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• Un espace frontalier contrôlé dans la revanche : 1871-1914 Comme le souligne Laurence Turetti, « un demi-siècle de stabilité territoriale

en France métropolitaine ne doit pas aujourd’hui faire oublier que, par le passé, les modifications de frontières étaient fréquentes. Entre 1815 et 1871, le tracé de la

frontière de l’Est change trois fois »238. Les frontières sont donc fragiles, variables et ne s’inscrivent pas dans un cycle long de stabilité et donc de paix entre les Etats. Elles apparaissent de surcroît dans les manuels scolaires du XIXe siècle comme « à

la fois miroir et la matrice de la perception populaire ». La « tâche noire » de l’Alsace

et de la Lorraine annexées en est une illustration pertinente sur les cartes de France présentées aux jeunes écoliers entre 1871 et 1918. La frontière peut être ligne de conquête ou ligne de défense pour les forces armées. Elle est, par essence, ligne de contact entre les belligérants, quelles que soient les intentions belliqueuses et la manœuvres des unités. Elle est ce « liseré vert » qui sur les cartes marque une nouvelle ligne de démarcation.239 Elle est aussi source d’exaltation du patriotisme dans sa nécessaire vocation à identifier l’appartenance à une terre ou au contraire ligne de répulsion qui sépare et éloigne la terra incognita du pays voisin, ennemi potentiel aux intentions incertaines. Elle imprime ainsi dans l’imaginaire des enfants de la IIIe République la répulsion ou l’attirance, qui quelques années plus tard donneront cœur ou corps à l’ardeur des soldats servant à son contact. La frontière est donc ligne, zone ou espace. Matérialisée sur le terrain, elle répond ainsi à plusieurs acceptions qui placent immanquablement les habitants et les soldats de sa région dans le rôle des gardiens d’un glacis protecteur en avant-garde de la vigilance patriotique et nationale. Elle renvoie immanquablement à l’image de la sécurité du territoire. Dans la région de Lunéville, à partir de 1871, « en l’absence de rempart

naturel ou militaire tangible, la frontière la plus solide est finalement celle des hommes ». Le rôle de sentinelle aux avant-postes de la Lorraine est donc bien celui

qui sied désormais aux unités de cavalerie de la garnison de cette cité.

« La Meurthe-et-Moselle se présentait ainsi comme l’avant-garde de la France face à l’Allemagne et l’on comprend que les relations franco-allemandes, que ce soit dans l’ordre politique, économique, culturel ou bien sûr militaire, y furent ressenties avec une particulière acuité et une constante vigilance» 240.

Créé par la loi du 17 février 1800, l’arrondissement de Lunéville identifie un espace et une frontière administrative qu’il convient de rappeler, car il fixe un premier

238 TURETTI (Laurence), Quand la France pleurait l’Alsace-Lorraine, 1870-1914, Les « Provinces perdues »

aux sources du patriotisme républicain, Strasbourg, La Nuée Bleue, 2008, 204 p., p. 152.

239

L’article I du traité, portant sur les préliminaires de paix du 26 février 1871, précise que la nouvelle frontière « se trouve marquée en vert sur deux exemplaires conformes de la carte du territoire formant le gouvernement général d’Alsace, publié à Berlin en septembre 1870, par la division géographique et statistique de l’Etat-major général, et dont un exemplaire sera joint à chacune des deux expéditions du traité ».

240

SICARD-LENATTIER (Hélène), Les Alsaciens-Lorrains à Nancy, une ardente histoire, Haroué, Gérard- Louis éditeur, 2002, 463 p., p. 47.

