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Patrimoine, développement durable et le problème du climax anthropique des marais de la baie du Mont-Saint-Michel (France)

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Academic year: 2021

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(1)

Patrimoine, développement durable et le problème du

climax anthropique des marais de la baie du

Mont-Saint-Michel (France)

Mémoire

Nicolas Roy

Maîtrise en sciences géographiques - avec mémoire

Maître en sciences géographiques (M. Sc. géogr.)

(2)

Patrimoine, développement durable et le problème

du climax anthropique des marais de la baie du

Mont-Saint-Michel (France)

Mémoire

Nicolas Roy

Sous la direction de :

Matthew Hatvany, directeur de recherche

Jean-Michel Carozza, codirecteur de recherche

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Résumé

Depuis 1979 la baie du Mont-Saint-Michel (MSM) en France est inscrite sur la liste des sites du patrimoine mondial de l’UNESCO à la fois pour ses éléments culturels et naturels. Cette dualité « nature-culture » est facilement observable sur le terrain et sur les images représentant le MSM. D’un côté, il y a le mont, un rocher granitique entouré d’eau à marée haute et surmonté d’une abbaye. De l’autre, il y a de vastes étendues de marais salés et de vasières. La beauté de ce paysage a fait du mont une attraction touristique de renommée mondiale et joue un rôle important dans l’économie régionale avec environ trois millions de visiteurs annuellement. Or, le paysage si populaire est menacé d’être transformé par la progradation des rives de la baie. Ce comblement se matérialise par l’empiètement progressif des prés salés sur les vasières séparant le mont du continent, mettant en péril l’insularité du MSM. Sans intervention, cette perte d’insularité pourrait se produire d’ici quarante ans. Une telle situation serait catastrophique auprès des visiteurs et pour l’économie de la région. En réponse, les autorités françaises ont lancé le projet de Rétablissement du Caractère Maritime du Mont-Saint-Michel (RCM). Les travaux visant à « rétablir l’écosystème naturel » de la baie ont été entrepris pour limiter les phénomènes d’envasement.

Ayant comme objectif de découvrir les répercussions du projet RCM sur le patrimoine naturel et culturel, cette recherche utilise des méthodes géographiques tirées des sciences sociales et naturelles. En utilisant des données archéologiques et historiques, ainsi que des données et informations provenant d'études sédimentologiques, de photographies aériennes, de LiDAR et de marégraphes, il a été possible de présenter une vision intégrée, à la fois naturel et culturel, de l’évolution de cette baie patrimoniale. Les résultats suggèrent que les travaux réalisés dans le cadre du projet RCM ont altérés drastiquement la trajectoire écologique du sud de la baie, provoquant la mise en place d’un état de développement naturel suspendu que cette étude interprète comme un climax anthropique.

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Abstract

Since 1979 the bay of Mont-Saint-Michel in France has been listed by UNESCO as a world heritage site for its cultural and natural elements. This “nature-culture” duality is easily observed at the site as well as in the thousands of images representing the Mont-Saint-Michel (MSM). On one side there is the mount, a granitic rock surrounded by water at high tide and surmounted by an abbey. On the other, there are vast expanses of tidal marshes and flats. The beauty of this landscape has made it a world-renowned touristic destination, endowing it with an important role in the regional economy with an estimated three million annual visitors. However, this popular landscape is in danger of transformation as a result of the progressive encroachment of the salt marshes separating MSM from the continent. The insularity of MSM is thus under threat of disappearing in the next forty years without human intervention. Because such a loss of insularity would be catastrophic for the tourist economy of the region, French authorities launched the project Restore the Maritime Character of Mont-Saint-Michel (Rétablissement du Caractère Maritime du Mont-Saint-Mont-Saint-Michel, or RCM) to “restore the natural ecosystem” of the bay by limiting siltation around MSM.

