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Un élargissement de l’appréhension de l’environnement institutionnel L’approche NEI antérieure prenait en considération les institutions

3/ LES INSTITUTIONS COMME FACTEURS DE LA DYNAMIQUE DES INDUSTRIES DE RÉSEAU ÉNERGÉTIQUE

3.1/ Un élargissement de l’appréhension de l’environnement institutionnel L’approche NEI antérieure prenait en considération les institutions

externes encadrant les transactions (droit des contrats, droits de propriété, etc...) dans une logique micro-analytique par rapport à l’encadrement des transactions.

Les institutions à prendre en considération dans cette approche élargie concernent aussi bien cette dernière fonction que la détermination et la consolidation de compromis social20.

3.1.1/ Les “dotations institutionnelles” ou les macro-institutions

Les institutions qui influencent la structuration du secteur comprennent d’abord les “dotations institutionnelles” dont fait état North (1989). Celles-ci vont déterminer de près ou de loin l’environnement transactionnel comme déjà indiqué, mais aussi la stabilité des règles sectorielles et les possibilités de limitation du caractère discrétionnaire de l’intervention de l’exécutif ou du régulateur (regulatory governance) par rapport au partage de la quasi-rente ou encore, à l'inverse, les possibilités de changement des règles sectorielles. Levy et Spiller (1994) qui se focalisent sur l'exigence de stabilité des règles parce qu'ils s'intéressent aux engagements crédibles vis-à-vis d'opérateurs étrangers21 s'intéressent à des dotations institutionnelles tout aussi pertinentes pour l'analyse en ceux des possibilités de changement des institutions sectorielles. Il s'agit :

• des mécanismes électoraux, les mécanismes de définition des lois et des règlements (dont, en Europe, les mécanismes échappant à la souveraineté nationale), et l’importance des marges de manoeuvre de l’exécutif dans ce domaine,

• des mécanismes judiciaires formels (structures, modalité de résolution des conflits entre intérêts privés, ou entre l’Etat et les intérêts privés) capables de contraindre l’arbitrage d’action de l’exécutif, et de consolider les engagements entre parties,

• des conventions informelles qui contraignent l’action des individus et des institutions,

• de la structuration de l’équilibre entre intérêts sociaux en opposition, notamment de par le rôle de l’idéologie,

• de la capacité d’action administrative des Etats.

20 Le concept flou d’efficacité sociale pourrait à la rigueur s’appliquer à la poursuite conjointe de différents objectifs économiques et sociaux conflictuels (moindre coût, fiabilité de fourniture, équité territoriale, intérêt national, protection des travailleurs, protection de l’environnement, etc...) associés à ce compromis.

21 Ces auteurs se situent clairement dans le courant Coase-Williamson, mais en allant piocher des concepts chez D. North pour préciser les éléments du cadre incitatif à l'investissement.

Toutes ces “dotations institutionnelles” sont susceptibles de changer. Mais la nécessité méthodologique de simplifier conduit à considérer les deux premières comme stables, en ne prenant en compte les changements qu’au niveau des référentiels et des paradigmes qui légitiment l’action de l’Etat, qui structurent les relations générales Etat-Marché, et qui déterminent les grands équilibres sociaux.

Les changements de capacité d’action administrative de l’Etat découleront des changements du référentiel légitimant son action dans l’économie. Quant aux institutions formelles présumées stables, elles ont aussi une influence parce qu’elles déterminent l’orientation des dynamiques de changement.

3.1.2/ Les institutions sectorielles

Les dispositifs institutionnels sectoriels dans le domaine de l’industrie électrique doivent être dissociés entre ceux qui influencent les coûts de transaction, et ceux qui résultent des compromis sociaux.

• Les dispositifs déterminant les coûts de transaction comprennent d’abord les règles définissant le degré de monopolisation territoriale et d’intégration verticale, ainsi que les règles de coordination entre hiérarchies. Ces règles incluent aussi le droit d’usage des infrastructures ainsi que les restrictions d’entrée en production et en transport, qui vont conditionner les formes éventuelles de concurrence.

Les droits de propriété constituent aussi une institution importante. Ils conditionnent notamment les formes de mobilisation des capitaux. La propriété publique s’accompagne de mécanismes privilégiés de financement ; la propriété privée s’accompagne d’un financement par actions et de règles de fixation de prix assurant une rémunération garantie aux actionnaires (Etats-Unis), ou bien d’un financement limité par emprunt qui s’accompagne de règles tarifaires permettant un autofinancement important, du fait de la proximité du système bancaire (Allemagne, Espagne, Belgique). Les droits de propriété conditionnent également le type d’institution réglementaire, comme il a déjà été indiqué.

