Chapitre II
Interpolation et Approximation
Le probl`eme de l’interpolation consiste `a chercher des fonctions “simples” (polynˆomes, poly- nˆomes par morceaux, polyn ˆomes trigonom´etriques) passant par des points donn´es
(0.1) c.-`a-d., on cherche
avec
pour
!!#"
. Si les valeurs de
satisfont
$&%'(
o`u
%'
est une fonction donn´ee, il est int´eressant d’´etudier l’erreur de l’approximation
%')
*,+
(0.2) Bibliographie sur ce chapitre
J.H. Ahlberg, E.N. Nilson & J.L. Walsh (1967): The Theory of Splines and Their Applications.
Academic Press, New York. [MA 65/4]
C. de Boor (1978): A Practical Guide to Splines. Springer-Verlag. [MA 65/141]
G.D. Knott (2000): Interpolating Cubic Splines. Birkh¨auser. [MA 65/431]
H.J. Nussbaumer (1981): Fast Fourier Transform and Convolution Algorithms. Springer-Verlag.
H. Sp¨ath (1995): One Dimensional Spline Interpolation. AK Peters. [MA 65/362]
II.1 Diff´erences divis´ees et formule de Newton
Etant donn´es les´
".-/
points (0.1) o`u les
sont distincts mais pas n´ecessairement ordonn´es, on cherche un polyn ˆome
de degr´e
"
qui satisfasse
(*0
pour
1 !!#"'
(1.1) Cas
"23
. Le polyn ˆome de degr´e (une droite) qui passe par
4 !
,
5##
est donn´e par
*0 *-67)84
9)8:
;)8
(1.2) Cas
"3=<
. Pour obtenir un polyn ˆome de degr´e
<
(une parabole) qui passe par les trois points ,
5>#
,
?# ?
, on ajoute un terme de correction (de degr´e
<
) `a la formule (1.2). Comme ce terme doit ˆetre z´ero aux points
et
, on a n´ecessairement
*0 -@A)B
9)8
)8
-DCFEGA)B4A)B5
2 4
0 5
(1.3)
2 4 6 8 10
−5 0 5 10
FIG. II.1: Polynˆome d’interpolation de degr´eH Le coefficient
C
est d´etermin´e par
?IJ:?
. Un calcul simple (soustraire
de
?4
et diviser par
?K),44?L)8
) nous donne
CM
?K),
:?N),
?K),
)
9)8
)8
(1.4) Un exemple pour le cas
"&O
avec des
non ´equidistants est donn´e dans la fig. II.1. Pour les cas
"QP&<
les formules deviennent plus complexes et il est recommand´e d’introduire une notation convenable pour simplifier les expressions comme dans (1.4).
D´efinition 1.1 (diff´erences divis´ees) Pour
R#
donn´es (
distincts) on d´efinit
'STVUW0
X
'SR#YZTVUW
FSY[T),FST
Y'),
X ?
FSYZ\]TVUW
X 'SY^\]T ) X FSY[T
\_)8
X
'Sa`(b#!!dc]TVUW
X
e>
FS(b#!dc]T)
X
e>
'Sa`[!#cZf b#T
dcg),a`
Th´eor`eme 1.2 (formule de Newton) Le polynˆome d’interpolation de degr´e
"
qui passe par les
"I-6
points
4# 5>#
, o`u les
sont distincts, est unique et donn´e par
*hFS4T -67)84
X
'S#T -6i),4i)
X ?
FS45?T
-j!]-6i)87)8E E7)8:e> X
FS5ZTa (1.5)
D´emonstration. Pour
",k
et
"1<
la formule (1.5) est ´equivalente `a (1.2) et `a (1.3)–(1.4). Pour d´emontrer le cas g´en´eral, nous proc´edons par r´ecurrence. Supposons que
4*hFST-&B)84
X
FST -0:-&B)84E]Ei) e:?4
X
e>
FS!!:e>T
soit le polyn ˆome unique de degr´e
",)l
qui passe par
(
pour
m !Z",)l
. Alors, comme dans (1.3), le polyn ˆome
est n´ecessairement de la forme
*
9-jCnE7)84B)8;E :EB)8 e>5
(1.6) o`u
C
est d´etermin´e par
*h
. Il en r´esulte l’unicit´e du polyn ˆome d’interpolation.
Pour montrer que
Co
X
FS5ZT
, ce qui ach`eve la d´emonstration, nous consid´erons
´egalement le polyn ˆome de degr´e
"o)p
?*hFST-&B)8
X
FS?4T -0:-&B)8E]Ei) e>
X
e>
FS5?4!!T
qui passe par
Rq
pour
3 !!"
. Ensuite, on pose (id´ee d’Aitken–Neville, 1929, 1932)
r
*Ud
s)8
A)8
-&B)84
?