In an attempt to better understand the ecological repercussions of the RCM project, this study relies on social and natural science methods. Using archaeological and historical information, as well as data gleaned from sedimentological studies, aerial photographs, LiDAR and tide gauges, it is possible to present an integrated vision, both natural and cultural, of the evolution of this heritage bay. The results suggest that the work carried out within the framework of the RCM project have drastically altered the ecological trajectory of the southern half of the bay, creating a suspended state of natural development that this study interprets as an anthropogenic climax.

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Table des matières

Résumé ... ii

Abstract ... iii

Table des matières ... iv

Liste des tableaux ... vi

Liste des figures ... vii

Remerciements ... x

Introduction ... 1

Problématique ... 2

Hypothèse et objectifs ... 4

Organisation du mémoire ... 5

Intérêt scientifique de la recherche et retombées ... 6

Chapitre 1 Cadre théorique ... 7

1.1 Revue de littérature ... 7

1.2 Site d’étude ... 14

1.3 Méthodologie générale ... 23

1.3.1 Sources et collecte de données ... 23

1.3.2 Méthodes de traitement de données ... 26

Chapitre 2 Mythes, légendes et mutations ... 31

Introduction ... 31

2.1 Contexte géologique et géomorphologique ... 31

2.1.1 Base structurale ... 31

2.1.2 Les glaciations et la transgression flandrienne ... 33

2.2 Contexte humain ... 36

2.2.1 De la préhistoire à l’antiquité ... 36

2.2.2 Le Moyen Âge et l’abbaye ... 38

Conclusion ... 44

Chapitre 3 La nature mise à profit : de la conquête des grèves à la protection du patrimoine... 47

Introduction ... 47

(6)

3.1.1 La canalisation du Couesnon et la construction de la digue-route ... 47

3.1.2 Endiguement et poldérisation de la petite baie : à la conquête de nouvelles terres ... 51

3.1.3 Le cas de la digue-route ... 55

3.2 L’invention d’un paysage romantique : la patrimonialisation de la baie du Mont-Saint-Michel ... 55

3.2.1 L’essor du tourisme, la question d’insularité et prélude au projet de rétablissement du caractère maritime ... 55

3.2.2 L’UNESCO et la place du Mont-Saint-Michel sur la liste des sites du patrimoine mondial ... 62

Conclusion ... 66

Chapitre 4 Technocratie et nature : De symbiose à domination ... 69

Introduction ... 69

4.1 Le comblement de la baie : D’atout à problème ... 69

4.2 Le projet de rétablissement du caractère maritime du Mont-Saint-Michel ... 72

4.3 Entre statisme et dynamisme : une baie en changement ... 78

Conclusion ... 98

Chapitre 5 Trajectoire, succession et climax : les impacts des travaux d’aménagements sur les systèmes côtiers ... 101

Introduction ... 101

5.1 Trajectoires et climax ... 101

5.1.1 La trajectoire écologique et géohistorique ... 101

5.1.2 Vers une nouvelle conception de climax ... 112

5.2 La place du développement durable... 115

5.2.1 Les acteurs du projet ... 116

5.2.2 Discours et trame narrative ... 116

5.2.3 Critiques et l’envers de la médaille ... 118

5.2.4 Bilan ... 121

Conclusion ... 122

Conclusion ... 127

(7)

Liste des tableaux

Tableau 1 : Principales espèces de plantes halophytes des marais de la baie du Mont-Saint-Michel17 Tableau 2 : Photographies aériennes utilisées ... 25 Tableau 3 : Delta (Δ) de la distance du trait de côte pour les transects du marais ouest ... 89 Tableau 4 : Delta (Δ) de la distance du trait de côte pour les transects du marais est ... 90

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Liste des figures

Figures 1 : a) L’ancienne île de Mont-Dol, maintenant à près de 4 km à l’intérieur des terres; b) Vue

du sommet du Mont-Dol vers la baie du Mont-Saint-Michel. ... 9

Figure 2 : Schématisation de l'étude des milieux anthropisés ... 12

Figure 3 : Localisation de la baie du Mont-Saint-Michel. ... 15

Figure 4 : La baie du Mont-Saint-Michel. ... 16

Figure 5 : Salicorne en zone pionnière, baie du MSM. Cliché : Nicolas Roy, juin 2019 ... 18

