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C ONSTRUCTION SOCIALE ET HIÉRARCHIE : S EXE ET GENRE

2. CADRE THÉORIQUE

2.1 G ENRE ET ACCÈS AU POUVOIR

2.1.1. C ONSTRUCTION SOCIALE ET HIÉRARCHIE : S EXE ET GENRE

Nous allons tout d’abord  définir le terme sexe et dans un deuxième temps le terme genre. Le terme sexe, selon son contexte, peut être principalement défini de trois façons différentes: le sexe  biologique,  le  sexe  d’état  civil  et  le  sexe  psychique.  

Les biologistes utilisent le terme de sexe biologique pour se référer « au différentes composantes permettant de caractériser ce qui relève du sexe biologique » (Collet, 2012, Glossaire genre). Il existe plusieurs facteurs qui rendront complexe cette catégorisation, car le sexe biologique se base sur le sexe chromosomique, le sexe hormonal, le sexe gonadique et le sexe anatomique. Chacune de ces composantes pouvant   différer,   on   parle   d’un   archipel   du   sexe  plutôt  que  d’un  continuum.

En matière physiologique, les cerveaux des mâles et des femelles sont différents du point de vu biologique, mais uniquement en ce qui concerne les fonctions reproductives. La sexualisation   du   cerveau   s’effectue   au   cours   du   développement   embryonnaire,   le   sexe   génétique   de   l’embryon   induit   la   formation   des   organes   sexuels   qui   fabriquent   aussi   des   hormones sexuelles qui vont ainsi pénétrer dans le cerveau. Ces hormones sont sécrétées dans le   sang   du   fœtus.   Tout   ce   processus   est   valable   chez   tous   les   mammifères   et   permet   la   reproduction  sexuée  nécessaire  à  la  survie  de  l’espèce.  Les  différences  dans  le  fonctionnement   cérébral entre les sexes ne peuvent être vérifiées scientifiquement. Les arguments les plus connus pour obtenir matériellement ces différences sont issus des tests de psychologie expérimentale où les facteurs socioculturels interfèrent en réalité avec les résultats (Vidal, 2006). Par exemple Vidal parle de la plasticité cérébrale. Elle nous donne comme exemple une recherche faite auprès de sujets qui apprennent à jongler avec trois balles. Après deux mois   d’apprentissage   les   zones   qui   contrôlent   la   vision   et   la   coordination de mouvements, sollicités par cet apprentissage, se sont épaissies, ce qui traduit la capacité du cerveau à se modeler  en  fonction  de  l’expérience  (Vidal,  2006,  p.  52).  

La   deuxième   façon   de   définir   le   sexe   est   selon   l’état   civil.   Le sexe   d’état   civil est la construction sociale du sexe binaire, en général il fait   concordance   avec   l’organe   génital   extérieur. Alors on est reconnu soit comme un homme, soit comme une femme.

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Finalement,  la  troisième  façon  de  définir  le  sexe  d’une  personne  est  selon  le sexe psychique qui est le sexe intérieurement ressenti et vécu ; il existe des personnes dont le sexe biologique diffère de leur sexe psychique, appelées transsexuelles.

Le genre quant à lui, peut   être   tout   d’abord,   défini   comme  la construction sociale du sexe d’état   civil.   La   société   crée   une   relation   directe   entre   sexe   et   genre,   c’est-à-dire que les comportements jugés masculin seront attribués aux hommes et les comportements féminins seront attribués aux femmes.

En revanche, dans un sens sociopolitique, selon Isabelle Collet (2010, p.111) « le genre est un ensemble de normes de sexe différenciatrices et hiérarchisantes, attribué aux individus indépendamment  de  leur  sexe  d’état  civil ».

Selon Nicole-Claude Mathieu (1997), le genre est relié aux activités sociales déjà préétablies et le sexe est plutôt relatif au biologique. De plus, la société atténue cette différence entre sexe et genre en assignant des fonctions précises à chaque corps social. Les aspects spécifiques du genre sont alors des conséquences de cette même différenciation sociale. En occident, les notions   de   sexe   et   de   genre   ont   un   recouvrement   obligatoire,   dans   d’autres   sociétés   les   définitions  n’y  sont  pas  aussi  claires,  il  y  a  plusieurs  facteurs  comme  l’ethnologie,  l’éducation   qui impliquent ces relations. De plus, toute croyance sert à instaurer une différence biologique et sociale des sexes.

