• Aucun résultat trouvé

La ville comme métaphore

N/A
N/A
Protected

Academic year: 2022

Partager "La ville comme métaphore"

Copied!
3
0
0

Texte intégral

(1)

Article

Reference

La ville comme métaphore

RAFFESTIN, Claude

Abstract

L'auteur, dans cet article, montre la difficulté, voire l'impossibilité de définir la ville en tant qu'objet. C'est pourquoi il propose une analyse de la ville en tant que processus ou en tant que système de relations. La ville est une enveloppe spatio-temporelle caractérisée par la radicalisation d'un certain nombre de codes. Enfin, la ville, si elle est créatrice d'information, est aussi consommatrice d'énergie et en ce sens elle est une métaphore révélatrice de l'entropie vers laquelle vont toutes les sociétés humaines.

RAFFESTIN, Claude. La ville comme métaphore. Médecine & Hygiène , 1979, vol. 37, no.

1352, p. 3749-3750

Available at:

http://archive-ouverte.unige.ch/unige:4314

Disclaimer: layout of this document may differ from the published version.

1 / 1

(2)

La ville comme métaphore

par Cl. Raffestin (Genève)

L'auteur, dans cet article, montre la difficulté, voire l'impossibilité de définir la ville en tant qu'objet. C'est pourquoi il propose une analyse de la ville en tant que processus ou en tant que système de relations. La ville est une enveloppe spatio-temporelle caractérisée par la radicalisation d'un certain nombre de codes. Enfin, la ville, si elle est créatrice d'information, est aussi consommatrice d'énergie et en ce sens elle est une métaphore révélatrice de l'entropie vers laquelle vont toutes les sociétés humaines.

La séquence urbaine qui a suivi la séquence agricole il y a 8000 ou 10 000 ans est tout à la fois ancienne et récente. A l'échelle du temps historique, elle est ancienne mais à l'échelle du temps de l'hominisation, elle est récente. Parler de la ville en général est abusif car quoi de commun entre les premières villes orientales, les villes grecques, les villes chinoises et les villes actuelles ? Tout à la fois peu et beaucoup : « La naissance de la ville est une concentration de la société dans l'espace et dans le temps. Concentration a toujours été liée à socialisa-tion...» (1).

Même si cette formule se présente comme une définition, elle n'en est pas une. La ville, bien qu'occupant, on hésite à dire encombre, l'horizon des activités humaines depuis des siècles, et aujourd'hui celui des sciences humaines, personne n'est encore parvenu à en donner une définition qui emporte le consensus. Ce n'est pas faute, pourtant d'en avoir proposé ! Qu'il s'agisse de l'histoire, de la géographie, de la sociologie ou de l'économie pour ne prendre que ces discipli-nes-là, toutes ont fourni de multiples définitions de la ville et continuent à en donner. La poursuite de cette «idée de la ville » est pathétique et rejoint le mythe de Sysiphe. La ville a été appréhendée dans son évolution, dans sa morphologie, dans son fonctionnement, etc. mais la somme de tout cela est-elle la ville? C'est le paradoxe contre lequel bute toute . définition de l'objet: « Percevoir en même temps cette totalité qu'est un objet et les détails qui la constituent, revient à réali-ser le plus facilement du monde ce qui nous paraît incroyable-ment difficile, voire absurde, au niveau du mécanisme de pensée» (2). La définition ressortit au mécanisme de pensée et dès lors toute tentative de cerner «l'objet-ville» est vaine parce que paradoxale dans la mesure où il est impossible de négocier simultanément totalité et parties.

S'il n'est' guère possible d'appréhender la ville en tant qu'objet d'une manière satisfaisante, on peut tenter de la sai- sir en tant que processus, en tant que relation. C'est, sans doute, cette problématique relationnelle qui distingue l'éco- logie humaine des autres disciplines (3). Que cherche, en fait, l'écologiste humain? Il cherche à expliciter la connaissance et la pratique que les hommes ont de la réalité matérielle. Con- naître la ville revient à expliciter la connaissance et la pra- tique que les hommes ont de la réalité urbaine (4).

Quelle a été la pratique urbaine des sociétés? Elle a été la

«radicalisation» ou, si l'on préfère, l'actualisation de ce qui était potentiel dans le territoire rural: centralisation, concen- tration, verticalisation, hétérogénéisation, médiatisation et mécanisation. Les hommes ont actualisé progressivement dans la ville des codes opposés à ceux de la campagne: en même temps, il y a eu changement d'échelle, de la petite à la grande, c'est-à-dire du grand territoire au petit territoire.

La centralisation n'est pas une pure notion géométrique.

Elle signifie le rassemblement «autour» de quelque chose:

elle est tout à la fois localisation et tension. La ville est d'abord née d'une idée politico-religieuse. Qu'on se souvienne des mythes de fondation urbains et du caractère sacré des limites de la ville. La centralisation évoque la volonté d'exer- cice du pouvoir: pouvoir politico-religieux originel puis pou- voir économique (marchand, industriel, financier). Là encore, la ville est radicalisation puisque son pouvoir devient de plus en plus immatériel: du bien à la monnaie, de la chose au

signe. En somme, la ville est le lieu de l'information, d'une information originelle qui lui donne naissance en premier lieu, et des informations qu'elle rassemble et qui la traversent ensuite.

