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Codes, codification et presse américaine : une rencontre en demi-teintes

Classiquement, lorsque l’on tente de définir la common law, on commence par l’opposer à un autre système juridique, celui de civil law, à comprendre comme « système juridique inspiré par le droit romain », et donc codifié. Selon les auteurs, la common law « est un droit non écrit, et ne peut être qu’un droit non écrit (…) [U]ne codification ne reviendrait pas simplement à le transposer par écrit, mais à le dénaturer radicalement, puis à l’éradiquer : l’écriture serait une fixation de ce qui n’est précisément pas fixé et ne veut pas m’être, une détermination de ce qui reste toujours à déterminer ou plutôt à re-déterminer1 ». Transportée aux États-Unis, la common law s’y est ancrée ; pourtant, cela n’empêcha pas ce pays, ou du moins certains de ses États, de tenter de codifier leur droit. « Aux États-Unis, l’expérience de la codification peut être successivement envisagée en trois phases : une attirance évidente (1800-1865) ; une réaction allergique (1865-1910) et depuis 1945, une intégration subreptice2 ». Il est même possible d’en rajouter une quatrième, répondant sans doute à une nécessité dans les premières colonies3.

Pendant presque un siècle après leur indépendance, de nombreux Américains, soutenus bien sûr par les efforts de Bentham, argumentèrent farouchement en faveur de la codification : censée mieux protéger de l’arbitraire des juges, elle présentait un remède parfait à une common law décrite comme barbare, féodale et monarchique4. Pourtant, les résultats furent légers, à l’exception de notables exceptions : la Louisiane et la Californie connaissent ou ont connu un Code civil, tandis qu’un Code de procédure civile est apparu à New-York, faisant de nombreux émules5.

Éminemment juridique, le sujet de la codification est également politique : par exemple, une large part des désirs de codification prenaient leur source dans l’anglophobie en vigueur après l’Indépendance6. Il aurait ainsi existé, entre les années 1820 et 1860, une aspiration du peuple à la codification guidée par l’hostilité nationale envers la common law, la suspicion des profanes envers les privilèges des juristes, l’augmentation de la masse complexe de la jurisprudence, le succès du Code civil français et par dessus tout l’influence de Jeremy Bentham7. Certains auteurs voient d’ailleurs dans l’échec du Code civil new-yorkais la victoire « des conservateurs, politiquement et intellectuellement hostiles au gouvernement par

1 D.ALLAND ET S.RIALS (dir.), Dictionnaire de la culture juridique, PUF, 2014, p. 244.

2 S.HERMAN, « Historique et destinée de la codification américaine », Revue internationale de droit

comparé, vol. 47, n°3, juillet-septembre 1995, pp. 707-735. Voir également S. DRU, « Costs of Codification », University of Illinois Law Review, vol. 1, 2014, p. 1139.

3 L.M.FRIEDMAN, A History of American Law, New York, 2010, p. 90 : « Il est frappant de constater que le droit colonial était un droit codifié. Pourtant, il existait des juridictions de common law, et la

common law est essentiellement non-écrite. (…) Pourquoi donc existait-il des codes américains, même

dans les premières colonies ? En un sens, la codification est naturelle dans les colonies. Un nouveau peuple ne peut s’asseoir et attendre l’évolution. L’Angleterre pouvait faire avec une constitution non écrite, mais pas les États-Unis. Tout nouveau départ demande une codification. (…) ». Toutes les

traductions sont de l’auteure.

4 D.SEIPP, « Our Law, Their Law, History and the Citation of Foreign Law », Boston University Law

Review, vol. 86, 2006, p. 1425.

5 Nous laissons de côté les travaux types collections of common law rules, revised statutes ou

restatements of the law pour nous attacher aux textes plus proches de nos codes européens, à savoir

présentant une volonté de cohérence et de systématisation. 6 D.SEIPP., op. cit., p. 1425.

7 C.WARREN, A History of the American Bar, Boston, 1911, p. 508.

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les “masses” »8. La doctrine semble obsédée par la codification et « chaque auteur s’est senti obligé de faire valoir ses vues dans des travaux de toutes sortes »9, créant sur le sujet une « littérature gigantesque [au travers] de tous les forums possibles : articles, fascicules, introductions de manuel, oraisons patriotiques ou commémoratives, discours introductifs, pétitions législatives ou rapports sur les commissions de codification »10.

Par ailleurs, les codes, et tout spécialement les codes civils, sont réputés être des livres pour le peuple et non uniquement pour le juriste ou le magistrat11. Il est donc possible de se demander dans quelle mesure ces débats, générant tant d’écrits et mettant le citoyen à la place centrale, lui sont effectivement parvenus. Il nous a ainsi semblé opportun d’examiner un type de littérature populaire majeur à cette époque, à savoir la presse. Ce média a en effet un poids particulièrement fort aux États-Unis et la liberté de la presse comptait d’ailleurs parmi les revendications ayant mené à la guerre d’Indépendance. Des années 1810 à 1830, des journaux puissants et coalisés, tels que le Washington Globe ou The Enquirer, sont qualifiés de « machines politiques » dominées par les partis et sont également redoutés dans le domaine économique ou financier12. Les années suivant 1830 connurent un tournant et signèrent l’entrée dans la « culture médiatique13 ». Tout d’abord, elles voient l’avènement de la penny press, qui contrairement aux formules à abonnement, se vendait sous forme de quotidiens à un pence, permettant de toucher une audience plus large et un public plus populaire. Ce fut le premier média de cette nouvelle ère médiatique à prendre en compte la révolution industrielle et la démocratisation14. Dans le même temps, J. G. Bennett fonde le New York Herald, en 1835, baissant le prix de l’abonnement à 3 dollars pour là encore toucher le plus de monde possible. Comme il l’explique, « nous n’appartenons à aucun parti, nous ne sommes l’organe d’aucune faction ou coterie et nous ne soutiendrons aucun candidat, pas plus pour la présidence que pour le plus mince emploi. Notre but est de recueillir et de donner des faits exacts, des renseignements précis sur tout ce qui se passe. Notre journal s’adresse aux masses, au négociant comme à l’ouvrier, au banquier comme au commis15 ». Le journal eut un succès éclatant et fut suivi par beaucoup d’autres. Ainsi, en 1870, les États-Unis ont une population de 38 millions d’habitants dont 21 millions d’abonnés à quelques 6 000 titres. A la même époque, le reste du monde connaît, tout pays confondus, un peu plus de 7600 journaux et périodiques16.

L’ambition de Bennett, et de beaucoup de journalistes à sa suite, était donc de renseigner sur « tout ce qui se passe » ; or, à travers le pays, c’est la codification qui agite les esprits entre 1820 et 1870. Nous avons étudié de manière systématique les journaux de certains états ayant mené à bien la codification de tout ou partie de leur droit, tels que l’État

8 M.REINMANN, « The Historical School Against Codification : Savigny, Carter and the Defeat of the New York Civil Code », American Journal of Comparative Law, vol. 37, 1989, p. 96.