(1.7) Il s’agit d’un polyn ˆome de degr´e
"
qui satisfait la condition (1.1) pour le point
(ici, le facteur
)t
est nul), pour le point
(ici, le facteur
u)v
est nul), et pour les points
,
!!!".)w
(ici, les deux polyn ˆomes
4
et
?
sont ´egaux `a
). Par l’unicit´e du polyn ˆome d’interpolation on a alorsr
L
. En comparant le coefficient de
dans (1.7) avec celui de (1.6), nous obtenons
CM
A)
X
:e>
'S!!T)
X
e>
FS4 e>#T X
FSTd
ce qui d´emontre la formule (1.5).
TAB. II.1: Diff´erences divis´ees pour les donn´ees de la fig. II.1
X X ? X^x X^y X^z
){
< |}:~
O}:< ) }V <
){ }
}:
)
|}
)< ~ }]
O O}:| )B }:~
<}:| )B }
~ < !}
|}:<
O
Exemple 1.3 Pour les donn´ees de la fig. II.1, les diff´erences divis´ees sont pr´esent´ees dans le tableau II.1. Le polyn ˆome d’interpolation est alors donn´e par
*6){ '-7-Ki)h< )Ki)j<:4B)
_
Z
-K7)j< 47)
B)0O
Z
),Ki)j< B)
47)jO:4B)0~
ZZ
ou mieux encore pour la programmation (ou le calcul `a la main)
*6)B F- '-&7)0< -6i)
) Z
Z
-67)jO:
Z
)67)0~
Z
Remarque. L’ordre des
n’a aucune importance pour la formule de Newton (1.5). Si l’on permute les donn´ees
(
, on obtient ´evidemment le mˆeme polyn ˆome. Pour l’exemple ci-dessus et pour les
R
choisis dans l’ordre
!O!<~! Z
, on obtient ainsi
N
-67)
)
-6i)0O: )
-67)0< -6i)0~:
Z
)8
ZZ
En observant que
X
FS ` !!c T
est une fonction sym´etrique de ses arguments (par exemple,
X ? 'S?4
x
#T
X ?
'S?
x T
, voir l’exercice 2), on peut utiliser les valeurs calcul´ees dans le tableau II.1.
Pour diminuer l’influence des erreurs d’arrondi, il est recommand´e d’ordonner les
de mani`ere `a ce que les valeurs situ´ees au milieu soient prises d’abord et les valeurs aux extr´emit´es `a la fin. Pour ce choix, les expressions
)
,
)4)5
,
)4))?G
, etc., sont en g´en´eral plus petites que pour un autre choix et l’amplification des erreurs dans les diff´erences divis´ees est moins importante.
II.2 Erreur de l’interpolation
Supposons que les points
(
soient sur le graphe d’une fonction
%IU;SC[T
, c.-`a-d.,
91%'(5
!!#"'
(2.1)
´etudions alors l’erreur
%F)
du polyn ˆome d’interpolation
. Deux exemples sont donn´es dans la fig. II.2. A gauche, on voit un polyn ˆome d’interpolation pour la fonction
%'N W¡N
, et `a droite pour la fonction
!}V '-8
?
. Pour mieux voir l’erreur, on a dessin´e la fonction
%'
en une courbe pointill´ee.
0 2 4 6 8
−1 0 1
−4 −2 0 2 4
0 1
%'*& d¡' %'N
F-,
?
FIG. II.2:Polynˆome d’interpolation pour¢!£¤'¥ (gauche) et pour¦4§4¨¦K©7¥
?4ª
(droite)
Les r´esultats suivants sont dus `a Cauchy (1840, Sur les fonctions interpolaires, C.R. XI, p. 775-789, Oeuvres ser. 1, vol. V, p. 409-424). Commenc¸ons par une relation int´eressante entre les diff´erences divis´ees pour (2.1) et les d´eriv´ees de la fonction
%'
. Lemme 2.1 Soit
%'"
-fois diff´erentiable et
$6%F
pour
& !!"
(
distincts). Alors, il existe un«u¬
qu W¡'!®¯KR
tel que
X
FS4#5ZT>
%9°
±
«
"F²
(2.2) D´emonstration. Soit
le polyn ˆome d’interpolation de degr´e
"
passant par
(
et notons
³
*&%F)
. Par d´efinition de
, la diff´erence³
s’annule en
"I-6
points distincts :
³ ('&
pour
& !Z"F
Comme ³
est diff´erentiable, on peut appliquer
"
fois le th´eor`eme de Rolle (voir le cours d’Analyse I) et on en d´eduit que
³4´
a
"
z´eros distincts dans
( W¡*!®¯5
Le mˆeme argument appliqu´e `a³ ´
donne
³4´´
a
"µ)6
z´eros distincts dans
( W¡'!®¯5
et finalement encore
³ ° ±
a z´ero dans
( d¡'u®Z¯
Notons ce z´ero de³
°
:±
par« . Alors, on a
% ° ±
«
'
° ±
«
F0"F²E
X
'S45!!#Td
(2.3) La deuxi`eme identit´e dans (2.3) r´esulte du fait queX
FS4#T
est le coefficient de
dans
.
