Master
Reference
Réussite, question de chance ? Analyse des récits de vie des femmes de pouvoir
SONNEY, Dennys
Abstract
Ce travail de recherche est une analyse basée sur des entretiens biographiques traitant des différentes épreuves et bifurcations de sept femmes. La formation, le travail, la famille, la mobilité sont les principaux sujets du discours des interviewées. Ces dernières sont des femmes de pouvoir. Des femmes qui sont placées au sommet de l'hiérarchie et qui luttent au quotidien contre l'inégalité entre les sexes. Nous allons interpréter des situations clefs dans leur parcours de vie leur ayant permis la construction de leur identité professionnelle, ainsi que le renforcement de leur sentiment d'efficacité personnelle. A travers le discours des interviewées nous donnerons vie aux éléments vue dans la partie du cadre théorique.
SONNEY, Dennys. Réussite, question de chance ? Analyse des récits de vie des femmes de pouvoir. Master : Univ. Genève, 2013
Available at:
http://archive-ouverte.unige.ch/unige:30676
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RÉUSSITE, QUESTION DE CHANCE?
Analyse des récits de vie des femmes de pouvoir
MEMOIRE REALISE EN VUE DE L’OBTENTION DE LA MAÎTRISE UNIVERSITAIRE EN SCIENCES DE L'EDUCATION
ORIENTATION FORMATION DES ADULTES
PAR Dennys Sonney
DIRECTRICE DU MEMOIRE Isabelle Collet
JURY
Mireille Bétrancourt Samra Tabbal Amella
GENEVE SEPTEMBRE 2013
UNIVERSITE DE GENEVE
FACULTE DE PSYCHOLOGIE ET DES SCIENCES DE L'EDUCATION SECTION SCIENCES DE L'EDUCATION
RESUME
Ce travail de recherche est une analyse basée sur des entretiens biographiques traitant des différentes épreuves et bifurcations de sept femmes. La formation, le travail, la famille, la mobilité sont les principaux sujets du discours des interviewées. Ces dernières sont des femmes de pouvoir. Des femmes qui sont placées au sommet de l'hiérarchie et qui luttent au quotidien contre l'inégalité entre les sexes. Nous allons interpréter des situations clefs dans leur parcours de vie leur ayant permis la construction de leur identité professionnelle, ainsi que le renforcement de leur sentiment d'efficacité personnelle. A travers le discours des interviewées nous donnerons vie aux éléments vue dans la partie du cadre théorique.
Un grand merci à Isabelle Collet, pour son intérêt et ses conseils.
Je remercie également Mathieu Sonney pour son soutient inconditionnel et Danielle Randriamampita pour son aide précieuse.
TABLE DES MATIÈRES
PRÉAMBULE ... 1
1. INTRODUCTION ... 2
2. CADRE THÉORIQUE ... 4
2.1GENRE ET ACCÈS AU POUVOIR ... 4
2.1.1.CONSTRUCTION SOCIALE ET HIÉRARCHIE :SEXE ET GENRE ... 4
2.1.1.1.IDENTITÉ SEXUÉE ... 6
2.1.1.2.REVENDICATION ... 7
2.1.2.EDUCATION DES FILLES ... 8
2.1.3.LES FEMMES AU POUVOIR DANS LE XXIE SIÈCLE ... 12
2.2.THÉORIE SOCIOCOGNITIVE : TRIADE DYNAMIQUE ... 15
2.2.1.SENTIMENT D’EFFICACITÉ PERSONNELLE ... 16
2.2.2.L’INFLUENCE DU SENTIMENT D’EFFICACITÉ PERSONNELLE DANS LA RÉUSSITE SCOLAIRE ET PROFESSIONNELLE ... 19
3. PROBLÉMATIQUE ... 21
4. MÉTHODOLOGIE... 23
4.1.L’ÉPREUVE DANS LES PARCOURS DE VIE ... 24
4.2.ET…COMMENT POURRAIT-ON Y PARVENIR ? ... 26
4.3.DÉROULEMENT DES ENTRETIENS :HISTOIRE DE RENCONTRES ET BREF PROFIL DES FEMMES QUI ONT ACCEPTÉ DE PARTICIPER À LA RECHERCHE. ... 27
5. ANALYSES DES ENTRETIENS ... 31
5.1.RUPTURE ET ÉPREUVE ... 31
5.2.UTILITÉ DE LA FORMATION DANS LE CADRE DU TRAVAIL ... 36
5.3.DIFFÉRENTS LIENS ENTRE LA FORMATION, L’EMPLOI ET LE POUVOIR ... 42
5.4.SENTIMENT D’EFFICACITÉ PERSONNELLE ... 48
5.5.QUELS SUPPORTS POUR CES FEMMES ... 53
5.6.(IN)DÉPENDANCE : DIVERSES FAÇONS DE SE PROJETER ... 55
6. CONCLUSION ... 58
7. BIBLIOGRAPHIE ... 62
ANNEXES ... 65
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PRÉAMBULE
Ces dernières années ont vraisemblablement été marquées par la prise de décisions importantes et révélatrices dans ma vie. Peut-être ce va et vient de situations fait partie essentielle de la vie de toute adulte quelconque… mais comment le savoir, si je suis dans ce processus de maturation et de construction de moi-même ?
Avant la fin du cours du master Formation des Adultes j’ai longuement hésité quant au thème sur lequel mon mémoire allait porter. Par contre je souhaitais déjà utiliser la méthode d’entretien biographique pour mon mémoire, suite au séminaire - approches biographiques en formation des adultes - dispensé par le professeur Jean-Michel Baudouin, lequel m’avait particulièrement marqué. La question de la bifurcation des parcours de vie, le contact direct avec les gens, écouter leur discours et leur façon de parcourir leur vie, m’a émue et touchée J’ai donc commencé à me pencher sur plusieurs thèmes qui me passionnent.
Je souhaitais traiter dans cette recherche d'un thème qui fait beaucoup parler ; d'un thème qui est tabou, voir inconvenant, mais qui à travers les années a créé en moi un « mixed feelings », car il me révolte, et en même temps, nourrit mon esprit : l’inégalité entre hommes et femmes.
Je me suis souvent retrouvée dans ces situations agaçantes où les gens pensent que les femmes ne pourront jamais avoir les mêmes responsabilités professionnelles que les hommes car elles devront faire « le choix » entre famille ou travail, ou bien que les femmes n’ont pas développé leur sentiment de compétitivité, c'est-à-dire qu’elles ne sont pas « des requins ». Ou pire encore retrouver deux êtres humains qui font le même travail mais dont le montant du salaire versé est différent selon leur sexe. Or, je suis convaincue que grâce au travail et à l’effort d’une poignée de gens, les nouvelles générations pourront se regarder dans les yeux sans aucune peur d’être jugées par rapport à leur catégorie de sexe.
