M ATHÉMATIQUES ET SCIENCES HUMAINES
M ICHEL F LIESS
Séries formelles
Mathématiques et sciences humaines, tome 35 (1971), p. 39-42
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SÉRIES FORMELLES
par Michel FLIESS1
RÉSUMÉ
La
classification
chomskienne deslangages formels
conduit à l’étuded’objets mathématiques
nouveaux:les séries rationnelles et
algébriques
en variables non commutatives.Il est admis
qu’au
cours de leurdéveloppement,
lesmathématiques
ont bénéficié des autres sciencesqui,
ne trouvant pas dans les
mathématiques
existantes les outilsnécessaires,
contribuaient ainsi à la création de moyens nouveaux.Jusqu’à
ces dernièresannées,
ce sont surtout les sciencesphysiques qui
ont servid’aiguillon.
Depuis,
d’autres sciencesprofitables
auxmathématiques
sont apparues, parexemple
lalinguis- tique,
notamment dans sa version chomskienne. Onsait,
eneffet,
que le formalisme de N.Chomsky
consiste à
appeler langage
toutepartie
d’un monoide libre. Ce sont surtout les deux types delangages
les
plus simples qui
ont pu,jusqu’à présent,
être étudiésmathématiquement
avecquelque succès
nous entendons par là les
langages
reconnus par les automates finis et ceux que l’onappelle context-free
et
qui correspondent,
grossomodo,
à certainslangages
deprogrammation
sur machine.C’est à M. P.
Schützenberger
que revient le mérite d’avoir montréqu’à
ces deux types delangages correspondent
les notions de rationalité etd’atgébricité
ainsiqu’on
les entend en théorie des nombres.Un théorème de S. C. Kleene montre
qu’un langage
reconnu par un automate fini estengendré
àpartir
de sous-ensembles finis par les
opérations d’union,
deproduit
et d’étoile 2.Or,
à cesopérations
corres-pondent
pour lesnombres, addition, multiplication
et inversionqui
permettentd’engendrer Q
àpartir
de Z. On remarque, d’autre part, que la
grammaire qui produit
unlangage context-free
peut être considéréecomme un
système d’équations
et lelangage
comme une composante de la solution de cesystème.
Il est loisible de considérer les éléments d’un
alphabet
comme des variablesq ui
ne commutentpas entre elles.
Plaçant
devant les mots des coefficientsnumériques
ou,plus précisément,
les éléments d’un anneauA,
on obtient des sériesformelles
en variables non-commutatives que l’on additionne etmultiplie
selon desrègles
faciles à trouver. X*désignant
le monoide libreengendré
p ar unalphabet X,
une série s en les variables non-commutatives X et à coefficients dans A est notée :
E ~.
1. CNRS.
2. P étant une partie d’un monoïde, l’étoile de P, notée P*, est le sous-monoïde engendré par P.
De même que pour un
langage,
une série rationnelle estengendrée
àpartir
depolynômes (qui
sontdes séries
n’ayant qu’un
nombre fini determes)
paradditions, multiplications
et inversions. Il estplus
délicat de définir une série
algébrique.
Soit :un ensemble fini de N inconnues. On considère le
système d’équations :
où pl, ..., pN sont des
polynômes
en les variables X etE,
dont les termes constants et les coefficients desmonômes §, ( j
= 1, ...,N)
sont nuls. On montrequ’un
telsystème
admet une solutionunique
que l’on peut calculer parapproximations
successives. Unesérie,
solution dusystème,
est ditealgébrique.
Il estaisé de voir que séries rationnelles et
algébriques respectivement,
forment des anneaux.Bien des
propriétés mathématiques
deslangages
sont conservées.Ainsi,
à l’intersection corres-pond l’opération appelée produit
d’Hadamard définie par :On montre que le
produit
d’Hadamard d’une série rationnelle et d’une sériealgébrique (resp.
rationnelle)
est une sériealgébrique (resp. rationnelle).
C’est l’utilisationsystématique
duproduit
d’Hadamard
qui
permet degénéraliser
aux séries la notion de transduction utilisée en théorie deslangages
où elle formalise la notion de traduction.Les séries en variables non-commutatives ont de nombreuses
propriétés
communes avec les sériesreprésentant
lesdéveloppements
deTaylor
des fonctionsanalytiques
d’une variablecomplexe. Or,
seulsdes moyens purement
algébriques, tels,
pour les sériesrationnelles,
le calculmatriciel,
permettent des démonstrations dans le cas non-commutatif. Cela contribueparfois
àjeter
une lumière nouvelle sur les fonctionsanalytiques
en renouvelant certainesproblématiques
comme celle duproduit
d’Hadamard.Les anneaux formés par les séries rationnelles et
algébriques
sont étudiées en utilisant les récentstravaux de P. M. Cohn et G. M.
