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Gésir (v. intr.), terme qu’on emploie surtout en parlant de personnes malades ou mortes

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bouche à oreille

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Revue Médicale Suisse

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20 janvier 2010 Revue Médicale Suisse

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2 novembre 2010

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Gésir (v. intr.), terme qu’on emploie

surtout en parlant de personnes malades ou mortes

L

e titre de l’ouvrage de Jacques Perrin n’est pas sans évoquer ce­

lui d’une chanson de geste ; son contenu ne le dément pas et ne modifie pas vraiment cette impression. Si, il est vrai, il n’est pas écrit en vers, il s’agit tout de même d’une forme d’épopée avec son héros, Jasper, alpiniste brisé par une chute, gisant dans un lit d’hôpital, immo­

bile, horizontal dans un milieu où toutes les personnes qui s’occupent de lui sont orientées différemment, verticalement, et le restent, ajoutant en outre une distance à l’orientation dans l’espace : «Tous les visiteurs (médicaux), jusqu’à présent, n’ont jamais franchi une limite aléatoire, une sorte de distance symbolique, un pié­

destal imaginaire peut­être, et sont res­

tés face à lui, au pied du lit.» (p. 111). D’où une perspective particulière sur la vie à l’hôpital.

Mais n’est­ce pas celle que partagent tous les patients alités ? Comme toujours,

les différents moments de la condition humaine sont à la fois communs et par­

ticuliers. Etre hospitalisé, passer quelque temps alité dans une institution hospita­

lière est assez commun ; ce qui ne l’est pas, c’est d’être littéralement cloué dans un lit par de multiples fractures aux jam­

bes et au bassin, sans pouvoir bouger pendant de longues semaines et donc sans avoir beaucoup d’autre loisir que de penser à ce qui s’est passé et à ce qui va se passer. Ce qui ne l’est pas non plus, c’est de devoir sa situation à une chute en montagne, lors de l’ascension d’une voie qui, de manière symptoma­

tique, s’appelle One Step Beyond.

Jasper gît dans son lit, comme un gi­

sant sur un tombeau, dans la même im­

mobilité. L’expression est d’autant plus appropriée qu’il n’aurait pas dû survivre à sa chute. Ainsi que le dit le dictionnaire de l’Académie, on emploie surtout le ver­

be gésir en parlant de personnes mala­

des ou mortes. Mais on l’emploie aussi pour des parties d’édifices renversées par le temps ou la destruction, signification qui est illustrée par l’exemple suivant :

«Les colonnes de l’édifice détruit gisaient éparses». Jasper est aussi un édifice dont les colonnes seraient éparses si elles n’étaient pas liées entre elles par des plaques et des clous, insérés dans son corps au fur et à mesure des interven­

tions chirurgicales successives qu’il doit subir. La chute n’a pas seulement épar­

pillé les parties de son corps, celles de son âme aussi ont subi l’émiettement ; pour en restaurer l’unité, la chirurgie est cette fois impuissante ; par contre, l’im­

mobilité forcée du gisant est sans doute une meilleure thérapie : permet­elle de se reconstruire soi­même, de réinvestir son passé et de le dire ? C’est ce qu’explore ce livre.

Il s’agit d’un roman et non d’un té­

moignage ; mais c’est un roman qui doit beaucoup à la réalité : l’auteur a été la victime d’un accident analogue, et il a souffert des cassures dont souffre Jasper

(les lettres qui constituent ce prénom se retrouvent toutes dans le nom de l’au­

teur). Ceux qui le connaissent ou qui con­

naissent le milieu hospitalier s’amuse­

ront sans doute à deviner ça et là la pro­

saïque réalité qui affleure souvent sous le récit. Juste un exemple. Jacques Per­

rin est connu comme gourmet et œnolo­

gue ; on attend donc avec un certain sou­

rire sa confrontation avec la nourriture quotidienne servie à l’hôpital. Le jugement porté ne surprend pas. Ce qui est plus original, c’est la manière dont Jasper ten­

te de faire contre mauvaise fortune bon cœur : imaginer que d’autres saveurs ha­

bitent sa plate pitance en les recompo­

sant à partir des menus qu’il a goûtés avant sa chute. A la longue, c’est une ga­

geure ! Mais ce ne sont là qu’anecdotes.

L’essentiel est ailleurs, dans la perspec­

tive du gisant, et sur ce plan, le fait que l’auteur ait enseigné la philosophie et la littérature lui fournit des ressources moins courantes. Avoir fréquenté les poètes, les écrivains et les philosophes donne un certain éclairage à ce qui est vécu : il ne faut à Jasper – ou à Jacques Perrin – pas moins qu’un «cortège de stoïciens»

(p. 73) pour tenter d’apprivoiser la douleur ou, au moins, pour se familiariser avec les échelles de la douleur. Cela colore aussi la manière de dire les choses : «Infini de la chute. Quand on tombe, on ne cesse jamais de tomber. Cela n’a ni commen­

cement ni fin» (p. 25). Jasper finit toute­

fois aux urgences : «Le tableau clinique est tout entier contenu dans ce constat en forme de sentence "polytraumatis mes sévères". Diagnostic comminatoire.» (p.

31) A partir de là commence la recon­

quête, lente et chaotique, semée d’es­

poirs et de désespoirs, d’envolées et de rechutes.

L’hôpital est pour Jasper «le paque­

bot», un univers assez étrange, selon lui.

