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Nouvelle 1 - Le vieux minus à l'hôtel Terminus, Pierre PetitJoseph

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Academic year: 2021

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LE VIEUX MINUS A L'HOTEL TERMINUS

Il n'est pas besoin de préciser l'heure de la mort du vieux minus. Puisque cela n'a aucune espèce d'importance. C'était dans l'ancien temps, un dimanche.

Derrière sa bière en bois de hêtre, il n'y avait pas foule. Cinq personnes, des anonymes vêtus de grandes capes noires. En dessous de leurs capuchons, on discernait assez mal leurs visages. Mais de l'avis général, le groupe était constitué de trois hommes et de deux femmes. Dans la région, on les surnommait les corneilles.

Etranges créatures silencieuses qui descendaient du ciel et traversaient les forêts denses de la vallée à chaque fois que les morts n'avaient pas de gens pour les suivre jusqu'en terre promise. Des revenants pour certains qui venaient et revenaient à leur guise et qui disparaissaient comme par enchantement après les services funéraires rendus.

Des gens dans la contrée se demandaient où ils pouvaient bien vivre. Un refuge sur une des cimes des monts du Forez fut généralement évoqué. On les soupçonnait des pires agissements comme pratiquer des messes de nuit pas très claires, voire peu orthodoxes. D'autres disaient qu'ils étaient missionnés pour venir dans l'obscurité clouer toutes sortes de bestioles sur les portes des habitations des soi-disant ensorcelés, bêtes de préférence noires qu'ils sacrifiaient sur l'autel de leurs sombres agissements.

On disait beaucoup de choses sur ces individus obscurs. Leur tort ayant été de porter du foncé. Cela provoquait dans les esprits des simples gens toutes sortes d'élucubrations. Toujours est-il que le vieux minus n'avait eu que la procession à laquelle il pouvait prétendre. Il fut parfaitement seul dans la vie. Enfant unique, il avait perdu ses parents dans un accident de voiture juste après avoir perdu sa fiancée.

Longtemps, tous les jours, il s'était posé la question de l'intérêt de vivre, s'était inlassablement dit à lui-même qu'il n'y en avait pas et pourtant avait pris la peine de survivre jusqu'à ce fameux dimanche où il décida d'en finir.

Ce n'est pas une tragédie de perdre ses parents puisque c'est dans l'ordre naturel des choses. Ce qui n'est pas naturel, c'est l'accident bête et brutal qui broie les os, écartèle les chairs, défonce les organes. A la suite de ce vilain choc, notre jeune minus devint mécanicien automobile. Un bon mécano aux dires du patron, un gars sans histoires. Il ne croyait pas si bien dire le boss.

Rouler dans une voiture consciencieusement vérifiée, c'est mieux qu'un véhicule délabré pensait à l'époque le jeune minus. Les freins avaient lâché sans prévenir, la berline détraquée avait terminé sa course dans le lit de la rivière Dore. Ils avaient mis un certain temps pour retrouver la carcasse de la bagnole car personne ne savait où elle était tombée. Ce fut après des jours de recherche que l'on retrouva enfin l'auto et les corps défraichis à l'intérieur, à moitié bouffés par les corbeaux et les rats.

Au cimetière d’Olliergues gisent les restes des ascendants du minus.

Tout le monde dans la vallée l'appelait ainsi. Ce fut d'abord le jeune minus puis le vieux minus. Tout le monde dans la bourgade avait appris la terrible nouvelle. La vitesse à laquelle une information peut se propager dans ces petites villes de province, c'est tout bonnement impressionnant. Il n'est pas besoin de téléphone même arabe pour répandre comme une trainée de poudre une dépêche de la plus haute importance. Joséphine, fille d'un riche papetier local, s'était donnée la mort en se noyant dans la Dore. La nouvelle avait fait grand bruit à l'époque. On ne parlait que de cela avant et après toutes les messes hebdomadaires. Et même parfois dans les travées des églises du coin, on continuait la conversation pendant que les curés rendaient l'office et faisaient leurs sermons.

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Un dimanche, Joséphine souhaita présenter Joseph à son père. Ces deux-là, très amoureux, s'étaient déjà tout dit, avaient déjà tout prévu et n'attendaient plus que les assentiments de leurs parents pour s'unir pour la vie entière. Le père de Joséphine ne l'entendit pas de cette oreille.

Comment veux-tu ma fille épouser un futur mécano, ce jeune minus, fils de prolétaires ? C'est impossible avait-il alors rétorqué de manière parfaitement autoritaire.

Ce jour-là, la vie s'arrêta pour Joséphine. Elle embrassa Joseph de toutes ses forces devant son père, sortit de la maison familiale en larmes et se dirigea prestement vers le pont qui enjambe la Dore au départ de la D37, juste en face de l'hôtel Terminus. A un endroit bien précis sous le pont, il y a un trou dans le lit de la rivière. Il faut bien viser pour être sûr de ne pas le rater, il n'est pas bien large. Joséphine prit un gros caillou dans ses bras et se laissa tomber du haut de ses vingt ans. Joseph qui avait couru derrière sa bien-aimée n'avait rien pu faire. Terminus, elle avait décidé en quelques secondes de descendre.

Le ciel venait de lui tomber sur la tête. Il fut comme terrassé, anéanti par ce qu'il venait de vivre. Longtemps, il vit un grand nombre de nuits le corps de Joséphine flotter à la surface de la Dore, enroulé dans son linge blanc. Elle avait les bras en croix et le visage dans l'eau. On aurait dit qu'elle faisait la planche, à l'envers. Tout était calme ce dimanche, le soleil brillait. Longtemps, il garda dans le souvenir de ses sens le goût si amer de ce dernier baiser chargé de larmes et la détresse qui pouvait se lire dans les yeux de sa bien-aimée.

