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«La justice reste à venir»: la déconstruction appliquée à la décision de la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Bou Malhab c Diffusion Métromédia CMR Inc.

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Academic year: 2021

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«

LA JUSTICE RESTE À VENIR

1

: LA DÉCONSTRUCTION

APPLIQUÉE À LA DÉCISION DE LA COUR SUPRÊME DU CANADA

DANS L’ARRÊT BOU MALHAB c DIFFUSION MÉTROMÉDIA CMR INC

.

2

BYTAMARATHERMITUS

FACULTYOFLAW

MCGILLUNIVERSITY,MONTREAL AUGUST 2012

A THESIS SUBMITTED TO MCGILL UNIVERSITY IN PARTIAL FULFILLMENT OF THE REQUIREMENTS OF THE DEGREE OF MASTER OF LAWS (LL.M.)

(2)

«

LA JUSTICE RESTE À VENIR

1

: LA DÉCONSTRUCTION

APPLIQUÉE À LA DÉCISION DE LA COUR SUPRÊME DU CANADA

DANS L’ARRÊT BOU MALHAB c DIFFUSION MÉTROMÉDIA CMR INC.

2

ABRÉGÉ

Bien que certaines avancées en ce qui a trait au droit à l’égalité aient eu lieu à la suite de la promulgation de la Charte canadienne des droits et libertés et de la Charte des droits et libertés de la personne du Québec, les décisions des tribunaux ignorent souvent le construit social qu’est la race et ses effets. Afin de pouvoir donner plein effet aux principes d’égalité et pour rendre justice, exercice par lequel l’égalité devient une réalité concrète, les tribunaux doivent tenir compte de ce construit et non en faire abstraction afin de rendre visible ce qui est souvent invisible: l’analyse critique permet d’y arriver. La déconstruction, en mettant au jour l’historicité et les relations de pouvoir, permet de mieux comprendre le contexte social dans toute sa complexité. Dans cette quête de justice, la Critical Race Theory, qui reconnaît l’importance d’une approche holistique pour mieux comprendre la racialisation et le racisme est une théorie indispensable. Apportant un nouvel éclairage et favorisant la pluralité des lectures d’un même événement, la Critical Race Theory et la déconstruction permettent une analyse qui tient compte de l’égalité substantive tout en étant au diapason des réalités qui coexistent dans une société multiculturelle. Afin d’illustrer notre propos, notre thèse analyse la décision rendue par la Cour suprême dans l’arrêt Bou Malhab c. Diffusion Métromédia CMR Inc., argumentant que la Cour n’a pas suffisamment considéré ni les effets du construit social qu’est la race ni le racisme.

ABSTRACT

Although there have been certain advances with respect to equality rights, which are protected in the Canadian Charter of Rights and Freedoms and the Quebec Charter of the Human Rights and Freedoms, judicial decisions often ignore race as a social construct. To give full effect to the principles of equality and to advance justice, courts need to take race into account, recognize it as a social construction, and make visible what is often invisible. The technique of deconstruction, by bringing to light history and relations of power, allows us to understand social context in all of its complexity. In this quest for justice, Critical Race Theory, which recognizes the importance of a holistic approach to better understand racialization and racism provides indispensable theoretical insights. By highlighting new perspectives and providing a plurality of readings of the same event, Critical Race Theory and the technique of deconstruction promote an analysis that takes substantive equality into account while being attentive to the complex realities of multicultural society. To illustrate these themes, this thesis analyzes the Supreme Court of Canada decision on defamation and racist speech, Bou Malhab v. Diffusion Métromédia CMR Inc., arguing that the Court was not sufficiently attentive to the effects of race as a social construct, nor to the realities of racism.

1 Jacques Derrida, « Force de loi : « Le Fondement mystique de l’autorité » » 11 Cardozo L Rev

1989-1990 à la p 970[Derrida].

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PRÉFACE

J’aimerais remercier mon très cher conjoint, Benoît Avon, pour son soutien indéfectible, sa patience et ses encouragements. Sans lui, je n’aurais pas eu l’audace de relever ce défi. Je tiens également à exprimer ma gratitude envers mes parents aujourd’hui décédés pour leur bravoure : les parcours d’immigration ne sont pas sans aléas. C’est eux qui m’ont ouvert les portes d’un avenir meilleur. Je veux remercier mon père, Gérard Thermitus, qui m’a encouragée, en dépit de mon âge, à m’engager dans cette merveilleuse aventure que sont les études supérieures. Pour lui, l’âge n’était pas une barrière.

Merci à ma directrice de thèse, la professeure et directrice du Centre sur les droits de la personne et le pluralisme juridique de McGill, Colleen Sheppard. Ces commentaires judicieux et ses encouragements m’ont été précieux. Grâce à elle, mon passage aux études supérieures a été des plus gratifiants. J’aimerais également remercier les professeures Kathleen Mahoney et Adelle Blackett qui m’ont encouragée à m’engager dans cette aventure. Thank you Kathleen, you were right, it was great. Merci Adelle, je sors grandie de cette expérience. Je voudrais également remercier ma gestionnaire au Ministère de la Justice, Me Pascale O’Bomsawin qui, tout au long de cette aventure, a su m’encourager. Merci Pascale. Je dois également souligner que mon implication auprès de mon ordre professionnel et ma participation au règlement du recours mettant en cause les anciens pensionnaires des pensionnats indiens (Residential Schools) ont pavé le chemin qui m’a menée aux études supérieures.

Merci à Mme Myriam Dufresne-Manassé et Me Carole Bureau pour leurs précieux commentaires et leurs encouragements. Merci également à tous ceux et celles qui m’ont soutenue durant les deux dernières années : Sophie, Edwidge, Lise, Jamila, Maguy, Sylvie, Marie-Pierre, Paul-Richard, Patricia et Sébastien qui se reconnaîtront ainsi qu’à mes amis et amies qui sont une de mes sources d’inspiration.

Ce mémoire est dédié à ma mère, Marie-Lilia Delaquis. C’est grâce à cette femme d’exception que je suis devenue la femme que je suis.

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TABLE DES MATIÈRES

1. INTRODUCTION ... 5

2. LA TOILE DE FOND : LE CONSTRUIT SOCIAL QU’EST LA RACE ET LE CONTEXTE HISTORIQUE CANADIEN ... 11

3. COMPRENDRE LE CONSTRUIT SOCIAL QU’EST LA RACE, LA RACIALISATION ET LE RACISME AINSI QUE L’INTERACTION AVEC LE SYSTÈME DE JUSTICE ... 16

3.1. Manifestation de racisme dans le système judiciaire canadien d’hier à aujourd’hui ... 23

4. ÉLÉMENTS D’UNE ANALYSE VISANT À MIEUX COMPRENDRE LES INTERACTIONS METTANT EN CAUSE LE CONSTRUIT SOCIAL QU’EST LA RACE : LA CRITICAL RACE THEORY (CRT) ... 28

4.1 De l’émergence de la CRT ... 28

4.2 La CRT et la déconstruction : Rapports existant entre le droit et la racialisation et le racisme. ... 35

4.3 Principaux éléments de la CRT ... 37

4.4. La CRT et le juge interprète du droit. ... 54

5. CADRE D’ANALYSE ... 57

6. APPLICATION DU CADRE D’ANALYSE À L’ARRÊT BOU MALHAB ... 63

6.1 Historique des procédures judiciaires ... 64

6.2 Analyse du discours factuel et la construction sociale des faits ... 70

6.3 Analyse de certains aspects du discours légal ... 83

6.3.1 Liberté d’expression ... 84

6.3.2 Citoyen ordinaire ... 96

6.3.3 Le préjudice personnel et la notion de groupe ... 108

6.4 LA RECONSTRUCTION DU JUGEMENT ... 120

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«LA JUSTICE RESTE À VENIR1.»: LA DÉCONSTRUCTION APPLIQUÉE À LA DÉCISION DE LA COUR SUPRÊME DU CANADA DANS L’ARRÊT BOU

MALHAB c DIFFUSION MÉTROMÉDIA CMR INC.