Il faut souligner aussi que la division du travail dans notre société apparemment égalitaire n’est   pas   neutre,   il   s’agit   plus   de   domination   que   de  complémentarité. La répartition des tâches   reflète   l’écart   de   chances entre les sexes. En effet, la domination agit explicitement dans  la  construction  d’une  identité  sexuée  et  c’est  à  travers  l’identité de genre (Mathieu, 1973) que la société inculque aux sujets les devoirs et les interdits liés à la division du travail et aux obligations familiales. Dans ce contexte, « La division sexuelle du travail doit être analysée en tant que relation politique entre les sexes » (Tabet, 2000 p.16)

En ce sens, le féminisme ne semble pas être nécessaire si la citoyenneté est conçue comme un octroi « naturel »  qui  suppose  l’égalité  face  aux  droits  et  face  à  l’état  de  toutes  les  personnes ; cela  implique  que  n’importe  quel  attribut,  comme  celui  d’être  femme,  devient  accessoire. Les femmes  ont  intériorisé  et  reproduit  certaines  idées,  au  point  de  penser  qu’être  femme  amène  à   un avenir certain et naturel et n'ont pas besoin de revendications politiques après celle de la libération sexuelle.

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2.1.1.1. Identité sexuée

L’identité sexuée commence à se construire très tôt, dès la petite enfance grâce au contact des autres.  De  ce  fait  les  influences  extérieures  aident  les  enfants  à  s’identifier  eux-mêmes en tant que garçons et filles et à se placer dans les catégories sociales déjà établies. Ce qui rejoint Dafflon Novelle (2006), qui   dit   qu’il   a   deux   éléments   essentiels   pour   la   construction   de   l’identité  chez  l’enfant : « l’activité  de  l’adulte  sur  l’enfant  et  l’activité  de  l’enfant  à  travers   son observation du monde sexué » (Dafflon-Novelle, 2006, p. 21). Grâce  à  l’observation  du   monde les enfants apprennent très rapidement les comportements typiques des deux sexes

« Dès 2-3 ans, les enfants ont déjà connaissance des activités, professions, attitudes stéréotypiquement dévolues à chaque sexe » (Dafflon-Novelle, 2006, p.14). Dans notre société, l'actualité des nombreux éléments (jeux, médias, vêtements, sport, etc.) influenceront le comportement des enfants mobilisant davantage de stéréotypes issus des inégalités entre les deux sexes. Pareillement, la famille est un des noyaux essentiels pour la socialisation première,   et   particulièrement   pour   la   prise   de   repères   dans   la   construction   de   l’identité   sexuée : « les parents sont en particulier le témoignage vivant de comportements plus ou moins conformes au « féminin » et au « masculin »,  et  plus  largement  d’une  certaine  division   du travail et des compétences entre les sexes» (Duru-Bellat, 2004, p. 14). Les individus au fur et à mesure du développement de leur vie enfantine, construisent et renforcent leurs comportements, leurs émotions, ainsi que la hiérarchie des sexes en aboutissant enfin aux rôles caractéristiques du « féminin » et du « masculin » (Dafflon Novelle, 2006). Il semblerait que « les   stéréotypes   de   sexe   apparaissent   d’ailleurs profondément intériorisés et leur légitimité non discutée, chez les enfants de 6-11 ans » (Short, 1993 in Duru-Bellat 2004, p.93).

En  ce  qui  concerne  l’école,  les  stéréotypes  des  sexes  ont leur place au sein de la classe. Les enseignant-e-s recourent assez souvent aux oppositions entre les garçons et les filles pour gérer  mieux  les  différentes  situations  qui  peuvent  se  présenter  au  cours  d’une  classe.  En  effet,   les mots et les remarques adressés aux élèves sont fortement sexués. Par exemple les remarques  concernant  l’apparence  physique  sont  spécialement  adressées  aux  filles,  tandis  que   les réactions des enseignant-e-s  envers  les  comportements  d’agressivité  chez  les  garçons  ou   chez les filles sont mitigés. En effet, chez les garçons ces comportements sont jugés naturels mais   quand   il   s’agit   des   filles   ces   mêmes   comportements   sont   tout   à   fait   impensables.   Les   filles   sont   perçues   comme   des   sujets   qui   peuvent   rendre   l’atmosphère   de   la   classe   plus   studieuse selon leur emplacement stratégique dans la salle du cours, la proportion de filles et

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de garçons est donc importante pour le climat général des classes. (Duru-Bellat, 2004). Les chercheurs estiment que les enseignants consacrent un peu moins de temps aux filles (44% de leur temps), même si cette différence semble minime, à travers ces contacts, les garçons reçoivent un enseignement plus personnalisé, alors que les filles sont davantage traitées et perçues comme un groupe (Duru-Bellat, 2004). En générale, « les différences de traitement observées chez les maitres sont le reflet des différences de comportement des élèves ». Ainsi quand les garçons posent des problèmes à cause de leur agitation et leur mauvaise discipline, les  enseignants  leur  consacrent  plus  d’attention,  créant  d’avantage  de  moments  personnalisés ; ceci  accentue  aussi  l’idée  que  les  garçons  dominent  les  interactions,  car  la  discrétion  des  filles   en   classe   fait   qu’on   leur   donne   moins   la   parole.   Néanmoins   les   filles   demandent   plus   couramment  de  l’aide  et  ceci  amènerait les enseignants à interagir avec elles de manière plus constructive. (Duru-Bellat, 2004, p. 92). Cependant quand les filles se retrouvent en groupe mixte  dans  une  situation  d’interaction  compétitive,  elles  auront  tendance  à  diminuer  leur  auto-attribution de compétence, et à se sous-estimer en présence de garçons. (Mosconi, 2004, p.166).

