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En 1917, les Etats-Unis volent au secours d’une Entente en bien mauvaise posture.

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Texte intégral

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En 1915, l’Italie opère son entrée en guerre après avoir obtenu la promesse de recevoir le Trentin, le Haut-Adige, Trieste, l’Istrie, une partie de la Dalmatie et des îles adriatiques.

En 1917, les Etats-Unis volent au secours d’une Entente en bien mauvaise posture.

L’accord conclu entre Rome, Londres et Paris deux ans plus tôt n’engage nullement Thomas Woodrow Wilson. Jusqu’à la cessation des hostilités, ce débat ne se pose pas, surtout que le traité est secret. Par contre, avec l’ouverture de la Conférence de la Paix, le problème se pose avec acuité. En effet, la paix voulue par le président américain, rejetant la vieille diplomatie secrète et appelant à l’autodétermination des peuples, se heurte fron- talement aux visées italiennes et aux principes franco-anglais

1

.

Ce constat augure de discussions laborieuses qui n’ont guère de chances d’aboutir. A Paris, l’Italie réclame tous les territoires à l’intérieur de ses frontières naturelles. Thomas Woodrow Wilson n’oppose aucune objection, y compris lorsqu’il s’agit d’annexer des îlots peuplés par d’autres nationalités. En soi, cet agrandissement n’est néanmoins pas considéré par Rome comme un succès satisfaisant. En effet, elle ne vise pas moins que le contrôle de l’Adriatique. Sur base de raisons ethniques et économiques, elle revendique Fiume ; sur d’autres, ethniques et stratégiques, elle exige une bonne part de la côte dal- mate. Le président américain rejette ses arguments : tout d’abord, seule la ville en litige est de peuplement italien, ses alentours étant déjà slaves ; ensuite, ce port constitue le débouché naturel des pays danubiens et non de l’Italie ; enfin, les négociations devraient être impossibles si chaque pays venait à revendiquer la côte qui fait face à la sienne. Tou- jours inflexible sur Fiume qu’il destine à devenir une ville libre, Thomas Woodrow Wil- son accepte l’idée de céder la ville de Zara (Zadar en serbo-croate), plus au sud. Alors que l’impuissance de Rome à imposer ses vues sur la scène internationale provoque une crise gouvernementale majeure en Italie, les Yougoslaves finissent par se montrer tout aussi intransigeants. Les uns après les autres, les compromis tombent donc à l’eau. De surcroît, le rapport de force entre Alliés ne s’éclaircit pas : Paris et Londres ne manifes- tent aucun enthousiasme à soutenir leur allié transalpin

2

.

Cependant, un furtif instant, une solution semble se dessiner. En août 1919, la formule wilsonienne est acceptée par les parties : Fiume s’apprête à devenir une ville libre. Mais, le 12 septembre 1919, avec la complicité de l’armée italienne, le poète nationaliste Ga- briele d’Annunzio prend la ville. Néanmoins, contre l’avis de son opinion publique, le 12 novembre 1920, le gouvernement romain conclut le traité de Rapallo avec son homologue de Belgrade : prévoyant l’indépendance du port, il recourt à des éléments militaires restés

1 BECKER, Jean-Jacques, op. cit., p. 73. Pour l’illustration cartographique des différents litiges sur les frontières de la Yougoslavie, les cartes 8 et 9 (pp. 468 et 469) des annexes s’avèrent les plus intéressantes.

2Ibid., pp. 73-75 ; ELCOCK, Howard James, op. cit., pp. 115-120, 217-230 et 266-269 ; CASTELLAN, Georges, Histoire des Balkans (…), p. 400.

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fidèles pour évacuer le poète et sa soldatesque. La dernière manche se joue en 1924 : alors que les deux parties s’accommodent mal de la situation, Benito Mussolini impose sa solution à une Yougoslavie qui ne peut pas lui résister. Parallèlement, il inaugure un ré- gime d’oppression envers les Slaves, en l’occurrence essentiellement des 350 000 Slovè- nes qui vivent dans les territoires qu’il contrôle

3

.

Rangés du côté des vainqueurs de la guerre mondiale, ces derniers, fort peu nombreux, sont assez isolés dans leur petit territoire au Nord-Ouest de l’Etat. Si, en Carniole, ils re- présentent plus de 90% de la population, ils représentent néanmoins des minorités d’un cinquième à un tiers d’habitants dans des territoires de la Double-Monarchie attribués à l’Italie (350 000 en Istrie et en Trieste) ou laissés à l’Autriche (Styrie et Carinthie). Ils soulèvent fort peu commentaires, notamment parce qu’ils ne troublent pas la situation politique du pays : un peu plus d’un million d’habitants sur la quinzaine du Royaume Yougoslave. De surcroît, la majorité des leaders politiques, Anton Korošec au premier chef, cherchent réellement l’entente avec Belgrade. Pourtant, initialement, comme l’essentiel des Slaves de la Double-Monarchie, ils ne se sont pas majoritairement ralliés à l’union avec le royaume serbe après la dislocation de l’Empire. Initialement, en effet, pas mal d’entre eux aspirent à l’introduction d’un trialisme, c’est-à-dire un dualisme augmen- té d’une entité slave, mais toujours sous le sceptre des Habsbourg. La guerre modifie substantiellement la donne : en se basant sur le traité de Londres, l’Italie se jette sur les restes d’une Autriche en décomposition. Belgrade apparaît aux Slovènes comme l’unique rempart slave. Comme les paragraphes précédents l’illustrent, Rome n’hésite pas à adop- ter une attitude particulièrement agressive : elle ne veut pas renoncer aux promesses faites par Paris et Londres en 1915. Le choix n’est donc pas formulé positivement, mais en ré- action à un péril. Mais l’orientation centralisatrice du régime yougoslave – c’est-à-dire plutôt grand-serbe – déçoit et réduit grandement les espoirs des Slovènes. Mais, pragma- tique, Anton Korošec accepte de participer au système : il obtient ainsi des résultats dans des domaines aussi divers que l’économie, la culture et l’enseignement

4

.

Au contraire, les Croates sont plus nombreux, plus réticents et en mesure d’opposer une résistance à Belgrade. Or le régime est appuyé par Paris : dès le départ, les autorités fran- çaises cherchent à maintenir de bonnes relations non seulement avec leurs homologues serbes, mais également avec l’Italie. La sympathie dont la France jouit initialement en

3 BECKER, Jean-Jacques, op. cit., p. 75 ; CASTELLAN, Georges, et BERNARD, Antonia, La Slovénie, PUF, Paris, 1996, pp. 47-48 ; BENDERLY, Jill, et KRAFT, Evan, Independent Slovenia : origins, move- ments, perspects, MacMillan, Londres – Basingstoke, 1994, pp. 15-16.

4 BERENGER, Jean, op. cit., pp. 648-649 ; MORDAL, Jacques, op. cit., p. 71 ; CASTELLAN, Georges, et BERNARD, Antonia, op. cit., pp. 42-47 ; BENDERLY, Jill, et KRAFT, Evan, pp. 11-17 ; CASTELLAN, Georges, Histoire des Balkans (…), pp. 401-402.

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Croatie fond alors comme neige au soleil. Très peu de temps après l’armistice, la majorité des Croates commence même à lui vouer une hostilité croissante. Mais leur importance numérique, déjà attestée dans les statistiques hongroises d’avant-guerre, empêche de faire complètement abstraction de leur existence. Dans leur région, les Croates dominent net- tement les autres groupes en représentant 62% de la population, ce qui ne constitue certes pas une majorité écrasante. Seuls les 25% de Serbes forment une communauté nom- breuse : les 5% d’Allemands, les 4% de Magyars et les autres minorités, qui ne dépassent pas le pour cent, ne font pas le poids. En Voïvodine, les mêmes sources statistiques reflè- tent une situation beaucoup plus complexe, marquée par l’absence de majorité et par une plus grande variété nationale. Elle compte ainsi 33% de Magyars, 28% de Serbes, 23%

d’Allemands, 5% de Croates et autant de Roumains ainsi que 4% de divers Slaves. On peut en tirer au moins trois interprétations : la primauté hongroise (33%), la primauté serbo-croate (34%) et plus encore slave (38%), mais surtout la majorité absolue des ad- versaires des traités, allemand ou hongrois (56%)

5

.

1. Le point de vue des diplomates

6

Il est certain qu’autant les Croates, les Slovènes et les Monténégrins que les Macédoniens donnent du fil à retordre aux projets serbes. Face à la menace que ces complications font peser sur l’existence de la Yougoslavie, et ce de manière permanente, les diplomates in- sistent longtemps sur cet aspect de la question nationale. Si l’on réunit les trois dernières années pour pallier la faiblesse des effectifs, on obtient pour la période 1921-1923 52%, ce qui traduit un recul à peine perceptible de l’intérêt pour le sujet.

