d’une valeur est une croyance descriptive ou existentielle qui peut être vraie ou fausse ;

u la composante affective d’une valeur est une croyance évaluative où l’objet est évalué bon ou mauvais ;

u la composante comportementale d’une valeur est une croyance prescriptive par laquelle une action est jugée désirable ou indésirable.

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Rokeach différencie en 1973 les valeurs terminales, qui sont auto-justifiées et indiquent les buts posés par chacun pour soi-même ou la société, des valeurs instrumentales qui sont un moyen, un mode de conduite permettant d’atteindre les précédentes. Ainsi, la valeur «honnête (sincère, vrai)» peut être un moyen d’atteindre la valeur «égalité (fraternité, chances égales pour tous)», mais l’inverse n’est pas vrai.

À sa suite, Schwartz en 1996, va définir sous la structure du Circumplex dix valeurs absolues qu’il considère universelles (cf. Annexe). Ces dix valeurs se regroupent en deux oppositions : «transcendance de soi» versus «affirmation de soi» et «conservatisme» versus «ouverture au changement».

Une personne «universaliste» ou «bienveillante» devrait donc être tournée vers la «transcendance de soi» et opposée à une personne ayant des valeurs de «pouvoir» et d’

«accomplissement» orientée d’avantage vers l’ «affirmation de soi». Il est également à noter que les valeurs guident l’action selon leur importance.

Ainsi, pour reprendre l’exemple particulièrement pertinent ici, de Chataigné (2014) : «choisirons-nous un emploi dans un domaine social coopératif, très enrichissant humainement mais de moyen statut et de salaire faible ou dans un domaine commercial compétitif, de haut statut avec des revenus très élevés ?». Le premier cas peut illustrer les salariés de l’économie solidaire tandis que le second cas illustrerait l’économie capitaliste. Or ces deux cas illustrent également les deux valeurs opposées de transcendance et d’affirmation de soi. Cela révèle un salariat associatif tourné vers la transcendance de soi opposé à un salariat capitaliste tourné vers l’affirmation de soi.

Maio et Olson (1998) ont montré que les valeurs étaient des truismes, qui sont selon McGuire (1964) «des croyances qui sont si largement partagées dans le milieu social de la personne qu’elle ne les aurait jamais entendu être attaquées, et par conséquent, pour lesquelles elle douterait qu’une attaque soit possible».

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De cette manière, une personne s’attache à une valeur, non parce qu’elle sait, cognitivement, qu’elle est juste, mais parce qu’elle y est attachée affectivement, qu’elle lui a été enseignée comme un absolu moral (Chataigné, 2014), qu’elle s’y est souvent rapportée dans ses comportements passés (Morchain, 2009) et qu’elle n’a jamais entendu les raisons de s’y opposer.

Le lien entre les valeurs personnelles et les valeurs organisationnelles a aussi été étudié. C’est ainsi que Stinghlamber en 2004 montre que la congruence subjective entre les valeurs de l’individu et celles de l’organisation favorise l’engagement au travail. Ainsi, plus que la distance relative entre les jugements de l’individu et de l’organisation, c’est la distance perçue qui est déterminante de l’engagement de la personne.

Néanmoins, le salarié peut trouver sa place dans la structure même s’il ne partage pas l’ensemble des valeurs organisationnelles. En effet, il est très peu probable qu’un individu puisse trouver dans une organisation, l’exact reflet des valeurs qu’il veut trouver. Ainsi, c’est bien plus l’accumulation de points de congruence objective entre les préférences individuelles et le climat d’organisation qui peut entraîner le développement d’attitudes positives envers le travail et l’organisation, tels que l’engagement normatif et le sentiment d’appartenance (Masclet, 2004, cité par Nyock Illouga 2006).

L’ENGAGEMENT

Les travailleurs associatifs sont souvent considérés comme militants engagés travaillant par vocation. Weber (d’après Chevandier, 2011) raccorde la notion de vocation à l’éthique qui est nécessaire au travailleur afin qu’il effectue sa tâche avec intérêt et de fait, évite l’aliénation. D’après Chevandier (2011)

«la vocation professionnelle rejoint une volonté d’engagement dans la cité. Cette dimension militante se manifeste en l’exercice d’un métier salutaire à autrui, mais aussi par le partage de la condition des plus exploités», elle se lie également pour lui à la rencontre d’un idéal.

L’engagement est multidimensionnel (Foucher et coll., 2004), il

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combine l’attachement et l’identification d’après trois éléments : l’attachement émotionnel face à l’organisation (affectif), l’attachement d’un individu dû aux sentiments d’obligation et de responsabilité (normatif) et les liens dépendants des bénéfices et des coûts que lui procure sa présence dans l’organisation (instrumental).

LE CONFLIT ET LE CHANGEMENT

Williams (1979) définit dix types de changements possibles, changements qui peuvent intervenir à tous les niveaux de formation des valeurs : la création d’une valeur suite à l’expérience vécue ou sa destruction soudaine ; l’atténuation due à la diminution de la revendication de cette valeur dans un groupe et son contraire, l’extension ; l’élaboration, où la personne ancre et rationnalise la valeur dans un réseau de valeurs ; la spécification d’une valeur liée à un événement clé ; la limitation face à d’autres valeurs ; l’explication de valeurs jusqu’ici implicites, qui vont se préciser ; la consistance de la valeur qui se modifie selon l’importance et le comportement que la personne adopte ; l’intensité de la valeur qui peut être modifiée.

On le voit, les valeurs peuvent donc évoluer et le niveau d’adhésion à celles-ci se modifier. Mais comment l’indivivu va-t-il gérer d’éventuels conflits entre ses propres valeurs ou entre ses valeurs et celles de son employeur ? Pour tenter de comprendre comment chacun peut s’y prendre (et ce qui peut le conduire à de tels conflits), nous vous proposons l’histoire d’une association sans but lucratif française dont l’activité s’inscrit dans l’Économie sociale et solidaire. Composée de salariés et de bénévoles, cette asbl connaît une certaine forme de crise d’identité. Comment chacun et chacune vont-ils se positionner... que faire ? Comment ? Écoutons leur histoire...

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ÉTUDE DE CAS

L’ASSOCIATION

Créée à la fin des années 2000, par Gilles*, son premier salarié, l’Association a augmenté son équipe d’un salarié par an. Elle est aujourd’hui composée de cinq salariés, d’une dizaine d’administrateurs et d’une centaine de bénévoles.