Th´eor`eme 2.2 Soit
%DU*SC[T9 ¶".-/
-fois diff´erentiable et soit
le polynˆome d’interpo- lation de degr´e
"
qui passe par
%'(
pour
& !!Z"
. Alors, pour
¬ SC[T
, il existe un
«u¬
qu W¡;5u®Z¯*R
tel que
%')
'3i),4E! E>i)8E
%9°
:·>±
«
"I-6 ²
(2.4) D´emonstration. Si
w¸
pour un indice µ¬¹
!Z"F
, la formule (2.4) est v´erifi´ee car
Rnº%'(
. Fixons alors un »
dans
S¼C!^T
qui soit diff´erent de
et montrons la formule (2.4) pour
.
»
.
L’id´ee est de consid´erer le polyn ˆome»
de degr´e
"½-k
qui passe par
R%'(
pour
Z"
et par »
;%'
»
. La formule de Newton donne
»
N
9-&i)4E E7)8E
X
:·>
FS4!!#
»
Td
(2.5) Si l’on remplace la diff´erence divis´ee dans (2.5) par
%9°
·>±
«
5}V"I-6 Z²
(voir le lemme pr´ec´edent) et si l’on pose
p
»
, on obtient le r´esultat (2.4) pour
6
»
car» »
;u¾%'
»
;
. Comme »
est arbitraire, la formule (2.4) est v´erifi´ee pour tout
. Exemple 2.3 Dans la situation de la fig. II.2, on a
".-¶ 3
. Comme la
`eme d´eriv´ee de
d¡*
est major´ee par , on a que
¿
)j W¡'L¿Àl¿K7)p !WO:4B)0| B)
O 47)
B)jO 47)0:¿!E
ZÁ
par exemple
¿ 9)j d¡
¿:À& | O
ou
¿
$)j W¡M ¿À& R ~> !
Pour le deuxi`eme exemple,
%F*k !}V F-,
?
, la
`eme d´eriv´ee est donn´ee par
%
°WÂ
±
*&)~ ²E
{-6 B)p K
?
)j<7)p
?
-0<i)6
F-,
?
Ã
qui est maximale pour
DÄ6ÅÆ R
| <
:~
. On obtient ainsi
)
F-
?
Àl¿d
?
)0< W< O:4
?
)j
?
)0<< O (L¿!E
Á
Alors, l’erreur peut ˆetre
| :<
fois plus grande que pour l’interpolation de
W¡*
.
II.3 Polynˆomes de Chebyshev
La formule (2.4) montre que l’erreur de l’interpolation est un produit de la
"o-p
`eme d´eriv´ee de
%'
, ´evalu´ee `a un point inconnu, avec l’expression
7)249E !:E>B)
qui ne d´epend que de la division
!!
.
Probl`eme int´eressante : chercher, pour un
"
donn´e, la division de
SC[T
pour laquelle
Ç
m®¯
ÈÉ]ÊË!ÌÍÏÎ
¿WB)84E E7)8¿
est minimal. (3.1)
Exemple 3.1 Consid´erons l’intervalle
S){ ! ZT
, le cas
"kÐ<
, et une distribution sym´etrique des
. On cherche alors
B 2-pÑ;K2)ÒÑ;{Ó x )pC
satisfaisant (3.1). Nous voyons en figure II.3 que, pour
C7k
, nous avonsÇ
Ô
; puis cette valeur diminue quand
C
croˆıt, jusqu’au moment o`u la courbe touche les bornes
- Ç
et
) Ç
`a l’int´erieur de
S){ ! ZT
(pour
C1|}
); apr`es,Ç recommence de grandir. La solution optimale est donc
NÕ x )j|;}
.
−1 0 1
−1 1
−1 0 1
−1 1
−1 0 1
−1 1
−1 0 1
−1 1
CM
Ç
3
CM1
Ç
1
CM O
Ç
&< O
CM1 W
Ç
Ä& W|
FIG. II.3: Valeurs maximales deÖ¨a¥
ª×
¥
x'Ø2Ù
¥
Pour
"
arbitraire, la r´eponse au probl`eme pos´e se trouve dans un travail de P.L. Chebyshev (transcription franc¸aise : “Tchebychef”, 1854, Œuvres I, p. 109). Elle peut ˆetre donn´ee `a l’aide de polyn ˆomes de Chebyshev; voir la figure II.4.1
D´efinition 3.2 (Polynˆomes de Chebyshev) Pour
" !!<
et pour
¬
S¼){ ! T
, on d´efinit
Ú
ÛNÜ!Ý 4"® ÞÜ!Ü!Ý:
(3.2) (projection du cosinus sur un tambour).