9 C.M.COOK, The American Codification Movement, A Study of Antebellum Legal Reform, Praeger, 1981, p. 109.

10 R. W. GORDON, compte-rendu de l’ouvrage de C. M. COOK, « The American Codification Movement », Vanderbilt Law Review, vol. 36, 1983, p. 431.

11 R. A. PASCAL, « Of the Civil Code and Us », Louisiana Law Review, vol. 59, 1998, p. 305. Remarquons que l’auteur file la métaphore autour d’une « Miss Louisiana Civil Code ».

12 C. DE VARIGNY, « Le journalisme aux États-Unis », Revue des Deux Mondes, tome 20, 1877, pp. 113-131. Voir aussi D. FRAU-MEIGS, « Le journalisme aux États-Unis : une profession sous influences », Parlement[s], Revue d'histoire politique, vol. 2, 2004, pp. 64-79.

13 L.LIÉBART, « La Newspaper story aux États-Unis à la fin du XIXe siècle : un genre emblématique des relations ambiguës entre littérature et journalisme », COnTEXTES [En ligne], 11 | 2012, mis en ligne le 18 mai 2012.

14 Ibidem.

15 C. DE VARIGNY, op. cit., p. 118. 16 Ibidem.

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de New-York, la Géorgie, le Dakota du Nord, la Californie et bien sûr la Louisiane17. Nous avons pour cela procédé à une recherche par mots-clés, en mettant l’accent sur celui de « codification18 » plutôt que de « code19 », et avons circonscrit temporellement notre recherche aux dix ans qui précèdent et suivent la promulgation d’un code dans ces états.

La question qui se posait à nous était donc la suivante : comment la presse de l’époque s’est-elle emparée du sujet de la codification ? En réalité, nos recherches nous ont même poussée à la question qui aurait dû subvenir antérieurement : la presse de l’époque s’est-elle emparée de la codification ?

En effet, au grand étonnement de la juriste civiliste que nous sommes, la codification ne semble pas avoir été un événement majeur pour la presse du milieu du XIXe siècle. Présente dans la littérature juridique et au cœur des débats politiques, elle est assez peu évoquée de ce média. Elle n’est pourtant pas totalement occultée de ses colonnes, ouvertes aux opposants comme aux tenants de la codification. Les arguments techniques et juridiques cohabitent alors avec des assertions classiques ou choisies pour frapper les esprits.

En matière de codification, le sujet est donc relativement peu évoqué (I) et quand il l’est, c’est de manière contrastée (II).

I. Un sujet peu évoqué

Le sujet du procédé dit de « codification » nous semble délaissé par la presse par rapport aux débats qu’il a suscité. Pour autant, il serait précipité d’en déduire un désintérêt de la presse ou de l’opinion à son égard ; d’autres raisons semblent pouvoir être avancées pour l’expliquer (A). En comparaison, le Code Napoléon, vu comme « objet étranger », a lui suscité un intérêt occasionnel (B).

A. Les raisons d’un sujet délaissé

En commençant cette recherche, nous nous attendions à ce que la presse s’empare massivement du procédé de codification et l’expose à ses lecteurs, mais force à été de constater que cela ne transparaît pas dans la base de données choisie20. Il est difficile de parler de l’absence, et encore plus difficile de la quantifier précisément. Toujours est-il que nous avons tenté de dégager quelques hypothèses quant à ce désintérêt. L’évidence serait de dire que le sujet est trop « juridique », que la presse de l’époque ne traite pas de droit et que ce domaine reste donc entre les mains d’un petit cénacle. Concernant la technicité de la codification, cette hypothèse nous semble démentie par le fait que l’on trouve malgré tout des

17Nous avons utilisé le site de la Librairie du Congrès étatsunien, qui donne accès à près de trois mille

journaux numérisés, couvrant tout le pays sur la période comprise entre 1789 et 1924. http://chroniclingamerica.loc.gov/newspapers/

18 En prenant en compte le fait que le terme a deux sens en common law : dans un sens restreint, il renvoie à une disposition législative précise qui reprend une règle venant de la common law ; dans un sens plus large, il désigne une loi codificatrice qui circonscrit un domaine du droit. C’est bien sûr ce second sens qui a retenu notre attention. A. GRENON, « Codes et codifications : dialogue avec la

common law ? », Les Cahiers du droit, vol. 46, 2005, p. 56.

19 Nous avons également regardé de ce côté, mais les résultats surabondants rendaient le dépouillement impossible ; de plus, la très grande majorité des mentions se trouvent dans le cadre d’une publicité ou sont faites « en passant », dans des articles sans lien avec le procédé de codification en lui-même. 20 A titre d’illustration, nous avons procédé à une recherche du mot « codification » dans les journaux de l’État de New-York pour la période 1800-1870 : seuls 139 pages sont concernées sur les plus de douze millions disponibles.

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éléments sur ce procédé dans les journaux dits « grand public »21. Quant à affirmer que la presse ne traite pas de droit, il aurait été nécessaire de lire in extenso tous les journaux de l’époque pour vérifier cela. Il nous paraît de plus illusoire de penser que des thèmes tels que l’abolition de l’esclavage, la liberté d’expression ou encore la peine de mort n’aient jamais été traités. Ainsi, nous nous sommes cantonnées à trois raisons qui nous semblent autant de commencement d’explications à ce décalage entre effervescence des débats politiques et calme dans la presse : une raison méthodologique, une raison journalistique et une raison pragmatique.

La première raison est une raison méthodologique. En effet, malgré tous les soins pris et les réflexions visant à éliminer le plus de biais possibles, la question de l’accès aux sources reste un élément incontournable. Comme nous l’avons évoqué, nous avons eu à cœur de travailler à partir du matériel le plus large et diversifié possible. Pour autant, il a pu manquer des numéros, voire des journaux entiers à notre étude. Ce fut le cas par exemple pour la Géorgie, qui s’est dotée d’un code en 186122. Parmi les journaux qui nous sont accessibles, seul un couvre la période qui nous intéresse, le Memphis Daily Appeal ; or, comme son nom l’indique, s’il couvre la Géorgie, il est édité dans le Tennessee. Il y avait donc peu de chance qu’il fasse grand cas de la codification dans un autre État. En l’espèce, nous avons réussi à trouver d’autres journaux de cet état23, tels que le Colombus Enquirer et ou l’Atlanta Intelligencer (qui d’ailleurs ne traitent pas du sujet non plus), mais rien ne nous indique que nous avons eu accès à la totalité de la presse écrite ayant circulé à cette période dans l’État. Ainsi, l’absence de traitement du sujet pour une simple raison d’absence de source n’est pas à négliger.

