• Aucun résultat trouvé

L'aménagement de dérogations à la loi sur le travail dans le cadre de conventions collectives

N/A
N/A
Protected

Academic year: 2022

Partager "L'aménagement de dérogations à la loi sur le travail dans le cadre de conventions collectives"

Copied!
12
0
0

Texte intégral

(1)

Article

Reference

L'aménagement de dérogations à la loi sur le travail dans le cadre de conventions collectives

AUBERT, Gabriel

AUBERT, Gabriel. L'aménagement de dérogations à la loi sur le travail dans le cadre de conventions collectives. Droit du travail et assurance-chômage , 1989, vol. 37, no. 1/2, p.

42-52

Available at:

http://archive-ouverte.unige.ch/unige:33635

Disclaimer: layout of this document may differ from the published version.

1 / 1

(2)

L'aménagement de dérogations à la loi sur le travail dans le cadre de conventions collectives

par GABRIEL AUBERT, professeur à l'Université de Genève

Les discussions touchant la révision de la loi fédérale sur le travail ont porté notamment sur la flexibilité du temps de travail. La suggestion a été émise que les partenaires sociaux devraient pouvoir convenir de dérogations aux règles légales concernant la durée du travail; ces dispositions dérogatoires seraient appliquées sur autorisation du Département fédéral de l'économie publique lorsqu'elles garantissent une protection des salariés équivalente à celle découlant de la loi elle- même.

Une proposition du nouvel article 28a LT, élaborée à cette fin, est ainsi conçue:

(1) Les employeurs et les travailleurs peuvent être autorisés par le Département fédéral de l'économie publique à déroger à la loi par voie de convention collective de travail.

(2) Le Département fédéral de l'économie publique autorise les dérogations lors- que les réglementations prévues par convention collective de travail sont dans l'ensemble au moins équivalentes pour la protection des travailleurs.

La question qui se pose est de savoir dans quelle mesure une tel libellé serait conforme à J'article 34ter de la Constitution fédérale1

1. Généralités

1. L'idée qu'il puisse être dérogé, par voie d'accord entre les partenaires sociaux, aux dispositions (de droit public) contenues dans la loi sur le travail remonte aux années trente. On parlait alors, pour désigner ces dérogations conventionnelles approuvées par l'autorité, d'ordonnances qualifiées. Lors de l'élaboration de la loi, le principe et la procédure d'adoption de telles ordonnances fit l'objet de discus- sions approfondies, pendant près de vingt ans. Il y fut finalement renoncé, en raison essentiellement des objections formulées par les employeurs (difficultés liées à la dispersion des normes de droit public; inconvénients résultant de l'inter- vention de l'Etat en vue du contrôle de l'application des conventions collectives prévoyant des dérogations; dangers d'immixtion de l'Etat dans les négociations

1 Signalons que de telles techniques sont aussi utilisées à l'étranger, dans une mesure et à des conditions strictement délimitées. On ne suurait ici se référer aux droits d'uutres pays sans examiner le contexte juri- dique dans lequel s'inscrivent ces techniques (portée des conventions collectives envers les tiers: procé- dure de reconnaissance des syndicats les plus représentatifs. etc.). Une telle étude excédc cependant notre propos; pour une première approche, cl. Venezicmi, B.: Stato e autonomia collcttiva, Bari 1986, p. 126-133.

42

(3)

tendant à la conclusion de conventions collectives comportant des dérogations etc.)2.

On s'étonnera peut-être qu'il y a quarante ans les adversaires de l'ordonnance qualifiée se recrutaient dans les milieux patronaux, alors que les partisans se trou- vaient dans les rangs syndicaux, les uns et les autres faisant valoir des arguments de principe non dénués de valeur. Aujourd'hui, les rôles sont inversés. C'est tout simplement que, naguère, l'ordmmance qualifiée devait notamment servir à per- mettre des réglementations dérogatoires plus strictes, en faveur des travailleurs, tandis que, actuellement, les dérogations envisagées tendraient à l'assouplisse- ment des dispositions légales, en faveur des employeurs.

L'enjeu ne revêt pas moins d'importance aujourd'hui qu'hier. Il s'agit en effet de définir les limites du corporatisme dans notre Etat libéraP. Bien que les querel- les idéologiques sur le corporatisme se soient estompées, les problèmes posés par l'avant-projet d'article 28a L T demeurent les mêmes que ceux traités au tournant du demi-siècle. Leur caractère fondamental subsiste dans le cadre de notre ordre juridique.

