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Lunéville: une garnison de cavalerie dans l'espace frontalier lorrain, 1873-1921. Représentation et évolution d'une division de cavalerie aux avants-postes

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Lunéville: une garnison de cavalerie dans l’espace

frontalier lorrain, 1873-1921. Représentation et

évolution d’une division de cavalerie aux avants-postes

Jean Bourcart

To cite this version:

Jean Bourcart. Lunéville: une garnison de cavalerie dans l’espace frontalier lorrain, 1873-1921. Représentation et évolution d’une division de cavalerie aux avants-postes. Histoire. Université de Lorraine, 2013. Français. �NNT : 2013LORR0331�. �tel-01750731�

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Ecole doctorale Fernand Braudel

Lunéville : une garnison de cavalerie dans l’espace frontalier lorrain

1873 - 1921

Représentation et évolution d’une division de cavalerie aux avant-postes

Thèse de l’Université de Lorraine - Site de Metz Histoire contemporaine

Soutenue par Jean BOURCART

Sous la direction du Professeur François COCHET

Le 23 octobre 2013

Jury

Xavier BONIFACE, Professeur, Université du Littoral

François COCHET, Professeur, Université de Lorraine, directeur de la recherche Olivier FORCADE, Professeur, Université de Paris IV-Sorbonne

Jean-Noël GRANDHOMME, Maître de conférence-HDR, Université de Strasbourg, rapporteur Rémy PORTE, HDR en Histoire, rapporteur

CRULH

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«Nous avons beaucoup travaillé ensemble et notre zèle ne s’est jamais démenti ; c’est qu’ici, les yeux fixés sur la frontière, les vertus militaires s’exaltent, et l’on sent mieux ce qu’on doit à son pays de dévouement et de sacrifice ».

Général de Cointet, commandant la 2e division de cavalerie. Lunéville, 6 avril 1895.1

« Donc, nous ne sommes pas à Lunéville, à quelques kilomètres de la frontière pour nous reposer, et ce n’est pas le travail qui nous manque, ce dont je ne me plains pas, loin de là, et je suis maintenant on ne peut plus content d’avoir demandé à aller dans la cavalerie (…) ».

Cavalier Corbillon, 18e régiment de chasseurs à cheval. Lunéville, 29 mars 1903. 2

1 Ordre du jour du général de Cointet lu devant le front des troupes de la 2e division de cavalerie lors de son

adieu aux armes à Lunéville, le 6 avril 1895. Cité par le L’Eclaireur de Lunéville, jeudi 11 avril 1895.

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REMERCIEMENTS

Mon travail de thèse n’aurait pu être mené à son terme sans le concours d’un milieu familial marqué par le goût de l’histoire militaire « aux marches » de la France de l’Est et sans les conseils bienveillants du Professeur François Cochet qui a accepté d’assurer la direction et le suivi de mes travaux pendant cinq années.

Qu’il me soit permis d’associer à mes remerciements tous ceux qui, dans les centres d’archives et les bibliothèques du ministère de la Défense, de la Lorraine ou de Lunéville en particulier, ont œuvré avec patience et dévouement pour mettre à ma disposition les sources indispensables à mes recherches.

Enfin, je ne peux oublier « Ceux de la cavalerie », ceux qui ne sont plus, mais qui continuent à donner à Lunéville un « supplément d’âme » que l’on ne saurait ignorer aujourd’hui.

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PREAMBULE

Intimement liée à l’histoire de la Lorraine, Lunéville est marquée par une spécificité cavalière dès le XVIIIe siècle, notamment à partir de son rattachement définitif au royaume de France en 1766. Patiemment établie comme une cité cavalière de référence et d’excellence, Lunéville s’affiche après la guerre de 1870 comme une garnison de cavalerie majeure aux avant-postes de la Lorraine annexée. A quelques distances de la vie civile et militaire de la cité, la frontière fait alors l’objet de toutes les attentions jusqu’à la fin de la Première Guerre mondiale.

Dans le cadre des travaux portant sur l’histoire militaire de la France en générale et sur l’histoire de la cavalerie française en particulier, une étude spécifique sur la 2e division de cavalerie et ses unités stationnant à Lunéville permettra de cerner la vie de garnison de la cité cavalière lorraine dans un espace chronologique borné par deux temps de reconstruction post-conflictuel entre la France et l’Allemagne.

En abordant le sujet sur le plan évènementiel aussi bien que dans le registre de l’histoire des représentations, ce travail soulignera en outre la contribution réelle ou supposée des acteurs de la garnison aux évolutions techniques et tactiques de la cavalerie française, ainsi qu’à la vie d’une cité lorraine.

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SIGLES ET ABREVIATIONS

BCP Bataillon de chasseurs à pied

BCH Brigade de chasseurs

BCL Brigade de cavalerie légère

Bde Brigade BC Brigade de cuirassiers BD Brigade de dragons CA Corps d’armée CIE Compagnie DC Division de cavalerie

DLC Division légère de cavalerie

DI Division d’infanterie

EM Etat-major

ESC Escadron

GA Général d’armée

GBR Général de brigade

GCA Général de corps d’armée

GD Groupe de divisions

GDI Général de division

GPE Groupe Provisoire de l’Est

PLT Peloton

RAC Régiment d’artillerie de campagne

RC Régiment de cuirassiers

RCH Régiment de chasseurs à cheval

RD Régiment de dragons

RI Régiment d’infanterie

RGT Régiment

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SOMMAIRE REMERCIEMENTS ... 3 PREAMBULE ... 4 SIGLES ET ABREVIATIONS ... 5 SOMMAIRE ... 6 INTRODUCTION ... 8

PREMIERE PARTIE : Un espace historique d’extrême frontière : 1766-1914 .... 27

1.1 Au cœur d’un espace historique de la France de l’Est : 1766 – 1870 ... 28

• La Lorraine ducale en héritage : 1766 -1804 ... 28

• La cavalerie au cœur de la cité: 1804 -1824 ... 40

• Du camp de cavalerie au carrousel impérial : 1824 - 1870 ... 44

1.2 Naissance d’un espace frontalier 1870 - 1874 ... 54

• Un espace militaire dans la guerre : 1870 - 1871 ... 54

• Un espace urbain sous influence allemande : 1871 - 1873 ... 67

• Une garnison de cavalerie française à la frontière: 1873 - 1874 ... 78

1.3 Affirmation d’un espace lorrain de cavalerie : 1874 - 1914 ... 85

• Un espace frontalier contrôlé dans la revanche : 1871-1914 ... 85

• Une cavalerie perçue au sein du 6e corps d’armée : 1874 - 1898 ... 105

• Une cavalerie vécue au sein du 20e corps d’armée : 1898 - 1914 ... 113

DEUXIEME PARTIE : Une division de cavalerie en avant-garde : 1873-1921 .. 120

2.1 La cavalerie de Lunéville dans une armée rénovée : 1873-1921 ... 122

• La reconstruction de la cavalerie française ... 122

• La 2e division de cavalerie dans la ville ... 127

• La 2e division de cavalerie dans la Lorraine ... 151

• La 2e division de cavalerie dans l’armée française ... 157

2.2 Présentation et représentations militaires : 1873-1921 ... 176

• Les unités de la 2e division de cavalerie ... 176

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• Les tenues et l’armement ... 224

• Les procédés d’engagement ... 241

2.3 Engagement et audace : 1873-1921 ... 250

• La 2e division de cavalerie en couverture ... 250

• La 2e division de cavalerie en manœuvre... 261

• La 2e division de cavalerie face à l’armée allemande ... 270

2.4 La 2e division de cavalerie dans la guerre : 1914-1921 ... 292

• De l’offensive à la défensive en Lorraine : août – décembre 1914 ... 292

• De la guerre à cheval à la guerre à pied : 1915-1917 ... 332

• De la France à l’Allemagne : 1918-1921 ... 337

TROISIEME PARTIE : Des exigences partagées dans la société : 1873-1921 . 353 3.1 Du service au service : 1873-1921 ... 355

