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sur l’éthique au travail dans la conformité bancaire
Mar Pérezts
To cite this version:
Mar Pérezts. L’éthique comme pratique située : étude multiniveaux sur l’éthique au travail dans la conformité bancaire. Gestion et management. Université Panthéon-Sorbonne - Paris I, 2014. Français. �NNT : 2014PA010058�. �tel-03160853�
ESCP Europe - Ecole Doctorale de Management Panthéon-Sorbonne - ED 559
L’ÉTHIQUE COMME PRATIQUE SITUÉE
ETUDE MULTINIVEAUX SUR L’ÉTHIQUE AU TRAVAIL DANS LA CONFORMITÉ BANCAIRE
THESE
Présentée et soutenue publiquement le 24 Février 2014
En vue de l’obtention du
DOCTORAT EN SCIENCES DE GESTION
Par
Mariana PEREZ TORRESCANO SALGADO
dite Mar PEREZTS
JURY
Président du Jury : M. Ghislain DESLANDES
Professeur, HDR
ESCP Europe
Directeur de Recherche : M. Jean-Philippe BOUILLOUD
Professeur, HDR
ESCP Europe
Rapporteurs : M. Jean-François CHANLAT
Professeur, HDR
Université de Paris IX Dauphine
M. Eric FAŸ
Professeur, HDR
EMLYON Business School
Suffragants : M. Hervé CORVELLEC
Professeur
Lund University, Suède
Mme. Anne GRATACAP
Para mis padres, Patricia y Fernando, mis raíces mexicanas e inspiración a soñar el sueño imposible.
Pour Martine Peregrina, Véronique Beucler, Janine Audoin et Simone Rouayrenc, car si je me pense en français c’est largement grâce à vous.
Pour Muriel et Charles, chevaliers pour un monde autre.
Per Ennio, mio compagno di viaggio su tutte le acque, mio soffio di vita.
« C'est bien la pire folie que de vouloir être sage dans un monde de fous. » Erasme, Eloge de la Folie.
Lorsqu’on commence une thèse – aventure intellectuelle autant que physique – on se pose beaucoup de questions. Mais chemin faisant, et grâce aux présences stimulantes qui nous entourent et rendent le travail un peu moins solitaire, nous en avons encore plus. Et c’est un bonheur, puisque ce ne sont pas, heureusement, les mêmes questions. On en ressort grandi par l’effort et par la perspective que nous pouvons prendre à l’égard de nous-‐mêmes et de qui nous étions au début de ce processus, et on découvre la richesse de l’échange, du dialogue, des discussions que nous avons pu partager durant cette période.
Ce travail n’aurait pas vu le jour sans l’encouragement, le soutien, les discussions, l’orientation et aussi le sens de l’humour de mon directeur de thèse, Jean-‐Philippe Bouilloud. Merci d’avoir été le premier à m’accompagner dans ce projet, à alimenter mes interrogations, à m’aider lors des difficultés d’ordre scientifique ou existentiel, à partager lectures, débats, rires, cafés et discussions pendant tout ce temps. Merci de ta confiance, patience, écoute, amitié et tout ce que je pouvais espérer chez un directeur de thèse. J’espère que bien d’autres moments d’échange suivront dans cette carrière académique dont tu es pour moi le modèle et l’inspiration. Merci à Jean-‐François Chanlat, Hervé Corvellec, Ghislain Deslandes, Eric Faÿ, et Anne Gratacap de me faire l'honneur de faire partie de mon jury de thèse. Votre regard sur mon travail est le premier horizon auquel je suis heureuse de me confronter en toute humilité et en espérant déclencher des occasions d’échanges futurs. Je vous remercie sincèrement pour le temps que vous avez consacré à mon travail, et pour vos questions et conseils qui ont déjà su (lors de la pré-‐ soutenance) et continueront à me donner des impulsions pour l’améliorer.
Merci à Jean-‐Michel Saussois, Directeur du programme Ph.D de l’ESCP Europe lors de mon entrée, pour sa confiance initiale qui m’a permis de m’embarquer dans cette aventure: merci d’avoir cru en mon potentiel et en mon profil ‘atypique’. Merci à Jean-‐François Lemoine, Directeur de l’Ecole Doctorale de Management Panthéon Sorbone et à Olivier Badot en sa qualité de Doyen associé à la recherche de l’ESCP Europe. Un grand merci aussi à Hervé Laroche, qui a poursuivi le travail de directeur du programme PhD, à l’écoute de nos besoins en tant que doctorants, nous poussant toujours à nous dépasser, en soutenant nos projets, en nous aidant à nous envoler. Merci particulièrement à Yvon Pesqueux, dont les précieux conseils et lectures attentives ont grandement amélioré ce travail.
A ‘Marie’, et à toute son équipe au sein de ‘BUF-‐BI’ et en particulier ‘Clément’, merci de m’avoir ouvert les portes si précieuses de votre métier, de votre pratique, de votre expérience, de votre vécu, de m’avoir consacré du temps et de l’intérêt pour ma recherche avec autant de générosité, d’humanité, de gentillesse, de professionnalisme. Le temps que j’ai passé parmi vous fut une grande leçon de vie pour moi. Merci aussi aux « banquiers masqués » du Think Tank Banque et Société, initiation ô combien passionnante, au monde bancaire !