2. La résurgence de la proposition de dérogation à la loi sur le travail par la voie d'accord entre les partenaires sociaux se trouve liée aux difficultés de l'horlogerie.

Les règles de protection des travailleurs furent ressenties comme trop rigoureuses par une entreprise qui, jugeant nécessaire de rentabiliser plus pleinement ses investissements pour faire face à la concurrence internationale, s'efforça en vain d'introduire le travail de nuit des femmes, puis u11e équipe du week-end trava.il.iant le dimanche pendant toute l'année.

Les obstacles juridiques auxquels se heurta cette entreprise ne résultaient pas d'une rédaclion vieillie, qui eût contraint l'autorité à imposer le respect de restric- tions dont le but était difficile à saisir. li s'agissait en réalité de deux aspects depuis longtemps essentiels de la protection des travailleurs: le droit au repos nocturne et au repos dominical. L'interdiction du travail de nuit des femmes dans l'industrie découle d'une convention internationale4; l'interdiction (partielle) du travail du dimanche se fonde sur une base légale formelle5: l'une et l'autre traduisent un choix claiJ· et conscient du législateur.

Vu la situation économique et l'évolution des méthodes de travail dans l'industrie, l'on se demande aujourd'hui si ces choix sont encore justifiés. Aussi bien ces questions ont-elles été discutées par la Commission fédérale du travail lors de l'élaboration de l'avant-projet de révision pa1·tielle. Le parlement dira si et dans quelle mesure le repos nocturne et dominical doivent être maintenus.

' Pour un résumé des objections patronales. cr. Ae!Jii. D.: Qualifizierte Rechtsvcrordnung'/. JAP (Journal des associations patronales) 1948. p. 838; Aebli, D.: Das ncue Arbeitsgcselz, Diequalifizierte Rcchtsver- ordnung, JAP 1951. p. 792; pour une approche favorable, cf. Schweingruber. E.: Geselz und Kollektiv- vertrag, Zurich (Gewerkschaftliche Schriftcn) 1946, p. 19ss.

3 Perrin, J.-F.: Les conventions déclarées de force ohligaloire générale en tant que source de droit. ROS 1976. vol. 11. p. 490ss.

'Art. 3 de la convention 89 ( 1948) de l'Organisation internationale du travail concernant le tnovail de nuit des femmes occupées dans l'industrie: pour d'autres références, Aubert. G.: L'égalité des sexes dans le domaine du travail. in L"égalité entre hommes ct femmes. Lausanne 1988. p. 152-153.

' Art. 20 al. 1 L T.

43

(4)

3. Les dispositions légales sur la durée du travail et le repos ne concernent pas que ces deux aspects. Elles couvrent d'autres points, notamment la durée heb- domadaire du travail, les limites du travail de jour, le travail par équipes, etc. On sent que ces dispositions provoquent elles aussi des appréciations négatives dans les milieux patronaux. Toutefois, contrairement à ce que l'on observe à propos du travail de nuit ou du travail du dimanche, ces appréciations ne portent pas sur des questions précises: elles restent diffuses. Et c'est notamment pour leur donner suite qu'a été reprise l'idée de dérogations conventionnelles aux normes de droit public.

En la matière, par rapport aux législations européennes, la loi suisse sur letra- vail demeure d'un libéralisme et d'une flexibilité incomparables6Certes, les employeurs se plaignent d'une manière générale des contraintes qui bornent leur liberté. Mais il se peut que ces contraintes soient, en réalité, imposées par d'autres textes (par exemple la législation byzantine sur la prévoyance professionnelle). En l'état actuel des informations, force est de constater que, dans le domaine de la durée du travail et du repos (excepté le travail nocturne et dominical), l'objectif de la flexibilisation demeure flou. On ne sait pas précisément quels problèmes con- crets les entreprises auraient rencontrés qui, tout bien pesé, nécessiteraient des assouplissements de la protection des travailleurs.

