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Sur la catastrophe de Saint-Gervais (12 juillet 1892)

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Sur la catastrophe de Saint-Gervais (12 juillet 1892)

VALLOT, Joseph, DELEBECQUE, André, DUPARC, Louis

VALLOT, Joseph, DELEBECQUE, André, DUPARC, Louis. Sur la catastrophe de Saint-Gervais (12 juillet 1892). Archives des sciences physiques et naturelles, 1892, vol. 3e période, t.

28, p. 177-201,pl.IV-VI

Available at:

http://archive-ouverte.unige.ch/unige:153595

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EXTRAIT DES Archives des Sciences physiques et naturelle~

Tmiaième période, t. XXVIII. - Septembre J 892, p. 177,

SUR LA

CATASTROPHE DE SAINT-GERVAIS

(12 juillet 1892) PAR

J. VALLOT, A. DELEBEC(tUE et L. DUPARC.

(Avec planches fV, V et VI.)

'

Communiqué à la Socièté de physique et d'histoire naturelle de Genève dans ses séances des 6 août et l" septembre 1892.

Le mémoire qui suit est le résultat de trois explora- tions, faites, la première le 13 juillet par M. Duparc~

accompagné de MM. Claparède et Mrazec, la seconde le 19 juillet par MM. Vallot et Delebecque, accompagnés de M. Étienne Ritter et des guides Gaspard Simon· et Alphonse Payot (tourneur) de Chamonix, la troisième le 17 août par MM. Delebecque et Duparc, accompagnés de M. Étienne Ritter.

Il se compose de deux parties; la première, due à MM. Vallot et Delebecque, traite des causes de la catas- trophe et du glacier de Tête-Rousse, point de départ de l'avalanche; la seconde, due à M. Duparc, traite des phénomènes qui se sont produits sur le parcours de

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2 SUR LA CATASTROPHE DE SAINT-GERVAIS.

l'avalanche, depuis le glacier de Tête-Rousse jusqu'au Fayet'.

Les conclusions ont été rédigées d'un commun ac- cord. Les trois autem-s adressent leurs remerciements à tous ceux qui ont bien voulu les seconder dans leur tra- vail, et en particulier à M. Paul du Boys, le savant ingé- nieur en chef des ponts et chaussées de la Haute-Savoie, et à M. Étienne Ritter, étudiant à l'Université de Genève.

PREMIÈRE PARTIE

Dans la nuit du ·12 juillet, entre une heure et deux heures du matin, une avalanche d'eau et de boue se pré- cipitait dans la vallée de Bionnassay et dans celle du Bon- Nant, détruisant le village de Bionney, les bains de Saint- Gervais et une partie du hameau du Fayet, et faisant environ i 50 victimes humaines 2 Les horreurs de celle catastrophe ont été décrites par tous les journaux; nous n'y reviendrons pas.

On remarqua bientôt que cette avalanche provenait du petit glacier de Tête-Rousse, situé à la base del' Aiguille du Goûter ; il était visible, même de différents points de la vallée de l' Arve, que la partie frontale de ce glacier

1 Voir les différents articles publiés précédemment. Duparc, Journal de Genève du 15 et du 21 juillet. J. Vallot et A. Dele- becque, Comptes rendus de l'Académie des Sciences, 25 juillet 1892.

2 Pour les descriptions qui vont suivre, il sera utile de consul- ter la feuille Annecy de la carte d'État-Major au 1/soooo, la feuille

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Sallanches de la carte du Ministère de !'Intérieur au 1/100000, et !!

surtout la carte du Mont-Blanc de M. Mieulet au 1/40000. _ ...

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SUR LA CATASTROPHE DE SAINT-GERVAIS. 3 avait été emportée; sur la paroi de glace mise à nu on .apercevait une grande cavité. L'exploration du 19 juillet fit constater les faits suivants.

Le petit glacier de Tête-Rousse, situé à l'altitude d'en- vit'on 3200 m., près du point coté 3139 de la carte de Mieulet, forme un plateau presque horizontal 1 D'une forme à peu près quadrangulaire, il est borné à l'est par la muraille escarpée de l' Aiguille du Goûter et des trois .autres côtés par des arêtes rocheuses. L'arête du Nord le -sépare du glacier de la Grya; celle du sud du glacier de 'Bionnassay. Il ne communique pas avec le premier, dont il est séparé par une arête rocheuse pen saillante. Une partie se déverse sur le second à travers une dépression qui s'ouvre dans l'arête du sud; il a en outre un écoule- ment, qui paraît être le principal, au nord-ouest, près du point 3139, entre deux arêtes rocheuses convergentes,

·dont l'inclinaison est de 30° environ. Ces deux arêtes, entre lesquelles se trouve un couloir neigeux, servent de

·contreforts au plateau du glacier.

C'est au sommet de ce couloir que se trouvait la paroi de glace dont nous avons parlé. Presque verticale, elle mesurait, le 19 juillet 1892, 40m de hauteur; sa section -était, à peu de chose près, une demi-circonférence de 1

oom

de diamètre. La cavité de forme lenticulaire, qui s'ouvrait

·dans cette paroi, avait 40m de diamètre sur 2om de hau- teur. (Voir fig. 1, 2, 3, 4, planches IV et V)'.

1 Contrairement aux indications de la carte et par suite de la

<liminution des glaciers, ce glacier ne descend pas plus bas que le point 3139. La pente raide de glace représentée sur la carte n'est plus qu'un couloir neigeux et la surface blanche figurée au sud de l'arête des Rognes est aujourd'hui un champ de neige.

· 2 Le plan des localités a été levé le 19 juillet par M. J. Vallot,

au cours de notre exploration. Les distances ont été mesurées à

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4 SUR LA CATASTROPHE DE SAINT-GERVAIS.

