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Analyse du concept d'addiction dans l'étude des phénomènes sectaires : comment passer d'une recherche de signification à une logique du signifiant?

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(1)

Université de Montréal

Analyse du concept d’addiction dans l’étude des phénomènes sectaires. Comment passer d’une recherche de signification à une

logique du signifiant?

Par

Marie-Eve Garand

Faculté de Théologie

Mémoire présenté à la Faculté des études supérieures en vue de l’obtention du grade de maîtrise

en sciences des religions option religions et cultures

Novembre, 2003

(2)

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I Ç;!

(3)

Université

Ib

de Montréal

Direction des bibliothèques

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Université de Montréal faculté des études supérieures

Ce mémoire intitulé

Analyse du concept d’addiction dans l’étude des phénomènes sectaires. Comment passer d’une recherche de signification à une

logique du signifiant?

Présenté par: Marie-Ève Garand

a été évalué par un jury composé des personnes suivantes:

Michel M. Campbell (président-rapporteur) Guy-Robert St-Amaud (directeur de recherche) Jean Duhaime (membre du jury)

(5)

Résumé

En contexte de modernité, les sectes affolent et dérangent. Face à cette situation, des interprétations issues de différents secteurs celui des médias, de la sociologie, de la psychologie, de la psychiatrie et de la psychanalyse ont pour conséquence la mise en place de moyens de contrôle coercitif du croire. L’objet de ce mémoire de maîtrise est de mieux mettre à jour les effets d’un cadre clinique d’interprétation du sectaire, celui élaboré à partir du concept d’addiction religieuse, afin de tracer les jalons pouvant permettre de dépasser «le cercle des manipulations ».

À

cet effet, un premier chapitre permet de situer l’état actuel des débats qui gravitent autour du sectaire. Le deuxième chapitre vise à proposer une relecture des sources référant au concept d’addiction. finalement, le troisième chapitre vise à faire ressortir les convergences entre les théories de la manipulation mentale et de l’addiction. Considérant que les recherches consultées font référence à des éléments extraits du témoignage d’anciens adeptes, nous avons dégagé des jalons conceptuels permettant de passer d’une investigation des signes pathologiques à une recherche du signifiant. La dynamique du désir du point de vue de l’interprétation du sectaire pourrait-elle donner lieu à une lecture différente qui contribuerait à mieux écouter ces personnes?

10 mots : addiction, adeptes, besoin, désir, jouissance, maître, parole, secte, signifiant, souffrance.

(6)

Summary

In context of modemity, cuits instiil panic and disorders. Due to this situation, experts from many discipline such as media, psychology, sociology, psychiatry and psychoanalyze dictate standards in order to understand beliefs. The purpose of this master is to ailow better understanding of the clinical interpretation which using the religion addiction to surpass “the circle ofhandling”.

The first chapter of this theses presents the current state of the debate which revolves around the conceptualization of religious addiction to sects. The second chapter looks at the sources with repect to the notion of addiction. It will help us better to understand the underlying issues raised by this type of conceptualization rises. In the third and last chapter, we identfy the convergences between the theories of mental manipulation and addiction. This has lead us to develop certain conceptual elements which do flot take into account the particular significance of an individual’s experience, but help us to move from a search of significance to a search of meaning, through a word to word analysis. By taking into account the dynamics of the desire from the point of view of the interpretation of sectarian groups, can we archieve a different interpretation and understanding that would help us listen to them in a much better way?

10 words: addiction, desire, followers, sects, master leader, meaning, need, sectes, suffering word, suffering, pleasure.

(7)

Table des madères

Résumé en français Résumé en anglais Table des matières

Introduction

1 11

111

Liste des abréviations y

1

Chapitre 1: État de la question 4

1.1-Point de vue médiatique: annonce de la naissance d’un

clone 4

1.1.2- Jacques Cotta et Pascal Martin : Dans le secret des sectes 7

1.2- Division du point de vue politique $

1.2.1- Dan ièle Hervieux-Léger : ProÏfération américaine,

sécheresse française —11

1.3- Division du point de vue de la recherche 12 1.3.1- Roland Campiche et Cyril Depraz:

Quand les sectes affolent 13

1.3.2- françoise Champion et Martine Cohen:

Sectes et démocratie 14

1.3.3- Massimo Introvigne : Four en finir avec les sectes 17 1.3.4- La loi française contre la manipulation mentale 1$ 1.3.5- James T. Richardson: Une critique des accusations de

lavage de cerveau portées à l’encontre des

nouveaux mouvements religieux 19

1.3.6- Steven Hassan : Protégez-vous contre les sectes 20 1.3.7- Jean-Marie Abgrali et La mécanique des sectes 22 1.4- Perspectives pour sortir du cadre d’analyse des

manipulations mentales 24

1.4.1- Tobie Nathan et Jean-Luc Swerwaegher:

Point de vue ethno-psychiatrique 26

1 .4.2- Samuel Lepastier: Sectes et manipulation mentale 29 1.4.3- Guy Lavai: La métapsychologie du meurtre totalitaire 33

1.5- Retour sur le premier chapitre 35

Chapitre II: Une théorie de 1 ‘addiction religieuse pour

sortir de Ï ‘impasse des inanzpulations mentales? 3$ 2.1- Contextualisation du concept d’addiction 3$

(8)

2.1.1- Concept d’addiction en toxicomanie -40

2.1.2- Modification du paysage des addictions:

Goodman et la nosographie de l’addiction 42

2.1.3- Après Goodman: l’effervescence du concept

d’addiction et la division des spécialistes 46 2.2- Perspective américaine de l’addiction religieuse 48 2.2.1- Jack f elton et Stephen Atterben: Toxic faith:

Erperiencing Healingfrom Painful spiritual abuse 49 2.2.2- Léo Booth et John Bradschaw: When God

become an addiction: breaking the chain ofreligion

addict and spiritual abuse 54

2.3- Introduction du concept d’addiction dans le

champ du religieux en Europe 60

2.3.1- Contextualisation du concept d’addiction

en france et au Canada 62

2.3.2- Jean-Marie Abgrall : La mécanique des sectes 64 2.3.3- Jean-Louis Pedinielli: Sectes et addiction 69 2.3.4- Bernard Chouvrier: Les avatars de l’idéal 72 2.3.5- Jean-Yves Roy : Le syndrome du berger 76

2.4- Retour sur le deuxième chapitre 82

Chapitre III : Relecture critique de la dialectique de maître à esclave et voie de passage pour une lecture différentielle 84 3.1 -Limite d’une interprétation pathologique du sectaire 86 3.1.1- Relecture des fondements conceptuels d’une

articulation de la dialectique de maître à esclave 87 3.1.2- «High» religieux et état altéré de conscience 93

3.1.3- Souffrance et besoin 96

3.1.4- Le concept de maladie : une inscription dans

les corps vivants 100

3.2- D’une compréhension de la souffrance à une

prise en compte des maux exprimés? 103

3.2.1- Perspective discursive et dérive sectaire 106 3.2.2- Passer d’une recherche des signes pathologiques

à une recherche du signifiant 109

3.2.3-D’un sujet de la conscience à un sujet

de la parole : quelles implications? 112

Conclusion 117

Bibliographie 123

(9)

Liste des abréviations

Les principales abréviations utilisées dans ce mémoire sont

- A.A. :Alcooliques Anonymes

- ADFI: Association de la Défense des Familles et de

I ‘Individu

- ADN Acide Désoxyribo-Nucléique

- APA: American Psychological Association

- CCMM: Centre de documentation Contre les

Manipulations mentales

- CRSM : Centre de Spiritualité et Religion de Montréal

- DSM III: Diagnostic and Statistical Manual of mental

disorders, troisième edition.

- DSM IV: Diagnostic and Statistical Manual of mental

disorders, quatrième edition.

- OTS: Ordre du Temple Solaire

- UNAfDI: Union Nationale de défense des familles et de

l’Individu

(10)

Introduction

Éternellement du berceau au linceul, L’homme est sans le savoir une secte à lui seul 1

En contexte de modernité, les sectes dérangent, inquiètent voir même affolent. Lorsque des drames comme le suicide collectif de l’OTS en 1994 ou l’agression de David Koresh et ses disciples en 1999 surviennent, l’intérêt des journalistes pour le religieux s’éveille, l’opinion publique s’alarme et des associations anti-secte se mettent en place pour tenter d’aider des personnes qui ont vécu une expérience sectaire. Dans la foulée, des gouvernements réagissent et des chercheurs provenant de secteurs académiques comme la sociologie, la psychologie, la psychiatrie ou la psychanalyse tentent de mettre en place des modèles de systématisation comme celui des manipulations mentales afm de mieux comprendre les «dérives sectaires».

