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L'anachronisme architectural dans la ville de Québec

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Academic year: 2021

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L'ANACHRONISME ARCHITECTURAL DE LA

VILLE DE QUÉBEC

Mémoire présenté

à la Faculté des études supérieures et postdoctorales de l'Université Laval dans le cadre du programme de maîtrise en histoire de l'art

pour l'obtention du grade de maître es arts (M.A)

DEPARTEMENT D'HISTOIRE FACULTÉ DES LETTRES

UNIVERSITÉ LAVAL QUÉBEC

2012

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Je tiens d'abord à remercier mon directeur de maîtrise, Marc Grignon. Grâce à ses conseils judicieux, ses nombreux encouragements, sa franchise et sa constante disponibilité, il a rendu mon expérience de maîtrise fort agréable. Ensuite, mes remerciements vont à ma famille qui m'a remarquablement épaulée dans la réalisation de mes divers projets académiques. Le support qu'elle m'a témoigné s'est avéré un atout inestimable.

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Pour une ville historique comme Québec, le passé est un moteur promotionnel important. Cependant, de 1870 à 1960, les interventions architecturales dans cette ville mettent en scène un passé fantaisiste, ce qui encourage l'établissement d'une chronologie imaginaire, théâtralisant ainsi l'histoire de la ville de Québec. Voilà comment l'architecture prend des dispositions anachroniques; elle vieillit sans cesse l'image de Québec. L on peut toutefois se demander si c'est véritablement l'architecture qui vieillit l'image de la ville, ou, inversement, cette dernière qui encourage l'émergence d'une pratique architecturale anachronique. En confrontant l'image textuelle et visuelle de Québec à la pratique architecturale dans cette même ville, nous mettrons en évidence qu 'elle fait l'objet de mythes qui influencent son devenir. Au XIXe siècle, la fiction historique qui prend forme dans l'architecture de Québec lui donne l allure d'une ville médiévale, alors qu 'au XXe siècle, elle cherche plutôt à lui donner l'apparence d'une ville de France.

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Sommaire

Liste des illustrations VI

Introduction 1

PARTIE 1 : L'anachronisme dans la création architecturale au XIXe

siècle 10

1. Québec, ville médiévale 10

1.1 Les Britanniques à l'origine du désordre temporel 12 1.1.1 L'architecture militaire comme métaphore de la puissance impériale 12

1.1.2 L'architecture ecclésiale confondue avec la religion 19

1.2 L'appropriation de la vision de l'Autre 25 1.2.1 La trajectoire d'une association anachronique 25

1.2.2 Le monument historique, symbole du temps 29

1.2.3 La contre image de Québec 33 2. L'ancrage visuel d'un mythe 39

2.1 Le projet d'embellissement de Québec que propose Dufferin 42 2.1.1 Le passé médiéval de Québec, une tradition inventée 42

2.1.2 Accroître le charme pittoresque de Québec 47 2.2 L'anachronisme, au-delà des interventions sur le patrimoine bâti 53

2.2.1 Le vocabulaire formel médiéval comme décor d'ambiance 55

2.2.2 Détournement du réfèrent identitaire 60 2.2.3 Le château, un lieu de mémoire 65 PARTIE 2 : L'ANACHRONISME DANS LA RESTAURATION

ARCHITECTURALE AU XXe SIÈCLE 69

3. Québec, ville française 69 3.1 L'actualisation du mythe 71

3.1.1 Une civilisation française 71 3.1.2 La tradition, un frein à la modernité 75

3.1.3 La conservation 82 3.2. Le rôle de l'art au sein du mythe 84

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3.2.3 Québec, ternie par le « romantisme » et la modernité 90

3.2.4 La restauration 94 4. Un portrait complaisant 100

4.1 La conservation et la restauration comme fiction historique 102 4.1.1 La conservation, une image soigneusement sélectionnée 102

4.1.2 La restauration stylistique, une fiction historique 105

4.1.3 De fiction historique en fiction historique 108 4.2. L'ancrage du mythe de la ville française dans le paysage urbain...112

4.2.1 La création de l'hôtel Chevalier 112 4.2.2 Une « re-présentation » voilée 117 4.2.3 Une typologie trompeuse 119 4.2.4 Restaurer à tous les temps et tous les modes 122

Conclusion 125

Bibliographie 130

Sources : 130 Études: 132

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Liste des illustrations

Fig. 1.1 : J.E. Livcrnois Ltée, Quartier Vieux-Québec - Rue Saint-Louis - Porte Saint-Louis - , Québec, vers 1870, 16cm x22cm. (Photo tirée de: Bibliothèque et archives nationales, Québec, Cote : P560.S2.D2.P300306)

Fig. 1.2 : Baltasar Friedrich Leizelt, Vue de la basse ville de Québec vers le fleuve St. Laurent, fl. 1775. (Photo tiret de: Clarence Epstein. « The Quebec that Never Was », Beaver. déc96/jan97, vol.76, n" 6, p. 29.)

Fig. 1.3 : London Gazette, 18 octobre 1759, Bibliothèque et Archives Canada. (Photo tirée de: Jacques Mathieu(dir.), Les plaines d'Abraham, Québec. Presses de l'Université Laval. 1993, p. 85.)

Fig. 1.4 : John Richard Coke Smyth. Québec depuis le Château, vers 1842, estampe, 36.9 x 53 cm, Montréal, Musée McCord. ( Photo tirée de: Musée McCord: notre inonde, nos histoires, [en ligne] www.musee-mccord.qc.ca. (page consultée le 8 novembre 2011 )).

Fig. 1.5 : Anthony Walker d'après Richard Short, A View ofthe Inside ofthe Recollect Friars Church /Vue de l'intérieur de l'Eglise des Récollets, 1761, Bibliothèque et Archives Canada, C-000351. (Photo tirée de: Alain Parent, 2003, Entre empire et nation: les représentations de la ville de Québec et de ses environs, 1760-1833, [en ligne], <http://archimede.bibl.ulaval.ca/archimede/fichiers/20940/apb.html>. (consulté le 19 octobre 2011)).

Fig. 1.6 : Thomas Johnson, Quebec, The Capital of New-France, a Bishoprick, and the Seat ofthe Soverain Court, 1759. (Photo tirée de: John Reps, The making of urban America ; a history of city planning in the United States, Princeton (New Jersey), Princeton University Press, 1965, p. 63.)

Fig. 1.7 : Henry Richard S. Bunnett, Les casernes Dauphin, Québec, 1886. huile sur toile, 37.7 x 46 cm, Montréal, Musée McCord. ( Photo tirée de: Musée McCord: notre monde, nos histoires, [en ligne], <www.musee-mccord.qc.ca>. (consulté le 8 septembre 2010)).

Fig. 1.8 : Institut Canadien (anciennement l'église Wesleyenne). Crédit photographique: Marc Grignon.

Fig. 2.1 : « Quebec Improvements », The Quebec Morning Chronicle, 5 décembre 1875. (Photo tirée de: Bibliothèque et Archives Canada, Chateau St. Louis, Improvements, cote H2/350/Quebec/[1875] ).

Fig. 2.2 : Wiliam Lynn, General View of the Citadel with new Chateau St.Louis, 1875. (Photo tirée de: Bibliothèques et Archives Canada, cote RI 2548-0-8-E.)

Fig. 2.3 : The Quebec Improvements proposed Kent gale No.2, 1878. (Photo tirée de: Bibliothèque et Archives Canada, cote H3/350/Quebec/1878 (NMC-2734)).

Fig. 2.4 : Maison de l'architecte Elzéar Charest. Crédit photographique: Aude Gendreau-Turmel.

Fig. 2.5 : L'aménagement de la terrasse Grey, 1914. (Photo tirée de: Jacques Mathieu(dir.), Les plaines d'Abraham, Québec, Presses de l'Université Laval, 1993, p. 229).

Fig. 2.6 : Auteur non identifié, Notre-Dame des Victoires, Québec - Maître-Autel, s.d. (Photo tirée de: Bibliothèque et Archives nationale du Québec (BAnQ), centre d'archives de Québec, fonds Magella Bureau, cote P547,S1,SS1.SSS1,D1,P1599.)

Fig. 2.7 : [ Château du carnaval d'hiver ], s.d. (Photo tirée de: BAnQ, centre d'archives de Québec, fonds J.E. Livernois Ltée, cote P560 S2 D2 P076795.)

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Fig.2.8 : Eugène-Etienne Taché, Schetch Plans Fortress Hotel Quebec. Fortress Hotel, encre sur papier. 1890. (BAnQ. centre d'archives de Québec, fonds Eugène-Etienne Taché, collection de cartes et de plans cote: P286.D6.P3).

Fig. 2.9 : Eugène-Etienne Taché. Schetch Plans Fortress Hotel Quebec. Fortress Hotel, encre sur papier, 1890. (BAnQ, centre d'archives de Québec, fonds Eugène-Etienne Taché, collection de cartes et de plans cote: P286.D6.P7).