cadre d’évolutions des populations civiles et militaires dans leur vie quotidienne. 241 A l’origine, il comprend dix-huit cantons dont neuf avaient constitué précédemment le district de Lunéville242, cinq le district de Vézelise243 et quatre le district de Blâmont244. Conséquence d’une diminution générale, le nombre de cantons de l’arrondissement de Lunéville est fixé à huit, le 8 décembre 1801: Baccarat (30 communes), Bayon (25 communes), Blâmont (30 communes), Gerbéviller (24 communes), Haroué (31 communes), Lunéville-Nord (21 communes), Lunéville- Sud-est (17 communes) et Vézelise (34 communes). L’arrondissement de Lunéville comprend donc 212 communes et subit au cours du XIXe siècle de nombreuses modifications. Ainsi, une ordonnance royale du 15 mars 1816 lui enlève les cantons d’Haroué et de Vézelise qui rejoignent l’arrondissement de Nancy malgré les protestations des Lunévillois. Cette modification se fonde sur le fait que les communications sont difficiles entre Haroué et Vézelise d’une part, mais aussi entre ses deux communes et Lunéville d’autre part. Des transformations interviennent encore les années suivantes : en 1818, la commune de Chenevières est détachée du canton de Gerbéviller et réunie au canton de Lunéville-Sud ; en 1819, la commune de Barbonville est détachée du canton de Gerbéviller et réunie au canton de Bayon ; en 1821, la commune de Nonhigny est détachée du canton de Lorquin (arrondissement de Sarrebourg) et réunie au canton de Blâmont, dans lequel elle se trouvait presque enclavée ; en 1825, une nouvelle délimitation intervient entre les cantons de Lunéville-Nord et Lunéville-Sud-Est.

La guerre franco-prussienne de 1870-1871 fait de l’arrondissement de Lunéville une zone frontière. Il s’enrichit alors des dix-huit communes rescapées des arrondissements de Sarrebourg et de Château-Salins qui n’ont pas été annexées à l’Empire allemand. Ainsi sont formés par la loi du 21 mars 1873 deux nouveaux cantons : le canton de Cirey-sur-Vezouze, à partir de huit communes provenant du canton de Lorquin (arrondissement de Sarrebourg) ; le canton d’Arracourt, à partir de neuf communes provenant du canton de Vic (arrondissement de Château-Salins). La dernière commune, Igney (canton de Réchicourt, arrondissement de Sarrebourg), d’abord annexée à l'Allemagne, est rendue à la France en novembre 1871 et rattachée au canton de Blâmont.

241 AD 54, Nancy, présentation de la série Z

242 Cantons de Lunéville, Azerailles, Baccarat, Bayon, Blainville, Crévic, Einville, Gerbéviller, Laneuveville-

aux-Bois – ancien canton de Bénaménil.

243

Cantons d’Haroué, Neuviller-sur-Moselle, Pulligny, Vaudémont, Vézelise.

A l’intérieur de ses nouvelles limites, l’arrondissement de Lunéville subit encore une modification importante en 1879, le rétablissement du canton de Badonviller à partir de neuf communes détachées du canton de Baccarat. A cela s’ajoute le détachement de Raon-lès-Leau du canton de Cirey pour être rattachée à celui de Badonviller (1881), et celui de Hériménil du canton de Gerbéviller pour rattachement à celui de Lunéville-Sud-Est (1882).

A partir de 1882, l’arrondissement de Lunéville comprend donc neuf cantons et 163 communes. En 1895, la création de la commune d’Avricourt, démembrée de la commune d'Igney, porte le nombre des communes à 164. Il demeure inchangé jusqu’en 1940.

Dans ce cadre, la proximité de la frontière peut-elle être perçue comme le « terreau de la revanche » et inciter la population civile de Lunéville à porter plus d’attention, voire d’enthousiasme, à la population militaire de la cité ? La détermination des « forces de cavalerie » s’en trouve-t-elle renforcée ?

Le thème de la revanche est ici à mettre en relief avec celui de la frontière, toujours récurrent. Il serait impropre de parler d’esprit belliqueux, comme il a pu exister au lendemain du désastre de 1871, mais plutôt d’une incessante mobilisation des énergies à préparer l’engagement dans le souvenir et l’émotion. S’agit-il alors d’une glorification excessive du passé, à travers l’épopée de l’Empire notamment, pour mieux oublier les revers de 1870-1871 et se revoir enfin dans la posture du vainqueur ?

« Les victimes ou les héros de l’épopée napoléonienne n’ont pas quitté la mémoire collective, glorifiée par la littérature, les arts, l’histoire transmise par l’école. Le souvenir devient culte. Dans ce XIXe siècle marqué par ses morts, ses épopées, ses tentatives d’unité mais aussi ses déchirures, l’armée contribue à la pérennité de la patrie. » 245

L’émotion de la revanche résonne donc comme un appel lancinant et contribue, selon nous, à forger l’enthousiasme et la détermination des unités de Lunéville. Pour les officiers, la revanche à prendre n’est pas seulement un mythe car

« ceux-ci dans leur ensemble, considèrent la défaite de 1870-1871 non comme une

245

SOURBIER-PINTER (Line), Au-delà des armes, le sens des traditions militaires, Imprimerie nationale, 2001, 186 p., p. 35.

humiliation, mais plutôt comme une contre performance à effacer dès que possible »246.