I am so grateful to Roy Suddaby, who opened the door for me to spend a wonderful visiting period at the University of Alberta as part of the CEFAG program. Your advice and the talks we had both in Canada and in Paris were inspiring and very helpful for my thesis. You greatly helped me to make a leap into the after-‐thesis academic life and I am so happy that this fruitful relationship is yeilding new projects.
redécouvrir, souvent angoissant mais aussi passionnant !
Merci à Sébastien Picard : si tu n’avais pas cru en moi avec autant d’entêtement ce travail aurait difficilement abouti, et ma vie professionnelle serait toute autre. Merci pour ta capacité à me sortir de mes préjugés et d'accepter de partager la plume, quel défi et quel bonheur d’avoir trouvé en toi un co-‐auteur et un ami aux milles projets !
Merci Xavier Philippe, Emilie Bérard, et Pilar Acosta : à des moments différents et parfois dans la distance, nous avons suivi le même chemin, et votre empreinte est particulièrement forte non seulement dans ce travail mais aussi pour la suite.
Anna, Karina, Christelle, Jean, Charles-‐Henri, Renata, Aurélie, Samer, Magali, Inés, Florence, et les autres doctorants que je regrette n’avoir pu côtoyer d’avantage, Guillaume, Cylien, Isabelle, François-‐René, Elsa, Emmanuelle, Xavier, Stéphane, Andrew, Anissa, Violette, mais aussi les doctorants du CEFAG promo 2011 et en particulier Julie Bastianutti… nous partageons une folie commune, et je suis convaincue qu’une thèse est autant le fruit d’un soutien amical que d’un dur travail individuel. Merci à tous pour les pauses thé/café, les discussions sur skype, les PhD happy hour, pour vos questions, critiques, remarques, blagues, suggestions et tout simplement pour votre présence, inestimable, aux cinquième et sixième étages des Bluets. Merci également aux autres professeurs qui m’ont accompagnée, formée, écoutée et conseillée, en particulier Aurélien Acquier, Jérémy Morales, , Hervé Dumez, Christina Garsten et Laure Cabantous, et dans le cadre du CEFAG en particulier Cedric Lesage et Xavier Lecocq: votre aide a été précieuse, votre exemple inspirant. Un grand merci aussi à celles qui rendent possible le PhD au jour le jour : Marie-‐Andrée Lannerey et Christine Rocque pour leur soutien quotidien.
Gracias à ma famille, Fernando y Patricia, Luis Pablo, Mariano y Carmen, Julio, Julia y tia Lupe : vous m’avez poussé dès le plus jeune âge à m’ouvrir à d’autres langues, cultures, pays, pensées et à croire avant tout en l’homme, en la force des idées et en la créativité libre à laquelle nous sommes appelés… le plus beau des héritages. Toujours là, dans la distance, dans mon lointain intérieur. Grazie à ma famille italienne, qui m’a adoptée et suivie durant les péripéties de cette escalade.
Merci à tous ceux qui ont, de près ou de plus près, participé de cette aventure en amitié, en pensées, en actes et en tant qu’inspiration : Clément, ami de correspondances et écho de mes idéaux ; Beverly, Alain, Laure, mes étudiants, le groupe des Etudes Sociales de la Finance et en particulier Marc Lenglet. Merci aussi pour leur confiance à mes nouveaux collègues à EMLYON, et en particulier Françoise Dany, Eric Faÿ, et Fabienne Autier, qui m'ont ouvert les portes de leur équipe pour continuer à développer les fruits de ce travail et de nouvelles recherches à leurs côtés.
Ennio, ma plus grande folie, c’est à toi que je dois d’avoir tenu jusqu’au bout : présent de mille manières au cours de cette période qui est aussi le début de notre vie ensemble, à travers ta patience, tes encouragements, ta compréhension, tes rires, ton aide, et tes bras, toujours ouverts. Merci de dire oui chaque jour à ce présent de l’éternité ensemble.
On entend dire qu’il faut être fou pour faire une thèse – peut-‐être, du moins un peu. Merci à tous d’avoir supporté avec patience, provoqué avec bienveillance, questionné avec sens critique, diversifié avec richesse, consolé malgré la distance, et surtout partagé avec amitié mes différents moments de folie. Que ce grain (de folie) puisse continuer à porter fruit chez chacun de nous, à sa manière.
L’éthique comme pratique située : étude multiniveaux sur l’éthique au travail dans la conformité bancaire.