Mais pour que subsiste cette centralité, il faut une concen- tration c'est-à-dire une accumulation humaine, une densité qui détermine une forte interaction humaine: «II apparaît bien que le jeu spatio-temporel: concentré — dispersé, doive être le facteur majeur de la société urbanisée» (1). De cette concentration, mal connue, de cette densité qui n'a guère retenu l'attention que sous sa forme arithmétique banale doit vraisemblablement émerger la créativité: «... la créativité glo- bale, c'est-à-dire le nombre total d'idées, de formes, de pro- duits nouveaux issus d'une société...» (1). II y a là une «loi»

mal connue des systèmes sociaux mais dont la mise en évi- dence permettrait de comprendre qu'une des propriétés de ce qu'on appelle la ville est la maximisation de l'information.

La verticalisation n'est que la radicalisation au niveau spa- tial de la centralisation et de la concentration. Sans elle, il n'est pas possible d'augmenter sur un territoire défini et cir- conscrit la densité. Elle n'es,t pas, comme on pourrait le pen- ser, la conséquence du progrès technique de la construction.

La Rome antique connaissait la verticalisation et la Genève de la Réforme a fait face à l'afflux des réfugiés en recourant à la verticalisation. Le développement vertical des cités con- temporaines ne constitue qu'une pratique extrémiste com- mandée par le jeu de la rente foncière.

L'hétérogénéisation ressortit d'une part à l'origine de la population et d'autre part à la différenciation et à la spéciali- sation des structures socio-professionnelles. Pendant long- temps, en particulier dans la période pré-industrielle, aucune ville n'a pu croître par ses propres moyens, elles ont toutes dû . compter sur des apports extérieurs en provenance des zones rurales. Aujourd'hui le bassin de recrutement des grandes métropoles est national, voire international. Hétérogénéité ethnique donc, raciale même, mais aussi hétérogénéité des fonctions qui font croître la probabilité d'interactions fécon-des et celle de la confrontation d'informations diverses.

La médiatisation n'est, elle, que la radicalisation au niveau instrumental de la centralisation et de la concentration. Les collectivités urbaines n'ont plus de relations directes avec les sources d'énergie alimentaire. Elles dépendent pour leur approvisionnement d'un environnement proche ou lointain selon les époques. Environnement sur lequel elles accumulent de l'information et avec lequel elles sont liées par des réseaux de communication et de circulation. Ces réseaux constituent les premiers instruments territoriaux qui permettent une médiation avec les sources d'énergie. Mais la médiatisation n'est pas le propre de la relation intérieur-extérieur, seule- ment, elle marque aussi les rapports intra-urbains en raison même de l'hétérogénéité des structures socio-professionnelles ou plus généralement fonctionnelles.

La mécanisation, enfin, est la conséquence de la médiatisa- tion. Le terme de «mécanisation» est à prendre au sens large c'est-à-dire dans le sens du développement des instruments exosomatiques (5). Les relations urbaines sont de plus en plus médiatisées par des instruments, ce qui a ouvert à la mécani- sation des possibilités énormes.

Les relations de l'homme à la ville, la connaissance et la pratique que l'homme a de la ville sont profondément mar- quées par les éléments que j'ai mis en évidence. Mais surtout l'actualisation de ces éléments a eu des conséquences énormes qui intéressent particulièrement l'écologie humaine. Je vais en évoquer rapidement un certain nombre.

La centralisation, poussée à l'extrême comme elle l'a été dans Certaines régions, a contribué à créer des déséquilibres spatiaux et à engendrer des disparités régionales qu'on cherche à éliminer. Les remèdes proposés par les aménageurs sont, à ce titre, évocateurs : la France n'a-t-elle pas imaginé la notion de métropole d'équilibre qui a fait long feu et marqué

3749

(3)

tout un courant de pensée qu'on retrouve un peu partout en Europe? La Suisse ne vient-elle pas dans le cadre d'un pro- gramme national de mettre les régions en lumière pour tenter de lutter, sans le dire, contre la centralisation zurichoise qui depuis une cinquantaine d'années s'affirme sans discontinuer?

La centralisation est d'abord source d'économies puis elle devient source de déséconomies. Déséconomies rejetées sur l'environnement telles que celles créées par la pollution et les nuisances, déséconomies engendrées par le coût élevé de ges- tion des grands systèmes urbains et de leurs transports. Ceci dit, cela ne signifie pas qu'il faille chercher, puis déterminer, la dimension optimale simplement par rapport aux coûts de gestion car ce serait oublier la notion de créativité dont parlait Moles et Rohmer(1, 6). L'écologie humaine est confrontée, ici, avec l'analyse de trois paramètres dont le dernier n'est pas maîtrisable aisément: économies, déséconomies, créativité.

Stabiliser la croissance des villes, en admettant que cela soit possible, en fonction seulement des économies et des déséco- nomies pourrait avoir des conséquences incalculables sur le plan de la créativité sociale.