Pour certains, les préjugés contre les Noirs reposent sur des suppositions tacites et incontestées apprises au long de toute une vie. Ces suppositions façonnent le comportement quotidien des gens, souvent sans qu’ils s’en rendent compte. À mon avis, les attitudes qui sont enracinées dans le subconscient des gens et qui se reflètent tant dans leur conduite que dans celle des institutions dans la collectivité résisteront plus à l’épuration judiciaire que les opinions basées sur les actualités de la veille et pouvant être rattachées à une personne ou à un événement en particulier.

R. c. Williams3, la juge McLachlin citant le juge Doherty

1.

Introduction

À l’occasion d’une émission radiophonique portant sur le degré de satisfaction des Québécois à l’égard de l’industrie hôtelière montréalaise, M. André Arthur, animateur à la station de radio CKVL, a fait dévier le débat sur les chauffeurs de taxi arabes4 et haïtiens travaillant à Montréal. Il a alors prononcé des propos qui firent l’objet d’un recours collectif5 visant notamment à déterminer si ces propos et ceux de l’auditrice

3 R c Williams, [1998] 1 RCS 1128 au par 21 [Williams]. Voir R v Parks, [1993] OJ No. 2157, 84

CCC (3d) 353 à la p 369:

Racism, and in particular anti-black racism, is a part of our community’s psyche. A significant segment of our community holds overtly racist views. A much larger segment subconsciously operates on the basis of negative racial stereotypes. Furthermore, our institutions, including the criminal justice system, reflect and perpetuate those negative stereotypes. These elements combine to infect our society as a whole with the evil of racism. Blacks are among the primary victims of that evil.

4 Micheline Labelle, Ann-Marie Field et Jean-Claude Icart, «Les dimensions d’intégration des

immigrants, des minorités ethnoculturelles et des groupes racisés au Québec », Document présenté à la Commission de consultation sur les pratiques d'accommodement reliées aux différences culturelles (CCPARDC), Québec, le 31 août 2007 à la p 59. [non publié] en ligne : http://www.criec.uqam.ca/Page/Document/textes_en_lignes/dimensions_integration.pdf

Quant à l’utilisation du terme arabe, une étude a démontré que « la catégorie de l'Arabe, tout comme celle du musulman, charrie un ensemble de stéréotypes et de préjugés négatifs. Ces constructions identitaires ne peuvent être pensées en dehors du processus […] par lequel le groupe majoritaire catégorise et, corrélativement, se représente les membres du groupe catégorisé.

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étaient diffamatoires ou discriminatoires à l’égard des personnes d’origine arabe ou haïtienne œuvrant dans l’industrie du taxi à Montréal6.

Les chauffeurs de taxi ont témoigné7 des blessures et des humiliations subies à la suite des attaques de M. Arthur8. Un chauffeur a décrit la portée des insultes racistes en soulignant qu’elles ont rejailli sur lui et sa famille. Un autre a affirmé qu’il n’a « choisi ni sa couleur ni son origine et que de tels propos portaient atteinte à toute sa communauté et lui inspiraient de la colère9. »

Saisis de l’affaire, les tribunaux ont reconnu la teneur raciste des invectives. Pourtant, les opinions majoritaires de la Cour d’appel10 et de la Cour suprême11 ont ignoré les conséquences concrètes et pernicieuses d’un tel discours sur les chauffeurs, jugeant qu’un citoyen ordinaire conclurait que les chauffeurs n’ont subi aucun préjudice personnel. Nous sommes en face d’une contradiction : le racisme est reconnu; mais, et c’est là le problème, ses effets dévastateurs sont ignorés. Guidées tant par notre conception de la justice que par notre intuition12, ces décisions majoritaires de la Cour suprême et de la Cour d’appel nous laissent perplexes. Elles soulèvent des questions fondamentales. Ainsi,

6 Ibid par 77.

7 Bou Malhab c. Diffusion Métromédia CMR Inc, [2006] RJQ 1145 [Bou Malhab, « Cour

supérieure »].

8 Les chauffeurs de taxi ont réagi vivement aux propos qui les qualifiaient d’incompétents et de

malpropres et qui prétendaient qu’ils étaient incapables de s’exprimer en français ou en anglais. Il en va de même en ce qui a trait aux allusions à l’existence de corruption afin d’obtenir un permis de chauffeur.

9 Bou Malhab, « Cour supérieure », supra, note 7, par 28.

10 Diffusion Métromédia CMR Inc. c. Bou Malhab, [2008] RJQ 2356 [Bou Malhab, « Cour

d’appel »].

11 Bou Malhab c Diffusion Métromédia CMR Inc., [2011] 1 RCS 214 [Bou Malhab, « Cour suprême »].

12 Trina Grillo, “Anti-essentialism and Intersectionnality: Tools to Dismantle the master‘s House”

(1995) 10 Berkeley Women’s LJ, 16 à la p 22:“We must believe what our bodies tell us. They teach us to check for the deep, internal discomfort we feel when something is being stated as gospel but does not match our truth. Then they teach us how to spin that feeling out, to analyze it, to accept that it is true but to be able to show why that is so. They also teach us to be brave.”

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on peut se demander si la réalité vécue par les personnes racialisées13 fait l’objet d’une attention réelle par les tribunaux.

Puisque la race est au cœur du litige, il faut circonscrire ce concept. Alors que le concept de la race faisait partie du sens commun, en 1950, les experts de l’UNESCO ont confirmé que les êtres humains appartiennent à la même espèce et que le concept de race est un « mythe social »14, réfutant ainsi toute hiérarchisation15 fondée sur l’existence de groupes16 distincts. Comme la race est une construction sociale, et non une donnée scientifique, nous utiliserons l’expression « le construit social qu’est la race »17.

Malgré son absence de fondement scientifique, ce construit a des conséquences. Comme le soulignaient Maria Wallis et Augie Fleras, il a une importance sociale :

13 Micheline Labelle, Racisme et antiracisme au Québec : discours et déclinaisons, Montréal, Les

Presses de l’Université du Québec, 2010 à la p163 [Labelle « racisme »] :

Afin d’éviter de cristalliser la race comme une réalité, on doit la contextualiser en se référant à des adjectifs dérivés pour mettre en exergue le fait que la race, imposée par l’autre, est une construction sociale. L’utilisation des termes racisées ou encore racialisées ont le mérite de créer une distance intellectuelle avec le concept de race. Voir Maria Wallis & Augie Fleras, dir, The Politics of Race in Canada, Readings in Historical

Perspectives, Contemporary Realities, and Future Possibilities, Don Mills, (Ontario) Oxford University Press, 2009à la p xiii [Wallis & Fleras]:“" race" as a verb (“process”) instead of a noun (‘an object’) provides a reminder that even if race is a fiction with no empirical validity or scientific reality this is a powerful fabrication with boundless implications.”

14 Déclaration d’experts sur les questions de race, 1950 UNESCO International Social Science

Bulletin 2 aux pp 391 à 394[Déclaration d’experts sur les questions de race ] En ligne : <http://unesdoc.unesco.org/images/0012/001269/126969fb.pdf>.