Cette paroi était manifestement une surface d'arrache- ment. L'inspection des lienx permit facilement de recons- tituer le glacier, tel qu'il existait avant l'avalanche; nous.

estimâmes à 90,000m cubes au maximum la quantité de glace tombée. A la base du glacier se trouvait un seuil rocheux qui, comme nous le verrons plus loin,a joué un rôle important dans la catastrophe.

A peu de distance de son ouverture, la cavité se rami- fiait en deux couloirs dont l'un, celui de droite, était presque entièrement encombré de blocs de glace éboulés.

Les parois de la caverne restées intactes étaient formées.

de glace transparente et admirablement polie; elles pré- sentaient de vastes surfaces concaves analogues à celles.

des marmites de géants. Elles n'avaient aucune analogiec avec celles des grottes de certains glaciers, de la grotte naturelle du glacier d' Arolla par exemple. Dans ces der- nières, les parois de la glace sont formées de petites sur- faces concaves séparées par des arêtes, c'est l'effet de l'érosion atmosphérique. Dans la caverne de Tête-Rousse au contraire, les parois rappelaient celles du lac de Mrerjelen ou des petits entonnoirs remplis d'eau qu'on rencontre sur le glacier de Gomer. C'était, à n'en pas douter, l'eau qui les avait polies; la caverne avait été remplie par un lac intraglaciaire. On voyait encore, le

la stadia, et les angles à l'éclimètre Goulier et à la boussole montée sur pied. La position et la hauteur des points cotés offre donc une exactitude suffisante. '.I:outefois, l'orage survenu à la fin des opérations a empêché de mesurer la distance du point coté 20,6 à la station 10,0; cette distance a été estimée. La longueur de la caverne antérieure a aussi été estimée au cours de l'explora- tion, le danger en rendant la mesure difficile. Le figuré du terrain a été fait à l'œil, comme d'habitude, d'après les cotes et les cro- quis pris sur le terrain.

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SUR LA CATASTROPHE DE SAINT-GERVAIS. 5 17 août, un reste de ce lac; dans l'intérieur même de la caverne, se trouvait, sous la glac~ éboulée, · une nappe

<l'eau dont la profondeur était de 2m à une distance de

·2m da bord .

Le couloir resté libre aboutissait à une cavité cylin- drique à ciel ouvert, à parois verticales, résultant de l'effondrement sur place d'une partie du glacier. Cette -cavité, dont le fond était encombré de blocs de glace, avait

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de longueur,

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de largeur, 35 à

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de profondeur. Invisible de tous les points de la vallée, per- sonne n'en avait soupçonné l'existence avant nous. Les parois présentaient deux apparences bien distinctes. Dans la partie supérieure, depuis la surface du glacier jusqu'à une profondeur variant de 5 à 1

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elles laissaient voir, suivant une section parfaitement nette, des couches hori- zontales stratifiées, dont l'épaisseur Çïiteignait parfois un mètre; c'étaient les couches successives de neige tombées sur le glacier. Plus bas elles étaient formées de couches plongeantes dont la direction est encore inexpliquée.

Le lac intraglaciaire avait rempli la cavité supérieure :presque jusqu'aux couches horizontales. Une grande

•oûte de 25m de hauteur, au fond de laquelle coulait un ruisseau, s'ouvrait sur les parois de la cavité; ces parois, formées de glace transparente, comme la caverne

<l'entrée, prouvaient encore un contact prolongé avec l'eau. Peut-être cette voûte communiquait-elle avec d'au- tres creux; nous n'avons pu vérifier ce point, l'explora- tion complète de la cavité étant fort dangereuse.

D'après les mesures prises, nous avons estimé à 100,000 mètres cubes environ la quantité totale d'eau contenue dans le glacier, soit 80,000 pour la cavité .supérieure, et 20,000 pour la cavité inférieure.

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6 SUR LA CATASTROPHE DE SAINT-GERVAIS.

Comment cette poche d'eau s'était-elle produite? Nous.

avons constaté plus haut l'exiEtence d'un seuil rocheux au pied du glacier. Ce seuil, formé de schistes micacés.

plongeant sous le Mont-Blanc avec une inclinaison de 60°, était certainement un obstacle à l'écoulement des eaux. Mais, de même que celui que nous avons supposé en amont (fig. 3 et 4 ), il ne pouvait retenir l'eau que jusqu'à une hauteur égale à celle du rocher même. Si aucune autre cause n'avait provoqué l'accumulation de l'eau, celle-ci, après avoir atteint le niveau des seuils, se serait infiltrée entre le glacier et le rocher; elle aurait formé quelques petits lacs dans la roche même, mais elle n'aurait pas pu s'élever, comme dans la cavité supérieure, jusqu'à une hauteur de 30 à 40m au-dessus des seuils.

Nous ne pouvons expliquer ce dernier phénomène que par la présence de crevasses de fond qui existent, comme l'on sait, dans les endroits où le lit du glacier est concave.

Telle était, évidemment, la forme du lit du glacier de Tête-Rousse en amont des seuils. Nous avons pu d'ail- leurs reconnaître l'une de ces crevasses dans la grande voûte qui débouche dans la cavité d'en haut. Dès lors il est facile de comprendre que l'eau descendue des régions supérieures du glacier ait pu, grâce à sa pression, remon- ter dans ces crevasses et même, en vertu du principe des vases communiquants, les remplir entièrement. Donc cha- cune des deux cavités ne doit être qu'une ou plusieurs crevasses de fond, agrandies par l'eau .

