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PLEIN VENT COLLECTION DIRIGÉE PAR ANDRÉ MASSEPAIN

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PLEIN VENT

COLLECTION DIRIGÉE PAR ANDRÉ MASSEPAIN

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DJIBI THIAM

MA SŒUR LA PANTHÈRE

ROMAN

ÉDITIONS ROBERT LAFFONT PARIS

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Si vous désirez être tenu au courant des publications de l'éditeur de cet ouvrage, il vous suffit d'adresser votre carte de visite aux Editions Robert Laffont, Service « Bulletin », 6, place Saint-Sulpice, 75279 Paris Cedex 06. Vous recevrez régulièrement, et sans aucun engagement de votre part, leur bulletin illustré, où, chaque mois, sont présentées toutes les nouveautés que vous trouverez chez votre libraire.

© Éditions Robert Laffont, S.A., 1978 ISBN 2-221-00040-4

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1 L'AGRESSION

La nuit était tombée depuis quelque temps déjà sur Koundjeya, un petit hameau perdu au fin fond de la brousse guinéenne. Une nuit noire comme seules peuvent l'être les nuits des débuts d'hivernage. Pas une étoile ne luisait dans le ciel chargé de nuages et d'humi- dité. Pas un souffle d'air n'agitait les frondaisons des manguiers et les frêles bambous. A peine pouvait-on encore percevoir, à travers l'obscurité, quelques pâles halos de lumière fusant difficilement à travers les murs de torchis des petites huttes basses et rondes, enfouies dans la végétation envahissante. Blottis dans leurs modes- tes abris, les habitants de Koundjeya s'apprêtaient à passer une nuit comme les autres, une nuit calme, hantée par les esprits et peuplée de mystères.

Leur vie était réglée sur le cycle du temps et des saisons. Ils se couchaient tous les soirs avec le soleil pour se lever le lendemain avec le soleil. Dès le crépus- cule, qui n'avait duré qu'un instant, ils avaient rangé, comme d'habitude, leurs outils et leurs ustensiles. Tous les objets qui pouvaient être rentrés dans les huttes avaient été soigneusement remis à leur place habituelle.

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Le reste avait été disposé selon les rites qu'exigeaient la coutume et les superstitions. Ainsi, les lourds mor- tiers dans lesquels les femmes pilent le riz, le fonio et le mil, avaient été retournés, et les pilons couchés par terre. Les grands canaris1 en terre cuite, les lourdes jarres, les marmites et les autres récipients volumineux et encombrants, avaient été vidés de leur contenu et retournés comme les mortiers. Pour les habitants de Koundjeya, ce n'étaient là que des mesures de prudence élémentaire. Elles avaient pour but de soustraire les objets ménagers aux manipulations maléfiques des génies malfaisants de la nuit et des sorciers jeteurs de sorts.

Dans les courettes, on avait éteint les foyers. Les mai- gres reliefs susceptibles d'attirer les bêtes trop près des huttes avaient été enterrés. La volaille avait rejoint les petites basses-cours sur pilotis et les chèvres avaient été attachées à des pieux, derrière de solides enclos.

Les greniers à grain avaient été fermés.

Un calme lourd pesait sur le petit hameau, inter- rompu, de temps à autre, par le coassement rauque des crapauds-buffles ou par le hululement sinistre d'un hibou solitaire perdu quelque part dans les ténèbres.

Les humains étaient rentrés dans leurs abris. La nuit appartenait à ses maîtres invisibles.

Assise sur une natte étendue sur le sol de terre battue, le dos appuyé au mur, les jambes allongées et les bras croisés sur les cuisses, une jeune femme, Mina, veillait en attendant le retour de son époux. Près d'elle, son petit garçon de quatre ans dormait profondément.

Une minuscule lampe, dont la mèche en fibre végétale brûlait dans un pot de terre à moitié rempli d'un résidu 1. Jarres en argile cuite servant à conserver l'eau ou les grains.

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d'huile de palme, éclairait l'intérieur de la hutte d'une lumière vacillante.