Ces divers dispositifs s’avèrent multipolaires. L’émergence et l’affirmation d’une capacité réglementaire au niveau communautaire complexifie la configuration du pouvoir de contrôle et d’intervention, mais l’expérience montre que ce pouvoir s’exerce principalement en termes de définition des règles. Quant au niveau local, dans les pays à pouvoir municipal fort (Allemagne, Pays-Bas, pays scandinaves), l’action des instances locales pourrait s’interpréter comme relevant d’un mode particulier de contrôle. Mais, depuis plus de cinquante ans, le contrôle local sur les prix est généralement limité. Il n’est réel qu’en matière de versement de redevances et de protection de l’environnement. L’exercice du pouvoir local s’interpréterait donc plutôt comme un élément du dispositif de partage de la rente.

• Les compromis sociaux institutionnalisés dans des industries de réseau comprennent deux volets, le volet redistributif et le volet du rapport social de

travail. Le volet redistributif renvoie principalement aux normes d’équité territoriale et d’égalité de traitement qui se sont progressivement imposées dans les années vingt et trente, et qui ont eu une signification politique forte pour légitimer le développement des infrastructures de distribution. Il inclut les tarifs sociaux et les règles particulières de traitement des consommateurs de bas revenus.

Le volet du rapport social du travail a acquis une importance particulière dans de nombreux pays, dès les premiers stades de développement de l’industrie électrique22. Ce rapport se caractérise, dans les industries électriques, par une sécurité d’emploi, un niveau de protection sociale et de salaires supérieur à la moyenne de l’industrie manufacturière et ce indépendamment du statut de l’entreprise23. Il s’accompagne aussi d’une alliance avec les dirigeants des entreprises, parfois conflictuelle mais solide, car cimentée par l’identification à des valeurs communes (service public, croissance matérielle). La résistance aux dynamiques déstabilisatrices actuelles dans certains pays s’ancre dans cette alliance, les salariés s’engageant derrière leurs dirigeants dans la défense des institutions sectorielles ou des choix stratégiques des entreprises.

Les changements de dispositifs entraînent en effet une modification radicale des compromis sociaux. Le passage de la hiérarchie publique ou privée à une forme de coordination libéralisée à la britannique se traduit par un bouleversement du partage de la rente. Elle ne se diffuse plus désormais vers les employés (sureffectif, coût du travail élevé), vers la technostructure (recherche de la performance technologique pour la performance) et vers les industries amont.

De façon générale elle est partagée principalement entre les actionnaires, les dirigeants et, de façon annexe, les consommateurs, avec abandon du soutien aux industries amont (charbon déficitaire, constructeurs électriques nationaux) ou aux industries électro-intensives.

22 Ce fait serait démontrable par divers travaux historiques. On rappellera simplement qu’en France le statut privilégié de la profession électrique date des années vingt, résultat de l’action de la puissante Fédération de l’Eclairage. Mais ce fait se retrouve dans les autres pays industrialisés, quel que soit le statut des entreprises. Faut-il interpréter ce statut privilégié par rapport à la spécificité des compétences dans l’industrie électrique ? Plus pertinente serait une interprétation par rapport au statut de l’électricité qui passe, après la première guerre mondiale du statut de produit de luxe réservé aux classes aisées, à ce statut de bien essentiel. Les syndicats se feront le vecteur de cette image légitimante. Ils en gagneront une influence importante qui facilitera leurs revendications statutaires et salariales, la position de monopole territorial des entreprises permettant aux managers de céder rapidement face à ces revendications.

23 Certaines études théoriques générales confortent le point de vue selon lequel, dans les divers secteurs industriels, la sur rémunération des facteurs ou leur sous-productivité sont bien plus fortes pour le travail que pour le capital. Katz et Summers (1989) écrivent ainsi dans une étude sur les rentes industrielles : "Nos estimations suggèrent que les propriétaires de capitaux reçoivent peu de rentes de monopole. Par contraste, même dans les secteurs où les syndicats ne jouent pas un rôle important, il apparaît des différentiels significatifs de salaires entre industries, qui ne peuvent pas être entièrement attribués aux différences de qualification, ou de conditions de travail".

• Les cultures et les répertoires d’action internes

A côté de l’identification à l’intérêt public, les protections monopolistes ont favorisé l’affirmation d’une culture productiviste d’ingénieurs marquée par le goût de la performance technologique et le manque de familiarité avec le risque, au détriment des cultures managériale, financière ou commerciale, et ce quel que soit le statut des entreprises. Le paradigme sous-jacent a conditionné largement les choix d’investissement des entreprises électriques, avec un répertoire d’actions surdéterminé par une culture peu familière de la flexibilité des choix.

L’approfondissement de la spécificité d’actifs qui a résulté de ce mode d’action a consolidé les hiérarchies, illustrant en cela l’hypothèse de coévolution des technologies et des organisations émise par Chandler (1977) et reprise par Nelson et Winter (1982). A l’inverse, l’adoption d’un autre mode de coordination s’accompagne de la diffusion d’une culture concurrentielle, avec un rapprochement des horizons de rentabilisation des investissements de la norme industrielle l’adoption d’actifs moins spécifiques et le développement des techniques de gestion du risque.

3.2/ Le rôle des institutions externes dans le cycle de vie des industries