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Les conventions collectives et la paix du travail en Suisse

AUBERT, Gabriel

AUBERT, Gabriel. Les conventions collectives et la paix du travail en Suisse. Revue internationale du travail , 1989, vol. 128, no. 3, p. 411-426

Available at:

http://archive-ouverte.unige.ch/unige:13224

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Revue internationale du Travail, vol. 128, 1989, nO 3

Les conventions collectives et la paix du travail en Suisse

Gabriel AUBERT'

E

n 1987, les milieux patronaux et syndicaux, ainsi que les autorités politi- ques, ont célébré en Suisse le cinquantenaire des (conventions de paix» dans l'horlogerie et dans l'industrie des machines. La Suisse ayant la réputation d'un pays sans grève, il paraît opportun de jeter un regard sur le régime des conventions collectives et sur les causes de la paix sociale.

1.

Les conventions collectives

A.

Historique

Avant les années trente: le développement des conventions collectives dans l'artisanat et la petite industrie

Les conventions collectives ont très tôt pris racine en Suisse. On aime à citer deux textes précurseurs en la matière, soit les tarifs adoptés dans l'im- primerie en 1850 à Genève et en 1861 à Saint-Gall. En 1900 déjà, le canton de Genève adoptait une loi donnant force d'usage aux accords passés entre organisations de salariés et d'employeurs. A notre connaissance, il s'agit de la première législation en Europe dans ce domaine L. En 1911, la convention collective fut réglementée sur le plan fédéral, lors de la révision du Code des obligations.

Jusqu'aux années trente les conventions collectives se développèrent essentiellement dans l'artisanat et la petite industrie. La première convention débordant les frontières d'un canton fut celle de la brasserie en 1906; suivi- rent entre autres l'imprimerie, en 1907, et la ferblanterie, en 1911 2.

Il est à noter que, déjà durant cette période, les conventions collectives comportaient une réglementation relativement détaillée des conditions de travail. Elles prévoyaient souvent une obligation de paix. La convention de la ferblanterie, de 1911, dispose expressément que, durant sa validité, les par- ties s'abstiennent de recourir à la grève ou au lock-out.

* Professeur de droit du travail à l'Université de Genève.

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Revue Înternationale du Travail

Dans les grandes industries, les employeurs résistèrent longuement aux pressions syndicales tendant à la conclusion de conventions collectives. Cer·

tes, des accords furent conclus dans l'horlogerie dès le début du siècle, mais seulement au niveau de l'entreprise ou du canton 3. Sur le plan national, le patronat refusait d'admettre les syndicats comme partenaires.

Ainsi, en février 1929, le Syndicat de la métallurgie proposa à l'organisa- tion patronale une convention collective de deux ans régissant notamment la durée du travail, les salaires et les vacances. Un tribunal arbitral réglerait les conflits d'interprétation et les conflits d'intérêts. Pour garantir l'observation de la convention, une caution serait déposée à la Banque nationale, L'asso- ciation patronale rejeta cette offre le jour même de sa réception, en écrivant:

«Notre comité estime qu'une réglementation collective des conditions de travail n'est pas un moyen approprié pour développer la paix du travail·.»

Le tournant des années trente: la négociation collective dans les grandes industries

Dès le début des années trente, la situation commença d'évoluer. Le département fédéral (ministère) de l'Economie publique adoptait une atti- tude de plus en plus positive envers la Fédération des ouvriers sur métaux et horlogers (FOMH), devenue en 1972 Fédération des travailleurs de la métal- lurgie et de l'horlogerie (ITMH). Il s'entremit plusieurs fois pour faciliter les contacts entre celle-ci et l'Association patronale suisse des constructeurs de machines et industriels en métallurgie (ASM).

De plus, dans le cadre de mécanismes qui seront décrits plus loin, la gauche démontrait sa force sur le plan politique. Elle fit échouer, lors d'un vote populaire en 1933, une diminution de la rétribution des fonctionnaires;

en 1935, elle rassemblait une minorité fort importante du corps électoral en faveur d'une réforme économique s.

Il fallait désormais compter avec le mouvement syndical et surtout avec la fédération de travailleurs la plus puissante, la FOMH. Confirmant son intérêt pour une collaboration avec les employeurs, cette fédération ne consi- dérait plus la grève comme le meilleur moyen d'obtenir d'eux des conces- sions. De plus, en 1933, elle supprima de ses statuts les objectifs révolu- tionnaires 6. Son président, Konrad Ilg, député socialiste au Conseil natio- nal, cessa en 1935 de s'opposer aux dépenses de défense nationale. Tandis qu'en Allemagne le nazisme anéantissait les organisations de travailleurs, Ilg sentait la nécessité de faire face aux périls extérieurs avec les autres forces démocratiques, fussent-elles bourgeoises '.

Le 27 septembre 1936, le Conseil fédéral (gouvernement) décida de dévaluer le franc suisse et, pour empêcher que les hausses de salaire n'entrai- nent des hausses de prix, ordonna l'arbitrage obligatoire des conflits collectifs touchant les rémunérations 8, Du point de vue politique, ce texte revêt une extrême importance: tandis que, jusqu'alors, l'Etat s'était tenu à l'écart des rapports entre syndicats et employeurs, le risque qu'il intervint devenait réel.

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La paix du travail en Suisse

I:idée d'un arbitrage obligatoire sous l'égide de la Confédération plaisait en particulier aux milieux corporatistes, qui souhaitaient la mise en place d'un système économique et social inspiré par l'idéologie alors dominante en Alle- magne et en Italie (c'était le cas, par exemple, du Parti catholique conserva- teur). Au contraire, les employeurs des grandes industries, attachés au libéralisme, se montraient hostiles aux contraintes qui se profilaient derrière cette nouvelle intrusion de l'Etat. Parallèlement, les syndicats voyaient d'un mauvais œil l'arbitrage obligatoire se substituer à la grève et au boycottage, par lesquels ils voulaient pouvoir manifester, le cas échéant, leur force et leur indépendance. Employeurs et syndicats, hostiles au corporatisme, se trou- vaient pour ainsi dire dans le même camp.