La femme était jeune et belle. Et, malgré la pénom- bre ambiante, on pouvait aisément deviner les contours d'un visage gracieux. La tête, aux cheveux tressés en petites nattes courtes, avait un port altier et l'ombre de son buste sculptural se projetait sur le mur crépi comme une statue de reine antique. Mais derrière cette apparence de sérénité, son cœur battait fort et ses yeux exorbités étaient pointés sur l'entrée de la hutte.

Cette entrée était obstruée par un paravent de nattes de roseaux tressés qui s'adaptait à l'ouverture en se plaquant sur elle comme un bouclier. Le ver- rouillage était assuré à l'intérieur même de la hutte au moyen d'une tige de bambou placée en travers de l'entrée.

Visiblement, la jeune femme était inquiète. Cela se voyait à sa façon de tendre l'oreille en retenant son souffle pour mieux saisir ce qui se tramait dans la nuit. En fait, elle était troublée par la nervosité peu coutumière de Couti, le chien du foyer, l'unique chien du hameau.

« Mais que diable a-t-il à s'agiter et à gémir comme ça ! » se demandait-elle plus nerveuse que jamais. « Il finira bien par défoncer cette porte s'il continue à gratter ainsi ! Je me demande bien quelle mouche l'a piqué ce soir ! Vivement que mon mari rentre ! »

Habituellement, Couti passait la nuit dehors, devant l'entrée de la hutte, en un endroit protégé des intem- péries par une avancée de la toiture de paille. C'était un petit carré d'où, depuis plus de dix ans, le vieux chien montait une garde sévère devant le foyer de ses maîtres. Par ses aboiements rauques, et jadis par ses

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attaques féroces, il les prévenait à tout moment des moindres mouvements suspects qui se manifestaient dans les environs immédiats de la hutte et du hameau. La nuit tombée, même les habitants du hameau ne s'aven- turaient dans sa proximité qu'avec d'infinies précautions.

« C'est un vrai chien de chasseur : aussi futé et aussi courageux que son maître ! » disaient les habitants de Koundjeya, rassurés de pouvoir compter à toute heure sur le plus vigilant des gardiens.

« Vraiment curieux ! » pensait Mina figée comme une momie sur sa natte. « Couti a l'habitude de grogner et d'aboyer à l'approche du moindre danger. Mais ce soir il n'a pas aboyé une seule fois. Par contre, il n'a pas cessé de s'énerver et de japper comme un chiot apeuré ! Je suis pourtant persuadée qu'il n'est pas malade malgré son refus de manger tout ce que je lui ai donné aujourd'hui ! C'est vraiment curieux ! »

Tout au long d'une journée chaude et harassante, Mina avait été hantée par une vague prémonition, une sensation de malaise, que le comportement du chien n'avait nullement contribué à apaiser. Depuis le départ de son maître au petit jour, Couti était resté couché devant l'entrée de la hutte, frappé par une sorte de langueur maladive et refusant toute nourriture. Au cré- puscule, au moment où Mina était entrée dans sa hutte pour s'y enfermer avec son enfant, c'est un chien effaré qu'elle avait dû enjamber une fois de plus. Couti était resté obstinément blotti contre le paravent qui fermait l'entrée de la hutte, les poils hérissés, haletant et trem- blant de tous ses membres comme à l'approche d'une violente tornade.

« Il a certainement vu ou pressenti quelque chose d'horrible. Mais quoi ? Un monstre, un esprit malfai- sant ? Un esprit, ça passe partout ; ça se confond avec

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tout : avec les objets, les animaux, les arbres, avec tout ce qui nous entoure. Les yeux humains ne peuvent les percevoir normalement. Mais ceux des chiens, si ! » Du coup, la panique s'était emparée de Mina. Elle ne se sentait plus du tout en sécurité dans sa propre demeure, et c'était la première fois que cela lui arrivait.

Elle n'osait plus bouger de sa natte. Ses yeux restaient obstinément rivés sur cette entrée, sur ce fragile para- vent de branchages derrière lequel quelque chose de très grave était en train de se passer.