Elle agit au niveau de la politique locale, de la sensibilisation des citoyens, de la veille foncière, de l’accompagnement et de l’installation de porteurs de projets. Étendue sur tout le territoire, l’association souhaite se «départementaliser» afin de renforcer la convivialité et l’investissement des bénévoles. Cela aurait pour conséquence de rééquilibrer les responsabilités et peut-être de soulager les salariés d’une charge de travail trop importante.

Il y a quelques mois, l’embauche de Priscille a entrainé une réflexion sur la politique salariale. Le conseil d’administration a accepté l’augmentation des animateurs, en contrepartie de cela, certains souhaitent une montée en coopération dans l’équipe de salariés. Cela signifie que certaines tâches de coordination seraient réparties entre les divers salariés et que leurs missions de terrain seraient revues en fonction, afin d’éviter la surcharge de travail. Cette montée en coopération n’est à ce jour pas comprise ni acceptée par l’ensemble des salariés. Elle entraine ainsi certaines incompréhensions et donc certaines tensions et inquiétudes au sein de l’équipe. Le conseil d’administration, instance des bénévoles investis et décisionnaires, est également en pleine mutation : le président s’est retiré depuis l’année passée et le trésorier souhaite également passer la main.

Cinq salariés et trois administrateurs ont donc accepté de répondre à nos questions. Ces personnes interrogées se sont toutes engagées dans l’association pour son objet social.

Les administrateurs, quoique bénévoles, sont intéressants à interroger car ils travaillent avec les salariés. Ils sont statutairement leurs employeurs et ont un impact direct sur les décisions qui concernent la politique de la structure.

* Par souci d’anonymat, les prénoms sont fictifs et l’asbl sera dénommée l’Association.

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LES TÉMOINS

GILLES

Après avoir été administrateur au niveau national, Gilles a été à l’initiative de l’Association régionale. Il est aujourd’hui directeur, coordinateur et salarié, beaucoup le considèrent comme la pierre angulaire. Après un diplôme universitaire en économie, il a fait sa carrière dans le milieu associatif, a été élu de commune, militant et bénévole d’autres structures, jusqu’à aujourd’hui. Il attend un nouvel enfant et souhaite retrouver du temps pour sa vie personnelle.

SAMUEL

Après des études en économie et géographie, Samuel a travaillé quatre ans dans différentes structures (mairie, association d’aide à la personne, etc.). À cela ont succédé trois ans de chômage. Il est maintenant depuis trois ans salarié de l’Association, après en avoir été l’administrateur. Avant 2009 il ne s’était jamais investi pleinement dans une association. Il vient d’avoir son premier enfant et cela l’a amené à recadrer son temps de travail.

JEANNE

Après un stage et un poste d’administrateur dans une autre région de l’Association, Jeanne en est devenue salariée. C’est son premier poste salarié. Dès le lycée, «[elle a] commencé à questionner notre mode économique et social et du coup, [elle] est partie à l’étranger». C’est la raison pour laquelle elle a orienté ses études vers l’économie durable et les politiques culturelles. Jeanne n’a pas de famille à gérer mais elle souhaite tout de même trouver du temps pour elle et pour faire du bénévolat dans d’autres structures.

MARC

S’il n’a pas eu de sensibilisation particulière aux questions agricoles et altermondialistes, Marc s’est spécialisé en économie et en développement durable dans l’agriculture.

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Après avoir travaillé quatre ans dans l’agriculture biologique, il est devenu salarié pendant un an à l’Association. Il a donné sa démission afin de vivre sa vie de couple. Il souhaitait aussi découvrir autre chose que le salariat associatif dont il voit les limites.

PRISCILLE

Après des études de biologie et quatre ans dans une société d’agriculture biologique, Priscille a postulé pour remplacer Marc. Salariée depuis quelques mois, elle avait déjà côtoyé l’Association à travers le partenariat, et Marc dans un groupe d’échanges sur le salariat associatif. Elle comprend son embauche comme un challenge à remplir, un nouveau terrain à explorer, dans la continuité de son précédent travail. Elle avait rencontré dans sa précédente structure des difficultés organisationnelles suite au départ de son directeur et s’inquiète des réflexions organisationnelles qui ont lieu aujourd’hui à l’Association, et de l’équilibre personnel qu’elle pourra trouver afin de garder du temps pour sa famille.

PAUL

Professeur dans l’enseignement qualifiant, Paul est administrateur et trésorier de l’association depuis son origine.

Lors de la dernière Assemblée Générale, Paul s’est engagé à être président pour un an, la trésorerie n’étant plus compatible avec ses horaires de travail, et la condition des salariés l’intéressant particulièrement.

PATRICK

Aujourd’hui retraité, Patrick s’intéresse au devenir des terres et bâtis agricoles, depuis son adolescence «en voyant les dégâts collatéraux de l’agrandissement des terres agricoles et du remembrement». Après s’être investi dans des associations de protection du patrimoine et des paysages, il s’est investi dans l’Association. Il est devenu administrateur il y a quelques années et vice-trésorier lors de la dernière Assemblée Générale (faute de candidat pouvant assurer ce poste).

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SIMON

Simon a 36 ans. Père de plusieurs enfants, il vit dans une maison partagée. Après avoir été diplômé en sociologie, il est parti vivre à l’étranger. Il est actuellement salarié associatif.

Il est administrateur de l’Association depuis sept ans. Il souhaite aujourd’hui travailler à trois niveaux qui lui semblent nécessairement complémentaires : trésorier au niveau national pour la «pensée globale», bénévole dans son pays pour «l’agir local» et administrateur au régional pour lier les deux.

CROYANCES ET VALEURS

Que nous disent-ils de l’Économie Sociale et Solidaire, des valeurs qu’ils défendent pour eux, des valeurs qu’ils partagent et de celles qui trouvent de la résistance ?

DÉFINIR L’ECONOMIE SOCIALE ET SOLIDAIRE, UN EXERCICE SURPRENANT

«Ça ne peut pas continuer comme ça !!!». Sans que la question portant sur la société dans laquelle ils vivent ne leur soit posée, tous se positionnent : «l’économie conventionnelle m’insupporte» dit Gilles tandis que Samuel lui, veut s’opposer à «l’économie brutale» et prône la «décroissance» face à un monde de profit. Jeanne découvre (en partant à l’étranger pour questionner les rapports Nord-Sud) qu’elle veut fuir le «confort passif» que lui propose la société et recréer du lien entre les personnes, dans les échanges. Marc lui, a rejoint dans une période de transition personnelle l’Association. Ce qui l’a motivé c’est que «dans l’Association, il y a quand même une remise en question forte de la propriété privée».