Une deuxième raison peut elle être d’ordre journalistique ou éditoriale : à partir de 1832, la presse, qui était jusqu’à là l’organe des partis politiques, opère un tournant et apparaît alors une presse d’information indépendante, incarnée par Bennett24. Auparavant, les journaux avaient des partis à soutenir et donc des systèmes politiques à étayer, voire à justifier. Sur le modèle anglais, les articles de fond prenaient toute la place, ne comportaient que très peu d’alinéas et développaient très longuement leurs arguments de numéro en numéro, rendant la lecture d’un article pris séparément incompréhensible. Bennett, lui, est libéré de ces contingences et introduit dans son journal « l’article court, nerveux, précis, l’entrefilet, le paragraphe découpé en alinéas, le bulletin résumé des nouvelles du jour (…) Les articles politiques sont remplacés par les documents officiels, les résultats d’élections expurgés de tout commentaire25 ». De très nombreux journaux étudiés relatent fidèlement les débats ayant lieu à l’Assemblée ou au Sénat, sans filtre mais sans analyse non plus26. Nous y retrouvons bien sûr le thème de la codification, puisqu’il fut au cœur du débat. Il est possible d’y voir une porte d’entrée vers le sujet pour le lecteur profane, mais l’absence d’analyses, de critiques ou de commentaires de la part des rédacteurs nous font exclure ces recensions du cadre de notre étude.

La troisième raison est d’ordre pragmatique, voire « marketing », et recouvre le cas où les journalistes ont pu considérer que ce n’était pas utile de parler de la codification. Contre toute attente, c’est le cas de la Louisiane qui a fait émerger cette hypothèse. Nous ne reviendrons pas sur le cas très particulier du système juridique de cet État, qui a été

21 Cf. infra.

22 Anon., « History of the First Georgia Code », American Law Review, vol. 25, 1891, p. 948. 23 http://gahistoricnewspapers.galileo.usg.edu/regions/atlanta/

24 Cf. supra.

25 C. DE VARIGNY, op. cit., p. 117.

26 Parmi les nombreux exemples, le numéro du New York Herald du 9 janvier 1847 se montre particulièrement fidèle aux détails dans sa chronique intitulée « Legislative Proceedings » : « C’est un matin sombre et nuageux, une forte averse tombe. Le Sénat est plein (…) ».

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longuement traité27. Nous rappellerons juste que classiquement, on le dote de trois codes civils successifs : le Digeste de 1808, le Code civil de 1825 et le Code civil de 187028. Nous nous sommes heurtées ici au problème méthodologique évoqué, en ne disposant pas de journaux couvrant les deux premières périodes, mais nous avons pu avoir accès à ceux des années 1870, qui se caractérisent eux aussi par la pauvreté des références faites à cet événement. Il nous semble ici qu’un phénomène « d’usure » a pu jouer : de par ses racines françaises et espagnoles, l’État est habitué au système civiliste et aux codes, cela ne faisant pas d’une nouvelle codification un événement majeur. De plus, ce qui est présenté comme une « codification » en 1870 n’est finalement qu’une révision, rendue obligatoire par la Guerre de Sécession. Le code de 1870 resta donc substantiellement identique à celui de 1825, mis à part les changements concernant l’esclavage et l’intégration des lois et amendements passés depuis 192529. En revanche, une nouveauté est à noter : auparavant rédigé en deux langues, le Code ne sera désormais plus qu’en anglais, le français ayant été abandonné. Ce changement, déjà réclamé par certains en 185530, aurait pu agiter la presse francophone, abondante en Louisiane31 : à notre connaissance, il n’en est rien. Ce déclin de la langue française a été porté au crédit, entres autres, d’un usage de l’anglais devenu quasi-universel dans les sphères politiques, juridiques et administratives32.

Pour de multiples raisons, la codification n’a pas été un thème majeur de la presse ; en comparaison, le Code Napoléon a pu en revanche susciter un intérêt occasionnel.

B. Un Code suscitant un « intérêt occasionnel33 »

Le Code civil français de 1804 est réputé avoir influencé de nombreux pays, voire systèmes juridiques : l’Europe au gré des conquêtes napoléoniennes, la Louisiane, l’Amérique du Sud ou encore le Japon34. Concernant les États-Unis, il nous paraît être un objet

27 Parmi de nombreux exemples, citons J. DAINOW, « Le droit civil de la Louisiane », Revue

internationale de droit comparé, vol. 6, 1954 ; M.E.BARHAM, « La méthodologie du droit civil de l’État de Louisiane », Revue internationale de droit comparé, vol. 27, 1975 ; R.K.WARD, « La culture bijuridique en Louisiane », Revue générale de droit, vol. 32, 2002 ; A.N. YIANNOPOULOS, « Civil Codes of Louisiana », Civil Law Commentaries, vol. 1, 2008 ; O.MORÉTEAU, « De Revolutionibus : The Place of the Civil Code in Louisiana and in the Legal Universe », Journal of Civil Law Studies, vol. 5, 2012 ; F.-X.LICARI, « François Gény en Louisiane » dans O. CACHARD,F.-X.LICARI et F. LORMANT (dir.), La pensée de François Gény, Dalloz, Thèmes et commentaires, 2013.

28 A.N.YIANNOPOULOS, op. cit., p. 1. 29 Ibid., p. 14.

30 The Weekly Comet, 11 février 1855.

31 A.BELISLE, Histoire de la presse franco-américaine, Worcester, 1911, p. 212. 32 O.MORÉTEAU, « De Revolutionibus : (…) », op. cit., p. 232.

33 J. O. MURDOCK, « Le Code civil français vu par un Américain », Revue internationale de droit

comparé, vol. 6, Octobre-décembre 1954, pp. 679.

34 Entre autres nombreux exemples, « Le Code civil français et son influence en Amérique », Revue

internationale de droit comparé, vol. 2, Octobre-décembre 1950, pp. 765-771 ; « Le Code civil

français et son influence en Europe », Revue internationale de droit comparé, vol. 2, Octobre-décembre 1950, pp. 757-765 ; I. MASAO, « L'influence du Code civil français sur le droit civil japonais », Revue internationale de droit comparé, vol. 6, Octobre-décembre 1954, pp. 744-752 ; J.-L. HALPÉRIN, « Deux cents ans de rayonnement du Code civil des Français ? », Les Cahiers de droit, vol. 46, 2005, p. 231 ; F. SANTOS, « Napoleon in America ? Reflections on the Concept of « legal réception » in the Light of the Civil Law Codification in Latin America », T. DUVE (dir.),

Entanglements in Legal History : Conceptual Approaches, 2014, pp. 297 ; S. SOLEIL, Le modèle

juridique français dans le monde. Une ambition, une expansion (XVIe-XIXe siècle), IRJ éditions,

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d’admiration dans la littérature savante (1), mais réduit à un objet de curiosité dans la littérature populaire qu’est la presse (2).

