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Chick lit : l'ironie comme prise de parole métaféministe dans "Soutien-gorge rose et veston noir, Gin tonic et concombre et Volte-face et malaises" de Rafaële Germain

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Academic year: 2021

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Texte intégral

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Chick lit : l’ironie comme prise de parole

métaféministe dans Soutien-gorge rose et

veston noir, Gin tonic et concombre et

Volte-face et malaises de Rafaële Germain

Mémoire

Catherine D’Anjou

Maîtrise en études littéraires

Maître ès arts (M.A.)

Québec, Canada

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Chick lit : l’ironie comme prise de parole

métaféministe dans Soutien-gorge rose et

veston noir, Gin tonic et concombre et

Volte-face et malaises de Rafaële Germain

Mémoire

Catherine D’Anjou

Sous la direction de :

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Résumé

Le présent mémoire s’emploie à analyser la manière dont l’ironie supporte dans les trois romans de Rafaële Germain (Soutien-gorge rose et veston noir, Gin tonic et concombre et Volte-face et malaises) une parole métaféministe, soit un féminisme actualisé, en continuité avec les luttes passées et qui s’intègre à l’écriture plutôt que d’en être le motif.

Il est vrai, ces romans, comme toute bonne série de chick lit, ont d’abord pour objectif de divertir leurs lecteur·rice·s. Fidèles au genre, l’alcool, les conquêtes et les relations amoureuses tordues s’y côtoient. Il n’en demeure pas moins qu’omettre d’interroger ces textes en raison de leur côté rose bonbon consisterait en une erreur : les sourires qu’ils provoquent sont souvent annonciateurs de l’ironie qui s’y terre. Ce qui n’est pas anodin puisque l’ironie, comme le constate Lucie Joubert, recèle souvent un potentiel dénonciateur. Ainsi, malgré ce que les préjugés entourant ce genre associé à la littérature de grande consommation laissent supposer, il ne se cache pas seulement une douce étourderie sous ces premières de couverture colorées.

En prenant principalement en compte les relations interpersonnelles que les différentes héroïnes entretiennent avec leur entourage, c’est-à-dire avec leur mère, leur père, leurs ami·e·s, et leurs amoureux, ce mémoire exposera que l’ironie joue en quelque sorte un rôle de gardien qui les prémunit contre certaines constructions sociales particulièrement coriaces (par exemple qu’une femme doit absolument partager sa vie avec un homme, peu importe lequel, pour espérer être heureuse).

Sans sombrer dans un optimiste débonnaire, puisque la chick lit reconduit, il faut en convenir, plusieurs stéréotypes de genre associés au féminin et au masculin, en même temps qu’un discours hétéronormatif restreignant, cette analyse démontrera que l’ironie permet aux romans de s’inscrire dans une trajectoire métaféministe, tout en prenant çà et là du recul vis-à-vis des discours plus conservateurs.

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Abstract

This thesis aims to analyze the ways in which irony supports a metafeministic voice, a contemporary feminism, in continuity with past struggles, which is integrated into the writing rather than being the motive in Rafaële Germain's novels (Soutien-gorge rose et

veston noir, Gin tonic et concombre et Volte-face et malaises).

Certainly, these novels, like any good series of chick lit, are primarily intended to entertain their readers. True to the genre, alcohol, conquests and twisted relationships rub shoulders. Nevertheless, omitting to analyze these texts due to their rosy-candy nature would be a mistake: the smiles they induce often herald the irony within these words. As observed by Lucie Joubert, this is not trivial since irony often conceals a potential whistleblower. Thus, despite the prejudices surrounding this genre associated with mass-consumption literature, look beyond the giddiness of their colorful covers.

By mainly considering the interpersonal relationships that the various heroines have with their entourage, that is their mother, father, friends, lovers, this thesis sheds light on how irony plays, in a way, the role of a guard that protects them against certain particularly stubborn social conceptions. (For example, that a woman must absolutely share her life with a man, any man, if she wishes to be happy.)

Always without indulging into a debonair optimism since the chick lit perpetuates many gender stereotypes associated to both, women and men – simultaneously a restrictive heteronormative speech – this analysis will demonstrate that irony allows novels to be part of a metafeminist trajectory, and take a step back, here and there, towards more conservative speeches.

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Table des matières

Résumé ... iii

Abstract ... iv

Table des matières ... v

Remerciements ... vii

Introduction et considérations théoriques ... 1

Chick lit, féminisme et culture populaire ... 8

Du métaféminisme et de la pop ...13

De l’ironie et de la série de Germain ...17

Une démonstration en trois temps ...20

Chapitre 1 – De la famille ou de l’ironie à double tranchant ... 23

Les relations mères-filles : entre mère féministe et mère patriarcale ...23

La mère : entre tradition et modernité ... 24

Entre compréhension et ostracisme ... 28

Patriarcale, dominée ou féministe ? ... 35

Les relations père-fille : un espace en redéfinition ...40

Le père, un spectateur ? ... 41

Tentative d’exploration de la relation au père : entre inconfort et vulnérabilité ... 44

De la « paternité heureuse » au père attentif ... 53

Chapitre 2 — Relations d’amitié : l’ironie comme gardien ... 55

Amies ? Sœurs ? — La femme comme alliée ...55

La sœur : il était une fois… la réalité ... 58

L’amie comme lobbyiste de GirlLand ... 60

De l’amitié et de la langue vernaculaire ... 65

Prudence ironique et… vulgarités !... 68

Les relations d’amitié inter-sexes : en quête d’une déconstruction du cadre hétéronormatif ...71

L’amitié entre hommes, ou le cul-de-sac... 72

« La porte de la sexualité » et l’amitié inter-sexes ... 75

L’ironie, un sport d’équipe ? ... 78

Volte-face et malaises ou de l’intégration d’un changement de paradigme ... 86

Ironiser à parts égales : pour une reconfiguration de l’amitié inter-sexes ... 88

Chapitre 3 – Les relations amoureuses hétérosexuelles, ou de la réévaluation de l’horizon d’attente ... 92

(6)

Entre lunettes roses et verres grossissants ... 98

Entre les deux, mon cœur balance ... 100

Loin des yeux… un peu trop près du cœur ... 108

Conclusion ... 112

De la mère et du père, ou de l’ironie intériorisée ...113

L’amitié, « un pour tous, et tous pour un ! » ou de la répétition du même ...115

Les relations amoureuses, ce « sac de nœuds » ...118

« Let’s do it. Let’s get the shit kicked out of us by love. » ...120

BIBLIOGRAPHIE ... 124

Œuvres à l’étude ...124

Sur la chick lit et la littérature de grande consommation ...124

Monographies ... 124

Articles... 125

Sur l’ironie et l’humour des femmes ...127

Monographies ... 127

Articles... 128

Sur les théories féministes, les théories postféministes, les femmes et la littérature, et la relation entre le féminisme et la culture populaire ...128

Monographies ... 128

Articles... 131

Autres références ...136

Médiagraphie ...136

Annexe I – Couvertures des romans étudiés ...137

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Remerciements

Julie Beaulieu, gardienne du phare, merci pour ton inébranlable support, tes conseils et surtout ton regard éclairé et précis sur mon travail. Comme directrice, tu as su m’accompagner, me guider, et instaurer un climat plus que propice à l’aboutissement de ce mémoire, et ce, contre vents et marées. Merci !

Eliot Girard-Tremblay, mon partner in crime, je ne saurais te remercier suffisamment d’avoir nourri ma motivation par ton immuable présence, ton écoute, tes blagues… et tes repas. Merci de tenir tous les morceaux ensemble avec moi. Sans toi, l’Aventure serait terne.

Un merci spécial à mes parents pour vos bons mots, vos encouragements depuis le début de mes études, et surtout l’aide que vous me fournissez immanquablement. Sans vous, mes projets ne se réaliseraient sans doute pas toujours. Dans la même veine, un gros merci à beau-papa et belle-maman pour le temps que vous m’avez aménagé chaque fois que je me suis installée pour travailler chez vous.

Merci à mes ami·e·s pour les encouragements et les soirées à médire à propos des études aux cycles supérieures. Un merci tout spécial, d’ailleurs, à Édith Sansfaçon pour ton oreille attentive, ton humour et ton support (presque quotidien !)

Finalement, un merci particulier à celles et ceux qui ont cru en ce travail de recherche et qui en ont soutenu l’élaboration.