Figure 6 : Zonation théorique des marais intertidaux dans la baie du Mont-Saint-Michel. ... 19

Figure 7 : Le Mont-Saint-Michel et son paysage de vastes marais en premier plan. ... 21

Figure 8 : La baie du Mont-Saint-Michel et la zone d'étude spécifique. ... 24

Figure 9 : Transects de la zone à l’étude. ... 28

Figure 10 : Formation géologique de la baie du Mont-Saint-Michel. ... 32

Figure 11 : La baie du Mont-Saint-Michel vers 7 500 BP... 34

Figure 12 : Topographie des marais de Dol. ... 36

Figure 13 : Tracé de la digue de la Duchesse Anne. ... 41

Figure 14 : Le Mont-Saint-Michel, remparts et tours endommagées, entouré par les eaux et les navires au XVIIe siècle (Jollain, 1680). ... 43

Figure 15 : Carte de Forestier des marais de Dol affichant une expansion agricole maximale en 1734. ... 44

Figure 16 : Chenaux du Couesnon et étendue des marais à proximité du Mont-Saint-Michel vers 1774 (Garreau, 1775). ... 49

Figure 17 : Limite maritime de la concession de Mosselman-Donon de 1856. ... 51

Figure 18 : Distribution des polders de l'ouest de la baie du Mont-Saint-Michel en fonction de la présence de la digue-route. ... 52

Figure 19 : Le paysage des marais salés, des digues et des polders de la Duchesse Anne et la Chapelle Sainte-Anne. ... 53

Figure 20 : Polders de l'Est et étendue de la digue de la Roche-Torin avant son démantèlement au XXe siècle. ... 54

(9)

Figure 22 : Évolution de la superficie des stationnements le long de la digue-route du

Mont-Saint-Michel entre 1961 et 2007. ... 61

Figure 23 : Évolution de la superficie des marais du Mont-Saint-Michel entre 1947 et 2007 dans la zone d’étude spécifique. ... 70

Figure 24 : Niveau marin relatif moyen mensuel (mm) entre 1994 et 2018, baie du Mont-Saint-Michel. ... 71

Figure 25 : Le bassin derrière le nouveau barrage de la Caserne sur le Couesnon permettant d'emmagasiner les eaux des marées et de les relâcher à volonté. ... 74

Figure 26 : Le pont-passerelle et le Couesnon divisé entourant désormais le Mont-Saint-Michel, faisant de lui une île à nouveau. ... 76

Figure 27 : Localisation des principaux travaux du Projet de Rétablissement du Caractère Maritime du Mont-Saint-Michel... 77

Figure 28 : Éléments structuraux, courants dominants entrants (flèches vertes) et sortants (flèches rouges) dans la baie du Mont-Saint-Michel. ... 79

Figures 29 : Schématisation générale du système côtier, des cellules sédimentaires et des segments intertidaux-supratidaux dans la petite baie en 1947 (a), 1995 (b) et 2018 (c) ... 83

Figure 30 : Évolution de la superficie des marais du Mont-Saint-Michel entre 2007 et 2018 dans la zone d’étude spécifique. ... 85

Figure 31 : Superficie (ha) des marais ouest et est dans la zone d'étude entre 1947 et 2018. ... 87

Figure 32 : Évolution du trait de côte entre 1947 et 2018 dans la zone d'étude spécifique. ... 88

Figure 33 : Divagation du Couesnon à l’ouest du mont entre 1960 et 1965. ... 91

Figure 34 : Divagation du Couesnon à l'est du mont entre 1991 et 1995. ... 92

Figure 35 : Delta (Δ) de la distance moyenne du trait de côte pour chaque année analysée ... 93

Figure 36 : Évolution topographique des grèves de la baie du Mont-Saint-Michel entre 2004 et 2017. ... 96

Figures 37 : Schématisation de la trajectoire écologique d’un marais. En a), la trajectoire est présentée selon une perspective temporelle linéaire de l’évolution de la superficie ... 104