Priscille qui le remplace est ici suite à diverses expériences :

«ça m’a semblé une évidence qu’il fallait repenser le schéma agricole, qui était prôné depuis quelques décennies ; pour des raisons environnementales et d’épanouissement humain».

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Patrick a enfin trouvé, après bien des années, une association qui permet un travail politique et concret de sauvegarde de la zone rurale, pour essayer de recréer une dynamique de respect de la terre et de vie sociale dans le milieu rural.

Paul, s’oppose au mensonge capitaliste : «ma préoccupation c’est la transformation sociale», après le vélo comme moyen de transport, il vient donc défendre l’agriculture. Simon enfin, s’interroge : «je veux comprendre de là où je viens, (…) finalement on est tous des déracinés, (…) on regarde autour de nous sans comprendre» alors il s’investi en tant que salarié associatif et en tant que bénévole.

Ils reprochent donc, collectivement, au monde actuel de

«prôner un libéralisme échevelé» (Gilles) qui amène à du «désengagement» et à un «confort personnel» qui se transforme en «passivité» (Jeanne), et donc en perte de liberté.

Et cela se fait à travers le «profit» et la «rentabilité» (Simon), pour valoriser le «progrès» (Paul). La conséquence est pour eux «domination», «exploitation» et «humiliation» (Gilles) en «assistant», «orientant» (Jeanne) et «écrasant l’autre»

(Samuel).

Ce qui les rassemble c’est donc le changement. Mais de quel changement parle-t-on ? Changer l’agriculture ? Changer la place de l’Homme ? Changer l’économie ?

Peu importe peut-être, «il faut changer le monde !» nous dit Samuel.

Il faut que l’économie majoritaire, le capitalisme cède sa place, et beaucoup de moyens sont bons dans et pour le respect de l’Homme et de l’environnement. L’Économie Sociale et Solidaire est un bon moyen de s’opposer à la société capitaliste, à «cette putain d’austérité» (Marc) et à la «domination» du «profit».

Qu’est-ce donc que cette «troisième voie» (Jeanne) qu’ils choisissent de créer ensemble ? Cette troisième voie veut montrer que le capitalisme et l’État social ne sont pas les seuls modèles possibles. Si l’État social compense aujourd’hui les inégalités dues au capitalisme, il ne s’y oppose pas, il est utile mais insuffisant.

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C’est pourquoi sont nés les «mouvements altermondialistes»

(Jeanne, Paul, Gilles) dont découle l’Économie Sociale et Solidaire. Mis à part Patrick qui ne parle pas une fois de l’Économie Sociale et Solidaire, tous, même Marc qui trouve ce terme «fourre-tout», sont d’accord pour distinguer l’économie sociale de l’économie solidaire. Marc définit l’Économie Sociale et Solidaire comme «une économie dans laquelle participe à égalité l’ensemble des acteurs, statutairement», lui qui rejette l’appartenance de l’Association à l’économie sociale semble présenter ici une définition proche de celle de ses collègues concernant l’économie sociale justement. Celle- ci est majoritairement définie comme définissant des statuts particuliers, un style de gouvernance (mutuelles, coopératives, association, SCOP...). Les membres de l’économie solidaire définissent l’économie comme «l’art de vivre ensemble dans la même maison, et de décider de construire les normes et règles du jeu pour vivre ensemble dans la même maison» (Gilles),

«c’est autre chose qu’un rapport médié par la monnaie» insiste Paul.

Si l’économie peut rapporter, elle doit être correctement réinvestie au projet commun, d’où la «finance solidaire» qui est un moyen pour Samuel et Simon d’investir et de faire vivre l’Économie Sociale et Solidaire. Paul et Simon reprennent volontiers le slogan «penser global, agir local» pour préciser la dynamique du projet, révélant par là la pensée de Priscille qui se prête au jeu de définir l’Économie Sociale et Solidaire qu’elle trouve séduisante comme étant «un cheminement pour repenser les façons de travailler dans l’économie». Réfléchir et agir pour créer, transformer, construire un autre monde avec une diversité de personnes d’horizons différents.

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Si chacun rejoint aujourd’hui l’économie solidaire par opposition au grand capital, ils s’y rapportent de quatre manières différentes que nous représenterons par la figure 1, ci-contre (nous laisserons désormais de côté l’économie sociale, dans laquelle ils se reconnaissent peu). Il y a ceux qui épousent la définition classique, que Gilles a donnée plus haut : l’économie solidaire, c’est l’art de vivre ensemble sous le même toit, et de décider du mode de fonctionnement du groupe.

Cette définition est donc reprise par Jeanne, Samuel, Simon et Paul (représenté par le polygone jaune). Il est à noter que ce sont les plus anciens qui se trouvent bien dans ce modèle, et si Jeanne cherche encore son équilibre dans son travail et dans le modèle associatif, tous se reconnaissent bien depuis un certain temps dans ce modèle alternatif. Nous avons ensuite Priscille qui, de par ses expériences «où la sphère de l’Économie Sociale et Solidaire se frôle, se rencontre, notamment en étant plus impliquée dans le monde agricole bio» rejoint petit à petit le mouvement car celui-ci «ne [lui] est pas du tout étranger, ça [lui] paraît naturel, mais ce n’est pas encore dans le langage spontané. Mais c’est séduisant !».

Marc lui a donc cédé la place, car il s’extrait de ce modèle

«fourre-tout». En vérité il ne rejette pas l’économie solidaire mais il lui donne sa propre définition. Ou plutôt, il en garde l’essence sans se rapporter au mouvement.

Economie Sociale et

Solidaire

Marc Patrick

Priscille

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De fait, il part des failles qu’il a décelées dans le modèle associatif pour construire un autre projet alternatif dans lequel il pourra allier autoproduction (qui fait défaut dans de nombreuses structures de l’économie solidaire), éducation populaire (un des piliers de l’économie solidaire) et activités culturelles.