Au printemps de 1937 une importante grève éclata dans l'industrie hor- logère à propos des salaires et des congés payés. Devant le risque d'un arbi-.

trage de l'Etat, employeurs et travailleurs préférèrent se soumettre à un tribunal privé; ils furent d'ailleurs aidés à cette fin, sur la demande du syndi- cat, par le conseiller fédéral (ministre) chargé de l'Economie publique. Ce dernier rédigea lui-même un projet d'accord, qui prévoyait la reprise du travail, l'interdiction absolue de tout moyen de combat et la création d'un tribunal arbitral permanent chargé de fixer les salaires et la durée des vacan- ces dans les divers métiers de l'horlogerie. Ce tribunal était nommé par les parties, et non pas par l'Etat. Les intéressés acceptèrent cet accord le 15 mai 1937. Conclu pour quelques mois Uusqu'à la fin de 1937), il fut régulièrement renouvelé par la suite, sans interruption '.

Une convention semblable fut signée peu après, le 19 juillet 1937, dans l'industrie des machines. Préférant la négociation à l'arbitrage de l'Etat, l'orga- nisation patronale de la branche accepta de conclure un accord de procédure, par lequel elle reconnaissait le syndicat comme interlocuteur et déclarait soumettre les conflits touchant la fixation des salaires à l'arbitrage; en contre- partie, le syndicat s'interdisait tout recours à la grève ou au boycottage.

Les conventions de l'horlogerie et de l'industrie des machines se bor- naient à instituer l'arbitrage de certains conflits d'intérêts, en échange de la paix; elles ne fixaient pas les conditions de travail, qui restaient à négocier dans les entreprises. Les employeurs craignaient en effet les contraintes uni- formes découlant de conventions comportant d'emblée le détail des condi- tions de travail.

La FOMH, satisfaite d'être reconnue comme partenaire, sc contenta, pour commencer, de ce mécanisme de règlement des litiges.

t:après-guerre: vers la paix du travail

La percée syndicale dans les deux branches les plus importantes de l'industrie fit école. Les autres organisations de salariés profitèrent de l'élan nouveau.

Pendant la guerre, le nombre des conflits sociaux baissa. Mais il s'accrut dès la fin des hostilités: les travailleurs luttaient pour obtenir la conclusion de

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Revue internationale du Travail

conventions collectives. La période de 1945 à 1947 fut marquée par des grè- ves particulièrement nombreuses. Il y en eut davantage, en 1946, qu'en au- cune des quinze années précédentes. En 1947 également, la quantité des conflits fut remarquablement élevée; plusieurs d'entre eux se produisirent d'ailleurs dans l'horlogerie et dans la métallurgie 10. Ce n'est qu'à partir de 1950 qu'on enregistre (sauf quelques exceptions) moins de dix grèves par an (parfois aucune) 11. La paix du travail date donc, en réalité, du début des années cinquante, et non pas, comme on l'a dit trop souvent, des accords de 1937 12.

Les tensions sociales parfois vives pendant la guerre, puis la recrudes- cence des grèves à la fin de celle-ci, coïncident avec une forte augmentation du nombre des conventions collectives. Ce nombre continue de grandir après 1950, mais les syndicats n'ont plus besoin de déclencher des conflits pour être reconnus comme partenaires. Alors que, en 1938, on dénombrait quatre cent dix-sept conventions collectives, on en recensait plus de mille en 1946, de mille cinq cents en 1955 et de mille six cents en 1960 13. Le total des conven- tions enregistrées tend aujourd'hui à décroître, certains accords conclus au plan local étant absorbés par des accords régionaux ou nationaux. Selon les dernières statistiques publiées, il y en avait près de mille quatre cents en 1971 J4 et, selon des estimations de l'Union syndicale suisse (USS), environ mille cent en 1983 J5.

Conformes au modèle traditionnel, les conventions conclues après la guerre diffèrent de celles de l'horlogerie et de la métallurgie. Les syndicats ne se contentaient pas d'accords de procédure: ils exigeaient des conventions déterminant de façon précise les conditions de travail. l.:exemple de l'indus- trie chimique est significatif. En 1942, l'organisation patronale bâloise, ré- pondant à une pétition des salariés, se déclarait prête à améliorer les con- ditions de travail; toutefois, disait-elle expressément, «pour une question de principe, elle ne pouvait entrer en matière sur une revendication du person- nel touchant la conclusion d'une convention collective» J6. En 1943, elle se montra prête à signer un accord de procédure semblable à ceux qui avaient été conclus dans l'horlogerie et l'industrie des machines, ce que le syndicat refusa. En janvier 1945, ce dernier obtint de haute lutte une convention collective complète. Puisqu'elle lixait les conditions de travail pendant sa durée de validité, la convention ne prévoyait pas l'arbitrage des conflits tou- chant la fixation des salaires ou les vacances 17. Ainsi fut mise sur pied la première convention collective détaillée dans une branche importante de l'industrie suisse.

D'ailleurs, dans l'horlogerie et dans l'industrie des machines, les accords de procédure furent complétés par des avenants réglant les conditions de travail (horaire hebdomadaire, vacances, délais de congé, allocations familia- les, etc.). Dans l'horlogerie, ces avenants furent intégrés à l'accord de procé- dure, de manière à former une convention collective complète en 1961. Dans l'industrie des machines, ce processus n'aboutit qu'en 1970.

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La paix du travail en Suisse

B. Le régime de la paix du travail

Les deux catégories de conventions collectives

La structure de la négociation collective varie largement selon les bran- ches. Certaines d'entre elles connaissent une négociation centralisée; d'au- tres une négociation à plusieurs niveaux: national, régional, cantonal. La plupart des conventions sont conclues au plan de l'entreprise.

Parmi les conventions actuellement en vigueur, il faut distinguer deux familles. On trouve, d'un côté, celles de l'horlogerie et de l'industrie des machines, fidèles au modèle de 1937. Elles ne se bornent pas à régler les conditions de travail, mais instituent l'arbitrage de certains conflits d'intérêts, en particulier des conflits relatifs à la fixation des salaires. Cet arbitrage joue un rôle important: dans les années soixante-dix et quatre-vingt, par exemple, des sentences relativement nombreuses ont été rendues, notamment en ma- tière de compensation du renchérissement, d'augmentation réelle des rému- nérations et d'indemnisation des travailleurs licenciés pour des raisons économiques: les arbitres ont dit de cas en cas les montants qu'il y avait lieu d'allouer, compte tenu de la situation des entreprises.