Légation de Belgrade (1919-1923)*

Parmi les rapports consacrés à la question nationale (A), ceux qui se réfèrent directement aux litiges territoriaux et aux minorités nationales (B): approche chronologique

Année A B

1919 31 19 (61%)

1920 8 5 (63%)

1921 15 7 (47%)

1922 5 5 (100%)

1923 11 4 (36%)

* Les effectifs sont faibles pour les années 1918 et 1924 car l’armistice n’intervient qu’en novembre 1918 et qu’Henri Jaspar démissionne au début de l’année 1924. Ceci explique leur exclusion.

5 BERENGER, Jean, op. cit., pp. 648-649 ; MORDAL, Jacques, op. cit., p. 71 ; CASTELLAN, Georges, Histoire des Balkans (…), pp. 401-402 et 412 ; KOVAC, Miro, La France, la création du royaume ‘yougo- slave’ et la question croate, 1914-1929, Peter Lang, Berne, 2001, pp. 207-279 et 355-364.

6 Sauf contre-indication, les rapports mentionnés dans ce point de ce chapitre sont tirés du dossier chrono- logique suivant : Arch. Min. Aff. Etr. (B), 1919-1924. Correspondance politique/Légations/Yougoslavie.

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Si l’on se concentrait sur les diplomates qui ont laissé plus de dix rapports, on constate que les écarts n’atteignent pas dix pour cent. Il est difficile d’établir un lien entre le profil socioprofessionnel et l’intérêt porté sur cette facette du problème, plus général, de la ré- alisation des aspirations nationales.

Légation de Belgrade (armistice, fin 1918 – démission d’Henri Jaspar, courant 1924) Parmi les rapports consacrés à la question nationale (A), ceux qui font directement

référence aux litiges territoriaux et aux problèmes de minorités nationales (B) : ventilation par diplomates

Noms des diplomates A B

Maurice Michotte de Welle 12 7 (58%)

Guy Heyndrickx 21 13 (62%)

Joseph de Neeff 6 4 (67%)

Adhémar Delcoigne 35 19 (54%)

Maurice Mineur 4 1 (25%)

André Motte 2 2 (100%)

L’analyse qualitative porte autant sur les territoires dont la possession suscite débat – la Slovénie, la Croatie, la Dalmatie, la Bosnie, l’Herzégovine, le Monténégro, la Macédoine et le Banat – que sur des problématiques plus générales soulevées par la question des mi- norités et des provinces nouvellement acquises, rattachées par leur propre volonté ou an- nexées. Durant une première phase, brève, la sympathie se porte sur l’ensemble des popu- lations yougoslaves – ‘l’état de grâce serbe’ –, avant de se restreindre aux seules popula- tions des nouvelles provinces. Il s’avère toutefois utile d’apporter quelques éclairages complémentaires, autant sur les questions précises que générales relevant de la probléma- tique des minorités et des territoires contestés.

Maurice Michotte de Welle prend un certain recul pour tenter de cerner la réalité dans sa globalité. En effet, l’euphorie de l’aboutissement des aspirations yougoslaves à travers la réunion en un seul Etat du peuple aux trois noms

7

l’empêche de prendre la mesure des problèmes à venir. Il ne réalise qu’après quelques mois le fossé entre les populations, tout le tact nécessaire pour la réussite du projet étatique et l’ampleur des obstacles tant à l’intérieur

8

qu’à l’extérieur. En effet, il avait déjà souligné le rôle négatif des Hongrois, des Italiens et des Roumains. Mais voilà qu’il se rend compte que le ver est peut-être aus- si dans la pomme.

En abordant la question des minorités, Guy Heyndrickx abandonne son mutisme presque absolu. Il déplore l’indécision de l’Entente qui laisse l’Italie continuer à menacer la paix, notamment dans les zones slovènes, dalmates et croates du nord-ouest du pays

9

. Evo-

7 Rapport de Maurice Michotte de Welle à Paul Hymans, Belgrade, 29 mars 1919, p. 1.

8 Rapport de Maurice Michotte de Welle à Paul Hymans, Belgrade, 28 février et 11 avril 1919.

9 Rapport de Guy Heyndrickx à Paul Hymans, Belgrade, 21 novembre 1919.

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quant le coup de force de Gabriele d’Annunzio sur Zadar (Zara en italien), il s’exprime avec une hostilité non dissimulée, à défaut d’une certaine serbophilie. Il affirme ainsi qu’après l’échec de l’imposition de l’autonomie, les clauses de protection des minorités constitueraient une nouvelle machination italienne pour déstabiliser le nouvel Etat

10

. Quant aux revendications roumaines sur cette terre, elles lui suggèrent également quel- ques mots de commentaire, abondant dans le sens déjà évoqué. Il semble ainsi défendre la possession serbe de la région en déclarant : peut-on se demander jusqu’à quel point l’intransigeance de M. Bratiano correspond aux aspirations véritables du peuple rou- main

.11

Au contraire, Joseph de Neeff se montre particulièrement sévère en arguant que les Ser- bes adopteraient un comportement pire que celui des Hongrois

12

. Adhémar Delcoigne ne doit pas être loin de penser la même chose : avant l’heureuse conclusion d’un accord en- tre les deux pays, les minorités roumaines et valaques

13

auraient subi une politique agres- sive et moult vexations

14

. Mais les diplomates formulent également des considérations plus générales à l’égard de la politique et de la situation des minorités.

Quant à Adhémar Delcoigne, il présente la figure d’une Serbie intransigeante, qui rejette violemment toute critique ou réserve à propos de la politique des minorités

15

. De surcroît, elle joue toujours le mauvais rôle dans les négociations, qu’elle paralyse systématique- ment. Ainsi, le recours à l’arbitrage français dans les conflits avec la Roumanie est attri- bué au refus serbe d’offrir une contrepartie aux concessions consenties par son voisin, moins turbulent

16

. Sévère vis-à-vis des agissements des Serbes, il ne l’est pas moins en- vers ceux des Italiens. Que du contraire :

"l’intrigue italienne (…) agit surnoisement en Albanie, entretient le mécontentement au Monténégro, subventionne à Zagreb, la presse séparatiste, sourit aux espérances secrètes des Magyars.

L’on prétend même (…) que lors du coup d’Etat réactionnaire la populace de Sofia est allée acclamer la Légation d’Italie, et celle-là seule."17

Or, dans ce cas de figure, la Yougoslavie est dédouanée de toute faute. Au contraire, la charge se poursuit contre une Italie accusée de mettre en péril l’œuvre française visant à conjurer l’esprit de vengeance des vaincus :

10 Rapport de Guy Heyndrickx à Paul Hymans, Belgrade, 26 septembre 1919, p. 2.

11 Rapport de Guy Heyndrickx à Paul Hymans, Belgrade, 18 juin 1919.

12 Rapport de Joseph de Neeff à Henri Jaspar, Belgrade, 18 janvier 1921, pp. 12-13.

13 Population proche des Roumains.

14 Rapport d’Adhémar Delcoigne à Henri Jaspar, Belgrade, 15 juin 1921, p. 1.

15 Rapport d’Adhémar Delcoigne à Henri Jaspar, Belgrade, 18 juillet 1921, pp. 1-2.

16 Rapport d’Adhémar Delcoigne à Henri Jaspar, Belgrade, 23 octobre 1922, p. 7.

17 Rapport d’Adhémar Delcoigne à Henri Jaspar, Belgrade, 19 juillet 1923, p. 4.

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"(…) la situation politique extérieure de la Yougoslavie n’est pas satisfaisante. Il serait difficile de l’en accuser, car les éléments les plus modernes qui se font jour dans les cer- cles gouvernementaux ont donné, dans ces derniers temps, des preuves incontestables de modération.

Les efforts financiers que s’impose la France pour consolider la barrière orientale, si né- cessaire à notre défense commune, sont contrecarrés par [une] certaine politique particu- lariste, dont le pendant, avec d’autres mobiles il est vrai, se trouve dans les conflits de l’ouest européen.

Nos ententes se désagrègent, et les centraux se ressaisissent. On ne saurait exagérer la gravité du phénomène."18

Mais il ne s’agit nullement d’un retournement de situation. Si les ‘agents’ extérieurs sont dénoncés, les Serbes ne sont pas glorifiés pour leur attitude. Ce même diplomate montre toute l’inanité de leurs recours, même violents, pour infléchir les résultats des élections dans les nouvelles provinces : partout, l’opposition au projet grand-serbe est sortie victo- rieuse

19

. Les attaques contre le projet yougoslave sont systématiquement attribuées à l’étranger même si le diplomate en question appelle à user de beaucoup de tact dans le rapprochement des peuples de Yougoslavie :

"C’est, en effet, à l’activité de ce service de propagande [italienne] que l’on attribue ici, en grande partie, non seulement l’agitation séparatiste qui se manifeste dans les diffé- rentes régions de la Yougoslavie, mais encore les bruits répandus au dehors sur le man- que de stabilité et de cohésion de la nouvelle entité politique.