Il n'est pas facile de savoir combien de temps l'eau a mis pour s'accumuler dans ces crevasses. Une obstruction temporaire des orifices d'écoulement s'est-elle produite, peut-être par suite d'une crue rapide du glacier? C'est

possible. Toutes les personnes que nous avons interrogées.

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SUR LA CATASTROPHE DE SAINT-GERVAIS. 7 sont unanimes à constater que, avant l'avalanche, l'écou- lement du glacier était beaucoup plus faible qu'à présent;

il était même intermittent. Des ouvriers travaillant à Bionnay ont affirmé qu'il avait cessé complètement cette année. Le 17 août, après de très chaudes journées, le débit du glacier ne nous a pas paru dépasser '10 litres par seconde. On voit que, en supposant tout écoulement interrompu, il aurait fallu au moins trois à quatre mois pour accumuler 'l 00,000 mètres cubes d'eau. Nous pen- sons même que le faible écoulement qui existait a facilité l'érosion de la glace par leau; car elle permettait à celle- ci de se renouveler, en agrandissant peu à peu les cre- vasses.

Si l'on réfléchit que la catastrophe a eu lieu le ·l 2 juil- let, on voit que l'accumulation de l'eau a dû commencer au plus tard à la fin de l'hiver. Cette circonstance ne pré- sente rien d'extraordinaire. On ne sait pas encore jusqu'à quelle profondeur le froid de l'hiver pénètre dans les gla- ciers, mais il est permis de supposer que cette profondeur n'est pas très considérable. Steenstrup 1 rapporte en effet que dans le Groënland, par 70° 1/, de latitude nord et à une altitude de 600m au-dessus de la mer, il a vu un gla- cier ayant à peine 30rn d'épaisseur donner naissance pendant tout l'hiver

a

un torrent; il a constaté le même fait sur d'autres glaciers, jusqu'au 78m0 degré de latitude.

La configuration des lieux exclut d'ailleurs, paraît-il,

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possibilité de sources thermales sous ces glaciers.

Pareille chose a dû se passer à Tête-Rousse. L'écoule- ment du glacier n'a vraisemblablement pas été entière- ment suspendu pendant l'hiver; l'eau a donc pu s'accu-

1 Voir Heill), Gletscherlwncle, p. 261.

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8 SUR LA CATASTROPHE DE SAINT-GERVAIS.

muler pendant la saison froitle, et même se renouveler lentement, ce qui faisait obstacle à la congélation.

Disons, pour terminer cette première partie, qu'un examen de la chaîne du Mont-Blanc nous permet de reconnaître en maints endroits une disposition des schis- tes analogue à celle qui existe à Tête-Rousse. Très sou- vent ces schistes, par une alternance de saillies et de retraits, donnent naissance à une série de seuils et de cuvettes. L'une de ces cuvettes, au plan del' Aiguille, au- dessm; de Chamonix, renferme un petit lac.

DEUXIÈME PARTIE

Une fois sortie du glacier de Tête-Rousse, la masse d'eau se précipita sur le couloir neigeux qui se trouve au pied du glacier; au bas de ce couloir elle se divisa en deux courants; le premier suivit un petit thalweg, incliné de 10° environ, pour tomber sur la moraine droite du

~!acier de Bionnassay; le second remonta une contre- pente de quelques mètres de hauteur pour se précipiter

~nsuite, par trois autres branches, sm· la même moraine, en descendant le contrefort rapide de la montagne des Rognes. Sur tout le passage de l'eau, le terrain a pris une teinte caractéristique; les blocs ont été lavés et couchés dans le sens du courant; en quelques endroits ils ont formé un véritable béton à cailloux imbriqués; par pla- ces, notamment sur les Rognes, la roche est mise à nu.

Quelques rares blocs de glace se sont arrêtés dans cette première partie du trajet; le reste est descendu sur la moraine du glacier de Bionnassay pour s'y déposer ou

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SUR LA CATASTROPHE · DE SAINT-GERVAIS. 9 pour être emporté plus Join. On a aperçu, dans la journée du 12, quelques glaçons. entraînés par I' Arve. D'ailleurs, comme nous le verrons plus loin, la glace, qui cubait 90,000 mètres cubes au maximum, était en quantité insignifiante par rapport aux autres matériaux solides transportés.

Les eaux arrivèrent ainsi dans une petite vallée, large de 120 mètres environ, comprise entre la moraine laté- rale droite du glacier de Bionnassay et la paroi rocheuse des Rognes; là elles se concentrèrent pour constituer le torrent. proprement dit. Celui-ci, sur_ un parcours de 500 mètres, coula sur un espace où la pente est de 5° en moyenne, endigné entre Je rocher et la moraine qui fut profondément excavée. Il n'en reste actuellement que la partie gauche, qui montre une surface ravinée à profil concave. C'est à partir de ce moment que commence ce charriage de matériaux, boue, sable, blocs, etc., qui de- vint plus tard si considérable. Toutefois le ralentissement de la vitesse dans cet espace plat fut assez grand pour empêcher le transport des gros blocs qu'on retrouve actuellement émergeant du sol. Il est évident, en effet, que les eaux n'entraînèrent que fort peu de boue des hau1tes régions, siège de la catastrophe; il en est de même pour les blocs éboulés, car, la pente n'étant pas uniforme, mais coupée par quelques replats en gradin, ils auraient eu peu de chance d'arriver jusqu'au bas. De plus il faut remarquer que la quantité de. matériaux glaciaires con- temporains entraînés est relativement minime par rap- port au glaciaire ancien mis ultérieurement en mouve- ment par le torrent; elle se borne à ce qui a été emporté dans cette partie très restreinte du cours. Le torrent lui- même n'a pail coulé, comme cela a été dit, sur le glacier

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10 SUR LA CATASTROPHE DE SAINT-GERVAIS.