15 UNESCO Déclaration sur la race et les préjugés raciaux. Résolution 3/1.1/2, 20e session, (1978)à

son article 2; http://unesdoc.unesco.org/images/0011/001140/114032f.pdf [Déclaration sur la race

et les préjugés raciaux] reprend ce principe : « Toute théorie faisant état de la supériorité ou de l'infériorité intrinsèque de groupes raciaux ou ethniques qui donnerait aux uns le droit de dominer ou d'éliminer les autres, inférieurs présumés, ou fondant des jugements de valeur sur une différence raciale, est sans fondement scientifique et contraire aux principes moraux et éthiques de l'humanité. »

16 Déclaration d’experts sur les questions de race, supra note 14 à la p 9 : « Les études historiques et

sociologiques corroborent l’opinion selon laquelle les différences génétiques n’ont pas d’importance dans la détermination des différences sociales et culturelles existant entre les différents groupes d’homo sapiens. »

17 Ian F. Haney Lopez, "The Social Construction of Race: Some Observations on Illusion,

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Race matters not only as a predictor of success and failure but also as: (1) a central organizing principle in constructing society (2) deeply embedded in our thinking and acting, and (3) a core component of minority identities and patterns of resistance18.

Autre construction qui retient notre attention est la racialisation, phénomène qui se définit comme « un processus par lequel les sociétés assoient la notion que les races sont bien réelles, différentes et inégales, de façon qui importe pour la vie sociale, économique et politique19 ». Le philosophe Étienne Balibar s’exprime ainsi sur les effets sociaux de la racialisation :

[l] a « racialisation » s’impose socialement et culturellement, en particulier comme principe généalogique, et de représentations qui rapportent à l’origine et à la descendance des « mentalités » ou des « aptitudes » individuelles et collectives supposées20.

En somme, ce n’est pas le fait d’être Noir ou Arabe qui est problématique, mais c’est plutôt le racisme et la racialisation qui ont pour effet de consolider les stéréotypes21. Notre thèse est la suivante : afin de pouvoir donner plein effet aux principes d’égalité prévus par la Charte canadienne des droits et libertés22 (Charte canadienne) et par la Charte des droits et libertés de la personne23 (Charte québécoise) et pour pouvoir rendre justice, exercice par lequel l’égalité devient une réalité concrète, les tribunaux doivent tenir compte du construit social qu’est la race et non en faire abstraction, et ainsi rendre

18 Wallis & Fleras, supra note 13 à la p x.

19 Commission ontarienne des droits de la personne, Politique et directives sur le racisme et la discrimination raciale, Ontario, Imprimeur de la Reine 2005, à la p. 32. Document disponible sur le site Internet de la Commission : http://www.ohrc.on.ca/french/publications/racism-and-racial-discriminationpolicy.

20 Étienne Balibar, « Le retour de la race » (2007) 50 Mouvements aux pp 162-163 :

www.cairn.info/revue-mouvements-2007-2-page-162.htm [Balibar, « Le Retour »].

21 Le stéréotype est une croyance partagée quant aux caractéristiques personnelles, comportements

que l’on attribue de façon injustifiée à un groupe de personne. Il est une manifestation du préjugé. Vincent Edin et Saïd Hammouche, Chronique de la discrimination ordinaire, Paris, Gallimard, 2012 à la p 27 [Edin et Hammouche].

22 Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, constituant l’annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada

(R-U), 1982, c 11 [Charte canadienne].

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visible ce qui est souvent invisible pour le décideur qui applique la loi. C’est l’analyse critique qui permet d’y arriver.

Depuis l’entrée en vigueur de la Charte canadienne et de la Charte québécoise, la Cour suprême ne s’est penchée que très rarement sur des dossiers dans lesquels le construit social qu’est la race n’était pas lié au droit criminel24. L’arrêt Bou Malhab est une de ces rares occasions où le plus haut tribunal du pays a eu à considérer ce construit dans un litige civil.

Notre analyse portera sur la situation des personnes noires25, gardant toujours à l’esprit qu’il s’agit là d’une construction sociale. Les principes que nous dégagerons s’appliqueront aux personnes racialisées telles que les personnes qualifiées d’Arabes ainsi qu’aux personnes historiquement exclues en tenant compte du contexte historique et factuel qui leur est propre. Sachant que les phénomènes sociaux sont conceptualisés par

24 Voir Lovelace c. Ontario, [2000] 1 RCS 950; R. c. Kapp, [2008] 2 RCS 483. On peut penser à la

décision rendue par la Cour suprême dans Van de Perre c Edwards, [2001] 2 RCS 101, affaire dans laquelle la Cour devait déterminer l’importance du construit social qu’est la race lors de l’attribution de la garde d’un enfant issu d’une union entre un homme noir et une femme blanche. Dans une décision unanime, la Cour a conclu qu’il s’agissait d’une question de fait et qu’en l’espèce, la preuve ne permettait pas de conclure que la « race » était un élément important. Pour une critique de cette décision voir Lawrence Hill, Black Berry, Sweet Juice : On Being Black and

White in Canada, Toronto, Harper Collins, 2001 aux pp 150-194. Julie Jai et Joseph Cheng, “The Invisibility of Race in Section 15: Why Section 15 of the Charter Has Not Done More to Promote Racial Equality” (2006) 5 JL & Equal. 125 [Jai et Cheng].

25 Joseph Mensah, Black Canadians: History, Experiences, Social Conditions, Black Point ( Nova

Scotia ) Fernwood Publishing, 2010 [Mensah] à la p 4. Les Noirs restent socialement invisibles : les États compilant peu de données les concernant. Pour Joseph Mensah, cette situation s’explique ainsi :

Considering that any analysis of Blacks inevitably evokes the racist character of Canadian society, something many scholars, especially those of the dominant group, are uncomfortable with, one can argue that this omission is probably strategic. Whatever the

Raison d’être may be, the dearth of research on Blacks is clearly a serious lapse, since race continues to be a crucial factor in structuring inequality in Canada.

Voir aussi Inter-American Commission on Human Rights, “The Situation of People of African Descent In Americas”, OEA/Ser.L/V/II. Doc. 62 (5 December 2011 à la p 33 http://www.oas.org/en/iachr/afro-descendants/docs/pdf/AFROS_2011_ENG.pdf , “The Situation of People of African Descent In Americas ”:

During the technical meeting, the experts pointed out that even if it is difficult to identify legal barriers that openly and expressively promote racial discrimination, in practice, the facto segregation continues existing related to Afro descendants, and this is reflected in the neighborhoods where they live, the jobs they can have access to, and the access to economic resources, among other factors.

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le juge à travers des prismes que constituent les théories26 et les idéologies27, lorsqu’il interprète la loi, il exerce un pouvoir par son choix interprétatif28. Il peut consciemment ou inconsciemment faire fi des effets de la racialisation et de la discrimination. Nous nous interrogerons sur l’influence du construit social qu’est la race sur le système judiciaire dans une société multiculturelle où la racialisation est présente et où le racisme sous toutes ses formes n’est pas enrayé. Dans quelle mesure doit-il considérer le contexte social29? Devrait-il dans l’interprétation du droit tenir compte des inégalités structurelles? Pour bien saisir ces enjeux, nous nous proposons d’analyser, dans un premier temps, la portée du construit social qu’est la race et son interaction avec le système judiciaire. Pour ce faire, nous ferons un survol du contexte historique canadien pour démontrer que le construit social qu’est la race y a joué un rôle important. Nous nous attarderons, après avoir circonscrit certains concepts liés au construit social qu’est la race, aux manifestations de racialisation et de racisme dans le système judiciaire. Cette démarche nous amènera à nous pencher sur la déconstruction et à circonscrire les éléments de l’analyse critique qu’est la Critical Race Theory (Ci-après CRT) ainsi après avoir

26 Roderick A. Macdonald, « L’hypothèse du pluralisme juridique dans les sociétés démocratiques

avancées » (2003) 33 RDUS 135 à la p 137 [Macdonald] : « Une théorie n'est ni vraie, ni fausse; elle nous permet d'imaginer le réel et de modeler ce réel selon les valeurs auxquelles nous adhérons. »

27 Ibid à la p 139.

28 Gabel, Reification in Legal Reasoning, in Marxism and Law 262 (P. Beirne & R. Quinney eds.

1982), tel que cite par Kim Lane Scheppele “ Foreword: Telling Stories” (1989) 87 Mich L Rev 2073 à la p 2077 [Scheppele]:"Legal reasoning is an inherently repressive form of interpretive thought which limits our comprehension of the social world and its possibilities."

