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La dynamique d organisation des industries de réseaux énergétiques : l apport des approches de la Nouvelle Economie Institutionnelle

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La dynamique d’organisation des industries de réseaux énergétiques : l’apport des approches de la Nouvelle Economie Institutionnelle

Dominique Finon avec la collaboration de Fabien Lamort, Oliver Quast et Kwang Song.

Avril 1996

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Les industries de réseau électrique connaissent depuis dix ans des mutations importantes après une longue phase historique de stabilité institutionnelle et organisationnelle. Ces mutations viennent cinq à dix ans après celles du transport aérien ou des télécommunications, en raison des spécificités techniques particulières des activités de la filière électrique. Elles s’effectuent le long de cheminement propre à chaque pays vers des formes organisationnelles différentes, reproduisant une certaine variété organisationnelle et institutionnelle entre pays.

L’évolution des fonctions de coût de production ne peut être retenue comme seule explication de ces changements des structures et de leur variété. Les explications standards et ahistoriques habituelles qui les mettent en avant pour expliquer l’intégration antérieure sont fortement marquées par les préoccupations normatives. Depuis une dizaine d’années, elles sont utilisées tout autant à justifier par les uns la préservation des organisations intégrées et monopolistes rénovées au nom de la rationalité et de l’efficacité de long terme (critères familiers de la culture sectorielle dominante), qu’à mettre en question par les autres, toujours au nom de la même efficacité économique, les droits de propriété, les monopoles juridiques et les types de réglementation.

De la même façon, l’analyse traditionnelle de la dynamique des structures industrielles en termes de capacité des grandes entreprises à maîtriser les transformations des structures productives (Chandler, 1990) ne paraît pas immédiatement pertinente pour expliquer seules les mutations d’une industrie monopoliste et fortement réglementée car elle se réfère à un contexte concurrentiel où les entreprises cherchent à préserver ou à conquérir un pouvoir de marché.

C’est la raison pour laquelle on cherchera ici à mener une confrontation des analyses et des hypothèses de l’économie des transactions et, plus généralement, de la Nouvelle Economie Institutionnelle (NEI), aux réalités historiques de la dynamique des industries électriques. Jusqu'où l’analyse des caractéristiques évolutives des transactions peut-elle expliquer le choix de tel ou tel nouvelle forme d’encadrement des transactions et de réglementation ?

Les limites de l’analyse transactionnelle incitent à sortir du cadre micro- analytique et de la référence au seul principe de sélection naturelle par les niveaux des coûts de transaction en combinant, à la suite de North, ce principe explicatif à un principe de cohérence macro-sociale qui est implicite dans l’approche de cet auteur. En tant que bien essentiel (ou, tout au moins, en tant que bien perçu comme tel) auquel sont attachés divers attributs fortement légitimants (vecteur de développement économique, de bien-être social, d’équité territoriale), les industries électriques ont subi et subissent une prégnance forte de leur environnement institutionnel. On montrera que les changements de dispositifs sectoriels sont fortement déterminés par les évolution de cet environnement. Pour ce faire, l’analyse sera centrée sur les compromis sociaux institutionnalisés autour du partage de la quasi-rente qui s’avère particulièrement élevée dans les industries de réseau.

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1/ LA DYNAMIQUE D’ÉVOLUTION DE L’ORGANISATION INDUSTRIELLE : LES HYPOTHÈSES DE LA NOUVELLE ECONOMIE INSTITUTIONNELLE1

L’analyse néoclassique traditionnelle a expliqué l’existence historique du modèle monopoliste dominant par les caractéristiques des fonctions de coût de production avec la théorie du monopole naturel. Du point de vue normatif, elle a aussi constitué un point d’appui fondamental pour définir les normes de réglementation et de gestion de ces industries non concurrentielles : réglementation du taux de rendement, tarification au coût marginal (avec les travaux d’Allais), tarification de second best (avec les travaux de Boiteux, Ramsey, Turvey), théorie de la séparabilité (gestion optimale décentralisée), etc.

Plus récemment les nouveaux développements de la théorie standard étendue aux situations d’asymétrie d’informations proposent des améliorations de la relation régulateur-régulé et du fonctionnement interne du monopole (théorie de l’agence, théorie des incitations) (Baron et Meyerson, 1982 ; Laffont et Tirole, 1986

; etc).

Mais, pour expliquer l’évolution des formes d’organisations industrielle dans le domaine des industries électriques ou gazières, ce type d’analyse présente l’inconvénient théorique majeur de reposer sur une vision abstraite de l’organisation interne des industries de réseau d’infrastructure. La théorie du monopole naturel ne constitue pas un outil d’analyse approprié pour déterminer les arrangements organisationnels efficients entre les divers maillons de ces industries. Le réglage antérieur de ces rapports par la "hiérarchie" (ou par des relations de monopole bilatéral au niveau de chaque interface entre maillons) ne peut être justifié par une approche en termes de fonction de coût global et de non- séparabilité technologique entre maillons. Les interactions complexes entre ces différentes activités au sein de la firme intégrée sont occultées par cette représentation. Elle ne permet pas de saisir les impacts des changements technologiques sur l’ouverture de l’éventail des choix d’organisation industrielle.

Elle conduit à n’opposer au monopole que le marché concurrentiel décentralisé sans configuration concrète, et en ignorant les formes intermédiaires d’organisation.

1 On retiendra ici les catégories définies dans la “nouvelle économie institutionnelle” pour désigner et différencier les concepts d’institutions et d’organisations. Les “institutions” désignent à la fois les instances qui produisent les règles et les mettent en oeuvre ainsi que ces règles qui régissent les rapports entre “organisations”. Les institutions ont pour objet de réduire les coûts de transaction, en créant de la prévisibilité entre acteurs du jeu, entre organisations. Elles doivent baisser réellement les coûts d’information et produire les incitations à réaliser des accords. Elles ont pour vocation de donner la possibilité aux agents de rendre leurs engagements crédibles.

North (1989) distingue aussi les institutions formelles des institutions informelles (coutumes, codes de conduite) qui relèveraient du concept de conventions. E. Brousseau (1995) préfère distinguer les normes de comportement ou les systèmes de référence propres à une communauté et auxquelles les individus se réfèrent pour se coordonner, des institutions “qui sont des instances sur lesquelles les individus n’ont pas de prise directe et qui édictent des règles ou administrent des dispositifs au sein desquels les individus se coordonnent”.

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La théorie des marchés contestables développée par Baumol, Panzar et Willig (1982) a exercé indubitablement un effet déstabilisateur sur ce paradigme intégratif. A côté de la recherche d’une justification théorique de suppression des monopoles de droit pour substituer la contestabilité (et la pression de la menace crédible d’entrée) à la réglementation des monopoles naturels, elle a incité à traiter individuellement chaque maillon des industries de réseau en dissociant ceux qui ne sont pas strictement des monopoles naturels des autres maillons, notamment par la séparation de l’activité “réseaux” de l’activité de commercialisation. Ce changement de représentation conduit à tester la pertinence de l’approche NEI pour expliquer la structuration de l’industrie électrique et l’existence de modes de coordination dominants.

1.1/ Un premier renouvellement par l’analyse transactionnelle

L’approche contractuelle de la NEI brise le déterminisme des formes d’organisation industrielle par la seule minimisation des coûts de production, en prenant principalement en considération les coûts de transaction. Elle s’est construite par rapport aux approches standards qui nient la complexité des échanges ou de la relation contractuelle. Elle permet de prendre en compte les caractéristiques des transactions (investissement spécifique, complexité, information asymétrique, etc) et l’imperfection des comportements qui amènent les firmes à préférer l’intégration ou à entrer dans des arrangements complexes (Williamson, 1985). Il en est de même vis-à-vis de la relation réglementaire appréhendée comme un contrat incomplet portant sur la protection des consommateurs et intégrant des incitations à l'efficacité. La NEI permet d’analyser les institutions réglementaires dans leur agencement avec les structures industrielles, les normes juridiques placées sur le régulateur, ainsi que l’effet de nouvelles règles sur les décisions de production et d’organisation des firmes (Goldberg, 1973 ; Joskow, 1991).