Le thème est posé ! Il fallait donc prendre du recul, organiser les idées, les questions et les sentiments. C’est alors, grâce à l’intervention de la professeure Isabelle Collet, que je me suis rendue compte que mes questionnements tournaient toujours autour du sentiment d’efficacité personnelle et de la construction de l’identité professionnelle des femmes. En effet, après des dizaines de lectures, des discussions avec mes proches et un voyage dans mon pays d’origine, j’ai donc abouti à la problématique de recherche. Parallèlement j'ai travaillé sur la formulation d’hypothèses et sur les questions de recherche. Tout ce processus m’a donné la possibilité d’acquérir un peu plus d’assurance face au corps du travail.
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1. INTRODUCTION
L’intégration des femmes dans le monde du travail, après la révolution industrielle, a eu un grand impact dans la société. Cela a entraîné des changements dans tous les domaines.
Néanmoins, au fil du temps il s’avère que peu d'entreprises ont une véritable stratégie de développement des femmes à haut potentiel.
Bien que les positions des femmes aient évolué dans divers domaines (politique, industrielle, informatique, intellectuel, etc.) dans les pays développés et en voie de développement (source : www.un.org/fr/documents), leur leadership, c'est-à-dire leur capacité à diriger des individus ou organisations dans le but d’atteindre certains objectifs, a encore beaucoup d'obstacles à surmonter. Peu à peu, on remarque les femmes commencent à occuper des postes qui jusqu’ici leur étaient interdits. Dans le domaine précis de la politique, plusieurs pays ont franchi la ligne en ayant des femmes occupant le plus haut poste dans leur gouvernement, notamment la chancelière Angela Merkel (Allemagne) et la présidente Dilma Roussef (Brésil) classée respectivement la première et troisième femme les plus influentes du monde (selon le magazine Forbes 2012). En ce qui concerne la Suisse, c’est après 1971, date à laquelle les femmes ont eu le droit de vote et d’éligibilité, qu’elles prennent progressivement une place de plus en plus important au Conseil Fédéral, ce dès 1984. Cependant il faut attendre 2008 pour atteindre la parité de nombre entre hommes/femmes. Néanmoins, cette prééminence ne se reflète pas au niveau de la participation féminine dans les hautes sphères de ce même secteur ou dans le secteur d’affaires. Apparemment, même dans un monde d’aujourd’hui qui voit tant de (ré)évolutions, (re)constructions, (re)transformations, l’égalité des chances pour les femmes en politique et dans le monde des affaires n'est que chimères.
Aujourd’hui comme toujours, ce sont les hommes qui ont la majorité des postes à haute responsabilité, et particulièrement dans les pays en voie de développement. Malgré tous les efforts faits par les femmes, en termes de qualifications et d’engagement social, économique et culturel, les statistiques montrent leur faible présence dans les postes à haute responsabilité, sans qu’il n’existe d’opposition formelle à de telles promotions dans les différents secteurs de notre société. Margarita Sanchez-Mazas explique le phénomène des femmes ancrées aux postes inférieurs à la fois par des phénomènes d’auto-censure mais aussi par des obstacles institutionnelles. Ce concept, plus connu par le nom de « plafond de verre » illustre l’ensemble des obstacles visibles ou invisibles qui rendront très difficile la promotion des femmes dans des postes au pouvoir ; « ce « plafonnement » des profils professionnels des
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femmes serait dû à un ensemble de facteurs invisibles, comme l’indique la métaphore du verre, qui laisse passer le regard et non les personnes, ouvrant la perspective tout en bloquant le mouvement » (Sanchez-Mazas et Casini, 2005, p. 142).
Dans un premier temps, ce travail de mémoire présentera dans une partie théorique, les définitions essentielles des deux termes : sexe et genre. Puis, nous essayerons ici d’éclairer la manière dont se construisent l’identité sexuée et le rapport au pouvoir. De plus nous traiterons brièvement de l’historie de l’éducation des filles et de quelques données actuelles sur les femmes aux postes de pouvoir. Pour la fin de cette partie théorique nous parlerons du sentiment d’efficacité personnelle, et de l’influence de celle-ci dans la formation.
Dans un deuxième temps, nous mettrons en exergue la problématique de recherche, ainsi que les questions et les hypothèses qui donneront sens à l’organisation de notre mémoire.
Dans un troisième temps, nous introduirons la méthodologie, notamment la démarche des entretiens biographiques. En effet, l’approche biographique paraît être la méthodologie la plus adéquate pour recueillir les informations clefs qui vont me permettre, en tant que chercheuse, de connaître le parcours de vie de notre public cible. Les éléments caractéristiques de cette approche tels que les épreuves, les changements et les supports, prendront vie grâce à la narration des différents événements vécus par nos interviewées.
Ensuite, dans la partie d’analyse, il s’agira de l’interprétation des récits de vie, puisque nous analyserons les changements et les épreuves liés à la vie professionnelle et l’impact de ceux-ci sur leur vie privée. L’analyse nous permettra d’exposer la théorie à travers des situations concrètes de récits.
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2. CADRE THÉORIQUE
2.1 Genre et accès au pouvoir
2.1.1. Construction sociale et hiérarchie : Sexe et genre
Nous allons tout d’abord définir le terme sexe et dans un deuxième temps le terme genre. Le terme sexe, selon son contexte, peut être principalement défini de trois façons différentes: le sexe biologique, le sexe d’état civil et le sexe psychique.
Les biologistes utilisent le terme de sexe biologique pour se référer « au différentes composantes permettant de caractériser ce qui relève du sexe biologique » (Collet, 2012, Glossaire genre). Il existe plusieurs facteurs qui rendront complexe cette catégorisation, car le sexe biologique se base sur le sexe chromosomique, le sexe hormonal, le sexe gonadique et le sexe anatomique. Chacune de ces composantes pouvant différer, on parle d’un archipel du sexe plutôt que d’un continuum.
En matière physiologique, les cerveaux des mâles et des femelles sont différents du point de vu biologique, mais uniquement en ce qui concerne les fonctions reproductives. La sexualisation du cerveau s’effectue au cours du développement embryonnaire, le sexe génétique de l’embryon induit la formation des organes sexuels qui fabriquent aussi des hormones sexuelles qui vont ainsi pénétrer dans le cerveau. Ces hormones sont sécrétées dans le sang du fœtus. Tout ce processus est valable chez tous les mammifères et permet la reproduction sexuée nécessaire à la survie de l’espèce. Les différences dans le fonctionnement cérébral entre les sexes ne peuvent être vérifiées scientifiquement. Les arguments les plus connus pour obtenir matériellement ces différences sont issus des tests de psychologie expérimentale où les facteurs socioculturels interfèrent en réalité avec les résultats (Vidal, 2006). Par exemple Vidal parle de la plasticité cérébrale. Elle nous donne comme exemple une recherche faite auprès de sujets qui apprennent à jongler avec trois balles. Après deux mois d’apprentissage les zones qui contrôlent la vision et la coordination de mouvements, sollicités par cet apprentissage, se sont épaissies, ce qui traduit la capacité du cerveau à se modeler en fonction de l’expérience (Vidal, 2006, p. 52).