29 Statement of Needs and Objectives for Continuing Judicial Education on the Social Context of

Judicial Decision Making, (Ottawa: National Judicial Institute, 1996) [ Non publié et archivé à l’institut national de la magistrature, tel que cité par Rosemary Cairns Way, “Contradictory or Complementary? Reconciling Judicial Independence with Judicial Social Context Education » (2002) 25 Dal LJ 27, à la p 18. Selon Lynn Smith, le contexte social se définit comme suit :

Social context refers to background factors which may inform judicial decision-making. Examples include the history, culture, economic and social circumstances of aboriginal peoples, the current situation of immigrant and visible minority populations in Canada, and the issue of systemic racism, the changing role of women, their economic and social circumstances and the implications flowing from a commitment to equality between the sexes, and the circumstances and needs of persons with disabilities and the consequences of the requirement that they be accommodated.

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démontré la pertinence de cette théorie, nous développerons un cadre d’analyse qui tiendra compte de la déconstruction et de la CRT.

Dans un deuxième temps, nous appliquerons ce cadre à l’arrêt de la Cour suprême dans l’affaire Bou Malhab. Nous démontrerons que ces outils méthodologiques auraient permis à la Cour suprême de prendre conscience de la racialisation et des effets du racisme sous toutes ses formes. Elle aurait été en meilleure posture pour entendre la voix des chauffeurs, prendre acte de leurs expériences et ainsi constater que la construction des faits qu’elle a élaborée les méjuge. Ces théories auraient permis aux tribunaux de prendre conscience des effets des normes dominantes qui contiennent souvent à leur insu des préjugés30 et par conséquent, de rendre la racialisation et le racisme perceptibles : le préjudice devient alors visible. Sans ces approches, dans une société diversifiée et multiculturelle, « la justice reste à venir ».

2.

La toile de fond : le construit social qu’est la race et le contexte

historique canadien

Pour appréhender le racisme, il faut connaître l’histoire et ainsi comprendre « le caractère contingent et non inévitable de toutes situations, à les mettre en rapport avec une série de choix historiques et de phénomènes sociaux dus à l’œuvre d’hommes et des femmes 31». Nous devons également prendre conscience que nous sommes toujours dans une dynamique sociale32 dans laquelle les relations ne sont ni égalitaires ni exemptes

30 Edin et Hammouche, supra note 21 à la p 26 : Le préjugé se définit comme un jugement qui

présente une évaluation [le plus souvent négative] à l’égard de types personnes ou de groupes, en fonction de sa propre appartenance sociale ou « raciale ». Pour Micheline Labelle, un préjugé à caractère raciste est une attitude négative, « mais qui peut également revêtir une forme positive envers une catégorie entière que l’on désigne […] à l’aide d’un marqueur de racisation». Labelle «racisme», supra note 13 à la p 64.

31 Edward W Saïd, Des intellectuels et du pouvoir, Paris, Seuil, 1996 à la p 77 [Saïd].

32 Doudou Diène, Commission des droits de l’homme des Nations Unies, Rapport soumis par le Rapporteur spécial sur les formes contemporaines de racisme, de discrimination raciale, de xénophobie et de l’intolérance qui y est associée - Mission au Canada, 2004 E/CN.4/2004/18/Add.2 à la p 20 [Diène « Rapport 2004 »]. Le Rapporteur spécial estime que la société canadienne est encore marquée par le racisme et la discrimination raciale:

Par son terrain historique, la société canadienne comme celle de tous les pays de l’hémisphère nord et sud-américain, est imprégnée de l’héritage lourd de la discrimination raciale […]. La dimension idéologique de cet héritage s’inscrit dans une construction

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d’oppression33. En faisant les adaptations nécessaires, l’analyse de l’oppression dans le contexte colonial faite par Frantz Fanon illustre les effets du racisme, non seulement sur la psyché du colonisé, infériorisé par le colonisateur, mais également sur celle du colonisateur qui tire son pouvoir de cette relation dysfonctionnelle. Cette analyse demeure pertinente34. Pour atteindre l’égalité, cette dynamique d’oppression souvent inconsciente doit être déconstruite pour dévoiler les relations de pouvoir. Somme toute, la rencontre avec l’Autre (the other) n’a pas lieu dans un vacuum social ou historique. Selon les époques, le racisme s’est manifesté de différentes façons; il faut connaître l’histoire pour prendre acte de ses legs culturels, sociaux et politiques. Selon Philippe Norel : « Effacer le passé constitue l’un des plus sûrs moyens de stériliser toute analyse du présent. » Passé et contexte vont de pair pour comprendre les dynamiques sociales. Pour John Ralston Saul, « Le passé n’est pas le passé. C’est le contexte. Le passé, c’est-à-dire la mémoire, est un des outils les plus puissants, les plus pratiques que possède une démocratie civilisée. » La professeure Sherene Razack considère que “Without history and social context, each encounter between unequal groups becomes a fresh one, where the participants start from zero, as one human being to another, each innocent of the subordination of the others.” 35

intellectuelle qui, par l’éducation, la littérature, l’art et les formes diverses de pensée et de création, a structuré en profondeur et de manière durable le système de valeurs, les sensibilités, les mentalités, les perceptions et les comportements, et donc, la culture. Les victimes expiatoires de cette culture de la discrimination demeurent, dans la durée, depuis l’époque historique, les peuples autochtones et les communautés d’origines africaine et caribéenne.

33 Je réfère ici au concept d’oppression dans le sens des désavantages et des injustices subis par des

individus dans le cadre de leurs pratiques courantes existantes dans une société libérale, et ce, sans qu’il y ait l’intervention d’un pouvoir tyrannique. Voir Iris Marion Young, Justice and the Politics

Of Difference, Princeton, Princeton University Press,1990 à la p 42:

In this extended structural sense oppression refers to the vast and deep injustices some groups suffer as a consequence of often unconscious assumptions and reactions of well- meaning people in ordinary interactions, medias and cultural stereotypes, and the structural features of bureaucratic hierarchies and market mechanisms- in short, the normal processes of everyday life.

34 Frantz Fanon, Les damnés de la terre, 2e éd, Paris, Maspero, 1968 aux pp 6 à 20 [Fanon, « Les

damnés »]. Les analyses développées par Fanon ont influencées tant la Critical Race Theory que les études postcoloniales.

35 Sherene Razack, Looking White People in the Eye: Gender, Race, and Culture in Courtrooms and Classrooms, Toronto, University of Toronto Press, 1998 à la p 8 [Razack].

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L’histoire de l’Amérique et du Canada nous apprend que dès leur arrivée, les Européens, forts de leurs sentiments de supériorité fondés sur des idéologies racistes36 et de leurs références ethnocentriques, exploitèrent les peuples autochtones en mettant certains d’entre eux, en état d’esclavage37. Pour combler leurs besoins de main-d’œuvre, ils firent venir d’Afrique des Noirs et en firent leurs esclaves38. Le Québec et le Canada ne furent pas exemptés de ce fléau qu’est l’esclavage ni de ses stigmates : la racialisation et le racisme39. Sous le régime de la Nouvelle-France, il y eut près de quatre mille esclaves, un millier d’esclaves noirs et trois mille autochtones (panis). L’esclavage ne fut aboli qu’en 1838, sous le régime anglais. Ainsi, le construit social qu’est la race a exercé une influence tant sur les relations avec les Peuples autochtones40 que sur celles avec les personnes noires.