Sachant que l’approche transactionnelle explique la prédominance d’une forme d’organisation industrielle en privilégiant les caractéristiques transactionnelles par rapport aux coûts de production, l’analyse du changement par cette approche repose sur la comparaison entre formes d’organisation supposées stabilisées et par le repérage des coûts de transaction, en présumant implicitement l’expérimentation d'alternatives supposées meilleures par anticipation par rapport à la forme d'organisation en place. Pour ce faire, on suppose donnés les changements du contexte institutionnel et de la technologie qui conditionne le degré de spécificité d'actifs. Après un changement de ce contexte, la sélection et la création de nouvelles formes d’encadrement que l’on peut observer s’opèrent sur la base de l'amélioration des coûts de transaction williamson fait état d'un critère de remédiabilité qui se substituerait au critère de minimisation de coûts (F. Lotter, 1995). Mais ce traitement de la dynamique par l’analyse transactionnelle présentent un certain nombre de limites.

En premier lieu, comme le souligne B. Coriat et O. Weinstein (1995), l’analyse explicative ne se situe pas dans une appréhension dynamique des

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processus de transformation des formes organisationnelles ou des formes d’entreprise, comme peuvent l’être les analyses des autres théories de l’organisation industrielle centrées sur la création de ressources. Elle se réfère à un état donné de la spécificité des actifs. Elle place au second rang l’incidence des spécificités des fonctions de coût de production et de leur potentialité de changements, en supposant que les diverses formes d’organisation seraient sur la surface d’efficacité correspondant à l’état de la technologie. La NEI tend à ignorer, dans l'analyse dynamique, des faits d'expérience, comme la mobilisation par les firmes du progrès technique en vue de l’amélioration de l’efficacité productive par les économies d’échelle et de variétés (ou en vue de développer en aval une stratégie de différenciation des produits), mobilisation qui est susceptible d’influencer la forme d’organisation industrielle. (Chandler, 1991 ; Teece, 1982).

En second lieu, les éléments d’endogénéisation de la dynamique d’évolution des formes d’encadrement offerts par la théorie des coûts de transaction sont faibles. O. Williamson (1985, chap. 6) ne s’est intéressé qu’à la déstabilisation du mode de coordination hiérarchique en se centrant sur deux facteurs assez limités : le manque d’incitations à investir, et les problèmes (coûts) bureaucratiques posés par la forme hiérarchique. Joskow (1991) a toutefois analysé en termes transactionnels l’usure progressive des institutions sectorielles en matière réglementaire en raison de l’évolution de l’environnement économique et technologique. Il convient d’intégrer à l’analyse de la déstabilisation des formes d’organisation d’autres facteurs endogènes : le choix de mobiliser différemment les ressources du progrès technologique2, mais aussi, plus simplement, la maturation de l’industrie avec la stagnation relative des débouchés, la diminution de la spécificité d’actifs avec l’amortissement des actifs dédiés et la densification des réseaux (baisse de la spécificité de sites, augmentations des externalités).

En troisième lieu, l’analyse transactionnelle ne permet pas de restituer les relations entre dynamiques d’organisation et dynamique technologique. Elle prend la technologie et les institutions externes pour données et tend à ignorer la capacité des organisations industrielles à influencer les institutions externes pour se développer et se consolider. Ces deux aspects sont fondamentaux dans le domaine électrique étudié ici. Comme l’a montré Hirsh (1988) sur l'évolution de l'industrie électrique américaine dans les années 20 par exemple, les structures monopolistes intégrées ont imposé une innovation, la holding financière pour permettre la concentration et rendre possible le recours à des actifs de spécificité croissante, avec la croissance des tailles. De même, il y a eu plus tard renforcement mutuel de la trajectoire technologique très capitalistique et de la forme d’organisation hiérarchique, la manifestation la plus claire de cette interdépendance ayant été le passage à l’électronucléaire en prolongement de la trajectoire antérieure, passage qui renforçait les besoins de coordination hiérarchique.

En quatrième lieu, l’approche transactionnelle tend à ne recourir aux

2 L’inscription progressive des travaux de Teece (1982) dans la théorie évolutionniste est révélatrice.

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institutions externes qu’en dernier ressort, quand plus rien ne permet d’expliquer la variété de formes d’organisation dans un contexte donné de spécificité d’actifs.

Elle tend, d’une part, à ignorer les caractéristiques historiques et culturelles pour privilégier le déterminisme transactionnel du mode de coordination. Elle ne restitue pas, d’autre part, les interactions possibles entre les organisations et les institutions externes.

1.2/ Un prolongement socio-économique de l’analyse dynamique par le courant historique “northien” de la NEI

A côté de l’approche transactionnelle centrée sur la coordination locale, et dont le fondement explicatif de l’organisation industrielle est la norme d’efficacité, l’approche néo-institutionnaliste de D.C. North présente une ouverture conceptuelle plus large en combinant ce principe d’efficacité avec un principe implicite de cohérence macro-sociale. Sa problématique historique repose sur une démarche explicative et non normative se référant à l’efficacité comme principe lâche de structuration des institutions et des modes de coordination. Formelles ou informelles, les institutions structurent les champs des possibilités d’action. Elles sont donc d’abord mobilisées comme contraintes de l’action pour faciliter les transactions en limitant l’opportunisme, mais elles peuvent être aussi, dans certains cas, paramètres de l’action lorsque les acteurs détenant un pouvoir d’influence cherchent à les modifier.

Pour North (1990), la Société est vue comme fragmentée et composée de groupes sociaux ayant des idéologies et des intérêts divergents ; les institutions résultent d’un processus politique d’où se dégagent des compromis reflétant les rapports de force. Dans de tels jeux, grâce à leur pouvoir de négociation élevé lié à leur capacité de légitimation (mobilisation de la représentation de l’intérêt public, capacité d’expertise) et leur pouvoir d’agglomération des informations pertinentes, les organisations (hiérarchies) se retrouvent souvent dans une situation où elles peuvent imposer et préserver des codes de comportement dans le secteur. Comme l’écrit C. Ménard (1993, p.18), “assujettie aux contraintes produites par l’environnement institutionnel, l’organisation peut les modifier ou les infléchir en raison de sa taille : de même qu’elle a un pouvoir de marché, si petit et si local soit-il, elle a pour ainsi dire un pouvoir sur les institutions”. Face à la réalité des jeux d’acteurs et des rapports de force sous-jacents, North (1990) considère ainsi qu’il n’y a pas a priori de raison pour que le choix entre institutions aboutisse forcément à un choix efficace. Il concède un déterminisme faible des nouvelles institutions et de leur consolidation par leur caractère incitatif adapté au nouveau contexte créé par des changements de natures diverses : technologique, démographique, économique. Les institutions ne sont pas nécessairement ou même usuellement créées pour être socialement efficientes puisqu’elles seraient créées pour ceux qui ont le pouvoir de créer de nouvelles règles”.