En effet, Couti s'était subitement remis à gratter avec une vigueur telle que le battant avait vacillé. Au même moment les chèvres affolées s'étaient mises à bêler à tue-tête dans leur enclos et les poules à pousser leur cri d'alerte dans leur poulailler, comme en plein jour.

« Je lui ouvre ou non ? » se demandait Mina, déchirée entre la compassion et l'angoisse. « Mon mari n'aurait jamais abandonné Couti ! Je ne le ferai pas non plus ! » se dit-elle.

Dans un sursaut de volonté, elle rabattit d'un geste brusque un pan de pagne sur la tête de son fils endormi et, prenant appui sur le bras, tenta de se relever pour aller ouvrir.

Trop tard, car au même instant, un violent choc ébranla le paravent qui bascula dangereusement mais ne céda point. Des mottes d'argile se détachèrent du mur de torchis et s'écrasèrent à l'intérieur de la hutte.

Un premier cri terrifiant, accompagné de feulements rageurs retentit devant l'entrée. Dans l'instant qui suivit, une course infernale s'amorça autour de la hutte.

Frappée de stupeur, la jeune femme retomba lour- dement sur son séant. Mue par un réflexe naturel, elle se renversa en chien de fusil sur son enfant, les genoux

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relevés jusqu'au menton, faisant ainsi de son corps et de ses membres dénudés un rempart de chair autour du petit garçon endormi. L'enfant, plongé dans un som- meil profond, remua légèrement la tête et les bras pour se dégager d'une étreinte gênante, puis se replongea dans les délices du sommeil.

Le souffle coupé, Mina resta figée dans cette atti- tude pendant un temps qui lui parut durer une éternité.

Dehors, la course autour de la hutte s'acheva soudain en un hurlement de terreur et de douleur mêlé à des grognements effroyables de fauve. Le cœur de Mina se serra. Elle venait de reconnaître le cri de détresse de Couti hurlant à mort. C'était cruel ; c'était atrocement long, presque insoutenable. Et cela dura quelques ins- tants encore, puis ce fut le silence.

Tremblante comme une feuille, enveloppant de son corps et serrant au point de l'étouffer son fils endormi, Mina réalisait le sort terrible que venait de connaître son chien. Inutile de s'interroger plus long- temps sur l'auteur de cette agression. Couti venait d'être la victime d'un fauve redoutable usant d'une technique d'approche et d'attaque peu commune dans la brousse.

La femme tendit l'oreille pendant un long moment encore. Mais elle ne perçut rien d'autre que le coasse- ment des oiseaux de proie qui se répondaient d'un arbre à l'autre. Le calme était revenu dans le hameau.

Lentement, Mina desserra son étreinte autour de son enfant et se releva. Toujours sous l'emprise de la terreur, elle resta clouée sur la natte, les jambes repliées sous le menton. Certes, pour elle et pour le petit, le danger semblait s'être écarté. Pour le moment du moins ! Quant au sort du pauvre Couti, aucune illusion n'était plus permise : pour lui c'était certainement fini...

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Toute la pensée de la jeune femme allait mainte- nant vers son mari qui n'était toujours pas rentré ! Où pouvait-il être en ce moment ? Elle l'imaginait en train de trottiner, seul quelque part dans cette brousse hostile, peuplée de tant de périls ! Combien de temps l'attente avait-elle duré ? Elle ne le savait plus. Elle restait là, prostrée sur sa natte, attentive aux moindres bruits, aux moindres signes de l'extérieur quand, tout à coup, le paravent fut légèrement secoué.

— Mina, Mina, c'est moi ! chuchota-t-on dehors.

La jeune femme avait tout de suite reconnu la voix de son mari. Mais elle était encore trop émue pour répondre immédiatement.

— Mina, Mina ! Tu ouvres, c'est moi !

— Bénis soient mes ancêtres vénérés ! dit la femme dans un grand soupir de soulagement.

Cependant elle restait toujours clouée sur sa natte, incapable de se lever.

— Mina ! Mais voyons, c'est moi, Bamou Koun- gala !