36 Christian Delacampagne, Une histoire du racisme, Paris, France Culture, 2000 à la p 136:

Les philosophes du XVIIe siècle, fort discrets sur la question morale, ne parlent jamais de l’esclavage : celui-ci ne heurte pas leur conscience. Leurs successeurs des Lumières, peu intéressés par ce qui se passe dans les lointaines « colonies » ne font guère mieux, alors qu’ils n’hésitent pas à s’engager dans toutes sortes de combats pour défendre les droits de l’homme, lorsque ceux-ci sont menacés sur le sol européen. Comme si les hommes de là-bas valaient moins que ceux d’ici : deux poids, deux mesures. Voir aussi Joseph-Arthur de Gobineau, qui fit de la race un concept qui justifiait la hiérarchisation historique de certaines « races ». Essai sur l'inégalité des races humaines (1853-1855), Paris, Éditions Pierre Belfond, 1967. Contra Anténor Firmin, De l'égalité des races humaines (1885, Montréal, Anthropologie positive, Montréal Mémoire d'encrier, 2005 écrit par un Haïtien qui a réfuté ces théories raciales.

37 Voir Marcel Trudel, L’Esclavage au Canada français : Histoire et conditions de l’esclavage,

Québec, Presses de l’Université Laval, 1960 [Trudel].

38 Tout comme pour les États-Unis, la présence des Noirs au Canada remonte au début du XVIIème

siècle. Robin W. Winks, "Negro School Segregation in Ontario and Nova Scotia" dans Wallis & Fleras, supra note 13 à la p 25, Notons que, selon Marcel Trudel, c’est en 1628 que le premier esclave, Olivier Lejeune, mit les pieds en Nouvelle-France. Trudel, supra note 37 à la p 3.

39 Robin W. Winks, The Blacks in Canada: A History, New Haven, Yale University Press, 1971 aux

pp 1 à 23 [Winks].

40 Visant à résoudre le « problème autochtone », c’est en 1845 que le premier pensionnat indien vit le

jour, système qui perdura pendant plus de 100 ans. Forcés à abandonner langues autochtones, coutumes et principes moraux, des dizaines de milliers d'enfants autochtones furent séparés de leurs communautés et ont vu leurs cultures anéanties entraînant de graves conséquences psychologiques sans compter que certains pensionnaires firent l’objet de sévices et d’agressions sexuelles. Ce système a laissé de profondes séquelles sur les communautés autochtones, ce qu’a reconnu, en 2008, le gouvernement canadien qui a offert ses excuses aux Peuples autochtones. Paradoxalement, quelques mois plus tard, au G20 le Premier ministre Harper disait "We also have no history of colonialism. So we have all of the things that many people admire about the great powers but none of the things that threaten or bother them

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En 1850, l’accès des Noirs à la propriété fut restreint et leurs enfants n’eurent pas accès aux institutions scolaires, les membres de la majorité s’opposant à la mixité raciale. Les Noirs vivaient dans des communautés ségrégées41 et ils se sont vu priver de services tels que l’accès aux hôpitaux42, aux restaurants, aux cinémas43 ainsi qu’aux lieux de récréation44.

De la fin du XIXe siècle jusqu’en 1960, l’attitude des Canadiens à l’égard de l’immigration non européenne fut des plus sévères45. Les politiques d’immigration de la fin du XIXe siècle étaient fondées sur une prémisse raciale46. Au début du XXe siècle, le gouvernement canadien a restreint, voire même fait obstruction à l’immigration noire47.

http://www.reuters.com/article/2009/09/26/columns-us-g20-canada-advantages-idUSTRE58P05Z20090926.

41 David M. Tanovich, The Colour of Justice: Policing Race in Canada, Toronto, Irwin Law, 2006 à

la p. 68; voir Winks, supra note 39 à la p 360.

42 J. W. St. G. Walker, “"Race," Rights and the Law in the Supreme Court of Canada - Historical Case Studies”, Toronto, Osgoode Society for Canadian Legal History: Wilfrid Laurier University Press, 1997 à la p 132 [Walker]; Wallis & Fleras, supra note 13 à la p 24.

43 Viola Davis Desmond, une Canadienne noire s’est vu refuser l’accès au parterre d’un cinéma,

parterre réservé aux Blancs. Lors du procès, ni la « race » de Madame Desmond ni la politique discriminatoire ne furent mentionnées devant le tribunal. Elle fut condamnée à 20 $ d’amende et à 6 $ de frais. Elle tenta sans succès de faire casser cette décision. Constance Backhouse, “Racial Segregation in Canadian Legal History: Viola Desmond's Challenge, Nova Scotia, 1946” (1994) 17 Dal LJ 299.

44 En 1936, monsieur Fred Christie, n’a pu être servi dans une taverne de Montréal parce qu’il était

un homme noir. Il intenta une action en responsabilité devant les tribunaux attaquant cette pratique discriminatoire. La majorité de la Cour suprême considéra que la liberté de commerce devait avoir préséance : un comportement raciste était considéré comme étant ni immoral ni dommageable, la discrimination n’était pas contraire à l’ordre public ou encore à la morale. Christie c York Corp, [1940] RCS 139 [Christie]. Voir aussi Walker, supra note 42 à la p 131.

45 La très honorable Beverley McLachlin, “Racism and the law: The Canadian Experience” (2002) 1

JL.& Equality 7-24 aux pp 11 et 22 [McLachlin].

46 Evangelia Tastsoglou, « Réévaluation de l’immigration et des identités : synthèse et orientation

future de la recherche », Travail commandé par le ministère du Patrimoine canadien pour le Séminaire d'identité et de diversité ethnoculturelles, raciales, religieuses et linguistiques, Halifax (Nouvelle-Écosse), 2001 à la p 16.

47 Des mesures furent prises afin de limiter l’immigration noire : des sanctions imposées à des

compagnies de chemins de fer qui offraient des subventions aux personnes noires, des agents furent embauchés afin de décourager les Noirs américains de venir s’installer au Canada. Voir aussi Frances Henry et Carol Tator, The Colour of Democracy : Racism in Canadian Society, (3e ed.), Toronto, Thomson Nelson, 2006 aux pp 74 à 77 [Henry et Tator]; Walker, supra note 42 aux pp 15 à16 et 127.

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En 1914, le Premier ministre Wilfrid Laurier considérait que : « The people of Canada want to have a white country »48. La Loi de l’immigration de 1910 limita l’accès de ressortissants racialisés en excluant certains pays49. C’est en ces termes que Maria Wallis et Augie Fleras résument les effets de cette construction de la nation :

In keeping with the notion of Canada as a white man’s country and the white woman as ‘mothers of the race’, the ideals of racial purity played a pivotal role in the design and organization of colonization including its power dynamics, social hierarchies and legitimating tactics50.

L’entrée en vigueur de la Déclaration canadienne des droits51 est venue accélérer le changement social. Ce n’est qu’en 1976, à la suite de l’adoption de Loi sur l’immigration52, que l’on vit une augmentation substantielle de l’immigration racialisée. Le Québec a également connu des périodes où le racisme a fait rage. Le fait que les Québécois soient francophones, catholiques et minoritaires dans une Amérique anglophone et protestante, fait partie du contexte historique. Ainsi, la pérennité de l’identité québécoise53 a influencé leurs réactions vis-à-vis de l’immigration54. Au XIXe siècle, l’immigration des Noirs au Québec n’était pas bien vue par les penseurs qui prônaient « l’intégrité de la race canadienne-française 55».

Outre la discrimination raciale que subissent les Noirs, un autre groupe se voit toucher par ce fléau : les Arabes (musulmans ou non-musulmans). C’est au courant des années

48 Wallis et Fleras, supra note 13 à la p xviii.

49 Loi concernant l’immigration, 9-10 Edouard VII, c. 27 (1910), art. 38. 50 Wallis & Fleras, supra note 13 à la p xix.

51 Déclaration canadienne des droits, LC 1960, c 44. 52 Loi sur l’immigration de 1976, SC 1976-77, c 52.

53 Gérard Bouchard et Charles Taylor, Fonder l’avenir : Le temps de la conciliation, Gouvernement

du Québec, 2008, document disponible à http://www.accommodements.qc.ca/documentation/rapports/rapport-final-integral-fr.pdf [Rapport Bouchard-Taylor] à la p 119.