Il faut insister ici sur un sujet qui intéresse mais divise encore certains historiens247 sur sa nature et surtout son intensité, à savoir celui de « l’esprit de

revanche » chez les Français, entre les années 1871 et 1914. En effet, au vu de nos

recherches et de nos lectures, nous pouvons souligner une prégnance locale et catégorielle de cette notion à la veille de la Première Guerre mondiale. Locale, car les familles alsaciennes ou lorraines n’ont jamais oublié d’évoquer le souvenir des provinces perdues, catégorielle, car les militaires et en particulier ceux qui sont stationnés près de la frontière, se préparent à retrouver le sol envahi par la force d’une confrontation.

« La revanche ! Ce mot magique a bercé toute une génération de Français. Il avait alors un sens très positif. Aujourd’hui, il a acquis une connotation négative : un cri patriotique un peu coloré, une imprécation anti-allemande à l’accent vengeur sont facilement qualifiés de « revanchards » et jugés sévèrement. L’analyse du phénomène est complexe et redoutable. Sa perception varie selon l’appartenance nationale et selon les époques. Avant d’être un choix politique conscient et délibéré, c’est d’abord un cri du cœur spontané, un refus de la défaite »248.

Dans l’Est de la France et en Alsace-Lorraine, la revanche est attendue par beaucoup. Selon François Roth, dans le reste du pays, «la France vivait la revanche,

la mimait sans passer à l’action. Il est probable que les Français habitant au sud de la Loire, tous ceux qui n’avaient pas vécu l’invasion, étaient très éloignés de cette préoccupation »249. Mais dans une approche transfrontalière à restituer dans le

contexte de l’époque, il nuance ses propos en ajoutant que « jamais le sentiment de

revanche ne doit être considéré dans une perspective étroitement française. Il doit toujours être replacé dans un jeu de miroir franco-allemand »250. Car, il convient de

246 CROUBOIS (Claude), [dir.], L’officier français des origines à nos jours, Saint-Jean d’Angely, Editions

Bordessoules, 1987, 429 p., p. 255.

247 Pour Jean-Noël Grandhomme, l’historiographie récente a minimisé à l’excès la permanence de ce sentiment

chez les Français au-delà des années 1880. Il apporte une amorce de contre argumentation dans sa préface à l’ouvrage de ROESS (D.) et BALMIERS (E.), Scènes de tranchées dans les Vosges, Strasbourg, Editions du Rhin, 2002, pp.9-14. Voir aussi l’analyse de Bertrand JOLY dans « Le souvenir et la place de la Revanche » dans l’Encyclopédie de la Grande Guerre 1914-1918, Histoire et culture, AUDOUIN ROUZEAU (Stéphane) et BECKER (Jean-Jacques) [dir.], Paris, Bayard, 2004, 1342 p., p. 109-123.

248 ROTH (François), La guerre de 70, Nancy, Fayard, 1990, 774 p., p. 627. 249

Ibid., p. 629.

préciser que « le nouveau Reich est fragile, il peut être menacé par une revanche

française. C’est pourquoi la vigilance s’impose »251 aussi pour le vainqueur de 1871.

Après la défaite et la perte de l’Alsace et d’une partie de la Lorraine252, la Patrie apparaît comme le moyen de souder les différents groupes qui constituent la nation et l’armée dans un nouvel élan de ferveur et d’espérance. Le territoire national a été amputé d’une partie de son sol et de ses habitants, ce qui constitue un traumatisme, une véritable blessure psychologique et charnelle. A l’image du corps humain, l’Alsace et une partie de la Lorraine ne sont plus membres du corps national. Les « petites patries » interpellent ainsi la grande patrie républicaine253. Il faut donc recomposer avec la gloire et redonner à chacun le goût de l’héroïsme autour du drapeau tricolore. En s’interrogeant sur le sens des traditions militaires en France, Line Sourbier-Pinter met ainsi en exergue la conscience de la mémoire historique qui, en s’affirmant au XIXe siècle « encouragea l’épanouissement des traditions

militaires dans un milieu qui se sentit porteur d’une lourde responsabilité : celle de suivre les traces des héros et, plus tard, celle de préparer la revanche » 254. L’armée française, en pleine restructuration à partir de 1874, réaffirme sa vocation à consolider l’identité nationale dont elle est elle-même un vecteur essentiel.