Fig. 2.10 : Le Vieux Château St-Louis, démoli et remplacé par le majestueux Château Frontenac, s.d. (Photo tirée de: BAnQ. centre d'archives du Québec, fonds Magella Bureau. Cote P547.S1.SS1.SSS1.D001.P2531).

Fig. 3.1 : Horatio Walker, 1927. (Photo tirée de: Nos racines: les histoires locales du Canada en lignes, copyright 2006, L île d'Orléans, [en ligne], <http:,/www.nosracines.ca/f/page.aspx?id=345525> (consulté le

3 août 2011)).

Fig. 3.2 : Gérard Morisset, Maison d'autrefois, encre sur papier. (Photo tirée de: L'Almanach de l'action catholique, 1931, p. 9.)

Fig. 3.3 : Gérard Morisset, Le fournil, encre sur papier. (Photo tirée de: L'Almanach de Taction catholique. 1931, p. 45.)

Fig. 3.4 : Gérard Morisset, Une épave: le vieux fournil, encre sur papier. (Photo tirée de: L'Almanach de l'action catholique, 1934, p. 47.)

Fig. 3.5 : Page couverture de: La société historique nationale, en collaboration avec la société historique industrielle, Une page d'histoire de Québec : magnifique essor industriel, Québec, La Société Historique Nationale, 1955. ( Photo tirée de: Nos racines: les histoires locales du Canada en lignes, copyright 2006, Une page d'histoire de Québec : magnifique essor industriel, [en ligne], <http://www.nosracines.ca/f/toc.aspx?

id=8577> (consulté le 3 août 2011 )).

Fig. 3.6 : Frontispice de: La société historique nationale, en collaboration avec la société historique industrielle, Une page d'histoire de Québec : magnifique essor industriel, Québec, La Société Historique Nationale, 1955. ( Photo tirée de: Nos racines: les histoires locales du Canada en lignes, copyright 2006, L'lie d'Orléans, [en ligne], <http://www.ourroots.ca/f/page.aspx?id=3613213> (consulté le 3 août 2011 )).

Fig. 3.7 : Vandry et Jobin, Québec en 1990, 1968. ( Photo tirée de: Lucie K. Morisset, Luc Noppen et Denis Saint-Jacques (dir.), Ville Imaginaire, Ville identitaire : échos de Québec, Québec, Nota Bene, 1999. p. 121.)

Fig. 4.1 : Edwin Whitefield, La Maison Jacquet, rue Saint-Louis, Québec, 1851, mine de plomb sur papier, 17.7 x 25.2 cm. Musée national des beaux-arts du Québec , Québec , Québec. (Photo tirée de: Gouvernement du Québec, 2009, « Maison François-Jacquet-Dit-Langevin », Répertoire du patrimoine culturel du Québec, [en ligne], <www.patrimoine-culturel.gouv.qc.ca>, (consulté le 10 août 2011)).

Fig. 4.2 : Maison François-Jacquet-Dit-Langevin, Ministère de la Culture, des Communications et de la Condition féminine, 1977. (Photo tirée de: Gouvernement du Québec, 2009, « Maison François-Jacquet-Dit-Langevin », Répertoire du patrimoine culturel du Québec, [en ligne], <www.patrimoine-culturel.gouv.qc.ca>, (consulté le 10 août 2011 )).

Fig. 4.3 : House where Montcalm Died - Maison Montcalm, Quebec - 24. (Photo tirée de: Gouvernement du Québec, 2009, « Maison François-Jacquet-Dit-Langevin », Répertoire du patrimoine culturel du Québec, [en ligne], <www.patrimoine-culturel.gouv.qc.ca>, (consulté le 10 août 2011)).

Fig. 4.4 : [Hôtel Louis XIV]. (Photo tirée de: Nos racines: les histoires locales du Canada en lignes, copyright 2006, Une page d'histoire de Québec : magnifique essor industriel, [en ligne], <http://www.ourroots.ca f page.aspx?id=3613213> (consulté le 3 août 2011 )).

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Fig. 4.5 : Maison Jean-Baptiste Chevalier, Ministère de la Culture, des Communications et de la Condition féminine, 1977. (Photo tirée de: Gouvernement du Québec, 2009, « Maison Jean-Baptiste-Chevalier », Répertoire du patrimoine culturel du Québec, [en ligne], <www.patrimoine-culturel.gouv.qc.ca>, (consulté le 10 août 2011)).

Fig. 4.6 : Patrick Altman, Maison Chevalier, vers 1975. (Photo tirée de: MNBAQ, archives institutionnelles, série : expositions.)

Fig. 4.7 : Patrick Altman, Maison Chevalier, vers 1975. (Photo tirée de: MNBAQ, archives institutionnelles, série : expositions.)

Fig. 4.8 : Patrick Altman, Maison Chevalier, vers 1975. (Photo tirée de: MNBAQ, archives institutionnelles, série : expositions.)

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En réponse aux détracteurs des Médiévales de Québec, ces fêtes événementielles qui se sont tenues dans les années 1990, Louis-Guy Lemieux ne croyait pas si bien dire lorsqu'il prétendait qu'il s'agissait d'un « projet à la hauteur de Québec, la ville la plus anachronique en Amérique »'. En effet, certains déploraient qu'invoquer le Moyen Âge au cœur d'une ville américaine constitue un grossier anachronisme étant donné que cette période historique précède la découverte même de l'Amérique. Plusieurs s'indignaient contre cette distorsion spatio-temporelle qui suscitait un engouement pour les « Hotdogs médiévaux » 2,

mais d'autres revendiquaient que « si Cartier et Champlain furent tout sauf des hommes du Moyen Âge, il reste que la ville de Québec avec son décor naturel, ses fortifications, son cachet européen et le tempérament latin de ses habitants est idéale pour faire revivre l'amour courtois, la chanson de geste et l'esprit chevaleresque »3. Alors maire adjoint de

Dinan, en France, Patrick Diveu admettait même que « Québec ... se prête encore mieux à des fêtes médiévales que certains emplacements de chez nous » 4. Sans se risquer à la

comparer aux villes européennes, il faut néanmoins avouer que le cadre bâti de la Vieille Ville offre une ambiance incomparable en Amérique pour quiconque souhaite entrer dans la peau d'un valeureux chevalier, d'un troubadour ou d'une gente demoiselle. Le charme antique dc la ville sert aujourd'hui les adeptes des fêtes de la Nouvelle-France qui se veulent un voyage dans le temps plus en harmonie avec l'histoire du lieu. L'est-il réellement? Les vestiges du Régime français étant plutôt rares dans la ville, la mise en scène de cette époque dans le cadre bâti dc Québec reste tout de même très fantaisiste.

1 Louis-Guy Lemieux, « Les médiévales de Québec », Le Soleil (Québec). 14 février 1992, p. B13. : Rémy Charest, « Hotdogs médiévaux », Le Devoir (Montréal), 16 août 1993, p. Al.

3 Louis-Guy Lemieux. « Les médiévales de Québec », Le Soleil (Québec), 14 février 1992, p. B13. 4 Patrick Diveu cité dans : Guy Dubé, « Québec aura ses premières fêtes médiévales en 1993 », Le Soleil (Québec), 23 mai 1992, p. B11.

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imaginaire. La croyance qui veut que cette ville soit la ville matrice d'Amérique en atteste. En mai 1999, le Soleil titrait « Quelle est la chose la plus inattendue qu'un excavateur risque de trouver dans le sous-sol d'une ville historique comme Québec, la plus ancienne, cn fait, de toute l'Amérique du Nord? »5, alors que Pierre Boucher introduit ainsi son texte

destiné au recueil Vues du Québec : « Québec, la plus ancienne ville d'Amérique, (...) »6.

Cet anachronisme peu banal est fort répandu parce qu'il existe un flou chronologique entourant les origines de Québec. La ville n'a qu'un seul passé, mais son histoire et sa mémoire sont plurielles.

Derrière ces croyances fictives sur la fondation de la ville, celle qui veut qu'elle possède des racines médiévales ou celle qui en fait le premier établissement urbain en Amérique, se cache une véritable chronologie imaginaire qui anime Québec, révélant la présence de mythes fondateurs. Selon Gérard Bouchard, le mythe fondateur consiste en une projection « dans le passé et qui, au lieu de s'exprimer dans la pure fiction, entend s'incarner dans des événements et des personnages historiques donnés comme véridiques »7. Ils sont donc

eux-mêmes des formes de fictions historiques, basés à la fois sur l'histoire et l'imaginaire8. Ces

mythes s'incarnent aussi bien dans des événements, comme les fêtes de la Nouvelle-France ou les Médiévales de Québec, que dans des personnages, récits, ou objets9. Ce mémoire

cherchera à mettre en évidence que l'anachronisme architectural résulte de la matérialisation du mythe dans l'architecture de Québec. Ainsi, l'architecture vieillit l'image

5 Alain Bouchard, « Un excavateur déterre une boîte remplie d'argent », Le Soleil (Québec), mercredi 26 mai 1999, p. Al.

6 Pierre Boucher, « Capitale-Nationale », dans : Aurélien Boivin, Chantale Gingras, Steve Laflamme (dir.). Vues du Québec : un guide culturel, Québec, Les publications Québec français, 2008, p. 259.