De fait, la littérature sur le sujet est abondante et diversifiée, d’autant plus qu’elle est aussi composée d’articles de journaux et de revues, de sites internets, d’émissions télévisées, de témoignages d’anciens adeptes ou de gourous et d’ouvrages plus ou moins scientifiques. Parmi les nombreuses significations possibles du sectaire, l’addiction religieuse est présentée par des chercheurs travaillant majoritairement dans le champ de la toxicomanie comme une explication pouvant permettre de comprendre la souffrance des adeptes.

(11)

Cette interprétation se présente comme une nouvelle perspective de recherche pouvant expliquer le sens d’ une croyance, sans prendre en compte la dimension religieuse exprimée par un individu. Considérant cette perspective nous nous proposons dans les pages qui suivent, d’analyser cette explication afin de mieux en dégager les enjeux.

À

cet effet, nous parcourons d’abord quelques sources provenant du point de vue médiatique, sociologique et clinique afm de mieux entendre comment les différents spécialistes parlent des sectes en contexte de modernité. Après avoir situé l’émergence contemporaine d’une théorie de l’addiction religieuse, nous considèrerons de plus près cette approche en prenant soin de la resituer par rapport à son propre champ d’étude, soit la toxicomanie.

Ces deux premiers temps de relecture visent à maintenir les différents lieux de tension et de distension propre aux concepts de chacune des perspectives afm de mieux articuler les enjeux d’une lecture référentielle du sectaire. Considérant le fait que cette recherche de signification implique une lecture des signes de déviance, d’anormalité ou de pathologie, nous tenterons de montrer la pertinence d’articuler une autre voie d’analyse qui prendrait en compte le registre du signifiant. Pour cela, nous analyserons le concept d’addiction en démontrant qu’il partage une relation commune avec la théorie de la manipulation mentale, soit une dialectique de maître à esclave. Ensuite, nous tenterons de dégager les

(12)

implications d’une position d’esclave pour le sujet humain. Qu’advient-il du sujet humain lorsqu’on tente de le cataloguer avec une grille d’ interprétation qui a pour conséquence de le figer en une sorte d’objet cadavérique inanimé de son gourou. Notre démarche sera guidée par l’interrogation suivante : que modifierait une lecture du sectaire prenant en compte le sujet s’évanouissant sous un effet signifiant plutôt qu’un sujet sombrant dans le gouffre d’une souffrance insupportable?

(13)

Chapitre I- État de la question

Considérant les différents lieux de paroles et la richesse des informations exprimées par les acteurs concernés, les sources qui ont alimenté notre réflexion seront présentées de façon à mieux mettre en forme les débats actuels entourant le sectaire. Ces éléments permettront de faire ressortir le contexte dans lequel évolue le concept d’ addiction utilisé par certains chercheurs comme cadre interprétatif d’une expérience de croyance.

À

cette fin, nous examinerons d’abord quelques sources provenant du point de vue des médias afm de prendre conscience de présupposés que les discours courant véhiculent sur le sectaire. Par la suite, nous prendrons en considération une perspective sociologique afm de mieux situer les enjeux liés au sectaire. f inalement, une attention particulière sera portée au point de vue clinique.

1.1- Point de vue médiatique: l’annonce de la naissance d’un clone Le 27 décembre 2002, Brigitte Boisselier, la présidente de la firme CÏonaid fondée par le mouvement raêlien, annonçait la naissance de Ève, le premier clone humain. La nouvelle fit le tour du monde et suscita de nombreuses réactions. Quelques jours plus tard, l’avis de la naissance d’un second clone défrayait de nouveau les manchettes2. Outre les journalistes qui s’arrachaient les propos de Raêl ou de

2Pour une revue de Presse Internationale sur le mouvement ra1ien et le clonage

humain sur internet: http://pages.gIobetrofter.net/m1eb1ankImenuJmraeI.htmJ 4

(14)

Madame Boisselier, le sénat américain et les tribunaux de france voulaient rencontrer Raêl sur la base de cette annonce, tandis que les services sociaux français et américains manifestaient la volonté de prendre en charge les bébés. Toutefois, en l’absence de tests d’ADN prouvant que la génétique de ces bébés est identique à celle du parent cloné, des experts sont maintenant sceptiques face à ces assertions et des journalistes questionnent la couverture médiatique qu’ils ont accordée à l’événement.

De l’avis de nombre d’entre eux, dont Alain Picard de Radio-Canada3, la campagne médiatique entourant les événements a fait profiter Ral d’une vaste publicité qui lui a permis de réaliser ses rêves, de se démarquer des mortels et de faire connaître sa cause. Pour appuyer ses dits, M. Picard présente un extrait d’entrevue diffusée à CNN où Raêl prétendait que ses attributs méritent d’être reconnus pour leur sainteté conmie ceux du pape, suivi d’un extrait présenté sur RDI où cette fois, Ral menaçait de quitter le plateau si le journaliste le nommait de nouveau M.Vorilhon.

Ces citations, jumelées à des informations selon lesquelles depuis cette fallacieuse annonce, le site internet des raliens aurait reçu 30 millions de visiteurs et récolté pas moins de 7$ millions de dollars en don et subvention conduisent M.Picard à affirmer que «le contrôle de Ra&l sur la nouvelle s ‘affermit». Est-ce vraiment le contrôle de Ral

3Alain Picard. Rael et tes médias, Télé Journal de Radio-Canada du 6janvier 2003, sur internet: http://yapes.gIobetrotter.net/m1ebIank/menu/mavmsd.html

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sur les médias ou la volonté de publier un «scoop» et de sortir une nouvelle aussi incroyable que fascinante que met en évidence ce dérapage médiatique?

À

cet effet, les points de vue divergent, mais unanimement, les auteurs sont d’avis que l’urgence de la situation explique une certaine dérive médiatique. Par exemple, selon le chroniqueur André Pratte de la Presse, les médias ont bien fait leur travail en annonçant la nouvelle de la naissance d’un clone et ce malgré l’apparent canular des raêliens.

À

la base de son jugement on retrouve l’argument suivant: même si l’annonce provenait d’un groupe d’illuminés, il faut le dire, parce que les illuminés font parfois ce qu’ils disent.

Cependant, dit-il, les médias auraient pu faire mieux s’ils avaient considéré davantage le côté fantaisiste du discours ralien, s’ils avaient insisté sur le fait que Ral jure aussi avoir rencontré des extra terrestres, s’ils avaient mis l’accent «sur la vocation grossièrement commerciale de Clonaid», bref s’ils avaient insisté pour rappeler que la crédibilité de Ral est nulle et non avenue. Alors que le mouvement ralien apparaît aux yeux de certains observateurs, dont Gilles Proulx, l’animateur du grand Journal au réseau TQS, comme une «bande de clowns», pour d’autres dont Richard Martineau, les raliens

(16)

représentent une menace et une source de danger potentielle, puisqu’en france, Ral serait accusé d’abus sexuel et de fraude4.

1.1.2- Jacques Cotta et Pascal Martin: Dans le secret des sectes Si les médias manifestent un vif intérêt envers le mouvement raêlien, d’autres mouvements attirent aussi leur attention, comme en témoigne par exemple une enquête française sur les «organisations redoutables» réalisée par deux reporters de france 2, Jacques Cotta et Pascal Martin5. Les journalistes, en vue de mettre au jour «l’incroyable et terrflant pouvoir des sectes» présentent l’histoire d’une douzaine d’adeptes provenant de différentes sectes comme les témoins de Jéhovah, l’Église de Scientologie ou Écoovie et font ressortir ce qu’ils nomment «le rouage de la manipulation mentale».

Selon eux, le portrait-robot des adeptes n’existe pas, mais quelques constantes comme «des blessures narcissiques, des frustrations professionnelles, des déceptions sentimentales, l’idéalisme et la

naïveté» ressortiraient des témoignages6. De plus, l’adhésion à un groupuscule où le gourou est plus proche de ses adeptes que dans une église traditionnelle répondrait à des besoins individuels. Par exemple, l’adepte serait devenu un consommateur de plus en plus exigeant dans

4Nicolas Bérubé. «Raél et les médias», La Presse, décembre 2002. 5Jacques Cotta et Pascal Martin. Dans le secret des sectes. Enquêtes sur les organisations redoutables, Paris, france Loisir, 1992.