La deuxième façon de définir le sexe est selon l’état civil. Le sexe d’état civil est la construction sociale du sexe binaire, en général il fait concordance avec l’organe génital extérieur. Alors on est reconnu soit comme un homme, soit comme une femme.
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Finalement, la troisième façon de définir le sexe d’une personne est selon le sexe psychique qui est le sexe intérieurement ressenti et vécu ; il existe des personnes dont le sexe biologique diffère de leur sexe psychique, appelées transsexuelles.
Le genre quant à lui, peut être tout d’abord, défini comme la construction sociale du sexe d’état civil. La société crée une relation directe entre sexe et genre, c’est-à-dire que les comportements jugés masculin seront attribués aux hommes et les comportements féminins seront attribués aux femmes.
En revanche, dans un sens sociopolitique, selon Isabelle Collet (2010, p.111) « le genre est un ensemble de normes de sexe différenciatrices et hiérarchisantes, attribué aux individus indépendamment de leur sexe d’état civil ».
Selon Nicole-Claude Mathieu (1997), le genre est relié aux activités sociales déjà préétablies et le sexe est plutôt relatif au biologique. De plus, la société atténue cette différence entre sexe et genre en assignant des fonctions précises à chaque corps social. Les aspects spécifiques du genre sont alors des conséquences de cette même différenciation sociale. En occident, les notions de sexe et de genre ont un recouvrement obligatoire, dans d’autres sociétés les définitions n’y sont pas aussi claires, il y a plusieurs facteurs comme l’ethnologie, l’éducation qui impliquent ces relations. De plus, toute croyance sert à instaurer une différence biologique et sociale des sexes.
Il faut souligner aussi que la division du travail dans notre société apparemment égalitaire n’est pas neutre, il s’agit plus de domination que de complémentarité. La répartition des tâches reflète l’écart de chances entre les sexes. En effet, la domination agit explicitement dans la construction d’une identité sexuée et c’est à travers l’identité de genre (Mathieu, 1973) que la société inculque aux sujets les devoirs et les interdits liés à la division du travail et aux obligations familiales. Dans ce contexte, « La division sexuelle du travail doit être analysée en tant que relation politique entre les sexes » (Tabet, 2000 p.16)
En ce sens, le féminisme ne semble pas être nécessaire si la citoyenneté est conçue comme un octroi « naturel » qui suppose l’égalité face aux droits et face à l’état de toutes les personnes ; cela implique que n’importe quel attribut, comme celui d’être femme, devient accessoire. Les femmes ont intériorisé et reproduit certaines idées, au point de penser qu’être femme amène à un avenir certain et naturel et n'ont pas besoin de revendications politiques après celle de la libération sexuelle.
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2.1.1.1. Identité sexuée
L’identité sexuée commence à se construire très tôt, dès la petite enfance grâce au contact des autres. De ce fait les influences extérieures aident les enfants à s’identifier eux-mêmes en tant que garçons et filles et à se placer dans les catégories sociales déjà établies. Ce qui rejoint Dafflon Novelle (2006), qui dit qu’il a deux éléments essentiels pour la construction de l’identité chez l’enfant : « l’activité de l’adulte sur l’enfant et l’activité de l’enfant à travers son observation du monde sexué » (Dafflon-Novelle, 2006, p. 21). Grâce à l’observation du monde les enfants apprennent très rapidement les comportements typiques des deux sexes
« Dès 2-3 ans, les enfants ont déjà connaissance des activités, professions, attitudes stéréotypiquement dévolues à chaque sexe » (Dafflon-Novelle, 2006, p.14). Dans notre société, l'actualité des nombreux éléments (jeux, médias, vêtements, sport, etc.) influenceront le comportement des enfants mobilisant davantage de stéréotypes issus des inégalités entre les deux sexes. Pareillement, la famille est un des noyaux essentiels pour la socialisation première, et particulièrement pour la prise de repères dans la construction de l’identité sexuée : « les parents sont en particulier le témoignage vivant de comportements plus ou moins conformes au « féminin » et au « masculin », et plus largement d’une certaine division du travail et des compétences entre les sexes» (Duru-Bellat, 2004, p. 14). Les individus au fur et à mesure du développement de leur vie enfantine, construisent et renforcent leurs comportements, leurs émotions, ainsi que la hiérarchie des sexes en aboutissant enfin aux rôles caractéristiques du « féminin » et du « masculin » (Dafflon Novelle, 2006). Il semblerait que « les stéréotypes de sexe apparaissent d’ailleurs profondément intériorisés et leur légitimité non discutée, chez les enfants de 6-11 ans » (Short, 1993 in Duru-Bellat 2004, p.93).
En ce qui concerne l’école, les stéréotypes des sexes ont leur place au sein de la classe. Les enseignant-e-s recourent assez souvent aux oppositions entre les garçons et les filles pour gérer mieux les différentes situations qui peuvent se présenter au cours d’une classe. En effet, les mots et les remarques adressés aux élèves sont fortement sexués. Par exemple les remarques concernant l’apparence physique sont spécialement adressées aux filles, tandis que les réactions des enseignant-e-s envers les comportements d’agressivité chez les garçons ou chez les filles sont mitigés. En effet, chez les garçons ces comportements sont jugés naturels mais quand il s’agit des filles ces mêmes comportements sont tout à fait impensables. Les filles sont perçues comme des sujets qui peuvent rendre l’atmosphère de la classe plus studieuse selon leur emplacement stratégique dans la salle du cours, la proportion de filles et
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de garçons est donc importante pour le climat général des classes. (Duru-Bellat, 2004). Les chercheurs estiment que les enseignants consacrent un peu moins de temps aux filles (44% de leur temps), même si cette différence semble minime, à travers ces contacts, les garçons reçoivent un enseignement plus personnalisé, alors que les filles sont davantage traitées et perçues comme un groupe (Duru-Bellat, 2004). En générale, « les différences de traitement observées chez les maitres sont le reflet des différences de comportement des élèves ». Ainsi quand les garçons posent des problèmes à cause de leur agitation et leur mauvaise discipline, les enseignants leur consacrent plus d’attention, créant d’avantage de moments personnalisés ; ceci accentue aussi l’idée que les garçons dominent les interactions, car la discrétion des filles en classe fait qu’on leur donne moins la parole. Néanmoins les filles demandent plus couramment de l’aide et ceci amènerait les enseignants à interagir avec elles de manière plus constructive. (Duru-Bellat, 2004, p. 92). Cependant quand les filles se retrouvent en groupe mixte dans une situation d’interaction compétitive, elles auront tendance à diminuer leur auto- attribution de compétence, et à se sous-estimer en présence de garçons. (Mosconi, 2004, p.166).
Au total, les garçons et les filles « luttent » tout au long de leur vie scolaire pour se positionner dans les rôles spécifiques de chaque sexe. Cette position les assurera dans leur identité sexuée. Ainsi, bien réussir à l’école, le souci de plaire à l’autre, l’apparence physique et la maturité seront dénoncés plutôt comme « féminin », alors que se faire remarquer, dominer, avoir l’indépendance et la capacité de défier les règles seront dénoncés comme des actions plutôt « viriles ». Néanmoins, comme le souligne Duru-Bellat, (2004, p.95), il existe des cas de « résistance » qui cassent « le régime du sexe », notamment le cas des filles qui défient ouvertement leur environnement, en utilisant des attributs dit féminins à des fins de perturbation scolaire (bavardages, ricanements, maquillage en classe, etc.) voire aussi des comportements de « garçon manqué ».