• Le service et les servitudes ... 355

• La participation au débat politique et religieux ... 376

• Les revues et les défilés ... 407

3.2 Le cheval et le cavalier : 1873-1921 ... 420

• Le cheval de guerre et le cheval de fête ... 420

• La société équestre ... 441

• Lunéville dans l’espace cavalier national et international ... 449

3.3 Cavalerie et mémoire : 1873-1946 ... 455

• Le souvenir des vétérans et des anciens cavaliers ... 455

• La cité cavalière ... 462

• Entre recomposition et mémoire... 470

CONCLUSION ... 483

SOURCES ... 485

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INTRODUCTION

S’interrogeant sur les raisons de conduire une étude médico-sociale sur Lunéville en 1936, Jean Bichat affirmait que cette commune pouvait être considérée

« comme une cité lorraine type par son passé long de tant de siècles, par les influences successives des différentes périodes de son histoire sur la vie de ses habitants, par le rôle de capitale qu’elle a joué au XVIIIe siècle et dont elle porte encore le reflet, par le multiple caractère de centre administratif, intellectuel, agricole, économique et industriel qui imprime aujourd’hui son sceau sur son activité ».3

Faisant fi d’une référence à son histoire militaire, et plus précisément à son histoire équestre et militaire, il omettait de souligner, a priori, la place tenue par les nombreuses unités de cavalerie que la cité lorraine avait accueilli depuis le milieu du XVIIIe siècle, ainsi que le rappelait le programme des fêtes données en l’honneur de la 2e division de cavalerie, onze ans plus tard. En effet, après la Seconde Guerre mondiale, le public pouvait se rendre compte que soixante-deux formations de cavalerie étaient venues tenir garnison à Lunéville pendant les deux siècles précédents, et ceci pendant une durée variable. Ce bilan comptable offrait à la ville une singulière originalité non dénuée d’un certain respect ou admiration pour une arme dont le cheval avait porté, pendant tant d’années, de nombreuses espérances.

« Pourquoi Lunéville est la seule ville de France à porter le nom de cité cavalière ? Parce que presque toute la cavalerie de France y est passée »4.

Il devenait dès lors possible d’égrener la longue liste des unités prestigieuses dont la plupart, si elles ne s’identifiaient pas directement à l’Ancien Régime ou au Premier Empire, trouvaient leurs racines dans ces périodes historiques de folles et héroïques chevauchées guerrières. Implicitement, l’histoire de Lunéville se mêlait aux destins des chefs militaires, des hommes de troupe mais aussi à ceux qui, du haut de leur autorité ou de leur prestige, reconnaissaient la nécessité, la valeur et

3 BICHAT (Jean), La vie et la santé dans une cité lorraine à travers les siècles, Lunéville (1034-1936), (Etude

médico-sociale), thèse de doctorat en médecine, Nancy, Imprimerie Georges Thomas, 1937, 607 p., p. 9.

4 Programme des « Fêtes données en l’honneur de la 2e division de cavalerie, division de Lunéville, sous le haut

patronage du général de Lattre de Tassigny, inspecteur général de l’armée de Terre », 5 et 6 juillet 1947. AD 54, Nancy, 2 Z 39.

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disons le, le prestige d’entretenir et d’entraîner une force de cavalerie dans l’Est du Royaume, de l’Empire ou de la République.

La longue liste des formations de cavalerie ayant tenu garnison à Lunéville5 nous offre l’occasion d’introduire sans attendre, la richesse offerte par notre sujet d’étude. Si nous ne pouvons nous engager sur un travail exhaustif d’intérêt historique, portant sur tous les temps de cavalerie depuis l’installation de Léopold Ier, duc de Lorraine et de Bar à Lunéville en 1698, nous souhaitons centrer notre étude sur une structure militaire spécifique, dans un temps et un espace donnés, sans toutefois s’affranchir des héritages historiques propres à la Lorraine et aux éléments constitutifs et évolutifs de la cavalerie française depuis l’Ancien Régime. Il s’agit donc de proposer une mise en relation inédite de la 2e division de cavalerie avec un territoire de la France de l’Est pouvant être décomposé et organisé selon une répartition, somme toute délicate, entre une province, une ville et une frontière. Dans ce contexte, il devient alors intéressant d’analyser le processus d’évolution d’une grande unité de cavalerie, dite indépendante, au gré des influences, forces ou freins, de ces invariants structurels à la portée physique mais aussi psychologique. Mais, il est tout aussi fondamental de saisir dans les bornes temporelles de notre sujet, les continuités ou ruptures qui marquent les mouvements de cette grande unité au regard des reconstructions et transformations de « l’arme noble », celle de la cavalerie française, après les désastres de 1870. A travers un système des représentations où histoire militaire et sociologie des organisations peuvent se nourrir de leurs caractéristiques et apporter des grilles de lecture complémentaires, notre objet d’étude cherche bien à explorer la 2e division de cavalerie « vécue » et « perçue », « aux avant-postes » de la Lorraine annexée. Autrement dit, il s’agit d’identifier comment les militaires de Lunéville, chefs ou subordonnés, s’approprient leur propre existence dans cette grande unité de cavalerie de l’Est de la France, mais aussi de déterminer le niveau de perception et de ressenti qu’ils détiennent, individuellement ou collectivement, de leur rôle ou de leur rang. Mais à l’extérieur de la sphère militaire, la 2e division de cavalerie est aussi observée par la société civile, et en particulier par celle de la communauté lunévilloise de proximité, qui n’est pas

5 Régiments de cavalerie ayant tenu garnison à Lunéville de 1733 à 1947 : Compagnie des Gardes du corps de

Stanislas ; Régiment Stanislas – Roy-Cavalerie ; Corps des Cadets Gentilshommes ; 1er et 2e régiments de carabiniers ; 1er, 2e, 3e, 4e, 6e, 7e, 8e, 9e, 10e, 11e, et 12e régiments de cuirassiers ; 1er, 2e, 3e, 4e, 5e, 6e, 8e, 9e, 10e, 11e et 31e régiments de dragons ; 1er, 2e, 3e, 5e, 6e et 10e régiments de lanciers ; 1er, 2e, 3e, 4e, 5e, 6e, 7e, 8e et 9e régiments de hussards ; 1er, 2e, 4e, 7e, 8e, 11e,12e, 13e, 15e, 17e, 18e régiments de chasseurs à cheval ; 2e groupe d’auto-mitrailleuses de cavalerie ; 3e régiment de spahis marocain ; 1er, 2e, 3e, 4e et 5e escadrons des guides d’état-major ; 1er et 4e escadrons du train.

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exempte d’un regard normé ou imaginaire, source probable d’une autre perception potentiellement juste ou tronquée.

Notre travail prend donc clairement le parti de mettre en relation d’une part une ville lorraine chargée d’histoire et de symboles, d’autre part un espace de séparation politique et géographique tout à la fois lieu d’attraction et de répulsion identifié sous l’acception globale de frontière et enfin, une structure militaire, la 2e division de cavalerie dont la principale particularité est de former une entité solide et solidaire autour de son espace de vie, la garnison et son espace de raison, le cheval. L’association de ces trois composantes entretient des liens d’union ou de désunion qu’il conviendra d’analyser au regard de nos bornes chronologiques. Les hommes, et en particulier les hommes militaires, seront à travers leurs qualités et leurs carences, étudiés pour cerner leurs apports réels ou supposés à la science militaire et en particulier à la science de l’arme de la cavalerie dont l’un des objectifs est, rappelons-le sans tarder, rappelons-le gain de la décision. Celrappelons-le-ci s’obtient par un entraînement inlassable des corps et des esprits au contact de la ville et de la frontière, aux portes de l’avant-garde des évolutions techniques militaires et des évènements politiques de portée nationale.