de Bionnassay; c'est à peine s'il a éclaboussé quelques mètres carrés de la partie droite de son extrémité. Il dé- boucha dans la vallée de Bionnassay en passant entre la paroi rocheuse et un gros rocher I\1outonné_ qui fait saillie et qui l'a ainsi naturellement séparé de l'extrémité du gla- cier. (La fig. 5, pl. VI montre un profil transversal de cette région.) Après avoir cascadé sur une courte pente, il alla s'engouffrer dans Je thalweg du torrent de Bionnassay en produisant une vague énorme dont on retrouve facile- ment la trace sur la rive gallche du torrent un peu en amont du village. Cette vague causa en cet endroit la perte d'un chalet et entraîna quelques sapins. Sur toute cette première partie de son cours, le torrent a déposé sur son lit un épais cailloutis enlevé à la moraine, et dans le milieu duquel Je mince filet d'eau boueuse qui descend actuellement du glacier de Tête-Rousse s'est pra- tiqué un sillon étroit.

L'irruption du torrent dans la vallée fut annoncée aux habitants par une formidable détonation (produite an moment de la rupture et de la chute du bout du glacier), suivie d'un violent déplacement d'air et d'une trépidation du sol simulant à tel point un tremblement de terre, qu'à Bionnassay, par exemple, plusieurs habitants ont senti leur maison osciller sur sa base, comme si elle eût été ébranlée par des secousses successives. Le coup de vent a été ressenti sur tout Je parcours du torrent. C'est lui qui déracina plusieurs sapins, fit partir la toiture de certains chalets et coucha contre le sol les herbes des rives. En amont du village de Bionnassay, ces herbes paraissaient grisâtres sur une certaine étendue; en les examinant de plus près, on les voyait recouvertes de petites particules de limon très fin qui devait certainement avoir été main-

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SUR LA CATASTROPHE DE SAINT-GERVAIS. H tenu en suspension dans une grande quantité d'eau; on eût dit une fine pulvérisation d'eau boueuse répandue sur le gazon à une certaine distance de la berge; l'expérience faite avec une eau boueuse et un pulvérisateur a du reste donné des résultats absolument identiques. Nous n'avons pas observé ce fait au delà du village de Bionnay, où la boue a été incontestablement beaucoup plus visqueuse;

cette observation semble bien prouver que le caractère du torrent dans sa partie tout à fait supérieure était celui d'un courant d'eau, boueuse c'est incontestable, roulant de gro3 bloc8, des cailloux, etc., c'est encore vrai, mais qui n'était pas encore un courant boueux dans le sens propre du mot. Dans la région située entre l'extrémité du glacie1· et le village, le thalweg du torrent de Bionnassay, creusé dans des matériaux meubles, était assez large pour pouvoir contenir toute l'eau qui s'écoulait; c'est la rai- son pour laquelle Bionnassay n'a pas souffert. L'eau se borna à éroder fortement les deux berges en enlevant les matériaux arrachés; mais, à partir de Bionnassay, le lit du torrent se resserre entre deux parois rocheuses recou- vertes par d'anciens dépôts glaciaires, et finit par s'en- }aisser dans une véritable gorge à pic en certains en- droits. Partout ce manteau glaciaire supporte une couche d'humus avec des sapins et de la végétation. Dans cet espace étroit, la pente étant de plus assez forte dans la région, la puissance érosive du torrent atteint son apo- gée; en de nombreux endroits on peut voir que le revê.- tement glaciaire a été fortement érodé, quelquefois même jusqu'au roc, et que presque partout ce revêtement sur- plombe à la partie supérieure de la gorge (voir fig. 6, pl. VI).

On peut dès lors se faire une idée exacte de ce qui a dû se passer·dans cette gorge; les deux rives étaient exca-

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-12 SUR LA t:ATASTROPHE DE SAINT-GERVAIS.

vées et les matériaux arrachés, immédiatement repoussés

~t mis en mouvement, tandis qu'en arrière les parties supérieures, n'étant plus étayées, s'éboulaient au fur et à mesure et tombaient à la surface du torrent. C'est dans eette gorge que commença alors le charriage de cette énorme quantité de bois qui s'entassa en partie sur le eône de déjection, en partie fut entraînée dans le lit de l' Arve, et qui provenait des sapins établis sur les portions éboulées. Le nombre de ces troncs est si grarid, et la gorge en certains endroits si resserrée, qu'il faut forcé- ment admettre qu'ils ont sur plusieurs points recouvert eomplètement la surface du torreut et supporté dès lors les nouveaux éboulements, qui ont été transportés ainsi par flottage. Dans cette masse d'eau, de cailloux, de troncs et· de boue, il devait s'opérer une friction effroya- ble. En effet, les troncs de sapins accumulés sur la digue de Bionnay, dont il sera question plus Join, sont tous dépouillés de leurs branches, brisés et décortiqués, et cependant le trajet qu'ils ont accompli dans la gorge est de 2 à 3 kilomètres à peine.

Quant à la hauteur qu'atteignait l'eau dans la gorge, on peut lui assigner en moyenne entre 30 et 35 mètres.

Quelques personnes ont été jusqu'à lui attribuer 100 mè- tres, ce qui est exagéré. Ce qui a peut-être contribué à les induire en erreur, c'esî qu'on voit ici et là la boue recouvrir le faîte des plus hauts sapins du sommet de la gorge; mais cela ne prouve pas que l'eau ait atteint ce niv~au; bien au contraire, cette hauteur exceptionnelle n'est que le résullat de quelques hautes vagues qui on~

projeté la boue bien au-dessus du niveau réel du torrent.