2.1.1.2. Revendication
Si nous suivons la logique traditionnelle ; femme et féminité semblent être des concepts indissociables. Ces deux concepts sont en relation avec un corps biologiquement particulier et aussi avec des pratiques et des comportements jugés logiques dans l’ensemble des caractéristiques biologiques : l’instinct maternel ou l’association de la sensibilité avec la féminité. Pourtant, se référer au corps permet de visualiser les inscriptions symboliques qui caractérisent les pratiques féminines. Selon le rapport millénaire pour le développement des Nations Unies 2008 « les 60% des 1000 millions de personnes les plus pauvres du monde sont
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des femmes et des filles. Les 66% des 990 millions des adultes analphabètes sont des femmes, et les filles représentent 70% des 130 millions d'enfants qui ne vont pas à l’école ». De plus, il semble que les faits soient aussi frappants deux ans après « En 2010 il y avait encore 122 millions de personnes ayant entre 15 et 24 ans (74 millions de femmes et 48 millions d’hommes) qui étaient incapables de lire et d’écrire un petit exposé simple sur leur vie de tous les jours »( www.un.org/fr/documents/). En d’autres termes, le genre joue un rôle central au moment d’expliquer des phénomènes comme la féminisation de la pauvreté ou de l’analphabétisme car l’inscription initiale de « genré » un corps comme étant féminin a de grande chances d’engendrer des situations d’inégalité et de domination. Alors, naître femme n’est pas la même chose que naître homme.
Nous pouvons dire que le problème commence au moment de « naître femme », puisque les femmes ne naissent pas dans des familles plus pauvres ou avec moins de possibilités de s’éduquer que les hommes. En revanche, une famille manquant de moyen, selon par exemple le pays, le statut social ou la religion, aura tendance à privilégier l’éducation des garçons de la famille. Il est donc clair que « être femme » ne se réduit pas à quelque chose qui ne définit que l’organe génital d’un bébé mais aussi d’une inégalité des chances acquise à la naissance.
Dans la quête de la revendication, la question de la sexualité et la reproduction des femmes se font écho. Car ce sont des moyens complexes de pression sociale, physique ou idéologique,
« la sexualité n’est pas pour les femmes une expression individuelle, subjective, mais une institution sociale de violence » (Wittig in Tabet, 2000, p. 94). En effet, la sexualité des femmes -étant toujours associée à la reproduction, notamment dans le mariage- serait donc exercée en fin de la fécondation, la grossesse et l’accouchement. Selon Tabet (2000) il n’est pas question d’examiner les formes de sexualité des femmes ou des hommes. Par contre « Ce qui est en jeu est un rapport politique entre les sexes où l’on peut, ou non, contraindre l’autre, exproprier l’autre de sa personne même » (p.95). Cette idée obligera toutes sociétés humaines à s’interroger sur la limitation de la sexualité des femmes à cette forme exclusivement reproductive (p. 96).
2.1.2. Education des filles
Tout d’abord nous aborderons l’histoire de l’éducation des femmes et la mixité scolaire, pour ensuite développer davantage les différences socio-sexuées des savoirs et des résultats dans l’éducation ; lesquelles influencent la création des inégalités entre sexes et poussent très tôt à la construction des stéréotypes de sexe. Effectivement, l’éducation initiale joue un rôle
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prépondérant dans l’avenir professionnel des femmes, ainsi que dans leurs croyances de réussite.
Par le passé l’éducation des femmes ne faisait pas partie des préoccupations de la société.
Dans la Grèce ancienne, l’éducation était un privilège qui ne concernait que les hommes puisque les femmes étaient par nature inférieures. Pour Aristote, en particulier, « un mâle est mâle en vertu d’une capacité particulière, une femelle est une femelle en vertu d’une incapacité particulière » (Aristote, Génération d’animaux I, 178a). Retenons l’expression par nature pour une future réflexion.
La fin du XIXe siècle est notamment très importante par rapport à l’enseignement des filles.
L’ouverture de l’enseignement secondaire féminin constitue un premier pas important puisqu’il a permi également la création d’école normale féminin. Même si les filles apprenaient les connaissances de base (lire, écrire et compter) à l’école obligatoire, elles ont été longtemps exclues, des branches comme la physique, la chimie, la géométrie et le latin.
Au début du XXe, les jeunes filles de milieux privilégiés pouvaient éventuellement accéder aux institutions de formation supérieure (gymnases, universités, etc.). Néanmoins, il y avait encore d'énormes obstacles à surmonter pour une reconnaissance formelle de leurs diplômes.
Actuellement dans notre société, l’école obligatoire tend vers l’égalité. Les filles et les garçons fréquentent les mêmes classes depuis 1981 et ont tout à fait les mêmes droits : ils/elles partagent les mêmes loisirs, les mêmes horaires, les mêmes sports et sont vraisemblablement traité-es de la même façon par le corps enseignant. Les lois concernant l’éducation obligatoire sont basées sur l’égalité des chances entre garçons et filles. Nous constatons que l’offre de la formation est ouverte d’égale manière pour les deux sexes.
Dans le système scolaire mixte les filles font preuve d’une plus grande réussite que les garçons. Les filles réussissent en moyenne plus brillamment leurs diplômes et obtiennent de meilleures notes, notamment dans les filières de biologie et physique. Dans le cas des garçons, ils réussissent plus dans la filière de mathématiques, reconnu comme une filière d’excellence.
(Marry, 1999, p.48). Ceci dit, quand il s’agit du choix de filière pour la suite de leurs études
« il semblerait que les garçons respectent plus longtemps la hiérarchie des disciplines, retardant au maximum leur choix quand il passe par une voie moins valorisée, alors que les filles s’orienteraient précocement, plus désireuses de réaliser leur projets que d’obtempérer aux injonctions de valeurs dominantes ». (Marry, 1999, p.50). Lors du passage de l’école à l’université, Un grand nombre des jeunes filles ont tendance à se cantonner à des études
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moins scientifiques que les garçons. Cela soulève encore aujourd’hui comme hier des discriminations liées au sexe dans le système scolaire. Il semblerait, comme nous l’avons déjà signalé, que nous ne puissions pas parler d’égalité des chances entre les sexes. Les enseignants, les manuels, les programmes sont modelés de telle façon que les stéréotypes de sexe influencent les interactions dans la classe.