6jbjd p68.

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sa quête de «produits spirituels» et à un moment ou l’autre il éprouverait un «exceptionnel besoin de domination et d’autorité»7.

La recherche de satisfaction de ces besoins rendrait possible la position du gourou en tant qu’alpha et oméga de l’adepte et le réduirait à un « état de dépendance proche de celui du nourrisson pour sa mère»8. Précisons qtie de l’avis des auteurs, différents moyens de «bourrage de crône» comme le combat acharné contre la démocratie, le pouvoir de l’argent sale des sectes, la sexualité pervertie ou encore le sacrifice d’enfants, contribueraient aussi à rendre l’adepte «dans un état de dépendance infantile totale». Cette perspective les conduit à comparer le besoin du toxicomane pour sa drogue à celui de l’adepte pour sa religion, et les thérapies de déprogrammation à un sevrage forcé du drogué. Selon eux, plutôt que ces méthodes violentes, il faudrait privilégier une approche douce pour aider un adepte à s’en sortir et ne pas le laisser sombrer dans le vide que tentait de combler les sectes.

1.2- Division du point devue politique

Des pays, comme la France ou l’Allemagne ont choisi d’instaurer des mesures législatives visant à prévenir la population de la menace sectaire; ces pays se voient régulièrement dénoncés par la politique

7lbid. p.69. 8lbid. p70.

(18)

internationale des États-Unis concernant la liberté de religion9. Par exemple, dans un rapport du Département d’État américain10, il est dit que «le climat d’intolérance» qui sévit en france depuis le début de

«la lutte anti-secte» doit être ouvertement dénoncé.

Selon ce rapport, trois initiatives françaises sont plus précisément critiquées pour aller à l’encontre de la liberté de religion 1- Le rapport Gest-Guyard pour avoir qualifié 172 groupes de ‘<sectes dangereuses». 2- La Mission Interministérielle, accusée de disqualifier des groupes sur la base de leurs croyances. 3- La loi About-Picard parce qu’elle condamne pénalement «l’abus d’état d’ignorance ou de situation de faiblesse». Cela dit, précisons que des associations d’aide aux personnes comme 1’UNAfDI et l’ADFI11 furent visitées par les sénateurs américains et vivement critiquées aux États-Unis, en Europe et au Canada par des chercheurs qui qualifiaient ces groupes de «secte anti-secte».

En réaction à ces critiques, les États-Unis se voient à leur tour accusés de donner des «leçons de liberté» au monde entier, de faire preuve de

9Denis Duclos. «De la manipulation mentale à la secte globale», Dans : Le Monde Diplomatique, août 2000, p.24-25.

http://www.mondedipjomatjgue.fr/2000/08/DUCLOS/141 15

10Washington Dc. US. Department ofState, AnnuaÏ Report on International Religious freedom for 1999, France, Bureau pour la démocratie, Democracy, Human Rights and Labor, 9 septembre 1999. Sur internet:

http://www.state.gov/www/globallhuman rights/irf!irf rpt/1999/irf france99.html 1Union nationale de défense des familles et de l’individu et Association de la défense des familles et de l’individu.

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laxisme12, de protéger de dangereuses sectes13, et d’être infiltrés par un fort lobby tantôt mooniste14, scientoÏogue’5, ou évangélique16. Entre la france «alarmiste» et le «laxisme» américain, le Canada, suite aux conclusions du rapport effectué par la Commission Hill17, précisait que les lois en vigueur suffisent à protéger les citoyens et jugeait qu’il n’est pas nécessaire de légiférer de façon spécifique sur la question sectaire. Si une position commune unit le Canada et les États-Unis concernant la possibilité d’une telle législation, cela n’implique toutefois pas que l’inquiétude soulevée par les sectes y soit moins présente.

En effet, tant aux États-Unis qu’au Canada, des associations d’aide aux victimes se mobilisent pour venir en aide aux personnes ayant vécu une expérience sectaire ou pour informer le public. Par exemple, aux États-Unis, bon nombre de centres sont spécialisés dans l’aide psychologique aux adeptes et ex-adeptes18. Au Canada, les organismes visent à donner de l’information sur les groupes et accompagner les

12Henri Tincq. «La lutte contre les sectes oppose de longue date les États-Unis et la

france», Le monde, 29 décembre 2002.

‘3BuIle no 63, Les Etats-Unis protègent tes sectes,

http://www.unadfi.org/bul1es/builes639.htm

1Jacques Cona et Pascal Martin. Dans le secret des sectes.

bBruno Fouchereau. «Au nom de la liberté religieuse Les sectes cheval de Troie

des Etats-Unis en Europe», Le Monde Diplomatique, mai 2001, p. 1,26-27.

16Jean-françois Mayer. «Liberté religieuse : Après le rapport américain 2002 sur la situation internationale une controverse inattendue», Religioscope, 19 avril 2002. http://www.reIigioscope.com/articIes/2OO2/O23 us reporthtm

17Daniel Hill. «Study ofMind Development Groups. Sects and Cuits in Ontario», A

Report to the Ontario Government. Toronto, 1980.

18Aux Etats-Unis, des associations d’aide aux victimes telle que 1 ‘American family

foundation, le Cuit awarness network de floride, le Transcendentul meditation cx members support group ou le Cerner for de prevention ofsexual and domestic violence sont actives et spécialisées dans l’aide aux victimes de sectes.

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personnes en cause afin de mieux comprendre la démarche des personnes et des phénomènes sectaires. Les plus connus de ces regroupements sont les suivants: Info-secte et le CR$M (Centre Spiritualité et Religions de Montréal). En Europe, les associations les plus connues sont le Centre de documentation contre les manipulations mentales (CCMM) fondé en 1981 par Roger Ikor et les Associations de défense de la famille et de l’individu. (ADfI)’9

1.2.]. -Danièle Hervieu-Léger: Prolifération américaine, sécheresse française

Dans un texte intitulé FroÏtfération américaine, sécheresse française20, la sociologue Danièle Hervieu-Léger tente de mieux cerner les trajectoires historiques profondément différentes de pays comme la france, marquée par un anti-cléricalisme et les Etats-Unis, gouvernés par une dynamique de fragmentation des groupes religieux. Selon elle, si cet axe de recherche fut utile pour comparer deux trajectoires distinctes de deux pays différents, il s’avère toutefois difficile de le faire fonctionner. En effet, selon ses observations, il apparaîtrait que de plus en plus de convergences significatives existent entre la situation de pays comme la france et les États-Unis.

19Pour une discussion des concepts entre les sociologues des religions et les institutions françaises, on pourra lire Régis Dericquebourg. «Les stratégies des groupes religieux minoritaires face à la lutte anti-secte française», Dans

Religiologique,no22, automne 2000, p.119-130.

20Danièle Hervieu-Léger. «Prolifération américaine,sécheresse française», Dans Sectes et démocraties, f rançoise Champion et Martine Cohen (dir.), Paris, Seuil, 1999. p.86-105.

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Par exemple, en france la tendance à joindre des groupuscules religieux serait plus qu’un indicateur de l’effondrement de l’Église, mais cristalliserait le mouvement d’autonomisation des croyants et contribuerait à ce que s’évide la culture républicaine. Aux États-Unis, on assisterait aussi à une discontinuité entre les mouvements historiques. Par exemple, la première rupture se situe sur le terrain des rapports entre le religieux et le politique. En effet, selon la sociologue, le radicalisme interne des sectes historiques aurait cédé la place à un radicalisme militant des «nouveaux évangéliques» qui voudraient réorganiser l’ensemble de la société, des institutions et des normes. Ainsi, comme la France, les nouveaux mouvements religieux américains témoigneraient des processus -d’individualisation et de subjectivisation du croire dans des sociétés dominées par le souci de soi et prises par une vague de psychologisation des significations religieuses. L’auteure conclut en précisant que la pluralisation du croire impliquerait, d’un côté, une reconfiguration des rapports du religieux et du politique et, de l’autre, la dérégulation institutionnelle des croyances et la prolifération d’une religion de groupe volontaire.