Le dernier rapport à l’économie solidaire est celui qu’entretient Patrick. Ce dernier a toujours travaillé dans une entreprise classique, et il cherchait une structure orientée «vers la sauvegarde d’un autre modèle agricole. Donc … qui maintienne et la qualité de l’environnement, et la qualité sociale dans le monde rural, et la qualité des produits». Il s’avère que cette structure appartient à l’Économie Sociale et Solidaire.

Néanmoins, le fait même qu’il ne cite pas ce concept révèle bien son détachement. Il s’y est associé car cette structure et lui-même ont un cheval de bataille commun.

QUELLES SONT LES VALEURS QU’ILS DÉFENDENT POUR EUX ?

Nous avons quatre rangs d’intérêts : les valeurs se rapportant à ‘‘soi’’, à la ‘‘gouvernance’’ (intriquées pour les salariés), à

‘‘l’environnement’’ et, enfin, celles se rapportant au ‘‘social’’.

Concernant les valeurs se rapportant à soi, nous observons en premier lieu qu’elles sont surtout citées par les salariés.

Samuel, de manière forte, demande à «se protéger», de même que ses trois collègues salariés (distinguons Gilles, par sa place de coordinateur) présentent le besoin d’un «vrai cadre».

Ce cadre, Gilles a toujours voulu s’en défaire, tandis que les administrateurs ne souhaitent pas l’assumer, c’est pourquoi il n’apparaît pas lorsqu’ils parlent de leurs valeurs tel que le dit Simon «Je dirai que c’est pas le cadre qui m’intéresse, c’est plutôt l’horizon, les objectifs quoi. À ce moment là, on doit aussi prendre soin de l’équipe salariée c’est-à-dire des conditions de travail, du bureau, du respect du temps de travail, d’un certain nombre de règles. Moi à ce moment là, je dirais, que ça m’intéresse moins, je trouve qu’on perd une partie de la richesse initiale, de l’aventure commune, spontanée, au profit d’un fonctionnement qui… qui moi qui me convient moins.»

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Néanmoins, il est partie prenante avec les salariés pour vouloir un travail passionnant (de fait, il est lui-même salarié-associatif), de même que Patrick fait un lien entre l’Association et le terme de «convivialité». «Tripper» pour certains «convivialité» pour d’autres, sauf Paul, tous cherchent donc une vie passionnante au travail, et dans l’Association pour Patrick. Le «jeu» (Gilles) est important pour ce plaisir du travail, mais pour certains, il ne suffit pas au sens de ce même travail. Celui-là, Marc ne l’a pas trouvé à l’Association, le travail en bureau et les financements publics sont trop importants par rapport aux projets de vie qu’ils défendent. Et cela participe aussi aux questionnements de Jeanne lorsqu’elle aborde la question de la souffrance au travail : «il y a des difficultés qui sont pas mal engendrées par ces questions financières et peut-être qu’on aurait quelque chose à gagner à faire plus de choses ensemble [avec d’autres associations] ! Pas vouloir tous tout faire, mieux répartir les actions, être plus cohérent. Du coup être plus fort aussi vis- à-vis des financeurs.». Ce sens Samuel et Gilles le trouvent dans l’«honnêteté» qu’ils recherchent vis-à-vis du monde qui les entoure, «l’avantage dans l’Association c’est qu’il y a très peu de petites phrases dans le dos».

De même, s’ils défendent le lien social pour tous, ils demandent tous pour eux un lien fort dans l’équipe, le sentiment de «faire avec» et non «côte à côte». C’est là que le bât blesse pour Marc «il n’y a pas vraiment la volonté de créer une vraie équipe en fait, (…) il n’y a pas cette volonté de protection des uns des autres». Ainsi, Gilles, Priscille, Marc, Paul et Simon défendent la démocratie pour l’équipe, c’est pour cela qu’ils sont dans le modèle associatif, ils veulent l’égalité, l’écoute, l’échange, la participation de tous à tout.

De même, les trois administrateurs demandent et défendent la notion d’ «expression des salariés et des bénévoles». Ils le souhaitent mais il est difficile de le mettre en place, c’est là du ressort de la gestion des ressources humaines selon Paul

«d’arriver à créer des conditions d’expressions qui soient du côté des salariés ! Mais qui soient aussi du côté des administrateurs.

Expression qui permet effectivement à chacun, administrateurs ou bénévoles, de pouvoir s’exprimer.

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De pouvoir s’exprimer et, je dis bien que ça soit entendu». Reste à se mettre d’accord sur qui est en charge de cette gestion.

«Mais bon sang, ça serait quand même vachement plus confortable si y’en a qui prenaient leurs responsabilités !»

lance fatigué le coordinateur à la fin d’un entretien. Par cette phrase, le coordinateur révèle que lui aussi a besoin de confort, Gilles veut après cinq ans de pouvoir, ne plus avoir à tenir le gouvernail, et pouvoir, comme les autres, faire ce qui l’intéresse et «il faut absolument continuer à répartir la coordination. C’est, c’est évident !». Après un combat interne difficile, il rejoint ainsi l’ensemble des salariés, il rend principale la valeur de sécurité personnelle et se décharge de la valeur responsabilité.

Ces entretiens révèlent donc une structure où chacun veut être à égalité, par la démocratie, où le cadre n’est pas, où l’«on n’aime pas beaucoup le terme de supérieur hiérarchique» (Patrick).

Où des salariés se protègent d’un côté, et des administrateurs veulent «alléger [leurs] responsabilités» d’employeurs, face à un coordinateur qui a comme tabou «la domination» et jongle entre «être moteur» et «laisser la place avec douceur et progression». Ce qui rend délicat la gestion de l’association.

Enfin, il faut souligner que les différentes personnes prennent clairement position quant à la notion de militantisme. Pour Patrick «il faut être confiant, même un salarié qui rentrerait à l’Association deviendrait vite militant [de même] qu’être administrateur est une façon d’être militant.». Ainsi, pour lui tout étant hiérarchisé, il est évident qu’un salarié votant au CA

«Bah ça voudrait dire qu’ils seraient également administrateurs, salariés et administrateur. (…) Et avec une charge d’administrateur en plus, pour lequel ils ne seraient pas payés», pour lui le fait d’être salarié-militant ne donne pas droit au vote en CA et sont deux choses bien distinctes. De plus, le militant scrupuleux a du mal à laisser des travaux de côté, et comme il y a surcharge de travail, il doit faire des choix, et solliciter sa hiérarchie pour les choix de coupes.

Paul, quant à lui considère «qu’il vaut mieux être militant, mais c’est à chacun de voir».