Ce phénomène nommé le curriculum caché affaiblit la confiance des filles en elles-mêmes et en leurs capacités. Puisque le curriculum est « un parcours d’éducation, un ensemble continu de situations d’apprentissage auxquelles un individu se trouve exposé au cours d’une période donnée, dans une institution formelle ». (Mosconi, 1994, p. 117). Par exemple, l’interaction des enseignant-e-s avec leurs élèves garçons dans les classes mixtes est plus élevée que leur interaction avec les filles. Les enseignant-e-s auraient 56% des interactions avec les garçons durant la classe. (Mosconi, 2004, p. 168) Ceci engendre une différence de comportement didactique : les garçons sont plus souvent et plus longtemps encouragés et critiqués en fonction de leurs nécessités.
Les contributions des garçons sont plus valorisées que celles des filles, ainsi la réussite des garçons est attribuée à leur intelligence et est félicitée en conséquence, tandis que la réussite des filles est attribuée à leur caractère appliqué et elles sont félicitées pour leur bon comportement. L’école aussi utilise malheureusement du matériel pédagogique inadéquat, lequel crée et renforce, inconsciemment, les stéréotypes de sexe dans un monde traditionnellement fait pour les hommes et où les femmes s’autolimitent à des domaines reconnus comme typiquement féminins. Cette division socio-sexuée du savoir se répercute considérablement sur les orientations et les filières d’études des filles et garçons. Selon Mosconi (2004) il existe de grandes disparités entre les filières industrielles majoritairement masculines et les filières tertiaires majoritairement féminines. Quant à l’enseignement général même si la ségrégation est moins significative, les filles préfèrent pourtant la section littéraire et les garçons se retrouvent plutôt dans les sections scientifiques. (p. 170). Cette séparation crée notamment la ségrégation sur le marché du travail : les emplois « masculins » et les emplois « féminins » ainsi que l’éloignement de l’image de soi dans ces emplois. Par exemple, pour les femmes, un choix d’orientation permettant d’accéder à des métiers plus compatibles avec les charges familiales. Pour Françoise Vouillot (2011) « l’orientation n’est pas seulement une démarche personnelle mais également un objet politique et une pratique sociale, on ne peut pas aborder la question de la division sexuée de l’orientation sans la replacer dans un contexte historique, social et politique » (Vouillot, 2011, p.19). En effet,
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l’engagement des filles dans les filières scientifiques est régulièrement souligné et est perçu par autrui comme un choix atypique Néanmoins, les filles réussissent plus brillamment que les garçons, une fois elles sont engagées dans ces filières. Car tout d’abord, elles se sont auto- sélectionnées et qu’ensuite les enseignant-e-s ne corrigent pas cette auto-sélection. Dans cette perspective, le sentiment compétence est renforcé. En guise de résumer, Vouillot (2011) constante que les représentations sexuées des métiers et d’orientation chez les filles et garçons sont nombreux et que les enseignants par leurs pratiques pédagogiques peuvent influencer le choix d’orientation chez les élèves ; le genre et la construction des identités sexuées jouent donc un rôle essentiel dans le choix d’orientation.
Cette analyse se reflète dans les statistiques des années 2000 et suivantes de l’éducation en Suisse. En effet, il y a plus de femmes diplômées que les hommes, notamment dans la formation de degré tertiaire (hautes écoles spécialisées et universitaires). Par exemple, les diplômes de bachelor des hautes écoles spécialisées et universitaires délivrés sont plus significatifs pour les femmes 54.7% et 52.4% respectivement. Cependant dans le cas de la formation de degré secondaire professionnelle, les femmes sont moins présentes ; 46.6% des diplômés sont des femmes, contre 57.1% pour la maturité gymnasiale. (Source : www.bfs.admin.ch) L’école, dont la mixité véhicule tout un curriculum caché, est donc loin d’être neutre. (Duru-Bellat, 2004).
L’éducation des adultes, une nouvelle pédagogie ?
A la fin des années 80 de nouvelles démarches pédagogiques en éducation des adultes sont nées, notamment celle du portfolio et du bilan de compétence. Pour les femmes la création de ces démarches a été un point d’appui important pour les revendications féministes. La méthode du portfolio les aide en effet à mettre en évidence leur potentiel ainsi qu’à «viser une prise de conscience par les femmes de leur oppression, due au système capitaliste autant qu’au système patriarcal » (Ollagnier, 2009, p. 145). Les dispositifs de formation ont été envisagés comme une stratégie par rapport à la remise en question de normes masculines qui définissent le savoir, permettant aux femmes d’avoir des diplômes et s’établissant en termes de qualification. Mais il a été parfois difficile de formaliser la volonté de sortir des normes masculines par l’originalité d’un dispositif de formation. Plusieurs questionnements se sont donc posés: comment éviter de retomber dans des schémas de reconnaissances stéréotypes des savoirs selon le sexe ? Faut-il viser une intégration au marché du travail à travers la validation
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des acquis au sein de la sphère privée ? Comment donner une place aux compétences développées par les femmes ? (Ollagnier, 2009, p.146).
De nos jours il est difficile d’identifier les impacts de dispositifs de formation soucieux et respectueux d’un public de femmes, car ils se sont développés dans des contextes complexes.
Néanmoins, par les travaux d’Edmée Ollagnier (2009), nous savons que grâce à ces nouvelles modalités pédagogiques mises en place en fonction des besoins des femmes, on a eu des répercussions évidentes en formation des adultes. Par exemple, intégration de l’ensemble des différentes sphères de la vie et validation des compétences par le biais de l’expérience féminine. Cependant, ces démarches ne sont pas toujours exemptes de stéréotypes de genre.
Ceci peut s’expliquer par une division stéréotype des rôles et des comportements qui découlent d’une construction sociale.
2.1.3. Les femmes au pouvoir dans le XXIe siècle
L’éducation des femmes et des filles, la participation politique des femmes, la libération sexuelle, les droits des femmes, la maternité, l’égalité dans les rémunérations salariales, la violence contre les femmes, sont des thèmes qui ont déjà fait plus d’une fois la une des medias. Pourtant, en fin de compte quels ont été les résultats ? En matière de participation dans les gouvernements, selon le document des objectifs du millénaire pour le développement 2012 des Nations Unies les résultats laissent encore à désirer : « À la fin de janvier 2011, les femmes représentaient 19,7 % des parlementaires au plan mondial. Cela revient à presque 75 % d’augmentation depuis 1995, lorsque les femmes occupaient 11,3 % des sièges au plan mondial, et une augmentation de 44 % par rapport au niveau de 2000. Alors que les tendances indiquent une augmentation de la représentation des femmes dans les parlements, le taux de représentation reste faible dans l’ensemble et le progrès est inégal ». Il est difficile de comprendre qu’après toutes les avancées en matière de droits et de politiques mondiales, les femmes soient toujours mises à l’écart dans certaines régions, même celles qui ont fait des études supérieures. De plus, leur pourcentage, bien qu’ayant augmenté, reste loin d'une parité homme/femme.