1.3- Division du point devue de la recherche

face à toute cette mouvance sociale entourant les sectes, des

chercheurs provenant de secteurs de recherche comme la sociologie, la criminologie, la psychiatre ont réagi. Ces réactions varient selon le champ d’appartenance de chacun des chercheurs. Par exemple, 12

(22)

certains d’entre eux, provenant principalement du champ de la sociologie, sont suspectés par d’autres de contribuer à «normaliser» ou même à «banaliser» l’adhésion à un mouvement sectaire. D’autres, provenant principalement des domaines juridiques et cliniques, sont suspectés de contribuer à la «démonisation» du sectaire de par leur association à des groupes anti-sectes. Nous démontrerons cette division en présentant le point de vue d’auteurs de part et d’autres concernant le concept de manipulation mentale.

1.3.1- Roland Campiche et Cyril Depraz: Quand les sectes affolent Par exemple, en réagissant à la couverture médiatique accordée aux événements liés au suicide collectif de membre de l’OTS en 1994, le sociologue Roland Campiche présente une analyse des représentations du sectaire véhiculées par les médias. D’une part ces événements dramatiques auraient incité à la prise de conscience collective que le religieux peut tuer. D’autre part, ils confronteraient brusquement une société, qui avait rangé le religieux dans la sphère du privé, à la dimension sociale de la religion que la collectivité ne sait pas prendre en charge21. L’auteur explique que c’est seulement dans les années 1990, suite à des événements dramatiques comme celui de l’OTS qu’un intérêt soutenu pour le religieux «hors normes» se manifesta dans l’univers médiatique.

21Cyril Depraz et Roland J.Campiche.Ouandles sectes afiblent, Genève, Labor et

fides, 1995, p.’7.

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Cette situation serait explicable par le fait que les journalistes manqueraient de culture religieuse et seraient «un peu gênés» d’avoir été incapables de prévenir les drames passés. Or, leur réaction serait d’augmenter le nombre des regards portés sur les groupes religieux et de focaliser l’attention sur les manifestations religieuses hors normes. De l’avis de Roland Campiche, les principales failles du discours médiatique concernent l’utilisation répétée et sans esprit critique du terme secte, l’utilisation d’un vocabulaire méprisant, la référence constante à la débilité psychique des individus, l’absence de débat, ainsi que la rapidité avec laquelle est traitée l’information depuis l’avènement des nouvelles continues.

Ainsi, les chercheurs devraient prendre en compte «1 ‘état d’esprit» dans lequel se trouve un journaliste au moment où il écrit sur la question sectaire, en interrogeant l’origine des sources qui ont alimenté sa réflexion et son histoire religieuse. Selon l’auteur, la religion appartient au domaine public, son rôle est de relier les personnes et de fournir des valeurs. Or, malgré les imperfections du discours médiatique, on ne peut pas accuser les médias de l’état actuel des débats sur le religieux puisque cela ne serait que dérobade devant ce qui lui apparaît être une faiblesse politique.

1.3.2- Françoise Champion et Martine Cohen: Sectes et démocratie Une des principales critiques que Roland Campiche porte sur le discours médiatique concerne l’utilisation du terme secte qu’il juge 14

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trop polémique, restrictif et fantasmagorique. Selon lui, les termes de nouveaux mouvements religieux, de «cuits» ou de religions minoritaires, associés à une classification qui tienne compte des particularités de chaque groupe seraient des expressions plus appropriées et moins péjoratives. Ses préoccupations sur ce sujet sont partagées par une majorité de sociologues. Par exemple, Françoise Champion et Martine Cohen22 situent l’émergence de la polémique entourant le terme secte au début des années quatre vingt. Selon elles, les médias et les mouvements anti-sectes seraient au centre de la construction sociale de la polémique sectaire.

Les associations anti-sectes seraient des sources d’informations non objectives. Composées de parents inquiets, d’anciens adeptes et de divers experts, elles viseraient à expliquer la dangerosité des sectes et tenteraient de les combattre à coup de concepts comme celui de manipulation mentale. Or, dans cette perspective, comment expliquer que des journalistes, des éducateurs et des <(politiques» s’en servent comme seule source de renseignement? Par ailleurs, Martine Cohen et Françoise Champion postulent que comme les chercheurs ne sont pas à l’abri de la polémique sociale entourant les sectes, le débat devrait s’ouvrir entre eux sur les conduites à adopter avec les acteurs de la controverse.

22Françoise Champion et Martine Cohen. «Introduction», Dans Sectes et

démocratie, françoise Champion et Martine Cohen (dir.), Paris, Seuil, 1999, p.7-58. 15

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Selon elles, il faudrait considérer deux dimensions rattachées au terme secte, d’abord sa connotation stigmatisante et polémique et ensuite son sens strictement sociologique qui renvoie à la typologie de Weber en opposant le type secte au type église. Si des chercheurs choisissent d’éviter la polémique en privilégiant l’usage du terme de nouveaux mouvements religieux, d’autres utiliseraient le mot secte sans même prêter attention à la polémique sociale. Or, les deux auteures proposent d’utiliser le mot «secte» placé entre guillemet et de jumeler cette utilisation à trois ordres d’analyse : 1- l’examen précis des faits 2- la compréhension des valeurs qui sous-tendent les accusations, 3- la prise en compte d’une perspective historique. Cette inscription permettrait d’analyser à la fois «l’imprécision et les connotations implicites» du terme secte et en ferait aussi le porteur d’une interrogation qui tienne compte de la polémique sociale. L’analyse socio-historique réalisée par des chercheurs neutres devrait permettre «d’analyser, de comprendre et de donner à comprendre la dynamique subjective des acteurs», sans contribuer et condamner des mouvements autrement que sur leurs conduites moralement répréhensibles ou illégales.

(26)

1.3.3- Massimo Intro vlgne Pour en finir avec les sectes

Dans une toute autre perspective, retenons que le sociologue Massimo Introvigne23, en réaction au rapport de la commission parlementaire française sur les sectes, condamne la décision de créer un régime juridique spécifique à la question sectaire et critique sévèrement la crédibilité du rapport Guest-Guyard. Selon lui, la liste noire des 172 sectes dangereuses et coupables d’actions contre l’éthique établie par le rapport serait discutable en raison du peu de crédibilité des sources utilisées par les rapporteurs et aussi en raison des erreurs factuelles et des contradictions «ridicules» et «dangereuses» du texte du rapport Guest-Guyard.

Cela le conduit à accuser les rapporteurs d’avoir repris le point de vue des mouvements anti-sectes et d’avoir ignoré celui des sociologues et des historiens. Rappelant que le rapport fut adopté à l’unanimité par seulement sept des vingt et un députés présents à l’assemblée, l’auteur affirme que suite à sa publication, des associations comme l’ADfI \UNADfI et le CCMM, auraient craint la critique universitaire et auraient entrepris de porter des accusations de «révisionnisme» à l’endroit des chercheurs qui nient les horreurs des sectes. Selon lui, cette accusation démontrerait que la véritable mission des mouvements anti-sectes est d’intimider les chercheurs. Toutefois, ignorant cette «intimidation», des chercheurs provenant du Canada,

23Massimo Infrovigne et J. Gordon Melton. Pour en finir avec tes sectes. Le débat sur la commission parlementaire, Paris, Edition Dervy, 1996.

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des États-Unis et de la France, se seraient rassemblés en vue de faire entendre leur point de vue sur «la logique militante des associations anti-sectes».

Par ailleurs, notons qu’une des principales critiques du sociologue à l’égard de ce rapport porte sur la notion de secte utilisée sans réserve alors qu’un vide juridique entoure ce terme. Par exemple, il note que parmi les dix critères d’indice de dangerosité retenus pour défmir une secte, on retrouve celui de déstabilisation mentale alors que ce concept

fut dénoncé et critiqué en 1987 par le «board de t ‘AFA» (American

Psychological Association) pour manquer de «rigueur scientflque et d’approche critique».

1.3.4- La loi française contre la manipulation mentale

Malgré ces discussions en cours en Amérique, les parlementaires français ont adopté en première lecture le 22 juin 2000 la loi About-Picard, qui instaurait le délit spécifique de manipulation mentale : «Le fait au sein d’un groupement qui poursuit des activités ayant pour but ou pour effet de créer ou d’exploiter la dépendance psychologique ou physique des personnes qui participent à ces activités, d’exercer sur l’une d’entre elles des pressions graves et réitérées ou d’utiliser des techniques propres à altérer son jugement afin de la conduire, contre son gré ou non, à un acte ou à une abstention qui lui est gravement prejudiciable, est puni de trois ans d’emprisonnement et de 300 000 f.

d’umende».