7 Gérard Bouchard, « Une crise de la conscience historique. Anciens et nouveaux mythes fondateurs dans l'imaginaire québécois », dans Stéphane Kelly (dir.), Les idées mènent le Québec : essais sur une sensibilité historique, Québec, Presses de l'Université Laval, 2003, p. 32.

* Gérard Bouchard, « L'imaginaire de la grande noirceur et de la révolution tranquille : fictions identitaires et jeux de mémoire au Québec », Recherches sociographiques, vol.46, n°3, 2005, p. 415.

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véritablement.

Le concept d'anachronisme architectural recouvre ces bâtiments qui interviennent sur notre perception temporelle de Québec, en bouleversant notre image mentale de sa chronologie. Toute intervention sur le patrimoine bâti qui ne respecte pas l'histoire du monument joue directement sur notre compréhension de son passé. Cette influence va bien au-delà du simple monument, et il nous faudra démontrer comment elle déteint sur notre compréhension de l'histoire de la ville entière. L'architecture re-présente le mythe, qui à son tour re-présente le passé de la ville. D'usage fréquent en histoire de l'art, le concept de la « re-présentation » cherche à évoquer l'ambiguïté qui entoure la fidélité de la reproduction d'une idée, d'une image, d'un concept. Comme l'explique Barry Sandywell : « To re-present, to make present once more; the repetitive act that brings something before the mind by means of an image, likeness or symbolic "representative" such as a description or theory. [...] But unlike replication, representation involves a structure of repetition that displays a non-mimetic functionality »10. Nous verrons comment l'anachronisme

architectural prend source dans cette re-présentation d'un passé plus mythique qu'historique.

Le terme « anachronisme » possède une connotation très négative, particulièrement dans les disciplines historiques, puisqu'il évoque un manque de rigueur scientifique. Pourtant l'emploi de l'expression « anachronisme architectural » ne se veut pas dépréciative, mais plutôt évocatrice d'une pratique architecturale qui perturbe les repères chronologiques de Québec. Nous chercherons à mettre en évidence que ces approches architecturales anachroniques résultent largement de l'influence qu'exercent les mythes urbains sur les architectes. À cet égard, le terme « anachronisme », qui sous-entcnd qu'il y a méprise, que quelqu'un a commis une erreur de datation, n'est sans doute pas tout à fait adéquat. Pour

10 Barry Sandywell, « Representation », Dictionary of Visual Discourse : A Dialectical Lexicon of Terms, Surrey, Angleterre, 2011, p. 515-516.

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de compréhension chronologique, Jacques Rancière introduit la notion d'anachronic :

« [...] il y a des modes de connexion que nous pouvons appeler positivement des anachronies : des événements, des notions, des significations qui prennent le temps à rebours, qui font circuler le sens d'une manière qui échappe à toute contemporanéité, à toute identité du temps avec « lui-même ». Une anachronie, c'est un mot, un événement, une séquence signifiante sortis de leur temps, doués du même coup de la capacité de définir des aiguillages temporels inédits, d'assurer le saut d'une ligne de temporalité à une autre » ' '.

Nous verrons qu'à la manière d'anachronies, les projets architecturaux à l'étude revêtent un sens spécifique, et l'entrave à l'histoire de Québec est le moyen employé pour exprimer une symbolique particulière. L'anachronie est un concept qui sied assez bien au phénomène étudié. Cependant, en attendant la généralisation de l'emploi du terme anachronie, nous lui préférons le terme d'anachronisme, car, étant plus courant, il se fait du même coup beaucoup plus évocateur d'un brouillage temporel. En définitive, il nous semble que l'expression « anachronisme architectural » révèle mieux que tout autre l'enjeu singulier de Québec, cette Vieille Ville qui progresse dans le temps en recréant sans cesse son passé.

Dans le processus de création de la ville, tout architecte est à la fois producteur et consommateur de sens. Bien entendu, il participe concrètement à la création de la ville, mais, pour ce faire, il s'alimente, consciemment ou non, de l'image de la ville. Cette dernière, comme le suggère Marc Grignon, relève d'une construction symbolique qui peut prendre forme dans « une conception que les habitants ont de leur propre ville, ou une image mentale que les voyageurs se font à la lecture de guides touristiques et d'études

11 Jacques Rancière, « Le concept de l'anachronisme et la vérité de l'historien », L'inactuel, vol. 6, n" 16 (automne 1996), p. 67-68.

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propose Gérard Bouchard, est intimement lié à la définition de soi, car il consiste en « l'ensemble des repères symboliques qu'une société élabore pour s'inscrire dans le temps et dans l'espace, parmi les autres sociétés » l 3. Une part de cet imaginaire utilise la ville comme repère symbolique, c'est ce que l'on appelle l'imaginaire urbain ou l'image de la ville. En introduction au recueil Ville imaginaire, ville identitaire : échos de Québec, Lucie K. Morisset démontre comment culture et ville s'alimentent mutuellement : la ville conditionne la culture et la culture imprègne la ville14. Ainsi, la ville conceptuelle des urbanistes et des architectes peut prendre souche dans les représentations de la ville imaginaire telle qu'exposée par les artistes et les écrivains. En explorant l'imaginaire urbain, il devient possible de déterminer si la chronologie imaginaire que suggère l'architecture de Québec résulte de l'influence qu'exercent les mythes fondateurs sur les intervenants dans la ville.

Afin de retracer l'origine de l'anachronisme architectural de la ville de Québec, il faut donc considérer la perception qu'ont les citoyens et les visiteurs de la ville de Québec, car elle peut nous renseigner sur l'intention des intervenants dans la ville. Cette démarche, qui consiste à interroger le contexte social immédiat pour mieux situer l'objet, s'inspire de celle qu'expose Valentin Nikolaevich Voloshinov dans « La structure de l'énoncé », chapitre de l'ouvrage inachevé La stylistique du discours artistique. Bien que le propos soit clairement orienté vers la littérature, il s'applique à l'ensemble des disciplines artistiques. L'auteur défend l'idée que l'expression prend source dans une structure sociale qui détermine son

12 Marc Grignon, « Comment s'est faite l'image d'une ville : Québec du XVIIe au XIXe siècle » dans : Lucie K. Morisset, Luc Noppen et Denis Saint-Jacques (dir.). Fille Imaginaire, ville identitaire : échos de Québec, Québec, Nota Bene, 1999, p. 99.

13 Gérard Bouchard, « L'imaginaire de la grande noirceur et de la révolution tranquille : fictions identitaires et jeux de mémoire au Québec », Recherches sociographiques, vol. XLVI, n" 3 (septembre-décembre 2005),

p. 412.

14 Lucie K. Morisset. « Entre la ville imaginaire et la ville identitaire; de la représentation à l'espace ». dans : Lucie K. Morisset, Luc Noppen et Denis Saint-Jacques (dir.), Ville imaginaire, ville identitaire : échos de Québec, Québec, Nota Bene, 1999. p. 6.

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originalité stylistique est de part en part entièrement déterminée par des moments purement sociaux : la situation et l'auditoire de l'énoncé » 15. L'auteur affirme que la structure du discours révèle une telle appartenance sociale que l'interprétation de l'énoncé en dehors de ce contexte sociohistorique devient complètement futile16. Afin de saisir pourquoi à Québec la création architecturale de la fin du XIXe siècle crée l'image anachronique d'une ville médiévale, et pourquoi au XXe siècle la restauration ancre l'image tout aussi anachronique d'une ville française, il faudra d'abord examiner le contexte socio-culturel dominant lors de ces interventions. C'est à travers l'étude des mythes que nous explorerons ces contextes socio-culturels, car, comme l'affirme Bouchard, les mythes se perpétuent et surviennent grâce aux fonctions qu'ils jouent au sein des sociétés17. Ils sont donc une composante essentielle de ces contextes socio-culturels.

Ce mémoire se découpe en deux parties, « L'anachronisme dans la création architecturale au XIXe siècle » ainsi que « L'anachronisme dans la restauration architecturale au XXe siècle », comprenant chacune deux chapitres, pour un ensemble de quatre chapitres. Le premier chapitre de chaque partie aborde l'image de Québec dans sa représentation mythique, alors que le second cherche à isoler l'influence de cet imaginaire urbain sur la pratique architecturale dans cette ville.

Le cadre temporel de cette étude se situe entre 1870 et 1960. Il est délimité en amont par la première intervention anachronique, celle que propose le gouverneur général Lord Dufferin, communément reconnu comme l'initiateur de la vague d'érection de bâtiments de styles néo-médiévaux. Si le corpus architectural de cette étude inclut des œuvres à partir de

15 Valentin Nikolaevich Voloshinov, « La structure de l'énoncé » dans : Tzvetan Todorov, Mikhaïl Bakhtine, le principe dialogique, Paris, Éditions du Seuil. 1981, p. 316.