Nul ne conteste qu’il faudra à la fois la consécration du temps et beaucoup de doigté de la part des dirigeants pour amalgamer des peuples qui, quoique issus du même sang et par- lant une langue identique, se sont développés séparément pendant les siècles d’une lon- gue histoire. Mais tout homme de bonne foi doit reconnaître que la tendance vers l’union est une impulsion généralement ressentie parmi les Slaves habitant le Sud-Est Européen."20

S’il décrit une aspiration à la réalisation d’un projet yougoslave, Maurice Michotte de Welle n’en demeure pas moins inquiet à propos des dispositions des Serbes. Il ajoute en effet qu’après les nombreux sacrifices consentis, ils seraient tentés d’imposer leurs vues dans une Grande Serbie. Il illustre le contraste entre une bonne mesure, à savoir la confection d’un gouvernement, savant équilibre religieux et racique, et une mauvaise, l’envoi de fonctionnaires serbes

21

.

A Belgrade, Maurice Michotte de Welle nous laisse donc un portrait assez précis de la nationalité : il s’agit d’un (groupe de) peuple(s) uni(s) par une même volonté. Dans ce cas-ci, ils partagent une même langue et issus du même groupe, slave du sud. Elle fonde le droit des Etats à s’étendre ou non. Par contre, des différences de religion, de race ainsi que l’histoire ne constituent pas des éléments nécessaires. Eprouvant une indéniable sympathie pour le projet yougoslave, il attaque avec virulence ses adversaires, autant roumains et italiens que hongrois. Mais ses successeurs partagent-ils ses avis ?

18 Rapport d’Adhémar Delcoigne à Henri Jaspar, Belgrade, 19 juillet 1923, p. 6 (op. cit.).

19 Rapport d’Adhémar Delcoigne à Henri Jaspar, Belgrade, 19 juillet 1923 (deuxième rapport du jour).

20 Rapport de Maurice Michotte de Welle à Paul Hymans, Belgrade, 11 avril 1919.

21Ibid., p. 7.

(7)

A la lecture des rapports du chargé d’affaires Guy Heyndrickx, on doit s’empresser de noter le ton plus prudent et plus réservé. La relative serbophile du précédent laisse place à des descriptions exposant les tenants et les aboutissants de la question nationale, sans prendre parti, pour ou contre, Belgrade

22

.

Même dans le cadre d’une crise aiguë, il se contente de décrire le mal, sans en déterminer forcément le remède. Ainsi, il expose sans plus de commentaire l’opposition entre le pro- jet grand-serbe, maintenu en dépit des déclarations par les principaux intéressés, et les aspirations à l’égalité absolue entre les peuples et à l’autonomie, formulées par les Croa- tes. Alors qu’il précise que ces derniers revendiquent la suprématie sur la Bosnie et la Dalmatie et que le séparatisme est important, il ne formule pas le moindre avis. Or, par les pages entières qu’il consacre au sujet dans sa correspondance, on ne peut que suppo- ser qu’il y accorde une importance primordiale

23

. Plus fort encore, la fadeur de ses rap- ports, très détaillés, produit une situation particulièrement exceptionnelle. Le sentiment national hongrois est analysé sans être critiqué : [l]e sentiment national y [en Hongrie]

resté vif et la fierté de[s] magyars est loin d’être abattue

24

.

Mais lorsqu’il s’exprime sur le Monténégro, une certaine empathie transparaît. Après avoir évoqué le rôle de certains Italiens dans des désordres qui n’ont pas pu déstabiliser l’union récente, il déclare avec un peu de pitié :

"Les habitants de ce pauvre pays et sans avenir politique, avaient depuis longtemps d’ailleurs confondu leur idéal avec celui de leurs frères de Serbie auxquels ils sont unis par la communauté de race et de religion."25

Quant à Adhémar Delcoigne, rompant avec ses deux prédécesseurs, il commence de fa- çon très mélodramatique par peindre le portrait sinistre de la situation d’un pays en crise au milieu d’un continent en remous. Il n’épargne pas le moins du monde les Serbes, ce qui n’implique pas forcément une sympathie prononcée pour ses adversaires. Il donne le ton qui persistera jusqu’à la fin de la période étudiée, indépendamment des diplomates.

Coteries, esprit partisan, disputes opposant Serbes arriérés à leurs adversaires plus ins- truits mais écartés du pouvoir sont successivement évoqués

26

. Et il ne s’arrête pas là : après avoir évoqué la férule serbe

27

, il associe successivement à leur caractère l’impérialisme insatiable, la perfidie et la maladresse

28

. Il continue son réquisitoire en

22 Rapport de Guy Heyndrickx à Paul Hymans, Belgrade, 20 juillet 1919.

23 Rapport de Guy Heyndrickx à Paul Hymans, Belgrade, 9 août 1919. D’autres rapports s’inscrivent dans la même veine et viennent conforter son diagnostic. Rapports du 18 août et 26 septembre 1919.

24 Rapport de Guy Heyndrickx à Paul Hymans, Belgrade, 8 décembre 1919, p. 1 (verso).

25 Rapport de Guy Heyndrickx à Paul Hymans, Belgrade, 2 octobre 1919, p. 1 (verso).

26 Rapport d’Adhémar Delcoigne à Paul Hymans, Belgrade, 13 août 1920.

27 Rapport d’Adhémar Delcoigne à Henri Jaspar, Belgrade, 15 juin 1921, p. 7.

28 Rapport d’Adhémar Delcoigne à Henri Jaspar, Belgrade, 20 octobre 1920, pp. 6-8.

(8)

affirmant que les Serbes se comportent comme des Prussiens, le talent de la gestion en moins. Se référant aux populations des nouvelles provinces, il s’interroge – et donne im- plicitement la réponse – :

"Ces méthodes prussiennes conviendront-elles à des gens d’une civilisation plus avan- cée que celle de la Vieille Schumadia, et qui ne se contenteront pas d’avoir simplement changé de maître ?"29

Un autre extrait du même rapport ne laisse planer aucun doute :

"[Anton Korošec] comprenait une entente militaire, puisqu’au dehors, les diverses ré- gions avaient des ennemis communs ; mais il ne pouvait admettre qu’en matière d’enseignement, de religion, et d’administration en général, des gens aussi policés que les Slovènes fussent traités à l’égal des sauvages de Serbie et de Macédoine. La rupture était complète, et le Gouvernement ressentit avec amertume le regret de n’avoir pas pu faire cette démonstration de force."30

En bref, non seulement le gouvernement de Belgrade opte pour une mauvaise politique, mais il ne se montre même pas capable de l’appliquer. D’ailleurs, son projet de loi anti- terroriste viserait entre autres à museler tous ceux qui refusent la domination serbe

31

. Il partage le point de vue de Svetozar Pribičevič quand celui-ci soutient que le gouverne- ment se trompe en nommant des Serbes incompétents en vertu de la nationalité, politique qui fait péricliter l’organisation des transports dans des proportions alarmantes

32

. Sa priorité ne se porte pas comme chez les premiers diplomates sur la réalisation du projet national, mais sur les dégâts provoqués par le favoritisme serbe qui va jusqu’à menacer l’unité de l’Etat

33

. Envisagée sous un autre angle, la question nationale n’en demeure pas moins centrale. Finalement, Adhémar Delcoigne tempère sa sévérité à l’encontre des Ser- bes :

"La bataille politique n’est plus, à proprement parler serbo-croate, car les serbes de Bosnie, de Montenegro, de Voïvodine sont aussi excédés que les Croates et les Slovènes de l’ingérence tyrannique et incompétente de Belgrade."34

Mais, quand l’occasion se présente, il n’hésite pas à manier l’ironie. Il suffit de noter le contraste qu’il établit entre les première et seconde phrases :

"En attendant, la presse radicale mène grand bruit et fait appel au concours de tous les bons citoyens contre les ennemis de l’unité nationale. Il est à remarquer, à ce propos, que les vingt croates [députés] ont prêté le serment de fidélité au Roi et à la Constitu- tion."35

29 Rapport d’Adhémar Delcoigne à Henri Jaspar, Belgrade, 29 juillet 1921, p. 8.

30Ibid., p. 4.