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Vivement critiquée par plusieurs organismes dont l’Omnium des Libertés, la loi About-Picard est qualifiée, dans une lettre d’information, de «loi d’exception» et de «cancer pour la démocratie»24. On peut y lire, en réponse à la proposition de loi de madame Picard, que la notion de manipulation mentale, un terme forgé pour effrayer les citoyens, une notion qui n’a aucun fondement scientifique et qui a été réfutée par les associations professionnelles et les cours de justice de plusieurs grandes démocraties, «comme le fut la notion de « piagio» (jersuasion indue) forgée par les fascistes italiens». Cet exemple de critique nous conduit à préciser que la version du texte de loi adoptée le 31 mai 2001 ne contient plus le terme de manipulation mentale, mais réfère à des notions d’abus d’état de faiblesse et d’abus d’état de sujétion.

1.3.5- James T. Richardson: Une critique des accusations de lavage de cerveau portées à l’éncontre des nouveaux mouvements rehieux

Le sociologue James Richardson25 pour sa part se réfere aux termes de manipulation et déstabilisation mentales. Il considère de telles théories cormrie une «version populaire et simpliste» des théories de lavage cerveau mises en place par des chercheurs incapables d’accepter l’exposé raisonné du «rejet de la culture» pour expliquer l’adhésion à une secte. Selon lui, les notions de manipulation mentale et de lavage

24Omnium des libertés, « Normaiisation mentale », Lettre d’information édition

spéciale2000.

25James T Richardson. «Une critique des accusations de lavage decerveau portées à

l’encontre des nouveaux mouvements religieux», Dans : Four en finir avec les sectes, Massimo Introvigne et J. Gordon Melton (dir.),Paris.Dervy, 1996, p. 85-98.

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de cerveau auraient des impacts sur les sociétés. Elles contribueraient à créer des limitations de la liberté religieuse et seraient devenues une puissante arme sociale utilisée par des partisans de la controverse. En vue de mettre de l’avant des problèmes de logique et d’éthique, Richardson propose de faire une étude critique des théories du lavage de cerveau.

D’abord note-t-il, les théories proviendraient de recherches antérieures fallacieuses et s’appuieraient sur un préjugé idéologique. De plus, le présupposé du lavage de cerveau conduirait des chercheurs à insister sur les caractéristiques des prédispositions, à ignorer la volonté individuelle, les effets thérapeutiques du passage dans un groupe sectaire ainsi que les recherches traditionnelles et «normales» sur le recrutement. Finalement, les promoteurs de cette approche s’avèreraient incapables d’admette l’insuffisance de leurs observations et l’insuccès des nouvelles religions, tendraient à considérer l’explication du lavage de cerveau comme la seule possible, ce qui les conduirait à mettre en place des thérapies basées sur des techniques de déprogrammation plus ou moins violentes.

1.3.6- Steven Hassan: Protégez-vouscontreles sectes

Alors que du point de vue de la sociologie l’hypothèse de la manipulation mentale est vivement contestée par certains, il semble que du point de vue d’une psychopathologie du sectaire, cette

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approche retienne l’attention de plusieurs experts. Par exemple, Steven Hassan a raconté son vécu dans la secte de Moon, son enlèvement par sa famille, sa déprogrammation et aussi son actuel combat contre les sectes. Devenu thérapeute, Steven Hassan a publié en 198826 un ouvrage portant sur les «techniques de contrôle de la pensée» mises de l’avant par ces groupes afm de changer radicalement la personnalité des adeptes, de gagner en expansion et d’acquérir du pouvoir politique pour dominer les États-Unis et le monde27.

L’auteur commence par situer sa perspective en opposition aux violentes et traumatisantes techniques de «déprogrammation» qu’il a personnellement vécues. Selon lui, les sectes contrôleraient la pensée des individus en mettant en place quatre techniques de modification du comportement. D’abord, elles maîtriseraient la réalité physique d’un individu. Ensuite, c’est le contrôle de sa capacité de réflexion qui serait visé par le groupe en obligeant un individu à intérioriser la doctrine du groupe comme la seule réalité possible. En troisième lieu, les sectes s’empareraient du contrôle des émotions et des sentiments, en manipulant l’individu de façon à lui faire vivre de la culpabilité et de la terreur. Finalement, les sectes contrôleraient l’information environnante de façon à ce que le cerveau de l’adepte cesse de fonctionner normalement.

26Steven Hassan. Protégez-vous contre les sectes, france, Édition du rocher, 1995. 27Ibjd p.77.

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Pour parvenir à ce résultat, trois étapes serraient suivies par les groupes religieux: 1- Le «dégel» consistant à détruire les cadres de références habituels, 2- Le «changement», où une nouvelle identité et un ensemble de nouveaux comportements sont appris, 3- Le «reblocage» visant reconstruire l’individu pour en faire un homme nouveau. Ce qui contribuerait à donner le pouvoir à des organisations sectaires malveillantes, c’est le lien d’assujettissement entre le persécuteur et ses persécutés.

À

cet effet, l’auteur note que si un lien d’amitié unit les protagonistes l’emprise de la doctrine en sera d’autant plus forte.

1.3.7- Jean-Marie Abgrall: La mécanique des sectes

Depuis les travaux de Steven Hassan portant sur le sujet du contrôle de la pensée, d’autres chercheurs, dont Jean-Marie Abgrall28, ont tenté d’expliquer les techniques de manipulation mises de l’avant par les sectes pour modifier la personnalité d’un individu. Par exemple, se basant sur les travaux du contesté docteur Cameron, le psychiatre et criminologue Jean-Marie Abgrall fait ressortir de ces travaux la conclusion suivante. Considérant que comme chaque individu possède sa propre personnalité, une technique «prédéterminée» de manipulation identique pour tous ne peut fonctionner. Aussi brutale que soit la technique employée par un groupe, elle rencontre toujours

28Jean-Marie Abgrall.Lamécaniquedes sectes, Paris,Payot, 1996.

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ses limites, ne serait-ce que la mort du sujet. De plus, la réussite du conditionnement est temporaire.

Pourtant, selon lui, la manipulation existe bel et bien. Elle est mise en oeuvre régulièrement par des sectes dangereuses et il en identifie huit symptômes. Un des symptômes du conditionnement mental exercé par les sectes serait l’aliénation, c’est-à-dire une «rupture de la communication avec soi-même par laquelle la parole ne peut plus

29

s alimenter a 1 inconscient» . De cette maniere, la secte parviendrait ainsi à envahir tous les champs d’activités afm d’aliéner l’individu au point où ce dernier perdrait tous ses systèmes de références usuels au profit du fantasme sectaire qui serait en fait une extension des fantasmes personnels du gourou.

Le deuxième symptôme, inspiré des travaux de Stanley Miigram, serait la dépendance à l’autorité qui expliquerait la soumission de l’adepte à la secte ou au gourou. Le troisième symptôme serait le changement de I’état agentique qui conduirait l’adepte à se concevoir comme «simple instrument destiné à exécuter tes volontés d’autrui». Toutefois, de l’avis du psychiatre, un tel conditionnement ne serait pas suffisant pour soumettre entièrement les individus puisque les gourous utiliseraient aussi des techniques physiques de manipulation pour soumettre les individus à leur volonté.

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Par exemple, l’auteur note que beaucoup de groupes utilisent des techniques de contrôle comme l’isolement de l’adepte, la privation alimentaire, la privation de sommeil, le travail forcé, l’apport de produits chimiques, l’isolement sensoriel, les rituels salutatoires, la privation des vêtements et des règles d’apparence corporelle, pour parvenir à contrôler totalement la personne de l’adepte. Soulignons que c’est suite à la mise en place des techniques de manipulation mentale qu’une personne en arrive à développer une addiction pour le gourou ou la secte.

1.4- Perspectives pour sortir du cadre d’analyse des manipulations mentales.

Ainsi, tandis que des chercheurs et des centres d’aide aux personnes font appel à la notion de manipulation mentale pour rendre compte du changement de personnalité de l’adepte ou pour rendre compte du dit des adeptes, ces derniers se font vivement critiquer par d’autres chercheurs qui insistent sur le caractère non scientifique et non rigoureux de ce concept. Comme pour ajouter à la controverse, des chercheurs comme Jean Baubérot3° ou Denis Duclos31, en réaction aux théories de déstabilisation mentale, s’interrogent sur les moyens de manipulation mentale exercés par la «secte globale» qu’est la société.