1. Un objet d’admiration dans la littérature savante

Plusieurs articles nous disent que les « Américains applaudirent (…) la promulgation du Code civil français35 » et que « les promoteurs d’une codification américaine soulignaient avec admiration et envie le succès du Code Napoléon français, dont des parties furent traduites immédiatement dans le premier journal de droit des États-Unis36 ». Selon un auteur, « le Code Napoléon était connu dans de nombreux cercles aux États-Unis et a fait l’objet d’une longue recension dans un périodique populaire de l’époque37 ». La recension évoquée est parue dans the North American Review38, le plus ancien magazine littéraire du pays. E. C. Surrency la décrit comme une revue « populaire » mais il nous semble qu’il faille surtout entendre par là « non-juridique » ou « profane ». En effet, ce magazine a été fondé à Boston en 1815, sous l’égide de cinq personnes : trois pasteurs, le recteur de Trinity Church et un citoyen influent de Boston. Sa vocation est de refléter et de faire rayonner la culture intellectuelle, les goûts et les idées de Boston et de la Nouvelle-Angleterre. Malgré nos recherches, il ne nous a pas été possible de trouver le prix du numéro concerné, ce qui nous aurait donné un précieux indice quant à l’audience visée. Pour autant, il nous semble que cette revue s’adresse à un public instruit et aisé.

Concernant le contenu de la recension, les premières pages sont résolument en faveur de Napoléon : « comme son caractère et ses talents sont ici présentés sous un certain point de vue, dont beaucoup de nos lecteurs ne sont pas familiers, et que personne ne jugera inintéressant, nous nous proposons de dédier un article à ce sujet39 ». Cela n’est pas pour surprendre, d’autant plus que l’auteur prend grand soin de bien séparer la personne de Napoléon des « crimes40 » commis pendant la Révolution française : si cette dernière avait terni l’image de la France en Nouvelle-Angleterre, la bonne société bostonienne avait maintenu des liens avec le Vieux Continent et entendait les conserver41. Ensuite, après un long rappel de l’histoire de France, des migrations barbares aux distinctions entre pays de droit écrit et de coutume, la recension s’attarde sur la période précédant le Code et sur les projets préparatoires42. Enfin, ce n’est qu’à la page 493 qu’elle commence à se livrer à ce qui

35 S.HERMAN, op. cit., p. 708. 36 D.SEIPP., op. cit., p. 1425.

37 E.C.SURRENCY, « The Georgia Code of 1863 and Its Place in the Codification Movement », 11

Journal of the Science of Legal History, 2003, p. 82.

38 « Code Civil, suivi de l'Exposé des Motifs sur Chaque Loi présenté par les Orateurs du Gouvernement, etc. ; Conférence du Code Civil avec la Discussion particulière du Conseil d'État et du Tribunat, etc. ; Code de Procédure Civile ; Code Pénal, suivi des Motifs présentés par les Orateurs du Gouvernement, etc. ; Code d' Instruction Criminelle, suivi des Motifs, etc. ; Code de Commerce; Les cinq Codes avec Notes et Traités pour servir à un Cours complet de Droit Français; à l'Usage des Étudiants en Droit, et de toutes les Classes de Citoyens cultivés by J. B. Sirey », The North American

Review, vol. 20, 1825, pp. 393-417.

39 Ibid., p. 397.

40 Ibidem.

41 B. F, « La langue française à Harvard », Harvard et la France – Recueil d’études publié en

l’honneur de l’Université Harvard, 1936, p. 205.

42 Un autre élément nous amènerait trop loin, mais nous paraît intéressant à souligner. À la page 397, il est dit que « Du Moulin (…) se dévouât au droit coutumier et le plus célèbre de ses travaux est son commentaire de la Coutume de Paris. Ce travail n’est pas dépourvu d’intérêt pour le juriste américain instruit, en ce que la Coutume de Paris, pour emprunter les mots de notre contributeur de Juillet 1821,

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n’est qu’une description du contenu du Code, bien que le mot employé soit « analyse43 ». Quant à l’utilité d’un tel Code, l’auteur reconnaît « que c’est la grande question, dans laquelle il ne s’aventurera pas à répondre44 ». En réalité, il s’y montre tout de même favorable, à condition que la codification soit accomplie par les juristes les plus compétents et les plus légitimes et qu’elle soit approuvée par le corps législatif.

Au vu des précédents développements, nous nous attendions donc naïvement à trouver le Code Napoléon largement cité dans la presse en parallèle des différents mouvements de codification ; or, il ne l’a été que bien peu, et toujours de la bouche de juristes45, non de journalistes. Toutefois, si le Code ne semble pas être un exemple pour eux, il n’en demeure pas moins être un objet de curiosité.

2. Un objet de curiosité dans la presse

Dès 1848, Bennett soutient la création de l’Associated Press, afin de se procurer les nouvelles du Vieux Continent au plus vite : dès l’arrivée des navires transportant les journaux européens en Nouvelle-Ecosse, Pony Express et goélettes se relaient jusqu’au New Brunswick, où les informations importantes sont télégraphiées à Wall Street. Grâce à cela, Bennett parvint à les publier avec un jour d’avance sur ses concurrents. Les Étatsuniens sont donc bien alimentés en nouvelles européennes, et il est à noter qu’elles ne figurent pas forcément toutes dans des rubriques spéciales, tout comme les nouvelles de la France ne concernent pas toutes Paris.

C’est dans ce cadre que nous avons trouvé de fréquentes mentions au Code Napoléon : certaines sont insérées dans des articles de réaction à un contexte particulier (a) tandis que d’autres nous semblent révélatrices des clichés entretenus envers les Français (b).

a. Des réactions contextuelles

Parmi les différents articles évoquant le Code Napoléon, certains thèmes semblent récurrents tels la question de la double nationalité46 et celle du droit des femmes.

Concernant le premier thème, mis à part un article datant de 1897, les autres sont concentrés entre fin mai et fin août 1915, concernent différents États et relatent la même histoire. Tout commence lorsque qu’en mars 1915, P. A. Lelong, né à la Nouvelle-Orléans d’un père né français mais naturalisé américain, demande conseil au ministre des Affaires Étrangères47 : envisageant un voyage d’affaires en France, il se demande si le gouvernement de ce pays pourrait lui imposer le service militaire. La réponse du secrétaire Bryan va être la

“forme une sorte d’introduction, fut appliquée dans toutes les colonies françaises et de cette manière a été imbriquée dans les lois de l’un des états de cette Union”. L’État en question est la Louisiane, et la contribution de juillet 1821 est une recension de la traduction de Pothier. Cela nous paraît un indice de plus quand au degré d’érudition de la revue.

43 Ibid., p. 393. 44 Ibid., p. 416.

45 Tels que David Field (The New York Daily Tribune, 16 janvier 1851), le chancelier Walworth (The New York Herald, 25 avril 1847), l’ancien juge Roger A. Pryor (The Evening Standard, 30 décembre 1910).

46 « Naturalization Does Not Excuse a Frenchman From Military Service at Home », The Evening

Star, 11 novembre 1897 ; « Calls for Repudiation of the Doctrine of Dual Nationality », The Sun, 22

mai 1915 ; « When Is An American Not an American ? », The Ogden Standard, 22 mai 1915 ; The

Bee, 22 mai 1915 ; The Washington Herald, 22 août 1915. ; « A Dual Nationality », The Princeton Union, 27 mai 1915 ; « Dual Nationality », The Rock Island Argus, 3 juillet 1915.