Dans notre tradition, le législateur ne complète ou ne modifie son œuvre que pour répondre à des besoins clairement perçus et présentés. L'insertion d'une nouvelle disposition dans la loi ne se justifie que si des revendications suffisam- ment importantes ne peuvent pas déjà être satisfaites dans le cadre du texte actuel ou au moyen d'aménagements plus modestes de ce dernier. Ce n'est donc qu'JJne fois que les besoins auront été nettement définis qu'il sera possible de se prononcer en toute connaissance de cause sur l'opportunité et l'étendue de la révision à opérer.

Supposé qu'un catalogue des besoins manque au dossier, les milieux intéressés devraient être invités à l'établir pour que, sur la base d'une connaissance pragma- tique des problèmes, le législateur puisse choisir la solution la plus appropriée.

ll. La constitutionnalité du libellé proposé

1. L'avant-projet d'article 28a L T ne précise pas Le champ d'application personnel de la règle envisagée. Les dérogations s'appliqueront-elles seulement aux mem- bres des organisations professionnelles ayant signé la convention collective ou, au contraire, doivent-elles être opposables à tous les employeurs et à tous les travail-

leurs de la branche ou d'un ensemble d'exploitations, sans distinguer selon qu'ils font ou non partie d'une des associations intervenantes? Il faut envisager ces deux hypothèses.

''Voir par exemple Bai/lod, J., 1/o/emo•cger, T., Ley, K., et Saxenhofer, P.: Handbuch Arbcitszcit, Unter- agcri 1988; Schildknecht, M.: Wie man flexible Arbeitszeiten plant und einfUhrt, Zurich 1986.

44

(5)

2. L'article 34ter al. 1 lit. a Cst. féd. dispose:

La confédération a le droit de légiférer: ( ... ) sur la protection des employés ou ouvriers;

L'attribution de compétence n'est ici soumise à aucune limitation spéciale.

Rien ne s'oppose donc à ce que le législateur prévoie des dérogations applicables aux membres d'organisations professionnelles, lorsque ces dernières les ont pré- vues dans une convention collective.

Encore faut-il que le législateur respecte le principe de l'égalité devant la loi7. Il ne pourra traiter différemment divers groupes de salariés que si les circonstances justifient une telle différence, c'est-à-dire si les salariés touchés par la dérogation bénéficient d'une protection équivalente. Il ressort du libellé susmentionné que ce point n'est pas disputé.

3. a) Si les dérogations envisagées doivent s'appliquer en dehors du cercle des personnes liées par la convention collective, il y a lieu de prendre en considération l'article 34ter al. 1 lit. c, Cst. féd., qui prévoit:

La Confédération a le droit de légiférer: ( ... ) sur la force obligatoire générale de contrats collectifs de travail ou d'autres accords entre associations d'employeurs et d'employés en vue de favoriser la paix du travail;

L'alinéa 2 de cette disposition précise:

La force obligatoire générale prévue sous lettre cne pourra être statuée que dans des domaines touchant les rapports de travail entre employeurs et employés ou ouvriers, à condition toutefois que les dispositions considérées tiennent suffisamment compte des diversités régionales, des intérêts légitimes des minorités et respectent l'égalité devant la loi ainsi que la liberté d'associa- tion.

b) Quoique l'article 34ter Cst. féd. fût contemporain (il a été adopté en 1947), la constitutionnalité des ordonnances qualifiées proposées dès 1935 n'a guère donné lieu à discussion. On peut suggérer deux explications. D'abord, à l'époque, le Conseil fédéral et la doctrine admettaient que l'autorité pouvait déclarer la force obligatoire générale d'accords entre associations même sans base constitution- nelle expresse, de sorte que les problèmes de constitutionnalité ne se posaient guère8 . Ensuite, les propositions concernant l'ordonnance qualifiée étaient prima facieconformes à l'article 34ter Cst. féd., si bien que la discussion manquait d'inté- rêt.

' Art. 4 al. 1 C~t. féd.

8 Hausheer. 11.: Die A11gemcinvcrbind1icherklftrung von Kollcktivvertragen ais gesetzgeberisches Gestal- tungsnùtte1. ROS 1976. vol. 11. p. 338. avec références; Tlwlmann-Anrenen, Ji.: Die Allgemcinverbind- lichkeit der Gesamtarbeitsvenrfige, Zurich 1944, p. 53ss.