Propri´et´es des polynˆomes de Chebyshev.
a) Les fonctionsÚ
Û
satisfont la r´ecurrence
Ú
*k !
Ú
4NÕ;
Ú
·>4N<!
Ú
$)
Ú
e>!5
(3.3) Par cons´equence,Ú
ß
est un polynˆome de degr´e
"
dont le coefficient de
est
<
:e>
, c.-`a-d.,Ú
Û*1<
:e>
-j!
. b)
¿Ú
Û¿ À3
pour
¬
S¼)B T
. c) Ú
Ü!Ý: à5á
â
w){
\
pourã
1 !Z"
. d) Ú
Ü!Ý: ä à*å
æ
á
â
&
pourã
& !!"o)p
.
1Pour une ´etude des “courbes blanches” dans la fig. II.4 (`a droite) voir la page 209 du livre: Th.J. Rivlin, Chebyshev Polynomials. 2nd ed., John Wiley & Sons, 1990 [MA 41/36]
−1 0 1
Ú
4
Ú
? Ú x
Ú y
Ú
4
Ú
? Ú x
Ú y
Ú
4
Ú
? Ú x
Ú y
Ú
4
Ú
? Ú x
Ú y
FIG. II.4: Les premiers 4 (`a gauche) respectivement 30 (`a droite) polynˆomes de Chebyshev e) Les polynˆomesÚ
Û
sont orthogonaux par rapport `a la fonction de poids
!}:ç '),
?
e>
ç ')8
? Ú Û
ÚÛè
³ . é
si
",hêm1
é
}:<
si
",hê ë1
si
"jë0ê
. D´emonstration. La formule (3.3) est une cons´equence de
Ü!Ý:"I-6 ìí9-0ÜÝ #"µ)6 ìí*1<*Ü!Ý ìIE ÜÝ 4"'ìí
si l’on pose
ÜÝ ìh
et
ì½&® ÞÜ!ÜÝ
. La mˆeme transformation donne
e>
ç ')8
? Ú ß
ÚÛè
³
D î
ÜÝ "Fìí>Ü!Ý:4êì
³ ì
et la propri´et´e (e) r´esulte de l’orthogonalit´e de
ÜÝ "Fìí
.
Revenons maintenant `a la question de trouver une division satisfaisant `a (3.1).
Lemme 3.3 Soit r
un polynˆome de degr´e
"
dont le coefficient de
est
<
:e>
(comme pour le polynˆome de Chebyshev) et soitr
së
ï Ú ß
. Alors,
®¯
ÈÉ]Ê e>
ÌÎ ¿r
¿:P ®¯
ÈÉGÊ e>
ÌÎ ¿Ú
¿:3
(3.4) D´emonstration. Supposons, par l’absurde, que
®¯
ÈÉ]Ê e>
ÌÎ ¿r
¿ À ®¯
ÈÉGÊ e>
ÌÎ ¿Ú Û¿
(voir la figure pour
"1ÓO
) et consid´erons la diff´erence
³
r
)
Ú
ß
. Cette fonction s’annule au moins une fois dans chacun des intervalles ferm´es
ÜÝ äðà*å
Zæ
á
â
!Ü!Ý à5á
â ã
& !Z"o)p !
−1 0 1
r
Ú
ß
(3.5) Alors,
³
poss`ede
"
z´eros dans
S¼){ ! T
(si une racine
Ñ ¬
()B !
est `a l’extr´emit´e de l’intervalle (3.5), elle doit ˆetre compt´ee deux fois car `a un tel pointÚ ´
(Ññ
et r ´
Ñ;A¹
). Comme³
est un polyn ˆome de degr´e
"i)1
(le coefficient de
est le mˆeme pourr
etÚ
ß
), ceci est une contradiction `a
³
òë
ï
.
Le lemme pr´ec´edent montre que
®¯
ÈÉGÊ e>
ÌÎ
¿d7)8;E ! EB)8¿
est minimal si et seulement si
i)8;E ! EB)8N<
e
Ú
:·>
, c.-`a-d., si
\A1ÜÝ ä à*å
Zæ
á
â å ã
& !!Z"
(3.6) (points de Chebyshev). Pour r´epondre `a la question (3.1), il faut encore utiliser la translation
½ó
Ë · Í
? - Í e Ë
?