16 Ibid., p. 288.

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en deçà de 1870 pour esquisser le portrait le plus juste possible de l'imaginaire urbain existant lors des interventions architecturales anachroniques. En aval, ce sont les restaurations orchestrées par la Commission des monuments historiques avant le vaste chantier de restauration de Place Royale qui clôt notre étude. Puisque l'attention se porte sur la manière selon laquelle les bâtiments individuels peuvent influencer la lecture que l'on fait de la ville entière, nous éviterons d'inclure Place Royale qui, en tant que quartier entièrement réaménagé, fait place à part. De plus, nous nous concentrerons sur la pratique de Gérard Morisset, théoricien et intervenant dans la ville. Sa vision de la restauration influença grandement le projet de Place Royale, mais il ne participa pas activement à sa restauration. Bien que les anachronismes architecturaux soient largement répandus dans la ville dc Québec, le corpus de ce mémoire se compose uniquement de quelques exemples représentatifs. Cette étude n'a donc pas la prétention d'être exhaustive; elle caractérise plutôt un phénomène qu'il est possible de saisir avec quelques cas.

Le premier chapitre, intitulé « Québec, ville médiévale », partira à la recherche de l'origine de l'association entre Québec et le Moyen Âge. En explorant l'imaginaire urbain de Québec, nous chercherons à comprendre qui initie cette association anachronique, et pourquoi. Pour ce faire, il nous faudra constamment confronter la perception de la ville à l'environnement bâti de Québec. Nous retracerons ainsi la trajectoire qu'effectue l'association entre la ville et le Moyen Âge jusqu'à ce qu'elle vienne à en constituer un mythe. En tentant de cerner les particularités qui font que Québec constitue un cas à part propice au vieillissement, « L'ancrage visuel d'un mythe », le second chapitre de ce mémoire, se penchera sur la pratique d'une architecture historiciste dans cette ville. Il faudra démontrer en quoi l'architecture d'inspiration néo-médiévale est anachronique. Nous explorerons les diverses significations socio-culturelles qu'une contorsion temporelle peut suggérer. Il faudra aussi considérer les motifs esthétiques qui, à Québec plus qu'ailleurs, poussent à la généralisation de l'emploi du vocabulaire formel médiéval.

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architecturale au XXe siècle », le chapitre « Québec, ville française » abordera l'image de

Québec au début du XXe siècle. Bien que les intervenants du XXe siècle critiquent

sévèrement les interventions historicistes du XIXe siècle, ils reproduisent tout de même

l'anachronisme, mais sous une forme différente. En cernant les origines du mythe sur « Québec, ville française », nous chercherons principalement à voir l'influence possible qu'il exerce sur la pratique de l'histoire de l'art au Québec, et plus précisément encore, de l'histoire de l'architecture. L'ultime chapitre de ce mémoire, « Un portrait complaisant », se penche sur la pratique de la restauration architecturale à Québec, pour voir si le patrimoine est mis en valeur à la lumière de l'histoire ou du mythe. Bien qu'il soit plus en harmonie avec l'histoire de la ville, le mythe sur les origines françaises de Québec encourage néanmoins le vieillissement de la ville. Nous explorerons ainsi l'idée de la fiction historique en architecture et la manière selon laquelle cela théâtralise l'environnement urbain.

Jean Provencher voit juste lorsqu'il affirme : « Sur le promontoire de Québec, le temps a investi l'espace. Il a façonné l'esprit des lieux. Il en a configuré les traits de personnalité »18. En effet, Québec fait de son histoire, et du patrimoine bâti qui en est

l'écho, sa marque de commerce. Même son sobriquet, Vieille Capitale, renvoie à un temps ancien, celui où elle était capitale nationale, et témoigne du fait que Québec se tourne vers son passé. Si la ville de Québec a longtemps éprouvé, et éprouve toujours, de la difficulté à faire de la place tant à l'architecture contemporaine qu'à la sculpture contemporaine - la contemporanéité dont il est ici question ne se définit pas par des dates, mais bien par des matériaux, des formes et des desseins conceptuels qui affirment leur valeur contemporaine - c'est le symptôme d'un phénomène plus vaste et bien ancré. Une ville dont l'architecture semble parfois tout droit sortie d'une autre époque prend des allures

1K Jean Provencher, « Inaugurer un site » dans : Jacques Mathieu (dir.), Les plaines d'Abraham : le culte de l'idéal, Québec. Presses de l'Université Laval, 1993, p. 241.

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n'ont traditionnellement jamais appartenu au savoir-faire local, s'approche dangereusement de l'anachronisme. En définitive, des interventions sur le patrimoine bâti qui mettent en évidence une chronologie plus imaginaire qu'historique valent bien à son architecture le qualificatif d'anachronique!

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PARTIE 1 : L'anachronisme dans la création architecturale au XIX

e

siècle

1. Québec, ville médiévale

Intuitivement, l'on pourrait croire que l'architecture historiciste de style château ou forteresse est à l'origine de l'image médiévale de la ville, mais l'association est en fait considérablement plus ancienne. Pour retracer l'origine de la vague de création architecturale de styles néo-médiévaux qui aujourd'hui forge l'image spectaculaire de Québec, il faut d'abord se tourner vers l'image de la ville qui la précède. Au début du XIXe siècle, seules les sources textuelles et les représentations visuelles donnent accès à la

représentation mentale de la ville. Dans le cas de Québec, les descriptions de la ville visent souvent à rendre l'inconnu intelligible, puisqu'elles sont fréquemment destinées aux Européens1. L'association de Québec au Moyen Âge révèle l'existence d'un rapport

conflictuel avec une réalité nord-américaine, que l'artiste ou le visiteur-auteur cherche à traduire à partir d'un bagage culturel européen2. Un survol de quelques descriptions de

Québec, principalement issues de guides touristiques et d'impressions de voyageurs, permet de saisir ce qui, d'un point de vue urbanistique, rappelle l'époque médiévale dans la ville prévictorienne. L'analogie entre Québec et l'époque médiévale prend corps principalement grâce à son architecture militaire et ecclésiale, ainsi qu'en raison du tracé de ses rues. Les rues tortueuses et étroites qui sillonnent Québec ne correspondent pas à l'idée qu'on se fait des villes américaines au plan cartésien rigoureusement prévisible. Même en considérant uniquement le développement urbain qui se produit sous le Régime français, Québec occupe une place à part. En effet, les villes américaines créées par des ingénieurs français à l'époque de la Nouvelle-France, telles la Nouvelle-Orléans et Détroit, possèdent un plan régulier. Le plan de Montréal est également linéaire. Comme l'explique l'urbaniste John

1 Didier Prioul, « Une vision panoramique » dans : John Porter et Didier Prioul (dir.), Québec plein la vue, Québec, Musée du Québec, Les Publications du Québec, 1994, p. 120.

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Reps, cette disposition spatiale particulière des rues de la ville de Québec la rapproche des villes européennes : « The plan ofthe upper town of Quebec represents one type of urban form established by the French in North America. Here, the general configuration of the community is non-linear, thus resembling most Eropean cities ofthe time » 3. L'existence

de petites rues, dont l'étroitesse et les méandres surprennent, pousse donc certains auteurs à évoquer les villes du Moyen Âge. Ce qui est par contre beaucoup plus étonnant, c'est que les auteurs de commentaires sur Québec au début du XIXe siècle relèvent avec insistance

l'aspect médiéval de son architecture militaire et ecclésiale. En relevant les divers paradoxes qui ressortent du rapprochement entre l'architecture de Québec et son équivalent médiéval, il deviendra possible de démontrer que cette association anachronique émerge d'un enracinement plus culturel qu'architectural.

Dans la première partie de ce chapitre, nous verrons que le regard subjectif que posent les Britanniques sur l'architecture de Québec est à l'origine de l'association anachronique de cette ville au Moyen Âge. Nous examinerons d'abord l'image projetée de son architecture militaire, pour tenter de comprendre pourquoi les Britanniques choisissent de la dépeindre de manière médiévale. En effectuant un va-et-vient entre ses images textuelles et visuelles, nous mettrons en perspective l'interprétation qu'ont les Britanniques de l'architecture de Québec. Nous répéterons ensuite le même procédé par rapport à l'architecture ecclésiale de Québec, encore une fois pour chercher à comprendre ce que les Britanniques y voient de médiéval. Puis, dans la seconde partie, nous verrons que l'association de Québec au Moyen Âge, bien que d'abord issue du regard que posent les Britanniques sur Québec, nouvellement conquise, est récupérée par les visiteurs de la ville, pour ultimement être appropriée par la population de la ville. Au cours de cette trajectoire, l'association anachronique devient mythe, et la population se plaît à se représenter son passé sur cette base. Nous verrons comment l'association, pour devenir mythe, se vide de sa connotation

3 John Reps, The Making of Urban America : A History- of City Planning in the United States, Princeton (New Jersey), Princeton University Press. 1965, p. 65.