30Jean Baubérot et Micheline Milot. «La question des «sectes» Dérégulation institutionnelle ou singularité française? Mise en débat», Archive de science sociale des religions, avril -juin 2002. no.1 1$, p. 29-44.

Sur internet http:J/www.ehess.fr/centres/ceifr/assr/N1 18/bauberot.pdf ‘tDenis Duclos. «De la manipulation mentale à la secte globale», Dans Le Monde

dplomatiquç août 2000, p.24 et 25.

Sur internet : littp://www.monde-diplomatigue.fr/2000/08/DUCLOS/141 15 24

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Et d’autres encore comme Massimo Introvigne critiquent cette approche, mais réutilisent le concept pour dénoncer les associations anti-sectes qui récupéreraient le témoignage des personnes ayant vécu dans une secte.

finalement, d’autres chercheurs, dont le philosophe Frédéric Lenoir et la psychologue Cendryne Barruyère32 sont d’avis que l’époque où des théories de manipulation mentale faisaient du gourou un être tout-puissant et de l’adepte une pauvre victime innocente est lointaine et belle et bien révolue. Selon eux, l’évolution de la recherche a permis d’établir que «le gourou fait l’adepte et l’adepte le gourou»33. En conséquence, une distance s’impose avec une approche de la manipulation considérée du seul point de vue du gourou. C’est dans une volonté de rétablir la responsabilité de l’adepte qui s’engage librement et volontairement dans «un contrat de dupe», au risque même d’y perdre sa santé physique et mentale que le discours classique référant aux manipulations mentales est mis de côté par des auteurs qui choisissent plutôt de s’intéresser au lien sectaire.

À

cet effet les préoccupations de Guy-Robert Saint-Arnaud concernant l’omniprésence du concept de manipulation mentale dans l’analyse du sectaire nous invite à porter une attention plus particulière aux concepts et approches développés en vue de pallier aux difficultés

32Cendryne Barruyère. «Mais qui manipule qui?», Dans Actualité des religions,

horssérie,no 5,avril2001.

33Frédéric Lenoir et Nathalie Lucas. Secte. Mensonge et idéaux, Paris, Bayard, 1998.

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liées à l’utilisation de ce concept. En effet, à son avis, le développement actuel d’une clinique du sectaire pose la question d’une limite où apparaît un «curieux paradoxe d’auto manipulation» qui va jusqu’à justifier des chercheurs à remettre en cause les dits d’une personne ayant vécu une expérience sectaire34. Cette observation donne lieu à une interrogation de l’auteur qui s’avère pertinente à notre propos:

«À

leur insu les chercheurs se trouvent-ils inscrits dans ce cercle de la manzulation entérinée par certains et dénoncée par d’autres?»35.

1.4.1- Tobie Nathan et Jean-Luc Swertvaegher : Point de vue ethno- psychiatrique

Se situant justement dans cette perspective de vouloir sortir de l’impasse à laquelle conduit une lecture clinique du sectaire, les psychologues Tobie Nathan et Jean Luc Swertvaegher36 proposent une démarche ethno-psychiatrique pour analyser le témoignage des adeptes. Leur modèle est inspiré de la sorcellerie37 et implique que c’est le hasard de la rencontre avec un groupe de type sectaire qui déciderait de la destinée d’un individu et rien d’autre. Selon eux, au-delà des bénéfices monétaires, de prestige ou de sexualité, ce qui

34Cette formulation vise à exprimer à quel point le concept de manipulation devient omniprésent dans le processus d’analyse du sectaire.

3Guy-Robert Saint-Arnaud. «Une clinique du sectaire en danger», Dans La peur des sectes, Jean Duhaime et Guy Robert Saint-Arnaud (dir.), Canada, fidês, 2002, p.108.

36lobie Nathan et Jean-Luc Swertvaegber. Sortir d’une secte, Paris, Le Seuil, 2003, coil. « Les empêcheurs de penser en rond.»

37Le modèle de sorcellerie est basé sur la crédulité de la victime qui leurrée par des promesses de pouvoir non tenues, engagerait son âme au travers de la signature d’un pacte, et en participant à des rites anti-sociaux.

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attirerait les adeptes dans des organisations malveillantes c’est: «

f..]

un rapt d’ônze déliant l’adepte de ses engagements sociaux, de ses attachements civiques, de ses fidélités familiales et, de ce fait, l’assujettissant au groupe et au gourou»38.

L’âme, en tant que ce qui peut être volée à l’adepte par l’obtention de son consentement et de son désir, serait capturée par des groupes sectaires qui manipuleraient une sorte de puissance étrangère. Ce phénomène serait rendu possible par des promesses non tenues qui créeraient de fait une addiction.

À

leur avis, cette approche serait préférable à celle impliquant le concept de manipulation mentale qui aurait pour effet de toujours revenir comme un «boomerang» vers ceux qui le proposent comme cadre interprétatif, puisque aucune preuve scientifique ne corrobore cette théorie à ce jour. De plus, le concept de manipulation mentale remonterait à d’ancieniies notions comme celles «d ‘assujettissement» ou de «sujétion» commune aux psychiatres et aux sexologues pour expliquer la relation entre un souteneur et une prostituée. Cela conduit les deux auteurs à affirmer que les modèles référant à des notions de séduction ou à des notions d’escroquerie démontreraient que nous sommes dépendants des modèles analyses de la prostitution du X1X siècle.

Toutefois, les témoignages des gens venus consulter l’équipe en place au centre George-Devreux font dire aux psychologues que la capture

38Jbjd p.57.

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sexuelle joue un rôle considérable dans la capture d’âme. De leur avis, l’orgasme, tout comme la souffrance physique d’ailleurs, serait quelque chose de strictement individuel et situé à la limite de l’indicible parce qu’il n’y a aucun intérêt à dire le plaisir. Comme l’orgasme ne se dit pas, celui qui veut séparer la personne de son entourage et instituer le doute n’aurait qu’à investir le plaisir sexuel. En faisant parler la victime de son plaisir sexuel, le maître la rendrait consciente de ses attachements et pourrait ensuite l’en séparer. Bref, il suffirait d’un mot ou d’une question pour que «l’être social» ou «familial» bascule au statut de consommateur qui doit se comparer et choisir.

Selon eux, la psychanalyse, en permettant de penser le psychique à partir de la libido a démontré que l’humain est un être foncièrement égoïste voir même égocentré. Face à la découverte de cet égoïsme profond, le sujet éprouverait à la fois un sentiment «d’eurêka» et de «honte». C’est dans cette faiblesse que la clôture de l’adepte sur le groupe se produirait et que la proposition sectaire provenant d’un gourou ou un thérapeute mal intentionné atteindrait la personne. Cela conduit les thérapeutes à préciser que toute psychothérapie comporterait le risque d’une potentielle dérive sectaire.

(38)

C’est-à-dire que d’après les auteurs, les sectes se présentent comme «un miroir grimaçant de la psychothérapie»39. Pour cette raison, il serait urgent de mener une réflexion approfondie sur les obligations sociales et scientifiques pour que des thérapeutes puissent éviter l’écueil sectaire. Cependant, malgré les convergences possibles, les sectes et les thérapies ne seraient pas à mettre dans le même sac en raison de leurs natures tout à fait distinctes. Par exemple, alors que les psychothérapies viseraient une modification du fonctionnement des individus pour réaliser des citoyens «autonomes et responsables», les sectes proposeraient une «mutation en un être nouveau» et postuleraient l’existence d’entités invisibles.

1.4.2- Samuel Lepastier: Sectes etmanpuJation mentale

Considérant que, de l’avis des psychologues Tobie Nathan et Jean-Luc Swertvaegher, «toute psychothérapie comporterait le risque d’une potentielle dérive sectaire»40, surtout si elle provient du champ d’étude de la psychanalyse où primerait le principe voulant que l’expérience prévale toujours sur la connaissance, il apparaît intéressant de présenter quelques points de vues provenant de ce champ d’étude.

À

cet effet, notons que des recherches provenant majoritairement du champ d’étude de la psychanalyse ont aussi contribué au développement d’une clinique du sectaire en proposant des approches qui insistent sur les notions d’intersubjectivité, de

39Ibid.p.220. 40Ibid.p.22 1.

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défaillances identitaires ou de surmoi effacé au profit de l’idéal du moi.