Tout en en rappelant au préalable l’imprégnation militaire du terrain et des hommes depuis la fin du XVIIIe siècle, notre sujet est borné par les limites temporelles inscrites entre la fin de deux conflits majeurs entre la France et l’Allemagne et permet de suivre avec pertinence les évolutions de la 2e division de cavalerie depuis son installation à Lunéville « face à l’Allemagne », en 1873 et sa dissolution « en Allemagne », en 1921. Selon nous, cette particularité lie indéniablement cette grande unité de cavalerie à un territoire d’extrême frontière de l’Est de la France. Son évolution s’en ressent tout au long de cette période. Cependant, si l’arrêt du champ de notre étude en 1921 nous permet de cerner les conséquences immédiates de la Première Guerre mondiale sur le devenir de la 2e division de cavalerie après sept ans de campagne, il convient de considérer cette année comme une césure chronologique formelle pour notre étude et non comme un aboutissement dogmatique. En effet, des prolongements thématiques nous permettent de conserver un lien avec la division de Lunéville dans sa garnison durant la période de l’entre-deux-guerres et de cerner la préparation de son engagement dans un nouvel espace bataille en 1939. Par un effet miroir « a posteriori », cette période complétera utilement l’analyse des évolutions de la 2e division de cavalerie dans les limites temporelles retenues par notre sujet, dont l’histoire militaire, l’histoire

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politique mais aussi l’histoire culturelle de la société militaire et de ses représentations en constituent les dimensions majeures.

Sans renier une expérience d’officier des armes très enrichissante nous ayant conduit à tenir différents postes à responsabilités depuis près de vingt-cinq ans, au sein de régiments, d’états-majors ou de cabinets ministériels, nous nous sommes efforcés de garder une distance critique avec notre sujet pour éviter l’écueil d’une certaine forme d’empathie. Toutefois, même si « former un officier et former un

historien procèdent de deux processus intellectuels différents compte tenu des objectifs à atteindre, parfaitement dissemblables »6, nous avons tenté de répondre avec raison à une double passion qui nous anime, celle du métier des armes et celle de l’histoire militaire.

Dans ce but, les sources primaires utilisées pour notre travail sont de trois ordres, si l’on considère un niveau national, le Service Historique de la Défense (SHD) à Vincennes, un niveau régional, le service des archives départementales de Meurthe-et-Moselle à Nancy, un niveau local, le service des archives municipales de Lunéville. Dans cette commune, nous ne serions pas complets si nous ne mentionnions pas le grand intérêt de sa médiathèque qui conserve une riche collection de périodiques de l’époque, couvrant en grande partie notre domaine chronologique d’étude. Procédant par sondages sur des années et des titres qui nous paraissaient les plus importants, nous nous sommes astreints à n’en dévoiler que des extraits pertinents. Seul un travail exhaustif permettrait d’en tirer toutes les richesses. En effet, le tri des informations, pour au moins trois revues identifiées paraissant deux fois par semaine, représenterait un travail très volumineux pour notre période considérée et, à n’en pas douter, le projet d’un nouveau projet d’étude spécifique. Ces périodiques locaux ou régionaux nous permettent de comprendre l’état d’esprit des populations de Lorraine et de mesurer, quand c’est possible, l’influence que peut exercer la frontière franco-allemande de 1871 dans leur vie quotidienne. Ces journaux sont aussi une source de choix pour décrire les activités militaires de la garnison de Lunéville et en cerner à la fois leur porté locale, mais aussi régionale voire nationale. Notre corpus archivistique se complète utilement de documents manuscrits ou photographiques provenant de centres d’archives ou de collections privées. Courriers, cartes et albums photos, apportent ainsi « l’expérience locale » d’une garnison de cavalerie emblématique et constituent des

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« traces d’expériences » témoignant du quotidien de la vie militaire dans une ville aux avant-postes de la frontière.

Dans notre travail de recherche, la difficulté à identifier des sources d’origine allemande pouvant nous apporter un éclairage « en miroir » sur la cavalerie française de Lunéville, nous a contraints à n’utiliser que quelques rares documents découverts en France dans les centres d’archives ou traduits en français à l’époque de leur parution. Malgré un sondage partiel, nous nous sommes donc privés d’un travail de recherches dans les centres d’archives situés à Fribourg-en-Brisgau ou à Munich, afin de nous concentrer plus aisément sur les sources primaires ou secondaires nationales.7 Un manque de temps et une maitrise partielle de la langue allemande écrite, militent aussi pour ce choix consenti. Cette précision identifie donc une limite méthodologique assumée pour parvenir à atteindre l’objectif fixé, dans les exigences de la rigueur académique demandée pour un travail de thèse, mais aussi dans les contraintes de l’exercice d’une activité professionnelle spécifique.

L’histoire de Lunéville a fait l’objet de quelques ouvrages ou quelques études locales qui accordent une place marquée, mais somme toute modeste, à son passé militaire. En 1829, Marchal publie le premier ouvrage sur l’histoire de Lunéville8. Cette étude est suivie de plusieurs monographies locales, fruit du travail de recherche de quelques érudits dans le domaine littéraire, scientifique ou militaire. Précédent les bornes chronologiques de notre sujet, les travaux de Benoit sur les cadets gentilshommes du roi de Pologne et les gendarmes rouges de Lunéville, témoignent de l’héritage de la garnison de l’Ancien régime.9 Sous le Second Empire, le docteur Saucerotte est le premier à s’intéresser aux unités de cavalerie de Lunéville en rédigeant une étude scientifique descriptive de l’état sanitaire des militaires et des chevaux.10 Le récit de la guerre de 1870-1871 et de la période d’occupation allemande de la cité fait l’objet d’un seul ouvrage rédigé tardivement en 1913 par Cathal alors qu’une nouvelle étape de « la revanche » vient d’être

7 L’Allemagne étant une fédération d'Etats, il n'y a pas, jusqu'en 1919 une, mais plusieurs armées allemandes.

Les archives militaires de l'armée prussienne depuis 1867 (date à laquelle les différentes armées d’Etat sont placées sous l’autorité du roi de Prusse) et de l'armée allemande depuis 1919, sont conservées à Fribourg-en-Brisgau (Bade-Wurtemberg), les archives de l’armée bavaroise, à Munich (Bavière). Au vue de l’implantation des garnisons allemandes entre 1871 et 1918, ces deux centres d’archives pourraient probablement apporter des éléments utiles à notre sujet. Cela nécessiterait, bien évidemment, un investissement en temps et en traduction que nous n’avons pas pu consentir au vue de nos activités professionnelles.

8

MARCHAL (C.), Histoire de Lunéville, Paris, Creusat, 1829 (réédition Res Universis, 1989), 186 p.

9 BENOIT (Arthur), L’Ecole des cadets-gentilshommes du roi de Pologne à Lunéville 1738-1766, Lunéville,

Imprimerie Majorelle, 1867, 33 p. ; Les Gendarmes rouges à Lunéville 1768-1788, Lunéville, Imprimerie Majorelle, 1868 (2e édition, 1892, 66 p.), 78 p.

10

SAUCEROTTE (Constant, docteur), Lunéville et sa division de cavalerie. Topographie statistique, hygiène, maladies, Paris, Imprimerie H. et Ch. Noblet, 1858, 128 p.