31 Rapport d’Adhémar Delcoigne à Henri Jaspar, Belgrade, 11 août 1921.

32 Rapport d’Adhémar Delcoigne à Henri Jaspar, Belgrade, 6 janvier 1922, p. 3.

33 Sur la menace, rapport d’Adhémar Delcoigne à Henri Jaspar, Belgrade, 21 octobre 1921, p. 8.

34 Rapport d’Adhémar Delcoigne à Henri Jaspar, Belgrade, 2 novembre 1922, p. 31.

35 Rapport de Joseph de Neeff à Henri Jaspar, Belgrade, 31 mars 1924, p. 2.

(9)

Avec Joseph de Neeff, l’heure n’est pas encore revenue aux propos neutres ou bienveil- lants. L’incapacité des autorités sème l’inquiétude et le doute quant à la viabilité du projet national yougoslave, quelques mois auparavant porté aux nues. Quant aux Serbes, ils en prennent pour leur grade : [l]a colère est mauvaise conseillère, et est malheureusement le tempérament batailleur du Serbe qu’il précède toujours d’impulsions violentes et d’une xénophobie furieuse

36

.

Pour ce diplomate, les problèmes de la région résultent forcément de la non-application du droit à l’autodétermination

37

. Tout au plus, reconnaît-il l’influence ‘malfaisante’ d’un Juif et des Pays-Bas. Ainsi dans le cas de la rupture diplomatique avec ce dernier Etat, il défend que, quoiqu’ayant agi sournoisement et ne respectant aucunement les formes, les Serbes ont raison sur le fond :

"La Hollande avait ici un consul honoraire, juif polonais naturalisé autrichien, qui avait été compromis déjà en 1912 dans un procès d’espionnage. Homme peu intéressant, Rappaport était notoirement connu [comme] un des agents les plus actifs de l’Autriche."38

Pour sa part, André Motte n’hésite pas davantage à fustiger la politique, et plus largement le tempérament des Serbes, il évoque ensuite le sentiment nettement hostile des nouvelles provinces à l’action égoïstement et brutalement centralisatrice autant que néfaste en ma- tière économique du Gouvernement de Belgrade

39

. Il rajoute un peu plus loin que les nouveaux sujets du roi Alexandre rejettent la politique d’exploitation qui vise :

"à former une bourgeoisie serbe jadis inexistante et en voie de formation actuellement [et] dont le but sera de se substituer à l’ancienne politique de Vienne et de Budapest pour traiter à son tour en vassaux des éléments du Royaume incomparablement plus ci- vilisé et économiquement plus développés.

La politique de Belgrade est périlleuse, l’opposition existe et grandit toujours dans les nouvelles provinces ; faute des concessions indispensables à des revendications entiè- rement légitimes, la conspiration renaîtra dans les plus riches provinces du Royaume comme sous la tutelle Austro-Hongroise et entraînera une instabilité et [une] insécurité dont la vie politique de l’Etat pourrait gravement se ressentir."40

*

* *

Exceptionnellement, l’organisation institutionnelle d’un Etat donne lieu à un nombre ap- préciable de commentaires, qui ne sont pas toujours caractérisés par une grande réserve.

Les effectifs sont assez réduits dans l’absolu, mais pas comparativement aux autres pays.

Cela traduit le caractère aigu et récurrent des problèmes entre les populations du centre

36 Rapport de Joseph de Neeff à Henri Jaspar, Belgrade, 27 novembre 1920.

37Ibid.

38 Rapport de Joseph de Neeff à Henri Jaspar, Belgrade, 18 janvier 1921, pp. 1-2.

39 Rapport d’André Motte à Henri Jaspar, Belgrade, 12 juin 1924, p. 1.

40Ibid., pp. 2-3.

(10)

du pouvoir (la Schumadia, ou Vieille Serbie) et de la périphérie (la Croatie, la Slovénie, la Bosnie-Herzégovine, le Monténégro et la Macédoine). La moyenne frôle un cinquième de l’échantillon. Cela contraste avec le mutisme des diplomates en poste à Bucarest. Il est vrai que les populations adjointes à ce qu’on appellera bien vite la Yougoslavie sont gé- néralement d’autres nationalités que de la serbe.

Légation de Belgrade (1919-1923)*

Parmi les rapports consacrés à la question nationale (A), ceux qui font directement réfé- rence aux questions institutionnelles (B) : approche chronologique

Année A B

1919 31 6 (19%)

1920 8 2 (25%)

1921 15 1 (6%)

1922 5 2 (40%)

1923 11 2 (18%)

* Les effectifs sont faibles pour les années 1918 et 1924 : l’armistice n’intervient qu’en novembre 1918 et Henri Jaspar démissionne en mars 1924. Ceci explique leur exclusion.

Si l’on exclut les deux derniers cas qui aboutissent à des résultats faussés par la faiblesse excessive des effectifs, on remarque la petitesse des écarts, traduisant la persistance de la problématique : la solution adoptée ne satisfait pas les minorités.

Légation de Belgrade (armistice, fin 1918 – démission d’Henri Jaspar, courant 1924) Parmi les rapports consacrés à la question nationale (A), ceux qui font directement réfé-

rence aux questions institutionnelles (B) : ventilation par diplomates

Noms des diplomates A B

Maurice Michotte de Welle 12 2 (17%)

Guy Heyndrickx 21 3 (14%)

Joseph de Neeff 6 1 (17%)

Adhémar Delcoigne 35 5 (14%)

Maurice Mineur 4 2 (50%)

André Motte 2 1 (50%)

Quant à Guy Heyndrickx, il reste dans une description, assez minutieuse, de la question, sans prendre davantage parti que lorsqu’il dresse le portrait des peuples de la région. Ain- si, il évoque les débats houleux qui animent en particulier la scène politique serbe et les changements d’opinion ou de stratégie de leaders de premier rang. Mais jamais il n’émet un avis sur le modèle opportun ou juste

41

.

Pour sa part, Adhémar Delcoigne commence par critiquer l’inaptitude des Serbes, de par leur arriération, à gouverner les nouvelles provinces :

"Les désastreuses mœurs politiques des gouvernements et législateurs de Belgrade avait immobilisé la Serbie, restée à l’état d’îlot sauvage au milieu de nations qui progressaient et se transformaient : pour le Royaume Yougoslave, elles peuvent avoir des conséquen- ces plus graves encore.

41 Rapports de Guy Heyndrickx à Paul Hymans, Belgrade, 9 et 18 août, 19 octobre et 22 décembre 1919.

(11)

Et ce n’est malheureusement pas là le seul point sombre qui attire l’attention de l’obser- vation impartiale. Croates et Slovènes, soumis jusqu’hier à une administration très supé- rieure à celle des Serbes, sont beaucoup plus avancés en civilisation, mieux organisés, plus instruits que leurs nouveaux compatriotes. Se laisseront-ils mener par ceux-ci et accepteront-ils Belgrade comme –centre absolu, comme siège unique du gouvernement?

Il est permis d’en douter. Des diplomates qui ont visité tout le pays m’ont dit textuelle- ment : « Le Serbe hait le Croate, et le Croate professe pour le Serbe un mépris absolu. » Déjà de profondes division[s] se sont manifestées entre les divers éléments du Royaume Yougoslave."42

Il prend un parti pour lequel nul diplomate ne s’est précédemment engagé : un plaidoyer pour le fédéralisme, considéré comme la solution aux problèmes de la Yougoslavie. Ain- si, il déplore que ni le régent, pourtant mis en garde, ni les démocrates n’ont voulu de la sagesse fédérale du projet de Stojan Protič qui aurait souhaité neuf provinces découpées de manière à ne pas heurter les amours-propres

43

. Il ajoute que le ‘vautour’ italien est prêt à profiter des dissensions internes au pays :

"La situation politique intérieure de la Yougoslavie, tant par l’incapacité de ses politi- ciens, que par les dangers inhérents aux antagonismes régionaux est d’une incontestable gravité et peut nous réserver toutes les surprises possibles.

En ce moment, cet état des choses est surtout favorable à l’Italie qui joue avec une habi- lité consommée. Le Cabinet de Rome est décidé à régler la question de l’Adriatique à sa façon en gagnant du temps, et en troublant l’eau."44

Dans un rapport ultérieur, il témoigne du blocage grave entre le gouvernement et les mi- norités. Il brosse un tableau critique envers Belgrade et favorable au comportement de la majorité des Croates, des Slovènes et des Bosniaques. Tandis que les Vieux Serbes ont provoqué le retrait des deux représentants des deux derniers peuples du gouvernement, ils n’en demeurent pas moins régionalistes, et nullement séparatistes. Quant aux Croates, ils continueraient de payer leurs impôts et d’accomplir le service militaire, même si leur vo- lonté nationale n’est toujours pas respectée. Mais quand il s’agit de non slaves, comme dans le cas de la Voïvodine, le diplomate ne se montre partisan que d’une décentralisa- tion, de peur des conséquences funestes que l’octroi de l’autonomie pourrait entraîner

45

. Au fil des mois, les propos tenus quelques années plus tard par Maurice Mineur viennent conforter ses convictions fédérales pour la Yougoslavie :

"De tout ce qui précède, il semble résulter que l’organisation actuelle du Royaume des Serbes, Croates et Slovènes appelle d’urgentes et d’importantes modifications, et l’on comprend sans difficulté que les Croates supportent à contre-cœur l’hégémonie des Ser- bes qu’ils considèrent comme [des] gens d’une civilisation et d’une culture inférieures.