— Ah ! C'est toi ! Attends, j'arrive ! répondit-elle enfin.

S'étant levée au prix d'un grand effort, elle avait traversé la hutte et, saisissant des deux mains la tige de bambou qui barrait l'entrée à la hauteur de sa taille, elle l'avait fait basculer d'un quart de tour. L'homme qui attendait dehors, pénétra dans la hutte en se cour- bant pour ne pas heurter du front le bord supérieur de l'ouverture.

— Bonsoir, femme ! Que la paix soit avec toi !

— Bonsoir, Koungala. Rentre en paix chez toi ! répondit la femme.

Le premier geste de l'homme, une fois à l'inté- rieur, fut de refermer l'entrée en replaçant le paravent

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devant l'ouverture et en le verrouillant à l'aide de la tige de bambou.

— Il me semble que le battant est quelque peu endommagé ! remarqua-t-il simplement. Il va falloir réparer ça dès le matin.

— Oui ! Je... je t'expliquerai tantôt ! Débarrasse-toi d'abord de tes affaires et souffle un peu !

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NUIT DRAMATIQUE

L'homme était de taille moyenne. Ses bras et ses mollets nus révélaient une musculature saillante. Le visage avait une expression hermétique. Mais le calme qui émanait du personnage avait quelque chose de ras- surant. Le regard était vif et perçant : c'était le regard du chasseur constamment aux aguets dans la brousse.

Sur sa tempe gauche, au-dessus de l'oreille, trois minus- cules cicatrices, verticales et indélébiles, indiquaient l'ap- partenance à la tribu et témoignaient de l'initiation reçue. Le petit boubou de cotonnade sans manche qu'il portait était ouvert sur les côtés, libérant ainsi deux petits pans qui lui battaient la poitrine et le dos comme des napperons. Sa culotte bouffante était également en cotonnade et lui tombait jusqu'aux genoux. Il était nu- tête et marchait nu-pieds.

Bamou Koungala avait acquis ces modestes vête- ments des mains d'un colporteur de passage, il y a quelques années auparavant. En cinq ans, il ne les avait portés que deux fois, à l'occasion des très rares voyages qu'il devait faire hors de son hameau. En fait, il se sentait très mal à l'aise dans cet accoutrement qu'il

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détestait et trouvait parfaitement inutile, sinon ridicule.

Habituellement, un cache-sexe lui suffisait, et il se trou- vait très bien ainsi dans son hameau, parmi les siens, et dans sa brousse.

Il fit deux ou trois pas dans la hutte et déposa un gros sac de fibre qu'il portait au bout d'un bâton jeté sur son épaule. A un crochet de bois qui faisait saillie dans le mur de torchis, il suspendit la gibecière de peau qu'il portait en bandoulière. Enfin, il accrocha la machette qui lui pendait sous le bras à un pieu fourchu garni d'une impressionnante panoplie d'armes diverses : arcs, flèches, coupe-coupe, haches, sagaies...

Appuyant alors une main moite sur son front plissé, il ferma les yeux et respira profondément.

— Tu as l'air bien fatigué ce soir ! remarqua la femme.

— La journée a été longue, tu sais, femme ! Le voyage aussi ; bien plus que je ne croyais ! La pro- chaine fois je tâcherai d'être moins chargé à l'aller.

Ainsi, j'arriverai plus tôt au village. Je pourrai aussi repartir plus tôt et rentrer avant que la nuit ne soit trop avancée ! ajouta-t-il en prenant place sur une peau de bouc étendue sur la natte, près du foyer.

— C'est une idée bien sage, en effet ! Seulement, Sankala, ce n'est pas la case à côté, à ce que tu me dis. Je me demande bien comment tu t'y prendrais ! A moins de marcher deux fois plus vite que tout le monde, ou même de courir ! Je suppose d'ailleurs que c'est ce que tu fais chaque fois, à en juger par tes traits tirés ! Tiens, bois ça, en attendant ; je vais servir le repas. Tu meurs de soif ! fit la femme en présentant à son mari un pot de terre plein d'eau fraîche puisée dans le canari.