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péjorative. C'est en survolant la contre image de Québec, que nous tenterons de saisir le nouveau sens que prend le qualificatif médiéval à la fin du XIXe siècle.

1.1 Les Britanniques à l'origine du désordre temporel

La temporalité discursive qu'introduisent les visiteurs de la ville du début du XIXe siècle

atteste l'antériorité dc l'association de Québec au Moyen Âge sur les bâtiments historicistes d'inspiration néo-médiévale dont la vague d'érection commence en 1874. Cependant, puisque ni l'architecture militaire ni l'architecture ecclésiale ne possèdent les styles architecturaux du Moyen Âge, comment se fait-il que les auteurs s'appuient sur celles-ci pour justifier l'aspect médiéval de Québec? La perception subjective qu'ont les Britanniques de Québec les pousse à évoquer le Moyen Âge comme manière figurée d'en dresser le portrait. Pour évoquer la puissance de l'Empire britannique et marquer la conquête d'une ville au bagage culturel fort différent du leur, ils plaquent sur Québec leur impression de ville du Moyen Âge.

1.1.1 L'architecture militaire comme métaphore de la puissance impériale

Les premiers indices textuels d'une médiévalisation de Québec se concentrent sur les fortifications qui dominent la ville. Alfred Hawkins, Anglais d'origine habitant Québec, se passionne pour cette ville à laquelle il dédie un livre, Hawkins's Picture of Quebec : With Historical Recollections*. Publié en 1834, ce recueil est parmi les plus anciens témoignages écrits dans lequel l'on retrouve l'association de Québec au Moyen Âge, bien qu'elle ne soit pas encore explicitement formulée. Hawkins affirme que : « The upper town presents the picturesque appearance of a fortified city - whose houses rise gradually above each other in

4 Dorothy E. Ryder, « Alfred Hawkins », Dictionnaire biographique du Canada, [en ligne], <www.biographi.ca> , (consulté le 10 mars 2011 ).

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the form of an amphitheatre [...] » 5. Certes, Québec est une ville fortifiée, ce qui n'en fait

pas pour autant une ville médiévale. Cela dit, le Moyen Âge est grandement associé à l'art de la guerre dans l'imaginaire collectif, sans doute parce que cette période historique fut remarquablement marquée par le perfectionnement de l'arsenal militaire. En cela, pour l'esprit moderne, toute ville fortifiée rappelle arbitrairement le château fort du Moyen Âge. C'est le terme castellated qu'emploie Hawkins pour faire allusion aux châteaux forts, une idée déjà assez fantaisiste, qui s'appuie sur la vocation défensive de ces éléments architecturaux et non sur leur style : « Its castellated appearance, owing to its ditches, embrasures, round towers, battlements and gates, add much to its grand and imposing effect from without » 6. Ce qui, selon cet auteur, confère à Québec une apparence « castéllisante »

se résume à l'enceinte fortifiée et les tours Martello, qui, faut-il l'admettre, forment d'importants repères spatiaux, au point même de constituer des éléments déterminants de l'urbanisme de la ville. Reste que ces infrastructures militaires sont relativement récentes au moment où Hawkins écrit ces lignes; elles lui sont même contemporaines. On termine en effet la construction des remparts sous le Régime britannique. Les portes Hope (Gother Mann, 1786), Prescott (Gother Mann, 1797), les tours Martello (Elias Walker Durnford, de 1805 à 1823) - ainsi que la citadelle (Elias Walker Durnford, 1820-30) - sont aussi produites sous le Régime britannique. Voilà qui infirme toute possibilité que ces structures aient pu rappeler le Moyen Âge en raison de leur grand âge. Surtout que les fortifications de la ville, dont le plan de 1716 est dû à Gaspard Chaussegros de Léry, sont tracées selon les préceptes de l'ingénieur militaire français, Sébastien Le Prestre de Vauban (1633-1707), ce qui confirme leur modernité. Vauban eut une influence internationale majeure dans la conception de l'architecture défensive7 et la citadelle de Québec, bien que réalisée par un

ingénieur militaire anglais, le lieutenant-colonel Elias Walker Durnford, lui est aussi

7 Alfred Hawkins, Hawkins's Picture of Quebec : with Historical Recollections, Quebec, Nelson and Cowan, 1834. p. 155.

6 Ibid., p. 169.

7 Richard Holmes, « Vauban, Marshal Sebastien le Prestre de », Oxford Reference Online, Oxford University Press, 2001, [en ligne], <http://www.oxfordreference.com>, ( consulté le 15 Mars 2011 ).

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fortement redevable en raison de son plan étoile8. La citadelle et les remparts sont donc

modernes. Les fortifications bastionnées, comme celles de Québec, apparaissent au XVIe

siècle, et leur principe défensif est foncièrement différent des fortifications médiévales qui misent sur la hauteur des murs. Essentiellement, celles de Québec sont basses, enterrées, dissimulées par les glacis et ont très peu en commun avec les fortifications des villes médiévales et des châteaux forts.

Si le rapprochement entre cette architecture militaire et le Moyen Âge ne peut être suggéré ni par leur ancienneté, ni par leur parenté avec les fortifications médiévales, ce doit nécessairement être une question de style qui justifie l'analogie anachronique. Généralement, ce sont les ornements qui permettent de situer temporellement une œuvre, en la reliant à un style architectural daté. Dans l'enceinte fortifiée de Québec, l'ornementation se limite au développement formel des portes. Près d'un demi-siècle après Hawkins, James Macpherson Lemoine n'hésite pas à affirmer l'appartenance médiévale de l'une des portes d'origine de l'enceinte fortifiée : « There is nothing left so picturesque and characteristic as Hope Gate [...], and I doubt if anywhere in Europe there is a more mediaeval-looking bit of military architecture »9. Paradoxalement, l'architecture de la porte Hope est des plus

classiques, puisqu'elle se rattache au palladianisme10. Ce style, issu des théories

architecturales de l'Italien Andrea Palladio (1508-1580), connaît son apogée au XVIIe et au

début XVIIIe siècle". Etant donné qu'il connut une grande diffusion en Angleterre, on

l'associe aussi à ce pays l2- d'ailleurs, toutes les portes de l'enceinte fortifiée conçues par

les ingénieurs militaires britanniques sont palladiennes. Les fondements stylistiques du

* Ibid.

9 James Macpherson Lemoine, Picturesque Quebec a Sequel to Quebec Past and Present, Montréal, Dawson,

1882, p. 205.

10 Luc Noppen, Claude Paulette, et Michel Tremblay, Québec, trois siècles d'architecture, Québec, Libre

expression, 1979, p. 55.

1 ' James Stevens Curl, 2001 « Palladianism », A Dictionary of Architecture and Landscape Architecture, [en

ligne], <http://www.oxfordreference.com> , (consulté le 11 mars 2011).

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palladianisme se concentrent sur la symétrie d'ensemble et sur un vocabulaire formel emprunté à l'Antiquité, nous éloignant de plus en plus des créations médiévales. Voûtée en berceau, la porte Hope se voit doter d'un fronton s'ajustant parfaitement aux pans de la toiture et ponctué d'un oculus central. Globalement, elle possède un développement formel sobre, mais rigoureux.

Malgré leurs différences notables, l'ensemble des portes d'origine de l'enceinte fortifiée de Québec possède un vocabulaire classique, ne se rapportant pas du tout au Moyen Âge. Typiquement, les portes des fortifications médiévales sont flanquées de part et d'autre de tours, pour renforcer le point faible que constitue leur ouverture. À Québec, aucune des portes d'origine de l'enceinte ne fut accompagnée de tours, ni celles du Régime britannique, ni celles du Régime français qui, à défaut d'être palladiennes, affichaient tout de même un vocabulaire formel classique comme en témoigne cette photo de la porte Saint-Louis d'origine (fig. 1.1). Alors, comment expliquer que les infrastructures militaires, constructions relativement récentes dont la stylistique est des plus classiques, et dont les composantes techniques se rattachent aux avancées de Vauban, aient donné cours au rapprochement anachronique entre Québec et le Moyen Âge?

Les représentations visuelles de Québec qui précèdent la publication de Hawkins jettent une nouvelle lumière sur l'origine de cette association anachronique. Les auteurs affirment que l'architecture de la ville inspire son rapprochement avec le Moyen Âge; or il semble que ce soit davantage l'idée que l'on s'en fait, telle que véhiculée dans les documents visuels qui les inspire. En effet, alors qu'il faut attendre le début du XIXe siècle pour voir apparaître les

premières descriptions littéraires d'une ville de Québec médiévale, au lendemain de la Conquête, les représentations visuelles de Québec que produisent les Britanniques à l'intention de leur patrie en propagent déjà l'image médiévale. On peut donc en déduire que les auteurs du XIXe siècle dépeignent la ville concrète, ils traduisent leur expérience de la

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ville mais aussi, ils reproduisent la vision proposée par ces représentations visuelles, à partir des images qui circulent dans le milieu dc l'époque.

