Chapitre VII
Discussion et
conclusions générales
L’adsorption du 2-mercaptobenzimidazole sur électrode d’Au(111) effectuée sous potentiel contrôlé ou à circuit ouvert résulte dans la formation d’un film similaire dans les deux cas. Le phénomène procède par un transfert d’électron qui conduit à la formation d’un liaison chimique or - soufre. L’adsorption s’accompagne de la perte d’un atome d’hydrogène, de sorte que c’est sous forme de thiolate que le MBI s’adsorbe. Les calculs de DFT ont montré que sous forme anionique, la charge négative du MBI– a tendance à se localiser sur l’atome de soufre, ce qui favorise une coordination avec la surface via cet atome. Des constatations similaires ont été faites par Tielens et al. qui se sont intéressés à l’adsorption de l’anion SCN– sur électrode d’argent [1].
La liaison Au-S semble jouer un rôle déterminant dans la structure du film adsorbé. La présence de transitions de phases bidimensionnelles entre des films présentant différentes orientations n’est pas observée ici, ce qui avait déjà été relevé dans le cas de systèmes chimisorbés. Ceux-ci sont par ailleurs peu sensibles à l’orientation cristallographique du substrat et leur structure dépend essentiellement de l’interaction chimique entre l’adsorbat et le substrat [2]. Les mêmes constatations sont applicables au film de MBI. Dans une étude menée dans notre laboratoire, Steichen avait montré [3] que la désorption d’une monocouche de 2-mercaptobenzimidazole-5-sulfonate, un dérivé du MBI, requiert la même énergie sur chacune des faces (111), (100) et (110).
La taille du substrat ne semble pas avoir d’influence sur les propriétés vibrationnelles de l’adsorbat, puisque des spectres similaires sont observés expérimentalement lorsque le MBI est amené à réagir avec une surface monocristalline d’or, avec des nanoparticule d’or, ou avec des ions AuCl4–. Ces spectres infrarouges indiquent que la seule interaction du MBI avec l’or via l’atome de soufre détermine les modifications de propriétés spectroscopiques, ce dont rendent bien compte les calculs de DFT.
Dubois et Nuzzo ont estimé l’énergie de liaison entre l’or et le soufre à 165 kJ.mol-1 [4].
Plusieurs éléments permettent d’expliquer la grande affinité de l’or pour le soufre. La théorie des Acides et Bases Dures et Molles de Pearson en est un. Cette théorie stipule que les acides durs réagissent préférentiellement avec des bases dures, et que les acides mous font de même avec les bases molles [5, 6]. L’or étant un métal, volumineux, il se comporte en acide mou.
Quant au soufre, il s’avère plus mou que l’azote [7].
Un autre élément est la très faible différence entre les électronégativités du soufre et de l’or (2,6 et 2,5 respectivement, sur l’échelle de Pauling). Lors de la formation de la liaison, la faible différence d’électronégativité favorise une liaison de nature covalente. Tant l’or que le soufre se trouvent alors dans des configurations électroniques stables (d10s2 pour l’or et s2p6 pour le soufre, celui-ci étant déjà lié à un autre groupement).
Par ailleurs, le groupe de Schultze s’est intéressé au transfert partiel de charge lors de l’adsorption et a introduit le concept de valence d’électrosorption. Ce concept fait toujours l’objet de débats de nos jours, mais Schultze et al. [8] ont néanmoins pu l’appliquer avec succès à différents systèmes et ont ainsi montré que lorsque la différence d’électronégativité entre le substrat et l’adsorbat chargé est faible, l’adsorbat se décharge totalement lors de son adsorption à la surface, ce qui se traduit par une valence d’électrosorption égale à la charge de l’espèce. Dans le cas particulier des anions sulfures, S2–, ils ont déterminé une valence d’électrosorption de 2. En étendant le raisonnement aux anions thiolates RS–, ceci justifie que nous ayions utilisé une valeur d’un électron pour les calculs de charges.
Au-delà des résultats présentés dans ce travail, différentes perspectives sont envisageables.
Concernant la caractérisation de la monocouche, quelques données supplémentaires permettraient de compléter la description du film.