Figures 38 : Valeurs centrées réduites de l'évolution de l'amplitude des marées, de l'aire des marais, du trait de côte et du delta du trait de côte entre 1995 et 2019 pour le marais ouest et est combiné (a), le marais ouest (b) et le marais est (c). ... 109

Figure 39 : Schématisation de trois scénarios possibles de l'évolution de la trajectoire écologique dans la partie sud de la petite baie du Mont-Saint-Michel... 112

(10)

Figure 41 : Schématisation de la transformation de la baie du MSM dans un anthroposystème où les processus naturels et culturels qui sous-tendent l'évolution de l'environnement deviennent

(11)

Remerciements

J’aimerais d’abord remercier mon directeur de recherche, Matthew Hatvany, de m’avoir guidé depuis mon projet de recherche de fin d’études au baccalauréat. Sans son support, ses conseils et son enseignement, ce projet n’aurait pas pu être mené à terme. Il m’a aidé à développer ma pensée critique, élément crucial dans toutes recherches scientifiques, mais aussi une aptitude utile dans la vie de tous les jours. J’aimerais également remercier mon codirecteur, Jean-Michel Carozza, professeur à l’Université de La Rochelle, qui m’a poussé à dépasser mes limites et à sortir de ma zone de confort. Je ne peux omettre le support des deux autres membres de mon comité d’évaluation, Philippe Valette, maître des conférences à l’Université Toulouse – Jean Jaurès, et Étienne Berthold, professeur à l’Université Laval. Leurs conseils m’ont poussé à chercher d’autres perspectives et à développer davantage mes réflexions. Leur rôle dans cette recherche a été indispensable.

J’aimerais souligner l’aide inestimable offerte par Donald Cayer, professionnel de la recherche à l'Université Laval, tout au long de mon cheminement universitaire et en particulier au cours de ce projet de recherche. Sans ses enseignements aussi bien pratiques que théoriques, les aspects techniques de cette recherche auraient été pâles en comparaison avec ce qu’ils sont dans ce produit final. Je tiens aussi à souligner son implication et celle de Marc-Élie Adaïmé dans notre groupe de discussion extrascolaire. Les discussions, généralement de natures scientifiques, m’ont permis de décrocher après de longues semaines. Merci à ma famille et mes amis de m’avoir encouragé tout au long de ce processus. Un merci particulier à ma conjointe qui a eu la patience de m’écouter radoter pendant une myriade d’heures, en plus de m’offrir son support émotionnel. Finalement, j’aimerais remercier le Centre des Congrès de Québec pour la bourse d’excellence qu’il m’a octroyée et qui m’a permis d’effectuer un séjour sur le terrain en France en juin 2019 et de participer aux activités du Groupe d'histoire des zones humides (GHZH). Merci également à Simon Mélançon de m’avoir offert la bourse Fernand-Grenier en Géographie humaine. Je lui en serai toujours reconnaissant pour l’intérêt envers ma recherche que cette bourse symbolise.

(12)

Introduction

Dans le golfe de Saint-Malo, au nord de la France se situe la baie du Mont-Saint-Michel, une baie d’environ 500 km2 reconnue pour la richesse de ses patrimoines naturel et culturel. Le

Mont-Saint-Michel, éponyme de la baie, est connu partout dans le monde pour son image d’île fortifiée entourée de façon intermittente par les marées (Verger, 2009; Lefeuvre et Mouton, 2017). À proximité du mont se trouvent de vastes étendues de marais et vasières intertidaux qui complètent le portrait d’une baie où la nature et la culture cohabitent et forment un paysage en harmonie.