On relève, de l'autre côté, les conventions qui se limitent à fixer les conditions de travail, mais ne prévoient pas l'arbitrage de conflits d'intérêts.

C'est la formule traditionnelle, qui existait dans plusieurs métiers au XIX' siècle déjà, qui se développa au début du XX, siècle et qui connut une grande vogue après la seconde guerre mondiale.

Les accords du premier type ne couvrent que 7 pour cent des travailleurs du pays. Ceux du second s'appliquent à l'immense majorité d'entre eux (ci- tons par exemple la chimie, la construction, le textile, l'imprimerie).

Contrairement aux idées reçues, les procédures d'arbitrage des conflits touchant la fixation des salaires, prévues dans l'horlogerie et l'industrie des machines, ne sont nullement représentatives des quelque mille trois cents conventions collectives suisses; elles constituent un .cas exceptionnel. D'une manière générale, lors de conflits d'intérêts, les parties trouvent un com- promis par la voie de la négociation classique ou au sein de commissions paritaires. Le cas échéant, elles peuvent saisir des organes de conciliation étatiques, sur le plan cantonal ou fédéral. La mise en œuvre de procédures officielles de conciliation demeure rare 18.

A quelque famille qu'elles appartiennent, les conventions collectives imposent aux parties une obligation de paix, qu'il convient d'analyser rapi- dement.

L:obligation de paix

Selon le Code des obligations, la convention collective lie juridiquement les parties. Ces dernières ne peuvent, durant sa validité, chercher à en impo- ser la modification, sur les points qu'elle règle, par le recours à la force

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Révue internationale du Travail

(grève, lock-out, boycottage). Ne couvrant en principe que les matières fai- sant l'objet de l'accord, l'obligation de paix est dite relative 19.

Cependant, les parties peuvent prévoir une obligation de paix illimitée, c'est-à-dire prohiber tout recours aux moyens de combat, quel que soit l'ob- jet du différend. Généralement, les employeurs n'acceptent de conclure un accord qu'à condition qu'il prévoie une obligation de paix absolue; l'on rencontre une telle clause dans les deux tiers environ des conventions collectives 20.

Comme nous l'avons relevé ci-dessus, la négociation se déroule à deux niveaux dans certaines branches: la convention conclue sur le plan national règle l'ensemble des conditions de travail, à l'exception des salaires; ces derniers font l'objet de négociations conduites sur le plan inférieur, selon des modalités fort diverses. Les rémunérations sont fixées tantôt dans des ac- cords entre chaque employeur et la commission d'entreprise, pour une durée indéterminée, qui ne correspond pas à celle de la convention nationale (in- dustrie des machines); tantôt dans des avenants convenus dans les différents secteurs de la branche, pour une durée également indépendante de celle de la convention nationale (horlogerie); tantôt dans des avenants cantonaux ou régionaux signés par les organisations professionnelles locales en même temps et pour la même durée que la convention nationale (gros œuvre de la construction). Notons cependant que, dans l'horlogerie et dans le gros œuvre de la construction, les négociations relatives à la compensation du renchéris- sement se déroulent sur le plan central.

Dans ces cas, les conventions nationales comportent une clause de paix absolue, qui s'applique aux deux niveaux pendant la période contractuelle. A l'expiration de la convention de branche, l'obligation de paix cesse sur le plan central comme sur le plan local: elle découle en effet de la convention nationale.

Que se passe-t-il si les pourparlers au niveau inférieur échouent pendant la période contractuelle? Dans l'horlogerie et dans l'industrie des machines, les salaires seront fixés par le tribunal arbitral. Dans le bâtiment, les avenants locaux sont censés durer aussi longtemps que la convention nationale; si des revendications apparaissent en cours de contrat, ils ne peuvent être modifiés que d'un commun accord, l'arbitrage des conflits de salaire n'existant pas. JI faut alors distinguer deux hypothèses. Si les parties sont en litige sur la compensation du renchérissement et qu'un accord ne soit pas trouvé au phlll national, les syndicats disposent d'un droit de dénonciation anticipé de la convention. En revanche, si le différend concerne une augmentation des salaires réels, les organisations syndicales doivent s'en tenir à une simple procédure de conciliation; le recours au combat leur est interdit. Dans la pratique, ces mécanismes n'ont pas donné satisfaction. Sur le plan cantonal, les intéressés instituent parfois l'arbitrage des conflits de salaires, mais cette solution n'est pas généralisée. Le principal syndicat de la branche (la FOBB), nous le verrons, se montre critique envers les clauses de paix absolue; certai- nes de ses sections, malgré l'obligation de paix, ont provoqué récemment de

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La paix du travail en Suisse

courts arrêts du travail en vue d'obtenir une augmentation générale des salai~

res réels.

Afin d'assurer le respect de la convention, les parties instituent le plus souvent un tribunal arbitral, qui a compétence pour interpréter l'accord et

pour sanctionner sa violution.

Ici encore, chaque branche montre des particularités. Dans l'horlogerie et dans l'imprimerie, le tribunal arbitral est constitué pour toute la durée de la convention; dans le bâtiment, sur le plan central, seul le président est désigné d'avance pour toute la période contractuelle, les assesseurs étant nommés de cas en cas; dans l'industrie des machines, l'ensemble du tribunal arbitral est formé de cas en cas. En règle générale, les tribunaux arbitraux sont présidés par des magistrats de carrière; les autres membres sont tantôt également des magistrats, tantôt des personnalités proches des parties.

Dans l'horlogerie et dans l'industrie des machines, c'est le même tribu- nal qui tranche, selon la même procédure, les conflits de droit et les conflits d'intérêts. Toutefois, s'agissant de ce second type de litiges, la pratique pré- sente quelques traits spéciaux. Ainsi, le tribunal arbitral horloger fait appel il

un économiste à titre d'expert; de plus, la composition du tribunal arbitral

de l'industrie des machines diffère de l'ordinaire: il n'y siège qu'un magis- trat (plutôt que trois), assisté de deux assesseurs habitués aux négociations collectives.