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Et pour Samuel, «C’est tout vu ! La fameuse notion de «salarié- militant» (…) on [y] est clairement, ici. Parce qu’on explose les horaires», «Marc il a envie de militer ailleurs ! Moi en fait j’ai pas ce besoin là, ça c’est important !», car il aime et se nourrit de son boulot, et de la vie de la Maison des Solidarités, ce lieu dans lequel ils travaillent avec plusieurs autres associations.

Au contraire Priscille affirme «Moi je me vois vraiment comme salariée de l’Association, pas militante accessoirement payée». C’est pourquoi, à la différence de Samuel, elle défend fermement, avec les autres salariés, le droit à la vie privée par cette volonté «d’avoir du temps pour soi». Gilles est le seul à ne pas aborder le sujet sous cet angle, sa vie donnerait à voir un fervent salarié militant, mais il défend aujourd’hui fermement le droit à la vie privée, nous ne nous permettrons pas de trancher à son sujet.

QUELLES SONT LES VALEURS QU’ILS PARTAGENT ?

Revenons maintenant à ce que le groupe a en commun. Tous veulent le changement, et s’ils ne l’appellent pas comme cela, ils parlent «d’évolution», de «transformation» ou d’«adaptation».

Gilles, Jeanne et Simon souhaitent même créer des choses.

Hormis Paul, nous l’avons dit, ils ont tous en commun la recherche d’un travail passionnant. Tous abordent également le respect de l’environnement et le respect de l’homme, de manières plus ou moins spécifiées et plus ou moins fortes pour ces deux axes.

Notons que le respect de l’environnement se révèle pour chacun selon des modalités différentes, que ce soit par la sauvegarde du bâti, par la façon de produire, par la recherche d’une alimentation saine, tous veulent rendre à la terre son statut de «bien commun» (Priscille). Cela se fait par des méthodes telles que la «finance solidaire» (Samuel) dont l’Association est un outil. Cette finance solidaire permet ainsi le respect de l’Homme, car tous sont participants et à égalité pour accéder à la terre et donc à tout ce qu’on peut y faire : «se bécoter sur les bancs public», «se loger» ou «produire» (Gilles).

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La participation est de meilleure «qualité» (Patrick) et plus

«conviviale» (Patrick) si elle est faite en «proximité» (Jeanne), si l’on peut s’organiser en petits groupes (Jeanne), pour augmenter un «bien-être social et sain» (Paul). Remettre l’Homme au centre, en faisant attention aux conséquences sociales et environnementales de nos actes sont donc des valeurs absolues, et nul ici ne les remet en question. Par conséquent, nous ne nous étendrons pas plus longuement dessus. Voyons plutôt ce qui est partagé et nuancé.

Mis à part Patrick, tous soulignent qu’à l’Association la notion de travail en équipe est importante. L’équipe peut-être celle des salariés du mouvement comme le dit Samuel, celle des salariés tel que l’emploient Gilles et Paul, mais au-delà de cette catégorisation ce n’est pas seulement telle équipe qui leur importe que le travail en équipe, le soutien social, l’entraide, le partage qu’ils peuvent avoir, tel que le dit Priscille : «C’est chouette parce que c’était effectivement une de mes motivations pour changer de boulot. Trouver un peu plus de soutien au niveau des administrateurs et (…) moi ça me va bien d’avoir des administrateurs qui soient à la fois collègue de travail et employeur».

Et Marc obtempère plus ou moins en relativisant ses durs propos :

«Parce que attention (…) y a quand même une vie d’équipe un peu, enfin tu vois mais ... je pense que ça pourrait être mieux».

Et cela ne saurait surprendre puisqu’ils sont tous attachés «à cette valeur qui est chère [à Gilles], qu’est la fraternité.» La première chose que nous dit Jeanne à propos de l’Économie Sociale et Solidaire, c’est : «il y a un aspect humain qui est hyper prégnant, avec tout ce que ça engendre, en terme de relation humaine. Qui sont vachement plus fortes». Marc en parle comme un défaut, quelque chose d’absent à l’Association, et à regret, car il a «quand même tiré deux, trois fois la sonnette d’alarme». Pour les autres la fraternité se décline donc au sein de l’association et à l’extérieur sous les termes divers de «vivre / faire ensemble» (Samuel, Jeanne, Gilles, Priscille, Patrick, Paul), de «liens» (Samuel, Jeanne, Gilles, Patrick), de

«passerelles» (Samuel), de «participation» (Samuel, Gilles, Patrick, Paul), «d’énergie collective» (Priscille), de la volonté que chacun puisse prendre sa place (Jeanne, Paul, Simon).

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Comment s’effectue ce respect ? Comment permettre à chacun de trouver sa voie et d’être libre ? Travailler à l’ouverture semble un bon moyen. L’ouverture de soi aux autres que revendiquent les administrateurs, Gilles et Jeanne, et l’ouverture des autres.

Ainsi, Gilles a toujours été curieux et avec Paul, ils veulent pouvoir laisser la place à la diversité. «[le vote individuel des salariés] pourrait effectivement être plus intéressant, dans l’expression de la diversité d’opinions».

De même Jeanne propose pour les autres, et pour elle l’éducation continue car par exemple, «faire ensemble pour bien le faire, ça demande aussi pas mal de billes mine de rien.». Et c’est cela que défendent les autres lorsqu’ils prennent pour exemple «l’éducation populaire» à laquelle Patrick préfère le terme «moins pompeux» «d’information du public». Cette

«individuation réciproque du collectif et de l’individu» dont parle Gilles à propos de la diversité des personnes qui entrent dans le mouvement de l’Association rejoint cette volonté d’avancer, de progresser afin que chacun puisse envisager un autre monde que celui dans lequel il vit. Se laisser «décaler».

C’est cet ensemble de «progressistes» qui réjouit Marc et que Patrick trouve par trop porteurs de «messages idéalistes». Ces messages trop idéalistes et par trop peu concrets faisant trop de tords selon lui à une bonne réception du message duquel ils sont porteur.