L'homme en avala le contenu avant de parler :

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— Ouf ! dit-il en respirant fort. C'est rien ça ! J'en fais bien plus, d'habitude. J'aurais pu rentrer plus tôt si je n'avais pas eu à traîner cette chèvre jusqu'à Sankala. Une vraie bourrique, cette bête-là ! Il m'a fallu presque la porter pour avancer. Et puis, arrivé là-bas, j'ai dû attendre longtemps le chef de village.

Il paraît qu'il était retenu par une palabre très impor- tante. Il n'a fait qu'une brève apparition à l'audience, le temps de percevoir les impôts et de recevoir les cadeaux. Puis il est retourné à sa palabre.

— Tiens, donne-moi ça ! dit la femme en tendant le bras pour attraper le pot vide et le boubou dont son mari venait de se défaire. Oh ! comme tu as transpiré ! s'exclama-t-elle.

— Que veux-tu, c'est le début de l'hivernage ; le temps est lourd, même la nuit !

— A l'avenir, si tu ne peux pas rentrer avant le crépuscule, pourquoi ne pas t'arrêter au hameau de Limba ? Oncle Doungou connaît des gens là-bas ! Tu pourrais y passer tranquillement la nuit et reprendre la route le lendemain matin, bien reposé !

— Bah ! Limba, c'est pas bien loin d'ici. Ça ne vaut pas la peine ! Et puis moi je ne suis pas de ces oiseaux qui dorment sur la branche où la nuit les surprend. Moi je rentre chez moi... Et toi ? Comment as-tu passé la journée ?

— A t'attendre ! fit Mina en s'efforçant de rester calme.

— Tu n'as vu personne pendant mon absence ?

— Si ! Oncle Doungou est passé un peu avant le crépuscule.

— Ton oncle, ici, au crépuscule ? s'étonna l'homme. Il y a eu quelque chose de grave ?

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— Il ne m'a rien dit. Tu sais comme il est, mon oncle !

— Comment il était ce soir : gai, grave ?

— Mon oncle... tu sais : gai, grave, c'est toujours la même chose ! Il m'a dit de te dire d'aller le voir demain ; il savait que tu rentrerais tard ce soir.

— C'est tout ? demanda Bamou avec insistance.

— C'est tout... Peut-être qu'il voulait te parler des colporteurs ! Ils étaient trois. Ils sont passés vers la fin de la journée et ils avaient l'air bien pressés ! répondit Mina.

— Tu dis qu'ils étaient pressés ? Mais d'où venaient-ils donc ?

— De Kissoun, je crois, et ils allaient vers Sankala.

— Vers Sankala ! Je ne les ai pas rencontrés sur la route. Je n'ai rencontré personne d'ailleurs. S'ils étaient si pressés d'arriver quelque part, ils ont peut- être bifurqué sur Limba : c'est ce qu'il y a de plus proche d'ici. Eh bien, j'irai voir ton oncle demain matin.

Il est tard maintenant ! dit Bamou.

— Oui, je crois qu'il faut que tu manges mainte- nant. Tu dois avoir bien faim. Tu me parleras plus tard de Sankala et des habitants de là-bas. Si l'on en croit les colporteurs, il y a tant de choses à raconter là-dessus !

— Eh bien, moi, je n'ai pas tellement eu l'occasion de causer avec les gens de Sankala. D'abord je parle mal leur langue. Et puis le marché était presque désert quand je suis arrivé. Aujourd'hui les gens sont partis plus tôt que d'habitude.

— Et pourquoi donc ? demanda Mina.

— Ben, on m'a dit que tous les hommes avaient été convoqués à une grande palabre pour entendre les messagers du Grand Chef Mangabé, celui qui règne sur toute la région, depuis la côte jusqu'aux confins des

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montagnes. Il doit se passer des événements importants, peut-être même graves.

— Des événements graves ? s'étonna Mina.