Traditionnellement. les tribunaux arbitraux institués par les conventions collectives réglaient les litiges fort rapidement. Depuis une vingtaine d'an- nées, pour donner davantage de prestige à ces tribunaux, les organisations professionnelles désignent de plus en plus souvent comme arbitres des juges au Tribunal fédéral plutôt que des juges cantonaux. Vu la surcharge de tra-

vail de ces magistrats, les procédures s'en sont trouvées ralenties. Les i'ntéres-

sès s'efforcent de remédier à une telle situation. Ainsi, dans l'horlogerie, ils ont institué une procédure de médiation préalable, tout en se réservant de confier au médiateur la mission d'arbitrer le litige.

Les infractions à l'obligation de paix sont fréquemment sanctionnées au moyen de peines conventionnelles à la charge de l'organisation signataire en faute. Cette peine ne tend pas à réparer le préjudice causé, mais à rétablir l'autorité de la convention. Les montants pratiqués, sans être négligeables, demeurent essentiellement symboliques. C'est ainsi que, pour avoir organisé un débrayage de quelque six mille travailleurs pendant environ trois heures en 1987, le Syndicat du bâtiment et du bois (FOBB) fut condamné à une peine conventionnelle de 20 000 francs suisses (environ 13 000 dollars des Etats-Unis) ".

Les effets de la violation de l'obligation de paix sur le contrat de travail sont moins clairs. Un arrêt récent du Tribunal fédéral a laissé ouverte la

question de savoir si la grève constitue une violation du contrat individuel ou

si elle ne fait que suspendre les effets de ce dernier. Il a déclaré qu'en tout cas une simple suspension du contrat de travail ne pouvait être admise que si le conflit avait été précédé de tentatives suffisantes de conciliation et s'il ne se

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}levue ÎnternatÎonale du Travail

. heurtait pas à une obligation de paix. Lorsqu'elle viole une telle obligation, la grève revêt un caractère illégitime et justifie un licenciement immédiat sans indemnité ".

Il. Les causes de la paix du travail

Les observations qui précèdent permettent de saisir l'évolution du cadre juridique dans lequel s'inscrit l'obligation de paix du travail. Encore faut-il tenter de comprendre pourquoi ces accords sont le plus souvent respectés et pourquoi les parties, lors des négociations en vue de leur renouvellement, visent le compromis plutôt que l'affrontement.

I.:étude de ces causes présente d'évidentes difficultés. Il vaut néanmoins la peine de s'y essayer. Distinguons à cet égard l'éthique du travail, la pré-

sence de nombreux salariés étrangers, les conditions économiques et le cadre

politique.

A. L:éthique du travail

On a fait remarquer que les Suisses attachent une grande importance au' travail. Dépourvus de ressources naturelles, ils ont toujours dû compter sur leur seule main-d'œuvre pour subsister et s'enrichir (ce d'autant qu'ils n'ont jamais eu de possessions coloniales). Le pays n'a-t-il pas été en Europe, pendant des siècles, le principal exportateur de mercenaires? Le travail comme tel revêtirait ainsi aux yeux de la population une valeur particulière,

de sorte que la grève serait perçue comme une dilapidation de la principale

richesse nationale 23.

Cette explication comporte sans doute une part de vérité. N'oublions pas toutefois que, depuis le début de l'industrialisation et jusqu'aux années

quarante, la Suisse a connu de graves conflits sociaux entraînant la pene d'innombrables jours de travail. Comme le montre une étude récente, les ouvriers n'ont pas craint, au tournant du siècle, d'organiser des grèves d'une fréquence comparable à celle observée dans les pays voisins. Céthique du

travaiC dans cc contexte, ne joue donc qu'un rôle limité lol.

B. La présence d'une importante main-d'œuvre étrangère

Il faut tenir compte, en outre, du fait qu'un quart de la population active

est formé d'étrangers 25; les immigrés se révèlent d'ailleurs particulièrement nombreux dans rindustrie (environ 30 pour cent dans celle des machines;

50 pour cent dans le bâtiment et dans le textile) ". S'ils respectent la paix

sociale, ce n'est évidemment pas comme héritiers de la mentalité locale.

Plusieurs d'entre eux jouent un rôle important dans la négociation co

leclive. Certains, adoptant des attitudes ou des méthodes en usage dans leur

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La paix du travail en Suisse

pays d'origine, ne craignent pas de rejeter la pratique du consensus. Mais la plupart des salariés étrangers s'assimilent assez rapidement.

La moitié des immigrés possède un statut précaire: leur autorisation de séjour est annuelle ou saisonnière; elle se trouve liée à l'emploi occupé. Les travailleurs privés de celui-ci s'exposent à perdre celle-là. Pour obtenir un permis leur conférant les mêmes droits, sur le plan économique, que ceux des nationaux (permis d'établissement), ils doivent attendre entre cinq et dix ans.

Ils ne veulent donc pas risquer, il l'occasion d'un conflit, de perdre l'emploi dont peut dépendre leur avenir dans le pays.

Ièautre moitié, bénéficiant d'un tel permis d'établissement, peut chan- ger d'emploi librement, ce que facilite la pénurie de main-d'œuvre. Venus d'Etats où sévit un grave chômage, ils jouissent d'un niveau de vie qu'ils apprécient. Et, souhaitant souvent acquérir la nationalité suisse, ils cher- chent l'intégration davantage que la confrontation.

C. Les conditions économiques

Sur le plan économique, deux facteurs attirent l'attention: la dépen- dance envers l'étranger; la prospérité continue depuis la guerre.

La Suisse, pour se procurer les matières premières dont la nature l'a laissée dépourvue, exporte une grande partie de sa production industrielle. Il en résulte une étroite dépendance envers l'étranger. La fragilité relative de l'industrie exportatrice serait donc de nature à susciter de la modération chez les salariés. Ainsi, en quelque quinze ans, l'industrie horlogère a perdu deux tiers de ses emplois: sauf exceptions localisées, cette débf.1c1e n'a guère en·

traîné de conflits sociaux. Les travailleurs paraissaient conscients du carac- tère inéluctable de ces licenciements, vu l'évolution du marché.

On pourra objecter à cela que les restructurations liées au développe- ment de l'industrie en Orient ou en Extrême-Orient ont frappé tous les pays d'Europe. Elles y ont parfois suscité des conflits aigus, malgré leur caractère également inévitable.