Les milieux dirigeants de Belgrade se montreront-ils intransigeants[ ]ou entreront-ils dans la voie des concessions ? Que réalisera-t-on ? Marchera-t-on vers la constitution d’un Etat à forme fédérale, dans lequel les différents groupes seraient placés sur un pied

42 Rapport d’Adhémar Delcoigne à Henri Jaspar, Belgrade, 13 août 1920, p. 5.

43Ibid., p. 7.

44Ibid., p. 7.

45 Rapport d’Adhémar Delcoigne à Henri Jaspar, Belgrade, 2 novembre 1922.

(12)

d’égalité absolue ? Autant de questions intéressantes qu’un avenir très proche se charge- ra sans doute d’élucider."46

Comme la rubrique précédente le laissait entrevoir, André Motte ne fait pas exception à la règle

47

. Si Maurice Michotte de Welle croit initialement déceler une aspiration à l’unitarisme parmi les populations yougoslaves, les autres mettent en évidence qu’ils re- jettent le centralisme au profit du régionalisme ou du fédéralisme. Les diplomates qui se succèdent alors à la légation prennent parti pour elles. Les rapports de la légation de Bel- grade présentent donc une double originalité : ils se penchent fréquemment sur la pro- blématique institutionnelle, mais en plus ils se positionnent à contre-courant des tendan- ces généralement admises par les Belges. Le soutien à une vision fédérale est en effet unique et le résultat de circonstances exceptionnelles. En effet, comme dans le cas de l’Ardéal pour la Roumanie, elles revendiquent une parenté, évidente, avec l’ancien royaume. S’il déplore la politique intérieure de Bucarest, il se montre cependant satisfait de la perspective d’un accord prochain avec la Yougoslavie sur les minorités respecti- ves

48

.

2. La presse

Nombre de jours où le sujet est

traité

11.11.

18 31.01.19 01.06.19 05.07.19 01.09.19 20.09.19 20.11.19 30.11.19 23.02.20 29.02.20 01.06.20 07.06.20 08.09.20 14.09.20 15.12.20 21.12.20 25.03.21 31.03.21 25.07.21 31.07.21 24.11.21 30.11.21 01.04.22 07.04.22 08.08.22 14.08.22 15.12.22 21.12.22 08..04.23 14.04.23 08.08.23 14.08.23 15.02.24 21.02.24

Laatste Nieuws 3 5 1 2 4 1 2 1

Gazet Antwerp. 2 4 3 5 1 2 1

Standaard 1 12 4 2 3 3 5 1 1

Volksgazet 3 1 1

Nation Belge 7 9 5 7 1 1 2 4 1

Dernière Heure 2 5 10 3 2 1 1 3 3

Libre Belgique 4 9 4 2 1 2 1 1 2 2 1

Le Peuple 4 7 3 6 2

Le tableau ci-dessus reprend les seules évocations fréquentes, à savoir celles concernant la question de l’Adriatique, principalement la dispute autour de Fiume. Parmi les séries presque complètes, on dépasse systématiquement et amplement la quinzaine de jours où le sujet est abordé. Dans le cas de certains quotidiens, on frôle, atteint voire dépasse la trentaine (Standaard et les journaux francophones à l’exception du Peuple). S’il n’y a pas

46 Rapport de Maurice Mineur à Henri Jaspar, Belgrade, 22 août 1923, p. 5.

47 Rapport d’André Motte à Henri Jaspar, Belgrade, 12 juin 1924, pp. 2-3.

48 Rapport d’Eugène Robyns de Schneiauder à Henri Jaspar, Bucarest, 31 juillet 1923.

(13)

de clivages partisan ou linguistique faciles à distinguer, une concentration chronologique peut être dégagée. Ainsi, du début juin à la fin novembre 1919, on compte en moyenne pas moins d’une petite soixantaine de pour cent (en fait, de la moitié jusqu’à deux tiers) des éditions des quotidiens qui abordent le sujet. Si l’on élargit la période qui va de la fin 1918 jusqu’en janvier 1919, on réunit environ cinq huitièmes. Généralement, les neuf dixièmes interviennent avant la fin de 1920. Cette prolixité s’avère assez déconcertante, puisque le sujet n’est pas presque abordé par les autorités. La presse ne se contente pas d’aborder ce sujet. En effet, si on rencontre un bon nombre d’articles sans commentaires, d’autres laissent percer des points de vue clairement affirmés.

Du côté des libéraux, La Dernière Heure évoque très vite, dès le 25 décembre 1918, le désir des Fiumais d’être indépendants, pour être rattachés ultérieurement à l’Italie. Dans cette affaire, le Croate endosse le mauvais rôle puisqu’il est accusé d’avoir pris la ville de force au XVIIIe siècle

49

. La mauvaise presse dont il jouit s’étend d’ailleurs ensuite à ses frères slaves : le 15 juin 1919, le quotidien titre en première page que Les Yougo-Slaves seraient intransigeants. L’aventure de Gabriele d’Annunzio intervient alors. Si les autori- tés de Rome sont disculpées, le poète est vivement critiqué. Des titres en première page en attestent indiscutablement. Ainsi, on peut lire le 15 septembre 1919 Le Raid sur Fiume. D’Annunzio n’est pas l’Italie (…) la chambre italienne s’inquiète. Le lendemain, le journal libéral remet le couvert : Les coups de main d’un poète. ‘Un acte irréfléchi’

(…). Tout en se refusant à exagérer la menace, La Dernière Heure appelle à trancher ce litige pour éviter de maintenir un foyer d’incendie

50

. Mais le vent tourne. A la fin de l’année 1919, l’Italie se retrouve sur le banc des accusés. Les Alliés sont accusés de cour- ber l’échine, non seulement devant le poète, mais aussi face à des politiciens que le jour- naliste ne tient pas en plus haute estime. Rome serait le centre des manœuvres, hypocrites et scandaleuses, qui consistent à prêter un appui à tous les adversaires de la Yougoslavie, même les anciens ennemis de l’Entente :

"Quelle est donc la politique d’expectative du cabinet de Rome, qu’il s’intitule Nitti ou Tittoni ? En vertu même de l’armistice, l’Italie a le droit d’occuper une partie du terri- toire dalmate : elle conserve ce gage ; comme membre de la Conférence et puissance à intérêts généraux, elle a le droit d’intervenir dans toutes les discussions relatives à la Yougo-Slavie : elle en profite pour entraver l’annexion du Monténégro, empêcher la cession de Radkersburg ; et elle s’est efforcée, dans le même sens, de faire laisser aux Bulgares la ville de Tzaribrod."51

A la fin, on assiste à un retournement complet : les Yougoslaves deviennent les victimes, dans un contexte d’agressions fascistes – venant de la part d’officiers italiens –, de désor- dre et d’arrestations autour de Ricardo Zanella, président légitime de Fiume. La popula-

49 "Le cas de Fiume", in La Dernière Heure, 25 décembre 1918, p. 2.

50 "L’équipée du poète italien (…) Comment doit-on juger l’acte du poète", in ibid., 17 septembre 1919, p. 1.

51 "La politique romaine et l’Adriatique", in ibid., 29 novembre 1919, p. 5.

(14)

tion rejette ces interventions orchestrées depuis Rome

52

. Gabriele d’Annunzio jouit d’une assez mauvaise presse également dans des articles de Laatste Nieuws

53

: en gros, la dicta- ture et la violence lui sont reprochées.