• Compromis sociaux et partage de la quasi-rente

Ce présupposé fondamental, qui renvoie au principe de cohérence macro-

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sociale, trouve sa pertinence dans le domaine des industries de réseaux d’infrastructure, dont évidemment les industries énergétiques, où les opportunités d'accaparement de surplus, de monopole et de quasi-rente sont nombreuses. Les entreprises de réseau en position de monopole territorial sont susceptibles d’accaparer une partie du surplus collectif pour le repartager en s’éloignant d’elle-même de l’efficacité allocative par la pratique de prix de monopole ou par des inefficacités productives résultant de l’absence d’incitations (sureffectifs, surinvestissement, sur-rénumération du travail, etc). Cet éloignement peut aussi être provoqué par les instances réglementaire ou de tutelle pour des objectifs socialement légitimes (équité territoriale, redistribution sociale, politiques locales, politiques industrielles et énergétiques, etc).

Par ailleurs ces industries se caractérisent par d’importantes économies d’échelle et externalités de réseau, porteuses d’une quasi-rente élevée. Ce sont aussi des industries mono-produit sans potentialité de différenciation significative des services offerts. La plupart des actifs sont hautement spécifiques et non redéployables. Le nombre des clients domestiques est considérable. Le rapport aux pouvoirs publics nationaux et locaux est souvent étroit. Cette combinaison de caractéristiques se traduit, d’un côté, par l’existence d’un petit nombre d’entreprises, voire d’une seule et, de l’autre, par une politisation des enjeux tarifaires. Il s’en suit que les entreprises de réseau sont exposées au risque de non-appropriation de leur vaste quasi-rente de différentes façons : fixation des prix en dessous des coûts de long terme avec forte discrimination entre groupes d’acheteurs, contrainte sur les choix d’investissements et la sélection de fournisseurs nationaux d’équipement (appui à des politiques industrielles, technologiques), conditions salariales favorables aux employés (Levy et Spiller, 1994)3.

Un tel partage de la quasi-rente repose sur des compromis sociaux qui jouent un rôle déterminant dans la définition et la consolidation des institutions et des arrangements organisationnels et qui lient entreprises électriques, syndicats, groupes de consommateurs, collectivités locales, pouvoirs publics, constructeurs).

L’interférence des objectifs sociaux liés aux caractéristiques de service public de la fourniture électrique (équité territoriale, tarifs sociaux), ou d’objectifs politiques de rang élevé, conduit en effet à des situations institutionnelles qui doivent s’interpréter en termes de compromis. De même l’identification des employés aux objectifs de l’entreprise au travers de ceux d’intérêt général et de service public peut avoir pour contrepartie un statut privilégié, permis par l’importance de la quasi-rente.

• L’influence historique des institutions

Empruntant à la théorie évolutionniste, North (1991) met aussi en avant le concept de sentier de dépendance institutionnel pour désigner le phénomène de

3 Ces auteurs développent cette caractérisation sur le cas des télécommunications, mais elle est transposable sans difficulté sur le cas des réseaux énergétiques.

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dépendance des institutions du passé. Les inerties des trajectoires institutionnelles d’un secteur sont nourries par les idéologies, les croyances, les habitudes de pensée, la culture politique qui conditionnent les possibilités de déformations et de transformations des institutions et des formes d’organisation d’un secteur. Les voies d’évolution de ces institutions sont alors limitées à quelques directions, ce qui conditionne les futurs possibles. L’analyse institutionnaliste d’un changement d’arrangements doit donc s’attacher à caractériser précisément la situation de départ pour expliquer les différenciations qui peuvent s’opérer entre pays soumis à des réformes se référant apparemment au même principe. North (1990) utilise le concept très parlant de “dotation institutionnelle” (institutional endowment) pour désigner les institutions générales d’un pays qui produisent la variété des arrangements institutionnels et organisationnels, dans une logique d’efficacité transactionnelle et de recherche d’engagements crédibles.

Quoi qu’il en soit, le relâchement de l’hypothèse centrale du déterminisme des logiques de recherche d’efficacité conduit à situer historiquement et géographiquement les modèles d’organisation des industries de réseaux. A un moment donné, dans un environnement économique et social précis, une forme d’organisation et de réglementation est le résultat stabilisé du jeu de dynamiques technologiques, économiques et institutionnelles, sans être forcément la solution la plus favorable en termes de coûts de transaction et de production. Ainsi, lorsque des changements technologiques ou institutionnels surviennent, les institutions sectorielles et les arrangements organisationnels ne sont pas automatiquement modifiées si cela va à l’encontre des intérêts des organisations en place et si la perception de l’intérêt à innover institutionnellement au regard de la représentation du rendement social n’est pas partagée grâce à la capacité d’influence de ces organisations.

On tracera, par la suite, les grandes lignes des deux approches de type NEI de la dynamique des industries électriques.

2/ LA LECTURE TRANSACTIONNALISTE DE LA DYNAMIQUE DES INDUSTRIES DE RÉSEAU ELECTRIQUE

La lecture transactionnaliste ignore à priori l’influence latente des évolutions des institutions externes au secteur, notamment les changements des règles macroéconomiques et de l’environnement culturel du secteur (par exemple, ici, la familiarisation avec de nouveaux modèles d’organisation dans les autres industries de réseau de service public, la modification du référentiel de l’Etat- producteur, etc). Les changements d’arrangement résultent de l’influence de facteurs endogènes et de la modification exogène de la spécificité d’actifs.

L’analyse de la dynamique des industries électriques menée en termes transactionnels consiste alors à comparer diverses formes d’organisation réelles ou hypothétiques. Chaque modèle est jaugé à l’aune de différents critères liés à la détermination des coûts de transaction : stabilité transactionnelle, évitement de la situation classique de “hold up” (garantie de l’investissement en actifs spécifiques), potentialités innovatrices ouvrant des perspectives de baisse de coût

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de production et de transaction. La dynamique s’expliquerait alors par les gains d’efficacité transactionnelle anticipables du passage d’un modèle d’organisation à un autre, après évolution de la spécificité des actifs.

L’analyse de la dynamique des industries électriques menée en termes transactionnels consiste alors à comparer les arrangements organisationnels anciens (les formes hiérarchiques) avec les nouvelles formes d’organisation dites

“concurrentielles” qu’il conviendra de qualifier précisément. Chaque modèle-type devrait en principe être comparé sur la base des coûts respectifs de transaction et des coûts d’organisation, selon la démarche comparative proposée par Williamson (1991). Les premiers dépendent des caractéristiques du cadre des incitations à la constitution des actifs associés à la fourniture électrique, que présente l’arrangement organisationnel considéré, tandis que les seconds sont le pendant des coûts de transaction au sein des formes hiérarchiques (Masten, Meekan et Snyder, 1991)4. Dans le cadre limité de ce papier, on procédera à l’ébauche d’une comparaison empirique, sur la base du repérage qualitatif de ces coûts.

2.1/ Les hypothèses méthodologiques

Référée à la théorie des coûts de transaction, l’hypothèse centrale qui est posée est que la dynamique des industries de réseaux énergétiques est déterminée par deux facteurs principaux : l’évolution du degré de spécificité des actifs, et les changements dans l'environnement des transactions, c’est-à-dire leur environnement institutionnel (institutions formelles) et les technologies de l’information. Une hypothèse complémentaire est qu’à un moment donné, marqué par des caractéristiques précises d’actifs spécifiques, un mode d’organisation industriel qui serait explicable par le déterminisme relatif des caractéristiques transactionnelles s’impose, avec une certaine différenciation d’un pays à l’autre. Ce n’est que dans une approche northienne plus large que cette différenciation serait explicable par l’originalité des institutions externes du niveau global (droit, structures politico-administratives, culture politique), comme il sera vu dans l’étape suivante.