Comme l'explique Clarence Epstein, dès la fin du XVIIIe siècle, la curiosité des Européens

face à l'Amérique incite certains entrepreneurs à produire des gravures représentant très approximativement les villes du Nouveau monde13. Nulle raison de représenter fidèlement

les centres urbains, car les acheteurs, dépourvus de toute connaissance empirique des lieux, n'y voient que du feu. En présentant quelques gravures de Québec complètement fictives, Epstein explique que les artistes qui les créent n'ont, pour la plupart, jamais voyagé en Amérique. Pour les réaliser, les graveurs se fient aux descriptions de voyageurs, d'autres représentations des villes et, pour le reste, ils donnent libre cours à leur imagination14.

Parmi les éléments particulièrement insolites, l'auteur rapporte la physionomie des Amérindiens et, ce qui retient plus spécifiquement notre attention, l'architecture. Si l'on s'attarde à la Vue de la basse ville de Québec vers le fleuve St. Laurent, réalisée par Baltasar Friedrich Leizelt vers 1775 (fig. 1.2), on remarque que les bâtiments, très colorés, sont principalement renaissants, bien que le premier sur la gauche soit clairement d'inspiration médiévale15. Certaines villes, comme Québec, possèdent une existence double : l'une est

réelle et concrète, alors que parallèlement l'autre se fait vagabonde, errante et fantaisiste, donnant cours à l'établissement d'une chronologie imaginaire. Il n'est pas à exclure que l'imaginaire urbain que diffuse l'Europe ait pu influencer le devenir de la ville.

L'existence de représentations datant du XVIIIe siècle et mettant en scène une ville de

Québec moyenâgeuse rend compte que l'image médiévale de Québec comme représentation visuelle fut largement antérieure à sa version textuelle. Réalisée par un

13 Clarence Epstein, « The Quebec that Never Was », The Beaver, décembre 1996 -janvier 1997, vol.76, n°6, p. 28.

14 Ibid. 15 Ibid.

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artiste inconnu, une représentation de la prise de Québec (fig. 1.3) réalisée à l'époque de l'événement fait preuve d'une autre vision extrêmement fantaisiste de son paysage urbain, notamment en raison de l'emploi du vocabulaire formel médiéval dans le dessin des bâtiments. On y voit une ville de Québec moyenâgeuse, dont l'enceinte fortifiée est bâtie en hauteur, et l'accès à la forteresse, dotée de créneaux et merlons, s'effectue par une porte flanquée de hautes tours. Tout porte à croire qu'elle fut réalisée par un Européen n'ayant jamais posé les pieds en Amérique, puisqu'elle fut publiée dans le London Gazette du 18 octobre 1759. La destination de la gravure nous en apprend beaucoup sur son contenu; elle ne se veut pas une traduction fidèle de la réalité du paysage québécois pour faire connaître la ville, c'est une image de propagande impériale qui célèbre la chute de Québec, symbole de la victoire et de l'expansion de l'Empire britannique. En dépeignant Québec à la manière d'une cité médiévale, l'artiste cherche vraisemblablement à mettre en évidence les périls de cette conquête. Le recours à l'architecture militaire médiévale permet d'exprimer avec un maximum d'immédiateté les défis et les dangers que représentait cette capture, et du coup, l'atout que la ville constitue désormais pour l'Empire. Il s'agit tout simplement d'un artifice visuel se mariant à merveille avec la rhétorique du peuple vainqueur qu'Hawkins propage : « The capture of the city and forteress of Quebec, remarkably strong both by nature and art, was an achievement of so romantic a character, so distinguised by chivalrous enterprise, and so fraught with singular adventure, that the interest attending it still remains undiminished, and its glorious recollections unfaded »16. Si l'on juxtapose cette image aux recherches de l'historien Jack Little, on remarque que la rhétorique qu'elle véhicule est sensiblement la même que celle du « Bastion impérial » dont il parle. Cette idée du bastion impérial nous vient des Britanniques visitant Québec, elle évoque la puissance défensive du lieu et son appartenance à la Couronne britannique17. Little note deux moments distincts dans les écrits sur la ville : l'un où on la présente comme bastion impérial, l'autre comme ville médiévale. En revanche, dans les représentations

' Alfred Hawkins, op. cit.. p. 1.

17 Jack Little, « "Like a fragment ofthe old world" : The Historical Regression of Quebec City in Travel Narratives and Tourist Guidebooks, 1776-1913 », conférence donnée le samedi 16 octobre 2010, au Morrin Centre, Québec.

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visuelles, ces deux moments se confondent dès le départ : au sein de la gravure du London Gazette, les concepts d'impérialisme, de place forte et de cité médiévale sont réunis pour mousser les célébrations.

L'une des gravures de Richard Coke Smyth (fig. 1.4), Québec depuis le Château, permet une interprétation tout à fait semblable. La manière dont l'œuvre met en scène l'architecture de Québec résulte d'un bricolage historique qui vise à célébrer la grandeur de l'Empire britannique. Un anachronisme réside dans la ruine du château Saint-Louis, car, comme l'explique Didier Prioul dans le catalogue de l'exposition Québec plein la vue, on réalise cette gravure en 1840, d'après une esquisse dc 1838, au moment où les restes du château cèdent leur place à la terrasse Durham. Ainsi, la gravure perpétue une image de la ville qui n'est plus d'actualité. Deux principales raisons expliquent cette volonté : l'ancienneté de la ville et l'impérialisme. Dans le coin supérieur gauche de l'œuvre, la ruine domine l'ensemble du paysage et se trouve dans un endroit indiqué de la gravure, car elle commence la diagonale qui découpe l'œuvre. Le monument en ruine, donc le passage du temps, s'affirme comme constituante déterminante de l'image de la ville. L'histoire retient que le bâtiment fut la proie des flammes en 1834, pourtant, au sein de cette œuvre, les restes du château se présentent à la manière de véritables ruines, vestiges d'une époque révolue. Le feu, dont la violence n'est somme toute qu'éphémère, émeut moins que l'action corrosive du temps18. En représentant les restes du château à la manière de ruines, Smyth cherche donc probablement à symboliser l'ancienneté de la ville. Surtout, en tant que l'un des lieux d'administration de la Nouvelle-France, le Château Saint-Louis en ruine marque l'effondrement de l'emprise française sur le territoire, désormais possession britannique. Cette approximation historique semble fort volontaire, car elle sert la cause impérialiste.

18 Alois Riegl, Le culte moderne des monuments : son essence et sa genèse, Paris, Éditions du Seuil. 1984 [1903], p. 62.

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En insistant sur l'idée de château fort dans les écrits de la ville, et en dépeignant Québec avec des éléments fictifs du vocabulaire formel du Moyen Âge, les Britanniques créent l'image médiévale de Québec pour revendiquer la difficulté de la prise et célébrer la chute de la ville. Parce qu'à vaincre sans péril, on triomphe sans gloire!

1.1.2 L'architecture ecclésiale confondue avec la religion

Il semble assez étonnant de qualifier l'architecture ecclésiale de Québec de médiévale puisque, comme c'était le cas pour l'architecture militaire, elle n'en possède pas le style. Il est vrai que, sur la petite superficie que représente le Vieux-Québec, on retrouve une concentration marquée de communautés religieuses : les Jésuites, les Récollets, les Ursulines et les Augustines. La place prédominante qu'occupent les communautés religieuses dans l'environnement urbain contribue très certainement à l'importance qu'on leur alloue dans l'imaginaire, sans toutefois expliquer la perception anachronique qui y est associée. Les édifices des communautés religieuses de Québec ont d'ordinaire une typologie architecturale fixe. Globalement, les monastères de Québec sont constitués d'un quadrilatère formant une cour intérieure carrée, dont l'organisation générale suit un plan géométrique précis. De surcroît, leur esthétique classique, que révèlent les frontons et l'ordonnance classique des colonnes, est assez dépouillée. Bien entendu, les monastères médiévaux, malgré leur sobriété, ne possèdent pas cette esthétique classique; ils ont une apparence plus organique, car ils sont formés d'un agrégat d'ailes. Bref, justifier le rapprochement entre Québec et le Moyen Âge en s'appuyant sur l'architecture ecclésiale repose entièrement sur une perception subjective, car rien n'y est dans les faits.

Toujours dans Hawkins's picture of Quebec [...], l'auteur insiste sur la primauté de l'architecture ecclésiale dans la constitution de l'environnement urbain. Par extension, il met en perspective l'allégeance religieuse des colons français :

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The principal design ofthe French settlements in Canada [...] -was evidently to propagate the Christian religion as professed by the founders of Quebec, to tame and civilize the heathen, and to bring him to worship the true God. [...] This Policy, long acted upon, influenced every part of their system. It extended even to the character of the earliest edifices which they erected in this country. The only permanent buildings were those devoted to the purposes of war and religion. The irregularity of the lines of the different streets in Quebec is attributable to the same remote cause. Any one who examines the site of the city will perceive at once, that the greater portion of the area was occupied from the first by its public buildings.19

Son commentaire s'avère d'un intérêt particulier dans la mesure où il révèle un élément de plus ayant suscité l'association de Québec au Moyen Âge : le catholicisme.