Cette impression sévère à l’égard de Rome se développe bien plus tôt dans les articles de La Nation Belge. Dès janvier 1919, cet organe nationaliste a choisi son camp : le compor- tement des autorités et de la population italiennes est réprouvé : le recours à la violence n’est pas apprécié

54

. Mais, parallèlement, on ne doute pas de la volonté des populations des territoires revendiqués par l’Italie de vouloir y être rattachées : le 5 janvier 1919, La Nation Belge titre Les terres irrédentes. Elles se sont prononcées en fait par la réunion à l’Italie

55

. La sympathie doit croître encore lorsque des italianophiles fiumais manifestent leurs appuis aux revendications belges dans le cadre de la négociation de la paix

56

. Toute- fois, avec le temps, le jugement porté sur l’attitude de l’Italie varie encore : elle incite au compromis le 9 juin 1919

57

. Parallèlement, Gabriele d’Annunzio est présenté comme un héros

58

. Cette sympathie amène le journal à publier des lettres du poète belliqueux

59

. Néanmoins, des critiques interviennent sur son coup de force. Mais au contraire des arti- cles favorables à l’Italie, ceux qui critiquent les méthodes de ce dernier sont presque neu- tres. Le journaliste ne détermine pas si la population de Fiume est majoritairement italo- phile, mais il n’apprécie pas le procédé de Gabriele d’Annunzio, conforme à l’unique intérêt de ses amis. Il épargne soigneusement le gouvernement de Rome dont la politique serait totalement opposée à cette entreprise guerrière

60

. On en conclut que le ton de La Nation Belge est empreint d’une grande ambiguïté, traduisant des tiraillements entre les aspirations de deux Alliés. Ceux-ci sont accentués entre deux fondements contradictoires du droit diplomatique, l’un ancien et incarné dans le traité de Londres de 1915 et l’autre nouveau basé sur la libre disposition des populations. La grande versatilité du discours doit être également soulignée.

L’expression de la volonté de rattachement à l’Italie apparaît rapidement et se maintient dans les articles du Peuple

61

. Mais l’action du poète, qui n’a rien de pacifique, soulève

52 "Pour rétablir l’ordre à Fiume", in ibid., 1er avril 1922, p. 4, et "Les méfaits des fascistes", in ibid., 2 avril 1922, p. 2.

53 "D’Annunzio als diktatot te Fiume", in Laatste Nieuws, 16 septembre 1919, p. 3, et "Spaarbank geplun- deerd te Fiume", in ibid., 1er avril 1922, p. 4.

54 Par exemple, "L’opinion italienne et l’Adriatique", in La Nation Belge, 13 janvier 1919, p. 1.

55Ibid., 5 janvier 1919, p. 3.

56 "La ville de Fiume acclame nos revendications", in ibid., 13 juin 1919, p. 3.

57 "La question de l’Adriatique", in ibid., 9 juin 1919, p. 3.

58 "Comment d’Annunzio s’est rendu maître de Fiume", in ibid., 18 septembre 1919, p. 3.

59 "Les conflits territoriaux entre l’Italie et la Serbie", in ibid., 29 janvier 1919, p. 3.

60 "D’Annunzio et ses arditi à Fiume", in ibid., 15 septembre 1919, p. 1.

61 Par exemple, "Fiume veut être italienne", in Le Peuple, 3 juin 1919, p. 2, et G. Paquot, "Le Peuple à Fiume", deux épisodes, en page 3 des éditions du 8 et du 9 septembre 1919.

(15)

une totale réprobation. Dans le chef d’un organe socialiste, le titre d’un article du 14 sep- tembre 1919 ne peut qu’être une manifestation d’hostilité : une incartade des nationalis- tes italiens à Fiume

62

; le même constat s’impose pour le 18 du même mois : [l]a folle Aventure de Gabriele d’Annunzio

63

, encore pour le 22 : les socialistes italiens veulent mettre fin aux Rodomontades de d’Annunzio

64

. Ce positionnement de leurs camarades transalpins facilite un tel positionnement. Le temps d’un reportage de G. Paquot fait en tant que correspondant à Fiume, le poète apparaît sous une lumière favorable : il aurait réalisé les aspirations de la population, là où le gouvernement italien s’était trouvé inca- pable de les concrétiser

65

. La situation est d’autant plus commode que l’Italie ne semble pas se solidariser avec Gabriele d’Annunzio, qualifié de tyran. En lisant un sous-titre de l’article D’Annunzio est acclamé premier régent du ‘‘Tarnoro’’

66

, publié le 12 septembre 1920, on apprend que [l]’acte du dictateur n’aurait produit à Rome aucune impression.

Pour celui qui n’aurait pas encore compris, un article du lendemain est intitulé Gabriele d’Annunzio devient Dictateur de Fiume

67

. Une vingtaine de mois plus tard, l’opinion ne doit pas être altérée, mais au contraire renforcée et simplifiée : d’une part, il y a le prési- dent de Fiume persécuté avec ses partisans, de l’autre une coalition de Gabriele d’Annunzio et ses acolytes, aidés par des agresseurs fascistes soutenus par Rome

68

. Dé- sormais, les choses sont simples. Les Italiens ne trouvent plus grâce aux yeux du journal socialiste. Paradoxalement, les Yougoslaves ne sont pas souvent évoqués. Toutefois, par ricochet, ils bénéficient probablement d’une meilleure presse puisqu’ils n’attaquent pas.

On notera que cette posture est en conformité avec celle du ministère et du gouvernement belges, exposées ultérieurement. La réprobation du comportement des fascistes apparaît également dans la Volksgazet : ils sont associés à l’assassinat, au désordre, à la provoca- tion et à la répression, ce qui n’est pas favorable au cabinet italien

69

.

Du côté catholique, La Libre Belgique attribue initialement le blocage de la situation au refus par la Yougoslavie de la solution transactionnelle

70

. Toutefois, le journaliste reste très posé dans sa description. La volonté de se rattacher à l’Italie est clairement expo- sée

71

. Mais, contrairement à d’autres journaux, le discours ne devient pas favorable à la

62Le Peuple, 14 septembre 1919, p. 2.

63Ibid., p. 2.

64Ibid., 22 septembre 1919, p. 2.

65Ibid., 9 septembre 1919, p. 2.

66Ibid., 12 septembre 1920, p. 2.

67Ibid., 13 septembre 1920, p. 2.

68 "La Question de Fiume s’embrouille", in ibid., 2 avril 1922, p. 2.

69 Rubrique "Kort & bondig", in Volksgazet, éditions des 3-4 et 5-6 avril 1922, 10 août 1922 ainsi que 19- 20 décembre 1922, p. 2 (chaque fois).

70 "La question de Fiume", in La Libre Belgique, 15 juin 1919, p. 3.

71 "Manifestations pro-italiennes à Fiume", in ibid., 3 septembre 1919, p. 3.

(16)

Yougoslavie avec le temps. C’est tout le contraire puisque l’article intitulé Les incidents de Fiume

72

, publié le 2 avril 1922 : les Serbes auraient enlevé des Italiens. On note que les Croates, concernés au premier chef, ne sont pas évoqués. Pour finir, ils apparaissent à la fin de l’année : l’accusation de fascisme est lancée à tout va : les Serbes, les Croates, les Italiens et les Hongrois seraient éventuellement concernés

73

. La Gazet van Antwerpen témoigne d’un esprit plus offensif. Par exemple, elle rapporte à propos du poète :

"D’Annunzio voulait convaincre le conseil national de Fiume de proclamer l’indépendance de Fiume. Le conseil national refusa, ce sur quoi d’Annunzio la procla- ma lui-même. (D’Annunzio wilde den nationalen raad van Fiume, overhalen de onaf- hankelijkheid van Fiume uit te roepen. De Nationale raad weigerde, waarop d’Annunzio maar zelf die onafhankelijkheid uitriep)."74

Les Italiens sont également égratignés au passage, puisqu’ils seraient intolérants sur le plan culturel face aux Slaves, au contraire des nouvelles autorités yougoslaves

75

. Certes moins catégorique, le Standaard n’en reproduit pas moins le même clivage : tandis que les Yougoslaves apparaissent comme les partisans de l’ordre (et notamment du respect des traités), les fascistes – italiens – symbolisent le vol, le braquage, la violence et les menaces

76

. Au terme cette analyse, on constate que l’Italie bénéficie globalement d’un capital-sympathie initial, complètement perdu quand elle apparaît aux côtés des fascistes.

Pour beaucoup de journaux, ceux-ci, plus encore que l’aventurier Gabriele d’Annunzio, incarnent une horrible combinaison de tyrannie et de violence, même physique.

Les autres cas ne soulèvent pas beaucoup d’opinions : les évocations des relations avec les autres peuples slaves du Royaume, avec la Roumanie et plus encore la Grèce, s’avèrent rarissimes. Il serait donc inutile d’épiloguer pendant de longs paragraphes sur ce sujet. On peut toutefois noter qu’à côté d’un mutisme quasi systématique des journaux francophones, on retrouve du côté flamand quelques articles évocateurs de la sympathie flamande à l’égard des Slovènes ou des Croates. Dans le pire des cas, l’exposé de la si- tuation se fait en des termes neutres

77

.

Le sort du Monténégro constitue le seul thème qui suscite un intérêt un peu moins faible dans la presse flamande et francophone, toutes tendances confondues, comme auprès des

72La Libre Belgique, 2 avril 1922, p. 3.