Cette hauteur de 30 mètres n'en est pas moins très con- sidérable, si l'on tient compte surtout de la pente, qui,

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SUR LA CATASTROPHE DE SAINT-GERVAIS. 13 entre Bionnay et Bionnassay, est de 16

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Cependant

elle s'explique par un barrage momentané qui s'est in- contestablement formé à l'extrémité de la gorge de Bionnassay. Celle-ci est en cet endroit très resserrée, et taillée dans le roc (fig. 7, pl. VI), elle s'est donc facile- ment oblitérée par les matériaux repoussés et charriés par le torrent, bois flottés, blocs, etc. Les eaux se sont alors accumulées en amont, ont repoussé le barrage, qui n'a duré qu'un instant, et se sont précipitées dans la val- lée de Montjoie pour rejoindre le lit du Bon-Nant. A leuï sortie de la gorge les eaux s'étalèrent latéralement; leur- niveau, de 30 mètres qu'il était, tomba à 7 ou 8 mètres, et elles suivirent la ligne de plus grande pente en occu- pant une surface assez grande comprise entre un angle rocheux et le village de Bionnay. Une partie de celui-ci fut détruit, ce qui en reste fut protégé contre un enfouis- sement complet par une digue naturelle formée par des bois flottés et disposée obliquement. Cette digue rejeta le torrent sur la rive gauche du Bon-Nant; on la voit en certains endroits, puissante de 0,50 à 2 mètres, s'arrêter- au seuil même d'un chalet qui n'a pas été recouvert par- la boue. A Bionnay, en effet, c'était déjà un courant de boue qui s'écoulait, bien que ce soit à vrai dire à partir- de cette localité que le charriage des plus gros blocs et de la plus grande masse de matériaux ait commencé.

A Bionnay et en aval de cette localité on peut se ren·

dre un compte exact de la manière dont les chalets des riverains ont été anéantis. Pour cela choisissons un profil transversal (fig. 8, pl. VI) fait dans le Bon-Nant un peu au-dessous du village. La rive gauche est généralement plus en pente que la rive droite; le thalweg· entier est creusé dans des matériaux glaciaires qui· recouvrent une forte épaisseur du sol.

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1!J. SUR LA CATASTROJ;'HE DE SAINT-GERVAIS.

Il est aisé de voir, en suirnnt le lit du torrent de Bion- uay jusqu'au Vernet, que les daux berges ont été forte- ment érodées; il manque là une masse de matériaux qui ont été arrachés. Il s'ensuit que toutes les constructions établies sur les lalus du thalweg ont été emportées. Au

~ontraire, sur la plate-forme à faible pente qui domine la berge, le torrent a alluvionné; il a déposé une épaisseur variable de boue et de détritus qui, aux abords immédiats du torrent, peut être assez considérable. Les construc- tions qui se sont trouvées P,n cet endroit ont été écrasées -0t recouvertes. En effet, dès qu'il eut pris possession du lit du Bon-Nant qu'il remplit jusqu'au bord, le torrent s'écoula avec des péripéties diverses, rejeté tantôt sur la rive droite, tantôt sur la rive gauche par les sinuosités de son cours, avançant comme une masse cohérente en repoussant au-devant de lui les matériaux qu'il arrachait à ses berges et l'eau qu'il rencontrait dans le lit du Bon-

Nant, précédé ainsi par une partie liquide bientôt suivie d'une masse visqueuse. Un examen attentif de l'altitude des dépôts vaseux laissés sur les deux rives y montre une

~onstante alternance; tantôt la vase occupe un niveau plus élevé sur la rive droite, tantôt c'est l'inverse. La surface de la masse qui s'écoulait n'était donc point plane; elle formait une convexité dont la crête, rarement

~entrale, oscillait alternativement à droite et à gauche, et dont la pente des deux versants était très différente {fig. 8).

Nous avons dil plus haut qu'à Bionnay c'était de la boue qui s'écoulait; en voici quelques preuves à l'appui qui montreront bien quel en était le caractère.

Entre les villages de .Bionnay et de Vernet, se trouve un chalet situé à une dizaine de mètres du thalweg. Sur

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SUR LA CATASTROPHE DE SAINT-GERVAIS. 15 le bord même de celui-ci on peut voir un arbre de la hauteur du chalet, qui. a été respecté par le torrent. Or cet arbre a été recouvert de bone de la base au sommet.

Celle-ci a dû, sur le bord, atteindre la hauteur du chalet.

et cependant elle s'arrête franc à quelques mètres de

~elui-ci, qu'elle n'a point touché; les herbes, à quelques

~entimètres de la nappe de boue, sont intactes et non

~ouvertes de projections, comme c'était le cas à Bionnas- say. Il faut donc admettre une très rapide décroissance de la vague et une grande viscosité dans la masse.

Ailleurs, la boue ayant débordé du lit du torrent, la partie la plus fluide de celle-ci rencontra la route de Saint-Gervais à Contamines et y fut projetée en s'y écoulant et la recouvrant d'une couche vaseuse de 60 à 25 centimètres d'épaisseur, qui suivit le canal naturel formé par la route jusqu'un peu en amont de Vernet.

Cette boue coula sur la route presque plate grâce à l'im- pulsion acquise et s'y comporta comme une masse vis- queuse. En effet, à droite el à gauche de la route, les herbes, les chaumes, etc., ne sont point éclaboussés, ni salis; leurs racines seules étaient sous l'eau; mais une eau presque claire, peu boueuse, qui s'était séparée mécanique- ment de la vase sans projection violente. Ce fait curieux a été reproduit expérimentalement avec une exactitude par- faite en faisant arriver brusquement sur une surface plate un courant épais de sable et d'eau qui s'écoulait dans un canal artificiel. Le sable s'abattait d'une manière régu- lière, et l'eau fuyait latéralement sans projections violen- tes. Elle était à peine troublée.