La seconde explication est celle ùe 1.1 croissance continue qu'a connue la

Suisse depuis la guerre, accompagnée du plcin emploi (le taux de chômage est resté, en général, inférieur à 1 pour cent). Grâce à la croissance, les employeurs auraient été à même de faire des concessions suffisantes pour

~c acheter» les clauses de paix absolue lors du renouvellement des conven~

tions collectives. En soumettant ces conventions aux suffrages de leurs mem- bres, les représentants syndicaux pouvaient montrer qu'ils avaient obtenu, cn échange, des avantages importants (salaires. vacances, durée du travail, etc.).

On remarquer~1 toutefois que la prospérité des années cinquante et

soixante n'a pas été un monopole suisse: tous les pays industriels en ont profité; néanmoins, ellc n'a pas eu partout pour effet la quasi-disparition des conflits sociaux. Il reste cependant que la situation économique moins favo~

rable de ces dernières années n'a pas permis des concessions patronales aussi

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Revue internationale du Travail

ifnportantes que naguère; les relations professionnelles s'en sont trouvées affectées. Ainsi, la convention de paix récemment reconduite dans l'industrie des machines en 1988 n'a été acceptée, au sein du principal syndicat, qu'à une faible majorité par les délégués de la base; bon nombre d'entre eux considé- raient comme trop maigre le résultat de la négociation.

Si elles ont sans doute contribué au maintien de la paix du travail depuis une quarantaine d'années, les circonstances économiques ne semblent pas constituer la cause déterminante de l'absence de grèves. Peut-être le régime politique du pays nous fournira-t-il des indkations plus convaincantes.

D. Le cadre politique

Les rapports politiques sont tout entiers fondés, en Suisse, sur le respect de la minorité: cultivant le compromis. la majorité partage uvec celle-ci l'exercice quolidien du pouvoir. Pour observer ce phénomène, on peut s'intcrrogcr SUI' le rôle des organisations professionnelles dans l'élaboration des lois, la composition du gouvernement fédéral et des gouvernements can- tonaux et, enfin, le fonctionnement de la démocratie directe.

l:élaboration des l~is

Les organisations professionnelles participent étroitement au processus législatif. Depuis les années quarante au moins, elles sont toujours représen- tées dans les commissions d'experts qui élaborent les avant-projets de lois en matière sociale. Une fois les textes rendus publics, elles sont de nouveau consultées et peuvent formuler des propositions et des objections. Enfin, au parlement siègent les dirigeants patronaux et syndicaux (actuellement, par exemple, le directeur de l'Union centrale des associations patronales et le président de l'Union syndicale suisse), qui jouent un rôle marquant 27.

La participation des syndicats au processus législatif revêt une impor- tance particulière en raison, nous le verrons, de leur pouvoir de déclencher un référendum, c'est-à-dire d'exiger que telle ou telle loi soit soumise au suffrage populaire. La menace de référendum lors de l'élaboration d'une norme constitue une puissante incitation au compromis.

La composition des organes politiques

Dans les cantons, les parlements sont élus selon le système proportion- nel. Sur le plan fédéral, il en va de même du Conseil national, qui est la Chambre du peuple.

Les gouvernements cantonaux et fédéral sont élus au scrutin majoritaire (les premiers par le peuple, le second par le parlement). En dépit de ce mode d'élection, il est admis par les milieux politiques que toutes les forces impor- tantes doivent être représentées dans les gouvernements. C'est ainsi que, bien que minoritaires, des élus socialistes y siègent depuis les années trente

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La paix du travail en Suisse

sur le plan cantonal. Sur le plan national il y eut un conseiller fédéral socia- liste de 1943 il 1953; après une interruption de six ans, depuis 1959 et sans discontinuer, deux conseillers fédéraux (parmi les sept membres du gouver- nement) proviennent de ce parti. Les portefeuilles détenus par les ministres socialistes ne sont pas des prix de consolation (actuellement, il s'agit des finances et des affaires étrangères). Cette répartition des sièges est souvent qualifiée de .. formule magique».

La démocratie directe

Enfin, on ne saurait surestimer le rôle de la démocratie directe. En recueillant 50 !XIO signatures d'électrices ou d'électeurs, n'importe quel grou- pement peut obtenir qu'une loi adoptée par le parlement fédéral soit suumise au suffrage populaire ZN. Mutatis mutundis, cette procédure existe uussi sur le plan cantonal. Il va de soi que le droit de rétërendum confère aux organisa- tions professionnelles un pouvoir importanr.

On ne peut pas dire que le référendum soit plus particulièrement l'arme de la gauche ou de la droite. 10ut projet qui, trop marqué dans un sens ou dans l'autre, ne réunit pas le consensus des milieux politiques court un risque en cas de scrutin. Deux exemples, l'un ancien, l'autre récent, illustrent ce mécanisme.

A la suite de la grève générale de 1918, la durée du travail fut réduite.

Quelques années plus tard, les milieux patronaux obtinrent au parlement l'abrogation partielle de cette réduction. En 1924, les syndicats, usant du droit de référendum, firent échouer cette tentative. Une telle démonstration de force donna un poids important il la gauche, malgré sa position habituelle- ment minoritaire.

Le droit de référendum est aussi utilisé par les organisations d'em- ployeurs lorsqu'un texte leur paraît trop progressiste. C'est ainsi que, en

1987, fut soumise au référendum une loi fédérale instituant une assurance maternité financée par des cotisations prélevées sur tous les salaires; hostiles il l'accroissement des chmges sociales, les petites et moyennes entreprises s'opposèrent 11 ce texte, que le peuple rejeta 2<1.

On comprend maintenant le rôle des procédures de consultation dans l'élaboration des lois: en sollicitant dès le début l'avis de toutes les organisa- tions importantes, le gouvernement s'efforce d'obtenir leur assentiment pour éviter, dans la mesure du possible, l'écueil d'un référendum.

Parallèlement au droit de référendum existe le droit d'initiative constitu·

tionnelle. En réunissant 100000 signatures, tout groupement peur dcrn~lnder

une modification de la Constitution fédérale, obligeant ainsi le parlement à légiférer en une matière donnée JO. Cette procédure s'applique aussi dans les cantons, mutatis rnllfandis.

Durant la crise des années trente, Jes syndicats déposèrent une initiative en vue de contraindre la Confédération il intervenir dans la gestion de l'éco- nomie, pour tenter de relever cette dernière. L'initiative échoua en 1935,

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Revue internationale du Travail

"nais ce fut de peu: le nombre considérable des voix rassemblées par la gauche impressionna fortement les milieux politiques 5.