Pour autant la croissance de la féminisation des métiers constitue près de la moitié des actifs : 46% en 2004 (Marry, 2006). Cependant selon Marry « les variations de sexe des métiers ne conduisent ni à une vraie mixité, ni à une complète égalité. » (p. 84). De plus, « cette non mixité des emplois s’accompagne d’une moindre valorisation professionnelle et salariale des
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emplois exercés par les femmes ». Lors de ce double phénomène, les sociologues parlent de la ségrégation professionnelle. Car une fois encore les représentations liées à chaque sexe ont de grandes répercussions dans le rapport au métier, sont toujours associées aux femmes les qualités relationnelles et l’incompétence technique et aux hommes la capacité à commander, la créativité et les habilités techniques (Marry, 2006).
Dans les professions supérieures qui ont un accès direct au pouvoir, l’entrée des femmes est liée aux diplômes autorisant l’exercice de la profession. En effet, « le diplôme représentant un atout plus central encore pour elles (les femmes) que pour les garçons dans l’accès à l’autonomie professionnelle, financière, personnelle » (Marry, 2006, p.84). Avec ce dernier, le déni de leur qualification dans le cas des professions supérieures est moins probable.
Néanmoins, se véhicule aussi le concept de qualités du féminin ou du masculin, lesquelles engendrent la disparité et conduisent les femmes à rester dans des positions moins visibles et moins prestigieuses. Marry (2006) en s’appuyant sur les études d’autres chercheurs signale :
« l’évidence arbitraire des justifications de la division sexuelle du travail par des « qualités » différentes ou spécifiques à chaque sexe. » Elle affirme : « Aucun outil, aucune technique, aucun apprentissage n’a un sexe « naturel ». (p.86). Marry (2006 p.91) évoque l’exemple de la féminisation de la police française avec l’accès des femmes à l’usage de la violence légale :
« si la présence des femmes dans le monde viril n’adoucit pas ses mœurs, elle introduit une perturbation dans le regard porté au sein et à l’extérieur de cette institution » car comme le souligne Paola Tabet (2000) « le monopole de l’arme a une importance décisive dans les rapports entre hommes et femmes : c’est en effet dans la technologie qui crée les armes et dans les armes mêmes que se produisent les progrès les plus importants, ceux qui marquent la distance entre outils masculins et féminins, puisque les armes sont en même temps des outils de production privilégiés. Mais l’aspect qui prévaut est celui du contrôle de la force ;; d’où le rigoureux interdit imposé aux femmes quant à l’emploi des armes. » (p.66)
A ce sujet, Geneviève Pruvost l’auteure de la thèse de doctorat, « l’histoire de l’entrée de femmes dans les différents métiers de police », analyse « les opérations visant à endiguer l’afflux de femmes dans la police, en maintenant la croyance dans la nécessité de la force physique et dans la suprématie « naturelle » des hommes dans ce domaine ». (in Marry, 2006, p.92). Il est évidant que les qualités accordées à chaque sexe persistent, en effet la force physique et la suprématie masculine sont des critères de sélection, le policier est présenté comme un homme grand et fort. Nous percevons ici que même si les avancées sont visibles, les femmes sont toujours discriminées, soit à cause de leur condition physique, soit par les
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qualités assignées arbitrairement aux deux sexes. En somme « La division sexuelle du travail avec ses formes d’accès inégal aux moyens de production aux outils, la répartition inégale de ressources, l’inégalité des salaires, tout cela de façon différente selon les sociétés, constitue la base d’un échange inégal où les femmes cèdent non seulement leur capacité de travail, leur travail productif, mais aussi leur capacité de procréation, leur corps entier » (Tabet, 2000, p.
97).
Il est donc essentiel de parler de la notion de « pouvoir ». Le pouvoir est défini comme :
« Avoir la possibilité, les moyens physiques, matériels, techniques, etc., intellectuels, physiologiques de faire quelque chose, autorité, puissance, de droit ou de fait, détenu sur quelqu’un, sur quelque chose » (Le petit Larousse, 1996). Celui qui exerce le pouvoir, collectivité ou individu, est influencé par les mythes, le langage et les symboles. Pour la société le rapport qu'ont les femmes au pouvoir n’est pas le même que celui qu'ont les hommes. Pour exercer le pouvoir il faut avoir certes les caractéristiques typiques du monde masculin ;; de l’ambition, de la confiance en soi, de la compétitivité, un fort caractère, etc. Les femmes résistent souvent aux restrictions et aux impositions, et luttent pour montrer leurs capacités. Or elles sont rattrapées par des questionnements liés à la famille, au couple ou aux compétences. Souvent ces questionnements sont fortement attachés aux notions préétablies par leur entourage. Donc, le concept de pouvoir est souvent mal interprété et beaucoup de problèmes restent non résolus notamment en ce qui concerne l’octroi de pouvoir aux femmes pour agir sur leur propre condition sociale, politique et économique. . Pour Jacqueline Laufer (2008) de nombreuses inégalités et discriminations persistent dans la situation des femmes sur le marché du travail salarié, ainsi que dans celle du travail domestique. Celles-ci en dépit de l’essor de l’activité féminine, de la progression des scolarités féminines et de l’homogénéisation du comportement d’activités reconnus comme étant soit masculins soit féminins. Ces inégalités et discriminations concernant tant les salaires que les carrières, l’emploi féminin reste concentré sur un petit nombre de professions fortement féminisées et souvent peu qualifiées, aussi l’emploi à temps partiel et leur situation familiale sont des facteurs d’inégalité supplémentaires. De plus, même si les femmes constituent plus du tiers des cadres et professions intellectuelles supérieures, elles ne sont qu’une minorité des équipes dirigeantes dans les entreprises. En effet, la situation actuelle des femmes dans l’univers du travail salarié est ambigüe, d’un coté nous constatons un progrès quant à l’emploi féminin et les lois concernant l’égalité professionnelle, mais d’un autre coté les inégalités et les discriminations persistent.
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Aujourd’hui le rôle passif et le manque d’ambition chez la plupart des femmes persistent. Les femmes ont tendance à se sous estimer, de même que leur vocabulaire et leur comportement modeste témoignent de l’attitude typique du manque de confiance en soi. Elles ont souvent peur de ne pas pouvoir être à la hauteur et faire valoir leur opinion. Selon Kanter (1977) les femmes doivent fournir davantage d'efforts par rapport à ceux de leurs pairs masculins. De ce fait les femmes adoptent des stratégies d’autolimitation de leurs compétences et font « profil bas ». L'« hypothétique nature féminine » est fondée sur un système de valeurs et de priorités différentes de celles des hommes dont nous pouvons notamment citer l’amour, la communication, la beauté et les rapports humains (Gray, 1994). Donc, par conséquence les femmes ne sont pas attirées par le rapport au pouvoir, la prise de décisions et moins encore par des métiers où l’ambition et la compétitivité sont un avantage. Une telle idée ne devrait absolument pas être omise dans un environnement particulièrement dirigé par des modèles masculins renforcés à travers le temps.