, qui envoie l’intervalle
S){ ! T
sur
SC[T
. On obtient alors Th´eor`eme 3.4 L’expression (3.1) est minimale parmi toutes les divisions
si et seulement si
\A
C-j
< -
í)tC
<
E Ü!Ý q<
ã
-6
é
<!"I-h<
ã
1 !Z"F
(3.7) Exemple 3.5 Consid´erons la fonction
%'*k !}> -½< O
?
sur l’intervalle
S¼){ ! T
(cf. la fig. II.2).
Dans la fig. II.5, on compare le polyn ˆome d’interpolation bas´e sur des points ´equidistants (
"Qp~
) avec celui bas´e sur les points de Chebyshev (aussi
",~
). On observe une nette am´elioration.
−.5 .0 .5
−.5 .0 .5 1.0
−.5 .0 .5
−.5 .0 .5 1.0
FIG. II.5: Interpolation avec des points ´equidistants (`a gauche) et les points de Chebyshev (`a droite)
II.4 Convergence de l’interpolation
La pr´ecision du polyn ˆome d’interpolation (figure II.5 `a gauche) est certainement insuffisante, quand
se rapproche des bords. On pourrait na¨ıvement croire que le degr´e
"
n’est pas encore assez ´elev´e. Mais le contraire se produit : quand on augmente
"
, la catastrophe s’intensifie davan- tage. C’est le ph´enom`eme de Runge (voir le dessin de la figure II.6).
Le ph´enom`ene de Runge (1901).2 Nous consid´erons des fonctions rationnelles (ou m´eromorphes)
%'
, d´efinies sur l’intervalle
S){ ! ZT
, et la suite des divisions ´equidistantes
° :±
\
6){ '-
à
â ã
!!!#"'
(4.1)
2Carl David Tolm´e Runge (1856-1927) est le p`ere des math´ematiques appliqu´ees en Allemagne. L’article sur ce ph´enom`ene a ´et´e publi´e en 1901 dans le journal Zeitschr. Math. u. Physik vol. 46.
−1 0 1
n = 2
−1 0 1
n = 4
−1 0 1
n = 6
−1 0 1
n = 8
−1 0 1
n = 10
−1 0 1
n = 12
−1 0 1
n = 14
−1 0 1
n = 16
−1 0 1
n = 18
−1 0 1
n = 20 FIG. II.6: Le ph´enom`ene de Runge pour la fonctionô>¨a¥
ª9×
¦4§4¨¦K©2õ4H¥
? ª
Nous notons par
ß
le polyn ˆome d’interpolation de degr´e
"
satisfaisant `a
°
:±
\
uÐ%'
°
±
\
pour ã
¹ !Z"
. Le but est d’´etudier la convergence de
ß
vers
%'
. On peut observer dans la fig. II.6 que, dans un certain intervalle autour de l’origine,
ß
converge vers
%F
, mais au bord de l’intervalle
S¼)B ! T
, on a divergence.
Excursion en analyse complexe. Le meilleur moyen de comprendre ce ph´enom`ene est la formule de Cauchy (1831), voir le cours “Analyse II”,
%'*
< é ö
%F÷:
÷ò),
³ ÷
−1 1
÷høLù^
(4.2) Dans cette formule,
ø
est une courbe ferm´ee autour de
, telle que
%F÷:
n’a pas de singularit´e
`a l’int´erieur de la courbe. Si la courbe est donn´ee par la param´etrisation
øwUuS¼C!^T ûú
avec
øLC*høL[
, l’int´egrale dans (4.2) est d´efinie par
< é ö
%'÷]
÷),
³
÷
< é Í
Ë
%FøLù^
øLù^;), E!ø
´
ù^
³
ùZ
Une formule pour le polynˆome d’interpolation. En utilisant la notation
é
ÛNUW3i),
°
±
;E>7)8
°
:±
E!:E7), °
±
(4.3) pour la division ´equidistante (4.1), nous obtenons pour le polyn ˆome d’interpolation
ß*
< é ö
%'(÷:
÷ò)8 E é
Û(÷:;)
é
Û
é
ß÷:
³
÷
(4.4) Ici,
ø
est une courbe ferm´ee autour du segment
S){ ! ZT
telle que
%'÷:
n’ait pas de singularit´e (pˆole)
`a l’int´erieur de la courbe (voir la petite figure dans (4.2)).
En effet, la partie droite de (4.4) est un polyn ˆome de degr´e
"
en
car
é
ß÷:)
é
ß}>÷N)µ
en est un. En posant
DÕ
°
:±
\ pour unã{¬8
"'
, on a
< ö
%'÷]
÷),
°
±
\ E é Û÷:;)
é
ß
°
±
\
ß÷]
³
֮
< ö
%'(÷:
÷ò)8
°
±
\ ³
÷&%'
°
:±
\
ce qui montre la formule (4.4). La diff´erence de (4.4) et de (4.2) nous donne la formule suivante pour l’erreur de l’interpolation :
%F)
ß*
< é ö
%'(÷:
÷), E é
Û
é
ß÷:
³
÷:
(4.5) Il est important de se rappeler que
ø
est une courbe ferm´ee autour du segment
S¼){ ! T
telle que
%'(÷:
n’ait pas de singularit´e `a l’int´erieur de
ø
.