2.1.2/ Le déterminisme lâche de la technologie sur les évolutions des institutions sectorielles et des organisations

Les hypothèses précédentes renvoient à trois présupposés méthodologiques, renvoyant à la position théorique selon laquelle toute configuration de transaction ne peut conduire, sauf cas exceptionnel, à un choix clair d’arrangement institutionnel (Brousseau, 1993 ; Song, 1995) :

4 Les coûts d’organisation correspondent aux coûts de l’organisation interne de la production intégrée le long d’une succession d’activités à l’intérieur de l’entreprise (hiérarchie), en tenant compte des attributs des transactions internes. Cette notion est peu détaillée et approfondie dans la théorie transactionnelle : par exemple, l’analyse de l’organisation du travail au sein d’une hiérarchie par Williamson (1985, chap.5) traite peu de cette approche.

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• 1/ il n’y a pas de déterminisme organisationnel absolu de la technologie et des comportements maximisateurs. L’existence d’un modèle d’organisation industrielle, ou plus précisément d’une combinaison de variantes, dans un pays donné, relève d’un choix collectif des agents économiques concernés, sachant qu’ils ne peuvent juger a priori de son efficacité économique ou sociale mais seulement l'anticiper ;

• 2/ sachant que la spécificité des actifs dans l’approche transactionnelle n’est pas un concept désignant des propriétés physiques absolues, mais au contraire est relative à une relation transactionnelle et à une idiosyncrasie plus ou moins forte d’actifs physiques et humains, on postule la prééminence de la spécificité d’actifs dans la détermination des formes d’organisation et de réglementation. Mais le degré de spécificité est vu simplement comme rendant possible le choix de certaines formes d’organisation, ou d’en exclure certaines autres de l’éventail des choix possibles ;

• 3/ les adaptations institutionnelles du secteur peuvent relever d’un processus d’essais et d’erreurs en laissant aux agents la possibilité de procéder au départ à des innovations organisationnelles qui ne sont pas spontanément adaptées aux changements de la spécificité des actifs industriels5, voire à leur environnement institutionnel quand ils procèdent par mimétisme avec des expériences étrangères.

Les dispositifs anciens comme les nouveaux ne peuvent donc pas être a priori des formes pures de coordination (marché, contrat, hiérarchie). Ils doivent être appréhendés comme des édifices mixtes organisés autour de la domination de l’une d’entre elles. Pour repérer différents systèmes mixtes de coordination à côté des modes de coordination, on peut classifier à titre illustratif les combinaisons d’arrangements deux à deux, en les caractérisant par la domination de l’un d’entre eux deux (Arensteen et Künnccke, 1996) comme indiqué dans le tableau 1.

5 North (1994) admet que les formes de coordination adoptées ne s’accordent pas toujours avec la réalité économique, ce qui engendre des apprentissages et nécessite des ajustements de règles.

Williamson (1993) admet également la possibilité d'un tâtonnement dans la recherche d'améliorations d'une forme organisationnelle avec un principe de sélection naturelle dit "semi- faible".

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Tableau 1 : Les systèmes purs et mixtes de coordination Mécanisme principal de coordination

Mécanisme secondaire

Marché/prix Contrat Hiérarchie privée ou

publique Règle

publique

Marché contrôlé

Coordination pilotée

Hiérarchie privée réglementée

ou Hiérarchie

totale

Contrat Marché

coordonné

Coordination organisée

Hiérarchie coordonnée

ou Hiérarchie contractante

Prix Marché

totalement libre

Coordination libéralisée

Hiérarchie libéralisée 2.1.2/ Linfluence de l’environnement des transactions

L’évolution de l’environnement des transactions influence le niveau des coûts de transaction et, donc, le choix d’encadrement des formes de transaction.

On le définira comme comprenant l’environnement institutionnel et le support technologique des transactions (techniques d’information et de communication)6.

• L’environnement institutionnel

Les institutions sectorielles englobent, du côté formel, les droits de propriété, la réglementation, et, du côté informel, la culture sectorielle. Celle-ci, vue comme l’expression de la cohérence des normes et des conventions du milieu, joue un rôle structurant dans la formalisation des droits de propriété et de la réglementation, dans la légitimation des normes implicites, ainsi que dans le comportement des acteurs économiques confrontés à des décisions complexes ou à des opportunités d’innovations institutionnelles.

Les droits de propriété sont appréhendés en NEI dans leur acception large, en désignant non pas simplement la propriété en tant que telle, mais également le pouvoir d’utilisation d’un bien et le droit aux gains d’usage de celui-ci. Dans le domaine des réseaux, il y a modification des droits de propriété lorsque, juridiquement, il est possible pour un tiers d’utiliser contre rémunération les

6 Brand (1990) les englobe sous le concept d’infrastructure transactionnelle.

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infrastructures de réseau possédées par un autre7 ; la réglementation intervient alors pour encadrer l’usage des droits de propriété, par le contrôle des transactions spécifiques qui en découlent.

Quant à la réglementation elle doit être appréhendée à plusieurs niveaux : celui-ci d'une structure d'incitations qui serait une partie intégrante de l'organisation industrielle et celui de la gouvernance réglementaire. Toute forme d’organisation génère un type de réglementation qui lui est consubstantiel et qui est indispensable à son fonctionnement. Il existe d'ailleurs une correspondance étroite entre l’arrangement institutionnel en matière réglementaire et la forme d’organisation industrielle à laquelle il est intégrée. Ainsi un mode de coordination hiérarchique et concentré dans un cadre de propriété publique s’accompagne d’un type de réglementation faible, assurée par le ministère de tutelle (on peut parler de hiérarchie totale ou hiérarchie complète), contrairement à une hiérarchie privée accompagnée d’un arrangement réglementaire plus développé, avec notamment une instance de réglementation autonome. Après la modification des institutions formelles et du mode de coordination, cette correspondance oriente la dynamique de reconstitution progressive des institutions internes et des règles informelles. Cette approche, qui renvoie à la problématique de la “superfirme” de Coase (1960), peut se fonder sur la notion de contrat réglementaire introduit par Goldberg (1976). Pour celui-ci, l’action réglementaire ne doit plus être appréhendée comme une action discrète, mais comme relevant d’un contrat administré implicite entre contrôleur et contrôlé.

L’établissement de ce contrat implicite incomplet vise à définir les principes du contrôle (incentive structure) et les règles qui gouvernent l’adaptabilité de la réglementation (longueur, processus d’ajustement, principes de référence, fin de la relation) en fonction des caractéristiques des activités contrôlées8. Quant à la gouvernance réglementaire, elle est constituée des mécanismes qui président à la définition et à l’ajustement des règles de contrôle et des règles concurrentielles qui limitent le caractère discrétionnaire de l’exercice du pouvoir réglementaire et qui permettent de résoudre les conflits liés à ces limitations. (Levy et Spiller, 1994).

Au bout du compte, les formes d’intervention codifiées des autorités de contrôle, doivent être caractérisées par niveau d’intervention et nature des décisions :

- la réglementation économique des monopoles qui porte sur les prix, les

7 Ceci peut s’effectuer sous différentes formes : neutralisation totale de l’espace de transport avec partage de la capacité de transport au prorata des demandes, (common carrier), accès au réseau avec priorité au détenteur de l’infrastructure et règle de partage de l’espace restant selon différents principes (first arrived - first served, prorata des demandes), etc.

8 Cette problématique permet, d’apprécier, d’un point de vue normatif, le type de réglementation et l’arrangement associé par rapport à son adaptabilité plutôt, que par rapport à un critère d’efficacité en statique. La structure des incitations réglementaires comporte les règles de définition des tarifs, les subventions croisées, le contrôle des investissements, les règles d’entrée, les règles d’échange entre réseaux.