73 "Serbie. Fascisme croate et fascisme yougo-slave", in ibid., 19 décembre 1922, p. 3.

74 Rubrique "In weinige woorden", in Gazet van Antwerpen, 12 septembre 1920, p. 4.

75 "De katholieken in Yugo-Slavië", in ibid., 19 juin 1919, p. 2.

76 Des informations tirées de la rubrique "Laatste Berichten", in Standaard, 1er avril 1922, p. 2.

77 Quelques exemples édifiants : "Tusschen Italiaansche fascisten en Slovenen", in Laatste Nieuws, 10 août 1923, p. 1 ; "Raditsj op de vlucht", in ibid., 12 août 1923, p. 2 ; "Politieke toestand in Yugo-Slavië", in Standaard, 15 février 1924, p. 1 ; "De Slovenen", in Standaard, 4 septembre 1919, p. 3 ; "Partijen en Joe- goslavië", in ibid., 19 décembre 1920, p. 1 ; "Het nationaliteitsvraagstuk in Zuid-Slavië", in Volksgazet, 13- 14 août 1923, p. 1 ; et "De politieke toestand in Zuid-Slavië", in ibid., 16 février 1924, p. 1. Très rarement, on retrouve un article à ce sujet du côté francophone. Ainsi, sans se positionner, La Libre Belgique relaie les indépendantistes croates et slovènes dans "Les Croates et les Slovènes revendiquent leur indépendance", La Libre Belgique, 1er avril 1922, p. 3.

(17)

autorités belges. Evidemment, comme dans les cas précédents, on compte beaucoup d’informations dépourvues de tout commentaire. Mais encore faut-il opérer le choix entre les communiqués officiels de Belgrade et ceux de ses opposants monténégrins groupés autour du roi détrôné, Nicolas. Tout comme Le Peuple

78

et La Dernière Heure

79

, La Na- tion Belge donne écho aux deux camps

80

. Un peu plus prolixe, La Libre Belgique adopte un ton combinant le relais des protestations monténégrines et des informations sur la gra- vité de la situation à cause de la guerre civile

81

. Voici deux extraits qui illustrent la prise de position en favorable du roi Nicolas et de ses partisans, contre la Serbie et les Alliés de manière plus générale. Il appelle la SDN à intervenir. Le second passage indique même la méthode à suivre sur un ton moralisateur :

"Le Monténégro, l’héroïque petit pays qui sut maintenir son indépendance à travers les siècles par une lutte continuelle contre les Turcs, s’est vu, pour prix de ses sacrifices à la cause commune des Alliés, supprimé de la carte d’Europe. Le roi Nicolas est dépouillé de son royaume, qui est annexé à la Serbie."82

"L’indépendance millénaire du Monténégro a été sanctionnée par les traités internatio- naux. Nous nous permettons de rappeler que c’est à la Société des Nations qu’il in- combe d’obliger la Serbie à évacuer le Monténégro occupé en violation de tout droit et de toute morale. De cette façon, la Société des Nations épargnera au peuple monténé- grin de nouvelles souffrances et de nouveaux massacres et lui permettra finalement de disposer librement de lui-même comme Etat constitutionnel."83

Ce n’est qu’au terme de cette dernière déclaration que le journaliste indique qu’il s’agit de la déclaration au nom du gouvernement monténégrin. De toute manière, comme les équivalents francophones, les journaux flamands donnent un écho beaucoup plus large aux doléances monténégrines et aux affrontements, qu’à la volonté de rattachement

84

.

78 Rubrique "Petites Nouvelles", in Le Peuple, 23 décembre 1918, p. 2, et 18 janvier 1919 ; p. 2, et rubrique

"Nouvelles Brèves", in ibid., 30 mars 1921, p. 2.

79 Quelques exemples : "Le Monténégro veut être serbe", in La Dernière Heure, 8 janvier 1919, p. 1 ; "La restauration du Monténégro", in ibid., 21 juin 1919, p. 3 ; "Une protestation du Monténégro", in ibid., 13 septembre 1919, p. 2.

80 "La Grande Serbie", in La Nation belge, 6 janvier 1919, p. 2, et "Le Monténégro n’était pas représenté à Saint-Germain", in ibid., 13 septembre 1919, p. 3.

81 "Monténégro", in La Libre Belgique, 22 juin 1919, p. 3 ; même titre, in ibid., 1er septembre 1919, p. 2.

82 "Encore une petite nation qui proteste : le Monténégro", in ibid., 13 septembre 1919, p. 2.

83 "Le Monténégro en appelle à la Société des Nations", in ibid., 25 novembre 1921, p. 3.

84 "Het herstel van Montenegro", in Laatste Nieuws, 22 juin 1919, p. 6 ; "Een opstand in Montenegro tegen het Servische gezet", in ibid., 1er septembre 1919, p. 1 ; "Montenegro en Servië", in Gazet van Antwerpen, 6 décembre 1918, p. 2 ; rubrique "In weinige woorden", in ibid., 22 janvier 1919, p. 1 ; même rubrique dans 3 autres articles, 4 septembre 1919, p. 2, 20 septembre 1919, p. 1, et 30 mars 1921, p. 4 ; rubrique "Buiten- landsche Nieuws", in Standaard, 1er septembre 1919, p. 2 ; "Montenegro", in ibid., 9 septembre 1919, p. 1 et rubrique "Korte Berichten", in ibid., 12 septembre 1919, p. 2.

(18)

3. Les positions défendues par le ministère

Les commentaires ne portent pas sur l’ensemble de la problématique. Ils sont assez net- tement favorables au nouvel Etat multinational. Il faut partir du présupposé, vérifié dans les faits, que l’on ne soutient pas un ancien ennemi. Les principes généreux de Thomas Woodrow Wilson trouvent une portée limitée. Soit, il ne s’agit pas d’une grande révéla- tion puisque toutes les puissances continentales, même le Royaume-Uni, émettent de sé- rieuses réserves quant à son application. Les archives belges n’évoquent pas les litiges avec la Roumanie qui ne dominent pas non plus les débats internationaux. L’Albanie vit des convulsions politiques internes qui l’évacuent de la scène internationale. Quant aux relations avec l’ancien allié grec, il faut noter qu’elles se poursuivent dans un climat plu- tôt pacifique. Le fait mérite d’être souligné dans une région où un voisin ne constitue non seulement que trop rarement un allié, mais souvent aussi un ennemi. Vu le peu de com- mentaires quant aux défiances et à l’hostilité croissante des Croates et des Slovènes à l’encontre de la politique centralisatrice de Belgrade, il est à supposer que cette dernière a réussi sa campagne consistant à faire croire qu’avec les Serbes, ces populations ne sont que des rameaux d’un même peuple yougoslave.

En l’absence d’une identité bosniaque particulièrement affirmée, deux problèmes demeu- rent néanmoins. Le premier porte sur un différend épineux, puisqu’il oppose un des an- ciens grands alliés, l’Italie, au nouvel Etat. Au début, le ministère adopte une position frileuse, inspirée par l’extrême nervosité de l’opinion italienne et la campagne gallo- phobe qui s’y dessine. Suite à un article yougoslavophile de l’Etoile Belge dans son édi- tion du 21 janvier 1919, le département indique que le contexte tendu rend périlleux de sembler prendre parti entre les deux puissances alliées dans une question aussi délicate que le problème de l’Adriatique. Le directeur du journal en convient

85

. Mais, en novem- bre 1921, en reconnaissant le gouvernement fiumais de Ricardo Zanella

86

, le cabinet de Bruxelles et le roi prennent clairement parti pour un Etat indépendant de ses deux grands voisins. L’attaque de l’Italien Gabriele d’Annunzio débouche un peu plus tard sur l’annexion. Il faut noter que même si aucune déclaration officielle n’est faite, le Belge ne penche ni d’un côté ni de l’autre dans des termes explicites, les rapports, même ceux des représentants de Bruxelles à Rome, et l’information récoltée, fiumaise notamment, n’est pas toujours tendre avec l’Italie. Il s’agit donc d’une demi-surprise

87

.

85 Edmond Boseret, note interne, Bruxelles, 21 janvier 1919, in Arch. Min. Aff. Etr. (B), liasse 10.809.

86Arch. Palais Royal, Cabinet du Roi. Albert Ier (1909-1014 et 1919-1934). 855.

87 Arch. Min. Aff. Etr. (B), Fiume. Politique. Reconnaissance officielle le 30/11/1921 (dossier 10.802).

CASTELLAN, Georges, Histoire des Balkans (…), p. 400.