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Introduction et considérations théoriques

« It has been said that ‘‘the intersection of ‘feminism’ and ‘popular culture’ has never been anything other than troubled (Schiach, 1989 : 333), and in terms of contemporary literature at least, this intersection takes the form of chick lit1. »

« Trouble ».

Ce seul mot déjà condense l’entièreté de notre projet de recherche. Trouble, d’abord, car il en appellera de trois concepts principaux, la chick lit, l’ironie et le métaféminisme, auxquels nous espérons recourir non pas pour découper le regard posé sur les œuvres à l’étude, soit Soutien-gorge rose et veston noir, Gin tonic et concombre et Volte-face et

malaises de Rafaële Germain, mais plutôt pour l’enrichir. Trouble, aussi, à cause de son

caractère suspect, à l’image du sourcil qui se soulève du moment que commence l’analyse d’un objet issu de la grande consommation. Et, avouons-le, trouble, parce que nous aimons bien, justement, naviguer dans ce type d’eaux.

Les études féministes et les études consacrées à la culture populaire partagent bon nombre de difficultés, de la sempiternelle entreprise de légitimation à la méfiance qu’elles suscitent, ce que Françoise Stéréo, revue féministe en ligne depuis 2014, souligne dans son premier éditorial : « La grille d’analyse féministe est parfois présente dans certains médias de gauche, mais elle ne se retrouve que ponctuellement dans des publications plus généralistes et fait toujours l’objet d’un certain mépris2. » Dans le cas du best-seller,

il suffit de relire Les Pratiques culturelles de grande consommation : le marché

francophone dirigé par Denis Saint-Jacques et Roger De la Garde pour s’en convaincre :

[…] les best-sellers représentent un effet de marché le plus souvent critiqué quand ce n’est pas simplement ignoré. La doxa intellectuelle rabâche à point nommé les raisons de s’en méfier : l’origine étrangère, américaine, du classement qu’ils illustrent, la sollicitation de l’attention vers l’aspect

1 Mary Ryan, « Trivial or commendable? : women’s writing, popular culture, and chick lit », dans 452 oF, n° 3 (2010), p. 72.

2 Marie-Andrée Bergeron, Valérie Gonthier-Gignac, Djanice St-Hilaire, Catherine Lefrançois, Marie-Michèle Rheault, Julie Veillet,

« Viarge ! Pourquoi Françoise Stéréo ? », dans Françoise Stéréo, n° 1 (2014), [en ligne]. http://francoisestereo.com/viarge-pourquoi-francoise-stereo/. [Consulté le 15 août 2017].

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économique marchand de la culture, l’hétérogénéité des objets auxquels ils renvoient, les manipulations de données qu’ils paraissent encourager ; bref, ces réserves que le phénomène suscite n’en favorisent pas une connaissance objective3.

Il convient en revanche d’admettre que vingt-six ans plus tard la discrimination des genres se fait un peu moins sentir puisque la lorgnette universitaire se braque de plus en plus sur les corpus issus de la culture populaire — principalement télévisuels et cinématographiques — nommément : l’ouvrage collectif Télé en séries4 qui analyse

diverses séries contemporaines (québécoises, américaines, autochtones, françaises et britanniques), les travaux de Pierre Barrette5 sur la télévision québécoise, ou de façon

plus particulière, les articles récents au sujet des représentations de la sexualité des femmes à la télévision6 et ceux de Stéfany Boisvert à propos des représentations de la

masculinité dans les séries québécoises, de même que les travaux de Chantal Savoie sur la chanson populaire7. Dans cette veine, mentionnons la plateforme LaboPop8 lancée

récemment et la collection d’essais consacrés à « l’étude des phénomènes de la culture populaire mondiale contemporaine » publiés aux éditions Ta Mère9, « extension

imprimée » de la revue Web Pop-en-stock dirigée par Samuel Archibald et Antonio Dominguez Leiva du Département d’études littéraires de l’Université du Québec à Montréal, qui participent tous de cet élan.

3 Roger De la Garde et Denis Saint-Jacques [dir.], Les Pratiques culturelles de grande consommation. le marché francophone,

Québec, Nuit blanche (coll. Littératures), 1992, p. 7.

4 Elaine Després, Jérôme-Olivier Allard, Marie-Christine Lambert-Perreault et Simon Harel [dir.], Télé en séries, Montréal, XYZ, 2017,

464 p.

5 Notamment, Pierre Barrette, « La série québécoise du nouveau millénaire : une sérietélé distinctive », dans Alternative Francophone,

vol. I, n°8 (2015), p. 108-126, [en ligne]. http://ejournals.library.ualberta.ca/index.php/af ; « Le dispositif télévisuel de la version québécoise de "Tout le monde en parle" : espace déictique, identité discursive et cadre participatif », dans Tic&société, vol.VI, n° 1 (2012), [en ligne]. http://dx.doi.org/10.4000/ticetsociete.1237[Consulté le 2 mai 2018].

6 Julie Lavigne et al., « Les scripts sexuels des femmes de carrière célibataires dans les téléséries québécoises. Études de cas : Tout

sur moi, Les hauts et les bas de Sophie Paquin et C.A. », dans Recherches féministes, vol. XXVI, n° 1 (2013), p. 185–202. ; Julie Beaulieu, « La représentation de la sexualité des femmes incarcérées au petit écran. », dans Champ pénal/Penal field, vol. XIII (2016), [en ligne]. http://journals.openedition.org/champpenal/9390[Consulté le 2 mai 2018].

7 Notamment, Chantal Savoie, « La réception féminine de la chanson sentimentale populaire », dans C. Prévost-Thomas, H. Ravet

et C. Rudent [dir.], dans Le féminin, le masculin et la musique populaire d’aujourd’hui : Actes de la journée du 4 mars 2003, Paris, Université de Paris-Sorbonne, Observatoire musical français, 2005, p. 91-98. ; « La chanson à succès dans les années 1940. Une modernité culturelle par acclamation ? », dans Globe, vol. XVI (2012), p. 161-182.

8 Laboratoire de recherche sur la culture de grande consommation et la culture médiatique au Québec (LaboPop), https://labopop.

uqam.ca/2018, [en ligne]. [Consulté le 2 mai 2018].

9 Hélène Laurin, Les filles aussi jouent de l’air guitare, Montréal, Ta Mère (coll. Pop-en-stock), 2015, 95 p. ; Antonio Dominguez Leiva,

Youtube théorie, Montréal, Ta Mère (coll. Pop-en-stock), 2014, 110 p. ; Vincent Jouve, Mathieu Pierre, Gabriel Tremblay-Gaudette, et al., Série télé – Saison un, Montréal, Ta Mère (coll. Pop-en-stock), 2014, 310 p.

(10)

En parallèle, la présence dans les médias de professeures spécialistes en études féministes émancipe la réflexion intellectuelle du champ universitaire et génère ainsi un mouvement de va-et-vient : pendant que le populaire entre à l’université, l’universitaire, elle, s’efforce d’investir les tribunes. Il en résulte un brouillage des frontières dont le féminisme paraît profiter (les occurrences du terme « pop feminism10 » ont par exemple augmenté ces dernières années) et qui caractérise actuellement moult sphères autant journalistiques, universitaires que télévisuelles11. Cela n’est pas sans susciter son lot

d’hésitations, de questionnements et d’exclamations. Listons en ce sens la lettre ouverte de Lori Saint-Martin, « Le Devoir d’équité12 », dans laquelle elle revendique une meilleure

couverture médiatique pour les écrivaines, les apparitions à l’émission « Plus on est de fous, plus on lit13 » de l’autrice et professeure Martine Delvaux, où elle traite d’objets

associés au féminisme pop14, et les entretiens15 accordés aux journalistes par Isabelle

Boisclair, spécialiste en gender studies à l’Université de Sherbrooke. Signalons finalement la collaboration entre La Gazette des femmes et le populaire webzine Urbania16.

10 « pop feminism » de 1900 à 2008 dans Google Ngram Viewer, [en ligne]. [Consulté le 2 mai 2018].