54 Jean-Claude Icart, « Perspectives historiques sur le racisme au Québec », Conseil des relations

interculturelles, Montréal, 2001 à la p 43. [Icart]. L’auteur souligne qu’ « [a]près l’échec du Mouvement des Patriotes, le repli identitaire des francophones, préoccupés surtout par leur survie, durera jusqu’à la Révolution tranquille. »

55 Daniel Gay, Les noirs du Québec- 1629-1900, Sillery, Septentrion, 2004 à la p 101. Selon l’auteur,

les intellectuels québécois favorisaient l’immigration européenne non seulement pour la protection de la langue, mais aussi pour le maintien d’une population « blanche. »

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1990 que ces derniers immigrèrent au Québec. De récentes études établissent que ces immigrants sont discriminés56, notamment sur le marché du travail. Notons que depuis les évènements du 11 septembre 2001, le Québec est le théâtre de tensions sociales trouvant leur source dans les différences culturelles et religieuses57, résistances qui visent principalement les Arabes (musulmans et les non-musulmans).

Le construit social qu’est la race a joué et continue de jouer un rôle dans la construction de la psyché canadienne et québécoise. Les préjugés et stéréotypes étant tenaces, nous nous proposons donc de définir certaines manifestations du racisme pour mieux comprendre la portée du construit social qu’est la race.

3.

Comprendre le construit social qu’est la race, la racialisation et le

racisme ainsi que l’interaction avec le système de justice

C’est en ces termes que l’UNESCO a défini le racisme :

Le racisme englobe les idéologies racistes, les attitudes fondées sur les préjugés raciaux, les comportements discriminatoires, les dispositions structurelles et les pratiques institutionnalisées qui provoquent l'inégalité raciale, ainsi que l'idée fallacieuse que les relations discriminatoires entre groupes sont moralement et scientifiquement justifiables; il se manifeste par des dispositions législatives ou réglementaires et par des pratiques discriminatoires, ainsi que par des croyances et des actes antisociaux […]58.

Cette définition ne fait pas consensus59. La sociologue Micheline Labelle, citant les propos du rapporteur spécial Doudou Diène60, souligne que le construit social qu’est la

56 Les musulmans, et en particulier les arabo-musulmans, sont présentement-avec les Noirs-le groupe

le plus touché par les diverses formes de discrimination. Rapport Bouchard-Taylor, supra note 53 à la p 234.

57 Patrice Brodeur, « La commission Bouchard-Taylor et la perception des rapports entre

« Québécois » et « musulmans » au Québec » (2008) 46 Cahiers de recherche sociologique 95.

58 Déclaration sur la race et les préjugés raciaux, supra note 15 à l’article 2. 59 Labelle « racisme », supra note 13 à la p 9.

60 Doudou Diène, Commission des droits de l’homme des Nations Unies Le racisme, La discrimination raciale, la xénophobie et toutes les formes de discrimination, Rapport soumis par le Rapporteur spécial sur les formes contemporaines de racisme, de discrimination raciale, de xénophobie et de l’intolérance qui y est associée, E/CN.4/2006/16.Doudou Diène qui observait que « cet amalgame brouille non seulement l’analyse et le diagnostic, et donc affaiblit les réponses

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race est souvent amalgamé avec la culture et la religion : le racisme devient alors difficile à cerner.

Historiquement, le racisme a pris différentes formes. Le racisme colonial (classique) présuppose l’existence de races distinctes, dont certaines sont biologiquement supérieures. Cette supériorité également psychologique, sociale, culturelle et spirituelle expliquait et justifiait l’hégémonie et le pouvoir des groupes « supérieurs »61. L’analyse des propos de M. Arthur, que nous ferons ultérieurement, est une illustration de ce type de racisme.

Bien que les manifestations du racisme colonial soient moins fréquentes et moins explicites, le racisme n’est pas éradiqué62. Tout comme une hydre qui se renouvelle à chaque défaite, les sociologues et philosophes ont constaté que le racisme réapparaissait sous diverses formes souvent difficilement perceptibles. Selon le philosophe Étienne Balibar, « Il s’agit de remettre en question une conviction profondément enracinée dans la conscience du progrès de la raison et de la démocratie : que le racisme est a fortiori l’idée de la « race » appartiennent au passé, et donc ne peuvent que dépérir avant de disparaître une fois pour toutes». Il constate un retour du racisme dans le contexte de la mondialisation.63

Aujourd’hui, on parle de néo racisme, de racisme démocratique et de racisme inconscient. Le néo racisme, propre à la période post coloniale, est fondé sur la différence de cultures

et les stratégies, mais aussi, de manière plus inquiétante encore, conforte une dynamique de conflits de cultures et de religions ».

61 Micheline Labelle, « Un lexique du racisme : Étude sur les définitions opérationnelles relatives au

racisme et aux phénomènes connexes », Montréal, Le Centre de recherche sur l’immigration, l’ethnicité et la citoyenneté (CRIEC), Université du Québec à Montréal, 2006 à la p 14.

62 Balibar, « Le retour », supra note 20.

63 Ibid. Afin de prendre acte du retour du racisme dans le contexte de la mondialisation, Balibar

prend alors à témoin quatre indicateurs : « [l]e développement exacerbé des nationalismes tant au Nord qu’au Sud, […] le choc des civilisations » qui est aussi une « self-fulfilling prophecy », […] une transformation du capitalisme en « biocapitalisme », fondé sur le développement d’une bioéconomie (ce que Bertrand Ogilvie appelait naguère de son côté la « production de l’homme jetable.) Finalement, […] les systèmes politiques qui se présentent aujourd’hui comme modèles de démocratie et de participation civique sont aussi ceux qui excluent pratiquement la majorité de leur population du choix des dirigeants à travers des mécanismes de ségrégation sociale. […] ».

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(racisme différentialiste) qui prétend qu’elles sont incompatibles (d’où le prétendu choc des civilisations):

Il fonctionne à la généralisation et à l’essentialisme, comme le racisme biologique [Références omises]. Ce « racisme culturel » [Références omises] se diffuse au sein de société, sous l’impact de la globalisation de l’immigration, de la restructuration de marché et de la pérennité des classes sociales [Références omises]64.

Pour sa part, Maryse Potvin décrit le néo racisme en ces termes :

Le néoracisme condamne les formes flagrantes de racisme (et d’inégalités), jugées socialement inacceptables, mais explique les rapports sociaux « problématiques » par les différences culturelles, en trouvant ses justifications dans des arguments « irréprochables », puisés à même la conception universaliste, libérale et pluraliste de la nation (Potvin, 1999). Il faut donc le cerner à travers l’écart de plus en plus net qu’il fait apparaître entre, d’un côté, les discours et les politiques officiellement égalitaires, multiculturelles et antidiscriminatoires, et de l’autre, les situations d’inégalités, perceptions d’injustice, sentiments d’aliénation et pratiques sociales réelles65.

Cet écart n’est pas sans rappeler le racisme démocratique66 issu du conflit existant entre les valeurs d’égalité, de justice et d’équité et de l’idéologie raciste qui persiste au sein des sociétés démocratiques67 :

Democratic racism, therefore, results from the retention of racist beliefs and behaviors in a «democratic society. The obfuscation and justificatory arguments of democratic racism are deployed to demonstrate continuing

64 Labelle « racisme », supra note 13 à la p 24; Ali Rattansi, Racism : A Very Short Introduction,

Oxford, Oxford University Press, 2007 au pp 95 à 104.