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franchie.11 C’est en 1900, que paraît la première étude « sérieuse » sur Lunéville qui fait encore référence aujourd’hui.12 En 1925, la période de la Grande Guerre à Lunéville est abordée par Pierre Maire, archiviste municipal. Entre ces deux conflits, le docteur Ricklin se propose, peu de temps après la Deuxième Guerre mondiale, de

« relier les anneaux d’une chaîne brisée » entre les ouvrages de Baumont et celui de

Maire. Il complète ainsi la connaissance de l’histoire locale en rapprochant 1874 de 1914.13 Comme le rappelle Jean Pabst en cherchant à faire un état d’une bibliographie générale sur Lunéville, « entre 1919 et 1939, nous pouvons encore

citer les études du général Delorme, de Pierre Maire, de Conigliano, de Garnier, de Jean Bichat, de Pierre Dalainzay, l’article de l’abbé Burgard dans le pays lorrain interrompu par la guerre, l’éphéméride du docteur Ricklin qui voudrait continuer l’histoire de Beaumont. Après 1944, quand on commence à se passionner pour l’histoire locale, voici les ouvrages de l’abbé Choux, Marcel Laurent, Anne Bertrand, Philippe Génot, Henri Fleurance, Raymond Mathieu, Françoise Job, Anne Vierling, le docteur Ducret » 14.

Pour suivre la présence des différentes unités de cavalerie constituant la 2e division de cavalerie à Lunéville entre 1873 et 1921, nous avons pris le parti de nous appuyer sur les historiques régimentaires, rédigés à partir de 1872 sur les recommandations du général Courtot de Cissey, puis complétés à partir de 1886 sur l’initiative du général Boulanger, à l’origine aussi de la création des salles d’honneur. Notre trame historique se nourrit des annuaires de l’armée française qui apportent chaque année un état de l’organisation et de la composition des états-majors, des services et des unités placés sous l’autorité du ministère de la Guerre. Enrichissant notre bibliographie à l’appui de notre sujet, cette démarche permet en outre d’établir une approche prosopographique des élites militaires servant à Lunéville, en particulier les officiers généraux, et complète utilement la consultation des dossiers individuels au SHD. Pour les premiers documents, il convient de rester prudent et d’adopter un regard critique en croisant les sources disponibles au SHD ou aux archives départementales ou municipales, faisant mention de la présence de telle ou telle unité à Lunéville. Ils donnent cependant un suivi chronologique des évènements nous permettant de détecter les éléments majeurs de la vie de garnison. C’est de

11 CATHAL (Jean), L’occupation de Lunéville par les Allemands 1870-1873, Nancy-Paris, Berger-Levrault,

1913, 221 p.

12 BAUMONT (Henri), Histoire de Lunéville, Lunéville, éditions Bastien, 1900 (réédition en 1977, Bruxelles,

Editions culture et civilisation), 768 p.

13 RICKLIN (docteur), Histoire locale de Lunéville de 1874 à 1914, Lunéville, Imprimerie-Librairie Bastien,

1948, 60 p.

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plus un moyen de comprendre comment ce passage dans une ville d’extrême frontière peut être perçu à travers une écriture souvent locale prescrite par le chef de corps à l’un de ses officiers. En identifiant le contexte de sa rédaction, il est possible de souligner la part de sentiment militaire et patriotique définissant son but. A titre d’exemple, l’historique du 11e régiment de chasseurs à cheval fait dire à son auteur, le lieutenant-colonel Le Moine de Margon, dans son avant-propos en 1896 que

« Conserver la tradition et entretenir au plus haut point l’esprit de corps en faisant connaître les actes glorieux de nos devanciers, tel doit être l’objet de l’historique d’un régiment »15.

Pour enrichir notre connaissance générale de la cavalerie française, à travers son organisation, sa doctrine, ses opérations ou son évolution dans les bornes temporelles de notre sujet, nous avons consulté l’ensemble des numéros de la

Revue de cavalerie parus entre 1885 et 1939, dont une collection complète est mise

à la disposition des chercheurs dans les riches réserves du centre de documentation de l’Ecole militaire.16 Nous avons systématiquement cherché à découvrir et mettre en perspective les informations, les témoignages, les réflexions ou les comptes-rendus identifiant la 2e division de cavalerie, à travers ses structures, ses acteurs ou ses activités. Ce travail nous permet de mieux cerner la place qu’elle occupe en France dans le milieu de la cavalerie militaire ou de la cavalerie académique et sportive. Sans effectuer pour autant un recensement comparatif entre toutes les divisions équivalentes, nous avons pu mesurer son grand intérêt au regard de sa position géographique et militaire « aux bornes de la frontière de l’Est ».

Notre étude est divisée en trois parties. Dans un premier temps, elle se propose de définir l’espace historique lorrain, lunévillois et frontalier dans lequel la

15

LE MOINE DE MARGON (lieutenant-colonel), Historique du 11e régiment de chasseurs, Vesoul, Imprimerie et Librairie de Louis Bon, 1896, 362 p., p. 1.

16 Centre de documentation de l’Ecole militaire (CDEM), bibliothèque patrimoniale, Ecole militaire, Paris.

Fondée en 1885, la Revue de cavalerie est une revue mensuelle publiée par les soins du ministère de la Guerre et éditée à Paris par la librairie Berger-Levrault. Organe de communication et de réflexion, elle permet à des officiers d’active ou en retraite, mais aussi à quelques notables civils, de faire valoir leur point de vue sur des sujets militaires concernant l’histoire, la tactique, l’instruction et l’entraînement. Composées de textes plus ou moins longs, ses publications prennent souvent la forme de « causeries cavalières », de « propos » ou de « réflexions ». Elle offre aussi un point mensuel sur la bibliographie, les textes officiels, les promotions et les radiations et donne quelques nouvelles des cavaleries étrangères. La Revue de cavalerie interrompt ses publications à partir du mois de juin 1914. Elle reparaît en janvier 1921 tous les deux mois jusqu’en 1939. Dans son premier numéro publié en avril 1885, la rédaction précise ses intentions : « En France, non plus, d’ailleurs, qu’à l’étranger, la cavalerie n’a pas d’organe spécial, et l’on ne doit point s’étonner que sa part soit strictement mesurée dans les publications militaires périodiques infiniment estimables, mais d’un caractère plus général ; La Revue aspire à devenir cet organe : elle traitera successivement et sous toutes leurs faces les diverses questions qui intéressent l’arme ; l’organisation, l’équipement, l’armement, la remonte, la tactique et l’histoire de la cavalerie, ses rapports avec les autres armes, son passé, son présent et son avenir : tels seront les objets de nos préoccupations et de nos études ».

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grande unité que représente la 2e division de cavalerie s’installe en 1873. Puis, elle abordera le cadre général de son évolution dans une temporalité définie par deux conflits majeurs entre la France et l’Allemagne entre 1873 et 1921. Enfin, tout en soulignant les composantes d’une cavalerie placée aux avant-postes, elle présentera les exigences à partager dans la garnison entre la société civile et la société militaire et les contacts multiples qui peuvent se nouer entre elles.

La première partie de notre étude est consacrée à définir les caractéristiques d’une temporalité régionale, celle de la Lorraine, d’une communauté de vie, celle de Lunéville et d’une linéarité spatiale, celle de la frontière. Chacun de ces ensembles participe à la mise en place, puis l’affirmation, d’un horizon équestre, celui d’une division de cavalerie de l’armée française. Entre géographie réelle et géographie fictive, une lecture attentive des évènements, non dénuée de représentations mentales à l’égard de la frontière, permettra-t-elle de souligner l’effacement de toute ligne de démarcation entre un paysage regardé et un paysage désiré ? Autrement dit, les frontières successives de la Lorraine constituent-elles des horizons repères exclusifs pour les unités de cavalerie de Lunéville ?