11 Citons : Le colloque Imaginaires, théories et pratiques de la culture populaire contemporaine, organisé par Pop-en-stock et Figura,

le centre de recherche sur le texte et l’imaginaire (Montréal, Université du Québec à Montréal, 17 juin 2016, [en ligne]. http://oic.uqam.ca/fr/evenements/imaginaires-theories-et-pratiques-de-la-culture-populaire-contemporaine. [Consulté le 2 juin 2017].) ; Le gigantesque « FEMINIST » illuminé derrière Beyoncé sur la scène des MTV Video Music Awards en 2014 ; Le brassage médiatique autour de Chimamanda Ngozi Adichie et de son ouvrage Chère Ijeawele, ou Un manifeste pour une éducation féministe (Paris, Gallimard, 2017, 77 p.) ; L’initiative des Nations Unies He for She menée par Emma Watson en 2014, [en ligne]. http://www.heforshe.org/en [Consulté le 2 mai 2018)

12 Lori Saint-Martin, « Le Devoir d’équité », dans Le Devoir, Montréal, 29 décembre 2016, [en ligne].

http://www.ledevoir.com/opinion/idees/487983/egalite-des-sexes-le-devoir-d-equite [Consulté le 2 mai 2018]. ; « À quand la parité culturelle ? », dans Le Devoir, Montréal, 30 janvier 2016, [en ligne]. http://www.ledevoir.com/opinion/idees/461617/sexisme-a-quand-la-parite-culturelle [Consulté le 2 mai 2018].

13 Notons que Marie-Louise Arsenault, animatrice à la barre de Plus on est de fous plus on lit, a récemment publié avec Noémie

Désilets-Courteau l’Abécédaire du féminisme des suites du segment éponyme diffusé à la radio (Montréal, Somme toute, 2013, 221 p.).

14 Martine Delvaux, « Analyse d’un objet culturel : Barbie », à Plus on est de fous plus on lit, Montréal, Radio-Canada [Radio], 23

janvier 2018, [en ligne]. http://ici.radio-canada.ca/premiere/emissions/plus-on-est-de-fousplusonlit/segments/chronique/56028/barbie-martine-delvaux-karoline-georges [Consulté le 2 mai 2018]. Delvaux réfléchit au féminisme pop, entre autres avec son ouvrage Des filles en série : des Barbies aux Pussy Riots (Montréal, Remue-ménage, 2013, 224 p.)

15 Catherine Lalonde, « Miss Univers Canada – Un problème de taille », dans Le Devoir, Montréal, 3 avril 2012, [en ligne].

http://www.ledevoir.com/societe/346529/miss-univers-canada-un-probleme-de-taille [Consulté le 2 mai 2018] ; « Le sexisme révélé, un gazouillis à la fois », dans Le Devoir, Montréal, 16 mai 2017, [en ligne]. http://www.ledevoir.com/lire/498879/on-n-ecrit-pas-femme [Consulté le 2 mai 2018]. ; Isabelle Boisclair, « Les suites de #MeToo », dans Le Devoir, Montréal, 11 janvier 2018, [en ligne]. http://www.ledevoir.com/opinion/libre-opinion/517249/les-suites-de-metoo [Consulté le 2 mai 2018].

16 En tête de chaque article publié en collaboration avec la Gazette des femmes se trouve le chapeau suivant : « URBANIA vous

offrira régulièrement des textes à haute teneur féministe à travers la voix des auteures de la Gazette des femmes. Puisque nous partageons des valeurs similaires à celles de ce magazine, l’union était d’une logique irréprochable. » [en ligne]. https://urbania.ca/mots-cles/gazette-des-femmes/page/1 [Consulté le 2 mai 2018].

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Tout de même, réserve, méfiance et doute continuent d’accompagner les études féministes, comme ils talonnent la pratique de l’écriture au féminin. Le phénomène, doublé de l’appartenance de la chick lit à la littérature de grande consommation, explique peut-être le faible volume de littérature critique consacrée à la chick lit au Québec. Outre les mémoires de maîtrise rédigés par Kim Renaud-Venne17 et par Corinne Gervais18 (et qui

se consacrent à l’étude des romans de Germain), figure de manière plus importante le travail que Marie-Pier Luneau, professeure au Département des lettres et communications de l’Université de Sherbrooke, réalise sur le sujet. Citons à titre d’exemple son article « Talons aiguilles, best-sellers et milieu de l’édition : figurations du personnel littéraire en

chick lit » publié dans l’ouvrage Imaginaires de la vie littéraire. Fiction, figuration,

configuration en 201219.

Luneau a de fait dirigé le mémoire de Gervais « “Pour moi, un homme, c’est papa” : représentations de l’amoureux dans la chick lit québécoise ». Dans son étude du personnage de l’amoureux, Gervais s’est ainsi consacrée à un corpus plus large que le nôtre, composé de cinq œuvres, dont Gin tonic et concombre. Nous en appellerons de ses recherches, et de certains de ses outils d’analyses, principalement au cours du dernier chapitre du présent mémoire. De son côté, Renaud-Venne s’attaque, en parallèle de notre étude, brièvement à la question de l’ironie au féminin. En quelques pages, puisque-là ne réside pas l’essentiel de son projet de recherche, elle souligne que l’ironie et l’humour des personnages de Germain remettent en question, de manière timorée selon elle, les déterminismes de la condition féminine. Force nous sera parfois d’abonder en ce sens ; nous le détaillerons plus loin, mais la chick lit n’a pas pour intention première de bouleverser les codes (autant littéraires que sociaux). Cependant, nous tâcherons de notre côté d’étoffer la réflexion autour des différents extraits à saveur ironique que nous avons repérés au long de notre analyse. D’autant que l’ironie, chez Germain, ne s’en tient pas uniquement à ces déterminismes. Nous croyons en effet que la série, dont le but premier consiste certes à divertir, se dédie — peut-être — à d’autres fins que le rire seul.

17 Kim Renaud-Venne, « Représentations féminines, identités génériques et Familiarité socioculturelle : Les stratégies d’écriture dans

les romans de Rafaële Germain », Mémoire de maîtrise, Université du Québec à Montréal (UQAM), Montréal, 2016, 108 f.

18 Corinne Gervais, « “Pour moi, un homme, c’est papa” : représentations de l’amoureux dans la chick lit québécoise », Sherbrooke,

Université de Sherbrooke, 2015, f. 10.

19 Marie-Pier Luneau, « Talons aiguilles, best-sellers et milieu de l'édition : figurations du personnel littéraire en chick lit », dans

Bjorn-Olav Dozo, Anthony Glinoer et Michel Lacroix [dir.], Imaginaires de la vie littéraires. Fiction, figuration, configuration, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, coll.« Interférences», 2012, p. 76-77.

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La puce nous a été mise à l’oreille par le fait que l’autrice se déclare féministe et que son baccalauréat en études littéraires, de même que son incursion au deuxième cycle20, nous

permet de supposer, sinon sa maîtrise, du moins sa connaissance de l’ironie. Vu sa popularité, Rafaële Germain a accordé plusieurs entrevues dans différents médias québécois21. Au-delà de quoi, la littérature à propos de la chick lit québécoise, ou plus

spécifiquement de Germain, demeure modeste.

Longtemps amputée de l’histoire littéraire, la production des autrices a au fil du temps été jugée « féminine », et non « universelle »22, l’empêchant d’accéder à une plus grande

diffusion23 — une argumentation qui persiste dans le discours contemporain. Cette réalité

ne saurait d’ailleurs être mieux mise en lumière que par l’article « Au-delà de la chick lit » (aussi tombé dans la mire de Gervais) de Richard Martineau, un populaire chroniqueur sévissant dans la presse québécoise. Diffusé dans Elle Québec, le texte cible particulièrement la chick lit, mais la critique pourrait concerner n’importe quel genre dit « féminin » : « Combien de versions de Sex and the City peut-on publier et lire en un an ? Ça ne vous tente pas de changer de registre ? D’écrire — je ne sais pas, moi — un roman d’espionnage ou une série de science-fiction ? Avec des rois, des trolls et des milliers de soldats qui dévalent une montagne sur leur monture24 ? » Pour peu — n’eût été la

réputation de Martineau —, nous pourrions croire au sarcasme. Or, cette riche intervention, en plus d’être énoncée sur un ton résolument paternaliste, expose sans équivoque le double standard qu’accusent les autrices : les genres associés à une production populaire masculine (ex. : roman d’aventure, roman policier, roman de

20 Maude Goyer, « Rafaële Germain », dans Châtelaine, Montréal, 2009, [en ligne].

http://fr.chatelaine.com/societe/entrevues/rafaele-germain/. [Consulté le 1er septembre 2016].