Qu'en est-‐il de l'éthique dans les banques? Depuis le début de la crise financière initiée en 2007, cette question a de plus en plus envahi les préoccupations médiatiques et académiques, et a également déclenché ce travail de thèse. Par delà l’effervescence du contexte de crise d’une part, et en évitant toute approche normative d’autre part, cette thèse se penche sur la fabrique de l’éthique, sur l’éthique au travail et à l’œuvre dans les processus d’organisation et les organisations, c’est à dire conçue avant tout comme pratique. Nous proposons une lecture qui considère l’éthique en situation, sous l’angle de la pratique et non simplement celui ni des discours ni des normes et leur application conforme. Ceci nous permet justement d’appréhender de manière transversale et intégrée le lien entre l’éthique comme processus, ces discours et ces normes au sein même des processus d’organisation. A travers une étude ethnographique dans une cellule Conformité dédiée à la lutte anti-‐blanchiment d'une des principales banques d'investissement françaises, nous explorons la fabrique et le travail de ‘l'éthique comme pratique située’. Nous proposons et définissons ce syntagme pour aborder l'éthique en tant que phénomène organisationnel, que nous définissions comme 1) complexe que dynamique, 2) embarqué simultanément aux niveaux micro (au sein de sujets moraux), méso (dans des organisations humaines) et macro (au niveau institutionnel), et 3) dans un rapport de rétro-‐alimentation par rapport à sa situation. Le contexte de conformité bancaire est un milieu privilégié pour cette étude, surtout en temps de crise financière et de valeurs, car il exacerbe les tensions et les enjeux concrets qui défient la pratique quotidienne de l'éthique en rapport constant avec la norme, les risques et l’impératif de conformité.
Mots-‐clés : Conformité Bancaire, Ethique comme Pratique, Ethique des Affaires, Ethnographie, Etudes Sociales de la Finance, Situation, Travail.
Ethics as situated practice: a multilevel study on ethics at work in banking compliance
Whither ethics in banking? This question has increasingly pervaded media and academic concerns since the outbreak of the 2007 financial crisis, and has also triggered this dissertation. Beyond the current turmoil on the one hand, and avoiding a normative approach on the other, this study focuses on ethics in the making, on ethics at work in organizing and organizations, that is and ethics understood essentially as practice. Our perspective considers ethics in situ, from a practice and situational approach and not solely from either the standpoint of discourse or that of norms and their effective compliance. This allows us precisely to apprehend in a transversal and integrated way the link between ethics as process and such discourses and norms within organizing. Through an ethnographic study of a major French Investment Bank's Anti-‐Money Laundering Compliance unit, this thesis focuses on ethics in the making, and the work of ‘ethics as situated practice’. We propose and define this syntagma to consider ethics as an organizational phenomenon, which we define as 1) complex and dynamic, 2) simultaneously embedded at the micro (within moral subjects), meso (within human organisations) and macro (at the institutional level), and 3) in an engaged loop circling back to its situation. The context of banking compliance is of great relevance for this study, particularly in times of financial and values crisis, since it exacerbates the specific tensions and stakes that challenge on a daily basis ethics in its constant relation with norms, risks and the imperative of compliance.
Key words: Banking Compliance, Business Ethics, Ethics as Practice, Ethnography, Situation, Social Studies of Finance, Work.
Introduction: L’Éthique aux temps des crises …...3
Première partie : L’éthique et les enjeux de la pratique dans la conformité bancaire…...32
Chapitre 1 : Ethique et Pratique : une revue des dissonances et enjeux ...33 1.1. Dissonances : l'éthique des affaires, ou de la banalité du bien et du mal
1.1.1. L'institutionnalisation de l'éthique des affaires
1.1.2. Analyse de la dissociation paradoxale entre l'éthique et la pratique 1.2. Retour sur les enjeux concrets de l'éthique en situation
1.2.1. Agir face à la complexité 1.2.2. Agir face au(x) risque(s)
1.2.3. Agir au quotidien
Chapitre 2 : Argent Sale et Mains Sales : de l'éthique en milieu financier et de conformité bancaire...87 2.1. Les études sociales de la finance (à la fois une littérature et une approche particulière)
2.1.1. Un champ émergent
2.1.2. Approches de la conformité bancaire
2.1.3. Conclusion sur les intérêts des SSF et de la conformité pour l'étude de l'éthique
2.2. L'Argent Sale: entre souillure et illégalité 2.2.1. Argent, banques et société
2.2.2. L'argent sale comme argent illicite: ses circuits, ses enjeux 2.3. Les Mains Sales: la question de l'agence morale et de son étude
2.3.1. Contradictions internes: les affaires et les banques d'affaires 2.3.2. Organiser le contrôle, gérer l'argent sale
Chapitre 3 : L’éthique comme pratique située : proposition théorique...138 3.1. Conditions pour étudier l’éthique en situation
3.1.1. L’échec de l’éthique des affaires à dépasser
3.1.2. Etudier l’éthique en situation : l’herméneutique, la pratique, la situation 3.2. Un retour à la pratique via l’être : renouer avec la dimension ontologique de l’éthique
3.2.1. L’éthique n’est pas que une question de Bien et de Mal 3.2.2. Implications d’une éthique ontologique
3.2.3. Vers une conception située de l’éthique ontologique 3.2.4. Synthèse : le travail de l’éthique comme pratique située