Un dernier point commun ? Trouver l’équilibre, c’est ce que recherchent et ont trouvé les trois administrateurs et le coordinateur dans leur engagement. Simon, administrateur au national, au régional et bénévole s’explique : «Pourquoi ? Bah parce que je trouve que c’est bien. «Penser global, agir local» quoi ! En tout cas, moi, ce qui a le plus de sens pour moi dans l’action de l’Association c’est (…) au niveau local c’est là aussi qu’on voit les réalisations les plus concrètes. Et au niveau global c’est là qu’on agit sur des enjeux plus globaux, plus nationaux et je trouve que on doit forcément alimenter les réflexions nationales par du vécu au niveau local quoi. Et voilà, donc les allers-retours sont, sont nécessaires.»

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L’administrateur se charge du politique et le bénévole du terrain autour d’un projet concret. Les trois administrateurs s’occupent, ou se sont occupés, de dossiers concrets et tous trois ont accepté

«de prendre un peu plus de responsabilités» (Patrick). Gilles est salarié, il s’occupe donc du terrain, mais il a également à cœur, le politique «dans le sens où ce que j’aime le plus faire et où (…) je suis bon (…) c’est les liens politico-institutionnels, enfin, le travail politico-institutionnel. Dans politico, c’est politique au sens large, ça n’est pas qu’institutionnel, je précise».

Mais s’ils le disent haut et fort, ils ne sont pas les seuls à souhaiter cette action globale et locale. Pour Marc «le conseil d’administration (…) c’est [leur] outil de travail et [il a]

envie de le maîtriser [son] outil de travail», les salariés plus professionnalisés que les administrateurs sont plus à même de voter selon lui les bonnes orientations, car c’est eux qui sont sur le terrain le plus souvent. Il en va de même pour Priscille, la nécessité du vote en moins, elle veut avoir un minimum de participation aux orientations politiques : «le CA peut pas (…) faire abstraction de ce que nous, on vit, de ce qu’on ressent de notre position. Et ça, du coup j’ai l’impression que c’est à peu près le cas. Enfin, voilà, on est présent dans la plupart des instances décisionnaires.».

Jeanne et Samuel semblent moins vouloir agir politiquement à tout pris. Jeanne a une vision globale et la met seulement en œuvre au niveau local. Quant à Samuel, il se conforte

«politiquement et amicalement» à la Maison des Solidarités et avec son administrateur référent, mais il ne semble pas y attacher un investissement plus spécifique, tel que Simon ou Gilles peuvent le faire.

Que signifie «équilibre» pour eux ? Dans la définition même d’équilibre, il y a une tension à ne pas perdre, il est donc important de trouver un accord. Faut-il, comme le défend Gilles, aller chercher de nouveaux projets afin de créer de la stimulation, d’être vu et connu et d’agir à tout niveau ? Ce qui est généralement mis en œuvre, car «de toute façon, Gilles a suffisamment de ressources argumentatives pour montrer par

«A+B» que c’est nécessaire de s’engager dans ce nouveau partenariat, ce nouveau projet», comme le stipule Simon.

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C’est lui-même qui a le sentiment d’une «fuite en avant» ayant l’impression qu’il s’agit bien plus de «rentrer de l’argent dans la structure et de financer l’activité».

Il est rejoint là-dessus par Patrick qui s’interroge sur la charge administrative liée à la recherche de financement qui pèse sur les salariés. Ainsi, Simon proposerait bien plus de «finir le job»

car il y a une «responsabilité» face à toutes les personnes devant qui ils ont pris un «engagement». Ainsi l’équilibre global-local est encore fragile en acte, et Jeanne demande à être écoutée

«si on ne prend pas le temps d’arrêter le train, le train il est en marche et j’ai l’impression qu’on s’est peut-être pas assez posé, ou on s’est peut-être pas assez donné le temps de se dire : «bon alors, où on en est ? Qu’est-ce qu’il se passe ? Est- ce qu’on est bien ? Où on va ? Qu’est-ce qui nous va, qu’est- ce qui nous va pas, comment on pourrait améliorer ?». Cela leur permettrait peut-être d’éclaircir et d’équilibrer justement les points de désaccords.

Quelle est la valeur qu’ils défendent vigoureusement, qui n’a pas (encore) sa place à l’Association et entraine chez eux des frustrations ?

Ils sont nombreux à vouloir se protéger, mais Samuel défend vraiment cela de manière rigide «là on a un flou qui permet, qui est un mélange de perso et de boulot. Permanent. (…) Même si moi je bosse moins le soir en ce moment depuis ma fille, (…) de toute façon faut arrêter les conneries.». Se protéger au détriment des autres «moi je dis non. Non, clairement. Trop sûrement. Ou en tout cas pas assez de manière structurée mais c’est aussi une réaction j’pense un peu épidermique. Un côté,

«non, non non. C’est pas nos missions, c’est pas là où on est, et puis ça sera pas dans les miennes», sauf si c’est trop dur pour eux : «J’en ai rien à foutre de ce qu’il se passe ici, parce que j’ai pas le temps dans ma tête de m’en occuper. (…) sauf si c’est vraiment une grosse difficulté que [mes collègues] rencontrent, mais sinon, rideaux !». Gilles le souligne de manière aussi épidermique que Samuel le défend.

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Jeanne, comme beaucoup d’autres, s’interroge sur la manière de mener le projet de base : «on s’est construit sur un discours, ou sur ce projet de base, qu’on a du mal à questionner j’ai l’impression». À une seule différence, tant que l’Association n’aura pas pris le temps de se recentrer, elle aura du mal à avancer. Jeanne met donc en exergue la valeur de changement, mais un changement interne, pour redéfinir le projet. Elle est d’ailleurs la seule à dire : «on aurait beaucoup à gagner à s’associer avec les gens proches de nous, d’autres acteurs associatifs (…) à ne pas vouloir tout faire, à mieux répartir les actions». Et derrière cela, c’est sa difficulté personnelle à «placer ses limites» qu’elle exprime. Même volonté de se protéger que Samuel, mais une mise en place différente. Très différente, car lui ne semble pas nécessairement prêt à redéfinir le cadre, à réinterroger le projet, il a trouvé son confort.

Marc n’était pas assez attaché au projet lui-même, pour se battre et y croire comme le fait Jeanne. Lui, il avait un cheval de bataille : «la valeur travail». Quelle est-elle ? «C’est-à-dire, quelle valeur on donne au travail. Dans ce sens, du coup, quels postulats de départ on donne sur la valeur travail et quelles limites aussi. C’est-à-dire : est-ce qu’il est acceptable de travailler au salaire minimum, par exemple, pour l’Association ? Est-ce qu’il est acceptable de travailler 45h quoi ! (…) Y’a des gens qui se sont battus pour la réduction du temps de travail, en disant justement «la valeur travail», faisant en sorte que le travail n’est pas uniquement le seul leitmotiv’ dans la vie quoi.». Les deux tiers de l’entretien porteront sur cette valeur à travers les maux de la gouvernance et de la coordination.