Les marais intertidaux sont des milieux humides dynamiques et riches en biodiversité. Ils se retrouvent en abondance sur la côte atlantique de la France (Baron-Yelles et Goeldner-Gianella, 2001; Verger, 2009). Depuis leur début, les sociétés humaines coexistent avec ces milieux. Ils en tirent avantage entre autres pour la chasse et le pâturage d’animaux d’élevage. Les marais intertidaux constituent un excellent exemple de milieux où la nature et la culture interagissent et évoluent conjointement (Hatvany, 2020). Ayant une connexion aussi étroite avec l’humain, les relations entre les deux ne sont pas toujours harmonieuses. Depuis le début de l’ère industrielle, ces écosystèmes sont souvent assujettis à des modifications anthropiques importantes qui les dénaturent. L’expansion agricole, les activités portuaires et l’endiguement sont des éléments qui peuvent compromettre la capacité des systèmes côtiers, dont les marais intertidaux sont une composante importante, à remplir leurs fonctions et à atténuer les risques (Greenberg et al., 2006; Shepard et al., 2011).

Dans le contexte postindustriel de la civilisation, d’innombrables initiatives visant à réparer les dommages causés par les activités anthropiques ont vu le jour un peu partout dans le monde (Jordan et Lubick, 2011; McNeill et Engelke, 2016). Les pratiques de renaturation et de réhabilitation sont généralement exercées avec un souci de développement durable (Higgs, 2003; Brunel, 2018). Fondamentalement, la pratique vise à modifier l’écosystème de manière à le rendre plus conforme à un état antérieur ou un état souhaité qu’il n’a jamais

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connu, mais qui est jugé désirable. Idéalement le produit final, l’écosystème modifié à des fins environnementales, devrait être autonome et s’auto-entretenir (Waller, 2016).

Au cours du XIXe siècle, la population française a pris conscience d’un processus de

progradation à la fois naturel et culturel des côtes de la baie du Mont-Saint-Michel et de la menace que ce processus représente pour son paysage (Descottes, 1930a). Si aucune action n’était prise, le Mont-Saint-Michel perdrait éventuellement son insularité, compromettant ainsi l’intégrité patrimoniale du site (Seguin, 1998). Une initiative visant à changer la trajectoire de ces processus, ainsi qu’à contrer les effets du comblement, a vu le jour durant le XXe siècle. De cette initiative est né le projet de Rétablissement du Caractère Maritime du

Mont-Saint-Michel (RCM) qui se déroula de 1995 à 2015 (Seguin, 1998; Verger, 2009; Lefeuvre et Mouton, 2017). Par cette initiative d'ingénierie écologique, le patrimoine de la baie serait préservé pour les générations futures.

Problématique

Selon la convention de Ramsar, officiellement la Convention relative aux zones humides d'importance internationale particulièrement comme habitats des oiseaux d'eau, les marais salés du Mont-Saint-Michel (MSM) sont parmi les plus importants en termes de surface et de biodiversité sur la côte atlantique de la France et de l’Europe (Lefeuvre et al., 2003; Bonnot-Courtois et al., 2014; Ramsar, 2020). Dans la baie abritant ces marais, la nature et la culture sont intimement liées (Descottes, 1930a; Verger, 2009). Ainsi, malgré la valeur écologique de ces marais et les mesures de protection des terres humides, le plan d’aménagement actuel endommage cet écosystème au nom du patrimoine et semble avoir modifié la trajectoire évolutive du système intertidal aux abords du MSM, favorisant un état de développement naturel suspendu, aussi appelé « climax anthropique », plutôt qu’une évolution purement naturelle. Les travaux d’aménagement du fleuve Couesnon et les mesures prises pour limiter la progradation des marais, c’est-à-dire l’avancée de la côte à proximité du MSM, sont les exemples les plus flagrants d’éléments pouvant avoir modifié la trajectoire évolutive naturelle (Bird, 2014 : 293).

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Depuis le Moyen Âge, la baie du MSM a connu de nombreuses modifications anthropiques, notamment l’intensification progressive de la production agricole sur les côtes, la canalisation du fleuve Couesnon et l’endiguement progressif des marais, particulièrement au cours du XIXe siècle (Descottes, 1930a; Lefeuvre et Bouchard, 2002; Verger, 2009;

Hatvany et al., 2015). À la suite de ces travaux, le taux naturel d’accumulation de sédiments a augmenté au fond de la baie, provoquant un comblement progressif entre le mont et les marais frangeant la côte (Bouchard et al., 1995; Verger, 2009). Entre 1947 et 1996, à proximité du mont, la superficie des marais est passée de 654 à 1 366 ha dans la partie ouest et de 634 à 1 049 ha dans la partie est (Bonnot-Courtois et al., 2014).