Chapitre 4 : Méthodologie...180 4.1. Posture en poupée russe : questions éthiques d’une chercheuse en éthique et autres problématiques épistémologiques
démarche
4.1.3. Mise en abîme : questions d'éthique d'une chercheuse en éthique 4.2. La démarche ethnographique et sa justification
4.2.1. Une démarche interprétative par immersion 4.2.2. Etudier l'éthique en situation
4.3. Mise en place du « travail » ethnographique et d'analyse 4.3.1. Conditions de l'étude
4.3.2. Le « travail » ethnographique : analyse d'un cheminement 4.3.3. Traitement du matériau recueilli
Conclusion de la première partie : En deçà du Bien et du Mal : une éthique à 'bricoler' in situ, questions de recherche et cheminement...253
Deuxième partie : Dynamique transversale d’une éthique comme pratique située à plusieurs niveaux...258
Chapitre 5 : Analyse de premier niveau : Etude d'une cellule de conformité dédiée à la lutte-‐anti-‐blanchiment dans une Banque d’Investissement Française...259 5.1. Présentation synthétique du cas BUF-‐BI
5.1.1. BUF
5.1.2. BUF-‐BI
5.1.3. L'organisation de la fonction KYC-‐AML au sein de BUF
5.2. Phase 1-‐A : Observations sur le mode non-‐participant 5.2.1. L'équipe
5.2.2. Déroulé de l'observation 5.2.3. Contexte
5.2.4. Fin de la période d'observation non-‐participante (phase 1-‐A) 5.3. Phase 2-‐A : Observations sur le mode participant
5.3.1. Déroulé du stage 5.3.2. Evolution de l'équipe
5.3.3. Contexte
5.3.4. Fin de la période d'observation participante (phase 2-‐A) 5.4. Synthèse et rappel du cheminement de l'analyse à suivre
Chapitre 6 : « Servir deux maitres » : Dimension organisationnelle et managériale de l’éthique comme pratique située...308 6.1. L'organisation du travail de la conformité au quotidien
6.1.1. Différentes perceptions sur le travail de la conformité
6.1.2. Ce qu'ils font concrètement : Bricoler leur chemin dans la contradiction
comme organizing
6.2. Discussion : Servir deux maîtres en pratique
6.2.1. L'organisation comme système paradoxant 6.2.2. Du bricolage à la médiation
7.1. Le vécu de la conformité au quotidien
7.1.1. Le travail de la conformité : la question de la mise en pratique effective des
règlementations
7.1.2. Incarner la conformité
7.2. Discussion : agir entre confort et conformité
7.2.1. La zone de confort : une proposition conceptuelle 7.2.2. Du découplage au recouplage par le confort et le niveau individuel 7.2.3. Perspectives
Chapitre 8 : Le Même et l'Autre comme objets de gestion : l’encastrement institutionnel de l’éthique comme pratique située...385 8.1. L'encastrement institutionnel de la conformité
8.1.1. La situation institutionnelle de la conformité bancaire 8.1.2. La construction de la souillure : un travail doublement situé
8.2. Discussion : la construction située du Même et de l'Autre comme objets de gestion 8.2.1. La situation d'éthique est aussi institutionnelle
8.2.2. Conclusions intégratives et perspectives
Conclusion : Par delà le Bien et le Mal, le Travail...412
Annexes...429 Bibliographie...467
Table détaillée des matières ...501
Figure 1: Word Cloud ... 3
Figure 2: Hitt et al. 2007: Multilevel nesting arrangements...16
Figure 3: Arrangement multiniveaux de l’éthique située et ses dynamiques processuelles (adaptation et développement à partir de Hitt et al. 2007) ... 17
Figure 4: La Lutte Anti-‐Blanchiment ... 24
Figure 5 : Schéma de la structure de la thèse. ... 31
Figure 6: La division organisationnelle de l'éthique ... 48
Figure 7: Le Principe de Précaution ... 67
Figure 8: Un peu d'humour...87
Figure 9: Présentation de l'Association des Etudes Sociales de la Finance...91
Figure 10: Incipit de Favarel-‐Garrigues et al. (2009): Les Sentinelles de l'Argent Sale .. 112
Figure 11: Van Reymerswaele. Le Changeur et sa femme. 1539. Musée du Prado, Madrid ... 115
Figure 12: Q. Metsys. Le Prêteur et sa femme, 1514. Musée du Louvre. Paris ... 115
Figure 13 : M.C. Escher Relativity, 1953. ... 138
Figure 14: Tableau sur les apports des perspectives critiques à l'éthique des affaires 144 Figure 15: Le Midrash, ou faire parler le texte 'vivant' ... 147
Figure 16: Les dimensions d'une anthropologie des organisations, d'après Chanlat, 2011a ... 166
Figure 17: Etapes de la thèse et éléments de contexte ... 227
Figure 18: Détail des quatre temps de l'étude ethnographique ... 228
Figure 19: Communications et papiers scientifiques sur notre recherche doctorale .... 245
Figure 20: La situation d'éthique ... 257
Figure 21: Extraits du Code de Conduite de BUF (BUF-‐G3) ... 261
Figure 22 : Organigramme synthétique ... 262
Figure 24: Classification de nos données selon les préceptes méthodologiques de
MacKenzie (2008) ... 306
Figure 25: Document en vue d'obtenir un certificat de conformité AML ... 309
Figure 26: BUF-‐BI-‐FO3 slide 'huiler la machine' ... 311
Figure 27: BUF-‐BI-‐FO3 slide 'Happy Sales' ... 311
Figure 28: BUF-‐BI-‐FO3 The World of on-‐boarding before KYC-‐AML...315
Figure 29: KYC Mémo ... 318
Figure 30 : Organigramme montrant la position de l'équipe ... 322
Figure 31: Relations de confiance dans notre étude de cas ... 336
Figure 32: Reconstitution de l'évolution de l'organisation des dossiers depuis la création de l'équipe KYC-‐AML ... 352
Figure 33: Nouveau workflow reconstitué des dossiers KYC-‐AML ... 354
Figure 34: Matrice sur les interactions entre confort et conformité sur les dossiers ... 361
Figure 35: La zone de confort ... 372
Figure 36: Détails du workflow selon la nouvelle organisation ... 392
Figure 37: Hard versus Soft law: some defining differences (Djelic, 2011:52) ... 393
Figure 38: Le propre et le sale dans les sphères du Même et de l'Autre ... 404
Figure 39: Tableau récapitulatif des apports multiniveaux de notre recherche ... 420
I
NTRODUCTION
:
L’É
THIQUE AUX TEMPS DES CRISES
Figure 1: Word Cloud1
I
.