En vue de dépasser la notion de manipulation mentale qui fut

vivement critiquée par l’Omnium des libertés, le psychanalyste français Samuel Lepastier n’a pas hésité à répondre dans le Journal La Croix du 22 juin 2000 que la manipulation mentale existerait dans les sectes et serait rendue possible grâce à un phénomène de transfert. Cette thèse fût reprise dans un numéro spécial de la revue française de

psychanalyse4’ portant sur les sectes. Selon cet article, des processus inconscients seraient mis en scène dans la passion sectaire. Cela impliquerait que l’analyse des mécanismes psychiques devrait porter sur le lien qui unit un adepte à son gourou.

Reprenant les travaux de Didier Anzieu sur l’illusion groupale, le psychanalyste en arrive à dire que tout groupe serait susceptible d’évoluer en devenant sectaire.

À

la suite, Samuel Lepastier ajoute que dans la mesure où un groupe ne naît pas sectaire, mais le devient, la manipulation mentale se présenterait comme étant un indice de l’évolution sectaire d’un groupe. De l’avis de l’auteur, l’adhésion à un groupe serait plutôt imputable à l’existence préalable du transfert entre un gourou et ses adeptes.

À

cet effet, Samuel Lepastier précise que le caractère imaginaire du transfert vise à dissoudre les

41SamueI Lepastier. «Sectes et manipulation mentale», DansSectes,Paul Denis et Jacqueline Schaeffer (dir.), Revue française de psychanalyse, Paris, PUF, cou. «débats de psychanalyse»,

i999,p.iOi-i09.

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fondements inconscients d’un patient pour le dégager de ses mécanismes de répétition et permettre l’apparition de ses capacités d’élaboration.

À

l’inverse, dans un cadre sectaire, le transfert est utilisé par le gourou en vue de favoriser la régression de l’adepte pour le maintenir dans un état de dépendance et en état de déréalisation. En se rendant conforme aux désirs les plus régressifs de ses adeptes, le gourou se ferait tout-puissant. Il s’exempterait des règles en vue de s’approprier toutes les femmes du groupe.

Dans cette dynamique où la défaillance individuelle des adeptes devient synonyme de trahison, l’agir du gourou donnerait aux adeptes la confirmation qu’il se confond bien avec leur Idéal du Moi. Toutefois, comme la perfection n’existe pas, le gourou s’avérerait incapable, à long terme, de remplir ses engagements. Il réagirait à cette incapacité en accentuant la pression sur ses disciples. Face aux nombreux échecs concernant le projet fondateur du groupe, des mécanismes comme la perversion de l’origine ou le contrôle de la sexualité seraient mis en place. L’apparition de thèmes apocalyptiques marquerait aussi les discours. Face aux forces du mal, la seule manière de retrouver la toute-puissance désirée serait le suicide collectif que les adeptes accepteraient pour ne pas perdre le lien d’amour qui les unissait â leur gourou.

L’auteur précise sa théorie du transfert en affirmant que, si la passion qui anime les adeptes peut être associée à un délire paranoïaque, ce 31

(41)

qui est mis en jeu dans la dynamique sectaire, ce sont les troubles narcissiques des adeptes. Incapable de rester seuls, les disciples tenteraient de faire l’économie du conflit oedipien en se réunissant autour d’une unanimité qui relève en fait d’une «langue de bois». C’est-à-dire que celui qui oserait rompre l’unanimité ou qui ne se conformerait pas aux objets d’amour interne serait, de fait, considéré comme un traître à éliminer. Cette situation fait dire à l’auteur que le groupe d’adeptes contribue aussi à augmenter la conviction de toute puissance du gourou.

La toute-puissance du maître serait marquée par le désir de dépasser sa détresse infantile. Ce désir se manifesterait du fait que le gourou déciderait de la vie sexuelle des adeptes et ferait commencer leur origine dans leur rapport avec lui, ce qui permettrait le transfert. Le transfert dont il est question dans la dynamique sectaire n’est ni de type paternel, ni de type maternel. Il serait plutôt lié à une sorte de parents combinés qui mobilise les fantasmes les plus archaïques de l’adepte. L’auteur conclut en précisant qu’une telle densité transférentielle est rendue possible parce que les sectes prétendent apporter des réponses immédiates au malheur qui menacerait les humains de trois manières différentes: d’abord les défaillances de leur corps, ensuite la menace du monde extérieur et fmalement en raison de leur semblable.

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1.4.3- Guy Lavai: La métapsychologie du meurtre totalitaire

Alors que le psychanalyste Samuel Lepastier comprend la dynamique sectaire comme un trouble narcissique appuyé sur un transfert

régressif entre un gourou et un adepte qui aurait pour effet de faire du gourou l’équivalent de l’idéal du moi du sujet, le psychanalyste Guy Lavai42 est d’avis que c’est un sujet complètement dénarcissisé dont le surmoi et l’Idéal ne sont plus fonctionnels qui adhère à un contrat sectaire. Ce raisonnement, il le bâtit autour du clivage «normal et totalitarisé». Normalement, la raison nous imposerait de faire intervenir notre jugement ou le principe de réalité alors que dans le totalitarisme, c’est une raison dure qui se déploierait en ne rencontrant aucun obstacle devant la réalisation de ses présupposés.

Selon lui, les monstruosités commises lors de l’époque du nazisme ne seraient pas survenues si le moi et le surmoi des gens n’avaient pas été bouleversés et avaient fonctionné normalement. Pour cette raison, l’auteur est d’avis qu’il est nécessaire de prendre en compte toutes les dimensions de l’appareil psychique (moi, ça, surmoi) ainsi que la réalité extérieure qui serait sur le même pied que la réalité psychique. Selon sa lecture, les événements de l’extérieur auraient des effets capitaux sur le moi d’un sujet, au point où ils agiraient comme une quatrième instance de la personnalité.

42Guy Lavai. «Métapsychologie dumeurtre totalitaire», DansSectes,Paul Denis et Jacqueline Schaeffer (dir.). Revue française de psychanalyse, Paris, PUF, cou.

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Cette contradiction entre la réalité et le psychisme pourrait rester problématique et conflictuelle si un sujet s’avérait incapable de supporter la réalité et recourait au clivage pour l’évacuer.

À

l’inverse, si la différence entre les deux venait à manquer et n’insistait plus, le fétichisme prototype de la perversion s’installerait. En ce cas, le déni entrerait en fonction et produirait un dysfonctionnement de la perception attribuable à un manque de continuité entre le psychisme et la réalité. L’évolution du surmoi jusqu’à ce qu’il se présente comme conscience morale empêcherait l’individu de ne pas suivre aveuglément les impératifs sociétaux et serait aussi un indicateur du rapport intérieur/extérieur d’un sujet.

C’est-à-dire que, pour l’auteur, le sentiment de culpabilité aurait deux sources possibles l’angoisse devant l’autorité à cause de la peur de perdre l’être aimé et l’angoisse devant le surmoi qui laisse un sentiment de faute après le renoncement. Lorsque surviendrait la régression dans la structure du surmoi, ce dernier ne saurait plus, tout seul, déchiffrer le bien et le mal. Le trouble du surmoi indiquerait qu’il y a une corrélation entre agressivité et culpabilité. L’auteur postule que le fonctionnement psychique du sujet s’éteint lorsque la société ne lui offre plus de source conflictuelle externe pour prendre le relais de sa conflictualité interne.

Par exemple, dans une société où le meurtre devient premier, le moi et le ça ne parviendraient à fonctionner que de façon aberrante au point 34

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où le ça en viendrait même à faire valoir ses exigences sexuelles sans entrave. Toutefois, comme le montrerait le cas des Allemands, même après régression, le surmoi peut se remettre à fonctionner si les relais sociaux conflictuels reprennent leur place dans la réalité. Cela dit, précisons encore qu’à son avis, l’expérience nazie démontrerait que le conditionnement de l’appareil psychique conduit un sujet à perdre sa dynamique surmoïque. Cela serait explicable parce que l’appareil psychique serait fragile et ne pourrait pas fonctionner autrement que dans des conditions particulières pour éviter la force de pulsion destructive.

Enfin, précisons que, pour Guy Laval, la morale a aussi besoin de certaines conditions comme un surmoi libre, une réalité extérieure contradictoire et un consensus moral pour être efficace. La loi morale serait en quelque sorte dictée par le surmoi qui se trouve éclaté voir même «externalisé» dans une instance collective qui juge tout ce que l’Idéal codifié assume normalement et avec une sévérité extrême. Or, les croyants se retrouveraient avec un surmoi sans marge, un idéal du moi extériorisé et fixé sur le chef et un moi clivé qui deviendrait le miroir de la réalité « haltucinatorisée».