Ne voulant s’exténuer à la reconnaissance de cette valeur au sein de l’association, et ne croyant plus du tout à ce modèle, il préfère appliquer à sa façon le modèle de «décroissance et [de]

sobriété heureuse» ailleurs.

Priscille, à peine arrivée et déjà dépassée, semble assez convaincue d’«être dans une association davantage portée par les membres de la société civile», «une association de militants engagés pour défendre un projet de société qui leur va bien».

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Ainsi, elle souligne : «hier un groupe local s’est organisé sans que je fasse quoi que ce soit (…) c’est hyper plaisant» tout en restant consciente «ça va être des règles qui seront à chaque fois spécifiques à chaque groupe, je pense». Confiante aussi vis-à-vis des administrateurs «réalisant aussi de l’animation de territoire, (…) je pense que c’est ça qui les botte le plus (…) pouvant aussi venir en soutien» tout cela répond jusqu’alors à l’une de ses motivations pour changer de travail «trouver un peu plus de soutien au niveau des administrateurs, et pour l’instant, je le reçois ! Donc voilà, le tout, ça va être d’assurer le renouvellement du CA, ce qui là m’inquiète un peu». Priscille a donc cette attente forte de soutien par la participation active des citoyens, elle reçoit pour le moment tout cela, mais se pose des questions à propos de la pérennité de cette place. Peut- être est-ce dû à la désillusion de ses collègues à ce sujet : «que les administrateurs soient vraiment plus présents, ça je ne suis pas sûre qu’ils en aient la place» (Jeanne).

Très terre à terre, Patrick n’est pas du tout touché par ce qu’il voit au départ de l’Association : «une image un peu trop marginale, (…) folklorique, (…) un langage un peu trop sectaire, des slogans trop doctrinaires ou idéalistes». Et pour cause, tout cela semble dépasser du cadre. «L’administrateur, il est plus dans le législatif et le salarié dans l’exécutif. Même s’il est intégré dans la réflexion». S’il veut allier local et global, c’est surtout au niveau politique qu’il veut agir et c’est pourquoi

«un administrateur, il peut partir trois mois avec son camping- car, (…) il peut avoir des temps d’absence,» et bon, ne plus pouvoir assurer la continuité dans le travail au quotidien», ça c’est une contrainte salariale. Et ainsi, «si le salarié a une ou deux soirées, que d’ailleurs on ne sera peut-être pas forcément au courant, et qu’il demande ½ journée de repos, et bien c’est plus du ressort de (…) enfin je sais qu’on n’aime pas beaucoup le terme de supérieur hiérarchique mais de rattachement hiérarchique qui prend des décisions, enfin qui est un référent interne qui est là pour piloter aussi les salariés dans tout ce qu’il y a de plus administratif réglementaire.». Ainsi, chacun à sa place hiérarchique et l’établissement d’un management plus participatif est seulement consultatif. L’administrateur décide, le directeur opérationnalise et le salarié exécute.

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De fait, pour lui, le cadre est une fin, il doit être respecté. Il s’oppose, et il le sait, à tous les autres qui ne veulent pas trop du cadre, sauf s’il y a un problème !

Simon est arrivé alors que l’Association avait déjà décidé de son mode de gouvernance, alors il s’y conforme et ce n’est pas ce qui le préoccupe le plus. Ils sont nombreux à soulever la question du nombre d’actions faites, pour certains, il en va des conditions du salarié, pour d’autres c’est relatif à la recherche de l’efficacité. Pour Simon, c’est surtout la valeur responsabilité qui est en jeu, il est peut-être l’un des seuls à présenter la question du recentrement sous cet angle. «Sur pleins d’aspects, les projets d’installation sont pas des projets aboutis, on n’a pas fini le job (…) si on consacre seulement 5% à finir le job, à accompagner, à sentir qu’on a une responsabilité, parce qu’on a favorisé l’accès à la terre, on a pris un engagement vis-à-vis de tiers». Ces tiers, ce sont les épargnants, les collectivités et les bénévoles qui peuvent avoir «un sentiment d’incompréhension.

Un peu «un sentiment de ramasser les pots cassés derrière»

parce qu’il y a cette «responsabilité qui n’est pas suffisamment mesurée et portée» et «c’est pas quelque chose qui revient à des vagues bénévoles locaux».

Paul n’a pas une valeur ou une autre à défendre qui ressortirait vraiment plus. Il semble trouver son compte dans ce qu’ils ont construit ensemble, depuis le début. Certes, il est sensible au devoir de gestion des ressources humaines qu’il a, et pour lequel il ne se sent pas à la hauteur, par faute de temps, mais également par faute de formation. S’il est seul à soulever ce problème de formation, les autres insistent plus sur le manque de temps et de motivation à gérer cela. Il est également le seul à présenter, sans la revendiquer, la démocratie de façon si poussée : «un salaire unique» puisque tous «œuvrent normalement pour le bien commun» sur un même temps.

Enfin, la notion de militantisme est peut-être ce qu’il a de plus prégnant par rapport aux autres. Être militant, c’est intrinsèque à un certain nombre de métiers, tel que le sien, et c’est «mieux mais pas obligatoire».

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Ce type de salarié est «missionné» et «travailleur libéral», ainsi c’est à lui de s’organiser en «totale liberté pour mettre en œuvre sur son temps personnel, les missions». S’il veut faire le strict minimum, il le peut. Néanmoins, ce strict minimum est peut-être, si on en croit Marc, plus proche des 45 heures par semaine.

Pour finir ce tour d’horizon, intéressons-nous au «fondateur- coordinateur-salarié» qui se retrouve quelque part contre lui- même aujourd’hui, confronté à «ces trois façons de voir [sa]

place (…) [qui] pourrait pousser à la schizophrénie». Lorsqu’il a fondé l’Association, Gilles voulait créer l’Association, c’était son but, aujourd’hui, ses priorités ont changé, il le dit lui-même :

«fondateur c’est un statut statique, figé, institué. (…) Par contre, l’enjeu, c’est que l’association veuille ou pas continuer à se penser, à se voir, autrement que en droite ligne issue de cette histoire et de mon impulsion. (…) j’ai beau dire, je crois que ce n’est pas entendu, je crois que ça ne peut pas être assumé plus que ça. (…) Je sais que je suis contradictoire, c’est qu’ à la fois je dis «allez-y !» et en même temps, je rappelle sans cesse (…) des principes que moi j’ai posé fortement, des balises.»