— Oh ! Je n'ai pas appris grand-chose là-dessus ! Mais à en juger par la tête que faisaient des gens dans la cour du chef de village, on peut être sûr que quelque chose de grave les préoccupe. Du moins ceux qui sont dans le secret. Je pense que c'est pour cela que la grande palabre a été organisée, conclut Bamou. — Je me demande si...

Bamou interrompit sa femme :

— Ecoute, femme. Ça pourrait être un fléau, une affaire de sorcellerie, ou bien ces chasseurs d'hommes dont on parle tant sur la côte ! Mais ça pourrait être aussi quelque chose de tout à fait banal, comme il en arrive de temps en temps. Tu sais, pour certaines choses, moins on en sait, mieux on se porte, n'est-ce pas ? Allons, oublions tout ça, femme ! Tiens, voilà ce que j'ai rapporté !

Ouvrant le gros sac, Bamou commença à déballer pêle-mêle les marchandises : de gros paquets de sel marin enveloppé dans de grandes feuilles de bananier, des pots de terre contenant du beurre de karité, du poisson fumé, un couteau, quelques petits rouleaux de corde de sisal, des morceaux de savon noir enveloppés dans des feuilles de colatier, de petits coquillages blancs et, pour la grande surprise, un pagne de tissu imprimé, en couleur, et un foulard de tête également en tissu de couleur.

— Voilà ! C'est tout ce que j'ai pu obtenir ! dit-il modestement.

A la vue du pagne et du foulard, les yeux de Mina avaient pris un éclat particulier. Elle était éblouie devant cet étalage de si jolies choses.

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— Comme c'est beau ! C'est magnifique ! Oh Bamou ! dit-elle d'une voix douce tandis qu'un grand sourire éclairait sa mine ravie.

Cédant à la coquetterie, elle s'empara du pagne et, fière comme une enfant étrennant un merveilleux jouet, elle le noua, le dénoua et le renoua encore autour de ses reins, avec des gestes d'une grâce et d'une déli- catesse exquises.

— Je ne sais plus, moi, comment ils font là-bas, au village ! dit Bamou manifestement heureux de la joie de sa femme. La dernière fois que je suis allé là-bas, c'était au début de la dernière saison des pluies, j'avais obtenu bien plus de choses avec bien moins de peaux et de noix. Je n'y comprends rien ! ajouta-t-il d'un air étonné.

— Bon ! nous parlerons de tout ça plus tard ! Tu en as assez fait pour aujourd'hui. Il faut maintenant songer à manger et à te reposer ! dit la femme en appro- chant une petite calebasse à moitié pleine d'eau.

L'homme se lava les mains dans le récipient en les frottant vigoureusement l'une contre l'autre. La femme retira la calebasse et en présenta une autre, plus grande, qui contenait de la pâte de manioc cuite, arrosée d'une sauce de feuilles et de légumes divers, avec des morceaux de viande boucanée. De la main l'homme mélangea la pâte à la sauce et commença à s'alimenter lentement en ingurgitant à pleines poignées de grosses boules puisées dans la calebasse. De temps en temps, il buvait de longues gorgées d'eau fraîche, à même le goulot d'une gargoulette d'argile cuite. Il mangeait dans le silence sans dire un seul mot. La femme, quant à elle, avait rangé les produits rapportés par son mari et, après avoir repris sa place sur la natte, elle caressait

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doucement le pagne et le foulard neufs étalés sur ses genoux. — Curieux ! dit enfin l'homme. J'ai eu une drôle d'impression, ce matin, en me rendant au village. C'était juste à la sortie du hameau, avant de prendre la piste de Sankala. J'ai eu la sensation d'être suivi. Par qui ? Par quoi ? Ça, je ne saurais encore le dire ! Mais je suis sûr d'avoir été suivi jusqu'au pont de liane, à la tra- versée du marigot. Je n'ai rien vu, je n'ai rien entendu.

Mais ça se sent, ces choses-là ! Une paire d'yeux qui vous épient discrètement dans les broussailles, ça vous pèse même si on ne les voit pas. C'est comme la pointe froide d'une lame qui vous effleure à chaque instant la nuque et qui vous cause le frisson dans le dos... Et puis, j'ai remarqué ces deux empreintes bizarres sur les bords du sentier. Ce n'était pas net du tout.