Etude de la convergence. La formule (4.5) nous permet de proc´eder de la mani`ere suivante : si,´ pour un
¬
S¼)B T
, on peut choisir la courbe
ø
telle que
¿é
ß¿ À6Ñ ¿é
Û(÷:¿
pour tout
÷ ¬ ø
(4.6) avec un
Ñ2ü¶
, alors,
¿%F9)
ß4¿ À Ñ
< é ö
¿%'(÷:¿
¿÷),L¿
¿³
÷¿
(4.7) et on a convergence pour
", ý
. Il faut alors ´etudier la fonction
¿é
Û(÷:¿
pour
", ý
. Lemme 4.1 Pour la division ´equidistante (4.1) et pour le polynˆome
é
ß÷:
de (4.3) on a
þ d
ÿ ¿é
ß÷]¿:{÷:
o`u
{÷:*¯
(÷-&
þ
Ý ÷g-6 )&÷)p
þ
Ý ÷)p $)p
(4.8) D´emonstration. En prenant le logarithme de
¿é
Û(÷:¿
, on obtient
þÝ ¿é
Û(÷:¿:
â þÝ n¿
é
÷:4¿:
â þÝ A¿¼÷ò)
°
:±
¿-0:- þÝ n¿÷g)8
°
±
¿
ce qui repr´esente une somme de Riemann pour la fonction
ùAó
? þ
Ý s¿÷n) ù:¿
,
° ±
\4·>
)@
°
±
\
Ò<}"
. On obtient ainsi (observer queþ
Ý p
þ
Ý A¿o¿Z-
® Þ
)
þ
W
ÿ
þ
Ý ¿é
Û(÷:¿:
e>
þ
Ý n¿÷),ù:¿
³
ùK
e>
þ
Ý (÷ò),ù^
³
ùZ
En consid´erant
÷
comme param`etre, une primitive de la fonction
ù^N
þ
Ý (÷ò)8ù^
est donn´ee par
÷),ù^;)6(÷ò)8ù^
þ
Ý ÷g)8ù^
. Ceci implique
þ
d
ÿ
þ
Ý ¿é
ß÷:4¿
(÷-&
þ
Ý ÷_-6 )p(÷ò)&
þ
Ý ÷g)p )p÷_-& 9-6(÷ò)p
et d´emontre la formule du lemme.
−1 0 1
−.5 .0 .5
−1 0 1
−.5 .0 .5
bW`
¿é a÷]¿
{÷:
FIG. II.7: Lignes de niveau pour les fonctions
bW`
a
¨a¥
ª
etg¨
ª
; division ´equidistante.
Pour un
r´eel et compris dans
()B !
, on a
{*
e>
F-
·
È
*)
e
È
−1 0 1
.5
{
<}
!}
en particulier
{( B !}
,
{Å{ 7=< }
. Les lignes de niveau
÷ò¿B(÷:
Const
sont dessin´ees dans la fig. II.7 (dessin `a droite).
Th´eor`eme 4.2 (Runge 1901) Si
%'(÷:
n’a pas de singularit´e dans
÷s¿{÷:*À{N5
, alors
þ
d
ÿ
ß*6%'
pour
¬
)LK
D´emonstration. Nous consid´erons une courbe
ø
telle que l’intervalle
S¼)B ! T
ainsi que l’ensemble
÷ò¿B(÷:NÀBN5
sont `a l’int´erieur, mais tous les pˆoles de
%'÷:
`a l’exterieur. Pour un
¬
()KN
fix´e, ceci entraˆıne que
B*üBN*À&u W¡
É
ö
B(÷:5
Comme
¿é
ß¿í B
et
d¡
ZÉ
ö ¿é
Û(÷:¿F u W¡
ZÉ
ö
{÷]
(convergence uniforme sur
ø
; pour le voir il faut ´elaborer la d´emonstration du lemme 4.1), on peut trouver un
Ñ
(
ü6Ñü3
) tel que, pour
"
suffisamment grand, on a
¿é
ß4¿À6ÑiE ¿é
ß÷:4¿
pour
÷ ¬ ø
Ceci v´erifie (4.6) pour
¬
)LK
et la convergence est une cons´equence de (4.7).
Exemple. La fonction
%'*k }> -o< O!