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suivante : « L’article VII du Code civil français disposant qu’est de nationalité française toute personne née d’un Français, en France ou à l’étranger, il nous apparaît que vous êtes doté d’une double nationalité et de ce fait, nous ne pouvons vous assurer de votre exemption du service militaire français si vous vous placez volontairement sous la compétence juridictionnelle de ce pays ». Théodore Roosevelt, dans une lettre ouverte reprise par les journaux, s’insurge de cette réponse qu’il qualifie de « dangereusement proche de la trahison48 », estimant que la doctrine de la double nationalité « est d’une absurdité criante49 ». Les journalistes de leur côté parlent d’anti-américanisme50 et s’inquiètent pour la citoyenneté américaine, qu’ils estiment en péril51. En effet, le droit étatsunien refuse la possibilité d’une double nationalité, et par exemple, tout candidat à la naturalisation se doit de renoncer à sa première nationalité. Or, ce qui est simple en théorie pose en pratique des difficultés et cette simple anecdote, qui aura un retentissement assez important, nous paraît annonciatrice des difficultés de plus en plus grandes qui vont se poser en matière de conflits de lois. En effet, nous sommes en 1915, au début d’une guerre qui va redéfinir profondément les rapports et échanges internationaux. De plus, le cas de la France est ici mis en avant car c’est la nationalité du citoyen concerné, mais le Code Napoléon n’est finalement pas spécifiquement visé : le droit du sang était un des modes d’acquisition de la nationalité de la majeure partie des pays européens52.

Le deuxième thème faisant apparaître des mentions au Code civil français est celui du droit des femmes53. Il est à noter que la première femme journaliste dans un grand journal, Margaret Fuller, a été employée par le New York Tribune, qui consacre justement un article à la condition des femmes en France54. Pendant quatre ans, elle rédige de nombreux articles culturels et aborde également la politique, la condition des esclaves et des femmes et deviendra également la première femme correspondante d’un journal en étant envoyée en Europe55. Outre les tendances éditoriales d’un journal, cet intérêt pour ce thème peut être favorisé par cette période du début du siècle qui connaît désormais un féminisme bien installé, qui a commencé aux États-Unis en 1848. En France, les choses évoluent beaucoup plus lentement, mais l’année 1900 voient enfin le Barreau s’ouvrir aux femmes, ce que soulignent les journaux56. De même, ils mettent en avant certaines réformes de l’éducation, telles que la scolarité désormais obligatoire des garçons comme des filles57. Pour autant, ces articles suscités par des événements contextuels ne manquent jamais de souligner le retard pris par la France en la matière et de pointer la misogynie du Code civil58. Cette dernière ne semble pas

48 The Washington Herald, 22 août 1915. 49 Ibidem.

50 The Princeton Union, 27 mai 1915.

51 The Evening Star, 11 novembre 1897, également à propos d’une affaire de naturalisation. 52 The Rock island Argus, 3 juillet 1915.

53« The Women of France – Their Opportunities Being Widened by Education », The New York Daily

Tribune, 30 août 1903 ; The Evening Star, 1 septembre 1903 ; « Woman’s Right in France –

Erroneous Belief that Marriage Contracts Are Common », The Indianapolis Journal, 1er novembre 1903 ; « Women and Liberty – Marcel Prevost Says Ther Are Really Afraid of It », Fergus County

Argus, 4 août 1905 ; « “Obey”, Scored and Defended », The Washington Herald, 5 septembre 1920.

54 The New York Daily Tribune, 30 août 1903.

55 M. PAOLI, v° « Fuller, Margaret » dans A. FOUQUE, M. CALLE-GRUBER, B. DIDIER (dir.), Le

Dictionnaire universel des créatrices, 2013.

56 The New York Daily Tribune, 30 août 1903 ; The Evening Star, 1 septembre 1903 ; « Woman’s Right in France – Erroneous Belief that Marriage Contracts Are Common », The Indianapolis Journal, 1er novembre 1903.

57 The Evening Star, 1 septembre 1903. 58 Fergus County Argus, 4 août 1905.

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incompatible, dans l’esprit anglo-saxon, avec la légèreté des mœurs qu’il prête souvent à son cousin outre-Atlantique, et qu’il semble traquer dans les dispositions d’un Code civil « so cliché ».

b. Un code « so cliché »

Parmi les stéréotypes accolés à l’image du Français revient régulièrement celle d’une liberté de mœurs confinant parfois au libertinage. Si nous restions dans le cliché, nous dirions que cela ne pouvait donc que déplaire aux prudes WASP de ce tournant du XXe siècle. Toujours est-il que le mariage, et plus précisément ses côtés parfois scabreux, est un thème de prédilection59 pour les journalistes étatsuniens : les annulations de mariage sont ainsi très souvent relatées, certaines parce qu’elles ont défrayé la chronique60, d’autres parce qu’elles sont jugées divertissantes, certaines enfin parce qu’elles se prêtent à de discrètes leçons de morale. Dans ce dernier cas, nous pouvons relever l’histoire de ce marquis ayant épousé ce que l’époque aurait appelé une « aventurière ». La mère du jeune homme parvint à faire annuler le mariage pour défaut de consentement des parents et l’article se termine de cette manière : « le jugement a été reçu favorablement par l’opinion publique, tout particulièrement car un nouvel héritage est en jeu. De plus, il est considéré qu’aucune jeune femme française se respectant n’accepterait de rentrer dans une famille où elle se sait indésirable61 ». Il est à souligner que dans le cas du mariage du prince Jérôme, le journaliste aurait pu prendre parti en faveur de la jeune femme américaine ; or, là encore le non consentement des parents aux mariage semble une cause justificative parfaitement suffisante. Cela ne sera plus le cas en 1921, où le journaliste salue la France d’avoir fait un pas de plus vers la simplification du mariage en n’imposant plus le consentement des parents pour les femmes de plus de 21 ans62. A côté des annulations du mariage, les articles citant le droit français se sont également beaucoup penchés sur la question du divorce63. Avant 1840, moins de la moitié les États américains autorisaient le divorce pour cruauté mentale, et encore fallait-il qu’elle soit extrême ; toutefois, les conditions s’assouplirent peu à peu, mais le divorce pour faute resta en vigueur jusque dans les années 197064, forçant parfois les époux à des stratagèmes pour parvenir à la séparation. Le divorce semble devenu un sujet de société à cette époque là, ce qui justifie peut-être l’attrait pour la procédure française. Certains journaux vantent de plus sa facilité et le Richmond Times nous explique pourquoi il est désormais tellement à la mode d’aller divorcer à Paris : « une simple “insulte” permet d’obtenir le divorce, quelque soit le temps passé sur le sol français, et la confidentialité est assurée65 ».