Un espace lorrain

Dans un premier temps, nous souhaitons montrer les prédispositions que possède la Lorraine, hier fief d’empire puis duché indépendant à l’image d’un Etat souverain jusqu’au XVIIIe siècle, puis province et région dans la France des XIXe et XXe siècle, pour accueillir une terre cavalière propice aux grands déplacements des idées et des mouvements militaires : pays « des marges » 17 au Nord-est du royaume de France en mouvement et en contact vers les évolutions politiques et les mœurs d’une idée nouvelle portée par l’histoire ; pays « d’entre deux »18 au contact de l’histoire de France et de l’histoire de l’Allemagne dont chacune des évolutions furent souvent vécues par des affrontements sanglants jusqu’au milieu du XXe siècle. Si les données géographiques modèlent le territoire lorrain, elles influencent surtout les destinées historiques d’un espace de vie et de guerre aux confins de deux entités

17

La notion de « pays des marges », rend explicite la présence d’une zone de contact identifiée sous l’appellation de frontière.

18 La notion de « pays d’entre-deux » permet de saisir la complexité des relations que peut entretenir un territoire

avec d’autres espaces limitrophes séparés par une frontière. Elle s’appuie sur la mise en exergue d’une identité propre qui se développe pour elle-même ou au contact d’échanges culturels pouvant prendre la forme paroxystique des violences de la guerre.

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aujourd’hui devenues la France et l’Allemagne. S’intéresser à la Lorraine à travers le prisme de son histoire militaire, c’est donc participer à une meilleure connaissance des héritages conflictuels laissés par deux grandes nations européennes aujourd’hui en paix.

« L’importance de la forêt, les buttes témoins et les fronts de côtes ont joué au cours de l’histoire un rôle stratégique important. En ce sens, contrôler la Lorraine était un atout de premier ordre car son territoire constitue un véritable glacis de protection, tant pour le royaume de France à l’ouest que pour le royaume de Germanie, devenu bientôt le Saint Empire, à l’est. Rien d’étonnant donc à ce que le duché de Lorraine ait été l’enjeu de rivalités, voire de conflits entre les rois de France et les empereurs pour s’assurer la docilité de ses ducs, placés souvent dans l’inconfortable position de régner sur un « pays d’Entre-deux »19.

Il s’agit de s’interroger sur un espace géographique dont les contours présentent la particularité d’être sur un perpétuel mouvement dont la cavalerie militaire ne peut qu’apprécier le rythme et l’audace. C’est donc sur une terre historique que vont se développer les particularismes de la cavalerie de Lunéville, à la fois terre d’inspiration portée par les mouvements de l’histoire politique et militaire et terre de réception accueillant, non sans réticence parfois, les créations et les innovations techniques se référant au cheval et à l’art de la guerre. L’art équestre, défini comme un patrimoine immatériel et l’art de la cavalerie, défini comme la mise en œuvre originale d’un patrimoine militaire, trouvent-ils alors des points de convergence et d’expression sur la terre lorraine au sein et aux abords de Lunéville ?

« Une des qualités les plus brillantes qui distinguent les habitants de ce pays, c’est leur esprit belliqueux. La profession des armes ne pouvait qu’être très honorée dans un état, forcé, par sa situation, à prendre parti dans les démêlées qui divisaient, presque continuellement, les puissances voisines » 20.

L’espace lorrain se définit aussi dans les bornes chronologiques de notre étude, comme l’entité géographique et culturelle qui creuse les sillons de l’histoire militaire et affermit les vocations patriotiques pour faire naître l’enthousiasme de

19 BOGDAN (Henry), La Lorraine des ducs. Sept siècles d’histoire, Paris, Perrin, 2005, 291 p., p. 18.

20 GUERRIER (Antoine-Sébastien), Monographie des villes et villages de France, L’arrondissement de

Lunéville, Promenades et excursions dans les communes des six cantons, Paris, Res Universalis, 1993, 367 p., p. 35. Réédition des Promenades et excursions dans les communes des six cantons de l’arrondissement de Lunéville, paru pour la première fois en 1838.

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« l’esprit guerrier » dans les provinces de l’Est de la France. Les Lorrains comme les Alsaciens, semblent donc se distinguer par leur appétence pour le métier des armes et pour la gloire de leurs héros militaires. Ainsi, le souligne le chef d’escadrons Conigliano21, officier de cavalerie en garnison à Lunéville au 8e régiment de dragons, dans sa conférence sur « L’Influence française dans l’ancienne Lorraine » en 1913.

« Le Lorrain est guerrier dans l’âme. Il l’est, sans forfanterie, tout naturellement comme on respire, et avec toutes les vertus qui font les vrais braves : amour du devoir, sang-froid clairvoyant, courage indomptable et réfléchi, esprit de sacrifice. (…). Elevés au sein de ces traditions, que ce soit dans les rumeurs militaires des villes de garnison, ou bien au milieu de ces paysages d’une tristesse si émouvante qu’on dirait qu’ils se souviennent, les Lorrains, dès leurs premières années, ne pensent qu’au métier des armes. Ouvrez l’annuaire ; ses colonnes sont pleines de leurs noms. Aucune province, si ce n’est l’Alsace, n’a été, depuis cent vingt ans, aussi fertile en généraux. Cet esprit guerrier est donc, comme l’a dit M. Poincaré, « une vertu séculaire, un signe de race, une habitude transmise d’âge en âge, devenue peu à peu une force naturelle ». Ne cherchons pas ailleurs les motifs de la conquête morale, si prompte et si complète, de la Lorraine par la France ; car ici, la communauté d’origines et l’affinité des caractères se confondent pour ne former qu’une seule et même raison, la principale à coup sûr, de ce phénomène historique. Dans les veines des deux peuples coule le même sang, le sang gaulois, toujours prêt à se répandre généreusement pour les nobles causes. Aussi est-ce avec joie que les Lorrains, quand le jour en sera venu, verseront le leur pour la patrie, la grande patrie. Ils se montreront alors, j’en suis certain, les dignes descendants de ceux qui avaient pris pour emblème le chardon, et sauront justifier encore la rude devise des ancêtres : « Qui s’y frotte, s’y pique. » 22.

Dans les représentations mentales de l’époque, une autre illustration de cet état d’esprit est aussi à rechercher dans la diffusion d’une littérature illustrée dédiée plus particulièrement aux enfants de l’Est de la France, futurs soldats et à n’en pas douter, défenseurs aux frontières de l’idéal patriotique et républicain. Ainsi en 1909, à la suite de l’Exposition Internationale de l’Est de la France à Nancy, la maison

21 Chef d’escadrons Henri Conigliano (1864-1940). Originaire de Lunéville, il est le neveu du général Alexis,

François L’Hotte (1825-1904). Promu colonel, il prend sa retraite à Lunéville après avoir commandé le 12e RD et succédé au colonel Henri, Arthur L’Hotte (1859-1952). Par arrêté préfectoral en date du 1er août 1922, il est nommé « conservateur du musée de cette ville en remplacement de monsieur Maire, démissionnaire ». A partir de 1930, il assume les fonctions de conservateur des deux musées de Lunéville (Beaux-arts et Arts industriels). Il s’attache à mettre en valeur l’histoire des derniers ducs de Lorraine et l’histoire militaire de Lunéville. Il est l’auteur de quelques articles ou opuscules historiques. SHD/DAT 11 Yf 8 129.

22 de CONIGLIANO (commandant), L’influence française dans l’ancienne Lorraine, conférence faite à l’Ecole

d’Instruction des officiers de réserve et de l’armée territoriale de la 20e région, le 10 avril 1913, Nancy, Berger-Levrault, 1913, 31 p., p. 30-31. Voir « Sources », exemplaire dédicacé « à monsieur le général Lescot, hommage respectueux de son très dévoué serviteur ». Archives de la famille Lescot.