Un peu en aval de Vernet Je lit du torrent se resserre de nouveau dans la gorge de Saint-GerYais qui, un peu au-dessus de l'établissement des bains, est, comme on Je

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'l 6 SUR LA CATASTROPHE DE SAINT· GERVAIS.

sait, très étroite, fort en pente, et présente un saut brus- que. Il est évident qu'en cet endroit Je mode d'affouille- ment et d'éboulement décrit dans la gorge de Bionnay se reproduisit avec les mêmes caractères. 11 semble même, d'après l'examen des blocs charriés sur la plaine d'allu- vion, que du roc vif aurait été arraché directement aux parois de la gorge.

Quelques personnes ont même pensé qu'en amont de l'établissement des bains il s'était formé un second bar- rage. La chose est possible; quoi qu'il en soit, il est cer- tain que la forte pente en cet endroit contribua à accélérer la vitesse du torrent, qui se précipita sur l'établissement des bains et y exerça les ravages que l'on connaît.

Au débouché de l'étroite gorge, le Bon-Nant fait un coude, et celle-ci s'élargit. C'est sur le terrain plat situé au fond de cet élargissement que les bains étaient cons- truits. Le torrent, toujours précédé de son coup de vent particulièrement intense dans cette gorge resserrée, se précipita dans l'élargissement qu'il remplit jusqu'à la hauteur de 6 à 7 mètres en détruisant une partie des bâtiments sous une trombe d'eau bientôt suivie d'une véritable avalanche de boue. La pente en cet endroit diminue sensiblement, de sorte que tout cet espace fut en même temps alluvionné et recouvert d'une couche de vase et de cailloux qui atteint 3m,50 d'épaisseur et en- sevelit les bâtiments restés debout jusqu'à la hauteur de la première galerie. La ligne de vitesse maxima sem- ble avoir été comprise entre les bâtiments restants; elle est jalonnée par une série de blocs, tandis que sur la gauche le niveau de la vase est moindre, celle-ci plus fine, les blocs moins abondants. Sur la droite, les maté- riaux déposés ont été rapidement déblayés par le Bon-

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SUR LA CATASTROPHE DE SAINT-GERVAIS. ·( 7 Nant, de sorte que le profil transversal qu'on peut lever sur l'établissement des bains n'est pas symétrique; le niveau des dépôts est bien plus élevé sur la droite.

C'est sur l'emplacement des bains qu'on trouve les plus gros blocs. Quelques-uns, énormes, mesurent jus- qu'à 200 mètres cubes. On peut en voir un gigantesque occupant l'emplacement où se tl'Ouvait jadis l'hôtel; il a peut-être contribué à protéger ce qui en reste contre une destruction plus complète. Ces blocs sont en majeure par- tie des blocs de quartzite triasique arrachés aux berges ou tombés par éboulement. On est stupéfait en voyant le nombre et la grosseur de ces blocs charriés, et, quelle que soit l'idée que l'on puisse se faire de la puissance méca- nique de l'eau en mouvement, elle reste au-dessous de la réalité.

Cette puissance de transport résulte aussi du fait que la masse qui s'écoulait avait une densité élevée qui dimi- nuait considérablement le poids des rocs. D'autre part, il paraît certain qne plusienrs d'entre eux ont été transpor- tés par ~ottage, supportés par des radeaux naturels for- més par des troncs enchevêtrés. En effet, à plusieurs endroits, entre Bionnay et le Fayet, on peut observer des blocs qui reposent sur des radeaux analogues.

Au sorlir de la gorge de Saint-Gervais, la boue s'avança jusqu'au Fayet, qui fut détruit; le pont seul resta debout; à sà surface des blocs furent déposés, ce qui semble montrer que ceux-ci ne cheminaient pas seule- meni dans l'intérieur du torrent; puis, rencontrant la plaine, la masse s'étala en ralentissant considérablement son mouvement et forma un immense cône de déjection tonenliel.

Ce qu'il y a de remarq nable, c'est que le torrent dans

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18 SUR LA CATASTROPHE DE SAINT-GERVAIS.

cette partie ne suivit pas son lit habituel; le gros de la boue fut rejeté sur la gauche du côté des granges de Passy et recouvrit la contrée d'une nappe de vase d'épaisseur très variable qui peut atteindre jusqu'à 3m,50 en certains endroits.

Si l'on cherche à savoir quelle était la vitesse du cou- rant, on se heurte aux plus grandes difficultés. D'abord il est évident que celle-ci a varié selon les régions du cours.

Si l'on veut évaluer la vitesse moyenne par le temps em- ployé par le torrent pour se rendre de Bionnassay au Fayet, on se trouve en présence des estimations les plus discordantes. Toutefois, d'après l'intensité des phénomè- nes d'érosion et de transport effectués sur le parcours, par comparaison avec les effets connus des torrents ordi- naires, nous pensons qu'en assignant à cette vitesse le chiffre de 10 mètres par seconde on est peut-être encore an-dessous de la réalité. Avec une vitesse semblable, il aurait fallu au torrent 20 minutes environ pour arriver jusqu'au Fayet. Ce chiffre correspond bien à la majorité des appréciations; du reste, si le torrent avait mis une heure, comme cela a été dit, pour effectuer son trajet, précédé du bruit énorme qu'il produisait, il aurait été entendu, et les riverains auraient pu s'éveiller et se sau- ver. Il est de plus évident que l'écoulement de cette masse n'a pas duré longtemps et que toute l'eau a passé par un profil donné en un temps très court 1

Nous connaissons assez exactement la quantité de ma- tières apportée soit dans la gorge des bains de Saint-Ger- vais, soit dans la plaine du Fayet. D'après un lever fait

1 Le parcours total de l'avalanche, en plan est de 12 kilom.

environ; la chute verticale, clu glacier de Tête-Rousse (3200"') an Fayet (560'"), est de 2640 mètres environ.