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subventions croisées, les investissements, la qualité du produit, et, avec la libéralisation, sur le contrôle du jeu concurrentiel ; elle relève du ministère de tutelle ou d’autorités de réglementation sectorielles ;

- la définition et l’ajustement des règles du contrôle et des règles concurrentielles, et l’arbitrage des conflits ; cette “gouvernance” du contrôle relève des Commissions de contrôle des monopoles ou de la concurrence, ou encore des tribunaux administratifs (le Conseil d’Etat en France) ;

- au niveau supérieur, l’action du pouvoir politiques dont le champ comprend l’édiction des réformes et la définition de politiques publiques, (appui aux industries nationales, etc) qui contraignent les stratégies des entreprises électriques et déterminent les subventions croisées.

• L’influence du progrès des technologies de l’information

Les nouvelles technologies de l’information et du traitement de données ont plusieurs effets sur les différents aspects de coûts d’information et de transaction : recherche d’information, négociation, contrôle, mesure des performances des partenaires (Brand, 1990 ; Brousseau, 1993). Dans le domaine des industries de réseau, elles permettent :

• la confrontation en temps réel des offres et des demandes des acteurs éloignés géographiquement, en permettant une modélisation complexe des flux physiques,

• une évaluation rapide des alternatives de décision,

• la mise en oeuvre de mécanismes complexes de couvertures de risques,

• l’accès aisé aux connaissances d’experts du marché.

Le progrès des technologies de l’information abaisse les coûts de transaction dans les formes non hiérarchiques. Il permet d’instaurer de marchés virtuels dissociés des flux physiques et de rapprocher le mode de coordination technique dont les exigences sont très contraignantes des modes de coordination économique de court terme fondés sur la simulation d’un marché. La technologie permet de rendre séparables des opérations qui, auparavant ne pouvaient pas l'être.

2.2/ La domination antérieure de la forme hiérarchique et de ses variantes

Historiquement il y a eu une tendance lourde à régler les relations entre maillons de la filière électrique sur la base de monopoles bilatéraux, complétés par un monopole de vente en aval, ou bien carrément sur la base d’un monopole intégré, compte tenu des caractéristiques particulières des transactions, notamment dans un contexte de forte spécificité d’actifs. Mais cette tendance s’est accompagnée d’une différenciation à côté du modèle pur de la hiérarchie complète, qui s’expliquerait en partie par l’indéterminisme relatif de la logique de minimisation des coûts de transaction.

Dans l’industrie électrique, la concurrence sur le marché a vite remplacée

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par une concurrence pour les territoires afin de parvenir à une intégration plus forte des zones de fourniture exclusive. Il n’y pas eu réellement confrontation de formes d’organisation radicalement différentes, sauf entre formes hiérarchiques privées et publiques, et entre hiérarchie complète et hiérarchie incomplète coordonnée. Le seul fait que le marché ou des formes de coordination simulant le marché n’aient pas été envisagés pendant un siècle d’histoire de l’industrie électrique (1880-1980) peut se voir comme le reflet de la spécificité particulièrement forte des actifs, comme de la fréquence et de l’incertitude attachées aux échanges physiques.

2.2.1/ Caractérisation transactionnelle

En tant que produit commercial, l’électricité présente trois spécificités qui vont conditionner le type et le niveau de spécificités des actifs (Glachant, 1995 ; Song, 1995).

En premier lieu, la non-stockabilité de l’électricité combinée à son caractère essentiel pour le client, entraîne et nécessite l’instantanéité de l’adaptation de la production à la manifestation des demandes, d’où une configuration de fréquence transactionnelle extrêmement élevée et des incertitudes de court terme importantes (fiabilité des équipements, modulation importante et aléatoire des divers types de demandes).

En second lieu la transportabilité de l’électricité par une infrastructure rigide de réseau et l’impossibilité de transport point à point par ce réseau, du fait de la diffusion des flux selon les lois de Kirchoff, font que toutes les activités (production, transport, distribution et consommation) sont hautement interdépendantes, avec absence de redéployabilité. Les actifs de transport- distribution sont un immense édifice dédié uniquement au transport d’électricité ; en même temps ils sont, pour les producteurs, le seul moyen de valorisation de leur produit. La coordination de très court terme est permise par la définition de normes et de spécifications (niveau de tension, fréquences, harmoniques, coefficient de réactivité) qui permet l’intégration de la gestion technique des actifs en production, en transport, en distribution et en consommation.

En troisième lieu le transport obligé par réseau présente des externalités négatives et positives : répercussions des perturbations de fourniture d’une unité de production sur l’ensemble du réseau ou, à l’inverse, effet-système permis par l’agrégation des offres et des demandes, qui se traduit par divers avantages : économies sur les réserves, économies de coordination technique des flux transportés, économies de la coordination économique de l'exploitation des unités de production. Le problème est alors de définir un arrangement efficace pour le partage de la quasi-rente résultant de la coordination technique centralisée, en limitant les comportements opportunistes et les coûts de transaction.

Pour ces différentes raisons (impossibilité de transport point à point, externalités de réseau importantes), le réglage du marché électrique par des transactions bilatérales producteur-consommateur sur de l’électricité-physique se

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heurte à des limites technologiques et entraîne d’importantes déséconomies de coordination et de transaction.

• Les spécificités d’actifs

On peut alors identifier ainsi les spécificités d’actifs propres aux transactions entre les maillons de la filière électrique (Glachant, 1995 ; Song, 1995).

Un premier type de spécificités, la “spécificité temporelle”, résulte de l’importance de “la synchronisation rapide des actions et des réactions des opérateurs” pour assurer la coordination technique en temps réel des systèmes électriques, avec confrontation des offres et des demandes et gestion de leurs aléas, alors que “toutes les flexibilités techniques combinées confèrent une marge de manoeuvre très étroite aux opérateurs électriques” (J.M. Glachant, 1995). Cette spécificité nécessite des procédures de coordination technique complexes à retranscrire dans les modes de coordination économique.

La spécificité physique du produit et des équipements est a priori élevée9, mais son impact a été contrecarré par la normalisation et la standardisation du produit (fréquence, qualité, niveau de tension).

La spécificité de site des équipements de production, de transport et de distribution est importante, notamment pendant la phase d’expansion rapide des réseaux. La localisation des équipements de production de grande taille est fortement déterminée par les contraintes de ressources naturelles et la planification optimale du réseau. Mais cette spécificité de site perd en importance avec l’interconnexion des réseaux régionaux, leur densification, le développement des réseaux d’approvisionnement en hydrocarbures et la mise au point de techniques de production de bon profil environnemental.

La spécificité des débouchés d’actifs de production (actifs dédiés) est importante en absence d’interconnexion, ce qui était le cas lors de la constitution des systèmes électriques sur une base locale. Les unités de production étaient dédiées à la fourniture de réseaux locaux ou d’usines électrométallurgiques. Suite au développement des réseaux régionaux et de l’interconnexion qui agrègent l’ensemble des demandes, l’achat obligé par ces réseaux affaiblit la spécificité de débouchés. Cette agrégation, fondée sur la position monopsonique du réseau ou sur l’organisation hiérarchique de la filière, a permis l’installation d’unités de production de plus en plus puissantes et coûteuses en capitaux. Ces moyens de production sont des actifs non redéployables, longs à mettre en place, lourds en capitaux et à longue durée de vie. Les débouchés de ces actifs sont typiquement dédiés à l’achat de l’ensemble de la production par le réseau interconnecté. Les difficultés créées dans certains pays par la suppression de la règle d’obligation d’achat par celui-ci (notamment par rapport aux actifs non amortis) démontrent a contrario l’importance de cette garantie de débouchés assurée par l’achat total

9 Il n’y aurait qu’un contractant qui pourrait bénéficier du produit.

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(interne ou externe à l’entreprise de transport) par le réseau.