?
poss`ede une singularit´e en
Å }]O
. La ligne de niveau de
{÷:
qui passe par
Å }]O
coupe l’axe r´eel au point
Äp W <
. Alors, la convergence du polyn ˆome d’interpolation (avec des points ´equidistants) est ´etablie pour
¿L¿ ü <
(voir fig. II.6).
Convergence en utilisant des points de Chebyshev. Faisons la mˆeme ´etude en remplac¸ant la division ´equidistante (4.1) par les points de Chebyshev
° ±
\
&ÜÝ ä à'å
Zæ
á
â å ã
!!#"'
(4.9) L’exp´erience de la fig. II.6 avec la fonction
%'òÔ !}> N-v< O!
?
est r´ep´et´ee dans la fig. II.8. On observe une convergence uniforme sur toute l’intervalle
S¼)B T
.
Pour comprendre l’absence d’un “ph´enom`ene de Runge”, consid´erons le polyn ˆome
é
$
de (4.3) mais pour la division (4.9). Dans ce cas (voir (3.2) et (3.6))
é
ß÷:*&<
e
Ú
·>(÷:*&<
e
ÜÝ "I-6 Z5ìí' :·>
- e ° :·>±
<
·>
(4.10) o`u
ì® ÞÜÜ!Ý ÷
et
"!
.
−1 0 1
n = 2
−1 0 1
n = 6
−1 0 1
n = 10
−1 0 1
n = 14
−1 0 1
n = 18 FIG. II.8: Interpolation de la fonctionô>¨a¥
ª9×
¦4§4¨¦N©2õ4H¥
? ª
en utilisant des points de Chebyshev.
La relation
÷.ÓÜÝ ì
?
#
$!
-%
e "!
? -
e>
donne l’´equation
?
)<
÷-w uÓ
pour , dont les solutions sont
k÷s- ç ÷ ? )p
,
e>
w÷n) ç ÷ ? )p
. ´Elev´ees `a la
".-/
-`eme puissance, la plus grande de ces grandeurs va finir par dominer l’autre. Ainsi,
B(÷:K
þ
d
ÿ ¿é
ß÷]¿:
u®Z¯
¿¼÷g- ç ÷ ?
)6 ¿N¿¼÷) ç ÷ ?
)p ¿n
(4.11) Les lignes de niveau de la fonction limite deviennent parall`eles `a l’intervalle
S){ ! ZT
(voir fig. II.9).
Ainsi, un pˆole se trouvant en dehors de l’intervalle
S¼)B ! T
ne peut empˆecher le polyn ˆome
Û
de converger sur tout l’intervalle (voir fig. II.8).
−1 0 1
−.5 .0 .5
−1 0 1
−.5 .0 .5
bW`
¿é a÷]¿
{÷:
FIG. II.9: Lignes de niveau pour les fonctions
bW`
a
¨a¥
ª
et¨
ª
; points de Chebyshev.
Remarque. La convergence (uniforme) de la suite de polyn ˆomes d’interpolation avec les points de Chebyshev peut ˆetre d´emontr´e pour toute fonction
%F
qui est continˆument diff´erentiable sur
S¼)B ! T
. La d´emonstration utilise le th´eor`eme de Stone-Weierstraß (voir par exemple le chapitre II du livre de Werner & Schaback3pour plus de details).
II.5 Influence des erreurs d’arrondi sur l’interpolation
Repr´esentation en virgule flottante. Chaque nombre r´eel
Õë1
peut s’´ecrire sous la forme
.6ÅCsE
Í
(5.1) o`u
C
, la mantisse, satisfait
AÀkC7ü¹
et l’exposant
est un nombre entier. Cette repr´esentation de
est unique. Supposons maintenant qu’on ait seulement un nombre fini de chiffres (disons& )
`a disposition pour la mantisse, et pas de restriction pour l’exposant. Si »
C
d´enote l’arrondi de
C
, on va calculer en fait avec le nombre
arr
*1Å
»
CnE Z Í
au lieu de
. Par exemple, le nombre
é
1|
O: <
O |N!
est repr´esent´e par arr
é
'& W|
O <:_E
(5.2) si l’on calcule avec&
&~
chiffres en base .
Pr´ecision de l’ordinateur. On d´enote par ')(+* le plus petit nombre positif tel que arr
F-
')(+*
*Pk !
Pour un calcul en base avec& chiffres dans la mantisse on a arr
( N^
,
N:E Z
'3
arr
( N^
,
O N:E Z
'& N]
,
E
Pk
3H. Werner & R. Schaback (1979), Praktische Mathematik II. Springer-Verlag, 2. Auflage. [MA 65/23]
Dans cette situation, on a alors
')(+*
1OE e ,
(5.3) Si l’on fait le mˆeme calcul en base
<
(comme tous les ordinateurs le font) on obtient
')(+*
&<
e ,
(5.4) Par exemple, sur uneSUNworkstation on a
REAL-
')(+*
1<
e:?
y Ä&O W
E e Ã
REAL-
~
')(+*
1<
e
zx Ä3 R 'E e>/.
