L. Mercier-Vogel A. Bodmer
M. Castiglione
introduction
Le cancer du sein est le cancer le plus fréquent chez la femme.
Bien que les progrès dans le diagnostic précoce et la prise en charge aient permis une diminution progressive de la mortalité de l’ordre de 20% depuis le milieu des années 90,1 il reste la première cause de décès par cancer chez la femme. Le cancer de l’ovaire est dix fois moins fréquent que le cancer du sein mais sa mortalité relative reste très élevée avec une survie à cinq ans inférieure à 50%. Ces données épidémiologiques con
firment la nécessité de développer de nouvelles thérapeutiques médicamenteu
ses afin d’améliorer le pronostic des patientes. Les inhibiteurs de la polyADP
ribosepolymérase1 (PARP) sont une nouvelle classe de médicaments au potentiel thérapeutique très encourageant. Dans cet article, nous allons détailler leur méca
nisme d’action ainsi que leurs indications dans les cancers du sein et de l’ovaire.
intégritédel
’
adnL’ADN d’une cellule subit de multiples dommages. Ils surviennent d’une part spontanément, jusqu’à plusieurs milliers par jour, d’autre part, suite à l’exposition à des agents endogènes tels que des molécules réactives produites par le méta
bolisme cellulaire ou des agents environnementaux comme les rayons UV, rayons X ou produits chimiques.2,3 Les dommages se manifestent par des modifications de bases, des cassures d’un ou parfois des deux brins d’ADN ou des liaisons chimi
ques entre des bases d’un même brin ou des deux brins complémentaires. Le système de réparation de l’ADN joue alors un rôle fondamental dans la préserva
tion de l’intégrité du génome. En effet, si les modifications du code génétique ne sont pas corrigées, elles peuvent avoir comme conséquence l’activation d’onco
gènes ou l’inactivation de gènes suppresseurs de tumeur responsables du pro
cessus carcinogénique (figure 1).
systèmederéparation del
’
adnLes systèmes de réparation de l’ADN cellulaire sont complexes, multiples et PARP inhibitors : new therapeutic in breast
and ovarian cancer
PARP inhibitors are novel drugs under deve
lopment in oncology, particularly against breast and ovarian cancer. They act on the DNA repair mechanisms in synergy with the loss of BRCA function of the tumor cells, thereby inducing a genetic instability that leads to cell death.
The clinical benefit of PARP inhibitors has been demonstrated for breast and ovarian cancer in BRCA germline mutation carriers. Their use in sporadic triple negative breast cancers, that share similarities with BRCA1 mutated tumors, is currently investigated with encouraging pre
liminary results.
Rev Med Suisse 2011 ; 7 : 1137-40
Les inhibiteurs de la PARP (poly-ADP-ribose-polymérase-1) sont des molécules actuellement en développement en onco- logie, en particulier dans les cancers du sein et de l’ovaire. Ils agissent sur le système de réparation de l’ADN en synergie avec la perte de la fonction de BRCA par les cellules tumorales, provoquant une importante instabilité génétique qui amène à la mort de la cellule. Le bénéfice clinique des inhibiteurs de la PARP est démontré pour les cancers du sein et de l’ovaire chez les patientes porteuses de mutation germinale du gène BRCA. Leur utilité dans les cancers du sein triples négatifs, qui présentent des similarités avec les cancers liés à une mu- tation de BRCA1, est actuellement en cours d’évaluation avec des résultats préliminaires encourageants.
Inhibiteurs de la PARP : nouvelle arme thérapeutique pour les cancers du sein et de l’ovaire
le point sur…
Dr Alexandre Bodmer Pr Monica Castiglione
Unité d’oncogynécologie médicale Dr Ludivine Mercier-Vogel Service d’oncologie médicale Département des spécialités de médecine
HUG, 1211 Genève 14 ludivine.mercier-vogel@hcuge.ch
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spécifiques au type de lésion. Dans le cas des cassures double brin, les mécanismes nommés homologous recombi
nation (HR), nonhomologous end joining (NHEJ) et singlestrand annealing (SSA) sont sollicités. Les cassures double brin sur
viennent suite à des cassures d’un seul brin non corrigées avant la réplication de l’ADN, suite à l’exposition à des agents externes tels que les radiations ou suite à des liaisons entre des bases de deux brins complémentaires. Le HR répare le brin lésé en se basant précisément sur la copie intacte d’ADN à disposition après la réplication. Si le HR ne peut effectuer la réparation, par exemple en cas de survenue en phase précoce du cycle de réplication ou en cas de défail
lance, c’est le NHEJ et le SAA qui réparent la cassure en ac
colant les extrémités des brins, provoquant ainsi davantage d’erreurs dans le code génomique que ne le ferait le HR.