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2.2.2/ La tendance vers la hiérarchie privée ou vers la hiérarchie complète

Les caractéristiques transactionnelles (incertitude, fréquence, spécificité d’actifs) peuvent être considérées comme le facteur principal de domination de la forme hiérarchique, au côté de l’évolution des fonctions de coût de production et de fourniture. On constate l’omniprésence de l’intégration verticale sur une base régionale ou nationale, ou de formes hybrides proches de la hiérarchie complète fondées sur l’intégration production-transport et des contrats de long terme au sein de monopoles bilatéraux entre production-transport d’un côté, distributeurs en position de monopole de vente de l’autre.

Ces formes d’encadrement internalisent l’interopérabilité des unités de production dans une zone (à laquelle seules échappent les unités des autoproducteurs industriels et des distributeurs urbains). Combinée à l’interconnexion, elles optimisent la coordination technique et économique des unités et la gestion des réserves face au risque technique.

La position de monopole de vente (de gros ou de détail) des entreprises de réseau, combinée à un contrat réglementaire permettant de transférer les risques d’investissement sur les acheteurs par les règles d’ajustement des tarifs, constitue un cadre incitatif à la constitution des actifs physiques spécifiques : la règle institutionnelle d’exclusivité de fourniture permet des temps de retour longs et la programmation (planification) des investissements en production et en transport.

La nécessité de développer à rythme élevé (doublement tous les dix ans) des actifs lourds en capital a consolidé le schéma hiérarchique, ce rythme élevé incitant à l’exploitation des opportunités ouvertes par le progrès technologique très rapide pour baisser les coûts de production : cette tendance s’est en effet traduite par l’approfondissement de la spécificité d’actifs avec la croissance des tailles des unités de production et de transport. A la coordination de court terme, se superpose donc une coordination de long terme, avec possibilité de jouer de la diversité des structures de coût des divers types d’équipement pour optimiser le développement des capacités de production par rapport à la variabilité horo- saisonnière de la demande.

Enfin la position de monopole permet de remplir, sans coût de transaction élevé entre régulateur et régulé, les obligations d’équité territoriale (ou sociale) qui constituent un des fondements du contrat réglementaire. Ce cadre institutionnel facilite en effet l’organisation, le plus souvent de façon implicite, des subventions croisées entre clients, contrairement à un cadre plus concurrentiel.

2.2.3/ La différenciation passée des formes d’organisation : l’indéterminisme relatif des coûts de transaction

La dynamique historique d’interaction entre institutions, technologie et organisation industrielle a joué différemment selon les pays aboutissant à des arrangements organisationnels plus ou moins éloignés de la hiérarchie complète.

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Celle-ci ne s’observe vraiment que dans un petit nombre de pays industrialisés (France, Europe du Sud) et dans les pays en développement. Les deux autres formes que l’on observe sont des formes de type mixte, à savoir :

- le modèle de la hiérarchie faiblement coordonnée, qui s’observe aux Etats-Unis, en Allemagne et dans les pays scandinaves, avec un éclatement régional plus ou moins important de la production-transport, une dissociation partielle de la distribution (avec des contrats de long terme verticaux), des arrangements multilatéraux d’échanges de court terme sur la base de pools plus ou moins lâches, et un contrat réglementaire organisé à plusieurs niveaux institutionnels,

- le modèle de la coordination pilotée, qui s’observe sur les systèmes électriques fragmentés danois et néerlandais, se caractérise par des modalités d’intégration financière de l’aval (distributeurs municipaux) vers l’amont (producteurs), puis de l’amont vers le maillon central ; par une coordination de court terme en pool strict par le gestionnaire de réseau sur la base des coûts variables ; et par une action dirigiste des pouvoirs publics qui définissent les règles générales et les objectifs de long terme à atteindre par les divers opérateurs supposés se coordonner. La coordination relève à la fois du pilotage par le ministère de tutelle (pour les choix d’investissement et la définition des principes des réformes) et de l’auto-organisation (pour la définition du contenu des réformes).

Les industries de réseaux électriques se sont constituées sur une base locale, puis, par agrégation de l’approvisionnement de zones de desserte, sur une base régionale. Mais là où la présence des pouvoirs locaux est traditionnellement forte dans le domaine des activités économiques, comme en Europe du Nord et en Allemagne, les municipalités ont pris en main le développement des réseaux de service public, laissant une faible emprise au privé. Il n’y a pas eu la transition organisationnelle observable dans les années vingt et trente en France et en Grande Bretagne, avec l’intégration territoriale de la distribution à l’échelle régionale et l’absorption de ce maillon par les entreprises de production- transport. Par ailleurs dans les pays fédéraux ou décentralisés, le développement progressif de l’institution réglementaire s’est fait par empilement progressif de niveaux de contrôle (local et central, régional et central, etc.)

Si les formes d’organisation sont très diverses par rapport à l’imbrication des maillons dans les arrangements hiérarchiques, les ensembles présentent en fait les mêmes caractéristiques de coordination hors marché : s’il n’y a pas hiérarchie (intégration) complète en production-transport, il y a toujours unification de normes techniques pour permettre une certaine unification géographique des échanges, monopsone de l’entreprise détenant le réseau et monopole de vente de gros de celle-ci ; de même il y a toujours monopole de vente aux consommateurs.

Par ailleurs, au fur et à mesure de l’approfondissement de la spécificité des actifs, les entreprises intégrées des industries fragmentées territorialement ont

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inventé des formes de coopération pour limiter les coûts de production (par les économies d’échelle et de coordination), tout en évitant l’intégration territoriale et les coûts d’organisation des hiérarchies : création d’entreprises communes en production pour mettre en oeuvre des techniques lourdes (hydraulique, nucléaire), création de pools d’exploitation coordonnée des équipements selon des règles plus ou moins strictes de gestion technique et de compensation financière.

Le fait que ces divers modèles mixtes aient pu se maintenir par rapport à la tendance à l’intégration verticale et nationale complète s’interprète en creux : les différences de coût de transaction et de coût d’organisation entre ces formes d’organisation sont relativement faibles. Une illustration parmi d’autres en serait donné par l’exemple espagnol : en 1982, pour éviter la création d’une hiérarchie publique qui a été envisagée un temps du fait du dysfonctionnement d’un modèle balkanisé et faiblement coordonné de hiérarchies privées, l’Etat a préféré séparer le maillon du transport-dispatching en créant une entreprise mixte chargée de la coordination de court terme, et renforcer la coordination de long terme exercé par l’autorité réglementaire (le ministère de tutelle).

Cette interprétation serait à valider plus avant. Les performances d’efficacité productive, ou tout au moins les représentations que s’en font les acteurs (quels types de coût prennent-ils en compte ? quid des coûts d’organisation ?) ont pu jouer un rôle dans les choix institutionnels et organisationnels antérieurs. Mais cet indéterminisme renverrait aussi au rôle des institutions externes et à l’histoire comme il sera vu ultérieurement.

Si on réfute cet indéterminisme relatif, une interprétation de la variété des arrangements en termes “williamsonniens” serait à affiner par rapport aux caractéristiques des institutions (droits de propriété, approche du service public et de l’échelle territoriale, pluri-niveaux de l’institution réglementaire, etc.) d’une part, et par rapport au perception du coût d’organisation au sein de la hiérarchie totale d’autre part.