On se dépêcha de repêcher le corps de Joséphine. Son père fit le nécessaire pour que sa fille défunte soit enterrée avec les honneurs. Elle ne se serait jamais suicidée si elle n'avait pas rencontré ce Joseph de malheur, proclamait-il à toute personne venant présenter les condoléances d'usage.

C'est à partir de là que tout le monde prit l'habitude de le surnommer le jeune minus. La région était partagée en deux camps qui s'affrontaient alors. Une moitié rajoutait volontiers pauvre à jeune minus. Et l'autre partie fustigeait l'attitude déraisonnable de Joseph, l'outrecuidance dont il avait fait preuve pour croire que l'amour aurait été possible pour deux êtres de milieux différents. Il ne cherchait pas à se défendre, il ne cherchait même pas à dire que l'amour avait été le plus fort. Il s'était résigné, entendait les commentaires sans les écouter, était devenu un être sans voix. Quelques mots parfois au patron suffisaient pour expliquer l'origine d'une panne.

Un jour, sans y prendre gare, le jeune minus devint vieux. Il vécut seul dans une petite maison à l'écart du bourg, se rendait au travail la semaine et regardait la télévision en noir et blanc le week-end. De temps en temps, on le voyait se faufiler discrètement le long des rives de la Dore. Cette rivière lui avait tout pris, il avait perdu dans son lit l'amour de sa promise et de ses parents.

Aujourd'hui, l'hôtel Terminus n'existe plus. Les chambres ont été réparties en lot pour former quatre appartements. Seule l'inscription de l'établissement subsiste sur le mur qui donne sur la Dore. Le père de Joséphine qui n'avait plus de femme au moment du drame avait quitté les lieux pour remonter une affaire un peu plus loin et jamais on ne le revit dans le secteur. Il avait voulu fuir ses détracteurs, ceux-là même qui appelaient Joseph le pauvre minus et qui l'avaient rendu responsable de la mort de sa fille.

Quarante ans après la tragédie, notre vieux minus n'en pouvant plus de supporter cette vie si dérisoire arriva à la conclusion qu'il fallait se débarrasser de son souvenir si douloureux. Il prit le combiné du téléphone, tourna le cadran avec le doigt pour composer le numéro de l'hôtel Terminus. D'une voix presque inaudible, il commanda une chambre pour le dimanche à venir. Il se présenta le jour dit à l'accueil de l'hôtel. Il avait acheté pour l'occasion

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un costume gris. Il sentait bon, avait mis de la gomina sur ses cheveux et était rasé de près. De mémoire de réceptionniste, on aurait dit qu'il allait à un banquet et qu'il avait fière allure dans son complet de rupin. Il monta l'escalier qui menait à la chambre 44. Dans la serrure, la clé fit un peu de bruit. Il referma la porte derrière lui à double tour, ouvrit la fenêtre qui donnait sur la Dore et jeta la clé dans la rivière.

Il n'y avait pas grand-chose dans cette chambre. Un matelas double avec une tête de lit en osier, une petite table en bois foncé avec dessus un broc en porcelaine blanche, une chaise style bistrot et tout un parterre de fleurs jaunes et brunes sur les murs. Accrochés sur une cloison, un bidet pour les pieds et un lavabo pour le reste des ablutions du corps. Chaque pas du vieux minus déclenchait les grincements des lattes de parquet. De son point de vue, il devait être le seul client de l'hôtel à cette heure de la journée.

Il faisait beau ce jour-là. Un magnifique soleil dispersait ses doux rayons sur toute la région. La température clémente en ce début de printemps apportait douceur et réconfort. Le vieux minus laissa la fenêtre ouverte pour profiter quelques instants de l'air délicat qui circulait au-dessus de la Dore. Au loin, des pêcheurs amateurs plantés au milieu de la rivière appâtaient la truite sauvage et les saumons avec du matériel rudimentaire.

Il prit toutes les précautions nécessaires pour s'allonger sur le lit, de peur d'entendre le sommier couiner abondamment. Les draps étaient soyeux et d'une blancheur éclatante. Ils sentaient bon la lessive utilisée au lavoir par les dernières lavandières en activité. Et puis un peu de savon nettoierait certainement la peau des poissons. Ainsi sortiraient-ils de l'eau propres comme des sous neufs avant de passer à la poêle. Joséphine avait-elle eu la peau aussi douce ?

Le temps était venu de penser intensément à elle une dernière fois. Se souvenir des belles choses qui ne durèrent que quelques instants. Il fallait passer tout en revue une dernière fois. Joséphine, l'horrible père, ses propres parents. Tout se mélangea durant de longues minutes dans ce fatras d'images que l'esprit est capable de produire.

La réceptionniste de l'hôtel, une jeune femme du pays, avait demandé à Joseph ce qu'il venait faire ici un dimanche. Ce dernier, plutôt embarrassé par la question, bredouilla qu'il était là en pèlerinage. Pour honorer la mémoire de Joséphine avait-il cru bon ajouter. Bien sûr qu'il n'avait pas pu dire qu'il était là pour mettre un terme à son existence.

D'un bond, il se leva, prit le revolver qu'il avait soigneusement dissimulé dans la poche intérieure de sa veste et se dirigea vers la fenêtre. Une seule balle dans le cœur avait suffi à précipiter le corps du vieux minus dans la rivière. Avant de tirer, il avait fait une prière. Dieu, permettez-moi de rejoindre mon adorée dans la Dore.

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