L'impression qu'une ville fortement marquée par les symboles du catholicisme rappelle le Moyen Âge se fonde sur le fait que le christianisme sous l'égide de Rome était le paradigme de la société médiévale. Cette perception médiévale d'une ville catholique nous vient directement des Anglo-Saxons protestants, pour qui le catholicisme rappelle la période historique précédant la réforme d'Henri VIII. L'historien de l'architecture Chris Brooks avance même qu'avant le XVIIIe siècle, l'architecture médiévale incarnait le

catholicisme : « medievalizing buildings had previously connoted continuity with feudal and catholic authority »20. C'est sans doute en s'appuyant sur cette idée que les

Britanniques perçoivent Québec comme étant médiévale, car ils retiennent la survivance du lien avec Rome pour décrire l'ampleur de la prégnance catholique sur la ville. C'est également ce qu'évoque implicitement James Dixon, un Américain méthodiste, donc de foi protestante : « The ecclesiastical buildings of all sorts - Cathedrals, churches, convents, hospitals, Hôtels de Dieu, and all the rest - are seen to predominate over everything secular.

19 Alfred Hawkins, op. cit., p. 149-150.

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This feature, together with the military air of the place, causes Quebec to wear an aristocratic and feudal appearance [...] »21.

En tant que ville catholique au sein d'un continent anglo-saxon, Québec, avec sa forte présence d'institutions catholiques, devient, aux yeux des protestants, symbole d'une autre époque, le Moyen Âge. Ce jugement, très répandu, est aussi très arbitraire, d'autant que deux des communautés installées à Québec, les Jésuites et les Ursulines, sont modernes. En effet, la Compagnie de Jésus, les Jésuites, fut créée en 1540, dans la foulée de la Contre-Réforme22. De même, bien que les Ursulines ne soient qu'indirectement issues de la Contre-Réforme, leur fondation en 1535 est postérieure au Moyen Âge. À l'évidence, ce n'est pas l'architecture qui pousse les Anglais à décrire Québec comme une ville médiévale, mais ce sont plutôt les catégories culturelles du protestantisme qui conduisent à cet anachronisme. En effet, pour les Anglo-protestants, le catholicisme est médiéval.

Si les auteurs britanniques écrivant pour un public métropolitain sédentaire ont suscité à propos de Québec un imaginaire urbain extrêmement fantaisiste, le déploiement de nombreux militaires paysagistes a favorisé la circulation d'images réalistes de Québec. En effet, ces militaires anglais formés pour traduire le plus fidèlement possible l'environnement urbain en ont livré un rendu descriptif23, plus près de la réalité, ce qui n'exclut cependant pas une part d'interprétation. Alain Parent s'est penché sur les représentations de Québec produites par ces artistes topographes. Le géographe a notamment analysé les Twelve Views ofthe Principal Buildings in Québec, From Drawings,

Taken on the Spot, at the Command of Vice-Admiral Saunders, by Richard Short, Purser of

: i James Dixon, Personal Narrative of a tour through Part ofthe United States and Canada, New York, Lane and Scott, 1849, p. 147. (Aussi cité dans Jack Little, op. cit.)

22 Jean Delumeau, « Contre-Réforme » , Encyclopaedia Universalis, [en ligne] <www.universalis-edu.com>, (consulté le 2 mars 2011 ).

23 Didier Prioul, « Étranger dans un nouveau pays » dans : John Porter. Didier Prioul (dir.), Québec plein la vue, Québec, Musée du Québec, Les publications du Québec, 1994, p. 82.

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his Majesty's Ship the Prince of Orange, Engraved by Messrs. Grignion, Canot, Elliot, and others. Selon Parent, le simple fait de mentionner dans le titre de cette série de douze gravures représentant Québec qu'elles sont réalisées d'après les esquisses prises sur le vif de Richard Short, « revendique la simultanéité, la co-présence, gages d'une vraie et précise description - ce qui est également un moyen de réfuter les conjectures et la fiction »2 4. Pourtant, plusieurs reconnaissent que ces images possèdent certaines déformations, principalement dans l'échelle, la perspective et les détails des bâtiments25, ce qui n'est pas peu dire.

Cela s'explique d'une part du fait que le réalisme descriptif des militaires britanniques se concentre sur la topographie, élément essentiel aux stratégies défensives26, tandis que les bâtiments et institutions qu'ils symbolisent sont d'un intérêt moindre. D'autre part, ces gravures ne sont pas tant des représentations de Québec que des représentations de représentations de cette ville. L'œuvre de Short agit comme intermédiaire entre les graveurs et le lieu. Ce n'est pas l'œuvre de Short que l'on nous présente, mais celle des graveurs qui ont repris les dessins de Short. L'interférence entre l'objet représenté et le sujet représentant contribue aux écarts dans le rendu du paysage. Il ne faut pas pour autant négliger ces inexactitudes, car elles révèlent mieux que tout la part d'imaginaire qui entoure Québec.

Réalisée par William Elliot d'après Richard Short entre 1759 et 1761, A View ofthe Inside ofthe Recollect Friars Church /Vue de l'intérieur de l'Eglise des Récollets, 1761 (fig. 1.5) laisse clairement transparaître ce sentiment d'étrangeté dérangeante qui anime l'artiste

24 Alain Parent, Entre empire et nation : les représentations de la ville de Québec et de ses environs, 1760-1833, Québec, Presses de l'Université Laval, 2005, p. 134.

25 R.H. Hubbart, « Richard Short », Dictionnaire biographique du Canada, [en ligne],<www.biographi.ca>, (consulté le 18 mars 2010).

26 Marc Grignon, « Comment s'est faite l'image d'une ville : Québec du XVIIe au XIXe siècle » dans : Lucie K. Morisset, Luc Noppen et Denis Saint-Jacques (dir.), Ville Imaginaire. Ville identitaire : échos de Québec, Québec, Nota Bene, 1999, p. 110.

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anglais. C'est dans le chien reniflant le crâne symbolisant fort probablement une relique -que repose toute la tension -que suscite la scène. L'image suggère plus qu'un man-que de familiarité, plus que de l'incompréhension ou même que de la dérision à l'égard de cette pratique. En effet, les ossements, laissés au chien, ne possèdent visiblement aucune valeur pour les militaires présents. Voilà qui illustre le clivage culturel entre Anglo-Saxons et Canadiens français, entre protestants et « papistes ». Voici un exemple supplémentaire qui vient appuyer le constat de Parent qui démontre très clairement qu'« Alors, l'anti-catholicismc de tradition ancienne et les desseins et mentalités impérialistes se liguent contre la France dans la représentation de Québec par le crayon de Short sous la commande dc Saunders »2 7. Dans cette gravure, l'anti-catholicisme n'est peut-être pas directement

associé au Moyen Âge, mais il connote péjorativement l'allégeance religieuse du peuple conquis.

Parmi les raisons culturelles qui motivent l'association de Québec au Moyen Âge, d'autres facteurs s'ajoutent à celui du catholicisme, confirmant la connotation originellement péjorative de cet anachronisme. Tout en qualifiant à son tour Québec de ville médiévale, l'urbaniste John Reps, qui écrit dans les années 1960, lève le voile sur une caractéristique importante, mais jusqu'ici ignorée, qui concerne la perception du système seigneurial :

One important feature of Canadian settlement came into being under the Associates. Under the terms of its grant the company was authorized to establish a system of feudal land holding - seignorial tenure - which in effect recreated in the New World conditions that were dying in the Old. The priest and the seigneur became the dominant forces in French Canada, and in the towns the spires of the churches and the towers of the fortress symbolised these twin powers. The view of Quebec in 1759 [fig. 1.6] [...], shows the series of striking architectural features that by the latter part of the

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seventeenth century had given Quebec much ofthe caracter of some medieval city in Western Europe28.

Reps affirme qu'au moment de la Conquête britannique, la ville dc Québec possède une architecture de caractère médiéval. L'on doit en comprendre que l'auteur porte ce jugement en retenant l'emphase que met la carte de Thomas Johnson, Quebec, The Capital of New-France, a Bishoprick, and the Seat of the Soverain Court (fig. 1.6) sur l'architecture ecclésiale surdimensionnée de la ville. À moins que le château Saint-Louis ne fasse, sur cette carte, office de la forteresse symbolisant la puissance du Seigneur? Quoi qu'il en soit, la carte n'illustre d'aucune manière une ville de Québec médiévale. Reps n'aurait-il lui aussi été influencé par l'imaginaire urbain? Ceci montrerait à quel point cette association de Québec au Moyen Âge marque l'imaginaire collectif.