2.3/ La dynamique expliquée par le choix entre formes d’organisation de degré différent d’efficacité transactionnelle

La comparaison en termes transactionnels de la forme hiérarchique antérieure avec les autres formes de coordination consisterait à opposer les coûts d’organisation de l’une10 aux coûts de transaction de l’autre dans un contexte technologique et institutionnel donné, dans quelques dimensions : celle des

10 Ces coûts d'organisation correspondent aux coûts de transaction internes aux formes intégrées. Mais cette notion, difficile à cerner précisément, sert plutôt de façon heuristique.

D’autre part, les approches menées en termes de coût de transaction interne ont une finalité autre que celle de l’explication des frontières et des modes de coordination entre organisations elles cherchent à expliquer les structurations internes aux entreprises intégrées (Ménard, 1994) ou, tout au moins, le repérage de structuration efficace comme Bouttes et Hamandjian (1994) ont cherché à le faire pour une grande entreprise électrique.

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transactions électriques, celle des relations régulateur-régulé ou encore celle des relations contractuelles avec les fournisseurs de combustibles ou d’équipements électriques.

Mais l’approche comparative ne peut pas reposer sur une quantification illusoire des coûts de transaction et des coûts d’organisation. La difficulté de repérage qualitatif complet de ceux-ci et de leur classement ordinal conduit à mener ici une analyse inductive rapide mélangeant approche transactionnelle et approche traditionnelle centrée sur les coûts de production, comme l’ont fait en 1983 P. Joskow et R. Schmalensee sur différentes formes, hypothétiques à l’époque, d’organisation de l’industrie électrique américaine. La déstabilisation de la forme hiérarchique ou des formes hybrides voisines s’explique par la hausse des coûts d’organisation, les dysfonctionnements réglementaires et par les potentialités de baisse des coûts de transaction et de gains d’efficacité productive des nouvelles formes de coordination dans les formes émergentes11.

La hausse du coût d’organisation, facteur de déstablisation étudié par Williamson (1985), est une première hypothèse explicative à explorer en s’appesantissant sur la faiblesse des incitations à l’efficacité productive et sur les coûts des contrats internes à la hiérarchie. Ainsi le ralentissement de la croissance des débouchés après 1970 met en question les progrès automatiques de productivité permis auparavant par la densification des consommations et la croissance des tailles d’unités. Cette mise en question met en lumière les inefficacités productives voilées par la dynamique antérieure, en particulier les rigidités d’adaptation des stratégies de constitution d’actifs spécifiques face au ralentissement de la demande, rigidités favorisées par les règles peu incitatives de contrôle des monopoles électriques.

11 Le cadre limité de ce papier contraint à ne mener une analyse rapide que sur les transactions internes au secteur. On ignore donc les rapports contractuels avec les fournisseurs de combustibles et avec les constructeurs d’équipement électrique. Ces derniers pourraient constituer une dimension importante de la comparaison, comme le considèrent Bouttes et Lederer (1993).

Selon eux, les relations verticales avec les constructeurs d’équipement justifieraient le maintien des monopoles électriques de grande taille, compte tenu de l’évolution des techniques de production vers la grande taille et la complexité, et en vue du partage équitable de la quasi- rente entre les constructeurs électromécaniques, les entreprises électriques et les consommateurs d’électricité, par la maîtrise des coûts de ces actifs spécifiques. La position de monopole électrique permet le contrôle des risques de débouché, et la grande taille permet de développer un pouvoir de négociation technique important ainsi qu’une capacité d’architecte industriel pour contrôler et organiser la réalisation contractuelle des grands équipements de production.

Toutefois l’enjeu de la maîtrise des coûts d’investissement et, au-delà, l’existence d’un cadre suffisamment incitatif pour la réalisation d’actifs de forte spécificité face au risque-projet a changé fondamentalement avec l’apparition de techniques de production plus divisibles et bien moins capitalistiques. La détention d’actifs humains importants pour la maîtrise de la transaction ne présente pas le même degré d’exigence. On ne peut donc pas procéder sur cette question à une comparaison entre modèles en raisonnant à spécificité d’actifs donnée. Il y a clairement co- détermination dynamique de la technologie et de l’organisation. Et cette dimension de la comparaison paraît bien moins cruciale pour l’analyse des changements actuels que pour celle des ruptures passées.

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Les dysfonctionnements du contrat réglementaire constituent ici et là un second facteur de déstabilisation. Il est clair, par exemple, qu’aux Etats-Unis, l’opportunisme des Commissions de Réglementation, qui se manifeste par leur refus d’inclure dans les tarifs l’amortissement des nouveaux actifs productifs en surcapacité au moment de leur mise en service, a mis en question la crédibilité du cadre incitatif pour investir. Cette situation a conduit au changement de règles (suppression de barrières juridiques à l’entrée) et au développement consécutif d’un nouveau mode de coordination reposant sur des contrats incomplets de long terme. De même l’hétérogénéité géographique des tarifs liée à la fragmentation du secteur a suscité des pressions en faveur de la mise en question des monopoles de ventes.

L’accès à maturité des industries électriques dans leur cycle de vie a également des effets déstabilisants. Il y a affaiblissement de la spécificité d’actifs dédiés avec la stagnation (relative) des débouchés, car cette situation s’accompagne d’une croissance de la part amortie des immobilisations. Les droits d’accès aux infrastructures peuvent être modifiés, de même que les règles garantissant la totalité des débouchés des détenteurs d’actifs en production. Les exigences de coordination de long terme sont moins élevées pour assurer le développement des actifs spécifiques dans un tel contexte.

A ces facteurs endogènes se superpose l’évolution technologique initiée grâce à la diversification des arrangements d’un pays à l’autre. Danx ceux où on s’est éloigné de la hiérarchie, avec la suppression des barrières à l’entrée en production, des actifs moins spécifiques (unités de production en cycle combiné) ont pu émerger ; et cette nouvelle trajectoire technologique a fragilisé les fondements des arrangements organisationnels intégrés dans d’autres pays.

Les nouveaux arrangements émergents sont caractérisables dans leur complexité en tant qu'empilement de modes de coordination. On peut ainsi identifier trois nouveaux types de modes mixtes qui seront comparés brièvement.

• Le modèle de la “hiérarchie contractante” résulte de la superposition de la forme contractuelle de long terme à la forme hiérarchique, superposition permise par la suppression des barrières juridiques à la production indépendante, et une coordination des entrées par une procédure d’enchères concurrentielles (“competitive bidding” aux Etats-Unis, principe de l’acheteur unique en France, appels d’offres pour les contrats longs de production en BOOT12 dans les pays du Sud).

• Le modèle de la “hiérarchie partiellement libéralisée” résulte de l’ouverture de l’accès des infrastructures de transport et de distribution des entreprises intégrées, ce qui revient à supprimer le monopole de vente sur un segment plus ou moins important de leur marché. A la hiérarchie se superposent les transactions bilatérales producteurs-acheteurs éligibles, établies sur une base

12 Build, Own, Operate and Transfer

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concurrentielle. C’est le modèle qui résulterait de l’introduction du principe de l’accès des tiers au réseau dans les pays à entreprises électriques intégrées.

• Le modèle de la “coordination libéralisée” résulte de la dé-intégration verticale des hiérarchies (monopoles intégrés), avec instauration de marchés incomplets sous forme d’arrangements multilatéraux de type “pool” fonctionnant sur une base quasi-concurrentielle pour régler la coordination de court terme, avec mécanismes bilatéraux de couverture de risque et avec possibilité d’arrangements bilatéraux de long terme pour encadrer les entrées avec création d’actifs spécifiques.