2.2. Théorie sociocognitive : triade dynamique
La théorie sociocognitive élaborée par Albert Bandura dans les années 80 tire ses racines du behaviorisme et de la psychologie sociale. La théorie sociocognitive est basée sur la notion d’interaction entre de facteurs personnels, de comportement et d’environnement. En effet, « la personne est un sujet qui traite activement l’information qui lui parvient et produit des attentes à l’égard des autres et des choses, plutôt qu’un acteur réagissant de façon automatique à des contingences de renforcement » (Bandura, 2004, p.31). Ainsi, par le biais du feed-back et de la réciprocité, la réalité d’un individu se forme grâce à l’interaction de l’environnement et de la cognition (la pensé, les représentations, les prises de conscience) donnant des réponses comportementales. En d’autres termes, la théorie sociocognitive tente d’expliquer le comportement humain en termes d’interactions continues entre les déterminants cognitifs, comportementaux et environnementaux
Dans la théorie sociocognitive, le fonctionnement psychologique est analysé au travers d’une casualité réciproque triple appelée « triade dynamique » : personne, comportement et environnement. Ces trois types de facteurs entrent donc en interaction deux à deux. « Les facteurs internes à la personne concernent les événements vécus au plans cognitif, biologique et leur perception d’eux même (efficacité personnelle, buts cognitifs, analyse et réactions affectives de soi). Les déterminantes du comportement décrivent les patterns d’actions effectivement réalisées et les schémas comportementaux. Les propriétés de l’environnement social et organisationnel, les contraintes qu’il impose, les stimulations qu’il offre et les
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réactions qu’il entraine aux comportements représentent le déterminant environnemental » (p.32)
PERSONNE
ENVIRONNEMENT COMPORTEMENT
Dans ce système de casualités multiples, l’influence de chaque interaction réciproque dépendra de l’activité en cours, des circonstances situationnelles et des contraintes socioculturelles. Pour le développement de ce travail, nous sommes particulièrement attirés par la notion de sentiment d’efficacité personnelle de la théorie sociocognitive, qui est à l’origine de la question des contributions causales des sujets sociaux eau-mêmes à leur propre pensées, motivations et actions.
2.2.1. Sentiment d’efficacité personnelle
La nature nous dote de possibilités mais seule la croyance que nous avons en nos capacités les convertit en réalités. Les personnes croyantes et confiantes en leurs aptitudes, sont celles qui sont vraiment capables de surmonter leurs propres limites. Albert Bandura a développé le concept du sentiment d’efficacité personnelle (SEP). Il s’agit de la « capacité productrice au sein de laquelle les sous-compétences cognitives, sociales, émotionnelles et comportementales doivent être organisées et orchestrées efficacement pour servir de nombreux buts » (Bandura, 2004, p.60).
Pour Bandura un individu possédant un fort sentiment d’efficacité personnelle se verra réussir dans ses activités, persévérer en présence d’épreuves et ne lâchera pas la tâche en cas d’échec (Bandura, 2003). Les buts personnels sont sources de motivation, mais seulement à condition que l’individu obtienne des feedbacks continus dans le prolongement de ses buts.
Ces feedbacks permettront une meilleure intériorisation du sentiment d’efficacité personnelle.
Une fois que la personne atteint son but, elle éprouvera également de la satisfaction personnelle et celle-ci deviendra le moteur principal de la motivation. Il n’est pas question, pour Bandura, de travailler juste sur les buts finaux, car ces buts peuvent nous nuire, nous
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intimider ou nous déborder. Il faut donc fractionner le chemin par étapes et pour chaque étape réussie, le sentiment d’efficacité personnelle augmente.
En général, la création du sentiment d’efficacité personnelle se construit durant les premières années de vie. L’enfant ne peut pas faire des autoévaluations adéquates, il s’en référera aux jugements d'autrui pour la création du sentiment d’efficacité personnelle. Pendant cette période les parents et les formateurs peuvent l'aider à développer un solide sentiment grâce aux devoirs et aux accompagnements. Entre les formes de création et de développement du sentiment d’efficacité personnelle il existe quatre sources d’information : la maîtrise personnelle, l’apprentissage social, la persuasion par autrui, et l’état physiologique et émotionnel.
La maîtrise personnelle représente la façon la plus « effective » de créer un fort sentiment d’efficacité personnelle et la réussite des tâches. Tandis que les réussites construisent une forte confiance en soi, les échecs produisent le contraire, spécialement si les échecs arrivent avant la solidification du sentiment d’efficacité. Le sentiment d'efficacité solide ne se construit pas avec des succès éphémères, car si la personne n'expérimente que ceux-ci, elle peut s'habituer à des résultats faciles et rapides et se décourager plus facilement face à l’échec.
A contrario, l’expérience de vaincre les obstacles par des efforts persévérants construit un solide sentiment d’efficacité. Par la suite, quand les personnes seront convaincues qu'elles ont le nécessaire pour réussir, elles persévéreront et pourront se relever plus rapidement face aux adversités (Lecomte, 2004).
L’apprentissage social se fait si les personnes voient des pairs réussir des activités avec succès en faisant un effort constant. La croyance qu’elles pourront parvenir à atteindre des activités similaires sera renforcée (Lecomte, 2004). L’observation de « modèles » est importante, surtout quand il s’agit de développer le sentiment d’efficacité pour des tâches non familières.
Les « modèles » ont deux rôles importants : d'un côté, ils permettent d’échelonner les standards sociaux par rapport au jugement que portent les individus sur leurs propres capacités ; d'un autre côté, les individus cherchent des modèles qui ont les compétences souhaitées. Ces « modèles », à travers leur manière de penser et de se comporter, transmettent des connaissances, des stratégies et le savoir faire afin de répondre de manière satisfaisante aux demandes de l’environnement (Bandura, 1995). Benoît Galand (2004, in Bandura), parle d’ailleurs d’expériences vicariantes et rejoint Lecomte sur le fait qu’« observer la réussite ou l’échec des autres personnes dans une tache peut jouer sur le sentiment d’efficacité d’un
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individu par rapport à cette tache, surtout si ces personnes partagent avec lui un certain degré de similitude qui facilite le processus d’identification (âge, genre, niveau scolaire, etc.) » (p. 100).
La persuasion par autrui est une autre source du sentiment d’efficacité personnelle. Les personnes persuadées verbalement qu’elles possèdent les capacités nécessaires pour dominer une tâche, sont plus sujettes à faire un effort considérable et constant par rapport à celles qui doutent de leurs propres capacités (Bandura, 1995).
La dernière source est l’état physiologique et émotionnel. Les personnes ont tendance à se laisser guider par leurs états corporels et psychologiques afin d'évaluer leurs capacités. De cette manière, elles déduisent que les réactions de tension et de stress sont signes d’une faible performance ou de vulnérabilité. L’humeur influence aussi l’évaluation de l’individu face à son sentiment d’efficacité. La mauvaise humeur diminue le sentiment d’efficacité personnelle, tandis que la bonne humeur l’augmente.
Bandura a aussi accordé de l’importance à l’interaction qui existe entre les croyances d’efficacité et la réceptivité de l’environnement. Quand l’environnement d’un sujet est favorable à son développement, ses comportements seront positivement influencés, ainsi les résultats seront plus accordés aux attentes de son groupe social. Ci-dessous nous reprendrons le tableau qui montre le rapport entre les croyances d’efficacité et les attentes de résultat.