L’objectif général de cette recherche est de déterminer par une approche holistique comment les travaux d’aménagement dans la baie du MSM ont influencé la trajectoire évolutive des marais intertidaux et s’ils ont favorisé un état de développement naturel suspendu (climax anthropique) sur les marais à proximité du mont. Par une étude des relations entre nature et culture, ainsi que par l’étude de la patrimonialisation naturelle et culturelle de la baie du MSM, cette recherche vise à rectifier la compréhension de termes tels que « nature », « culture », « succession », « climax », « anthropique » et « développement durable » lorsqu’ils sont appliqués à la description de l’évolution de la baie du MSM. Ainsi, grâce à une typologie de termes, il sera possible de caractériser quels types de milieux (naturel, culturel ou hybride) sont présents dans la baie et où ils sont situés. La recherche vise également à explorer la mise en place et le rôle du développement durable (DD) dans l’élaboration et la mise en œuvre du RCM. Ces nouvelles connaissances permettront de conscientiser les décideurs désirant réaliser des travaux d’aménagement côtier sur la nature entrelacée des processus naturels et culturels, donc hybrides, dans les environnements côtiers. Les résultats de la recherche devraient également sensibiliser les décideurs aux enjeux de la mise en œuvre de chantiers de DD en milieu côtier.

De façon générale, les connaissances acquises dans le cadre de cette recherche permettront également une meilleure compréhension des interactions humaines avec les milieux naturels en évolution et permettront de répondre à la problématique générale de cette étude : Comment les travaux d’aménagement réalisés dans la baie du Mont-Saint-Michel

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entre 2006 et 2015 ont-ils influencé l’évolution des marais intertidaux ? Ces œuvres reflètent-elles le développement durable du mont et de la baie, comme on le prétend, ou représentent-elles une autre forme de domination humaine de la nature?

Hypothèse et objectifs

L’hypothèse générale de la recherche est que les marais intertidaux de la baie du MSM ont évolué en réponse aux processus naturels et culturels, ainsi qu’à leurs interactions, au cours du dernier millénaire. Ainsi, les activités humaines ont influencé en partie la trajectoire évolutive des marais, favorisant le comblement du fond de la baie, mais ce, de façon négligeable ou substantielle jusqu’au XXIe siècle. Alors que l’endiguement des siècles

précédents et la canalisation du fleuve Couesnon auraient permis une accélération de la croissance de la superficie totale des marais, les travaux d’aménagements du projet RCM (2006-2015) auraient pour leur part modifié l’évolution des marais, les empêchant de croître horizontalement à proximité du mont. En effet, ces marais ont été mis en état d’équilibre dynamique (ou climax anthropique) contrôlé délibérément par les désirs humains plutôt que par des processus naturels.

La recherche vise également à atteindre trois objectifs spécifiques :

1. Établir un portrait holistique de l’évolution de la baie du MSM depuis la dernière déglaciation jusqu’à aujourd’hui en soulignant les processus géomorphologiques en fonction depuis 1947;

2. Déterminer comment la patrimonialisation du MSM et de sa baie a influencé l’établissement d’un nouveau paradigme, ou conceptualisation, de l’aménagement de la nature axée sur la nécessité d’empêcher ou ralentir l’accroissement vertical (progradation) des marais de la baie du MSM;

3. Déterminer si le projet de rétablissement du caractère maritime du MSM a atteint ses objectifs de DD.

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Organisation du mémoire

Ce mémoire est composé de cinq chapitres. Le Chapitre 1 porte sur le cadre conceptuel en présentant les bases théoriques et contextuelles sur lesquels celui-ci est construit. Une revue de littérature, une brève introduction du site d'étude, ainsi qu’une discussion de la méthodologie y sont présentés afin de familiariser le lecteur avec le sujet de recherche et de situer la recherche dans son contexte scientifique plus large.