Ces voies alternes sont donc considérées comme mutagènes par rapport à la voie HR.
mutationgerminale debrca
Les personnes porteuses d’une mutation germinale hété
rozygote du gène BRCA1 ou BRCA2 ont un risque augmenté de développer un cancer du sein jusqu’à l’âge de 70 ans de 60 à 85% et de l’ovaire de 15 à 40%.4 Les gènes BRCA1 et 2 encodent des protéines impliquées notamment dans la transcription, la régulation du cycle et la réparation de l’ADN par le HR.5 Lorsqu’une cellule hétérozygote pour BRCA perd son unique allèle fonctionnel au cours d’un accident évolutif, l’activité de HR s’arrête au profit des voies alternes telles que le NHEJ et le SSA. L’instabilité génétique qui en dé
coule explique le potentiel carcinogénique de cette muta
tion (figure 2).
inhibiteursdesparpetconceptde synthetic lethality
En 2005, deux études 6,7 ont démontré l’efficacité, in vitro et in vivo sur l’animal, des inhibiteurs des polyADPri
bosepolymérases (PARP) sur les cellules tumorales défici
taires pour BRCA alors qu’ils restent sans effet sur les cel
lules tumorales sans déficit. Les PARP sont des enzymes impliquées dans les mécanismes de réparation de cassu
res simple brin. Leurs inhibitions provoquent la persistance de ces cassures qui, lors de la phase de réplication, seront transformées en cassures double brin. Dans le cas d’une cellule normale, la réparation s’effectuera par le mécanis
me spécifique HR et restera sans conséquence. Par contre, en cas de déficit en BRCA, les mécanismes alternes seront impliqués avec pour conséquence une telle augmentation des anomalies génomiques que la cellule ne sera plus viable (figure 3). Ce synergisme est appelé synthetic lethality.
indicationsauxinhibiteursdela parp dans lescancersdel
’
ovaireavecmutationde brca
Reprenant le concept de synthetic lethality, une étude de phase 1 conduite par Fong et coll. a testé la tolérance de l’olaparib, un inhibiteur de la PARP, sur 60 personnes at tein
tes de divers cancers, dont un tiers de l’ovaire et 22 por
teuses d’une mutation germinale de BRCA.8 Les résultats
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25 mai 2011Figure 1. En cas de dommage sur l’ADN, le système de réparation de l’ADN le corrige et la cellule reste viable
En cas d’échec, la cellule va entrer en apoptose. Mais si le système de surveillance est inadéquat, une instabilité génomique apparaît et le risque de cancer survient.
Système de réparation ADN
Survie Cancer Apoptose
Figure 2. Lors de mutations bi-alléliques de BRCA, la réparation des cassures double brin de l’ADN se fait par des voies alternes telles que le non-homolo- gous end joining (NHEJ) et le single-strand annealing (SSA), augmentant le nombre d’erreurs dans le code génétique
HR : Homologous recombination.