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SUR LA CATASTROPHE DE SAINT-Gl!:RVAIS, 19 sous la direction de M. Allégret, ingénieur de la Ci•

P.-L.-M. à. Bonneville, qui nous en a obligeamment com- muniqué les résultats, la surface recouverte de vase dans la plaine do Fayet, en aval du pont de la route départe- mentale n° 4, est de 75 hectares, et l'épaisseur moyenne de la vase est de Om,So, ce qui donne un cube de 600,000 mètres cubes. Dans la gorge des bains, depuis l'établissement jusqu'au pont en question, la surface est de 6 à 7 hectares et l'épaisseur moyenne de la vase de 3 mètres, ce qui donne environ 200,000 mètres cubes.

On arrive ainsi à un total de 800,000 mètres cubes.

Au premier abord il semble extraordinaire que 100,000 mètres cubes d'eauaient pu mettre en mouvement 800,000 mètres cubes de matières solides.Cependant pareil phénomène arrive fréquemment dans les torrents des Alpes et des Pyrénées. Dans une note très intéressante sur la catastrophe de Saint-Gervais i M. Demontzey, cor- respondant de l'Institut, dont la compétenc0 sur les ques- tions torrentielles est universellement reconnue, estime qu'il n'y a là aucune anomalie.

Pour tàcher de me faire une opinion snr· lct manière dont cette eau a pu mettre en mouvement une si grande quantité de matériaux, j'ai eu recours à l'expérience.

Dans un couloir en bois long de 3m, large de 14· centi- mètres sud Ode haut, simulant le thalweg du torrent,j'ai essayé de faire écouler, sans vitesse initiale, des masses fluides artificielles, obtenues en pétrissant de l'argile avec de l'eau en quantité déterminée. La masse visqueuse était posée dans le couloir, retenue immobile par une pièce de bois en a val; celle· ci était enlevée et on examinait

1 Comptes rendus, 8 aoî1t 1892.

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20 SUR LA CATASTROPHE DE SAINT-GERVAIS.

alors le moment où l'écoulement commençait à se pro- duire. Dans ces conditions il fallait au moins 50

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0 d'eau pour que la masse esquissât une tentative d'écoulement.

On peut donc en conclure que, avec une forte pente, sans vitesse initiale, il faut au moins cette quantité d'eau pour créer un torrent susceptible de couler. J'ai ensuite répan- du sur le lit du torrent artificiel du sable, des graviers, de la vase, etc., préalablement humectés, puis j'ai fait arriver dessus une quantité d'eau plus petite que la masse répan- due, après lui avoir communiqué préalablement une vitesse initiale par une chute artificielle suivie d'un certain parcours dans le couloir. La pente était en moyenne de 20°. Dans ces conditions j'ai vu que l'eau pouvait mettre en mouvement une masse de matériaux bien supérieure à son prnpre poids.

Ces expériences sommaires permettent de conclure que celte, puissance de transport doit être recherchée sans doute dans la grande vitesse acquise par le torrent dans la partie tout à fait supérieure de son cours, vitesse acquise grâce à son état de grande fluidité; puis aussi dans la spontanéité de la masse_ qui s'écoulait. C'est alors seulement pendant son trajet et d'une manière progres- sive que le torrent passa insensiblement au type d'un torrent boueux.

Une preuve que la quantité d'eau sortie dn glacier n'a pu être de beaucoup supérieure à 'I 00,000 mètres cubes nous est donnée par le niveau de l' Arve le ·12 juillet, jour de la catastrophe.

Voici, d'après le service des eaux de Genève, les niveaux de cette rivière au limnimètre de la passerelle de la jonc- tion à Genève, les 1 '1 et '12 juillet à différentes heures de la journée.

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H 9 h. a. m. 1mso 2"'25

Il faut remarquer que, pendant le mois d'août, le niveau de !'Arve est toujours plus élevé à 9 h. du matin que dans l'après-midi; cela tient à ce que les eaux des glaciers, qui sont abondantes surtout dans l'après-midi, n'arrivent à Genève que le lendemain matin. Les eaux du glacier de Tête-Rousse ont dû arriver à Genève vers midi.

Or, d'après le dire des riverains, l'augmentation de niveau qui s'est produite à ce moment n'a pas dépassé

•I 0 centimètres 1Malgré l'aplatissement considérable qu'a dû subir la crue dans le irajet de Saint-Gervais à Genève, il est probable que, si la quantité d'eau avait été de beau- coup supérieure à 100,000 mètres cubes, on aurait re- marqué à Genève une élévation assez notable de l' Arve.

Nous ajouterons que, malgré cette constance de niveau, le régime del' Arve a été profondément modifié. La quan- tité de vase charriée par cette rivière a atteint, dans la journée du 12, 7 k. 79 par mètre cube. La quantité

1 Comme nous le verrons plus loin, elle a été de Qm,so à Sal- lanches, au pont de St-Martin.

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22 SUR LA CATASTROPHE DE SAINT-GERVAIS.

charriée en août, par un niveau de 1 mgo, est en moyenne de 200 à 500 grammes par mètre cube. La plus forte quantité observée précédemment avait été de 5 k. par mètre cube, le 3 oclobre 1888, par un niveau de 4m,43.