21 La lecture de « Le deuil, le combat : du manspreading littéraire à la parité culturelle » de Lori Saint-Martin publié sur le site de

Femmes canadiennes dans les arts littéraires s’avère cependant pertinente pour contextualiser la popularité médiatique qu’a connue Germain. Évidemment, l’article ne traite pas spécifiquement de l’auteure, mais propose de remettre les pendules à l’heure quant aux représentations des autrices dans les médias (https://cwila.com/fcal-femmes-canadiennes-dans-les-arts-litteraires-appel-ouvert-pour-des-editeurs-et-editrices-dentrevues/).

22 Fanny Britt résume d’ailleurs avec humeur ce problème dans un billet rendu à l’émission Plus on est de fous, plus on lit le 28

septembre 2017 : « […] pendant que les thèmes universels des Hommes, autant dire des humains, autant dire du plus grand H majuscule possible [s’érigent] bien drus sur la plaine de la littérature qui jalonn[e] les murs des Wall of Fame, des prix littéraires et des listes d’œuvres qui comptent. Comment comprendre qu’une femme qui écrit sur sa mère fait de l’autofiction alors qu’un hom me qui écrit sur son père décrit l’humanité ? Rien à faire, ça ne me rentre pas dans la tête. » (Fanny Britt, « Comment s’affranchir de la pression sociale selon Fanny Britt », Plus on est de fous, plus on lit, 28 septembre 2017, [émission radio diffusée à Radio-Canada]. (Écoutée le 2 mai 2018).)

23 À ce sujet, voir l’introduction d’Isabelle Boisclair dans Ouvrir la voie/x : le processus constitutif d’un sous-champ littéraire féministe

au Québec (1960-1990), Québec, Nota Bene, 2004, 391 p.

24 Richard Martineau, « Au-delà de la chick lit », dans Elle Québec, (1er mars 2009), [en ligne].

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science-fiction) sont perçus comme légitimes contrairement à ceux associés à une production populaire féminine (ex. : roman d’amour). Doublant ses torts d’un affront, le chroniqueur renchérit : « Pendant que les hommes écrivent sur la guerre, la politique et l’Histoire, les femmes, elles, se consacrent aux sentiments et à la psychologie. » Cette dernière phrase, quiconque s’intéresse à l’histoire des femmes dans la littérature l’a lue des dizaines de fois25

Au-delà de cet extrait anecdotique, il demeure que les romans des autrices figurent encore rarement aux corpus des établissements d’enseignement québécois, ce que réitère Savoie dans un entretien accordé à Laurence Brogniez et Vanessa Gemis :

Même si nous connaissons davantage les trajectoires et les pratiques d’un plus grand nombre de femmes, je suis loin d’être certaine qu’elles occupent plus d’espace qu’avant dans l’économie générale des synthèses, anthologies et manuels. Il faut ainsi se garder d’appliquer trop mécaniquement une grille contemporaine qui nous incite à croire que la place des femmes dans l’histoire littéraire québécoise s’accroît au fil du temps. S’il est certainement vrai que les femmes accèdent plus aisément à la publication de nos jours qu’aux siècles précédents, il ne faudrait pas conclure que leurs œuvres sont davantage prises en compte par l’histoire, à moyen ou à long terme26.

Ce mémoire se veut ainsi, en partie, une réponse à ce que Maude Nepveu-Villeneuve décrit comme une « invisibilisation systématique des femmes et de leurs écrits27 ». En

nous intéressant à la chick lit, nous contribuerons d’abord à ce que les genres associés au « féminin » profitent d’une couverture universitaire, et ce, peu importe leur capital symbolique, et démontrerons aussi que les romans issus de la chick lit québécoise, plus particulièrement ceux publiés par Rafaële Germain, détiennent la capacité d’intégrer la pensée féministe, principalement par l’intermédiaire de l’ironie dont les protagonistes font preuve dans leurs relations interpersonnelles. Ce travail de recherche se fonde sur

25 Mary Ryan, art. cit., p. 77.

26 Laurence Brogniez et Vanessa Gemis, « Introduction », dans Textyles, vol. XLII (2012), [en ligne].

http://journals.openedition.org/textyles/2293. [Consulté le 2 mars 2018].

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l’analyse réalisée par Lucie Joubert dans Le carquois de velours : L’ironie au féminin28, et

sur la notion de « métaféminisme » développée par Lori Saint-Martin29.

Nous y reviendrons, mais l’ironie, dans les romans de chick lit, semble un véhicule tout indiqué pour contenir un propos féministe, car « [e]lle n’a pas son pareil pour faire apparaître la doxa et, avec elle, tous les schèmes culturels à la base desquels se trouvent les mythes modernes30 […]. » En plus, elle cache la plupart du temps une prise de parole

« puissante, car elle permet aux femmes, traditionnellement objet d’ironie, de renverser les règles du jeu et de devenir “sujets” ironisants31. » En effet, sa facilité à se dissimuler

entre les lignes, au risque de passer inaperçue, lui octroie un potentiel subversif patent : elle infiltre la chick lit, signale les empiètements, sans pour autant en bouleverser les codes.

En gardant en tête que l’« humour [des femmes] n’a rien de léger […] [et que] l’ironie dans la fiction des femmes […] peut être beaucoup plus féroce que l’humour, [parce qu’elle] n’a pas la même indulgence [et qu’elle] ne cherche pas à ménager ses victimes32 », il nous

apparaît justifié de dénicher ce qui se cache derrière la « pink-package femininity33 » des

romans de chick lit auquel les couvertures de la série de Germain ne manquent pas de répondre34. À l’évidence, si d’un côté « les malaises qu’il provoque [le best-seller] sont

effectivement fondés, il serait urgent d’évaluer ce qui nous menace pour savoir parer au danger ; de l’autre, nous pouvons soupçonner que les best-sellers offrent des renseignements utiles sur ce qui se passe actuellement dans la culture québécoise35. »

Voilà bien la démarche que nous nous proposons d’entreprendre, et si nous avons construit notre corpus autour de la série de Germain, c’est d’abord parce qu’elle représente les premiers bourgeons (fructueux !) de la chick lit au Québec. En ce sens, Germain se voit fréquemment citée dans les journaux, par ses contemporains, ou son

28 Lucie Joubert, Le carquois de velours. L’ironie au féminin dans la littérature québécoise (1960-1980), Montréal, L’Hexagone (Coll.

Essais littéraires), 1998, 181 p.

29 Lori Saint-Martin, Contre-voix : Essai de critique au féminin, Québec, Nuit blanche éditeur, 1997, 294 p.

30 Danielle Forget, « L’ironie : stratégie de discours et pouvoir argumentatif », dans Études littéraires, vol. XXXIII, n° 1 (2001), p. 48. 31 Lucie Joubert, op. cit., p. 19.

32 Lucie Joubert, L’humour du sexe. Le rire des filles, Montréal, Triptyque (Coll. Essais littéraires), 2002, p. 142.

33 Stéphanie Genz, Postfemininities in Popular Culture, Basingstoke, Palgrave Macmillan, 2009, p. 1. Sur le même sujet, le chapitre 2

(The Packaging) de l’ouvrage de Rocío Montoro explore les caractéristiques des pages couvertures des romans de chick lit (Rocío Montoro, Chick lit: the stylistics of cappuccino fiction, London, Bloomsbury Continuum, 2012, 264 p.)

34 À ce propos, voir l’annexe I.

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éditeur, comme l’initiatrice de la chick lit au Québec36. Elle jouit donc de la reconnaissance

de ses paires et du milieu à cet égard. Il nous est donc apparu pertinent de fonder notre étude sur sa production, d’autant qu’elle répond des codes de la chick lit, tel que nous l’exposerons.