Cassure double brin
NHEJ/SSA HR
Instabilité génomique Déficit BRCA
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ont montré un effet antitumoral uniquement chez les pa
tients porteurs d’une mutation BRCA avec 63% de bénéfices cliniques (réponse tumorale ou maladie stable pendant au minimum quatre mois). Les effets indésirables étaient par ailleurs peu marqués, essentiellement gastrointestinaux et de la fatigue. Une étude de phase 2, incluant 57 patien
tes avec un cancer de l’ovaire récidivant et porteuses d’une mutation BRCA, a ensuite confirmé l’activité de l’olaparib avec un taux de réponses tumorales de 33% au dosage le plus élevé (400 mg 2 x/jour) et une durée médiane de ré
ponse de 5,8 mois.9
indicationsauxinhibiteursdela parp dans lescancersduseinavecmutation debrca
L’étude de phase 1 publiée par Fong et coll. incluait éga
lement neuf patientes avec un cancer du sein dont trois porteuses d’une mutation BRCA. Toutes ont bénéficié du traitement. Une étude de phase 2 a ensuite inclus 54 pa
tientes avec des cancers du sein métastatiques récidivants, liés à une mutation germinale de BRCA1 ou 2.10 Les résul
tats sont comparables à ceux du cancer de l’ovaire avec un taux de réponses de 41% et une durée médiane de la ré
ponse de 5,7 mois. A noter que la plupart des patientes avaient déjà reçu au préalable, en moyenne, trois lignes de chimiothérapie.
conceptdebrcaness
La mutation génétique héréditaire de BRCA est respon
sable d’environ 2 à 3% des cancers du sein et 10% des can
cers de l’ovaire. Afin d’élargir les possibilités thérapeutiques des inhibiteurs de la PARP, de nouvelles indications dans les cancers non liés à un syndrome génétique ont été explo
rées. Bien que probablement plus fréquente dans les can
cers de l’ovaire sporadique, la mutation spontanée des deux copies du gène BRCA ne survient que rarement dans les cancers du sein sporadiques. Cependant, un déficit fonction
nel de BRCA peut être provoqué par d’autres biais, comme par exemple une méthylation du promoteur du gène BRCA1 ou une inactivation d’autres gènes impliqués dans la même voie de réparation comme le Fanconi Anemia gene.11 On parle alors de tumeur BRCAness, correspondant probablement à environ 15% des cancers du sein et jusqu’à 30% des cancers de l’ovaire sporadiques. Dans la pratique, l’activité de BRCA n’est pas évaluée de routine ; il est donc impossible de dif
férencier les cancers BRCAness sur cette base. La recherche de corrélations entre les caractéristiques histopathologiques ou moléculaires et l’expression de BRCA est donc de pre
mière importance pour l’utilisation ciblée des inhibiteurs de la PARP.
bracnessetcancerdel
’
ovaireLes cancers de l’ovaire sont classifiés en fonction de l’in
tervalle sans progression après une chimiothérapie par sels de platine ; les cancers avec un intervalle supérieur à six mois ayant le meilleur pronostic. L’hypothèse que les can
cers de l’ovaire liés à une mutation de BRCA aient un grade élevé et une meilleure sensibilité à la chimiothérapie, a fait évoquer une possible association entre la sensibilité aux inhibiteurs de la PARP, la sensibilité à la chimiothérapie, le grade tumoral élevé et le profil BRCAness.12 Cependant, cela devra être confirmé par des données cliniques de large ampleur.
brcanessetcancerdusein
Les cancers du sein sont classifiés selon leurs caractéris
tiques histopathologiques en fonction de leur degré d’ex
pression des récepteurs aux œstrogènes et à la progesté
rone et de la surexpression de la protéine HER2 ; les cancers n’exprimant aucun des trois étant appelés triples négatifs.
Suite aux publications des analyses du transcriptome de la cellule tumorale mammaire par microarray en 2000,13 une classification moléculaire s’est progressivement développée en parallèle à l’approche classique. Selon les similitudes d’expression des ARN, les tumeurs sont classifiées en lu
minal A et B, basaloïde et HER2 (tableau 1). Chaque grou
pe moléculaire présente par ailleurs des caractéristiques histopathologiques spécifiques ; les tumeurs de type basa
loïde étant fréquemment de phénotype triple négatif et les tumeurs triples négatives de type basaloïde.14 Ce groupe de tumeurs, qui représente environ 15% des cancers du sein, a une présentation clinique particulière avec un profil de métastatisation prédominant aux viscères, une tendance à Figure 3. Concept de synthetic lethality : conséquence
du déficit en BRCA et de l’inhibition de la PARP sur la cellule
BRCA actif + PARP inhibée
Pas d’effet Instabilité
génomique Apoptose
Déficit BRCA + PARP active
Déficit BRCA + PARP inhibée
Luminal A Luminal B HER-2 Basaloïde
Forte expression des récepteurs Expression modérée des Faible expression des récepteurs Absence d’expression des
hormonaux récepteurs hormonaux hormonaux récepteurs hormonaux
Bas grade tumoral Haut grade tumoral Amplification du gène HER-2 Instabilité génétique Index de prolifération (Ki67) bas Index de prolifération (Ki67) élevé
Tableau 1. Classification moléculaire des cancers du sein et corrélation histopathologique
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la récidive précoce et un pronostic spécialement défavo
rable en l’absence de réponse à la chimiothérapie.