D'autres initiatives la précédèrent ou la suivirent. I.:inscription du droit au travail dans la Constitution fédérale fut refusée deux fois, en 1894 et en 1946. Il en fut de même de la semaine de quarante-quatre heures, en 1958, et de quarante heures en 1976 et en 1988.

Comme on le voit, le plus souvent, les propositions lancées par la gau- che échouent. Toutefois, enes restent rarement sans effet. Pour tenir compte des besoins qu'elles expriment (mais aussi pour couper l'herbe sous le pied de leurs partisans), le parlement adopte une loi de compromis, répondant aux mêmes préoccupations, mais sans aller aussi loin, Les auteurs de l'initia·

tive. vu le progrès obtenu, la retirent parfois; s'ils la maintiennent, ils s'expo- sent à un rejet.

Ainsi, en 1979, une initiative fut déposée qui visait à faire passer les vacances annuelles payées de trois à quatre semaines, voire cinq semaines pour les travailleurs âgés de plus de quarante ans. Le parlement modifia la loi, en fixant un minimum de quatre semaines pour tous les salariés indé·

pendamment de leur âge 3'. Les auteurs de l'initiative ne se satisfirent pas de ce texte et maintinrent leur proposition. Ils échouèrent devant le peuple en

1985.

Un autre exemple concerne le droit du licenciement. Les syndicats chré- tiens ont lancé en 1981 une initiative tendant à étendre la protection des salariés en la matière. Tout en proposant le rejet de cette initiative, qui eût permis à la Suisse de ratifier la convention de l'OIT (no 158) sur le licencie- ment, 1982, le parlement a révisé la loi en 1988; il renforça la protection des travailleurs, mais de manière beaucoup plus limitée que ne le souhaitaient les auteurs de l'initiative 32, Ces derniers, satisfaits de ce progrès et peu confiants en leurs chances devant les électeurs, ont retiré leur proposition en 1988.

Les mécanismes de la démocratie directe exercent une influence non négligeable sur les négociations collectives. Les employeurs préfèrent la ré- glementation conventionnelle des conditions de travail plutôt que leur ins·

cription dans la loi, dont ils craignent la rigidité; pour éviter des règles trop uniformément contraignantes, ils sont ainsi amenés à faire dcs concessions:

les conventions collectives, infiniment plus détaillées que la législation, de- vancent largement cette dernière, Inversement, le patronat peut bloquer des textes qui lui déplaisent. cn comptant sur l'attachement d'une grande partie de l'électoral au libéralisme économique,

Si elle constitue une arme pour les syndicats, l'initiative populaire leur impose des limites. On l'a dit, le peuple est loin de suivre automatiquement leurs propositions. D'ailleurs, vu ce moyen d'action démocratique, on conce- vrait mal que les organisations de travailleurs engagent de vastes conflits sociaux pour obtenir ce que le suffrage populaire, vraisemblublcment, ne serait pas prêt à leur accorder,

A??

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La paix du travail en Suisse

III. Conclusion

Les ambiguïtés d'un anniversaire

A l'occasion de leur cinquantenaire, les conventions de 1937 ont été critiquées JJ. L:obligation de paix absolue fait l'objet de controverses dans le mouvement syndical. On distingue deux camps: d'un côté, dans la métallur- gie et l'horlogerie, le syndicat maintient sa politique conventionnelle d'arbi- trage et de paix; de l'autre, dans le bâtiment, le textile, la chimie et l'im- primerie, les interrogations sont plus nettes. Il ne s'agit toutefois pas d'une mise en cause profonde: tout en ayant manifesté ses réserves envers l'obli- gation de paix absolue (et en ayant organisé symboliquement en 1987 un dé- brayage évidemment contraire à cette dernière), le Syndicat du bâtiment et du bois vient de signer une nouvelle convention nationale inchangée sur ce point.

Ces deux camps correspondent aux deux familles de conventions de paix. Les syndicats qui ont signé un accord instituant j'arbitrage de certains conflits d'intérêts persistent dans leur ligne traditionnelle; ceux qui sont par- tie à des conventions classiques expriment leur insatisfaction; ils attaquent les accords de 1937, sans reconnaître publiquement que ces derniers sont plus avancés que leurs propres conventions, s'agissant de l'arbitrage des conflits relatifs à la fixation des salaires. Les circonstances ayant changé depuis 1937, ils ne sont pas en mesure d'obtenir des employeurs l'institution de procédures semblables.

De son côté, l'ensemble du patronat, tout acquis à la paix du travail, célèbre les conventions de 1937. Il oublie le plus souvent que, pour le moins, il n'a pas pris l'initiative de ces accords historiques, lesquels comportaient des clauses d'arbitrage fort contraignantes. Il ne se montre guère disposé à sous- crire de telles clauses là où elles n'existent pas. Le débrayage de 1987 dans le bâtiment, auquel nous venons de faire allusion, eût certainement été évité si, comme dans J'horlogerie ou dans l'industrie des machines. les conflits relatifs à la fixation des salaires pouvaient être soumis à un tribunal arbitral. Tout en reprochant au syndicat de méconnaître l'esprit de la paix du travail, les em- ployeurs de la branche rejettent cependant un tel arbitrage.

Contrairement à l'opinion reçue, la paix sociale n'est donc pas une et indivisible. Elle dépend notamlllent dcs textes qui la fondent. On peut penser qu'clic se trouve moins bien enracinée ùans les branches qui ne prévoient pas un arbitrage étendu.

Les perspectives d'avenir

Certes, les accords de 1937 forment une étape notable dans le dévelop- pement de la négociation collective. Ils marquent, HU sein de la grande indus- trie, la fin des résistances patronales à la collaboration avec les syndicats.

Toutefois, différents de la plupart des autres conventions et ne s'appliquant

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Revue internationale du Travail

qu'ù une petite partie de la main-d'œuvre, ces accords ne représentent pas le fondement de la paix sociale (laquelle ne date d'ailleurs que de 1950).