Chick lit, féminisme et culture populaire

En 1996, au Royaume-Uni, paraît Bridget Jones’s Diary37, roman phare de la chick lit. Le

succès qu’il remporte entraîne dans sa foulée la publication d’autres titres du même genre, dont The Secret Dreamworld of a Shopaholic 38 ou encore The Devil Wears Prada39. Au

Québec, depuis la parution en 2004 de Soutien-gorge rose et veston noir — considéré comme le premier roman de chick lit québécoise (90 000 exemplaires vendus40) —, s’est

produit un scénario similaire et de nombreux livres associés au genre continuent de se retrouver chaque année sur les tablettes. Pensons par exemple aux séries Chick lit (regroupant 6 tomes publiés entre 2011 et 2014) et Ce qui se passe à… (trois tomes publiés entre 2012 et 2015) écrites par Amélie Dubois, aux romans de Valérie Chevalier,

La théorie du drap contour (2016), Tu peux toujours courir (2015) et, récemment, Les petites tempêtes (2017), ou encore à Nathalie Roy et à sa suite La vie épicée de Charlotte Lavigne (quatre tomes publiés entre 2011 et 2013). La vitalité de la chick lit, malgré un

supposé essoufflement maintes fois annoncé41, se mesure aussi dans la province par le

36 Pour reprendre les propos de Renaud-Venne au moment de justifier le choix de son corpus : « La sélection de notre corpus s'est

alors effectuée sans difficulté lorsqu'un nom, une auteure québécoise, surgissait de manière récurrente dans nos recherches puisqu'elle aurait « [ ... ] ouvert la voie à la chick lit "made in Québec" ». (Kim Renaud-Venne, mémoire cité, p. 4.). À cette justification, ajoutons cet extrait d’un article de Laila Maalouf à propos de la chick lit : « Pour nous [au groupe Librex], la grande prêtresse de la chick lit reste Rafaële Germain, qui a publié ses romans dans le grand mouvement du chick dans les années 2000. » (Laila Maalouf, « Les neufs vies de la chick lit », dans La Presse, Montréal, (5 mai 2016), [en ligne]. http://www.lapresse.ca/arts/livres/201605/05/01-4978451-les-neuf-vies-de-la-chick-lit.php [Consulté le 3 janvier 2018].)

37 Helen Fielding, Bridget Jones’s Diary, London, Picador, 1996, 336 p.

38 Sophie Kinsella, The Secret Dreamworld of a Shopaholic, London, Black Swan, 2000, 319 p. La preuve du succès remporté par

l’auteure n’est d’ailleurs pas à faire, Le Monde avance qu’elle aurait vendu des dizaines de millions de ses livres dans le monde. (Clara Georges, « Sophie Kinsella : “Mon privilège d’auteure est de créer des happy ends” », dans Le Monde, (4 septembre 2017), [en ligne]. http://www.lemonde.fr/m-perso/article/2017/09/04/sophie-kinsella-mon-privilege-d-auteure-est-de-creer-des-happy-ends_5180733_4497916.html. [Consulté le 21 janvier 2018]).

39 Lauren Weisberger, The Devil Wears Prada, France, Broadway Books, 2003, 360 p. 40 Groupe Libre Québécor Média, « Soutien-gorge rose et veston noir », Éditions Libre

Expression, [en ligne]. http://www.editions-libreexpression.com/soutien-gorge-rose-veston-noir/droits/9782764801437. [Consulté le 2 février 2017].

41 Laila Maalouf, « Les neuf vies de la chick lit., dans La Presse, Montréal (5 mai 2016), [en ligne].

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volume d’activité sur les différentes pages des médias sociaux consacrées au sujet (dont le groupe Facebook « J’aime la Chick-lit », suivi par 4,6 K personnes).

Mettant en scène des héroïnes généralement blanches (et blondes), dans la vingtaine ou la trentaine, et issues de la classe moyenne42, la chick lit aspire à dépeindre le quotidien

des jeunes femmes du XXIe siècle43. Ces dernières ne répondent pas au « modèle de

perfection et de vertu44 » auquel les protagonistes des romans Harlequin se soumettaient :

mises de l’avant, leurs failles se voient désamorcées par l’humour et l’autodérision. Ces procédés, combinés à l’emploi caractéristique de la première personne du singulier, ont pour double effet de rendre la lecture divertissante et de favoriser l’identification du lectorat aux personnages45.

L’importance qu’y occupe l’intrigue amoureuse n’échappe à aucun critique : tandis que certain·e·s y perçoivent une raison de considérer la chick lit comme un sous-genre du roman d’amour46, d’autres y voient, par ses ressorts, l’occasion de l’en dissocier. Cette

quête meuble, il va sans dire, une bonne portion de la trame narrative, sans être pour autant essentielle à la vie des héroïnes. Pour faire suite aux travaux des chercheures Katarzyna Smyczyńska et Stephanie Harzewski, nous appréhenderons la chick lit en tant que genre à part entière. Smyczyńska et Harzewski dressent, respectivement dans The

world according to Bridget Jones et Chicklit and Postfeminism, les distinctions qu’elles

établissent entre la chick lit et le roman d’amour (Harlequin). Selon elles, le genre s’en différencie entre autres à cause de l’autonomie financière des protagonistes, de leur plus grande agentivité sexuelle47 et de la refonte du héros masculin : « Chick lit’s most

significant deviation from the Harlequin lies in its representation of men. Men serve various functions, and while men are sometimes love objects, the chick lit heroine’s relation to men is often closer to that of the picaresque than that of romance48. » Les livres de chick

42 Précisions qu’au cours des dernières années, le spectre de personnages représentés par le genre s’est quelque peu élargi. Les

romans s’adaptent au gré des différentes réalités et régions (Black chick lit, Indian chick lit, Church lit (Christian Chick lit), Mom lit). À ce sujet, Ryan laisse entendre que les autrices tentent de se renouveler et que le noyau principal qui caractérise la chick lit est de plus en plus difficile à identifier, car il évolue au fur et à mesure que les autrices s’éloignent des clichés. (Mary Ryan, art. cit., p. 73.)

43 Suzanne Ferriss et Mallory Young, Chick lit: The New Woman’s Fiction, New York, Routledge, 2006, p. 3. 44 Marie-Josée Turgeon, dossier « La Chick lit », dans Les libraires, vol. I, n° 2 (Février 2014), p. 28-33. 45 Suzanne Ferriss et Mallory Young, Chick lit: The New Woman’s Fiction, op. cit., p. 3.

46 Kim Renaud-Venne, mémoire cité, f. 1.

47 L’agentivité doit être « comprise comme la puissance d’agir des femmes dans une société patriarcale qui les confine

traditionnellement dans un état de subordination ». (Julie Lavigne et al., art. cit., p. 185.)

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lit, ancrés dans une réalité urbaine, se distinguent également sur ce plan du roman

sentimental : ce cadre offre aux héroïnes l’occasion de tisser des liens sociaux. De ce fait, elles ne subissent pas l’isolement vécu par leurs prédécesseures49. Il convient donc de

reconnaître le rôle central joué par les ami·e·s qui gravitent autour d’elles50.

Du côté anglophone, la consommation matérielle des personnages51 se montre

caractéristique du genre : les protagonistes éprouveraient un attrait pour les grandes marques et seraient pour la plupart des « fashionistas » en puissance. Elles vivraient sous le joug de patrons-aspirants-dictateurs qui leur en feraient voir de toutes les couleurs52.

Deux particularités qui résonnent plus rarement au Québec : pour cause, la chick lit se démarque ici par sa spécificité culturelle. A contrario de la France, le marché québécois a préféré produire ses propres textes, au lieu de se satisfaire de traductions53. De ce fait,

notre corpus répond indubitablement aux codes décrits, mais ménage néanmoins ses particularités : aucune héroïne ne court les boutiques et toutes assument un statut de travailleuse autonome, plutôt que celui d’une employée à la charge d’un patron tyrannique54. Fidèles aux normes du genre, les personnages de Germain résident en ville,

à Montréal, non loin du Plateau Mont-Royal.

En mettant de l’avant des femmes confiantes de leur apparence, les trois tomes de la série de Germain s’éloignent à nouveau de leurs racines anglo-saxonnes : les détails sur les caractéristiques physiques de Chloé, Marine et Geneviève filtrent à quelques endroits, mais sans accent, et les romans ne retracent pas d’absurdes tentatives de régimes ni de fréquentes visites au gym55. Si l’amour préoccupe effectivement les protagonistes, l’amitié

se positionne de façon indéniable en tant que moteur narratif des récits et elles construisent d’abord leur univers autour de leurs ami·e·s ; les épilogues mettent systématiquement en scène ces derniers auprès de l’héroïne. Ainsi, son entourage ne

49 Béatrice Damian-Gaillard, « Les romans sentimentaux des collections Harlequin : quelle(s) figure(s) de l’amoureux ? Quel(s)

modèle(s) de relation(s) amoureuse(s) ? », dans Questions de communication, (2011), [en ligne]. http://questionsdecommunication.revues.org/2130 [Consulté le 23 septembre 2015].