A
UX ORIGINES DE CETTE RECHERCHE…
…était une confusion, un sentiment d’étrangeté, d’être perdus. Nous nous sentions véritablement « lost in translation »2, au cœur d’un « labyrinthe moral »3 et de
vocabulaire. Notre premier rapport au sujet et à la recherche doctorale fut taxinomique : l’éthique des affaires et dans les affaires était un sujet dont on parlait. Et on en parlait beaucoup, chercheurs comme praticiens, politiciens comme citoyens. La prolifération de mots nouveaux au cours des trois dernières décennies – tels que
responsabilité sociale de l’entreprise (RSE4), conformité5, développement durable,
1 Image tirée de www.123rf.com
2 Cf. Film du même nom de Sofia Coppola (2003), que nous prenons comme métaphore.
3 Nous faisons référence au titre Moral Mazes de R. Jackall (2010), référence théorique et méthodologique majeure pour ce travail.
4 L’ensemble des abréviations et acronymes sont répertoriés dans l’annexe 1.
investissements socialement responsables (ISR)… – s’imposait comme un constat initial et
problématique. D’une part, en tant qu’expression d’une richesse qui semblait recouvrir une réalité complexe, mais d’autre part tout autant comme l’expression d’un flou qui semblait ne pas avoir d’existence concrète. En effet, plus des mots différents s’accumulaient dans le jargon médiatique et organisationnel offrant un véritable ‘spectacle de l’éthique’ (cf. Debord, 1992), plus on voyait émerger des termes qui les regroupaient dans un ensemble péjoratif : « c’est du blabla/du bullshit/du vent/une mode… ». L’attention portée à la question de l’éthique dans le monde des affaires est en effet égalée par un scepticisme tout autant répandu (Willmott, 1998). Une crise de sens donc, autour du concept d’éthique, en particulier des et dans les affaires.
Par ailleurs, la matérialisation et la place de ces mots (et surtout de ce qu’ils désignent) dans les organisations apparaissait comme quelque chose de difficile à identifier précisément. La vox populi soutient d’une part que le monde des affaires est a-‐ moral, étranger à ce type de considérations, mais d’autre part semble imposer, de manière implicite ou règlementaire, la mise en place de dispositifs variés tels que des départements dédiés à la promotion d’engagements en matière sociale et environnementale via des chartes éthiques et des codes de bonne conduite, ainsi que de garantir le respect d’un certain cadre normatif et légal. Or, le lien entre les deux – engagements sociaux dont on assume le caractère volontaire, et respect des normes – est loin d’être évident, et plus encore leur implémentation effective, en particulier lorsqu’il s’agit de la pratique concrète, quotidienne et propre à chaque organisation en fonction de son secteur d’activité, de son histoire... On parle souvent alors de découplage entre les discours et la pratique (Bromley & Powel, 2012) ou tout simplement d’hypocrisie organisationnelle (cf. Brunsson, 2002). Donc, nous parlons aussi d’une crise de localisation de l’éthique au sein des organisations et de sa traduction dans des pratiques concrètes.
La crise financière de 2007 : élément déclencheur
Et puis, il y a eu la crise financière de 2007-‐2011, et le constat péjoratif de non-‐ sens de l’éthique semblait confirmé : « il n’y a pas d’éthique dans la finance et il faut plus de régulation », était un des doubles messages qui envahissaient le terrain discursif médiatique et organisationnel. Les médias et en particulier l’industrie du divertissement audiovisuel (cinéma, séries télévision), offraient déjà en tant que tels des pistes intéressantes (cf. Godechot, 2011c): rien que durant les années qu’a duré ce
travail, nous recensons au moins 7 films grand public sous la forme de fiction ou documentaire qui abordent avec fascination la question du monde financier en général ou bancaire en particulier sous l’angle moral (Capitalism, a love story de Michael Moore sorti en 2009, Wall Street 2 : money never sleeps de Oliver Stone sorti en 2010, Krach, de Fabrice Genestal sorti en 2010, Cleveland contre Wall Street de J.S. Bron sorti en 2010 ;
Job de Charles Fergusson sorti en 2010, et Margin Call de J.C. Chandor sorti en 2011, The Wolf of Wall Street, de Martin Scorsese à sortir fin 2013), ainsi que de nombreuses
expressions humoristiques dans les journaux, ou à la télévision (par exemple John Bird et John Fortune en Angleterre depuis 2007, avec des « entretiens de banquiers » dans leurs sketchs Silly Money6). Ceci fait écho à une récente annotation que font Treviño et
Nelson (2007:4) sur le fait que près de 30% des criminels dans les séries étasuniennes sont des dirigeants d’entreprise, ce qui révèle en effet la fascination de nos sociétés contemporaines pour les questions éthiques dans les affaires en général et dans le monde financier en particulier.