45

(6)

Aujourd'hui, le Conseil fédéral et la doctrine dominante admettent que l'extension aux tiers des conventions entre associations doit reposer sur une base constitutionnelle expresse9 • Si le Conseil fédéral, à l'occasion de la révision par- tielle de la loi sur le travail, envisageait de modifier son opinion à cet égard, il ne pourrait le faire qu'après un nouvel examen approfondi de la question.

De toute façon, si, dans le domaine du travail, l'article 34ter Cst. féd. n'autorise la déclaration de force obligatoire d'accords entre associations qu'à des conditions déterminées, on ne voit pas que ces conditions puissent être ignorées. Force est donc, en notre matière, de s'en tenir au texte constitutionnel.

4. a) L'article 341er Cst. féd. autorise la Confédération à légiférer, dans le domaine du travail, sur la force obLigatoire générale d'accords entre associations.

Il ne définit toutefois pas ce qu'il faut entendre par force obligatoire générale.

La force obligatoire générale s'oppose à la force obligatoire limitée. La force obligatoire limitée vise l'application d'un accord entre associations aux personnes liées, soit les membres de ces dernières; la force obligatoire générale vise l'appli- cation d'un tel accord à des personnes non membres, soit la généralité des per- sonnes exerçant l'activité couverte. Le critère de distinction réside donc dans le champ d'application de l'accord: la force obligatoire générale permet à l'autorité d'étendre les effets d'un accord à des tiers extérieurs aux associations contractan- tes10.

La Constitution ne distingue pas selon que l'accord en cause, au moment de la déclaration de force obligatoire générale, aurait déjà une force obligtoire limitée.

La force obligatoire générale peut donc être conférée à un accord qui n'est pas encore applicable aux membres des associations contractantes. Le cas typique serait celui d'une convention collective dont les parties décideraient qu'elle n'entrerait en vigueur qu'à condüion que l'autorité l'étende aux tiers. Les règles sur la déclaration de force obligatoire générale s'appliqueraient sans nul doute à l'extension d'une telle convention.

b) Se bornant à poser les principes, l'article 341er Cst. féd. ne détermine pas la nature juridique des normes déclarées généralement obligatoires. Cette nature résulte de la loi, telle qu'interprétée par la jurisprudence.

On sait que les conventions collectives étendues sont considérées comme du droit privé11. Mais l'article 341er Cst. féd. ne touche pas que la force obligatoire générale des contrats collectifs. Il vise aussi <td'autres accords entre associations d'employeurs et d'employés ou ouvriers>>. Rien n'indique, dans le texte, que ce dernier ne couvre pas la force obligatoire générale déclarée par une décision qui conJérerait la nature de droit public au contenu de l'accord.

9 1/au.<heer. p. 338. avec références.

1

°

Cf. par exemple 11wlmtnm·Anteuen. p. 32ss.

11 ATF 98 Il 205; Vischer. F.: Gesam1arbci1sver1rag und Normalarbeitsvertrag (arL 356-360 CO). in Das Obligationenrcchl. Kommcnlarzum Schweizerischen Zivilgesetzbuch, Zurich 1983. n. 144 ad arL 356b.

46

(7)

Ce qui compte, c'est le fait que des règles convenues entre associations soient rendues opposables à des tiers non liés, quelle que soit la nature juridique desdites règles au moment de leur application à ces tiers. On peut rappeler à cet égard que les dispositions sur la force obligatoire générale s'inscrivent dans une norme attri- butive de compétences de droit public12 et non pas dans la norme attributive des compétences en droit privé1l.

5. a) Vu son libellé, il ne paraît pas douteux que l'avant-projet d'article 28a L T vise à permettre aux parties à une convention collective de prévoir des règles opposables aux personnes non membres des associations contractantes, sur la base d'une décision de l'autorité compétente. Ce n'est rien d'autre que la déclara- tion de force obligatoire générale de cet accord, au sens de l'article 34tcr Cst. féd.

Peu importe, comme on l'a vu, que les normes déclarées généralement obligatoires deviennent du droit public, puisque la constitution ne distingue pas en la matière.

Il y a donc lieu d'exami.ner la conformité de ce texte à l'article 34tcr Cst. féd.

b) La Constitution fédérale prévoit une série de conditions auxquelles toute déclaration de force obligatoire générale doit satisfaire. Ces conditions ne sont pas effleurées dans le libellé proposé. Nous n'en considérons ici qu'une seule: la pro- tection <<des intérêts légitimes des minorités>>.