50 Stephanie Harzewski, op. cit., p. 63.

51 Joanne Knowles, Chick Lit. Special issue of Diegesis: Journal of the Association for Research in Popular Fictions, n° 8, (Hiver 2004),

p. 2.

52 Suzanne Ferriss et Mallory Young, « Introduction », dans Chick lit: The New Woman’s Fiction, op. cit., p. 1-13. 53 Marie-Josée Turgeon, dossier cité, p. 29.

54 Néanmoins, comme les héros de chick lit – ceux de Germain compris – occupent généralement des emplois mieux rémunérés et

plus valorisés que les protagonistes, il demeure qu’une asymétrie des pouvoirs persiste à cet égard.

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s’éclipse pas dès lors qu’elle déniche le « prince charmant », ce que nous détaillerons au chapitre 2. Pour cerner rapidement le ton et l’esthétique des romans formant notre corpus, nous avons inséré, à l’annexe I, leur page couverture accompagnée de leur résumé respectif.

Par une brève parenthèse, relevons que le terme « chick lit » s’entoure d’un vent de controverse et que ses origines — quoiqu’un quasi-consensus reconnaît le livre d’Helen Fielding comme le premier du genre — continuent d’être remises en question56. Cris

Mazza57 affirme avoir employé la dénomination la première, de façon ironique, pour titrer

son anthologie, Chick lit : Postfeminist fiction, qui regroupe les textes postféministes de plusieurs autrices (la plupart des monographies à propos du genre reconduisent cette anecdote). « Chick lit » aurait par la suite été récupéré par les médias pour endosser le sens discuté ci-haut, ce que les autrices de Chick lit : The New Woman’s Fiction précisent d’emblée. À l’évidence, il faut mentionner le caractère sexiste de l’appellation : « chick » (« poulette) déprécie le lectorat et le restreint immédiatement. Marie-Hélène Poitras, dans son article publié pour la Gazette des femmes58, identifie ces enjeux et en appelle

simultanément du double standard, après qu’une chroniqueuse ait qualifié son roman de

chick lit59 :

[…] quel auteur voudrait voir son lectorat potentiel réduit de moitié ? Pourquoi, quand on met en scène deux personnages féminins, on fait soudainement de la chick lit, alors que lorsqu’il s’agit de protagonistes masculins ou mixtes, c’est de la littérature jeunesse ? Pourquoi devrais-je joindre le camp d’une littérature parallèle qui véhicule un message superficiel60 ?

En contrepartie, l’utilisation de « chick » pourrait être perçue comme une stratégie de réappropriation sémantique à la manière du terme « bitch » par la revue féministe américaine éponyme61. C’est un argument qui, dans ce cas-ci, accuse des lacunes

56 Rocío Montoro, op. cit., p. 4-7.

57 Cris Mazza, « Who’s laughing now », dans Suzanne Ferriss et Mallory Young, Chick lit: The New Woman’s Fiction, New York,

Routledge, 2006, p. 28.

58 Marie-Hélène Poitras, « Contre la chick lit », dans La Gazette des femmes, (mai 2010), https://www.gazettedesfemmes.ca/auteur[en

ligne]. [Consulté le 1er janvier 2018].

59 Marie-Claude Girard, « Chick lit pour ados : portraits de filles », dans La Presse, (janvier 2010), [en ligne].

http://www.lapresse.ca/arts

/livres/201001/15/01-939324-chick-lit-pour-ados-portraits-de-filles.php[Consulté le 2 mai 2018].

60 Marie-Hélène Poitras, art. cit.

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puisque ce sont les médias qui se le sont approprié, et non les autrices elles-mêmes (sur le modèle de Cris Mazza). Nous n’aurons malheureusement pas l’occasion de nous arrêter plus longuement sur cette problématique sous-jacente à la dénomination du genre qui, nous le reconnaissons, mériterait un étayage plus soutenu62 et emploierons « chick

lit », tout en étant au fait de sa nature controversée.

Dans la mouvance des cultural studies, la chick lit suscite l’intérêt. La revue Nouvelles

Questions Féministes y accordait une généreuse portion de son numéro en 200963 et les

articles cherchant à établir si, oui ou non, elle réussit « l’examen féministe » se multiplient. Néanmoins, nombreux sont les textes concluant, après l’octroi de quelques points, à la vacuité du genre et à sa subordination au patriarcat64. Cette attitude suspicieuse nous a

surprise. Pourquoi ne pas s’intéresser plutôt aux transformations qui s’y opèrent ou qu’elle intègre ? À cette fin, et dans une optique de déconstruction du double standard entre la production de masse masculine et féminine, nous privilégierons l’approche de Martine Delvaux : « Le féminisme pop demande de poser un autre regard sur les objets. Un regard qui, au lieu de chercher ce qui manque, trouve ce qu’il y a. Car un objet doit-il tout nous donner ? Doit-il nous satisfaire sur tous les plans ? Répondre à toutes nos attentes ? À toutes nos questions65 ? » Ainsi, appréhender la chick lit, c’est naviguer entre les

contradictions et explorer les zones « troubles » : un projet un brin schizophrénique puisqu’au sein d’un même objet se mêle des choix romanesques aux apparences antipodales. Par exemple, au lieu de présenter leurs protagonistes comme subordonnées aux avances des hommes, les autrices de chick lit encouragent leur agentivité sexuelle (par le nombre d’expériences et de partenaires sexuels66). Cependant, elles continuent

d’accorder au couple (ou à sa recherche) la majorité de leurs pages de telle sorte que les personnages féminins campent le rôle de sujet agissant et désirant, sans toutefois renoncer au modèle prescrit. En d’autres mots, il nous faudra, dans le cadre de ce

62 Rocío Montoro s’attaque à la question de la dénomination du genre dans Chick lit: the stylistics of cappuccino fiction. Il en résulte

le néologisme « cappuccino fiction », en référence à l’aspect réconfortant des romans de chick lit. Il sort ainsi d’une conception genrée.

63 Dossier « Figures du féminin dans les industries culturelles contemporaines », dans Nouvelles Questions Féministes, vol. XXVIII,

n° 1, (2009), 152 p.

64 Nous reviendrons sur ce point au Chapitre 3.

65 Martine Delvaux, « Ce que le pop apprend au féminisme : "Charlieʼs Angels", "Thelma and Louise", "Jessica Jones", et quelques

autres », dans le cadre du colloque Imaginaires, théories et pratiques de la culture populaire contemporaine, organisé par Pop-en-stock et Figura, le Centre de recherche sur le texte et l’imaginaire, Montréal, Université du Québec à Montréal, 2016, [en ligne]. www.choq.ca/mp3/episode/34926/MartinePOP. mp3 [Consulté le 1er septembre 2016].

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mémoire, refuser de trancher nos sujets d’analyse de façon binaire, car cela constitue, à l’évidence, une démarche inadaptée aux objets issus de la culture populaire.

Du métaféminisme et de la pop

Ne pas interpréter un silence ou une contradiction comme un désaveu du féminisme s’apparente à la démarche ayant motivé Saint-Martin à développer un nouveau cadre d’analyse destiné aux œuvres publiées par des autrices québécoises depuis 1980. Désignés comme « métaféministes », ces romans n’en appellent plus, selon elle, du féminisme comme d’une stratégie d’écriture, à l’image des textes parus au cours des années soixante-dix au Québec (par exemple : L’Eugélionne de Louky Bersianik : 1976 ; L’Amèr de Nicole Brossard : 1977 ; Nécessairement putain de France Théoret : 1983), et l’inscrivent à la place en pointillé. D’abord imprimé en 1992 sous le titre « Le métaféminisme et la nouvelle prose féminine au Québec », puis remanié en 1997 dans l’ouvrage Contre-voix : Essai de critique au féminin, l’article cherche entre autres à sortir de la nostalgie des années soixante-dix.

En entrevue pour la Gazette des femmes, Saint-Martin décrit ce qu’implique l’écriture métaféministe et ce qu’elle sous-tend :

Surtout pas [une littérature féminine postféministe]. Le terme postféminisme est trompeur et démobilisateur. Il pose le féminisme comme une espèce d’anachronisme qui appartient à une époque révolue dont il ne resterait rien ou presque. Or, comme le signale l’écrivaine Toril Moi, un véritable postféminisme est impossible sans un postpatriarcat. Et on est encore loin du compte. Cela dit, il faut reconnaître que l’écriture au féminin a bien changé depuis 1970. C’est pourquoi je parle de métaféminisme pour décrire un féminisme qui a non seulement survécu, mais qui s’est naturellement intégré à l’écriture des Québécoises67.