La gauche en Suisse n'a jamais été majoritaire. Elle n'a guère de chance de le devenir prochainement, compte tenu de la stabilité conservatrice de l'électorat. Cependant, le taux de syndicalisation, de quelque 30 pour cent, se révèle relativement important. Il demeure presque constant 26. Dans le contexte que nous avonS décrit plus haut, les organisations patronales ne sauraient ignorer une si forte minorité. Elles sont portées, en cas de diffé- rend, à négocier un compromis. Stimulé par l'intégration des syndicats à la gestion des affaires publiques (mécanismes de consultation, participation des socialistes au gouvernement, démocratie directe), le consensus social accom- pagne le consensus politique.

On verrait mal que le centre et le centre droit, majoritaires au parle- ment, partagent le pouvoir avec une gauche qui leur ferait la guerre dans les entreprises. Mais on ne concevrait pas non plus que la gauche accepte le régime du compromis si elle avait le sentiment d'en retirer des satisfactions insuffisantes sur le plan social.

Sans doute la situation économique peut-elle mettre à l'épreuve cet équilibre. Le phénomène fut perceptible au milieu des années soixante-dix, lors des premières vagues de la récession. Il apparut à d'autres occasions, notamment lors de l'extension du travail en équipe, voulue par les em- ployeurs pour mieux rentabiliser des installations coûteuses et résister à la concurrence étrangère. Ce sont toutefois des réactions sporadiques, qui ne paraissent pas menacer gravement le système des relations professionnelles.

Preuve en est le maintien de ce système dans l'industrie horlogère, malgré des restructurations qui ont supprimé des dizaines de milliers d'emplois.

La paix du travail ne constitue donc pas une donnée immuable du paysage helvétique, ancrée dans des textes signés il y a cinquante ans. Elle se nourrit d'une volonté politique permanente, La recherche du compromis politique et social avec une gauche probablement condamnée à rester encore longtemps minoritaire suppose des concessions réciproques: elle n'est viable que dans la mesure où les uns et les autres sont persuadés qu'elle leur offre plus d'avanrages que la strarégie de l'affrontement.

Notes

1 Tschuùi, H. P.: GeJcltidJle des Jchwei:.erisdU:1I ArbeÎl.'iredlls. Basler SlUdicn ZUf Recht~wisscnsch<lft: Reihe.ll: ÔI'fcntlichcs Recht (Bâle. Helbing & Lichtcnhahn. 1997), pp. 30 et suiv. ; BaHc!li. M. : «Les lois genevoises de 1900 ct de 1904 sur les tarifs d'us .. 'gc ct les conflits collectifs de travail », MélulIgf!,~ d'histoire ir.:ollomiqllf! el sociale e" hommage au professe//r

AlltOlly Babel à "occasion cie SOli suixante-quinzième unf/ÏllerSllire (Genève, Université de Ge- nève. 1963), t. H. pp. 343 et suiv.

'1. Eichholzer, E.: <,Aus der Geschichte des schweizerischen Gesamlarbeilsverlrags», Re- VIle de droil suisse (Bâle), 1964, vol. 83, pp. 77 et sui ....

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La paix du traveil en Suisse

l Voir Fédératinn :wÎssc des travailleurs de III métallurgie ct de l'horlogerie (FTMH):

Nom' u\'ell;r a !1IIt! hi,Hoin', Un ,\'iède dC' II/Ile syndicah' ('olltre la PlI/lI'n·te! - plmr pllfs rie jlfslice et de respect de l'être Immuftl (Berne. Bubcnberg Druck- und Verlags-AG. 19K8), p. 66 .

.. Voir Aubert. G.: L'obligation de paix du lravail. étude de droit suisse et comparé (Genève. Georg. 1981). p. 172.

~ FTMH: Notre al'enir a Wlf~ histoire. op, cil,. p, 87.

i> C'est-à-dire «préparer. en liaison avec le prolétl.lrial international. le transfert de la

production en m<.lins des travailleurs ct mettre fin à la domination de classe ", ibid., p. 85.

7 Ibid .• pp. 93.94.

M Arrêté du Conseil fédéral sur les mesures concernant le coût de la vie, du 27 septembre 1936. Rel:ueil offidd de.I' loù fédérales (Berne). vol. 52 (1936), p. 766,

y Joseph. R.: ,( Lu genèse de la paix sociale .. , Vile co/U'ell/iOll (,.'olle('(il'e cie (ravail: pOlir- (II/Oi ? (La Chaux-de-Fomls. Convention p<.ltronale de l'industrie horlogOre suisse, 1987), pp. 51 et suiv.; FTMH: Nom'CII'C'lIir a IIIle histoire, op. cit,. pp. 88-lW.

lU En 1934, on enregistrait vingt conflits ct 33 309 journées perdues: en 1935, dix-sept conl1its el 15 143 journées perdues: en 1936, quarante et un eonllils et 3H 78.9 jourm~es perdues:

en 1937, trente-sept conflits et liS 648 journées perdues; en 193H. dix-sept conflits et 162lJlJ journées perdues. Loin de diminuer, C't.!S derniers chiffres (mt augmenté en IY45 (trente-cin4 conltits et 37 IHI journées perdues) pour atteindre un sommet en )1)46 (cinquante-cinq conflits.

184 483 journées perdues); ils sont restés élevés en 1947 (vingt-neuf conflits. 102209 journées perdues), Bureau fédér<.ll de statistique: All/lIloire ,wa(istique de 1/1 Suine /950 (Bâle. Birkhau- scr, 1951), p. 346.

Il S'agissant dèS dernitres années p<lr exemple, on rec..:ns<lil une: gnhe en 1981 (15 jour- nées perdues). ulle grève en 1982 (550 journées perdues), cinq grèves en 1983 (4 438 journées perdues). deux grèves en 11J84 (662 journées perdues); trois grèves en 1985 (également 662 journées perdues). une grève en 1986 (72 journées perdues), aucune grève en 1987 (n'ayant duré que trois heures. le débru)'uge dc 1987 duns le b;jliment n'est pas u(ticiel!cment recensé).