Donc quand les attentes de résultat sont faibles, les sujets avec un sentiment d’efficacité personnelle élevé auront tendance à mobiliser davantage leurs efforts et même à changer de pratiques (quadrant 1), tandis que les sujets qui ont un faible sentiment d’efficacité personnelle renonceront à la tâche plus rapidement (quadrant 3). D’un côté, quand les attentes de résultat sont élevées, les personnes avec un sentiment d’efficacité élevé sont motivées par de fortes aspirations et jouissent des résultats obtenus (quadrant 2). Par contre, d’un autre
Faibles attentes de résultat Fortes attentes de résultat Sentiment élevé d’efficacité
personnelle
Revendication Reproches Activisme social Changement de milieu
Engagement productif Aspirations
Satisfaction personnelle Faible sentiment
d’efficacité personnelle
Résignation Apathie
Autodévalorisation Découragement
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côté, si les sujets ont un faible sentiment d’efficacité et qu’ils voient que l’effort des autres est récompensé, ils peuvent chuter dans l’autodénigrement et la dépression (quadrant 4).
(Lecomte, 2004, p. 63).
2.2.2. L’influence du sentiment d’efficacité personnelle dans la réussite scolaire et professionnelle
Le sentiment d’efficacité personnelle a un rôle vital dans l’environnement académique.
Bandura suggère que les croyances sur la performance du sentiment d’efficacité personnelle influent sur le niveau d’effort, la persévérance et le choix des activités. Les élèves qui ont un haut sentiment d’efficacité pour accomplir les devoirs persisteront plus en cas de difficulté, de même ils travailleront avec plus intensité et participeront plus que ceux qui doutent de leur capacités. Ces croyances sont importantes pour former des personnes capables de se former tout au long de la vie puisque les croyances en leurs propres capacités pour affronter des activités académiques agissent directement sur le niveau d’aspiration des élèves, leur préparation pour différentes carrières, ainsi que leur niveau d’intérêt dans les réalisations intellectuelles et leurs succès académiques. Lors de la formulation des objectifs académiques, le sentiment d’efficacité et le développement compétences sont plus intenses chez les élèves qui se fixent des objectifs à court terme que chez ceux qui se fixent des objectifs à long terme. Puisque les objectifs à court terme montrent des habilités croissantes. De plus les élèves ayant de la motivation verbale et des feedbacks pertinents durant le processus d’obtention des objectifs auront des chances plus fortes d’augmenter leur motivation, leurs compétences et leur sentiment d’efficacité personnelle. Galland (Bandura, 2004, p.95) mentionne des recherches québécoises menées auprès d’élèves chez qui le sentiment d’efficacité personnelle était manipulé au moyen de feed-back. Ces feed-back comparaient deux groups des élèves du même niveau de formation, en leur annonçant leur performance comme étant meilleure ou piètre que celle de l’autre groupe, afin de voir la possible modification positive ou négative de leur sentiment d’efficacité. En général les recherches signalées par Bandura indiquent que « l’effet des feed-back sur les réactions de participantes est largement fonction des modifications qu’ils entrainent dans l’efficacité perçue » (p.96). Et conclut en disant « il est possible de mettre en place une structuration des activités d’apprentissage qui soutient une acquisition graduelle de compétences et leur validation progressive, et de développer ainsi le sentiment d’efficacité et l’engagement des apprenants, même quand ceux-ci ont un niveau initial de compétence très bas. » (p.108).
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A propos de la réussite professionnelle, le sentiment d’efficacité joue un rôle vital. Lecomte (2004) cite des recherches menées par Bandura (1991) à ce sujet, d’un côté « des managers ordinairement doués, mais amenés à croire que la prise de décision complexe est une aptitude innée, que les organisations ne sont pas facilement contrôlables et que d’autres cadres réussissaient mieux qu’eux, et qui ont reçu un feed-back soulignant l’insuffisance de leur performance managériale, ont présenté une détérioration progressive de leur fonctionnement managérial » (p.78). Les doutes et les hésitations récurrents à propos de leur capacité managériale, ainsi que la diminution de résultats favorables dans leur organisation, affaiblissent notoirement leur sentiment d’efficacité managériale. D’un autre côté « la croyance selon laquelle la prise de décision complexe est une compétence que l’on peut acquérir et que les organisations sont contrôlables, et un feed-back soulignant les capacités comparatives des cadres et leurs gains de performance, ont favorisé la productivité organisationnelle. » (p.78). Les cadres bénéficiant de ces modes de croyances favorables ont révélé un sentiment durable d’efficacité managériale, ainsi ils se sont établis de nouveaux objectifs et ont amélioré la productivité organisationnelle.
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3. PROBLÉMATIQUE
La problématique traitée dans cette recherche portera sur le processus lié à la construction du parcours éducatif et d’orientation professionnelle, ainsi qu’à la construction de l’identité professionnelle des femmes ayant des postes à hautes responsabilités. Nous chercherons à comprendre de quelle manière une femme qui est au sommet de l’hiérarchie d’une institution ou d’une entreprise -publique ou privée- accède, vit et réussit sa vie professionnelle. Leur engagement représente une situation conséquente, impliquant divers changements autant pour elle-même que dans leur entourage. Nous tenterons d’identifier ce qui fait qu’une femme ayant fait des études supérieurs atteigne ou non un poste avec de hautes responsabilités. De manière plus approfondie, il s’agit de comprendre ce qui se passe durant les phases clefs de leur parcours de vie. Pour ceci nous allons creuser dans le discours de femmes de pouvoir afin de saisir ces différentes étapes vécues, ainsi que la motivation leur ayant permis de devenir des « êtres » qui ont le pouvoir de modifier et d'apporter des changements à la société actuelle. Cela suppose des épreuves à traverser, ainsi que l’utilisation de ressources permettant de les surmonter ; tels que les formations, les pairs, la famille, etc. Il est aussi dans notre intérêt de comprendre ce qui a permis la constitution du sentiment d’efficacité personnelle car le regard qu’elles portent sur elles-mêmes et les appréciations venant de l’extérieur font partie de ce processus identitaire qui construit les leaders.
Ce travail de mémoire est guidé par les deux questions suivantes :
1. Comment se construit l’identité professionnelle d’une femme au pouvoir ?
2. Comment s’est tissé le lien formation/emploi dans le parcours de vie de ces femmes ?
Pour répondre à ces questions notre démarche d’analyse sera divisée en trois périodes (Dubar, 2010) :
La période qui précède l’entrée en formation. Il s’agit d’analyser les processus d’engagement ainsi que d’élaboration subjective du choix professionnel.
La période de fréquentation de l’espace/temps de la formation. Il s’agit ici d’analyser les processus de construction d’une identité professionnelle.
La période de confrontation avec le marché du travail. C’est de cette période que vont en grande partie dépendre la reconnaissance par autrui de ses compétences ainsi que « la construction par soi de son projet, de ses aspirations et de son identité possible ».
(Pita J-C p. 139).