Que ce soit en raison de la perception de l'allégeance religieuse des colons français ou de l'organisation sociale, les raisons qui sous-tendent l'association de Québec au Moyen Âge sont plus culturelles qu'architecturales. L'usage du qualificatif moyenâgeux dans les textes, ou de formes médiévales dans les représentations visuelles de Québec vise donc une référence à quelque chose de connu pour décrire une culture étrangère. C'est la perception subjective qu'ont les Britanniques d'une réalité sociale à laquelle ils sont nouvellement confrontés.

(33)

1.2 L'appropriation de la vision de l'Autre

Si, au lendemain de la Conquête britannique, l'architecture militaire et ecclésiale présentée comme médiévale incarne l'aspect régressif du peuple conquis, elles se trouvent complètement revalorisées un siècle plus tard, lorsqu'on leur prête une valeur mémorielle. À Québec, les monuments historiques, principalement ceux que représente l'architecture militaire qui cesse d'être fonctionnelle contrairement à l'architecture ecclésiale, deviennent évocateurs du riche passé de la ville. Le terme médiéval, qui lui est déjà associé, se vide un peu de son sens : repris par les touristes américains et français, il perd sa connotation négative et devient tout simplement synonyme d'ancien. Dès lors, ce sont les citoyens de Québec qui revendiquent ce statut de ville médiévale. Ils s'en servent alors pour vanter le charme antique de Québec, que l'on dit unique en Amérique, et pour insister sur la nécessité de le protéger face à la menace grandissante de la modernisation.

1.2.1 La trajectoire d'une association anachronique

Initialement, le rapprochement entre Québec et le Moyen Âge était extrêmement prudent : on évoque uniquement le fait que la ville rappelle l'Europe, ce qu'une contorsion temporelle permet aisément d'exprimer. Cependant, les descriptions de Québec témoignant d'une temporalité paradoxale se multiplient au cours du XIXe siècle. Elles passent

d'évocations subtiles du Moyen Âge à des affirmations sans équivoque. Sous l'influence du romantisme, le discours se fait de plus en plus subjectif. Au fur et à la mesure que l'on progresse dans le XIXe siècle, un nombre croissant d'auteurs prennent la plume pour faire

des envolées lyriques qui cherchent à accroître le charme pittoresque de Québec29. Le

facteur comparatif qui lie Québec aux villes médiévales disparait, ne laissant plus qu'une adéquation anachronique entre la ville et cette période historique. Si l'on regarde plus attentivement le processus en cause dans la transformation du discours, on se rend compte

29 Kenneth Landry. « Visions et descriptions pittoresques du « Gibraltar d'Amérique » », dans : John Porter. Didier Prioul (dir.), op. cit., p. 267.

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qu'initialement la comparaison entre Québec et les villes du Moyen Âge n'est rien de plus qu'une figure stylistique fréquemment employée pour sa puissance cvocatricc. À coup dc métaphores, de langage imagé et de superlatifs, les écrits se distancent progressivement dc la chronologie réelle dc la ville, et la fiction temporelle l'emporte sur les figures dc style.

Gagnant en popularité, l'analogie entre Québec et le Moyen Âge, en processus de devenir mythe, n'est bientôt plus uniquement propagée par les Britanniques. L'Américain James Dixon a déjà été cité, mais c'est son compatriote James Bourne qui exprime le plus clairement les raisons pour lesquelles les Américains reprennent la vision médiévale de Québec. Pour eux, le rapprochement anachronique voulant que Québec ressemble aux villes du Moyen Âge tient presque entièrement sur la comparaison entre cette ville et les autres centres urbains d'Amérique. Il semble que, pour de nombreux visiteurs, l'architecture de la ville ait plus en commun avec les villes d'Europe qu'avec celles dont elle partage l'espace géographique, ce que résume Bourne en 1829 dans 777e picture of Quebec : « For a stranger, and especially if he has never visited Europe, Quebec comprises multiplied novelty » 30. En plus du tracé particulier des rues, la pierre en tant que matériau

de construction de prédilection de l'architecture militaire et conventuelle de Québec contribue au rapprochement entre cette ville et les centres urbains européens.

Au milieu du siècle, Xavier Marmier, un Français de passage à Québec, se joint à ceux qui reconnaissent en Québec une ville du Moyen Âge : « Peu de villes offrent à l'observateur autant de contrastes étranges que Québec, ville de guerre et de commerce perchée sur un roc comme un nid d'aigle, et sillonnant l'Océan avec ses navires, ville du continent américain, peuplée par une colonie française, régie par le gouvernement anglais, gardée par des régiments d'Ecosse, ville du moyen âge par quelques-unes de nos anciennes institutions

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[...] »31. Ce texte se fonde sur la comparaison polarisée entre l'image mentale d'une

Amérique regorgeant de nouveauté, et d'une Europe connue, imprégnée de traditions issues d'une longue histoire. L'auteur dit explicitement que ce sont les institutions qui le poussent à associer la ville au Moyen Âge. À la suite de la Révolution française, qui se solda par la séparation de l'Église et de l'Etat, la gestion particulière du pouvoir au Bas-Canada a sans doute paru dépassée, voire moyenâgeuse.

Pour cette même raison, Alexis de Tocqueville n'a-t-il pas dit en 1831 : « Nous nous sentions comme chez nous, et partout on nous recevait comme des compatriotes, enfants de la Vieille France, comme ils l'appellent. À mon avis, l'épithète est mal choisie. La Vieille France est au Canada; la nouvelle est chez nous »32? Encore une fois, cette remarque, tirée

Des Voyages de Tocqueville, associe Québec aux époques révolues, comme si le temps s'y était figé, mais cette fois la cause n'en est pas le paysage urbain, ce sont des motifs culturels qui poussent Tocqueville à faire cette remarque. Même les Français, pourtant d'allégeance catholique eux aussi, retrouvent à Québec des traits culturels qui leur rappellent des époques révolues.

Cette association anachronique qui caractérise Québec est certes introduite par les Britanniques, reprise par les visiteurs de la ville, mais au cours du XIXe siècle, les citoyens

se l'approprient. En 1872, James Macpherson Lemoine cite Henry Ward Beecher dans L'album du tourisme : « Québec c'est un lambeau desséché du moyen âge, accroché bien haut dans le voisinage du pôle Nord, loin des sentiers battus des touristes européens... une curiosité sans pareille de ce côté-ci de l'océan »3 3. Bien qu'il cède la parole à autrui, en

31 Xavier Marinier, Lettres sur l'Amérique : Canada, États-Unis, Havane, Rio de la Plata, Paris. Arthus

Bertrand, 1851, vol.2, p. 143-144.

32 Alexis de Tocqueville, Regards sur le Bas-Canada, Montréal, TYPO, 2003, p. 195.

33 James Macpherson Lemoine, L'album du tourisme : archéologie, histoire, littérature, sport : Québec,

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citant Beecher, Macpherson Lemoine popularise cette vision moyenâgeuse de la ville. L'ensemble des publications de cet auteur témoigne d'un amour sincère pour la ville de Québec, qu'il persiste à présenter sous le voile du Moyen Âge. Grâce à Macpherson Lemoine, le rapprochement entre Québec et le Moyen Âge intègre les réseaux locaux, alors que depuis le début du XIXe siècle, c'étaient plutôt les étrangers qui attribuaient à Québec une essence médiévale.

La position qu'adopte Macpherson Lemoine atteste d'un revirement important : plutôt que d'être un qualificatif plaqué sur la ville par un regard extérieur, la filiation entre Québec et l'époque médiévale devient un élément constitutif de son identité. À partir du moment où l'on se reconnaît à travers la vision de l'Autre, on assume l'attribut comme connaissance de soi. Avec l'appropriation du message, ce qui n'était qu'une simple comparaison se transforme en chronologie imaginaire, participant désormais plus activement à la construction de l'image de la ville. En effet, ce n'est pas sans incidence que ce soit Macpherson Lemoine qui, parmi les citoyens dc la ville, reconnaisse le premier une essence médiévale à Québec. En tant qu'homme de lettres et personnalité influente, il légitime l'association de Québec au Moyen Âge. À proprement parler, Macpherson Lemoine n'est pas historien, mais en tant que féru d'histoire, il cherche à donner un caractère historique à ses publications. D'ailleurs, n'a-t-il pas été porté à la présidence de la société littéraire et historique de Québec34? C'est tout de même étrange que Macpherson Lemoine, qui privilégie une approche historique, se fasse du même souffle promoteur de la chronologie imaginaire de la ville de Québec.

Par la suite, de nombreuses autres publications, telles Illustrated Quebec : (the gibraltar and tourist-mecca of America) Under French and English occupancy : The story of its famous annals; with pen pictures descriptive of the matchless beauty and quaint medieval

34 Roger Le Moine, « Sir James MacPherson Le Moine », Dictionnaire biographique du Canada, [en ligne], <www.biographi.ca>, (consulté le 29 juillet 2009).

Figure

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