Visant à protéger les minorités, l'article 34tcr Cst. féd. part visiblement de l'idée que les accords déclarés de force obligatoire générale doivent émaner d'une cer- taine majorité. L'idée, bien qu'implicite, apparaît nettement dans les délibérations des Chambres fédérales. Commentant ce texte, le député Rais, rapporteur de langue française, indiqua qu'il s'agissait d' <<appliquer les normes voulues par une majorité qui est à déterminer par voie législative14Pour sa part, le conseiller fédéral Obrecht précisa: <<Das Gesetz wirdferner bestimmen miissen, was für ein Quorum von Zustimmenden notwendig ist, damit man die Minoriliit der Allgemeinver- bindlicherk.larung unterstellen kanm>15. Dans son message complémentaire de

1945 sur l'avant-projet d'article 34tcr Cst. féd., le Conseil fédéral a expressément renvoyé à ces débats16 . Le législateur a bien compris ce mandat: en expliquant le projet de loi sur la convention collective de travail et l'extension de son champ d'application, les auteurs déclaraient dans le Message du Conseil fédéral:

<<L'extension est aussi subordonnée à la condition que la convention collective ait

été approuvée par la majorité des personnes qu'elle lie. Pour qu'une minorité ne puisse pas, contrairement à tous les principes de la démocratie, plier la majorité à une règle, le projet exige le quorum, qui se compose de trois éléments ... >> 17 •

Force est de constater que l'avant-projet d'article 28a LT ne prend pas en compte cette exigence de majorité. Il reste muet sur ce point. Visant donc à étendre

Il AIL 341<< Cst. (éd.

"Art. 64 Cst. CCd.

" BOCN 1938. p. 378, avec le texte de l':trticle p. 377.

" BOCN 1938. p. 382.

16 FF 1945 1 p. 905

" FF 1954 1 172.

47

(8)

à des tiers les effets d'accords entre partenaires sociaux même si ces derniers ne peuvent se prévaloir d'une position majoritaire, le texte ici examiné se révèle non conforme à la Constitution fédérale.

Il n'échapperait à cette critique que s'il prévoyait, comme condition de l'appli- cation aux tiers des règles dérogatoires contenues dans l'accord entre les parte- naires sociaux, le respect de dispositions semblables à celles régissant l'extension des conventions collectives, s'agissant du quorum de majorité18

Craignant de donner un rôle excessif aux associations d'employeurs et de tra- vailleurs, le constituant a volontairement tracé des limites à leur intervention.

Même si l'on peut le regretter, ce choix, sauf révision de la Constitution, s'impose au législatem.

7. a) Dans l'immédiat, l'avant-projet d'article 28a LT vise essentiellement à satisfaire les intérêts des employems, qui trouvent la loi sur le travail trop rigide.

La déclaration de force obligatoire générale serait effectuée à des conditions

soupleJ~ l'existence d'une convention collective suffisant en cas d'équivalence dela protection des travailleurs.

Il en va différemment de l'extension des conventions collectives. Cette dernière répond essentiellement aux intérêts des salariés, parce qu'elle permet une amélio- ration des conditions de travail pour tous les travailleurs touchés. Certes, elle pro- fite aussi aux employeurs, en raison de l'égalisation des conditions de concurrence qui en résulte; mais cette égalisation des conditions de concurrence a seulement pour but de rendre possible une meilleure protection des salariés.

Or, comme on l'a relevé, l'extension se trouve soumise à des conditions restric- tives, énoncées à l'article 2 LECCI. En particulier, définissant les majorités requi- ses, la loi fédérale permettant d'étendre le champ d'application de la convention collective de travail pose des règles presque draconiennes19. Le législateur a en effet voulu que l'extension ne fût pas prononcée facilement, car l'application d'une convention collective à des personnes a priori non liées, contraire aux prin- cipes libéraux, doit demeurer rare.

En d'autres termes, des dérogations à la loi sur le travail, actuellement conçues en faveur des employeurs, seraient soumises à des conditions souples; au con- traire, des dérogations au titre dixième du code des obligations en faveur des tra- vailleurs, sont soumises à des conditions strictes. Une telle disparité est étrange.