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d’édition « Imagerie d’Epinal Pellerin et Cie » publie un album de souvenirs illustré de quatorze compositions de Job23 intitulé, « Gloires militaires de Lorraine et

d’Alsace »24. Dans cet ouvrage, sept « gloires militaires de Lorraine »25 et sept « gloires militaires d’Alsace »26 présentent les vertus du chef militaire qui, à l’image du maréchal Kellermann Père, duc de Valmy, est doté « d’un grand caractère, type

de courage et de sagacité, de bonté, de loyauté et d’honneur, en un mot comme un modèle des vertus civiques et militaires ». Ne trouvant pas assez de place pour

évoquer d’autres gloires lorraines, l’auteur se plaît à ajouter un commentaire pour préciser son désarroi car « que de noms illustres, aurions-nous à citer encore si nous

ne devions nous renfermer dans les limites de cette courte étude ! Chevert, Victor, Gouvion-Saint-Cyr, Richepanse, Duroc, Hugo, Exelmans, Molitor, Humbert, Gérard, Haxo, Bruet, Eblé, Fabvier et combien d’autres, héritant des vertus guerrières et du patriotisme de la vierge de Domremy ont fait la gloire de cette terre lorraine qu’ils ont si souvent arrosée de leur sang ! ».

Au cœur de la Lorraine et de son histoire, la définition d’un espace lunévillois nous permet ainsi d’entrer dans le cœur de notre thématique porté vers une meilleure connaissance d’une garnison de cavalerie.

Un espace lunévillois

Dans un deuxième temps, notre intérêt se porte donc vers une ville de garnison de taille moyenne dont le développement supporte l’influence de variables exogènes. L’espace lunévillois est d’abord caractérisé par des conditions géographiques et climatiques qui influencent les habitants vivant et travaillant dans un environnement urbain dédié, fruit d’un héritage politique et historique27. Espace

23 Jacques Onfroy de Bréville (1858-1931), dit JOB, se rend célèbre par ses illustrations de livres pour enfants

faisant souvent référence à la France et à ses grands personnages historiques. La qualité de ses dessins et son association fréquente avec Georges Montorgueil (de son vrai nom Octave Lebesgue, 1857-1933) pour la composition des textes, contribuent à entretenir le culte de la nation et du héros militaire chez les enfants avides de ses albums, essentiellement entre 1895 et 1920. En 1933, en hommage à la région natale de son mari, sa veuve lègue aux musées de Metz La Cour d’Or, l’ensemble de son atelier, sa collection d’armes et sa bibliothèque. ROBICHON (François), JOB ou l’Histoire illustrée, Tours, Mame, 1994, 160 p.

24 [ANONYME], Gloires militaires de Lorraine et d’Alsace, souvenir de l’Exposition internationale de l’Est de

la France, Nancy, 1909, 14 compositions de JOB, Imagerie d’Epinal Pellerin et Cie Edit. et Imp., s.l.n.d, 31 p.

25 Jeanne d’Arc (1412-1431), maréchal Fabert (1599-1662), maréchal Ney (1769-1815), maréchal Oudinot

(1767-1847), général Lasalle (1775-1809), général Drouot (1774-1847), maréchal Mouton (1770-1838).

26 Maréchal Kellermann Père (1735-1820), général Kellermann (1770-1835), général Kléber (1754-1800),

général Cohorn (1771-1813), général Rapp (1772-1821), maréchal Lefebvre (1755-1820), général Schramm (1789-1884).

27 En 1853, « presque tous nos historiens donnent à Lunéville le nom latin de Lunaris villa, et prétendent que ce

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de vie, il est le premier environnement de sociabilité où se côtoient population civile et population militaire selon des rythmes et des fréquences évoluant en fonction des activités mais aussi des saisons. Comme il existe une saison dédiée aux moissons ou aux vendanges dans les campagnes, il existe aussi une saison (ou période) d’instructions ou de manœuvres dans les casernes et les camps. Située dans une région de « la France de l’Est », a priori peu gâtée par les éléments météorologiques,

Lunéville paraît malgré tout bénéficier d’une situation « favorable à

l’assainissement » et à la « salubrité », comme le précise le docteur Saucerotte28, médecin à Lunéville sous le Second Empire.

« Lunéville s’étend à l’entrée d’une belle plaine, entre la Meurthe au Sud et la Vezouze qui la traverse à son extrémité Nord. La direction la plus générale de ses artères principales est du Nord au Sud et de l’Est à l’Ouest, orientation qui laisse un libre accès pour les premières aux vents froids, et pour les secondes aux vents pluvieux si fréquents ici, mais qui en définitive, est favorable à l’assainissement, en raison des courants continus qui emportent les émanations nuisibles. Au centre et entre les côtés d’un triangle formé par la grande rue et la rue Banaudon, sont les rues étroites et irrégulières de la vieille ville. En dehors et aux extrémités les rues larges et régulières de la ville neuve, dont un bon nombre de jardins et de grandes places augmentent encore la salubrité »29.

La troupe peut donc y vivre, apparemment, dans de bonnes conditions et

« chose consolante à dire, la population ouvrière et même pauvre est bien moins mal logée à Lunéville que dans la plupart des cités manufacturières»30. Pour Saucerotte,

la garnison évolue donc dans un milieu urbain « dans des conditions moyennes de

salubrité dont l’ensemble est plutôt favorable que désavantageux à la santé des troupes ». Cependant, il reconnaît que les variations de températures et le froid

humide « dont nous souffrons souvent dans cette contrée » peuvent occasionner des affections respiratoires chez des hommes qui sont « aussi continuellement exposés » que les cavaliers. Aussi, « le séjour de Lunéville est salubre et n’a rien par lui-même

que de favorable à la santé des troupes »31.

communes de la Meurthe, journal historique des villes, bourgs, villages, hameaux et censes de ce département, tome 1, Nancy, Berger-Levrault, 1978, 741 p., reproduction en fac-similé de l’édition de 1853, p. 623.

28 Le docteur Antoine, Constant Saucerotte (1805-1884) est médecin de l’hôpital de Lunéville entre 1838 et

1870. Devenu « médecin en chef de l’hospice civil de Lunéville », il est de plus « médecin en chef de la division de cavalerie » et « membre correspondant de l’Académie impériale de médecine ».

29 SAUCEROTTE (Constant, docteur), Lunéville et sa division de cavalerie. Topographie statistique, hygiène,

maladie…, Paris, Imprimerie H. et Ch. Noblet, 1858, 128 p., p. 33.

30

Ibid., p. 34.

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Ainsi, au milieu du XIXe siècle, il est admis que Lunéville présente un aspect physique « très agréable, à l’entrée d’une riche vallée fermée au sud-est par les

majestueux sommets des Vosges : les rues de la ville sont larges et spacieuses et la plupart tirées au cordeau32». D’autre part, seconde ville du département, « une des plus belles de France », elle est située à l’extrémité d’une plaine « riche et magnifique, sur la Vezouze, près du confluent de cette rivière avec la Meurthe, dans le voisinage de la vaste forêt de Mondon, et à l’embranchement de plusieurs routes33». Comme le définissait l’abbé Burgard34, Lunéville apparaît au gré de son histoire, comme une ville forte, une ville capitale-résidence, une ville sous-préfecture et enfin une ville de garnison. Son évolution démographique, contrainte par des périodes de guerre ou de crise, bénéficie malgré tout de la présence d’une forte population militaire. En 1874, l’arrondissement de Lunéville est composé de 8 cantons, 119 communes et 91 275 habitants.35 En 1913, l’arrondissement de Lunéville est composé de 9 cantons, 164 communes et 99 144 habitants.36 De 1876 à 1911, la population militaire de Lunéville augmente de 2 695 à 3 863. En 1891, cette même population atteint son maximum et compte 4 376 militaires. Cependant, cet état démographique ne constitue pas une exception dans l’Est de la France. Ainsi, Philippe Pividori précise dans ses travaux37 que la Champagne-Ardenne connaît une phase d’implantation militaire importante entre 1890 et 1898 et que Reims voit sa population militaire passer de 2 200 en 1884 à 5 100 en 1896.