Des mesures de microscopie à effet tunnel nous donneraient accès à l’organisation spatiale du film à la surface. Réalisées in situ, sous contrôle du potentiel appliqué à l’électrode, le même type d’information pourrait être obtenu pour des recouvrements inférieurs à une monocouche.
La combinaison de telles mesures à des données cinétiques, permettraient de mieux comprendre le mécanisme de formation du film.
Il serait également intéressant de corréler les données que nous avons obtenues concernant le point de charge nulle de l’électrode modifiée avec des mesures du potentiel d’extraction.
Nous avons déjà signalé que ce dernier est un paramètre important pour le développement de composants électroniques moléculaires [9, 10].
Par ailleurs, nos résultats fournissent un bon point de départ pour le développement à des fins analytiques de l’électrode modifiée par du MBI. Nous connaissons avec précision le domaine de potentiel accessible où le film est stable, ainsi que sa dépendance en fonction du pH du milieu d’analyse. En outre, le film de MBI n’inhibe pas le transfert d’électrons, ce qui constitue un avantage indéniable par rapport aux monocouches auto-assemblées
d’alcanethiols. Des études plus poussées concernant la réactivité de l’électrode modifiée sont à présent envisageables.
Au sein du laboratoire, nous nous intéressons au dérivé 5-sulfonate du MBI. La présence du groupement –SO3– permet d’envisager toute une chimie « post-assemblage ». En particulier, il est connu que la réaction du groupement sulfonate avec du PCl5 conduit à la formation du groupement –SOCl2, qui est le point de départ de nombreuses réactions [11]. Parmi celles-ci, citons par exemple la réaction avec les amines, qui conduit à la formation d’un lien sulfonamide. Nous pouvons envisager par ce biais de fixer sur l’électrode des membranes échangeuses d’ions, utilisées notamment dans les piles à combustibles [12]. En effet, un des problèmes du développement des piles à combustibles réside dans les pertes de rendements dues au mauvais contact entre la membrane et les particules de catalyseur.
La présence sur la molécule de MBI, après adsorption sur l’électrode, d’un groupement –NH constitue un autre volet intéressant de la chimie post-assemblage. Il a par exemple été montré que la modification d’électrodes par des molécules contenant ce groupement promeut le transfert d’électrons de molécules d’intérêt biochimique (par exemple le cytochrome c), cet effet promoteur étant toutefois sensible à l’orientation des molécules adsorbées.
Références
1. Tielens, F., Saeys, M., Tourwé, E., Marin, G.B., Hubin, A., Geerlings, P., Journal of Physical Chemistry A, 106 (2002) 1450.
2. Buess Herman, C., Bare, S., Poelman, M., Van krieken, M., Ordered Organic
Adlayers at Electrode Surfaces, in: A. Wieckowski (Ed.), Interfacial Electrochemistry, Marcel Dekker, New York, 1999, p. 427.
3. Steichen, M., Etude de la Monocouche Auto-Assemblée de 2-Mercaptobenzimidazole- 5-sulfonate sur Electrodes d'Or, Mémoire de Licence, ULB, Bruxelles, 2003.
4. Dubois, L.H., Nuzzo, R.G., Annual Review of Physical Chemistry, 43 (1992) 437.
5. Pearson, R.G., Inorganica Chimica Acta, 240 (1995) 93.
6. Huheey, J.E., Keiter, E.A., Keiter, R.L., Chimie Inorganique, De Boeck, Bruxelles, 1996.
7. De Proft, F., Martin, J.M.L., Geerlings, P., Chemical Physics Letters, 256 (1996) 400.
8. Schultze, J.W., Rolle, D., Journal of Electroanalytical Chemistry, 552 (2003) 163.
9. Howell, S., Kuila, D., Kasibhatla, B., Kubiak, C.P., Janes, D., Reifenberger, R., Langmuir, 18 (2002) 5120.
11. Richards, J.H., Cram, D.J., Hammond, G.S., Eléments de Chimie Organique, McGraw-Hill, Montréal, 1968.
12. Bélanger, Langmuir, 20 (2004) 4989.