Sans doute l'extension d'une convention collective peut causer des charges supplémentaires importantes aux employeurs non liés, alors que la déclaration de force obligatoire générale de dérogations à la loi sur le travail est censée ne pas porter atteinte, dans l'ensemble, à la protection des salariés. Il ne faut pas oublier, cependant, que la protection de droit public représente, dans l'optique du législa-

teur, un minimum fondamental, dont doivent jouir, sauf exception, la plupart des

11 A ri. 2 ch. 3 LECCf. R.S. 221.215.311: on peul laisser ouverte la question de savoir si les quorums prévus par cette disposition sont trop rigides: cr. sur cc point Tscluuli. H.-P.: Die Revision ùes Bundcsgcsctz.es Uberdie AVE von GAV. ArbR 1986. p.61.

"Art. 2 ch. 3 LECCf.

48

(9)

travailleurs. Des dérogations mettent en jeu des intérêts particulièrement dignes de protection, sur le respect desquels on peut admettre que la volonté de la majo- rité des personnes touchées soit prise en considération.

Le projet d'ordonnance qualifiée, lors de l'élaboration de la loi sur le travail, n'avait pas perdu de vue cet aspect des choses. Comme plusieurs auteurs l'ont sou- ligné, les conditions d'adoption d'une telle ordonnance (comportant des déro- gations aux dispositions de droit public) furent en effet calquées sur celles de l'extension des conventions collectives en vigueur à l'époque20. Ainsi, devant ces deux régimes de dérogation, employeurs et travailleurs se trouvaient sur un pied d'égalité; la disparité relevée ci-dessus était évitée21.

b) Les développements qui précèdent partent de l'idée que les dérogations envisagées visent à assouplir la réglementation de droit public en faveur des employeurs. Il faut noter, cependant, que l'avant-projet d'article 28a L T permet- trait, en outre, l'adoption de réglementations plus strictes par l'autorité adminis- trative, sur la base d'une convention collective existante. Dans une telle hypo- thèse, ce sont les droits des employeurs non membres des organisations profes- sionnelles qui se trouveraient menacés par la déclaration de force obligatoire générale non conforme à la Constitution fédérale.

m.

Recherche d'une autre solution

La présente étude serait incomplète si nous n'examinions pas à quelles con- ditions praticables des dérogations conventionnelles peuvent être mises en œuvre d'une manière conforme à la Constitution fédérale.

1. Une des idées à la base du texte ici discuté est que, vu leur autonomie, les par- tenaires sociaux sont à même de négocier sur un pied d'égalité des dérogations à la loi; cette négociation à armes égales serait une garantie que la solution trouvée correspond véritablement aux intérêts librement déterminés des deux parties.

Du côté des employeurs, il in1porte que des dérogations ne soient pas aména- gées coup par coup, entreprise par entreprise, d'une façon qui risquerait de pro- voquer des inégalités dans la concurrence. La négociation collective au niveau de la branche permet seule d'éviter cet écueil en facilitant l'uniformisation, pour tous les employeurs concernés, des conditions applicables.

Du côté des salariés, l'individu ou même les représentants des salariés dans l'entreprise n'ont guère les compétences juridiques nécessaires pour apprécier

" Ancien R. S .. vol. 8, p. 254 ss.

" Voir la comparaison par Hug. W.: Das Verhtiltnis von staatlichcm und kollcklivem Recht in der Arbeiisgesetzgc- bung. in Hug. W.: Ausgewtihlte Abhandlungen zum Arbeits- und Wirtschaftsrechl. Bd. 1, Beitragc zum Arbei"- rccht. Berne 1978. p. 242-243; Grise/, A.: La réglementation du travail dans le commerce et l'artisanat. Questions fondamentales. ROS 1948, p. 492a el 661a: Grise/. A.: Déclaration de force oblig;noire gcnérale cl ordonnances qualifiées. RSJ 1949. p. 161 ss: Naegeli. E.: Grundzl\ge eincr gesetzlichen Regclung der Arbeil im Handel und in den Gewcrben. ROS 1948, p. 288a-291n.

49

(10)

l'équivalence entre des dispositions dérogatoires souhaitées paT l'employeur et la protection légale. De plus, ils ne peuvent pas toujours s'exprimer de façon plei- nement libre, de craùlte d'éventuelles représailles de la part de l'employeur.