REAL-
')(+*
1<
e>
x Ä6
|gE
e
xz
Th´eor`eme 5.1 Pour un
Õë
on a
¿
arr
)8L¿
¿L¿
À
')(+*
(5.5) c.-`a-d., l’erreur relative due `a l’arrondissement est born´ee par ')(+* .
D´emonstration. Soit
D6C_E
Í et arr
N
»
C_E Z
Í . Si l’on arrondit `a& chiffres significatifs, on a
¿»
Cò)tCß¿:À&OòE Z e ,
e>
. Il en r´esulte
¿
arr
)8L¿
¿L¿
¿»
Cs)tCß¿!E
Í
¿Cß¿E Z
Í À
OE e ,
e>
e>
1OòEV e ,
')(+*
car
¿Cß¿03 !}>
.
L’estimation (5.5) peut aussi ˆetre ´ecrite sous la forme arr
*hK F-21
o`u
¿314¿À
')(+*
(5.6) Cette formule est la base pour toute ´etude d’erreurs d’arrondi.
Influence des erreurs dans sur le polynˆome d’interpolation. Supposons que les donn´ees
soient erron´ees et qu’on calcule en fait avec
$h 5 '-41R
o`u
¿51[¿ À
')(+*
(5.7) Pour ´etudier la diff´erence entre le polyn ˆome qui passe par
R
et celui qui passe par
R q
, on utilise la formule du lemme suivant.
Lemme 5.2 (formule de Lagrange) Le polynˆome d’interpolation
qui passe par
q
pour
1 !"
est donn´e par
'
76:
&
5
o`u &
*
Y6:
Y86
7)8Y
>)8Y
(5.8)
D´emonstration. Le polyn ˆome&
5
satisfait&
5RA
et&
5\]ñ
si ã
ë
. Ainsi, les deux cˆot´es de la formule (5.8) valent
\
pour
t¶\
(ã
¹ !Z"
). Comme
et
76:
&
sont des polyn ˆomes de degr´e
"
, cette formule est une cons´equence de l’unicit´e du polyn ˆome d’interpolation (voir le th´eor`eme 1.2).
0
−6
−5
−4
−3
−2
−1 0 1 2 3 4 5 6
0
−6
−5
−4
−3
−2
−1 0 1 2 3 4 5 6
0
−6
−5
−4
−3
−2
−1 0 1 2 3 4 5 6
0
−6
−5
−4
−3
−2
−1 0 1 2 3 4 5 6
0
−6
−5
−4
−3
−2
−1 0 1 2 3 4 5 6
0
−6
−5
−4
−3
−2
−1 0 1 2 3 4 5 6
&
&
!
&
?
& x
& y
& z
FIG. II.10: Polynˆomes de Lagrange `a points ´equidistants pour9
×
¦;:
0
−1 0 1
0
−1 0 1
0
−1 0 1
0
−1 0 1
0
−1 0 1
0
−1 0 1
&
&
!
&
?
& x
& y
& z
FIG. II.11: Polynˆomes de Lagrange `a points de Chebyshev pour9
×
¦;:
Les polyn ˆomes passant par
R
et
(
sont respectivement
*
76:
&
5
et
N
76:
&
55
Si est donn´e par (5.7), la diff´erence satisfait
)
*
76:
1d
&
et on obtient
¿ )
¿ À
')(+*
Eµ®¯
\;6:
Ì=<=<=<Ì ¿ \V¿!E
76:
¿&
4¿
(5.9) La fonction
76:
¿&
4¿
d´ecrit l’amplification de l’erreur dans les donn´ees. Sa valeur maximale
>
UWm®¯
ÈÉGÊË!ÌÍÏÎ
?6:
¿&
5¿
(5.10) s’appelle la constante de Lebesgue associ´ee aux points
5!!
et `a l’intervalle
S¼C[T
. Cette constante peut ˆetre calcul´ee num´eriquement (voir les exercices 9 and 10).
Points ´equidistants. Pour la division
\A6Cò-
\
(í)tC
de l’intervalle
SC[T
, on a
> ?òÄ&|E
y > y
òÄ3 a
> Ä
<
:·>
NE!"oE
þ
Ý ;"
Points de Chebyshev. Si l’on choisit
\
Ë · Í
? - Í e Ë
?
ÜÝ
°
?\·>±
î
?:·:?
, on a
>
À&|
pour
",À&<
> À
pour
",À3 :
>
Ä
á þ Ý ;"
si
"
est grand.