La professeure et autrice estime essentiel de renouveler le regard posé sur les œuvres littéraires, afin d’éviter de tourner en rond. En bref, les stratégies de discours changent et l’angle d’analyse doit faire de même !

67 Pierre de Billy, « Ras-le-bol de la nostalgie : place au métaféminisme ! », dans La Gazette des femmes, Montréal, 1998, [en ligne].

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Le métaféminisme permet en outre d’esquiver une épineuse inscription au débat entourant le « post-féminisme » (compris à un moment comme la continuité du féminisme et à un autre comme son point de rupture) auquel Saint-Martin consacre quelques lignes avant de conclure : « Bien qu’il se donne pour la simple constatation d’une transition historique, le terme post-féminisme est porteur d’une forte charge idéologique68. » À sa

suite, nous opterons pour la grille métaféministe qui permet de reconnaître l’héritage laissé aux autrices contemporaines par les écrivaines féministes de la deuxième vague tout en attestant leur singularité. Saint-Martin relève notamment que les textes étudiés se construisent dorénavant à partir de l’expérience de l’intime, qu’ils affichent une plus grande lisibilité et que, quoique moins radicale, la prise de parole féministe demeure.

Concrètement, les écrits métaféministes se distinguent de ceux associés au féminisme de la deuxième vague par leurs intentions. Saint-Martin précise que la revendication d’un féminisme engagé ne motive plus l’acte d’écrire. Autrement dit, « la liberté d’expression prime [maintenant] sur l’engagement69 » et « la quête d’une écriture spécifiquement

féminine, d’un langage femme, semble abandonnée70 » au profit d’une plume plus à l’aise

avec ses contradictions. Il en résulte des œuvres plus accessibles :

C’est dire que nombre de romans métaféministes reprennent à leur façon un principe fondamental du féminisme, à savoir que la vie privée est politique, mais ils l’abordent par l’autre bout de la lorgnette, par le personnel plutôt que par le politique. Au lieu d’être présentés d’une manière totalisante, comme dans les textes féministes radicaux, sur le mode du « toutes les femmes veulent que… », les enjeux historiques, politiques, discursifs sont maintenant abordés par le biais d’une vie et d’une voie de femme singulière, si bien qu’on passe du privé au collectif plutôt que l’inverse71.

Cette observation se vérifie avec la chick lit qui, nous l’avons dit, se concentre sur le quotidien d’une seule jeune femme, pour parler, au final, de la vie d’un ensemble de jeunes femmes (blanches, occidentales et privilégiées, il faut tout de même le rappeler) du vingt-et-unième siècle. À la lumière de cette dernière citation de Saint-Martin, nous pouvons aussi avancer que, bien qu’il soit issu d’une analyse basée sur un corpus d’œuvres publiées par des romancières au cours des années quatre-vingt et

68 Lori Saint-Martin, Contre-voix : Essai de critique au féminin, op. cit., p. 236. 69 id.

70 ibid., p. 241. 71 ibid., p. 266.

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dix, les fondements qui sous-tendent le métaféminisme peuvent, selon nous, difficilement faire date. En effet, la chercheuse voit dans le préfixe « méta » une façon de transmettre l’idée qu’un objet peut à la fois « transfor[mer] » un certain féminisme sans l’« abandonne[r]. Le métaféminisme intègre à la fois l’idée de transmission et de modification. L’adaptabilité de cet outil de lecture réside dans sa capacité à reconnaître à la fois l’héritage et le changement, et à faire cohabiter une posture plus militante avec une plus modérée. En somme, le métaféminisme rend compte d’un dialogue. Et ce dialogue, nous en sommes persuadée, peut avoir lieu entre différents types d’interlocuteur·rice·s.

Racontant, sur la trame de l’anecdotique, la quête personnelle de narratrices à la recherche de l’amour, la série ne constitue évidemment pas un brulot féministe. Cependant, les romans n’en intègrent pas moins les acquis des luttes féministes passées (et à venir), voire les défendent à quelques occasions. Nous proposons donc de transposer le cadre théorique développé par Saint-Martin aux romans de culture populaire72 puisque cette stratégie exploratoire correspond au filtre que nous souhaitons

appliquer aux œuvres du corpus, car « [f]onder notre conception du féminisme sur une brève période, maintenant révolue, nous condamnerait à une nostalgie proche parente de l’immobilisme et tiendrait à jamais les jeunes femmes à l’écart du féminisme73. » Dans

notre cas, elle nous condamnerait en même temps à tenir à jamais à l’écart la culture populaire du discours féministe. De ce fait, nous nous proposons de développer une sorte de métaféminisme pop qui, à l’instar du féminisme pop, chercherait ce qu’il y a, plutôt que ce qu’il manque74.

Conséquemment, il faudra modeler la notion aux contraintes de la culture pop, c’est-à-dire que l’expression du métaféminisme chez Germain « affirme[ra] » peut-être de façon plus retenue son « enracinement » au féminisme que des romans de littérature restreinte (pensons au travail qui pourrait être effectué en ce sens sur Des femmes savantes de Chloé Savoie-Bernard par exemple), mais la série parviendra à sa manière à le

72 Dans son article, Saint-Martin considère principalement les romans compris dans le spectre de la littérature restreinte toutefois, tel

que l’écrit Boisclair : « Le courant métaféministe permet en outre de refléter la pluralité du féminisme. […] Le métaféminisme se manifeste autant dans certains romans populaires (grande production) que dans certains romans historiques (champ mitoyen) ou dans des textes témoignant de nouvelles écritures (champ restreint). » (Isabelle Boisclair, Ouvrir la voie/x : le processus constitutif d’un sous-champ littéraire féministe au Québec (1960-1990), op. cit., p. 160.)

73 ibid., p. 238.

74 Martine Delvaux, « Ce que le pop apprend au féminisme : Charlieʼs Angels", "Thelma and Louise", "Jessica Jones", et quelques

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« commente[r], prolonge[r] et vivifie[r] ». Ainsi, loin de rejeter les luttes passées visant l’égalité entre les sexes — pour le résumer très grossièrement —, les romans de Germain en intègrent les acquis (par des personnages féminins autonomes financièrement, par exemple), en interroge les conséquences (la modification de la figure du père, entre autres) et négocie de nouveaux espaces de liberté (par l’intermédiaire de l’amitié inter-sexe, notamment). La contemporanéité du métaféminisme et son application à notre corpus nous semblent conséquemment patentes.

Pour clore la parenthèse ouverte au paragraphe précèdent quant à l’actualité du métaféminisme comme outil théorique, et avant de nous lancer tout à fait dans une étude de l’ironie, avançons que le corpus auquel s’attaque Joubert pour théoriser l’ironie au féminin se compose d’œuvres publiées par des autrices québécoises à une période qui précède celle qui nous occupe (1960-1980). À nouveau, donc, l’analyse réalisée ne concerne pas directement des textes publiés au-delà des années 2000. Évidemment, les résultats que tire Joubert se teintent des considérations propres à l’époque. Si certains thèmes (le mariage comme institution, l’Église, les Anglais, la figure de l’institutrice) font peut-être moins la manchette aujourd’hui, la forme et le fond de l’ironie au féminin ne sauraient avoir changé du tout au tout :

Les autrices ne critiquent pas tant la société dans son ensemble que le peu de place que cette société leur réserve. Elles ne tournent pas en dérision le mariage75, mais la soumission et le renoncement qu’il implique […] Leur ironie

prend systématiquement le contre-pied de l’idéal féminin auquel les hommes souhaitent les voir se conformer. […] C’est une ironie de résistance qui, en s’attaquant à certains comportements masculins, témoigne de ce que veulent les femmes et de ce qu’elles rejettent, du type de relations ou de société qu’elles souhaitent voir s’ébaucher76.