Bergman
sur différentes classesd’algèbres
non-commutatives. On peutmontrer ainsi
qu’ils possèdent
diversespropriétés
de factorisation.Enfin,
nos séries constituent unpuissant
instrument enanalyse
combinatoire où elles permettent dedévelopper
une nouvelle théorie des fonctionsgénératrices.
Eneffet,
enplus
des coefficientsqui dénombrent,
ondispose
des mots que l’on peut astreindre à coder lesobjets qui
sont à dénombrer. De nombreuses familles degraphes planaires
sontcomptées
par desséries,
dont on peut démontrerl’algébricité.
Développée depuis
une dizained’années,
la théorie des séries rationnelles etalgébriques
envariables non-commutatives
paraît
riche de promesses.BIBLIOGRAPHIE
COMMENTÉE
Pour le lecteur
qui
voudrait allerplus loin, signalons
l’article suivantqui,
bienqu’assez ancien, présente
encore la meilleure
synthèse :
CHOMSKY, N., SCHÜTZENBERGER,
M.P.,
"Thealgebraic theory
of context-freelanguages", Computer programming and formal
systems, P. Brafford et D.Hirschberg (eds.), Amsterdam, North-Holland,
1963,
pp. 118-161(en
traductionfrançaise
dansLangages,
n°9,
mars1968,
pp.77-118).
Nos séries formelles ont été introduites dans l’article suivant :
SCHÜTZENBERGER,
M.P.,
"Unproblème
de la théorie desautomates",
Séminaired’algèbre
et de théoriedes nombres
(Dubreil-Pisot),
Secrétariatmathématique,
Faculté desSciences, Paris,
1959-60.Les séries rationnelles et le
produit
d’Hadamard ont étérespectivement
étudiés dans :SCHÜTZENBERGER,
M.P.,
"On the definition of afamily
ofautomata", Information
andcontrol, 4, 1961,
pp.
245-270 ;
"On a theorem of R.Jungen",
Proc. Amer. math.Soc., 13, 1962,
pp. 885-890.Pour les
applications
duproduit
d’Hadamard à diversproblèmes
issus de la théorie des fonctionsanalytiques,
voir :FLIESS, M., "Application
des variables non-commutatives à diversproduits
de sériesformelles",
Séminaire de théorie des nombres(Delange-Pisot-Poitou),
Secrétariatmathématique,
Faculté desSciences, Paris,
1969-70.Pour la théorie des transductions et diverses autres
généralisations
despropriétés
deslangages formels,
voir :
NIVAT, M.,
"Transductions deslangages
deChomsky",
Ann. Inst.Fourier, Grenoble,
18(1), 1968,
pp. 339-455.
FLIESS, M.,
Transductions et sériesformelles,
thèse de 3ecycle,
Faculté des Sciences deParis,
1969.Consulter aussi : "Transductions
algébriques",
Revuefrançaise d’informatique
et de rechercheopérationnelle,
4eannée, 1970, R-1,
pp. 109-125 et "Sériesreconnaissables,
rationnelles etalgé- briques",
Bull. Sc.Math., 94, 1970,
pp. 231-239. "Deuxapplications
de lareprésentation
matri-cielle d’une série
rationnelle",
J.of Algebra, 19, 1971,
pp. 344-353.Pour un résumé des travaux de P. M. Cohn et G. M.
Bergman,
voir :COHN,
P.M.,
"Free associativealgebras",
Bull. London math.Soc., 1, 1969,
pp. 1-39.Pour diverses
propriétés
defactorisation,
voir :FLIESS, M.,
"Inertie etrigidité
des séries rationnelles etalgébriques",
C. R. Acad. Sc.Paris, 270, 1970,
pp. 221-223.
L’aspect
combinatoire a étédéveloppé
par :GROSS, M., "Applications
combinatoires deslangages formels",
I.C.C.Bulletin, 5, 1966,
pp. 141-168.CORI, R., Graphes planaires
etsystèmes
deparenthèses,
thèse de 3ecycle,
Faculté des Sciences deParis,
1969.
RICHARD, J.,
"Sur un typed’équations
liées à certainsproblèmes combinatoires",
C. R. Acad. Sc.Paris,
272, 1971,
pp. 203-206.CORI, R., RICHARD, J., "Énumération
desgraphes planaires
à l’aide des séries formelles en variablesnon