Au delà de la crise, des interrogations plus profondes
Pendant cette crise, préciser le lien entre éthique et normes et entre éthique et risques, dans la pratique quotidienne des métiers bancaires apparaissait comme une préoccupation urgente, et des questions plus spécifiques ont commencé à peupler l’horizon médiatique, social et intellectuel, dominés par une double approche utilitariste et téléologique : A quoi sert l’éthique? À quoi sert une banque? Qu’est-‐ce que l’éthique ? Qu’est ce qu’une banque ?
Dès que la nature de la relation réciproquement vitale entre les affaires et la société devient problématique, nous nous retrouvons dans ce qu’on qualifie de situation de crise. Depuis 2007, la pandémie économique mondiale initiée par la crise des
subprimes aux Etats-‐Unis a provoqué une série d’interrogations concernant la légitimité
sociale de certaines institutions et pratiques, révélant la défiance généralisée envers le secteur bancaire et financier. Partout dans le monde, les gouvernements se sont précipités pour tenter de ‘sauver’ certaines organisations tout en sacrifiant d’autres, et de remodeler le paysage de l’industrie financière, son business-‐as-‐usual et son cadre réglementaire. Cette crise pouvait donc être qualifiée comme telle à plus d’un titre, car elle regroupait de nombreux éléments : financière et économique bien entendu, mais aussi organisationnelle, institutionnelle, sociale, de confiance et de valeurs. On assistait
à une mise en question plus générale de la fonction, du rôle (Mueller & Whittle, 2012), des pratiques, voire de l’existence même des banques sous certaines formes. En effet, lorsqu’on pose les questions « qu’est-‐ce qu’une banque est supposée être et faire ? A quoi est-‐elle sensée servir ? » nous ne sommes plus dans la phase de gestion de crise à proprement parler. Celles-‐ci sont des questions institutionnelles et téléologiques qui mettent au défi la nature et la légitimité même des banques et du système financier. Dans les médias, on parlait tout autant du manque d’éthique, du manque de régulation, et plus largement de gestion des risques dans leur ensemble, comme des éléments à l’origine de la crise financière. Or, rappelons à la suite d’un de nos interlocuteurs sur le terrain, que le secteur bancaire est déjà – et traditionnellement – très fortement régulé sur certains aspects, bien que nettement moins sur d’autres. En 2010, les accords de Bâle III sont d’ailleurs venus appuyer l’urgence de certaines règlementations suite à cette crise. Les risques, en particulier ceux à portée systémique, mal réglementés et/ou gérés aboutissent lors d’une crise à des effets néfastes non seulement sur le plan économique, mais aussi sociétal ruinant la confiance dans le système (Gephart et al. 2009 ; Pluchart, 2011), constituant de ce fait un ‘mal’ que la gestion des risques, les cadres règlementaires, et une certaine responsabilité sociale sont sensés empêcher, cadrer, voire sanctionner en cas de contournement. Mais lorsqu’on dit qu’il n’y a pas d’éthique dans la finance, est-‐ce uniquement de cela qu’on parle ? En quoi est ce que l’absence/défaillance de régulation et de gestion des risques constitue un problème d’éthique, dans le champ financier ou dans les affaires en général ? Les dispositifs en effet existent et se multiplient, mais leur mise ou non en pratique, et la manière dont ils sont mis en pratique du point de vue des comportements et des pratiques organisationnels restent à éclaircir. Ce fut le point de départ pour la construction d’une problématique gestionnaire – et non pas normative – sur l’éthique.
L’automne 2007 marque un tournant important dans ce travail, et ceci à un double titre : la crise des subprimes et les conséquences sur l’économie et la finance qu’on connait commencèrent à être révélées au grand public, d’une part, alors que nous nous apprêtions à commencer les recherches préliminaires de Master 2 qui mèneraient à ce travail doctoral sur le domaine vaste et problématique de l’éthique des affaires d’autre part. L’éthique était en crise, le monde de la finance aussi. Le point focal et l’arrière fond empirique pour ce travail se sont alors imposés comme une opportunité contextuelle à saisir et à partir de laquelle construire notre problématique de recherche.
II
.
L
A DIMENSION PRATIQUE ET SITUEE DE L'
ETHIQUE:
CONSTRUCTION D'
UNE PROBLEMATIQUE A PARTIR D’
UN TERRAIN DANS LA CONFORMITE BANCAIREA
.