Les qualités morales que Saucerotte reconnaît aux Lunévillois, comme l’amour de la patrie, la valeur militaire, le goût pour les sciences ou les arts « se sont

épanouies plus d’une fois au cours des siècles chez un grand nombre d’entre eux qui ont illustré leur terre natale dans les armes : Stainville, Conigliano-Clarenthal, La Barollière, Diettmann, Haxo, Lazowski, Treuille De Beaulieu, Vilmette, L’hotte, Antoine », mais aussi dans les sciences, dans les lettres ou dans les beaux-arts, au

travers des succès de plusieurs artistes. Il souligne de plus, que « la présence d’une

32 GROSSE (Etienne), Monographie des villes et villages de France, Département de la Meurthe, dictionnaire

historique et statistique, Paris, Res Universalis, 1992, 313 p., p. 197. Réédition du Dictionnaire de la Meurthe paru pour la première fois en 1836 et 1838.

33 Ibid., p. 190.

34 BURGARD (Charles, abbé), « les fonctions urbaines de Lunéville », in Le Pays Lorrain, 31e année, 1939, p.

204-217.

35

Almanach National, annuaire officiel de la République française pour 1874, présenté au Président de la République, Paris, Berger-Levrault, 1874.

36 Almanach National, annuaire officiel de la République française pour 1913, présenté au Président de la

République, Paris, Berger-Levrault, 1913.

37

PIVIDORI (Philippe), Les relations entre l’armée et les populations en Champagne Ardennes 1890-1920, thèse de doctorat, sous la direction de Maurice Vaïsse, Reims, 1998.

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garnison importante contribue à la prospérité de Lunéville et à son renom de cité cavalière ».

La définition d’un espace lorrain et d’un espace lunévillois, où se meuvent population civile et militaire, ne saurait suffire à notre étude sans aborder une troisième notion spatiale fondamentale selon nous, fondée sur l’existence d’une notion complexe, évolutive et souvent chargée de passion, celle de la frontière.

Un espace frontière

Dans son acception la plus courante, la frontière est le plus souvent définie comme la limite entre deux Etats mais revêt aussi une dimension « naturelle »38 ou « politique » qu’il est parfois difficile de faire coïncider et qui la rende exclusive. 39 A l’image du mur, la « frontière barrière » cloisonne des espaces qui ont vocation à se modifier sous l’action de la nature, telle une barrière végétale, mais le plus souvent sous l’action de l’homme, telle une barrière douanière. D’un autre coté, à l’aune d’un processus civilisationnel, une « frontière pionnière » inclusive peut aussi offrir un champ nouveau de découverte et de conquête. Pour notre sujet, la frontière constitue avant tout un obstacle politique et militaire qui fige les Etats et définit leur territoire respectif. En ce sens, la frontière entre la France et l’Allemagne nous interpelle dans sa forme en tant que « front » et donc séparation ou ligne de rencontre, entre deux puissances armées qui peuvent la franchir « à tout moment » par un mouvement offensif ou la délaisser par un retrait défensif. Elle est donc une ligne de partage entre deux forces militaires, mais également une ligne de transfert de l’une de ces forces ou ligne d’appui rétrograde. Elle devient de facto, un enjeu majeur des relations conflictuelles et, in fine, de la guerre. Dans le cadre de sa réflexion sur une géographie militaire des frontières, Philippe Boulanger précise la portée de cet obstacle.

38 Si Théophile, Sébastien Lavallée (1804-1866), fondateur de la géographie militaire, considère que les

meilleures limites sont « naturelles », le lieutenant-colonel Gustave, Léon Niox (1840-1921), professeur à l’Ecole supérieure de guerre de 1876 à 1894 et futur général de division, établit que la frontière naturelle est un « accident géographique » prenant la forme d’une mer, d’un fleuve, d’une montagne ou d’un désert. Pour lui, elle constitue un obstacle suffisant ayant permis aux souverains de l’utiliser comme limite politique de leur territoire depuis les origines de la civilisation occidentale. BOULANGER (Philippe), La géographie militaire française (1871-1939), Paris, Economica, 2002, 619 p., p. 319-320.

39

Pour Michel Foucher, « les frontières sont des discontinuités territoriales, à fonction de marquage politique. En ce sens, il s’agit d’institutions établies par des décisions politiques, concertées ou imposées, et régies par des textes juridiques ». Si elles sont des lignes de partage de souveraineté délimitées sur le terrain par des repères physiques tels les bornes, elles sont aussi le lieu d’exercice de fonctions étatiques précises en temps de paix fondées sur une fonction légale, une fonction fiscale et une fonction de contrôle. FOUCHER (Michel), L’obsession de frontières, Paris, Perrin, 2012, 219 p., p. 19-21.

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« La fixation de la frontière politique peut être l’une des causes du déclenchement de la guerre, ce qui explique que son sens politique ne soit pas lésé dans les considérations de géographie militaire. La frontière apparaît donc comme un obstacle politique et peut devenir un facteur de déséquilibre ou de discorde entre deux Etats. Mais la véritable dimension qui suscite des développements plus approfondis se situe sur le plan militaire. Le tracé géographique de la frontière est alors considéré comme un avantage de la défense ou de l’attaque. Il apparaît juste comme un obstacle à franchir pour s’étendre plus avant dans le territoire ennemi. La forme de la frontière revêt donc un intérêt tout particulier »40.

Dans un espace frontière, dont il nous appartiendra de préciser les contours réels ou supposés, les hommes entretiennent avec la frontière des relations écliptiques, conséquences de périodes marquées par l’émergence ou la dilution des frontières aux portes de leurs habitats ou de leur imagination. La frontière dans sa réalité physique peut donc être « vécue », « perçue », ou « voulue », mais elle peut aussi être « acceptée » ou « refusée » selon des thématiques proches de celles développées par les historiens ayant souligné la place du « consentement » ou de la « contrainte » à propos de la Grande Guerre, dans des débats parfois polémiques.41 Dans le cadre temporel que nous avons défini, les évolutions du tracé de la frontière lorraine sont en ce sens particulièrement intéressantes à souligner entre deux périodes conflictuelles ayant opposées la France et l’Allemagne entre 1870 et 1918. En effet, la nouvelle ligne frontalière du traité de Francfort implique une réduction du territoire français et impose désormais une Lorraine allemande, réduisant d’autant l’ancienne Lorraine française. Dans cette configuration, Lunéville se rapproche d’un nouveau limes franco-germanique et se voit implanter dans un nouvel espace régional. Nous pouvons ainsi mettre en relation la notion de territoire, « morceau de terre approprié » selon son étymologie latine, de la notion d’espace, notion plus floue qui élargie le champ des investigations historiques, géographique et sociologiques. Fort d’une composante identitaire et morphologique dans un espace naturel anthropisé, le territoire lorrain offre à la cavalerie de Lunéville des raisons de se mouvoir au regard d’une frontière qui inclut ou exclut selon les marques de l’histoire. Dans une volonté contrariée de se mettre « à proximité » ou « à distance » d’une frontière stigmatisée, la 2e division de cavalerie n’évolue pas pour autant dans un espace clos, mais bien dans un « espace frontalier lorrain », que nous pouvons aussi

40 BOULANGER (Philippe), La géographie militaire française (1871-1939), Paris, Economica, 2002, 619 p., p.

314.

