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Submitted on 28 May 2020
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Les éleveurs ont l’herbe mauvaise
Pascal Carrère
To cite this version:
Pascal Carrère. Les éleveurs ont l’herbe mauvaise. La Montagne et Alpinisme, Fédération Française des clubs alpins et de montagne, 2013, pp.1. �hal-02641943�
6 MARDI 28 MAI 2013LA MONTAGNE
dossier
Cantal
Intempéries
CONSÉQUENCES ■ Froid, pluie et neige dégradent la qualité des prairies et compromettent les productions
Les éleveurs ont l’herbe mauvaise
Jeanne Bernardon locale@centrefrance.com
L
a neige se met à tournoyer audessus des toits de la ferme. Le chien, plus frileux sans ses poils d’hiver, s’abrite.
Nous sommes le 24 mai.
Comme Thierry Bartho
meuf, éleveur bovin à Fontanas, sur la commune d’Orcines, au pied du puy de Dôme, les éleveurs sont tous concernés par le mauvais temps qui persis
te. « L’an dernier, à cette époque, nous avions déjà fait un tiers du foin », in
dique le jeune agriculteur.
Piétinement des sols danger !
En altitude, le froid a tout anesthésié. L’herbe ne pousse pas. Tandis qu’il neige sur les hauteurs, plus bas, les terres en pâ
turage se gorgent d’eau.
Trop.
« En plaine, les plantes fourragères ont déjà épié.
Passé ce stade, l’herbe ne vaut plus rien, même pas de la paille », constate Jean Zapata, conseiller fourrager à l’Établissement départemental de l’éleva
ge (EDE) du PuydeDôme et intervenant à la Cham
b r e d é p a r t e m e n t a l e d’Agriculture.
Noyée, l’herbe perd ses vertus nutritionnelles (voir cidessous). Pour mainte
nir une qualité de produc
tion, beaucoup d’éleveurs ont recours aux complé
ments alimentaires à base
de céréales, de colza, entre autres, pour nourrir leurs bêtes. Les coûts de pro
duction augmentent en conséquence. « Il est dur d’évaluer combien ça nous coûte car on com
plémente au cas par cas.
Tout ce que je sais c’est qu’il en faut une bonne quantité pour compenser la piètre qualité de l’her
be », avance Serge Char
ret, producteur laitier à
Enval, près de Riom (Puy
deDôme).
La météo de ce prin
temps a d’autres effets pervers sur l’élevage. Par
tout, les vaches sont en train de défoncer les sols.
« À force de piétiner dans la boue, c’est la structure même du terrain qu’elles abîment. Elles le tassent et une croûte se forme. Il ne faudra surtout pas retour
ner les prairies au risque
de les dégrader encore plus », avertit Pascal Car
rère, directeur de l’Unité de recherche en écosystè
me prairial, à l’Inra.
Quelle solution ? Rentrer les troupeaux ? « Non, ça ferait trop d’écart de tem
pérature, les veaux tombe
raient malades. J’en ai déjà un qui a pris froid », témoigne Thierry Bartho
meuf. « Dans l’urgence, l’une des solutions est de
faire du déchargement.
C’estàdire faucher dès maintenant, isoler le trou
peau sur une partie non fauchée de la parcelle, puis attendre que l’herbe repousse ailleurs et assu
rer une rotation des bêtes, de zone en zone », préco
nise le chercheur.
En montagne, « rien n’est perdu », rassure Jean Za
pata. Les espèces tardives ne sont pas encore mon
tées en épi. Simplement, il ne faudrait pas que la mé
téo persiste dans ses ca
prices. « Si la pluviométrie se maintient, l’herbe trop haute finira par se cou
cher et pourrir au sol », craintil.
Dans le cas contraire, si les températures décollent d’un coup et la végétation explose, les éleveurs de
vront se montrer réactifs au fauchage et à l’ensilage, pour éviter les pertes.■
Le ciel déverse son fiel et c’est toute la filière de l’éle- vage qui trinque. En monta- gne comme en plaine, les agriculteurs craignent pour leur activité si la météo se maintient.
INCERTITUDE. Les conditions météo retardent l’activité des éleveurs en montagne. En plaine, les vaches broutent une herbe de bien piètre qualité sur un sol saturé en eau. PHOTO SOPHIE GRAND
« Quand elles ont les pieds dans l’eau, les plantes s’asphyxient »
Pascal Carrère est directeur de l’Unité de recherche sur l’écosystème prairial, à l’Inra (site de Crouël, à Clermont-Ferrand).
Son équipe s’attache à la compréhension de l’écosys
tème prairial et l’interaction herbeanimal.
■En plaine, l’herbe est pré- sente en quantité. Mais en qualité ? Quand il pleut beaucoup, comme en ce moment, l’herbe pousse sans limites… Jusqu’à un certain seuil. Une plante qui a les pieds dans l’eau n’a plus d’oxygène et elle s’as
phyxie. On appelle ce phé
nomène l’anoxie. La satura
tion du sol en eau empêche donc les racines des plantes d’avoir une bonne activité.
C’estàdire de puiser les matières minérales qui se
ront ensuite absorbées par
les animaux. Également, avec l’absence de soleil, la plante manque d’énergie pour la photosynthèse. En montagne s’ajoute un autre facteur : le froid. Il entraîne des retards de croissance.
■Dans quelle mesure la vian- de et le lait produits s’en trou- vent-ils affectés ? L’animal puise ses nutriments dans la matière sèche présente dans le sol. Les éléments qu’elle contient déterminent la qualité de la viande et du lait. Concrètement, ce sont les matières grasses. Or, avec toute cette pluie, les matiè
res sèches sont plus diluées.
Là où la plante devrait en contenir 20 %, elle n’en con
tient plus que 15 %. Le reste, c’est de l’eau. En plus de mal nourrir les bêtes, l’herbe peut encombrer leur panse et les rendre malades.■ NUTRIMENTS. La qualité de la viande et du lait produits est directement liée à celle de
l’herbe. PHOTO D’ILLUSTRATION CHRISTOPHE MASSON
« Attention à ne pas retourner les prairies, pour ne pas aggraver l’état du sol »
PASCAL CARRÈREDirec- teur de l’Unité de re- cherche sur l’écosystè- me prairial, à l’Inra.