59 « Prince Jerome’s Marriages », The New York Herald, 17 août 1856 ; « Timid, Pickle and Jealous Brides and Groom », The l’Anse sentinel, 3 octobre 1891 « Marquis ‘s Marriage Annulled », The Sun, vendredi 27 décembre 1901 ; « A Step Nearer Paganism », The Intermountain and Colorado Catholic, 18 février 1905 ; « French Marriage and Divorce », The New Haven Morning Journal and Courier, 20 juillet 1906 ; « France Makes a Move to Encourage Marriage by Putting End to “Red Tape” »,

Richmond Times Dispatch, 8 juin 1921.

60 Telles que l’annulation du mariage du prince Jérôme. « Prince Jerome’s Marriages », The New York Herald, 17 août 1856.

61 « Marquis ‘s Marriage annulled », The Sun, vendredi 27 décembre 1901. 62 Richmond Times Dispatch, 8 juin 1921.

63 « The Divorce Question in France », The Sun, 11 février, 1880 ; « French Marriage and Divorce »,

The New Haven Morning Journal and Courier, 20 juillet 1906 ; « Why It’s Fashionable Now to Go to

Paris for A Divorce », The Richmond Times-Dispatch, 6 juin 1920.

64 S.COONTZ, Mariage, a History : How Love Conquered Marriage, Penguin, 2006, p. 347.

65 « Why It’s Fashionable Now to Go to Paris for A Divorce », The Richmond Times-Dispatch, 6 juin 1920. Cette estimation de la situation nous paraît à nuancer : il est visiblement ici fait allusion à la loi

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Après le mariage et le divorce, est également abordé le remariage : l’Intermountain and Colorado Catholic66 promet tous les feux du ciel à la France, où le Sénat veut abolir l’article 289 du Code civil interdisant au conjoint adultère de se remarier avec son complice. « Voilà, selon le journaliste, un coup fatal de plus porté à la famille ».

Même si la presse ne s’est pas emparée massivement du sujet de la codification, elle ne pouvait toutefois pas passer à côté d’un événement aussi majeur que controversé. En raison de la volonté d’objectivité et des tendances éditoriales différentes, les mentions de la codification forment une présence contrastée.

II. Une évocation contrastée

Si l’on excepte le cas de la Californie67, les débats ont été houleux autour de ce procédé entre les pro et les anti-codifications. Souvent coincées entre deux entrefilets sensationnalistes68, les références à la codification par ses partisans exposent des arguments juridiques intemporels (A) ; les opposants eux ont plutôt tendance à user de critiques politiques (B).

A. La mise en avant d’arguments juridiques intemporels

La définition de la codification telle qu’envisagée par le droit positif français met l’accent sur plusieurs points : « [la] consolidation et [la] meilleure organisation des normes existantes »69, ce qui doit tendre à faciliter « l’accessibilité et l’intelligibilité des règles de droit »70. Dans cette optique, la codification permet de « créer un document unique dans une matière du droit »71, de « rassembler des normes dispersées [coordonnées] pour les rendre cohérentes et accessibles », de « clarifier le droit et de l’actualiser »72 et enfin de « mettre en évidence les lacunes du systèmes juridique et préparer les réformes nécessaires »73.

La simplification du droit, son accessibilité, sa clarification, son amélioration, tels sont les objectifs assignés à la codification de nos jours, et tels étaient également les objectifs assignés à la codification au XIXe siècle. En effet, dans les articles pro-codification des journaux étatsuniens, nous retrouvons infailliblement la mise en avant de ces divers éléments. Par exemple, il est dit que « la convention doit accomplir les mesures et sujets importants suivants : (…). Fournir une réforme profonde et systématique du droit ; pour une simplification des modes de procédure, les formalités antiques et artificielles en vigueur

Naquet du 27 juillet 1884, qui rétablit le divorce, mais avec le souci d’éviter « les débordements » de 1793. Les cas de divorce sont l’adultère, les excès, les sévices ou injures graves, la condamnation à une peine afflictive ou infamante. A. LEFEBVRE-TEILLARD, Introduction historique au droit des

personnes et de la famille, PUF, 1996, p. 218.

66 « A Step Nearer Paganism », The Intermountain and Colorado Catholic, 18 février 1905.

67 Cela est mis sur le compte de la mentalité californienne, désireuse de prouver sa capacité à être un État, à fournir un objet intellectuel et à marquer l’histoire américaine. L. GROSSMAN, « Codification and the California Mentality », Hastings Law Journal, vol. 45, 1994, p. 626.

68 Dans un journal, l’encart consacré à la codification, intitulé « Un important sujet pour la législation », se trouve entre « Tentative désespérée d’évasion » et « L’acte odieux d’un père ».

Sacramento Daily Record-Union, 17 février 1880. 69 https://www.legifrance.gouv.fr/

70 Ibidem. 71 Ibidem. 72 Ibidem. 73 Ibidem.

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provoquant des retards et ayant un coût très élevé, allant parfois jusqu’au déni de justice ; pour finalement arriver à la codification de la masse des lois non écrites, de façon à ce que les individus connaissent facilement les règles les gouvernant, soient assurés de façon claire et certaine de leurs droits, que les querelles soient réduites et la justice favorisée74 ».

Ainsi, les bénéfices de la nécessaire connaissance du droit par les citoyens75, de la simplification76 et de l’uniformisation77 sont des points mis retrouvés dans divers États.

Nous pouvons également remarquer que certains de ces arguments se retrouvent dans une sorte de « courrier des lecteurs », organisé par le New York Daily Tribune entre David Field, le promoteur du Code de Procédure civile de New-York, et certains citoyens. A. J. Parker, d’Albany, nous dit « regarder l’uniformisation du droit (…) comme l’un des points les plus désirable des réformes modernes78 » ; L. H. Sanford, de New York, se félicite de ce nouveau système qui lui a permis d’éviter un procès là où l’ancien système l’aurait rendu indispensable79. Enfin, Wm. T. McCoun, également de New York, se réjouit de la simplification de la procédure et des moyens de preuve, qui permettent d’éviter « des dépenses et des retards, si ce n’est l’échec complet de la procédure80 ». Il n’est d’ailleurs pas étonnant que ce journal publie de tels échanges et insiste sur la réussite de la codification : figurant parmi les penny papers, il est fondé en 1841 par Horace Greeley. Ce dernier, farouche militant de l’abolitionnisme est favorable aux réformes, fait de Karl Marx son correspondant à Londres, et soutient Abraham Lincoln durant la guerre de sécession81. Il se trouve ainsi sur la même ligne d’idées de David Field82, ce qui peut expliquer la tribune qui lui donne dans les colonnes de son journal. Il est d’ailleurs possible de se poser la question sur la réelle volonté de transmission et d’éducation de ses lecteurs sur ce sujet : les courriers imprimés émanent de juges de cours supérieures ou de cours suprêmes, qui évoquent leur pratique et ses subtilités techniques : la place du témoignage, l’équité, les injonctions ex parte, les motions croisées… Même si ces détails sont peut-être restés obscurs pour le layman, l’important semble être qu’il retire malgré tout une impression positive de la codification et de ses bienfaits.