(19)

Le second cas présente une originalité par rapport à tous les cas précédemment envisa- gés : il oppose un nouvel Etat, la Yougoslavie, continuateur d’un ancien royaume, la Ser- bie, et un autre disparu, le Monténégro

88

. Une campagne intense d’anciennes autorités monténégrines, exilées, invoque le droit à l’autodétermination et dénonce les atrocités, l’arbitraire et les injustices dont les Yougoslaves se seraient rendus coupables

89

. Elle échoue systématiquement. Comme dans le cas ukrainien, qui présente le plus de similitu- des avec celui-ci, la constatation de l’absence de contacts entre Paris et Londres d’une part, et les partisans de l’ex-roi Nicolas, conduisent Bruxelles à considérer qu’il n’y a pas lieu d’accuser réception de leurs communications

90

. Plus encore, le ministère affirme n’avoir aucune objection à formuler contre l’incorporation du Monténégro au royaume des Serbes, Croates et Slovènes

91

. Il persiste et insiste qu’aucune reconnaissance belge n’a jamais été à l’ordre du jour :

"Les élections pour la Constituante qui ont eu lieu récemment en Yougoslavie semblent justifier l’incorporation du Monténégro au nouveau royaume, car si elles ont révélé quelque tendance autonomiste ou même séparatiste en Croatie, il n’en a point été de même dans les anciens Etats du Roi Nicolas.

(…) le Département [belge] des Affaires Etrangères a toujours évité avec soin tout acte qui aurait pu être interprété à Belgrade comme impliquant de sa part la reconnaissance de l’existence légale d’un Gouvernement monténégrin : aussi n’a-t-il pas accusé récep- tion de nombreux documents qui lui ont été adressés par le Président du Conseil, Minis- tre des Affaires Etrangères du Monténégro."92

Mais le plus intéressant réside dans la mesure préconisée pour faire face à l’attitude mon- ténégrine. Le ton se radicalise entre la première écriture et la version définitive :

"J’étudie actuellement la ques- tion de savoir si le moment n’est pas venu de retirer l’exe- quatur du Consul de Mont[é]- n[é]gro en Belgique, et de de- mander au Gouvernement de Belgrade l’exequatur pour le Consul de Belgique à Cetti- gne !"93

"Toutefois, il n’a pas cru jusqu’ici devoir retirer l’exéquatur au Consul du Monténégro en Belgi- que : il lui a paru préférable que les Grandes Puis- sances, qui ont exclu le Gouvernement monténé- grin de la Conférence de la paix, prissent elles- mêmes l’initiative d’une mesure aussi radicale. Il convient d’observer que la Belgique et le Monté- négro ne s’envoyaient pas d’agents diplomatiques, mais seulement des agents consulaires."94

L’acharnement ne paie vraiment pas. Le gouvernement supprime sa représentation di- plomatique et retire l’exequatur aux Monténégrins, invoquant les résultats des élections

88 CASTELLAN, Georges, Histoire des Balkans (…), pp. 401.

89Arch. Min. Aff. Etr. (B), S.N. Monténégro. 1920-1924 (dossier 10.708).

90 Note de C. Papeians de Morchoven à Henri Jaspar, Bruxelles, 19 mai 1921, in Arch. Min. Aff. Etr. (B), Europe Orientale. Monténégro (dossier 10.884).

91 Communication d’Edmond Boseret au Comte Guillaume d’Arschot, Bruxelles, 10 janvier 1921, p. 1 (verso), in ibid.

92Ibid., p. 1 (verso) - p. 2 (recto).

93Ibid., p. 2 (recto).

94Ibid., p. 2 (recto).

(20)

constituantes et l’accord de Rapallo

95

. Calquant leurs décisions sur le comportement de Londres et de Paris, la Belgique choisit l’expectative, dans l’attente de la décision de la Conférence [de la Paix] concernant le statut du Monténégro. Lorsque ces deux capitales divergent, même modestement, l’exemple français s’impose. Alors que le Royaume-Uni continue à reconnaître de nouveaux consuls, la France s’en tient à maintenir les contacts avec ceux qui été déjà nommés. La Belgique refuse donc de remplacer celui qui était dé- cédé le 30 novembre 1919. La décision n’intervient néanmoins qu’à peu près deux mois plus tard, le 26 janvier 1920

96

. Or, depuis le milieu de l’année 1919, la reconnaissance du Monténégro est pratiquement exclue car elle porterait préjudice aux relations avec la Yougoslavie où la Belgique dispose d’intérêts importants

97

. La Belgique se montre donc ici plus intransigeante que la France et le Royaume-Uni. Dans les discussions juridiques qui ont lieu à la SDN, le Belge Georges Kaekenbeeck exclut d’ailleurs un soutien à l’entrée du Monténégro dans l’institution, considérant à l’instar notamment de son collè- gue italien qu’il faut devenir préalablement sujet de droit avant de prétendre à l’adhésion au Pacte

98

.

4. Une absence complète de cohérence au nom d’une défense des traités qui laissent à désirer

Dans le cas des relations entre les Serbes et les Slaves de l’ancienne Autriche-Hongrie, les diplomates laissent des points de vue constamment favorables aux seconds, tandis que les premiers sont souvent critiqués pour leur manque de tact, voire leur régime oppressif.

Il leur est notamment reproché de provoquer des problèmes en refusant le droit à l’autodétermination. Si la France bénéficie de leur sympathie, les agents belges à l’étranger ne trouvent pas de mots assez durs pour condamner l’Italie, la Hongrie et la Roumanie. Elles sont accusées de vouloir compromettre par leur action la réussite de la tout nouvelle union.

Sur le cas de Fiume, la presse se montre la plus prolixe. Contrairement aux diplomates qui imputent les problèmes de l’attribution du port et de sa banlieue à l’Italie, elle fustige principalement l’esprit aventureux de Gabriele d’Annunzio, son bellicisme, la violation

95 Communication d’Edmond Boseret au Comte Guillaume d’Arschot, Bruxelles, 10 janvier 1921, p. 2 (op.

cit.).

96 Papeians de Morchoven, "Note pour Monsieur le Ministre", Bruxelles, 26 janvier 1920, in ibid.

97 Roger de Borchgrave, "Note pour M. le Ministre", Bruxelles, 26 juin 1919 (citation en p. 2, recto), in ibid.

98 Arch. SDN, R1453, Recognition of States and their admission to the League (doc. 8890).

(21)

des décisions alliées et, surtout, la violation qui accompagne bientôt l’action de ses arditi avec les fascistes. Si l’on peut difficilement établir des clivages linguistique ou partisan, un autre à caractère chronologique apparaît clairement : la sévérité initiale à l’égard de la Yougoslavie laisse progressivement place à des critiques de moins en moins feutrées de l’action de Rome en sous-main. Cette dimension de la légalité internationale est certai- nement l’enseignement le plus important que l’on retrouve dans ce chapitre.

Il est également illustré par le troisième cas de figure. Si ni les diplomates ni les quoti- diens ne s’étendent longuement sur le cas monténégrin, le gouvernement refuse catégori- quement de reconnaître les autorités indépendantistes de Cettinje. Au-delà des considéra- tions juridiques, la Belgique n’a nullement envie de se dissocier de ses grands alliés fran- çais et britannique. Dans tous ces exemples, on constate que les aspirations nationales sont de toute manière subordonnées à l’ordre général issu de la paix et à la volonté des Grandes Puissances. On ne peut ainsi affirmer que leur impact est nul, mais que le critère primordial doit être recherché dans la grande politique, comme certains aiment à l’appeler. Il serait difficilement de tirer davantage de conclusions de ces cas qui suscitent tellement peu de décisions du ministère.

*

* *

Avant de passer aux conclusions générales de cette recherche, il faut néanmoins revenir sur les considérations émises sur les problématiques nationale-linguistique et sociale- socialiste. En effet, la situation intérieure belge peut influencer considérablement les ju- gements formulés par les uns et les autres.

Tout d’abord, toutes les minorités sont plus ou moins fustigées. Si les Serbes ne sont pas grandement estimés au titre de peuple balkanique qui menacerait la paix

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, les autres ne trouvent généralement pas plus grâce aux yeux de Bruxelles. Que du contraire. Leur as- sociation à l’irrédentisme (Italie et Hongrie principalement), au terrorisme (Macédoine) et au républicanisme (Croatie) les rend encore plus antipathiques.

Ensuite, l’autodétermination des populations est systématiquement écartée quand elle contrevient aux intérêts de Belgrade. On sort alors les sempiternels arguments prétendu- ment objectifs : principalement ethniques, économiques, juridiques ou linguistiques. On se garde bien de recourir à d’autres, comme la religion, utilisés dans des cas de figure précédents. Ici, ce critère desservirait la cause d’un des Etats de l’Europe de Versailles.

99L’intransigeance revient parmi les reproches les plus souvent formulés.

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