En fait, ce sont les cibles de l’ironie, bien plus que sa forme, qui témoignent de la période à laquelle elle a été formulée. La place que la « société réserve » aux femmes s’est bien sûr modifiée au fil des luttes, mais elle ne reste pas moins à négocier, à interroger et à imaginer. L’ironie au féminin recèle donc fort probablement le même pouvoir en ce qui nous concerne. Ainsi, même si les constats que nous tirerons de notre côté se

75 Nous reviendrons sur la question du mariage à la page 93 du présent mémoire. 76 ibid., p.202.

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distingueront sans aucun doute parfois de ceux dressés par la chercheuse à cause de cet écart sur la ligne du temps (Germain étant évidemment plus près dans ce que Saint-Martin identifie comme les pensées « post- »77 que du féminisme de première et de deuxième

vague), le cadre d’analyse de l’ironie au féminin mis en place par la chercheuse s’inscrit en adéquation avec nos intentions. Cette transposition fait écho à la lecture métaféministe que nous proposons ; nous dialoguerons, pour ainsi dire, avec Joubert et les autrices qu’elle a recensées. Cela étant, nous serons donc en mesure de montrer en quoi l’ironie de Germain poursuit et renouvelle les pratiques de l’ironie au féminin.

De l’ironie et de la série de Germain

Le danger de mal interpréter un texte persistera toujours : c’est pourquoi tous les extraits proposés ici comme exemples d’ironie le sont sous toutes réserves [parce que] [l]e risque de passer à côté de l’ironie ou de la découvrir là où elle n’est pas demeure entier78.

Nous empruntons à Joubert cette mise en garde, car c’est avec cette considération en tête que nous avons disséqué les romans à l’étude. Notion polymorphe, l’ironie s’appréhende de différentes manières : linguistique, philosophique, littéraire... Pierre Schoentjes dans Poétique de l’ironie79 illustre très bien son caractère multiple par la

construction d’un travail théorique et critique s’avançant autant du côté de l’histoire que de la psychanalyse ou de la philosophie, ou encore de la conversation quotidienne, par exemple. Dans tous les cas, son caractère insaisissable et mystérieux amène les ouvrages la théorisant à citer fréquemment Almasi (Joubert n’y échappe d’ailleurs pas) : « Nous savons ce qu’est l’ironie aussi longtemps que personne ne nous demande de la définir80 ». Une évidence, en quelque sorte, du moment qu’est comprise l’essence même

de l’ironie, soit qu’elle parvient à faire coexister — ou à dissimuler — plus d’un sens dans un même énoncé (et non pas, comme il est d’usage de le dire, un sens et son contraire81) ;

l’ironie correspond à cette illusion d’optique où l’observatrice ou l’observateur peut discerner à la fois un lapin et un canard, selon la manière dont il regarde le dessin (notons

77 Lori Saint-Martin, Rosemarie Fournier-Guillemette et Mona Ladouceur [dir.], Les pensées « post- ». Féminismes, genres et

narration, Montréal, Presses de l’Université du Québec (figura : 26), 2011, p. 10.

78 Lucie Joubert, Le carquois de velours. L’ironie au féminin dans la littérature québécoise (1960-1980), op. cit., p. 21. 79 Pierre Schoentjes, Poétique de l’ironie, Paris, Seuil, 2001, 347 p.

80 Guido Almansi, « L’affaire mystérieuse de l’abominable Tongue-in-cheek », dans Poétique, n° 36 (1978), p. 421.

81 L’ironie ne se résumant pas à l’antiphrase, cette définition accuse bon nombre de lacunes. Elle ne permet pas non plus de rendre

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que nous n’inventons en rien cette manière de représenter l’ironie, et que cette métaphore se voit reprise par plusieurs ouvrages s’affairant à synthétiser les recherches menées sur le sujet, dont celui de Florence Mercier-Leca82). Parmi les approches, des auteurs comme

Dan Sperber et Deidre Wilson cherchent par exemple à la définir autrement qu’en passant par la notion de sens figuré qu’ils jugent trop restrictive (c’est-à-dire qu’il y aurait ironie dès lors que le sens littéral ne correspondrait pas au sens figuré), un mode d’analyse pourtant relativement populaire, mais qui, en effet, accuse des limites. Par une démarche inscrite dans le champ de la pragmatique, ils tiennent notamment compte du contexte d’énonciation et de la relation entre l’auteur·ice et le destinataire. Nous en appellerons de leurs recherches au chapitre 1.2.

Pour respecter la tradition, au moment de définir l’ironie, il convient de la situer par rapport à l’humour. Or, Joubert le rappelle, l’humour peut s’exercer sans qu’une cible soit définie. Ce qui n’est pas le cas de l’ironie. Aussi, l’ironie vise une cible (qu’elle peut rater), mais à la différence du sarcasme, elle ne cherche pas à l’insulter, et se distingue de la satire en ce qu’elle n’a pas nécessairement d’intention moralisatrice. Schoentjes écrira que l’humour « est une anesthésie de l’esprit qui fait taire la raison, alors que l’ironie la sollicite en mettant en marche une dialectique dont le point d’aboutissement n’est pas nécessairement connu d’avance. Il l’est d’autant moins que l’ironie est un mode indirect et dissimulateur, alors que l’humour et le comique sont des pratiques droites et franche83. » Et, au-delà de son insaisissabilité, il faut en retenir son agressivité, et sa

volonté d’attaquer.

En ce qui a trait à l’ironie littéraire, il importe de souligner que, comme le relève Forget, elle ne consiste pas en quelque chose qui se déploie de manière uniforme dans un livre, mais bien par « moment84 ». Une conceptualisation qui s’apparente, il faut le souligner, à

la façon dont Saint-Martin comprend le métaféminisme, soit comme quelque chose qui point dans un texte sans nécessairement le traverser tout du long.

Dans la lignée des tentatives de définitions, revenons sur Joubert qui, paraphrasant

82 Florence Mercier-Leca, L’ironie, Paris, Hachette Supérieur (Coll. Ancrages), 2003, 128 p. 83 Pierre Schoentjes, op. cit., p. 223.

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Wayne C. Booth, écrit que « L’ironie se ressent dans l’effet de surprise qu’elle cause chez le lecteur et par le doute qu’elle insinue dans son esprit en lui faisant mesurer l’écart indubitable qui existe entre ses convictions et celles qu’il prête à l’auteur85 ». Or, cette

définition, bien qu’esthétiquement réussie, nous avance à peu de choses sur le plan pratique. C’est pourquoi, en lieu et place d’une liste exhaustive reprenant succinctement la classification délimitée par Joubert — où nous risquerions les empêtrements dans des formes inutiles à la présente étude —, nous disséminerons le cadre théorique circonscrivant notre analyse de l’ironie au fil des chapitres. Avant tout, l’approche descriptive qu’adopte la chercheuse a facilité la circonscription des paramètres discursifs de l’ironie et, du même coup, son repérage. Nous nous en tiendrons donc principalement à son ouvrage qui nous propose une grille d’analyse, un lexique, et qui condense les travaux principaux réalisés sur l’ironie. En effet, le présent mémoire n’a pas pour objectif de s’attaquer à l’ironie en tant que telle, dans une perspective théorique, mais plutôt d’y avoir recours selon une approche voisine de la recherche appliquée. Sans nécessairement faciliter notre entreprise, Le carquois de velours : l’ironie au féminin dans

la littérature québécoise (1960-1980) y fournit une structure. Au surplus, Joubert s’est

exclusivement consacrée aux autrices québécoises.

D’emblée, nous détaillerons la stratégie de lecture ayant permis l’identification des passages ironiques dans notre corpus. À la manière de Joubert, qui s’inspire entre autres de l’approche utilisée par Booth, nous sommes restée attentive aux « mots ou [aux] techniques “d’alerte”, c’est-à-dire aux structures de phrases ou aux compositions sémantiques susceptibles de laisser transparaître l’ironie de l’auteure86 ». Ces « mots et

techniques » prennent forme dans des avertissements explicites ou des retournements d’expressions populaires, dans la reconduction d’opinions convenues ou la présence de ponctuation, ou encore par des ruptures de ton ou de styles87. Néanmoins, il y a une part

d’intuition inévitable au moment de repérer l’ironie — ce que laissait sous-entendre la mise en garde de Joubert mise en exergue plus tôt — et qui ne peut s’exprimer que part une lecture attentive du corpus à l’étude et une connaissance de l’auteur·ice (à savoir si elle ou il pourrait avoir des intentions ironiques). En effet, il y a cela de paradoxal dans l’étude

85 Lucie Joubert, op. cit., p. 73. 86 ibid, p. 21.

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