Certes, le nouveau droit du licenciement protège les représentants du personnel contre des congés abusifs durant leur mandat22 • Cette protection n'est toutefois que partielle, d'autres mesures de représailles pouvant être prises par l'employeur (licenciement entre la candidature et l'élection ou licenciement après la fin du mandat, la protection légale étant beaucoup moins efficace; désavantages en matière de conditions d'emploi pendant le mandat, s'agissant notamment du salaire ou des gratifications, la protection légale étant alors quasiment inefficace).

Vu l'importance des intérêts en cause, il se justifie donc de faire en sorte que les dérogations soient négociées par des représentants véritablement indépendants.

Pour les motifs que nous venons d'indiquer, cette condition d'indépendance est difficilement remplie si les représentants sont les salariés de l'employeur. Peu importe à cet égard qu'ils fassent partie d'une commission d'entreprise ou qu'ils soient membres du comité d'une association regroupant les membres du per- sonnel de cette entreprise (syndicat-maison). On doit donc ne reconnaître qu'aux associations de travailleurs constituées au niveau de la branche le pouvoir de négocier des conventions dérogatoires.

2. L'accord entre les partenaires sociaux ne-pouvant pas être opposé aux tiers, il faut prévoir l'assentiment d'au moins la majorité des salariés concernés. La forme d'expression la plus libre de cet assentiment est sans nul doute le vote au scrutin secret des travailleun à qui les dérogations prévues devraient s'appliquer.

On pourrait aussi songer à la consultation des représentants des travailleurs dans l'entreprise, mais, pour les raisons susindiquées et compte tenu de l'impor- tance de l'enjeu (il ne s'agit pas de dérogations minimes au sens de l'article 28 L T), ces représentants n'offrent pas des garanties suffisantes d'indépendance. Du reste, l'expression de la volonté du personnel par l'entremise d'organes de représenta- tion nécessiterait l'adoption de règles précises sur les conditions dans lesquelles ces organes peuvent effectivement être considérés comme représentatifs, ce qui pose des problèmes délicats (il n'est pas certain, par exemple, que dans tous les cas les membres des représentations du personnel soient effectivement représentatifs des travailleurs touchés par les dérogations envisagées).

L'organisation d'un scrutin dans l'entreprise constituerait une charge en raison du temps (à vrai dire limité) qu'elle prendrait. Mais cette charge ne serait pas con- sidérable en regard des avantages que recherche l'employeur sollicitant une déro- gation à la loi.

On ne saurait ignorer le risque que les salariés acceptent les dérogations dans certaines entreprises et les refusent dans d'autres, de sorte que l'harmonisation des conditions de concurrence découlant de l'accord entre les partenaires sociaux peut s'en trouver compromise. En l'absence d'une disposition légale conforme à la

" Art. 336 al. 2 lit. b CO.

50

(11)

Constitution fédérale permettant d'étendre aux tiers les accords entre partenaires sociaux qui comportent une dérogation à la loi fédérale sur le travail, il n'y a pas de remède à cela.

3. Ainsi, le principe et les modalités des dérogations devraient faire l'objet de négociations entre les partenaires sociaux au niveau de la branche. Sur la base de cet accord, chaque entreprise concernée pourrait solliciter de l'autorité com- pétente une dérogation conforme aux conditions prévues, en établissant que les salariés concernés y ont eux-mêmes consenti, en majorité et au scrutin secret.

4. L'autorité pourra autoriser les dérogations si leurs modalités offrent aux sala- riés une protection équivalente à celle découlant de la loi.

Les dérogations seront souvent accompagnées de compensations pour les salariés (par exemple réduction de la durée du travail; suppléments de salaire;

congés supplémentaires parfois sous forme de vacances). Tenue de veiller au res- pect des normes dérogatoires, l'autorité devra s'assurer que l'employeur alloue effectivement les compensations destinées à faire en sorte que la protection des salariés soit dans l'ensemble équivalente à la protection légale. Pour ce faire, elle érigera en condition expresse de son autorisation l'application de toutes les dis- positions prévues par les partenaires sociaux pour accompagner les dérogations et contrôlera d'office leur exécution23 •

Ces conditions expresses découleront du droit public. Dans la mesure où elles imposent à l'employeur des obligations susceptibles d'être l'objet d'un contrat individuel de travail, les salariés pourront agir civilement en vue d'obtenir l'exé- cution de ces obligations24 •

5. L'autorisation de déroger ne saurait être accordée pour une durée illimitée. 11 est conforme à l'esprit de l'avant-projet d'article 28a LT que la durée de la déro- gation soit celle de la convention collective lui servant de base.