Les écrits en faveur de la codification existent, mais nous semblent peu nombreux comparés à ceux qui lui sont opposés. Il existe également une différence de nature entre eux, puisque si les tenants de ce procédé usaient d’arguments juridiques, il nous semble que ses opposants formulent plutôt des critiques politiques.

B. L’usage de critiques essentiellement politiques

Malgré la volonté de la presse de se détacher des grands partis et de faire preuve d’objectivité, les journalistes ont peine à cacher, voire ne souhaitent pas cacher leurs opinions politiques. Il n’est pas rare, comme nous l’avons évoqué, que les critiques contre la codification reflètent la ligne éditoriale du journal (1). Toutefois, les critiques envers le

74 The New York Herald, 25 avril 1846.

75 The Bismarck Weekly Tribune, 07 juin 1876 ; The Daily Crescent, 11 décembre 1848 ; The

Thibodaux Minerva, 24 mars 1855.

76 The New York Daily Tribune, 30 janvier1851 ; The Bismarck Weekly Tribune, 07 juin1876 ; The

Sacramento Daily Record-Union, 17 février 1880.

77 The St Paul Sunday Globe, 24 juillet 1881. 78 The New York Daily Tribune, 30 janvier 1851. 79 Ibidem.

80 Ibidem.

81 http://chroniclingamerica.loc.gov/lccn/sn83030213/

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législateur et l’inflation des lois (2) sont elles communément partagées, tandis que d’autres glissent vers des arguments aux relents populistes (3).

1. Des critiques reflétant la ligne éditoriale du journal

En premier lieu, il est intéressant de constater que des journaux usent de mêmes procédés pour faire passer des idées opposées. Par exemple, le New York Herald publie la communication du chancelier Walworth, dans laquelle il refuse le poste qui lui est offert à la commission de codification. Si ce dernier commence par dire tout le bien qu’il pense de ce procédé, estimant « non seulement commode, mais en plus hautement souhaitable, que les principes généraux et non-écrits du droit commercial et autres matières civilistes, ainsi que ceux gouvernant l’équité, désormais éparpillés à travers des milliers de volumes (…), soit agencés en chapitres, divisions et titres (…) », il passe ensuite le reste de son texte à expliquer pourquoi faire un code est selon lui, une tâche impossible et non souhaitable. Un code selon ses vœux nécessiterait cinq à six ans de travail, à raison de 10h à 12h de travail par jour consacrées uniquement à cet objet. De plus, « après les errances de la jeunesse », il dit « avoir perçu l’inestimable valeur des principes universels, identiques hier comme aujourd’hui, identiques pour tous les hommes de tous les climats, éternelles vérités de la nature83 ». Qu’un tel texte soit publié dans le New York Herald n’est pas surprenant : cette publication, fondée en 1835, semble en effet avoir une ligne éditoriale opposée à celle du New York Tribune précédemment cité. Le Herald, fondé par Bennett84, se montre proche du parti des Know Nothing85 et sera du côté des Démocrates pendant la guerre de Sécession. Même s’il affirme vouloir « recueillir et donner des faits exacts, des renseignements précis sur tout ce qui se passe », Bennett n’est pas réticent à un certain sensationnalisme ou à des informations présentées de façon virulente86, qu’il voit comme le moyen de s’adresser à la classe moyenne grandissante87. Sa tendance au sarcasme se déploie également contre la codification, à laquelle il semble opposé, et les articles sur ce sujet font montre de critiques qui seront également retrouvées dans d’autres états.

A ces procédés s’ajoutent des postures partisanes clairement affichées. Le New York Herald vitupère contre un code « qui a été infligé à l’État de New York par certains codificateurs ambitieux, soutenus par l’ignorance du public et les idées socialistes88 » tandis que le Louisiana Democrat ironise sur le code de 1870, « trois livrets sortis d’une imprimerie républicaine de la petite ville de Monroe (…) adoptés sans que l’on ne change une barre aux t ou un point aux i89 ». Si les partis politiques incriminés varient selon les lignes éditoriales les critiques adressées au législateur semblent elles être partagées.

2. Une critique partagée contre le législateur

83 The New York Herald, 25 avril 1847. 84 Cf. Infra.

85 Mouvement anti-immigration, spécialement irlandaise, prônant un système de « préférence nationale » envers les protestants nés aux États-Unis. https://www.britannica.com/topic/Know-Nothing-party

86 R.A.SCHWARZLOSE, The Nation's Newsbrokers: The Formative Years, From Pretelegraph to 1865, Evanston, 1989, p. 74.

87 Ibidem.

88 The New York Herald, 17 septembre 1850. 89 The Louisiana Democrat, 20 avril 1870.

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Une des principales critiques adressées à la codification est son obsolescence rapide : aussitôt adopté, le Code sera de toutes façons rendu inutile par les nombreux actes ou amendements pris par le législateur. Certains déplorent que « la nouvelle codification de nos lois (…) est à peine rangée que nous en avons une autre 90(…) », d’autres « qu’un trop grand nombre de lois [échappent] à la codification91 ». Le chancelier Walworth cite un extrait du discours de Portalis sur la nécessaire incomplétude du Code, en faisant un argument pour justifier la quasi-impossibilité d’arriver à un « bon » code92 et enfin Holmes assène que des cas particuliers ne peuvent être résolues par des solutions générales93. Certains auteurs y voient une faible compréhension d’un code en tant que droit et source de droit94 et estiment que « le potentiel analogique des législations des pays civilistes échappa même au plus fervents partisans américains de la codification95 ». Nous ne sommes pas tout à fait d’accord avec ce point, au moins concernant ce qu’il ressort de cette littérature populaire. En premier lieu, si nous reprenons la communication publiée suscitée, les termes sont très clairs : Walworth, en s’appuyant toujours sur le code français, évoque l’interdiction du déni de justice. « Je présume donc qu’en cas de silence de la loi, le juge doit procéder par analogie en se fondant sur le code lui-même (…) et s’il ne le peut pas, il doit se référer au droit naturel préexistant (…)96 ».

De plus, parmi les fervents partisans de la codification, nous trouvons l’État de Californie97. Les journaux tels que le San Francisco Chronicle et le Sacramento Record-Union, républicains, le Los Angeles Herald et le Daily Examiner, démocrates, sont en faveur de la codification et leurs critiques nous semblent plutôt adressées au législateur et à ce qui est vu comme une inflation législative : « combiner un Code avec une telle manière de légiférer est une absurdité. C’est comme faire appel à un architecte afin de tracer les plans d’une maison, puis de permettre à chaque membre de la famille de les altérer selon son bon vouloir98 », « un travail de Sisyphe99 ». Le volume de loi pris chaque année est une préoccupation constante chez les pro comme les anti-codifications100. Cela nous permet d’apprécier la versatilité des arguments utilisés pour convaincre ses lecteurs : tandis que les uns voient dans la codification le moyen de simplifier et rendre accessible le droit, d’autres estiment qu’ils n’ont « besoin d’aucune codification101 », rejetant la faute sur le législateur qui devraient rédiger des actes « brefs et simples (…) de façon concise102 ». Nous remarquons d’ailleurs au passage que cette exigence de brièveté et de concision a pu également être réclamée par les tenants de la codification103…

90 The Weekly Comet, 11 février 1855 91 The Daily Comet, 17 juin 1854. 92 The New York Herald, 25 avril 1847.

93S.H

ERMAN, op. cit., p. 707.