La concentration, autre face de la centralisation, détermine des problèmes d'habitabilité et de mobilité qui réagissent sur les relations quotidiennes qui prennent naissance à l'intérieur de la ville. La concentration a totalement modifié la notion traditionnelle de distance car au-delà du caractère labyrin- thique de la ville qui conduit à adopter une métrique particu- lière, la distance n'a de sens qu'en fonction du temps. La rela- tion habitat-lieu de travail, la relation habitat-lieu de consom- mation s'apprécient par rapport au budget-temps social dispo- nible: l'accessibilité est plus temporelle que spatiale. L'acces- sibilité est, de fait, l'un des gros problèmes des métropoles contemporaines. Celles-ci peuvent offrir une variété et une qualité de services remarquables mais dont l'utilité demeure faible pour des fractions plus ou moins grandes de la collecti- vité en raison du coût d'accessibilité temporel trop élevé.

La verticalisation, exception faite de la dépense accrue d'énergie qu'elle provoque semblerait déterminer, mais ce n'est encore qu'une hypothèse, une pathologie spécifique qui se situerait entre la médecine générale et la psychiatrie. Dans les grands ensembles, le problème a, peut-être, pour origine la structure des relations humaines. Alors que les distances spa- tiales sont très réduites, les distances sociales semblent très grandes ce qui est parfois renforcé par l'hétérogénéité dont il a été question plus haut, qu'elle soit ethnique, raciale ou socio-professionnelle. II y a là un champ de recherche très riche pour l'écologie humaine.

Quant à la médiatisation et à la mécanisation, leurs effets sur l'ensemble des relations de l'homme aux êtres et aux cho- ses sont énormes. Toutes les relations sont nécessairement triangulaires, elles passent toutes par l'intermédiaire d'un ins- trument généralement complexe. Les relations sont du type homme-instrument-homme. Elles sont rarement, pour ne pas dire jamais, d'un autre type. La conséquence la plus immé- diate est que la ville, par la médiatisation et la mécanisation, est dévoreuse d'énergie. Si subitement, et la chose n'est pas si invraisemblable qu'on ne puisse pas l'évoquer, il y avait une rupture drastique de l'alimentation énergétique des villes, entre 50 et 80% de la population serait dans des lieux inhabita- bles et rapidement répulsifs puisque la plupart des relations deviendraient impossibles.

La ville est créatrice d'information, certes, mais seulement et seulement si elle est convenablement approvisionnée en énergie. La ville est devenue d'une extrême fragilité. Tout au long de l'histoire cela a été le cas mais ce l'est encore bien plus aujourd'hui. Si nous ne repensons pas l'aménagement de la ville dans la perspective d'une moindre dépense énergétique nous allons à la catastrophe. Les villes sont plus mortelles que jamais.

A cet égard, la ville est une métaphore car elle témoigne dans son développement particulier de la loi universelle de l'entropie vers laquelle tes sociétés vont inévitablement.

Bibliographie

1. Moles A. et Rohmer E.: Psychologie de l'espace, p. 17, Caster- mann, Paris, 1972.

Barel Y.: Le paradoxe et le système, essai sur le fantastique social, p. 34, PUG, Grenoble, 1979.

3. Bateson G: L'écologie de l'esprit, t. 1, Seuil, Paris, 1977.

4. Sur cette conception des sciences humaines, cf. Prieto L.: Perti- nence et pratique, Ed. de Minuit, Paris, 1975.

5. Georgescu-Roegen M.: Demain la décroissance, p. 83, Ed. Favre, Lausanne, 1979.

6. Sur cette approche des coûts, cf. Bairoch P. : Taille des villes, conditions de vie et développement économique, Editions de l'Ecole des hautes études en sciences sociales, Paris, 1977.

Adresse de l'auteur: Centre universitaire d'écologie humaine et des sciences de l'environnement, Université de Genève, 1211 Genève 4.

Références

Documents relatifs

On a ici les bases d'une vraie culture de violence, qui n'est pas le propre des jeunes (les hooligans anglais les plus durs sont des adultes) dans la mesure où elle s'instaure

Quoique cette loi ne soit pas fortement présente dans l’architecture moderne, mais elle perpétué dans le tissu colonial de la ville de Annaba, ce qu’indique

16 Les expériences de ces deux processus éducatifs, ainsi que la passerelle entre la pratique pédagogique à l’école primaire et celle de l’université, nous conduisent à

L’eau imprègne les êtres de sa substance affreuse, comme pour les ramollir et ensuite les liquéfier ; l’air s’insinue dans leurs poumons pour transformer leur haleine en

Avec les animaux de ferme, nous produisons des biens alimentaires (lait, œufs, viande…) et des services (entretien des territoires, production de paysages…), avec les animaux dits

d’emplois Il doit y avoir un grand nombre de place de travail et elles doivent être concentrées sur le

d’emplois Il doit y avoir un grand nombre de place de travail et elles doivent être concentrées sur le

Il est important de trouver l'équilibre entre l'agrégation dans les quartiers et l'ouverture à la mobilité sociale et territoriale dans la ville.. Non pas au moyen d'une