6. L'appréciation de l'équivalence de la protection offerte par les dispositions dérogatoires suscite évidemment des difficultés. On peut craindre que, en la matière, le législateur n'abandonne à l'administration des questions de principe qu'il devrait régler lui-même, mais qu'il n'ose trancher par peur de controverses politiques.

Nous ne pouvons nous empêcher de souligner que, bien qu'elle offre souvent une réelle garantie d'équité, la négociation collective aboutit parfois à des résultats contraires à l'ordre juridique même si elle est conduite par des syndicats forts. On sait par exemple que la récente convention collective de travail dans l'imprimerie, de 1988, accorde aux employeurs un délai de six années supplémentaires pour réaliser le principe de l'égalité de rémunération entre hommes et femmes, alors que les discriminations existantes sont contraires à la Constitution fédérale depuis

" Art. 51 LT.

" Art. 342 al. 2 CO.

51

(12)

plus de sept ans. C'est dire que l'autorité devra toujours examiner avec un œil cri- tique les accords entre partenaires sociaux, pour s'assurer qu'ils reposent sur une juste idée de la protection légale.

Au demeurant, Je fait que les dérogations doivent être admises non seulement par les partenaires sociaux, mais encore par la majorité des travailleurs directe- ment touchés permet un double examen préalable de l'équivalence de la protec- tion, ce qui limite d'autant le risque d'erreur de l'administration.

IV. Conclusion

Vu les observations qui précèdent, nous pourrions formuler la proposition sui- vante:

(1) Le Département fédéral de l'économie publique peut autoriser l'employeur à déroger aux dispositions concernant la durée du travail et du repos si celui-ci

établit: ·

a) que la dérogation sollicitée est admise par une convention collective en vigueur conclue, du côté des travailleurs, par une ou plusieurs associations repré- sentatives de la branche;

b) que la majorité des travailleurs touchés par la dérogation y consent;

c) que la réglementation prévue est dans l'ensemble au moins équivalente pour la protection des travailleurs.

(2) Le Département fédéral de l'économie publique octroie l'autorisation à la condition que l'employeur alloue aux travailleurs toutes les compensations pré- vues par la convention collective; les effets de droit civil de cette condition, en faveur des salariés, sont réservés.

(3) La dérogation est valable pendant la durée de validité de la convention col- lective.

Nous avons relevé au début de la présente étude que, préalablement à toute discussion sur les aspects juridiques de la question, la nécessité pratique de déro- gations à la loi sur le travail dans le cadre de conventions collectives devait être concrètement établie. Notre proposition ne préjuge pas sur ce point. Elle a pour seul but d'alimenter le débat.

52

Références

Documents relatifs

Le contournement de la force obligatoire se manifeste ici par le fait que le salarié paye au prix fort le refus d’une modification unilatérale du contrat de travail.. Le

Dans le canton de Vaud, depuis le 1 er février 2020, une Commission de contrôle des marchés publics et des subventions (CoMPS) – composée de représentants de l’Etat et

Mais le Tribunal fédéral distingue selon que l'autorité cantonale agit dans le domaine des soumissions publiques, des commandes de l'administration, voire des

Les conventions de l'horlogerie et de l'industrie des machines se bor- naient à instituer l'arbitrage de certains conflits d'intérêts , en échange de la paix ; elles

D'autre part, la protection contre le licenciement à raison de l'exercice d'un droit constitutionnel est elle aussi impérative (art. 1 et 361 CO): à quoi servirait

L'existence d'une loi fédérale sur l'extension des conventions collectives n'empêche pas les cantons d'agir par d'autres voies pour faire respecter, dans certaines

b) les travailleurs liés par la convention (c'est-à-dire membres d'une organisation signataire, que l'employeur soit lui-même lié ou non) forment la majorité des

Lors d’un arrêt récent opposant une entreprise dissidente à deux syndicats désireux de voir cette dernière appliquer la CCT étendue de la construction, le