Au total, les garçons et les filles « luttent » tout au long de leur vie scolaire pour se positionner dans les rôles spécifiques de chaque sexe. Cette position les assurera dans leur identité sexuée. Ainsi,  bien  réussir  à  l’école,  le  souci  de  plaire  à  l’autre,  l’apparence  physique   et la maturité seront dénoncés plutôt comme « féminin », alors que se faire remarquer, dominer,  avoir  l’indépendance  et  la  capacité  de  défier  les  règles  seront  dénoncés  comme  des actions plutôt « viriles ». Néanmoins, comme le souligne Duru-Bellat, (2004, p.95), il existe des cas de « résistance » qui cassent « le régime du sexe », notamment le cas des filles qui défient ouvertement leur environnement, en utilisant des attributs dit féminins à des fins de perturbation scolaire (bavardages, ricanements, maquillage en classe, etc.) voire aussi des comportements de « garçon manqué ».

2.1.1.2. Revendication

Si nous suivons la logique traditionnelle ; femme et féminité semblent être des concepts indissociables. Ces deux concepts sont en relation avec un corps biologiquement particulier et aussi   avec   des   pratiques   et   des   comportements   jugés   logiques   dans   l’ensemble   des   caractéristiques biologiques :   l’instinct   maternel   ou   l’association de la sensibilité avec la féminité. Pourtant, se référer au corps permet de visualiser les inscriptions symboliques qui caractérisent les pratiques féminines. Selon le rapport millénaire pour le développement des Nations Unies 2008 « les 60% des 1000 millions de personnes les plus pauvres du monde sont

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des femmes et des filles. Les 66% des 990 millions des adultes analphabètes sont des femmes, et  les  filles  représentent  70%  des  130  millions  d'enfants  qui  ne  vont  pas  à  l’école ». De plus, il semble que les faits soient aussi frappants deux ans après « En 2010 il y avait encore 122 millions de personnes ayant entre 15 et 24 ans (74 millions de femmes et 48 millions d’hommes)  qui  étaient  incapables  de  lire  et  d’écrire  un  petit  exposé  simple  sur  leur  vie  de  tous les jours »( www.un.org/fr/documents/). En  d’autres  termes,  le genre joue un rôle central au moment   d’expliquer   des   phénomènes   comme   la   féminisation   de   la   pauvreté   ou   de   l’analphabétisme  car l’inscription   initiale   de   « genré » un corps comme étant féminin a de grande chances  d’engendrer  des  situations  d’inégalité  et  de  domination.  Alors,  naître  femme n’est  pas  la  même  chose  que  naître  homme.

Nous pouvons dire que le problème commence au moment de « naître femme », puisque les femmes ne naissent pas dans des familles plus pauvres ou avec moins de possibilités de s’éduquer que les hommes. En revanche, une famille manquant de moyen, selon par exemple le pays, le statut social ou la religion, aura tendance à  privilégier  l’éducation  des  garçons  de  la   famille. Il est donc clair que « être femme » ne se réduit pas à quelque chose qui ne définit que  l’organe  génital  d’un  bébé mais  aussi  d’une  inégalité  des  chances  acquise  à la naissance.

Dans la quête de la revendication, la question de la sexualité et la reproduction des femmes se font écho. Car ce sont des moyens complexes de pression sociale, physique ou idéologique,

« la   sexualité   n’est   pas   pour   les   femmes   une   expression   individuelle,   subjective,   mais   une   institution sociale de violence » (Wittig in Tabet, 2000, p. 94). En effet, la sexualité des femmes -étant toujours associée à la reproduction, notamment dans le mariage- serait donc exercée  en  fin  de  la  fécondation,  la  grossesse  et  l’accouchement.  Selon  Tabet  (2000)  il  n’est   pas  question  d’examiner  les  formes de sexualité des femmes ou des hommes. Par contre « Ce qui   est   en   jeu   est   un   rapport   politique   entre   les   sexes   où   l’on   peut,   ou   non,   contraindre   l’autre,  exproprier  l’autre  de  sa  personne  même » (p.95). Cette idée obligera toutes sociétés humaines à s’interroger   sur   la   limitation   de   la   sexualité   des   femmes   à   cette   forme   exclusivement reproductive (p. 96).