« Les croyances partagées font l’histoire, et la République avait certainement besoin de se proclamer la plus légitime, à tous égards, pour se faire accepter. La revanche va l’y aider, qui se prépare autant dans les écoles de la république que dans les écoles militaires. L’appel aux armes devient un véritable rite de passage vers l’âge adulte et revêt pour beaucoup un caractère civique et émancipateur. Et c’est cette armée, devenue véritablement nationale, qui engagera tout le pays dans la Première Guerre mondiale » 255.

Cette aspiration à la revanche est aussi à replacer dans un contexte national et international qui favorise ou non, le développement de « pointes d’aiguillons » dans le paysage politique, social ou militaire de la France entre 1871 et 1914. Il en est ainsi, par exemple, avec la fondation de la Ligue des patriotes par Paul Déroulède en 1882, ou de la diffusion des idées du général Boulanger entre 1886 et

251 Ibid., p. 626.

252 Pour les Français les territoires annexés par l’Allemagne en 1871 représentent les « provinces perdues » et

sont appelés « Alsace-Lorraine ». Pour les Allemands, il s’agit d’une « Terre d’empire d’Alsace-Lorraine » (Reichsland Elsass-Lothringen) possédant à la fois un statut impérial mais aussi un rang inférieur par rapport aux autres Etats allemands.

253 CHANET (Jean-François), L’école républicaine et les petites patries, Paris, Aubier, 1996, 426 p. 254

ROTH (François), op. cit., p. 47.

1889. C’est aussi en 1887, que l’affaire Schnaebelé illustre avec acuité les tensions entre la France et l’Allemagne au travers d’un des incidents de frontière les plus graves entre 1871 et 1914. En tentant de cerner l’attitude de la 2e division de cavalerie aux abords de la frontière, cette posture face à l’Allemagne pourra être perçue plus en avant dans notre étude, grâces à plusieurs exemples relevés dans les bornes chronologiques que nous nous sommes fixées.

Si au début, l’idée de la revanche s’exprime par « un sentiment populaire

ayant une connotation de gauche » dans la littérature, la presse ou même la

chanson, il apparaît aussi comme un contrepoint au « recueillement imposé par les

circonstances à la présence française en Europe et dans le monde »256. Cette idée de revanche met en exergue les provinces perdues et trace le sillon d’une culture mémorielle nouvelle.

« Tout au long de cette période, il semble que le concept de provinces perdues soit devenu un instrument mémoriel permettant de transmettre l’idée d’intégrité du territoire. L’identité du pays vaincu se reconstruit en effet sur la représentation d’une géographie idéale, à reconstituer un jour. L’hypothèse de ce retour, est, entre 1871 et 1914, de moins en moins vraisemblable pour une grande partie la population. Néanmoins l’idée n’est jamais complètement abandonnée car elle sert l’unité nationale »257.

A la Toussaint, chaque année, on célèbre les morts de la guerre franco- prussienne de 1870-1871, en estimant que la séparation des frères annexés ne peut être définitive. Comme le souligne Odile Roynette, « l’essentiel réside ici dans la

fonction cathartique de l’hommage. Il facilite l’acceptation des combats perdus en soulignant la pérennité des valeurs morales -honneur et bravoure- et il exalte l’idée d’une revanche toujours à l’horizon. Il participe également au maintien d’une culture de la défaite qui mêle au sentiment de culpabilité et à la recherche de véritables responsabilités, la fierté du sacrifice consenti » 258.