C’est un milieu clos où tout le monde vo gue de concert, mais chacun avec une tâche précise à remplir, structurant la jour­

née, y compris celle du patient : «La mê me

B. Baertschi

Bernard Baertschi

Institut d’éthique biomédicale Programme des sciences humaines en médecine

CMU, 1211 Genève 4 bernard.baertschi@unige.ch Rev Med Suisse 2010 ; 6 : 152-3

Coordination rédactionnelle : Micheline Louis-Courvoisier

Livre commenté:

Jacques Perrin. Dits du Gisant. Vevey : Editions de l’Aire, 2009.

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loi impitoyable préside au dé coupage et à l’organisation du temps. Tout est mis en œuvre pour ne pas vous laisser une frange d’autonomie, pour que vous n’ayez pas à "employer votre temps".» (p. 182) La bienfaisance médicale pour pallier la peur de se retrouver seul avec soi­mê­

me ? Le week­end, tout change cepen­

dant, le désert s’installe, et seuls demeu­

rent les patients «qui ont cessé de se penser à l’extérieur des murs» (p. 162), comme, justement, «les cloués au lit».

Mais la semaine, le personnel soignant défile, et notamment de nombreux mé­

decins : un tel est intarissable et, sachant qui est Jasper, évoque avec lui – ou plu­

tôt devant lui – une dégustation de vins rares et chers ; tel autre pontifie devant ses étudiants. L’un évite de croiser le re­

gard du patient et tient à l’intention de ses assistants les propos qu’il devrait lui adresser, un autre sait se faire rassurant, malgré la gravité du diagnostic. Un jeu de ping­pong s’instaure peu à peu entre médecins et malade, où chacun essaye de percer un peu de l’autre, souvent en vain, comme il en va avec le professeur Sacrada, «quelqu’un que Jasper va cô­

toyer durant de nombreux mois, dont il tentera, en vain, de faire tomber le mas­

que impénétrable qui semble être deve­

nu son vrai visage.» (p. 102) Peu en dé­

finitive «donnent à voir un fragment de [leur] monde» (p. 111), car chacun se pro­

tège. Même les visites remplissent une tâche sur ce paquebot, parfois dans la gêne suscitée par le gisant, parfois mê­

me en se réfugiant dans le paradoxe : «A peine arrivés, ils dressent l’inventaire de leurs malheurs et de leurs anicroches […]

qu’ils commentent avec une minutie et une gravité telles que je me sens obligé de leur témoigner une attention soute­

nue.» (p. 181) Etre un gisant renvoie à soi­

même, cela vaut aussi pour ceux qui le rencontrent.

La guérison est un long chemin, d’au­

tant plus délicat qu’il est pavé par le rythme hospitalier et l’habituation à la ma­

ladie : «Malgré moi, ma vie s’est faite ici : comment rejoindrais­je ma vie d’avant ?»

(p. 186). D’où l’angoisse de la rupture qui accompagne le mieux aller, et qui se double de l’angoisse de la rechute. Lors­

que Jasper redescend pour la première fois un escalier, on lit : «Peur de tomber, de cet abîme qui s’ouvre, de cette ab­

surdité de mourir une nouvelle fois, an­

goisse de me trouver brisé, laminé et de tout recommencer à zéro. […] Je me re­

couche fissa, fébrile, claquant des dents»

(p. 210), et de penser au désespoir de Rimbaud tentant de marcher avec des béquilles à la suite de son amputation.

Marcher, cette activité si simple de la vie de tous les jours, est devenu probléma­

tique : «J’ai appris un jour à marcher, il y a longtemps ; il me faudra à nouveau en­

trer dans cette ascèse.» (p. 187) Etrange renaissance, où tout ce qui était facile est devenu difficile. Y parvenir, c’est pourtant une question de dignité : «Se tenir debout droit, le regard à hauteur d’homme, vivre et penser debout» (p. 170), comme seuls

les médecins et le personnel soignant peuvent le faire impunément à l’hô pital.

Puisque Jasper finit par revenir chez lui après un long passage dans une mai­

son de convalescence et qu’il est à nou­

veau capable de marcher, c’est qu’il a ressuscité physiquement. Le gisant a­t­il toutefois aussi réussi à se reconstruire intérieurement ? Mais que signifie «se re­

construire intérieurement» ? Ramené à ses propres frontières physiques pen­

dant si longtemps, il semble s’être rendu compte que ce projet de réunification était en partie vain ou illusoire, vu qu’un des derniers dits du livre est qu’il n’y a pas «d’autre monde que la réunion im­

probable de tous les mondes que cha­

cun porte à l’intérieur de soi, imagine, réa­

lise parfois, croisant la trajectoire d’une autre personne, attiré par son orbite, mû par son énergie» (p. 238). Ses mondes à lui, comme ceux de ses amis disparus – tel vigneron, tel alpiniste – dont la posi­

tion de gisant a ravivé le souvenir, ou de ceux avec qui il continuera de vivre. C’est sans doute la leçon à la fois tragique et ironique de ce livre que l’être humain doit être sur le point de perdre sa vie pour qu’il puisse en trouver le sens, et que la maladie ou l’accident en soit l’occasion.

Jasper n’est certes pas le premier à en faire l’expérience, mais chaque fois, elle reste unique. La médecine, en permettant à Jasper de surmonter cette épreuve, ne mérite­t­elle alors pas aussi le titre d’éveilleuse d’âme, même si c’est à son insu et à son corps défendant ?

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