Sachant que 75% des cancers héréditaires avec une mu
tation germinale de BRCA1 sont triples négatifs ou de type basaloïde, l’hypothèse d’une corrélation entre les tumeurs sporadiques triples négatives et un phénotype BRCAness a été évoquée. Les analyses de l’activité de BRCA1 des tu
meurs de type basaloïde sporadiques ont cependant montré des résultats contradictoires, ne permettant pas de conclu
sion définitive.15
étudescliniqueschez lespatientesavec cancerduseintriplenégatif
Reprenant l’hypothèse d’une similarité entre un phéno
type triple négatif et un déficit fonctionnel en BRCA, une étude américaine de phase 2 randomisée a testé l’efficacité et la tolérance de l’inhibiteur de la PARP iniparib en associa
tion avec la chimiothérapie carboplatine et gemcitabine chez 123 patientes avec un cancer du sein triple négatif méta
statique.16 Le choix du carboplatine est basé sur l’hypo
thèse d’un synergisme entre les sels de platine et les inhi
biteurs de la PARP ; le carboplatine augmentant le nombre de cassures doubles brins par la formation de liaisons in
terbrins. L’association de l’iniparib à la chimiothérapie a permis une augmentation des taux de réponse tumorale, un prolongement de la survie sans progression de l’ordre de deux mois et une augmentation de la survie globale de quatre mois. Afin de confirmer ces résultats prometteurs, une étude de phase 3, avec une puissance suffisante pour permettre une analyse de la survie globale, a été réalisée.
Les résultats préliminaires, annoncés par la compagnie phar
maceutique, ne semblent pas confirmer le bénéfice attendu sur l’ensemble de la cohorte. Les analyses de sousgroupes semblent par contre démontrer un bénéfice pour les pa
tientes traitées en deuxième et troisième lignes. Les résul
tats définitifs devraient être communiqués durant l’année 2011.
conclusion
Les inhibiteurs de la PARP sont une nouvelle classe de mo lécules prometteuse en oncologie, en monothérapie ou en association avec la chimiothérapie et la radiothérapie. Le bénéfice dans le traitement des cancers du sein et de l’ovaire chez les patientes porteuses de mutations BRCA1 et BRCA2 est avéré. Leur place dans le traitement des cancers du sein et de l’ovaire sporadiques reste à préciser ; la détermination des sousgroupes les plus sensibles fait l’objet d’études ac
tuellement en cours. Le profil de toxicité à court terme est acceptable y compris en association avec la chimiothérapie.
Cependant, le nombre de patientes traitées reste faible et le recul très court. Le mode d’action, ciblé sur les mécanis
mes de préservation de la stabilité du génome, doit faire porter une attention toute particulière aux toxicités à long terme, comme le risque carcinogénique, lors des études en traitement adjuvant.
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25 mai 2011Implications pratiques
Les inhibiteurs de la PARP (poly-ADP-ribose-polymérase) sont une nouvelle classe de médicaments agissant sur les mécanismes de réparation de l’ADN
Le bénéfice, dans le traitement des cancers du sein et de l’ovaire avec mutation des gènes BRCA1 et BRCA2, est dé- montré
Leur utilisation dans les cancers du sein triples négatifs spo- radiques est actuellement en cours d’évaluation
Le profil des effets indésirables est plutôt favorable
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* à lire
** à lire absolument
Bibliographie
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