L’Allemagne, après 1871, reste donc une voisine menaçante, que l’annexion de l’Alsace et d’une partie de la Lorraine a rapproché de Paris. La France vaincue, mais pas abattue, condamne avec ses intellectuels comme Michelet ou Renan le « crime » de cette amputation territoriale et écarte au nom du droit des peuples à

256 ROTH (François), op. cit., p. 629. 257 TURETTI (Laurence), op. cit., p. 151. 258

ROYNETTE (Odile), Bons pour le service. L’expérience de la caserne en France à la fin du XIXe siècle, Paris, Belin, 2000, 460 p., p. 85.

disposer d’eux-mêmes et du principe de la nation indivisible, l’idée de tout abandon. La France ne peut être meurtrie et privée d’une partie de son intégralité physique. Ainsi, se crée l’idée de la revanche qui dans une adéquation entre territoire et nation va permettre de développer l’idée de la reconquête d’une terre française « injustement » perdue. C’est à partir des nombreux débats sur le tracé de la nouvelle frontière à l’Est et sur la délimitation linéaire entre les territoires de la France et de l’Allemagne que vont s’inscrire les nouveaux rapports de force politique et militaire entre ce deux pays. A peine les affrontements terminés, de nouvelles tensions sont perceptibles. Un nouvel espace militaire est né dans la Lorraine restée française. Il donne à Lunéville un nouveau rôle de « ville frontière » dans un espace pouvant devenir le champ de rencontre et de bataille des unités de cavalerie françaises et allemandes.

Mythe fondateur de la reconstruction du pays vaincu, l’idée de revanche est plus ou moins vive en fonction des évènements politiques, mais également en fonction des régions. Les populations de l’Est semblent plus concernées et « physiquement » plus sensibles que dans d’autres régions de France car plus proches.

Si l’Alsace en particulier n’est jamais « loin des cœurs », elle semble aussi jamais très « loin des yeux », comme semble le montrer cette anecdote lunévilloise, dont une cigogne est la vedette en 1890.

« Ce n’est pas sans un plaisir mêlé de quelque émotion que nous avons pu, vendredi matin, admirer deux jolies cigognes planant au dessus de notre ville pendant une partie de la matinée. Ces charmants oiseaux, de patriotique mémoire, me semblait venir prendre un peu d’air de France pour l’emporter là-bas derrière le Donon ; et, des hauteurs où ils glissaient sous un coup d’aile, ils ont pu embrasser de leur œil perçant l’ensemble de la revue fort bien réussie que passait pour la dernière fois le nouveau commandant du 1er corps d’armée, le sympathique général Loizillon. Que ne peuvent-ils ces gracieux messagers raconter à nos amis, à nos frères d’Alsace que les enfants de la République, les soldats de la France, travaillent chaque jour à leur délivrance »259.

Selon François Roth, « la revanche est restée une aspiration sentimentale,

affective, irrationnelle, un cri de cœur. Elle s’est appuyée sur de nombreux supports : l’Alsace-Lorraine, les souvenirs de la défaite et de l’occupation, la haine des

Prussiens et de Bismarck »260. Cette idée est déjà révélée par une étude portant sur la Lorraine, quelques temps avant la Seconde Guerre mondiale. Elle montre aussi que de part et d’autre de la frontière, une confrontation armée n’est jamais complètement exclue.

« Une idée domina d’abord l’histoire sentimentale de la Lorraine déchirée par le traité de Francfort, la conviction que l’heure de la revanche sonnerait bientôt. Pendant une vingtaine d’année après 1871, en un temps où les générations qui avaient connu l’ancien état de choses étaient encore la majorité et où les modifications dans le peuplement étudié ci-dessus étaient peu sensibles, cette foi régna à l’Est comme à l’Ouest de la nouvelle frontière. Mais dans l’application des différences apparaissent déjà (…) »261. Aussi, après

le désastre de 1871, « commença une grande période de l’histoire lorraine, la plus grande peut-être. Coupée par une frontière artificielle, la Lorraine devint ce qu’elle n’avait jamais été que dans le rêve de lotharingistes262, une région essentielle à l’Europe, une région sur laquelle deux pays également civilisés et les plus militaires du monde, eurent les yeux fixés »

263.

Pourtant, si elle ne semble pas avoir été une politique qui aurait pu déboucher sur une guerre, l’idée de revanche marque durablement les relations franco- allemandes et enracine les images et les préjugés réciproques dans la durée. La nouvelle frontière de 1871 est-elle bien alors la « nouvelle histoire » de Lunéville qui fixe la nouvelle frontière de cavalerie, sorte d’horizon géographique, physique et mental ?

« La nouvelle frontière plaçant Nancy à quelques vingt kilomètres du premier poteau

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