41

COCHET (François), Survivre au front, les Poilus entre contrainte et consentement, 14-18 Editions, 2005, 263 p.

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identifier comme les marches militaires de son « horizon repère ». A travers des événements festifs ou solennels, nous verrons qu’elle participe aussi à une certaine forme de porosité de la frontière en favorisant son « hybridation » par des flux transfrontaliers entre la Lorraine annexée et la Lorraine française, mais aussi entre cette dernière et le territoire national.

A travers le prisme de la vie de cette ville de garnison, il convient donc de s’intéresser au sens de la frontière, acceptée ou reconnue mais aussi contestée ou menaçante. Comment une frontière étatique peut-elle devenir une « frontière défaite » ou « frontière de reconquête » et modifier les habitus de la société civile, mais aussi et surtout, ceux de la société militaire ? Comment dans ce cadre, la cavalerie française et plus particulièrement celle présente à Lunéville, suit-elle, subit-elle ou précède-tsubit-elle, la marque physique mais aussi psychologique de la frontière du traité de Francfort ?

Après avoir cerné les contours d’un espace géographique et historique dont la Lorraine, Lunéville et la frontière, sont les données structurantes de notre démonstration, la deuxième partie de notre étude s’attache à présenter le cadre général dans lequel évolue la 2e division de cavalerie placée en sentinelle aux marches de l’Est de la France, à partir de 1873. Au cœur de l’histoire militaire, il s’agit de tenter d’identifier les ruptures et les permanences de l’histoire de la cavalerie de Lunéville entre les tourments de deux conflits majeurs entre la France et l’Allemagne entre 1870 et 1921.

Il conviendra dans un premier temps de préciser les acteurs de la reconstruction de la cavalerie française et de montrer comment la Lorraine, et Lunéville en particulier, anticipera, suivra ou subira les conséquences des études et des réflexions « d’experts » militaires en activité ou en retraite. Au sein de la 6e région militaire de corps d’armée trois ans après la défaite, puis de la 20e région de corps d’armée à partir de 1898, comment la garnison de Lunéville va-t-elle construire son identité, sa propre originalité au sein de l’espace lorrain et de l’espace cavalier national en reconstruction ? Comment va-t-elle établir ses modes de fonctionnement, ses particularités au regard des grandes villes, sièges des commandements organiques successifs de Châlons puis de Nancy, mais aussi lieux d’accueil plus modestes d’autres formations de cavalerie dans la France de l’Est ? Comment

(26)

va-t-elle accueillir les différentes formations de cavalerie qui vont se succéder dans la cité par relèves successives au gré des décisions ministérielles ?

Nous nous attacherons ensuite à décrire les lieux de vie des cavaliers de Lunéville. Que ce soient les unités ou les infrastructures, il nous paraît indispensable d’établir un état des lieux descriptif nous permettant d’éclairer les réalisations effectives et leurs formes de représentation.

Les modes de fonctionnement tactiques seront présentés à travers les formes dévolues aux unités de cavalerie mais plus particulièrement à celles stationnées aux abords de la frontière de l’Est. Cet aspect nous conduira à présenter les modes d’action principaux de la 2e division de cavalerie et à comprendre comment son quotidien est organisé au regard de son engagement prévisible face à l’Allemagne. A travers les manœuvres et les périodes d’instruction définies comme périodes d’évolution de cavalerie avec ses différentes composantes, nous tenterons d’expliquer le sens de son action et d’en définir les contours réels ou espérés.

Fort d’une évolution progressive, prenant la forme à la fois d’une maturité organisationnelle mais aussi d’une personnalité affirmée dans la cavalerie française, comment la guerre va-t-elle bousculer des modes de fonctionnement et des certitudes patiemment établis dans l’espace frontalier lorrain ? En tant qu’expérience combattante, qu’elle sera alors la perception mentale des cavaliers de Lunéville au contact d’un premier conflit mondial abordé, selon des schémas classiques, tels qu’ils ont été préparés en Lorraine, puis selon des modes d’actions adoptés sous la pression des circonstances en tenant compte de la ressource humaine et matérielle disponible ? L’adaptation de la cavalerie de Lunéville au champ de bataille du XXe siècle se fera certes dans la douleur et la désillusion du non-emploi, mais révèlera néanmoins une grande efficacité de ses acteurs dans les missions confiées. La meilleure illustration sera donnée par l’attribution de la Croix de guerre avec au moins deux citations à l’ordre de l’armée à tous les régiments de la 2e division de cavalerie, et donc le droit au port de la fourragère aux couleurs de la Croix de guerre 1914-1918 à tous ses militaires. C’est en effet la seule division de cavalerie française à obtenir cette distinction pour tous ses régiments durant la Grande Guerre.

En quittant sa garnison à la fin du mois de juillet 1914 pour se porter en couverture à la frontière, nous suivrons la portée du premier « engagement sérieux » de la 2e division de cavalerie dans « l’affaire de Lagarde », du 10 et 11 août 1914. Puis nous chercherons à mettre en lumière les principales séquences combattantes

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de ses acteurs jusqu’au franchissement du Rhin pour devenir force d’occupation en Allemagne jusqu’en 1921.

La troisième partie de notre étude se propose d’étudier la place de la 2e division de cavalerie dans les exigences du service armé à cheval, mais aussi dans celles dévolues au milieu équestre de la société française. Du service à la servitude nous pourrons ainsi tenter de suivre les liens unissant cavaliers et chevaux dans la réalisation d’une structure corporelle qui donne corps et cœur au métier du soldat monté, que ce soit au quartier ou dans des activités particulières définissant le « cheval de guerre » ou le « cheval de fête ». Le cavalier peut-il alors se définir comme un « acteur de guerre » mais aussi « un acteur de fête » ? Peut-il se dédouaner par une brutale séparation de corps en ne formant plus un couple homme-cheval dans toutes ses occupations tournées en principe vers la préparation de la guerre ?

« Au-delà de l’analyse des valeurs qui fondent cette culture de l’entre-soi si spécifique des élites, au-delà aussi de l’étude des représentations »42, nous

souhaitons explorer les initiatives des chefs militaires de Lunéville et dégager les traits dominants de leur parcours ou de leurs réalisations. Ainsi, à mi-chemin entre histoire militaire et histoire sociale, nous pouvons proposer un état des lieux sur les élites de la cavalerie française en poste à Lunéville au sein de la 2e division de cavalerie.

Dans quel horizon évolue la cavalerie de Lunéville ? Dans quel horizon évoluent ses chefs militaires ? Celui du monde des élites ? Existe-t-il des secteurs de prédilection et d’autres de résistance ? Quelles sont leurs inspirations idéologiques ? Sont-ils identiques. Qu’en est-il de leurs modes d’action auprès de la communauté militaire mais aussi auprès de la communauté civile ?

La 2e division de cavalerie est-elle « un laboratoire d’idées » où s’élaborent des théories nouvelles, empreintes de pensées militaires, politiques voire religieuses ? Quelle place tient-elle dans l’armée de la République ?

Dans une démarche chronologique mais aussi mémorielle, il conviendra enfin de s’intéresser aux « traces » laissées par la 2e division de cavalerie dans sa garnison mais aussi dans cet espace de vie militaire constitué par les champs de bataille.

42 BRELOT (Claude-Isabelle), « Éric MENSION-RIGAU, Le donjon et le clocher. Nobles et curés de campagne

de 1850 à nos jours, collection Pour l’histoire, Paris, Librairie académique Perrin, 2003, 508 p. », Ruralia [En ligne], 14 | 2004, mis en ligne le 23 janvier 2005. http://ruralia.revues.org/995.

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A l’approche de la commémoration du centenaire de la Première Guerre mondiale, que reste-t-il du souvenir des cavaliers de Lunéville ?

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