Aujourd’hui, il voit que «le réel est venu tordre cette belle image émouvante qui [l]’a mis en moteur sur le mode de la toute- puissance». Afin d’éviter un second burn-out, il aimerait «un complice ou quelqu’un qui (…) pourrait faire glisser le regard de tout le monde» mais se voyant seul, il dit qu’il «doit poser un acte de pouvoir fort pour organiser la perte de son pouvoir».

Ici, on s’interroge : «la domination est un tabou», le pouvoir n’était a priori qu’un moyen, mais aujourd’hui il laisse paraître qu’il a du mal à laisser ce pouvoir, parce qu’il lui semble qu’il n’y a personne mais aussi parce qu’il ne veut pas laisser ce qu’il a construit marcher sans lui. On peut donc se demander s’il n’a pas voulu ce pouvoir comme fin, et non seulement comme moyen. Aujourd’hui, il s’accomplit par ailleurs, grâce à la famille qu’il construit, il a changé l’ordre de ses valeurs passant du pouvoir pour une cause universelle à la valeur de sécurité familiale. Et cela entraîne quelque tension en lui-même et avec ses collègues, tel Samuel qui ne conçoit pas qu’il veuille répartir les missions de coordination.

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Il existe de nombreuses autres valeurs sur lesquelles nous ne nous sommes pas focalisés, car elles ne font ni consensus ni débat houleux. À titre d’exemple nous pourrions prendre la valeur d’efficacité et de performance. Lorsque Patrick a dû préparer son encart pour le rapport d’activité de l’année 2014, il a décidé de se pencher sur le «résultat mesurable».

Car «combien d’acquisitions, d’installations en 2014 ? Zéro ! Donc ça mérite quand même de creuser, (…) de faire toute cette analyse et d’en déduire un plan d’action». En effet, s’il a rejoint l’Association, c’est parce qu’il voulait être efficace.

Cette valeur est également bien soulignée par Priscille qui veut

«essayer de comprendre comment ça marche pour pouvoir à la fois trouver un épanouissement dans le travail, parce que se sentant efficace» et elle a besoin de s’outiller pour y parvenir».

Ainsi, on peut penser que si l’Association n’est qu’une vaste

«usine à gaz» qui effectue beaucoup d’actions pour très peu de résultats, Priscille et Patrick se réinterrogeront sur la raison de leur présence.

Lorsque nous parlons de valeurs, dans le monde de l’économie solidaire, nous ne pensons pas forcément à cette «valeur travail» dont parlait Marc mais bien plutôt aux grandes causes humanitaires et environnementales. Et pourtant, à la lecture de cette analyse, force est de constater que si les valeurs défendues sont le respect de l’Homme et de l’environnement, celles-ci s’illustrent beaucoup dans les valeurs vécues directement au travail. C’est ce qui ressort le plus ici. Sont-ils réellement tous d’accord sur les valeurs défendues, ou bien les valeurs au travail sont-elles tellement présentes aujourd’hui qu’elles prennent le pas sur les premières dans l’échelle d’importance des salariés ?

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CONCLUSION

Gilles, Jeanne, Marc, Patrick, Paul, Priscilla, Samuel, Simon...

mais aussi Marion... Chacun, à sa manière, s’est engagé dans son travail pour défendre des principes et des valeurs. Certains sont jeunes, d’autres plus âgés, certains sont salariés, d’autres sont bénévoles, certains sont célibataires d’autres viennent d’avoir un (nouvel) enfant, certains ne font pas de disctinction entre vie privée et vie professionnelle quand d’autres aimeraient une barrière plus étanche...

Qu’aurions-nous fait, que ferions-nous à leur place ?

Il serait, nous semble-t-il, illusoire de penser qu’il n’existe qu’une seule réponse. Si elles peuvent varier, voire évoluer, elles dépendent à la fois du contexte et de l’individu. Nous avons d’ailleurs évoqué, en page 13, les dix types de changements de valeurs proposés par Williams (1979) et nous pouvons facilement constater que Gilles, Jeanne et les autres ne sont pas confrontés aux mêmes types de changement.

Quelles sont les valeurs qui nous paraissent non négociables ? Quelles sont celles sur lesquelles nous sommes prêts à faire des concessions ? Quelle importance accordez-vous à la satisfaction au travail ? Et au bonheur ?

Jonas Karlsson, dans son roman La facture (Actes Sud, 2015), propose l’histoire d’un modeste employé recevant une facture de plus de 600.000 euros correspond à une taxe... sur le bonheur : «Soupçonnant d’abord un canular ou une arnaque, il doit apprendre à ses dépens que, dans une société régie par l’argent, facturer le bonheur n’est pas illogique. Peut-il faire appel ? Contester l’impôt ? Plaider l’erreur de calcul ? Est-il vraiment heureux au point de devoir une telle somme ?»

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ANNEXE

Le modèle circumplex des 10 valeurs selon Schwartz, révisé par Wach et Hammer (2003)

Source de l’image : Wikipedia

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Groupe & Société

Publication pédagogique d’éducation permanente

Groupe & Société

Publication pédagogique d’éducation permanente

mobilisations sociales

Le pouvoir par le discours

La légitimation comme stratégie de domination

Sacha Lesage

mobilisations sociales

Groupe & Société

Publication pédagogique d’éducation permanente

Satisfaction au travail et conflits de valeurs

Sylvain Delouvée Thaïs Birot

travail en action

Qui est le moins aliéné : l’individu qui travaille avec pour seul objectif de gagner sa vie ? Ou celui qui s’engage au nom de valeurs mais qui n’a «plus de vie» car sa vie professionnelle et sa vie privée se rejoignent voire se confondent ? Autrement dit, quelle est la place des va- leurs en situation de travail ? Il s’agit ici de présenter et d’articuler les notions d’engagement, de satisfaction au travail et de (changements de) valeurs (en organisation) à travers une étude de cas d’une association sans but lucratif de l’Économie sociale et solidaire.

Avec le soutien de la Fédération Wallonie-Bruxelles

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