65 Maryse Potvin, « Racisme et discrimination au Québec : réflexion critique et prospective sur la

recherche » dans Jean Renaud, Annick Germain et Xavier Leloup (dir.) (2004) Racisme et discriminations : permanence et résurgence d’un phénomène inavouable, Québec, Presses de l’Université Laval, à la p 4 [Potvin] <http://www.er.uqam.ca/nobel/r24545/pdf/CEETUM2004/Potvin%20final%20bis.pdf .>

66 Henry et Tator, supra note 47 à la p 22.

67 Lori Wilkinson, « Six nouvelles tendances de la recherche sur le racisme et l’inégalité au Canada »

(2003) 39 Cahiers de recherche sociologique 109 à la p 120 [Wilkinson]. Quelques chercheurs vont même jusqu'à affirmer que le gouvernement encourage la formation d'un racisme démocratique par sa réticence à promouvoir des changements substantiels de la structure sociale.

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faith in the principles of an egalitarian society while at the same time undermining and sabotaging those ideals68.

Le racisme démocratique se révèle par les attitudes, les perceptions et les préjugés envers les groupes racialisés. On en retrace des manifestations dans l’histoire, les rapports économiques et sociaux ainsi que dans le système juridique : il est stratifié dans les diverses références et structures communes. Quant au racisme systémique69, il résulte de l’application de méthodes neutres qui ont un effet différentiel sur certains groupes d’individus. Il réfère également aux préjugés tellement enracinés chez les individus, dans les structures institutionnelles et dans les processus, qu’ils sont difficilement décelables. Par son caractère systémique et voilé, ce racisme opère sans qu’il soit intentionnel ou conscient70. Ainsi, si on met l’accent uniquement sur la nature individuelle du racisme, on esquive ses effets systémiques : certains comportements pris isolément peuvent être considérés comme n’étant pas discriminatoires, mais lorsque contextualisés « ils témoignent d’une situation circulaire et cumulative de discrimination systémique71 ». Le racisme fait également partie du sens commun (Common sense), pour pouvoir en saisir la portée, il faut déconstruire le sens commun en mettant à nu les structures et

68 Henry et Tator, supra note 47 aux pp 22 à 29.

69 CN c. Canada (Commission canadienne des droits de la personne), [1987] 1 RCS 1114 à la p

1139.

70 Myrlande Pierre, « Présentation du dossier : Les enjeux de la lutte contre le racisme et les

discriminations à l'épreuve des pratiques sociales » (2005) 17 Nouvelles pratiques sociales, 12 à la p 13 http://id.erudit.org/iderudit/011223ar ainsi que Icart, supra note 54. Williams, supra note 3 propos de la juge McLachlin au par 22 où elle réfère à des préjugés raciaux subliminaux.

71 Potvin, supra note 65 à la p 3. Voir Deborah L Brake, “Perceiving Subtle Sexism: Mapping the

Social-Psychological Forces and Legal Narratives that Obscure Gender Bias” (2007) 16 Columbia Journal of Gender and Law 679 à la p 107 [Brake]:

The doctrine treats discrimination as an individual problem, tightly limiting group-based perspectives and relegating them to the margins. Rather than encouraging race or gender consciousness as a way of preventing and remedying discrimination, discrimination law treats it as a necessary evil at best, and tantamount to violating the non-discrimination principle at worst. Since group consciousness is a key factor in an individual’s likelihood of perceiving race or gender bias, as discussed above, the narratives of discrimination law promoting individuality over group-based identification operate to further discourage perceptions of bias.

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comportements sociaux. Soulignons que de penser en fonction du construit social qu’est la race n’est pas une anomalie72, bien au contraire :

Common sense racism is not based on theory, nor does it have a unified body of knowledge to support it, it contains a ‘storehouse of knowledge’ that guides the thinking of ‘the practical struggle of everyday life of the popular masses’. (Lawrence 1982:49)73.

Partie intégrante du sens commun, le racisme est souvent inconscient, il fait partie des transactions sociales courantes, ce qui le rend difficile à cerner. Bien que l’on puisse en définir la forme, certains comparent le racisme à de la fumée74 : on le sent, on le voit, mais on peut difficilement le saisir75. C’est en ces termes que le professeur Charles R. Lawrence résume cet état de fait :

Americans share a common historical and cultural heritage in which racism has played and still plays a dominant role. Because of this shared experience, we also inevitably share many ideas, attitudes, and beliefs feelings and opinions that attach significance to an individual’s race and induce negative feelings and opinions about nonwhites. To the extent that this cultural belief system has influences all of us, we are all racists. At the same time, most of us are unaware of our racism. We do not recognize the ways in which our cultural experience has influenced our beliefs about race or the occasions on which those beliefs affect our actions. In other words a large part of the behavior that produces racial discrimination is influenced by unconscious racial motivation76. (Nos soulignés)

72 Richard Delgado &, Jean Stefancic, Critical Race Theory An Introduction, New York, New York

University Press 2001 à la p 7[Richard Delgado &, Jean Stefancic].

73 Henry et Tator, supra note 47 à la p 18.

74 Touré, Who's Afraid of Post-Blackness?: What It Means to Be Black Now, New York. Free Press

2010 à la p 117:“[m]odern racism seems to function like evaporating smoke: plainly visible but impossible to grab on to.[…] it adds to the empirical data that attempts to argue that racism no longer exists, even though you know it does. The cognitive dissonance of that double consciousness can make you feel crazy.”

75 Potvin, supra note 65 à la p 13, elle considère que :

le racisme est un processus dynamique, qui ne peut être réduit à ce qui a pu être « énoncé », bien balisé et vérifié empiriquement à travers une démarche dite objective, notamment à partir d’indicateurs provenant de données transversales. Il n’est pas non plus réductible à un ensemble de perceptions subjectives des acteurs, qui seraient acceptées comme des miroirs de la réalité au lieu de les analyser elles-mêmes comme des constructions sociales dont il faut comprendre la production et les fonctions.

76 Charles R Lawrence III, "The Id, the Ego, and Equal Protection: Reckoning with unconscious

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Nous analysons le monde et interprétons nos expériences grâce à des schémas77, représentations mentales qui synthétisent et structurent les situations et expériences, agissant alors comme cadre d’analyse. Ces schémas facilitent le traitement de l’information et agissent souvent inconsciemment; ils sont tant cognitifs (stéréotypes) qu’affectifs (préjugés). C’est lors de nos interactions sociales que nous développons ces schémas raciaux :

Through law and culture, society provides us (the perceivers) with a set of racial categories into which we map an individual human being (the target) according to prevailing rules of racial mapping. Once a person is assigned to a racial category, implicit and explicit racial meanings associated with that category are triggered78. Ainsi, lors de ces interactions de multiples schémas raciaux entrent également en jeu, schémas qui influencent instantanément ce que nous percevons en réduisant la complexité des données perçues. En mettant l’accent sur certains stimuli au détriment d’autres, ces schémas influencent les comportements.

De plus, les études79 ont démontré que les membres du groupe dominant entretiennent des préjugés à l’égard des membres de groupes subordonnés. Les membres du groupe dominant associent les caractéristiques positives à leurs pairs et des caractéristiques négatives aux membres des groupes subordonnés80. Notons que les membres du groupe dominant ont des préférences explicites envers les membres de leurs groupes au

77 Pour une analyse pointue de cette notion, voir Hassan A. Fancy, Demonstrative Advocacy : Understanding and Constraning Partiality in Adjudication, Markam ( Ontario), LexisNexis, 2008 aux pp 101 à 125.

78 Jerry Kang, “Trojan Horses of Race” 118: Harv L Rev 1489 à la p 1499 [Kang].

79 Puisque les dossiers dans lesquels la discrimination est soulevée, l’utilisation de preuves sociales

est fréquente, nous jugeons opportun de souligner la mise en garde faite par la Cour suprême dans

M c H: « [l] a prudence est de mise en ce qui concerne les données des sciences humaines. Lorsqu’il est saisi d’études explorant les caractéristiques générales d’un groupe défavorisé sur le plan social, le tribunal doit se garder de faire siennes des conclusions qui peuvent dans les faits avoir été inspirées ou influencées par la discrimination même que les tribunaux doivent éliminer. Dans les faits, les juges doivent soigneusement examiner toutes les données des sciences humaines pour déceler tout préjugé, qu’il soit expérimental, systémique ou politique. » M c H, [1999] 2 RCS 3 au par 296.