L'animal qui les a marquées est énorme, il n'y a pas de doute. Il a dû longer le sentier longtemps avant de se décider à le franchir, presque d'un bond, comme s'il avait cherché à brouiller sa piste !...

Bamou marqua un moment de silence, pendant lequel il cessa de manger pour se concentrer davantage.

Puis, mettant fin à sa méditation, il conclut :

— Oui, c'est curieux. Et cela ne me plaît pas trop. Ah ! non, et même pas du tout !

Mina avait cessé de caresser son pagne. En écou- tant son mari, ses craintes, qui s'étaient un moment évanouies, renaissaient soudain dans toute leur intensité.

Son visage était redevenu grave et son attitude s'était de nouveau figée.

— Ah ! non. Je n'aime vraiment pas ça ! fit l'homme qui continuait à soliloquer. Car enfin, la saison n'est pas encore si rigoureuse que ça pour forcer les grands fauves à chasser si près des villages ! Celui-là,

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en tout cas, s'était à mon avis trop rapproché de notre hameau ! Il devait sûrement rôder autour ! Moi je me méfie toujours de cette sorte de rôdeurs-là. Qui est-ce d'abord ? Et puis qu'est-ce qu'il vient chercher jusqu'ici en ce début de saison ? Hein ? Il y eut une nouvelle pause au cours de laquelle l'homme ingurgita quelques poignées de nourriture puis il reprit :

— Un lion ? Non ! ça ne peut pas être un lion.

Le lion ne s'intéresse, lui, qu'au gros gibier. C'est plutôt rare par ici ! Il faudrait aller de l'autre côté du marigot, dans les grandes plaines herbeuses. Là-bas, du côté de Kissoun, peut-être : on y élève un peu de gros bétail, des zébus. Ça, c'est des proies à la taille du lion quand il s'aventure un peu trop près des hameaux. Non ! Ce n'est pas possible, c'est pas un pays à lions, ici. Et puis, il peut toujours venir, il trouvera ici à qui causer, le lion ! fit-il menaçant. Et si c'était une hyène ? Pouah ! Ça m'étonnerait fort qu'elle se hasarde par ici, celle-là, surtout en ce moment ! On n'a pas besoin de boueux chez nous. La hyène, elle ferait mieux de continuer à disputer aux chacals ou aux vautours les charognes et les restes délaissés par les lions et les panthères ! dit-il avec sarcasme. Les panthères... oui, les panthères ! répéta-t-il.

Ce mot semblait réveiller en lui de drôles de sensa- tions. L'homme se le répéta encore une, deux, trois fois et plus encore, en le chuchotant, presque avec respect. Et chaque fois, il marquait une pause comme s'il cherchait ainsi à se convaincre.

— Une panthère, voyons ! Ce n'est pas possible.

cela n'aurait aucun sens ! reprit-il.

Puis, sur un ton plus grave :

— Mais... mais si c'était vrai ? Après tout, seule une panthère pourrait s'approcher du hameau à toute

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Dans un petit hameau de la brousse, une panthère attaque et dévore un vieux chien.

Histoire banale, en apparence,

mais pour les habitants du hameau, c'est là un drame, car ils appartiennent tous à une tribu qui a pour totem la panthère...

Selon les traditions, la coutume et les

superstitions, le fauve a enfreint le pacte de sang qui le lie aux hommes. Aussi doit-il être puni du châtiment suprême. Mais, contre un animal sacré, des moyens déloyaux, tels que la battue ou l'appât empoisonné, sont à proscrire. La panthère fautive doit être châtiée par le justicier de la tribu dans un combat singulier. Et ce combat prendra une dimension extraordinaire.

Un roman qui tient en haleine,

tout en introduisant le lecteur dans la vie africaine, où l'homme, pour survivre, doit se trouver en harmonie permanente avec son environnement.

Une œuvre d'une grande beauté.

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