2.3.1/ Les arrangements contractuels verticaux en production : la hiérarchie contractante

Si, dans de nombreux pays, on peut observer une intégration seulement partielle de la distribution à l’ensemble production-transport, les rapports entre maillons ont toujours relevé dans ce cas d’une forme hybride de coordination proche de la hiérarchie dans la mesure où les distributeurs sont assujettis techniquement et économiquement à leur fournisseur, du fait de l’exclusivité de fourniture de celui-ci. Les arrangements contractuels qui se sont développés depuis le milieu des années 1980 en production sont d’une autre nature. La suppression des barrières juridiques en production, avec maintien de l’exclusivité d’achat de l’entreprise gérant le réseau, ont permis l’entrée de producteurs indépendants dans le cadre d’une sélection concurrentielle et de l’établissement de contrats de long terme. Le mécanisme concurrentiel de sélection se combine avec la forme hybride de coordination. La position de monopsone de l’entreprise de réseau permet de signer un contrat de long terme qui protège le producteur indépendant du risque de hold-up, et du risque d’opportunisme de l’acheteur après la signature du contrat.

Le plus souvent le contrat crée une soumission technique du producteur électrique indépendant (PEI) à l’entreprise électrique acheteuse et à son dispatching. Mais la rémunération est conçue en deux parties définies lors de la sélection concurrentielle et affinée avant la signature du contrat définitif : un terme fixe correspondant aux coûts fixes du PEI et un paiement par kWh livré correspondant aux dépenses unitaires de combustible. La partie fixe comprend la rémunération du capital engagé13. Elle joue le rôle de garantie d’engagement crédible de la part de la compagnie électrique face à la contrainte de dépendance exclusive du PEI (Williamson, 1985, p.221). Des clauses de réajustement organisent l’incomplétude du contrat par le partage des risques entre les deux partenaires. D’autres contrats longs (financement de projets avec le prêteur qui peut exiger tout un dispositif de garanties, fournitures de combustibles) complètent le dispositif contractuel.

13 La rémunération fixe peut être aussi calculée en fonction du profil de remboursement de l’emprunt qui s’étale sur une durée plus courte que la durée de vie de l’équipement.

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Les coûts de transaction ex ante et ex post associés à la sélection, à la définition des contrats associés à un projet et à leur suivi sont plus élevés que dans le modèle intégré (hiérarchie) au regard de l’expérience américaine ou surtout, de celle des nombreux projets de PEI dans les pays du Sud. Ils le sont d’autant plus, dans ces pays que les institutions externes ne sont pas stables (problème du risque-pays), ce qui nuit à la crédibilité des engagements. Par contre la coordination de court terme réglée par des procédures précises d’appel en temps réel de l’électricité du producteur indépendant, n’entraîne pas de coûts de transaction importants.

Le nouveau mode de coordination, qui s’est développé sous l’effet de facteurs de déstabilisation du modèle hiérarchique aux Etats-Unis, en Europe du Sud et dans les PVD (dysfonctionnement du contrat réglementaire, absence d’incitations à financer les investissements des entreprises électriques, contrainte de mobilisation des capitaux) a permis la reprise des investissements. Il s’avère, à l’expérience, que ce mode de coordination présente des incitations à l’efficacité productive plus élevée (meilleur contrôle du coût des projets, meilleure disponibilité des équipements) que celle du modèle hiérarchique (Kahn, 1992 ; Kliman, 1995). De façon plus générale les qualités du modèle hiérarchique en termes d’efficacité (coordination de court terme et de long terme) et vis-à-vis des institutions externes (respect de la norme de service public) ne sont pas mises en question.

2.3.2/ L’accès des tiers aux réseaux des entreprises intégrées (ATR) : la

“hiérarchie partiellement libéralisée”

Le modèle de l’ATR repose sur une simple modification d’institution sans changement organisationnel. Celle-ci consiste à aménager les droits de propriété du réseau en autorisant des transactions bilatérales directes entre, d’un côté les producteurs et, de l’autre, les distributeurs ou consommateurs, grâce à l’accès ouvert au réseau de transport et de distribution d’entreprises intégrées. Celles-ci sont obligées d’offrir le service de transport à ses contractants contre une

“rémunération juste et raisonnable”.

L’avantage apparent de cette forme d’organisation serait d’éviter les coûts politiques de transformation du modèle hiérarchique. Pourtant, si elle peut être viable techniquement et économiquement avec un nombre limité de tiers éligibles, elle cumule en fait des coûts de transaction de différents types :

• coûts de transaction lors de l’introduction de la nouvelle forme de coordination, du fait de l’enjeu de remboursement de la partie non amortie des actifs (stranded cost) développés antérieurement par les entreprises électriques dans le cadre du cadre protecteur du monopole de vente et de la réglementation en “cost plus”,14

14 Il existe un débat considérable aux Etats-Unis sur la question dans le cadre du long débat sur l’introduction du “retail wheeling” (l’ATR américain) qui vient d’aboutir, en 1996, à une décision d’introduction dans plusieurs Etats du Nord-Est et en Californie.

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• coûts de transaction liés aux difficultés de définition réglementaire ou de négociation de règles équitables de prix de transport (et des services annexes tels que le réglage de la fréquence, l’assurance de fournitures), étant donné les litiges que ne manqueront pas de susciter les abus de position dominante de l’entreprise intégrée gérant le réseau15 ;

• coûts de transaction associés à l’élaboration et au contrôle de règles complexes devant assurer l’équité concurrentielle et la protection des consommateurs captifs, (le régulateur pourra-t-il vraiment vérifier les mille et une façons, pour un propriétaire de réseau, de contourner le principe d’accès équitable ?) ;

• coûts d’établissement de contrats qui doivent en fait être trilatéraux, en associant nécessairement le transporteur pour la définition des conditions techniques et économiques de la fourniture.

Les règles institutionnelles qui pourront être mises en oeuvre pour rechercher l’équité concurrentielle, telles que la séparation comptable des maillons (unbundling), ne résoudront jamais vraiment le problème de l’incompatibilité entre les deux formes de coordination superposées : la hiérarchie et les transactions trilatérales. Les anticipations de ces coûts ont conduit les Etats choisissant la voie de la libéralisation à préférer la suppression de la forme hiérarchique.

2.3.3/ Le mode de coordination libéralisée : le pooling quasi-concurrentiel avec marché incomplet

La suppression de la forme hiérarchique, décidée et expérimentée dans une dizaine de pays, repose sur la dissociation organique des trois maillons de la filière, ainsi que sur la dissociation de la fonction d’exploitation des réseaux et de la fonction de vente. Le transporteur est totalement indépendant vis-à-vis des producteurs, des distributeurs et des consommateurs. Les nouvelles règles interdisent ou limitent les possibilités de réintégration verticale (neutralité du réseau, retour des producteurs en distribution, remontée partielle des distributeurs en production). La dispersion des actifs en production lors de la privatisation, et la suppression des barrières juridiques à l’entrée sont supposées promouvoir le développement des forces concurrentielles dans l’amont de la filière.

Ce mode d’organisation industrielle n’est pas le schéma édénique, défendu un temps par certains (Schweppe, 1983), d’une coordination par le seul marché, avec transactions bilatérales de gré à gré ou sur un marché spot couvertes par des contrats à terme. Le problème de la préservation indispensable de la coordination

15 En transport, les contraintes et les coûts sont extrêmement volatiles en temps réel et très difficiles à spécifier dès lors que joue l’effet-système et que la spécificité de l’actif de transport par rapport à la transaction s’est évanouie.

Les références au coût comptable moyen, ou au court d’une ligne fictive de transport qui serait créée entre les deux contractants, sont très loin d’être des solutions satisfaisantes soit par rapport à l’avantage du gestionnaire de réseau, soit par rapport aux deux autres parties.

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