"Q
U'
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IL DE L'
ETHIQUE DANS LES BANQUES?":
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ENVERSEMENT D'
UNE INTERROGATION ET DEFINITION DE NOTRE SUJET COMME L'
ETUDE DU TRAVAIL DE L'
ETHIQUE COMME PRATIQUE SITUEE
Délimitations des frontières et difficultés de ce travail
Il est très facile, avec un sujet comme l’éthique, de se perdre devant la masse des discours disponibles. Commençons par clarifier ce qui ne rentre pas les limites de ce travail, afin de pouvoir mieux circonscrire les contours de notre objet de recherche. Nous savons, de part la discussion avec d’autres chercheurs dans ces domaines ou par la lecture de travaux analogues, que nous ne sommes pas seuls à avoir eu ce genre de remarques: « tu travailles sur l’éthique dans les banques ? ah bon, ça existe ça ? » (Werhane & Freeman, 1999). Faites non sans une pointe d’ironie, ces remarques, au ton presque méprisant souligné par le pronom indéterminé « ça », nous les avons entendus de manière récurrente. Comme si notre objectif était perdu d’avance et que nous perdions un peu notre temps. En effet, l’éthique des affaires a longtemps été considéré comme étant plus ou moins incompatible avec (Friedman, 1970) ou du moins loin des objectifs de profit. Les chercheurs et praticiens ont par exemple essayé de palier à cet écart en essayant d’intégrer des standards éthiques et l’accountability au cœur de la stratégie (e.g. Singer 2010, Husted & Allen 2011), à travers l’institutionnalisation des pratiques, des systèmes de contrôle, des codes ou des outils (e.g. Weaver & Treviño, 1999 ; Canary & Jennings, 2008), ou encore en prenant en compte les demandes et les attentes des différentes parties prenantes (cf. Bonnafous-‐Boucher & Pesqueux 2005 ; Freeman, Harrison & Wicks, 2010 ), pour ne citer que quelques tendances majeures.
L’expression en soi « éthique des affaires » et a fortiori « éthique des banques » fait sourire, laisse incrédule, rend méfiant et cynique. Au mieux, on considère que ce genre de travaux sont nécessaires pour « faire bien » ou que c’est à la mode, mais dont on croit moyennement à l’impact. Au pire, c’est considéré tout simplement comme une perte de temps. Nous nous efforcerons de nous éloigner de ces deux possibilités. Tout d’abord, ce travail n’est pas une investigation qui s’appuierait sur un ou plusieurs des présupposés suivants :
- l’éthique des banques existe, et on va trouver et expliquer en quoi cela consiste (approche positiviste au sens strict du terme et descriptive)
- l’éthique des banques n’existe pas, et on va donc identifier les caractéristiques nécessaires pour la créer (approche normative et prescriptive).
Or, en disant cela, nous signalons d’emblée une des principales difficultés de ce travail : de le situer hors de ces deux approches aujourd’hui dominantes et auxquelles il semblerait difficile d’échapper. Comment construire une approche autre ? C’est à dire un cadre qui permette d’explorer l’éthique « in organization theory that moves beyond
being either prescriptive or morally relative […] as well as providing a practical application of ethics in organizations that goes beyond moralistic and legalistic approaches » (Clegg et al. 2007 :107) ? Ensuite, soulignons que ces deux présupposés ne
questionnent pas la notion même d’éthique, et assument que le mot est sans équivoque. Ainsi, notre premier objectif dans ce travail sera de chercher à ne pas prendre le mot éthique pour une évidence, dont le contenu positif serait non seulement assumé connu mais aussi partagé de tous. Pour y arriver, un des défis les plus difficiles à relever fut le choix des éléments de littérature à retenir pour élaborer une proposition de lecture de notre question à la vue du cas étudié. Une seconde difficulté est d’ordre empirique : comment étudier l’éthique concrètement, pour éviter de rester dans l’extériorité descriptive et abstraite (par exemple en limitant notre étude à une analyse des rapports RSE sur plusieurs années) ou dans le jugement de valeur normatif ? Et plus précisément comment mener ce projet, au sein d’un secteur hautement sensible tel que la banque en pleine crise ? Pour y arriver, la question de l’accès à un terrain fut déterminante, et notre réstitution cherchera à mettre en évidence son caractère profondément émergent, car ce travail coïncide largement avec la crise financière initiée en 20077. Enfin, la
troisième difficulté majeure était de produire une recherche cohérente sur un phénomène complexe, c’est-‐à-‐dire qui arrive à intégrer et équilibrer la simplification de la montée en abstraction théorique et la richesse du détail empirique, qui plus est en adoptant divers points focaux pour aborder l’ensemble des niveaux concernés.
On tachera donc dans les lignes qui suivent de préciser chacun des termes de notre sujet de recherche, et qui résument notre démarche au delà des limites et des difficultés que nous venons d’évoquer : « l’éthique comme pratique située – étude multiniveaux sur le travail de l’éthique dans la conformité bancaire ».
7 Voir sur ce point la figure 13: Etapes de la these et elements de contexte, ainsi que le début de la conclusion finale de la these “De la bourse de Paris à la place Syntagma et à Wall Street”.
Définition d’un rapport entre éthique et banques sous l’angle de la
pratique
Nous entendons renverser l’approche spontanée de nos interlocuteurs qui consisterait à chercher où se cache l’éthique – ou au contraire la déviance et le comportement immoral – dans le monde bancaire, à supposer qu’elle y existe, à la manière d’un enquêteur de police. En effet, nous refusons de parler d’éthique des banques tout simplement car parler en ces termes implique que les banques ou les organisations en général peuvent avoir l’attribut de l’éthique dans une conception personnifiée de l’entreprise que nous récusons (Bevan & Corvellec, 2007). L’objet de cette thèse est donc l’éthique, et plus précisément l’éthique dans les banques, et non pas
des banques, c'est-‐à-‐dire sur l’éthique comme phénomène organisationnel, tel que peut
l’être l’organisation du travail. Les banques rendaient cette approche d’autant plus intéressante, pour voir ce qu’il en était d’une éthique dans ce milieu apparemment dépourvu. Ainsi, « qu’en est-‐il de l’éthique dans les banques ? » fut la première façon de formuler notre interrogation, et qui faisait écho aux préoccupations médiatiques et académiques suite à la crise financière8, et sans rentrer ni dans une approche positiviste
et descriptive d’une part, ni dans une normative et prescriptive d’autre part.