94 Ibidem.

95 S.HERMAN, op. cit., p. 708. 96 New York Herald, 25 avril 1847. 97 L.GROSSMAN, op. cit., p. 625

98 The Sacramento Daily Record-Union, 19 janvier 1881. 99 The Sacramento Daily Record-Union, 07 avril 1881.

100 « Tous les ans depuis 1804, la législature fournit un volume de lois. Beaucoup d’entre elles sont obsolètes, ont été modifiées, sont contradictoires entre elles ; de nombreux ouvrages ne sont plus édités », The Daily Crescent, 11 décembre 1848 ; « C’est inutile de demander de nos jours “Quel est le droit”, car il est devenu si surchargé d’actes, et d’actes amendant les actes, que personne ne le sait – pas même ceux qui ont fait de son étude leur seule profession. Il y a de plus trop de législations spéciales », The Weekly Comet, 11 février 1855.

101 The Weekly Comet, 11 février 1855 102 Ibidem.

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A côté de ces objections visant spécifiquement le législateur, les journalistes emploient des arguments plus divers, mais possédant des relents populistes.

3. Des arguments aux relents populistes

Un des arguments les plus fréquemment avancés par les opposants à la codification est celui de son coût, reposant sur les épaules du peuple : en Louisiane, on dit qu’« en jetant un coup d’œil vers le passé de notre peuple criblé de dettes, il semble que le droit ait toujours été en fait en prévision d’une prochaine révision ; et une codification est à peine réalisée que l’on appelle déjà à une suivante. On peut dire sans se tromper que chaque nouvelle révision coûte au peuple un “vingt mille” (…)104 » ; à New York, que « nous avons ici un exemple éclatant du résultat de ce code absurde et ridicule permis par le peuple de cet État, par ignorance et présomption et qui se trouve être un fardeau, et une dépense sans cesse augmentant, jour après jour, semaine après semaine105 », ou que la codification pourrait être vue comme « une récréation qu’un riche avocat aurait envie de s’offrir ; malheureusement, le coût est à la charge des gens de cet état, (…) et des milliers de dollars ont déjà changé de mains, ne bénéficiant à personne si ce n’est aux juristes106 ». Il est d’ailleurs amusant de constater le changement de ton envers « le peuple de cet état », les deux dernières phrases étant tirées du même journal.

Un autre type d’argument fréquemment retrouvé peut être relié à ce que l’on appelle « la théorie du complot107 » : le New York Daily Tribune parle du « vrai caractère de ceux qui mènent, contrôlent et influencent notre législateur108 », tandis que le Weekly Comet estime que être « surchargés de lois, codes ou commentaires, qui semblent se multiplier sans autres buts que de donner un emploi aux juristes, et de l’embarras aux gens simples et honnêtes ». De toutes façons, « neuf personnes sur dix qui “font” leur droit, comme on dit, le font pour obtenir des avantages indus (…)109 ».

La victimisation du peuple, le caractère anti-élite de ces propos, la désignation d’une « source du mal » floue expliquant une situation de crise sont autant de ressorts conférant une teinte populiste à ce discours110. La presse use ici de techniques de persuasion relevant du pathos, et donc destinées à toucher les sentiments de son lecteur, plutôt que du logos ou de l’ethos111.

Tout au long de notre étude, nous avons été interpellées du peu de juridicité des arguments employés, d’un côté comme de l’autre : par exemple, pas une seule fois les caractéristiques opposant le droit dit codifié et la common law ne sont mis en avant. Il n’est pas fait mention du pouvoir du juge, du rôle du législateur, du stare decisis… De plus, le caractère interchangeable des critiques avancées nous paraît assez frappant : les reproches

104 The Weekly Comet, 11 février 1855. 105 The New York Herald, 17 septembre 1850. 106 The New York Herald, April 24, 1852.

107 Un phénomène s’explique par des hommes ou des groupes d’homme qui ont intérêt à ce qu’il se produise, et qui pour se faire l’ont planifié et construit. K.POPPER, La société ouverte et ses ennemis, Londres, 1945, p. 94.

108 The New York Daily Tribune, March 29, 1847. 109 The Weekly Comet, 11 février 1855

110P. CHARAUDEAU, « Réflexions pour l’analyse du discours populiste », Mots. Les langages du

politique [En ligne], 97 | 2011, mis en ligne le 15 novembre 2013

111 Le logos repose lui sur la logique et le raisonnement tandis que l’ethos fait joue la personnalité ou la réputation de celui qui le manie. J.-B.JEANGÈNE-VIMER, « Argument cartésienne : logos, ethos, pathos », Revue philosophique de Louvain, vol. 3, 2008, pp. 459-494.

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envers l’inflation législative ou le coût du « système » ont pu être faits à de nombreuses autres reprises dans des cas parfois fort différents.

Dans ce débat d’idées, tout est bon pour convaincre et il semble que si les journalistes pro-codification ont choisi le terrain technique, au risque d’être inaudibles, les anti eux ont plutôt choisi le terrain sentimental, au risque d’être démagogiques. Ce sont ces derniers qui semblent avoir remporté la partie, du moins jusque dans les années 1945, qui voient une intégration subreptice de la codification112.

Finalement, la presse étatsunienne se révèle être un « cas limite » de la littérature populaire du droit : le droit y est présent, mais uniquement sous forme de sujets juridiques. Le Droit comme objet juridique reste lui un domaine inexploré. Il est difficile de mesurer l’influence de la presse sur l’opinion ou sur le législateur ; toujours est-il qu’en usant d’un discours tantôt expert, tantôt partisan, d’arguments généreux, en identifiant la source du mal et en proposant une solution floue, la presse réunit là, sous couvert d’objectivité, tous les critères du discours politique113.

Nous conclurons cette étude par les mots d’un des plus célèbres historiens du droit étasuniens, qui nous parle du code de New York : « stylistiquement, on ne pouvait imaginer plus grand affront à la tradition de common law que ce code de 1848. Il comporte de brève sections napoléoniennes, gnomiques, étriquées et squelettiques ; on n’y trouve aucune trace de la redondance élaborée et de l’abondance voluptueuse des synonymes qui sont caractéristiques des lois anglo-américaines. C’est, en bref, un Code dans le sens français du terme114 ».

112 S.HERMAN, op. cit., p. 708.

113 C. GOBIN, « Des principales caractéristiques du discours politique contemporain… », Semen [En ligne], 30 | 2011.

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