Un géographe dévoué devrait être en mesure de raconter une histoire à travers les grands contextes naturels et culturels de l’environnement. Ainsi, les chapitres 2 à 4 visent à construire un grand récit de l’évolution géomorphologique de la baie du MSM. Le chapitre 2 traite de l’histoire et de la géomorphologie de la baie avant 1850. Le contexte géologique et la formation de la baie y sont présentés, ainsi que les premiers efforts d’endiguement. Puis, à une échelle spatiale réduite, l’histoire du MSM et de son abbaye est synthétisée. Dans le Chapitre 3, qui couvre le contexte industriel entre 1850 et 1995, le concept de nature mise à profit de l’humain est exploré. Les travaux d’endiguement et de modification du littoral y sont abordés, en plus d’une étude de la patrimonialisation du site, du rôle du romantisme dans ce processus et de la reconnaissance du site comme patrimoine mondial par l’UNESCO. Le Chapitre 4 traite pour sa part du contexte postindustriel de 1995 à aujourd’hui et consiste en une étude du projet de rétablissement du caractère maritime du MSM, une initiative visant le maintien de l’insularité du MSM. Il brosse également un portrait de la géomorphologie côtière contemporaine de la baie, des processus actifs et des impacts du projet de rétablissement.

Le Chapitre 5 présente les impacts des travaux d’aménagements sur les systèmes côtiers de la baie sous l’angle de l’écologie. Les notions de trajectoire écologique et de climax y sont explorées de façon à comprendre l’évolution des écosystèmes côtiers de la baie du MSM. Ensuite, une étude du RCM sous forme d’analyse discursive est présentée afin de déterminer si les ambitions d’exécuter un projet de DD ont été réalisées. Finalement, une synthèse de la question de recherche est effectuée et une conclusion y est apportée.

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Intérêt scientifique de la recherche et retombées

De façon générale, cette recherche vise à étudier les relations entre nature et culture et spécifiquement la question d’aménagement du patrimoine naturel et culturel de la baie du MSM. L’originalité de cette recherche vient d’abord d’une approche holistique et écosystémique caractérisée par l’utilisation du concept d’anthroposystème, peu utilisée pour comprendre l’évolution naturelle, culturelle et hybride de la baie du MSM (Beroutchachvili et Bertrand, 1978). Afin d’appréhender cette évolution, l’étude utilise les concepts de trajectoire écologique et de « climax anthropique ». Ce dernier se définit comme l’établissement d’un état d’équilibre d’un écosystème résultant des actions humaines. L’utilisation de ces concepts et leur application permettront d’expliquer et de comprendre les objectifs d’équilibre des travaux réalisés dans la baie au cours des dernières années. Les résultats de la recherche devraient permettre d’obtenir une meilleure compréhension des avenirs possibles du patrimoine naturel et culturel de la baie du MSM. L’étude de la conception et de la mise en œuvre du projet RCM, ainsi que la place que le DD occupe dans le projet devrait permettre d’identifier les enjeux de l’application du concept dans un projet d’aménagement côtier. Conséquemment, cette étude devrait permettre de sensibiliser les décideurs aux enjeux de la mise en œuvre du DD et du maintien de l’équilibre entre ses trois piliers, soit l’environnement, la société et l’économie. Les résultats de la recherche devraient également apporter une meilleure connaissance de l’évolution côtière passée, actuelle et future de la baie du MSM, répondant par le fait même aux lacunes dans la littérature.