A partir de là, et parmi les approches possibles d’un tel contexte d’étude – éthique et banques et pleine crise financière – le choix s’est rapidement orienté à prendre comme point focal la dimension pratique de l’éthique dans les banques, c'est-‐à-‐ dire d’aller au-‐delà des discours moralisateurs et accusateurs véhiculés par les médias, pour explorer à quelles conditions et par quels moyens, une ‘éthique’ pouvait être à l’œuvre dans les milieux financiers, comment les acteurs construisaient ‘leur éthique’ et leurs moral-‐rules-‐in use (Jackall, 2010) symboliquement, discursivement et en pratique au quotidien (Hirèche, 2008). Il s’agit donc bien de concevoir l’éthique comme on-‐going
phenomenon, et non comme contenu moral spécifique traduit ou non dans des supports
tels que des chartes, codes éthiques ou rapports de RSE.
Ces préoccupations reflètent en quelque sorte le paradoxe de l’éthique des affaires au sens large. En effet, d’une part on peut dire que depuis quelques décennies on est « en plein délire ‘éthique’ » pour reprendre une expression de Badiou (1993:9) car on s’accorde pour dire que l’éthique des affaires est à la mode, un « fait social en
8 “Whither Banking Ethics?” fut également le titre d’une communication sur nos avancements à la conférence EBEN (European Business Ethics Network) en septembre 2010, ainsi que dans le séminaire doctoral qui l’a précédé pendant lequel nous avons bénéficié des commentaires avisés du Pr. Tobias Goessling (Tilburg University), et des doctorants participants. A l’époque nous venions d’achever la première phase du terrain.
soi » (Chanlat, 2009) au point qu’on pourrait presque considérer que nous sommes dans une ‘société de l’éthique’. Mais d’autre part, jamais elle n’a été plus en crise, et on peut effectivement se demander à la suite de Brasseur et de ses collègues (2012) qu’est-‐ ce qui précisément est à la mode : est-‐ce l’immoralité ou sa condamnation ? Et s’il s’agit d’une mode, devons nous donc nous attendre à ce que son caractère éphémère la rende tôt ou tard démodée ? Mais plus profondément, que signifie le management sans l’éthique, en tant que les deux peuvent se définir (au moins minimalement) comme un art d’orienter l’action, en articulant l’individu et le collectif ? Et réciproquement, peut-‐on concevoir une éthique indépendamment de sa dimension pratique, comme une idée morale purement abstraite ou idéale?
Ce travail interroge donc le lien – épistémique et empirique – entre l’éthique et sa mise en pratique effective, à travers le cas de la conformité bancaire. On se propose d’explorer le champ complexe et souvent controversé de l’éthique des affaires en tant qu’il est confronté par les défis d’une mise en pratique tout autant complexe et controversée, et qu’on qualifie souvent de découplage ou d’écart. A la suite de l’image utilisée par Jackall (2010), nous abordons la question de l’éthique dans les banques comme un puzzle à reconstruire, dans lequel nous allons naviguer le temps de cette thèse. Nous le ferons avec comme arrière plan la crise financière 2007-‐2011, et l’envergure systémique à laquelle a été confronté le secteur financier, qui a remis en question le rapport entre éthique et pratique du milieu des affaires en général.
Mais quel est donc ce rapport ? De prime abord, on peut légitimement poser la question s’il s’agit là d’une contradiction dans les termes ou au contraire d’une redondance. En voyant ces deux notions ensemble – éthique et pratique des affaires – le premier réflexe est souvent celui de supposer que l’une et l’autre s’opposent, s’excluent mutuellement, ou du moins relèvent de domaines parallèles qui ne se confondent pas. S’agit-‐il d’incompatibilité ? Si oui, dans quelle mesure et par rapport à quels aspects ? Y-‐ a-‐t-‐il d’autres faces à cette association qui permettraient d’éclairer son caractère problématique ? Ce premier réflexe s’invite assez naturellement chez quiconque aura vécu cette crise, ou est familier avec la longue liste de scandales qui l’ont précédé durant ce début de 21e siècle (Enron en 2001, Parmalat en 2003, Clearstream en 2001 et 2004,
Siemens en 2008…). On tend donc à se focaliser sur les dissonances entre les deux termes, par ailleurs fortement sous-‐tendus par des pans importants, non seulement de l'expression médiatique, mais aussi de la littérature académique où nous trouvons couramment que l’éthique des affaires est souvent considérée comme un oxymore (Lee, 2008), et que l’éthique des affaires est littéralement « née du scandale » (Freeman, in Painter-‐Morland & Ten Bos, 2011 :xiii). Comme nous l’avions évoqué plus haut, lorsque