1.5- Retour sur le premier chapitre

Comme nous avons l’occasion de le constater suite à notre parcours des sources, il apparaît que les différentes conceptualisations du sectaire sont fortement marquées par les théories de manipulation 35

(45)

mentale. En effet, alors que des auteurs comme Samuel Lepastier, Jean-Marie Abgrall ou Steven Hassan sont d’avis que cette théorie pourrait permettre d’interpréter le sectaire, d’autres chercheurs, dont Tobie Nathan, Massimo Introvigne ou James Richardson sont d’avis que ces approches sont insuffisantes et conduisent des spécialistes à étiqueter des comportements. Cette situation pour le moins polémique a été relevée par le psychanalyste Guy Robert St-Arnaud, lequel est d’avis que le cercle des manipulations se poursuit, parfois même à l’insu des chercheurs.

L’identification de cette limite nous conduit à observer que pour dépasser les théories de manipulation mentale, des auteurs sont conduit à introduire d’autre notions comme le transfert régressif, le totalitarisme, ou la dépendance pour prouver une théorie de la manipulation mentale par ses effets sur les personnes. Ainsi, des chercheurs prétendent redonner leur place aux adeptes et s’ intéressent à leur témoignage de façon à confirmer ou infirmer une théorie de la manipulation. L’effet de cette façon de procéder est double. D’une part, des chercheurs sont conduits à être attentifs à des signes d’anormalité mentale afin de à démontrer l’effet des méchantes sectes. D’autre part, des chercheurs comme Massimo Introvigne, conscient de l’insuffisance des notions de manipulations sont conduits à discréditer des témoignages afin de démontrer les conséquences de ces théories réductrices. Une conceptualisation développée en terme

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d’addiction pourrait-elle contribuer à prendre en compte le témoignage des anciens adeptes et à redonner un rôle actif et responsable à ces derniers?

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Chapitre II: Une conceptualisation de l’addiction pour

sortir de lYmpasse des mar4pulations mentales?

Afin de répondre à cette question, notre attention se portera maintenant sur l’utilisation d’un cadre spécifique d’analyse du sectaire, celui de l’addiction et des dépendances provenant du champ d’étude de la pathologie. Plus précisément, nous mettrons de l’avant des présupposés théoriques qui guident des cliniciens dans l’interprétation du vécu des personnes.

À

cette fm, nous présenterons une relecture de quelques uns des travaux de chercheurs américains, français et canadiens qui réferent au paradigme de l’addiction pour interpréter le témoignage des anciens adeptes. Cependant avant de présenter ces recherches, nous sommes d’avis qu’il convient de mieux situer les premiers rapprochements entre le sectaire et la toxicomanie, puis de connaître les conditions d’émergence de ce concept dans son champ d’étude, soit la toxicomanie.

2.1- Contexmalisation du concept d’addiction

Les premiers rapprochements entre le domaine du spirituel et celui de la toxicomanie remonteraient à l’époque de la création, aux États Unis, de groupes populaires comme les A.A. (1935) Composés de personnes se disant atteintes d’une maladie irréversible de dépendance à l’alcool, ces groupes proposent à leurs membres un processus de rétablissement en douze étapes, dont deux font intervenir le soutien d’un être spirituel. Selon cette idéologie, la personne alcoolique 3$

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s’avèrerait incapable de gérer sa vie à cause de la permanence de sa maladie d’addiction qui contrôlerait sa vie. La seule porte de sortie serait la sobriété. Les membres de la famille de la personne alcoolique étaient alors communément appelés les co-dépendants et étaient invités à se regrouper dans des mouvements comme AÏ-Anon ou Ai Ateen .

La popularité de ces groupes, qui ont rapidement gagné en expansion au point de compter aujourd’hui 5 millions de membres présents dans 110 pays, ne se dément pas. Cependant, au fil du temps cette popularité eut tôt fait de susciter des réactions provenant principalement du champ de la psychiatrie. La limite provenait alors du fait que cette approche n’avait rien de scientifique. Dès le début dès années cinquante, les débats se sont polarisés entre des chercheurs provenant du champ d’étude de la psychiatrie concernant l’épineuse question du recours au spirituel dans le traitement des dépendances.

Certains chercheurs étaient alors d’avis que le soutien d’un être spirituel et celui du groupe de personnes réunies pour la même cause pouvait contribuer au rétablissement des personnalités dépendantes. D’après eux, l’efficacité réelle des méthodes de rétablissements ancrés dans la philosophie du «un jour à la fois»44 était démontrée par le

43Thomas Cermack. Diagnosing and treating co-dependence: a guide for professional who work with chemical dependent, their spouse and chiÏdren,

Minneapolis. Johnson Institute. 1986. 112 p.

44Alcoholics Anonymous World Services. Tii’elve Steps and TweÏve Traditions, New York, 1953.

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taux d’abstinence totale de la substance addictive. Par ailleurs, d’ autres chercheurs s’ inquiétaient de la nature potentiellement sectaire d’un groupe comme les Alcooliques Anonymes ou s’opposaient à une approche populaire qui consisterait à remplacer une dépendance par une autre45.

2.1.1- Concept d’addiction en toxicomanie

Les milieux populaires utilisaient le religieux pour soigner des personnes présentant des dépendances à des substances psychoactives. La condition de nombreuses personnes s’étant améliorée, c’est dans ce contexte que les premiers rapprochements entre le domaine du spirituel et l’addiction se sont réalisés. Du point de vue de la recherche, cette situation soulevait la controverse et a conduit des psychiatres à tenter de mieux cerner ce concept dans sa dimension théorique. Cela dit, précisons que les travaux à cet effet étaient plutôt marginaux du fait que ce trouble, encore méconnu, n’était mentionné que de façon vague dans le DSM III (Diagnostic

Déborah Dawson. «Correlates of Past-Year Status Among Treated and Untreated

Persons withFormer Alcohol Dependence: UnitedStates, 1992 », Dans:

Alcoholism: Clinical andExperimental Research, Vol. 20, no.4, June 1996, p.771— 779.

45Jack Alexander. «Alcoholics Anonymous: freed Slaves of Drink Now They Free Others», Dans: Salurday Evening Post, 1er mars, 1941.

Cain, Arthur. «Alcoholics Anonymous: Cuit or Cure?», Dans Harper ‘s, février 1963, p.48-52.

Margaret Bean. «A.A. and Religion>), Dans: Psychiatrie Annals, Mardi 1975, p. 36—42.

Albert Ellis et Eugene Schoenfeld. (<Divine Intervention and ffie Treatment of Chemical Dependency», Dans: Journal ofSubstance Abuse, no. 2, 1990, p. 459—468 et 489—494.

Bob Dick. The Good Book and the Big Book: A.A. ‘s Roots in the Bible, San Rafael, Paradise Research, 1997.

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and Statistical manual of Mental disorders, troisième edition.) concernant un trouble sexuel.

En Amérique du Nord, le début de la controverse aurait été mis à l’avant-scène avec les recherches de Davies en 1962 qui démontraient que certains individus, diagnostiqués alcooliques étaient capables de re-consommer sans éprouver de difficultés. Encore aujourd’hui, des divergences subsistent quant à la question de savoir si les addictions sont curables ou incurables. Malgré cet espace théorique conflictuel, dès le début des années quatre-vingt, des chercheurs ont introduit le concept d’addiction dans la compréhension de plusieurs phénomènes sociaux comme le jeu, les achats, et même le sectaire en s’appuyant sur des modèles de la dépendance sexuelle de Kraffl-Ebing.

Aussi, au début des années quatre-vingt que le concept d’addiction est apparu dans la compréhension du religieux aux États-Unis46. Par exemple, Mark Galanter47, a observé qu’au moment de leur participation à une organisation sectaire, des toxicomanes affirmaient avoir cessé de consommer. En s’appuyant sur une observation selon laquelle 60% des adeptes seraient des personnes dépressives, Mark Galanter est d’avis que seulement un certain type d’adeptes préalablement prédisposés psychologiquement et correspondant à un modèle type (faible culture, faible niveau scolaire, enfant abusé...)

46James Rudin et Marcia Rudin. Prison orparadise? The new religion cuit,

Philadeiphia, fortrcss Press, 1980.

47Mark Galanter. «Charismatic Religious Sects and Psychiatrv: An Overview»,

American Journal ofFsychiahy, no. 139, 10 décembre 1982, p. 1539-154$.

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