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détriment des Noirs, mais cette préférence est faible eu égard à leurs préférences implicites81.

Les préjugés implicites permettent d’anticiper les comportements lors des interactions sociales mettant en présence des personnes racialisées82. Les préjugés implicites83 ont une influence84 sur l’objectivité de nos évaluations. Le fait de ne pas avoir de préjugés conscients n’a aucune incidence sur les préjugés inconscients. Certains chercheurs en sont arrivés à la conclusion que le racisme inconscient a une incidence sur le processus d’adjudication85.

Autre manifestation du racisme inconscient : les microagressions86 raciales. Sont considérées comme des microagressions : les micro insultes, les micro attaques et les

81 Ibid à la p 1513 : “Those of us with the greatest biais (as mesured by self-reported answers to

indirect survey questions) against a racial minority tend also to have the greatest implicit against theme and vice versa. ”

82 Une étude, portant le nom de Shooter bias study, a démontré que confrontés à une situation où ils

se sentaient en danger les policiers avaient tendance à tirer plus rapidement sur les personnes noires. Les stéréotypes culturels ont une influence sur le temps de réaction : plus le tireur croyait en l’existence de ses stéréotypes, plus il avait tendance à tirer rapidement. Il est également important de noter que le fait que le tireur soit Blanc ou Noir n’avait aucune incidence puisque ce sont donc les stéréotypes implicites qui motivent l’action. Kang, supra note 78 aux pp 1493 à 1497.

83 Implicit Association Test : https://implicit.harvard.edu/implicit/demo/

84 Lors d’une expérience portant sur des curriculum vitae, deux séries de curriculums furent transmis

aux employeurs potentiels certains avec des noms à consonance Afro-Américaine et d’autres des noms « anglo-américains », ces derniers postulants furent grandement avantagés, et ce, même lorsque les curriculum vitae déposés par des Noirs étaient de qualité supérieure. Cette expérience démontre que les employeurs ont appliqué des schémas raciaux et des catégories liées aux noms des candidats et dès lors un sens négatif attribué à la « race » était automatiquement activé se traduisant par un nombre inférieur d’entrevues pour les Noirs. Kang, supra note 78 à la p 1516; Voir Paul Eid, « Mesurer la discrimination à l’embauche subie par les minorités racisées : résultat d’un « testing » mené dans le grand Montréal », mai 2012, Commission des droits de la personne et de la jeunesse Cat. 2.120-1.31.

85 Elena Marchetti and Janet Ransley, “Unconscious Racism: Scrutinizing Judicial Reasoning in

'Stolen Generation' Cases” (2005) 14 Social & Legal Studies 533 à la p 541 [Marchetti et Ransley]: “Although some may resist and devalue claims of unconscious racism, Davis (1995) believes that “it must be examined and understood, rather than resisted” (p. 170). Other scholars such as Cunneen (1992) and Razack (1998) have identified how racial stereotyping, which Davis (1995) argues may manifest as unconscious racism, can influence judicial decision making ”.

86 Dans Eden King, Salman Jaffer et als “Discrimination in the 21st Century: Are science and Law

Aligned ? ” (2011) Psychol Pub Ppol’y & L 54 aux pp 56 et 69, les auteurs soulignent que lorsque les victimes de ce type de discrimination les soulèvent devant les tribunaux, ceux-ci ne les

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micro invalidations. Il peut également s’agir d’insultes subtiles (verbales, non verbales ou encore, visuelles) qui sont dirigées vers des personnes racialisées parce qu’elles sont racialisées. Elles consistent notamment à ignorer la personne, par des regards, des gestes conscients et inconscients ainsi que le ton de la voix. La professeure Peggy C. Davis conclut que le droit est porteur de microagressions :

So long as legal decision making excludes black voices, and hierarchical judgments predicated upon race are allowed insidiously to infect decisions of fact and formulations of law, minorities will perceive, with cause, that courts are fully capable-and regularly guilty-of bias. Minority communities will therefore continue to struggle with a mixed message of law: announced as the legitimate assertion of collective authority, but perceived as micro aggression87.

En plus de créer des citoyens de second ordre, les diverses formes de racisme ont pour effet de dévaluer leurs cibles en s’attaquant à leur estime de soi ce qui les rend vulnérables et contribuent en quelque sorte à créer une fragmentation sociale qui se répercute dans le système judiciaire.

3.1. Manifestation de racisme dans le système judiciaire canadien d’hier

à aujourd’hui

Au début du XXe siècle, la plus haute instance canadienne a légitimé l’utilisation du construit social qu’est la race comme concept juridique. Selon la professeure Constance Backhouse, le racisme systémique a influencé les jugements des tribunaux dans les dossiers impliquant des membres des Premières nations, et des personnes racialisées88. Les décisions de la Cour suprême illustrent les comportements racistes qui prévalaient au sein de la majorité de la société canadienne89, qui, afin de protéger ses intérêts, a utilisé le droit. On comprend que « le droit et la société entretiennent des liens d'interdépendance

considèrent pas et ils ne reconnaissent pas que ces microagressions causent un préjudice (cause harm) aux victimes.

87. Peggy C. Davis, "Law as a microaggression " (1989) 98 : Yale LJ 1559 à la p 1577 [Davis]. 88 Backhouse, Constance. Colour-Coded. A Legal History of Racism in Canada, 1900-1950,

Toronto, University of Toronto Press, 1999.[Backhouse, "Colour"].

89 J. C Robert Young,“The race for equality” National Post (19 février 2000); Backhouse,"Colour", ibid à la p 11; McLachlin, supra note 45 au par 23.

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inextricable et que les faits sociaux font partie intégrante du processus d’élaboration des lois90 » ainsi que l’interprétation judiciaire.

La Cour suprême du Canada a utilisé la hiérarchisation raciale pour garder certains privilèges adhérant ainsi aux théories prônant l’état d’infériorité et de subordination de certains groupes91. Certaines lois utilisèrent le construit social qu’est la race comme motif de distinction, ce qui ne fut pas considéré par la Cour comme un motif pour les invalider92.

Selon la juge McLachlin, à cette époque la position de la Cour suprême quant au droit à l’égalité se limitait à « treating « likes » alike and « unlikes » differently93 ». Après avoir fait une analyse des décisions de Christie94, de Quong95, de Noble96 et de Narine-Singh97, elle considère que l’approche de la Cour était discriminatoire ou encore qu’elle fait preuve d’inertie vis-à-vis les droits des minorités. Elle souligne que :

The operative assumption for most people, including many of the men who sat on the country’s highest Court, was that it was legitimate, perhaps event proper and moral, to impose burdens and withhold benefits on the basis of race and ethnicity.98

Certes, ces décisions ont été rendues alors que le racisme allait de soi99, faisait alors partie du sens commun. Toutefois, on prendra acte que certains dissidents rejetaient les

90 Willick c. Willick, [1994] 3 RCS 670 au par 16. 91 Backhouse,"Colour", supra note 88 p 11 et 13.

92 Voir à cet égard, Walter Surma Tarnopolsky, « Discrimination and the Law in Canada » (1992) 41 U.N.-B. Law Journal, à la p 241. Union Colliery c. Bryden, [1899] AC 580; Cunningham c. Tomey Homma, [1903] AC 151.

93 McLachlin, supra note 45 à la p 9. 94 Christie, supra note 44.

95 R. c Quong-Wing, [1914] RCS 440. 96 Noble et al c Alley, [1951] RCS 64.

97 Narine-Singh c Attorney-General (Canada), [1955] RCS 395. 98 McLachlin, supra note 45 aux par 9 et 26.

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