CONCLUSION

Il nous paraît donc démontré que c'est' à l'écoulement subit d'une poche d'eau intraglaciaire que l'on doit attri- buer la catastrophe de St-Gervais. Notre opinion n'est point partagée par tout le monde. Notre savant ami le professeur Forel ne peut croire à l'accumulation d'une masse d'eau importante sous un glaciet· pareil à celui de Tête-Rousse. D'après lui 1,la catastrophe serait due à une simple avalanche de glace, provoquée par la chute de la partie frontale du glacier qui, suivant l'opinion de M. Fo- re!, se serait avancée fort bas et en surplomb dans le cou- loir neigeux dont nous avons parlé. La masse de glace, que M. Forel estime, d'après les indications données par un chasseur de chamois, à 1,500,000 ou 2,000,000 mètres cubes, se serait pulvérisée, en partie liquéfiée par sa chute et aurait pu, à l'état semi-fluide, glisser sur la moraine horizontale du glacier de Bionnassay; puis, recueillant l'eau des torrents de Bionnassay et de Bion- nay, elle aurait fini par former une masse boueuse qui serait parvenue jusqu'au Fayet.

La très grande autorité de M. Forel dans les questions glaciaires donnait à son explication une importance

1 Comptes rendus, 18 juillet 1892.

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SUR LA CATASTROPHE DE SAINT-GERVAIS. 23 toute spéciale, et, dans les trois explorations que nous avons faites, nous avons examiné, avec Je plus grand soin, si l'ingénieuse hypothèse du professeur de Lau- sanne pouvait rendre compte des faits observés. Nous sommes arrivés à la conviction que cette hypothèse doit être écartée. Voici les raisons sur lesquelles nous nous appuyons .

1° La formation par l'eau des cavités du glacier de Tête-Rousse a été démontrée dans la première partie dn mémoire .

2° Une inspection des lieux nous a montré d'une ma- nière évidente que le glacier de Tête-Rousse descendait beaucoup moins bas que Je suppose M. Fore!. Tous les témoignages que nous avons recueillis confirment notre manière de voir. L'un de nous, qui est monté sur le glacier de Tête-Rousse il y a quelques années, affirme qu'il n'y avait aucun surplomb, mais une simple pente de neige, dans laquelle on taillait des pas. C'était le chemin habituel de l' Aiguille du Goûter. Il n'est donc pas tombé 1,500,000 ou 2,000,000 mètres cubes de glace, mais bien 90,000 au maximum.

3° L'altitude de la moraine du glacier de Bionnassay, sur laquelle la pente est de 5°, est de '1, 700 mètres envi- ron. En supposant que les 90,000 mètres cubes de glace, tombés sur cette moraine du glacier de Tête-Rousse, en faisant une chute de 1,500 mètres, se soient intégrale- ment convertis en eau (phénomène tout à fait contraire à ce qu'on observe dans les avalanches de glace), un calcul très simple montre qu'on aurait obtenu seulement 4000 mètres cubes d'eau, quantité tout à fait insuffisante pour mettre en mouvement 800,000 mètres cubes de maté- riaux solides .

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2ft- SUR LA CATASTROPHE DE SAINT-GERVAIS.

4° En supposant que toute la glace ait été non pas fondue, mais pulvérisée dans sa chute, ce qui est plus vraisemblable, il est inadmissible de supposer que 90,000 mètres cubes de glace, même pulvérisée, puissent glisser sur une pente rugueuse de 5° s'étendant sur un parcours de 500 mètres 1 _

L'eau seule a donc été la raison de la catastrophe, la glace n'a joué, dans les dégâts causés, qu'un rôle tout à fait insignifiant.

Deux questions se posent naturellement.

Pouvait-on prévoir la catastrophe?

Comment en empêcher le retour?

A la première question il faut répondre non; l'accu- mulation d'une pareille masse d'eau sous un glacier pa- raît être un fait unique dans les annales géologiques.

La réponse à la seconde question est moins simple. Le lac intraglaciaire tendra à se reformer, puisqu'il résulte de la configuration même des lieux. Le remède consiste- rait à faire sauter les seuils rocheux et à aplanir le lit du

glaci~r pour empêcher les crevasseg de fond de se refor- mer et prévenir l'accumulation des eaux. Mais cette opé- ration serait fort difficile. Nous ne serions pas surpris qu'une nouvelle catastrophe se produisit à brève échéance.

Dans notre expédition du ·19 août, nous avons constaté

1 Nous ajouterons encore que, d'après des renseignements qui nous ont été communiqués par M. Clerc, agent-voyer à Sallan- ches, le niveau de l'Arve s'est élevé dans cette dernière localité de om,so le 12 juillet, vers 2 heures du ma.tin. Cette élévation de niveau a duré à peu près une heure, preuve du passage d'une quantité d'eau anormale.

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SUR LA CATASTROPHI!: Dl<: SAINT·0GERVAIS. 25 que la cavité inférieure se déformait d'une façon notable et que Je couloir qui la fait communiquer avec la cavité supérieure est en grande partie obstruée. Si l'obstruction devenait complète, le ruisseau qui alimente la cavité su- périeure la remplirait assez rapidement (environ

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jours). Le rempart de glace qui soutiendrait ce lac à l'aval n'ayant que 40 mètres d'épaisseur, étant de plus excavé à sa partie inférieure, céderait probablement sous la pres- sion de l'eau .

De toute façon, une surveillance continue du glacier s'impose; nous sommes persuadés que les autorités com- pétentes sauront prendre les mesures nécessaires pour prévenir le retour d'une catastrophe aussi terrible que celle du l 2 juillet. Nous réclamons également le concours des nombreux touristes qui parcoment ces hautes régions.

Par une remarque judicieuse, par une observation intel- ligente, ils peuvent préserver le pays d'une effroyable ca- lamité .

Genève, le ·l or septembre 1892 .

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