Oflicl.! fédëral de la statistique: Annuuire ,1'IutÎ.\'1i/I/f(' dt' //1 Sui,l'St' /989 (Zurich. Vcrlag Neue Zün::IH::r Zeitung. 1~~). p. HI.

t! VOÎr, par exemple, Décost!.!rd. R.: ft La paix ùu travail !.!n Suisse tl 50 ans ". JVl/fIlU/ des

aSWJCÙllùms parrot/ah'.\' (Zurich), 19S5, 31132. pp. 6t1 çt suiv.

t,' Auhcrt. op. dl .. p. 175,

t~ Bureau fcdcr'll dc statistique: Al/lt/lUire st/lfi.\'/ù/llc de lu Sl/i.I'.I'e /973, p. 3'JO,

t~ Rey, J.-N,: "Les attitudes des travailkurs syndiqués ct les rèl,ltions industrielles».

dans l'ouvrage puhlié sous la direction de Roig. c.: Schmid, H,: Ayberk. U.: Rey. J.-N.:

SYlldicalisme ail fWl/r. Elude compan;e des COlllportelllem.\' de,~ ,1'/rIICf/m:s el (k~ n:I'clIlliwtiolts

,Iy,ulicale.\' (Lausann..:. Loisirs ct pédagogie SA. IYR6). p, 49.

l~ Degcn. B,' Da,\' Rasel da Amlcm. (;e,\'chidtre da }Jas/a Cc'werksdwft.\'I)cwe}:lIl1g (B;île. Z-Verla~, 19t<l(1). p. 161,

17 IhÙI,. p, 176,

Ui Berenstein. A.' «Le règlement des cOllllits collectifs du tnlVail en Suisse", EI/Illes de droit du (ml'dil oJJerft'.\' li At/dré tir/III (Paris, Librairie sociale el économique, 11)74). pp. 51 ct sui ....

1'1 Voir l''lrtide 35?ll. al. 1. du Cude dcs uhlig;ltÎnns: AuhcTI. of>. cil .. pp. 212 ct suiv:

~'Voir !'anid.:.: .'5711. al. 2, du Cnde des nhli~:ui,)lls: Auho.!rt. op. cil .. pp. 224 cl suiv, Ptlur plus Je dëlails sur rtlhli~:llion de p:lix en t:énérill. ihùl .. pp. 155·277: Vischer. f.: "Ge- samtarbeitsvt:rtrag und Nurmalarhcitsvcrtrag». OIiS Obligll/ùJl/("lr('rht. J..:(ImmeIlfCU ~tllII

sdlll'td:,erisdU-II Zh·Î/~t',\'(·I<.hlldl (Zurich. Schulthess. IlJX3), ml • .lft. 357u: TschuJi. H, p,: « Die Sichcrung dl!s Arheilsfricdens durch das schwcizcrischc Recht ". ;'i.'J,~(/h{' :/lm ,~it'hû~J/eH Ce-

IlIfrtsflIX l'OI! Erl\'il/ Rlld •. Baslcr Siudicn zur Rcchtswisscnschuft. Hcft JJ (Bttle. Helbing &

Lichtcnhahn. 1(52). pp. 105 et suiv,: /Jeirriigl.' :'/1111 Arbeil.\'· und So:,ialreclu (Berne. Sttlmpfli.

IlJS3). pp. 233 ct suiv.: Bois. Ph.: ((Conflits collectifs de travail Ct condition du salarié)), XV/Il" jO/lrml(. jttritli'l"t'. Mémoires puhliés par la Faculté de droit de Genève. n" 60 (Genève.

Georg. 1(79). pp. 79 ct suiv.

:1 Scntence du Trihunal arbitral du bâtiment, du 15 janvier 19R8 (non puhliée): Aubert, op, dl., pp. 261 Ct sui\',

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Revue internationale du Travail

21 Rèmâl officiel de:)' urré/l' du Tribullal fédérul (Lausanne), vol. III (1985), Ile partie, p.245.

~3 Sur la période récente, voir Lalive d'Epinay, C.; Garcia, C,: Le mythe du Iravail en SI/ÎsS!!. Splelldeur et décli" ail cours du XX~ sihle (Genève. Georg. 1988). pp. 137-154.

2~ Balthtlsar, A.: Gruner. E.; Hiner. H.: Arbeitersdlllfi 1II1d Wif/schufl in der Sc"weh.

/880-/9/4 (Zurich. Chrono~. 1988), vol. lin. pp. 855 et suiv.

~ Office fédéral de la slatisliyue: Anlluaire slluÎsliqllC de la Suisse! Jfi89, p. 6~.

:?t. Voir Anderegg. H.: «Evolution des effectifs des syndicuts suisses en 1987 ct ùcpuis la

seconde guerre mondiale». Revlle syndicale suisse (Berne), 1988. n'" 4. p. 109.

~7 Delley, J.-D.; Morand, C-A.: «Rôle et statut constitutionnel des centrales syndicales cn Suisse », Recueil de.f rra vaux ,1'lIÎSscs'préurués ail X~ Congrès ùttt'",ariolwl dl' droit (,oll/paré (Bfde, Helbillg & Liehtenh:.dm, 1979), pp. 175-199.

~I\ Voir l"lrtic1e 89 de la Constitution fédérale,

~'I A vrai dire, 1:.\ lui sQuffrait d'autres défauts aux yeux des électeurs, notamment les mesures eJlvisagées pour contrôler J'explosion du coût des soins médicaux,

.111 Voir l'urticlc 121 de la Constitution fédérale. .

31 Voir les nouveuux articles 329a et suiv. du Code des obligations, largement précédés par les convemions collectives; Felfille fédérale (Berne. Chancellerie fédérale), nCl 43, vol. III, 2 nov. 1982, pp. 177 et suiv.

32 Voir les nouveaux articles 334 ct suiv. du Code des obligations: Feuill(' jt!dt!rale. n" 24, vol. II. 19 juin 19A4, pp. 574 et suiv.

J.' Parmi les ilnicJes ct ouvrages publics Il l'occasion de cet anniversaire. citnn": Décos- tcrd. op. cit.; Pc';,\' du (raVIlit. concerlation, cOllfrontation (LauS<tnne, Rencontres suis:>\."s, 1%7);

Humbe1, K,: rn'II und Cluilhefi (Zurich. Parlnerschaflsfonds der Maschinen-und Mcl:lllindus- trie, 1987); Arheilsfriedetl - Realiliil ejnes MYlhos (Zurich. Widerspnlch. 1987); (i La paix du trnvail: hier. aujourd·hui. demnin», Revue sYlfdicale suisse, 1987, pp. 225 el suiv, Pour une analyse dc l'opinion des salariés envers la paix du travail (sur ici base notamment dc sondages).

voir Rey, J.-N., op. cit., pp. 49-81.

Références

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