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Chapitre 1 Cadre théorique

1.1 Revue de littérature

Les systèmes côtiers sont des systèmes complexes et dynamiques dont l’évolution et le fonctionnement sont influencés par de multiples facteurs naturels et anthropiques. Une bonne compréhension de ces systèmes requiert donc l’étude de différents éléments comme la géomorphologie, l’hydrologie, la sédimentologie, la climatologie, les changements d’utilisation du sol, les aménagements anthropiques, etc. La côte atlantique française est en constante évolution depuis la dernière déglaciation particulièrement en raison d’importants changements du niveau de la mer (Morzadec-Kerfourn, 1995; Holgate et al. 2004; Stéphan et Goslin, 2014). Selon la littérature, il y a actuellement une hausse du niveau marin relatif (NMR) dans la baie du MSM et sur la côte ouest de la Normandie. Cependant, le taux d’accroissement du schorre supérieur des marais salés dans la baie du MSM est plus important que le taux de hausse du NMR (Haslett et al. 2003). De plus, selon Haslett et al. (2003), une hausse du NMR entraine l’augmentation du taux d’accroissement vertical des marais intertidaux. Cette hausse du NMR dans la baie n’est donc pas une entrave au développement des marais intertidaux. De plus, de nombreuses études comme celles de Haslett et al. (2003), Billeaud et al. (2007), Furgerot et al. (2013; 2016) et Tessier et al. (2006, 2017) confirment un important apport sédimentaire dans les eaux de la baie. Bouchard et al. (1995), Lefeuvre et al. (2000) Baron-Yelles et Goeldner-Gianella (2001), Verger (2009) et Bonnot-Courtois et al. (2014) confirment l’évolution et l’accroissement des marais dans la baie. Au cours des deux derniers millénaires, les conditions hydrosédimentaires ont favorisé l’expansion des marais salés et des vasières, entrainant par le fait même un comblement de la baie. Or, le comblement du fond d’une baie et la progradation ne sont pas des phénomènes uniques à la baie du MSM. En effet, ces phénomènes ont profondément marqué l’évolution du littoral atlantique français au cours des derniers millénaires. Le comblement des baies a permis l’endiguement ou poldérisation des marais salés au cours des derniers millénaires (Seguin, 1998; Verger, 2009) et a contribué à la continentalisation de plusieurs îles comme La Dive (Anse de l’Aiguillon) (Godet et al., 2015). Il a aussi entraîné la perte du caractère maritime de plusieurs villages côtiers et portuaires comme Hiers-Brouage en

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Charente-Maritime (Verger, 2009; Chaumillon et al., 2010) et Roz-sur-Couesnon dans la baie du MSM (Lefeuvre et Mouton, 2017). La baie de la Somme (Département de la Somme, Hauts-de-France) est présentement elle aussi aux prises avec un comblement jugé problématique et indésirable par les acteurs locaux (Gravend, 2018).

À l’échelle locale, l’analyse de la littérature révèle que la situation menaçant l’insularité du MSM s’est déjà produite avec une autre île dans la baie. En effet, on trouve également dans la baie les monts Tombelaine et Dol. Ce dernier est particulièrement intéressant, car, durant l’Holocène, le Mont-Dol était, tout comme les deux autres monts, une île. Cependant, avec un apport important de sédiment, les eaux furent remplacées par des marais salés et marécages à l’eau douce et le Mont-Dol perdit progressivement son insularité au cours des derniers millénaires (Morzadec-Kerforn, 1995; Verger, 2009). Il n’est aujourd’hui qu’un promontoire sur une grande plaine littorale de champs qui fut autrefois une baie, puis des marais et marécages (Figures 1a, 1b et 4) (Verger, 2009 : 178-179). Malgré les similitudes entre l’évolution passée du Mont-Dol et la situation actuelle du MSM, aucun auteur n’a établi de lien direct entre les deux. La littérature pertinente, comme Morzadec-Kerfourn (1995) et Verger (2009), étudie le Mont-Dol uniquement en relation avec l’évolution du niveau marin. De ce fait, une question primordiale se pose : la perte d’insularité du MSM est-elle due à un processus d’équilibrage naturel, tout comme le Mont-Dol, ou est-elle due aux impacts anthropiques, comme stipulé par certains auteurs (Prigent, 2011; Lozato et al. 2012), ou est-elle due à une combinaison des deux?

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Figures 1a et b : a) L’ancienne île de Mont-Dol, maintenant à près de 4 km à l’intérieur des terres; b) Vue du sommet du Mont-Dol vers la baie du Mont-Saint-Michel.

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En comparant la littérature nord-américaine à celle de la France, il est possible de distinguer une différence de paradigmes idéologiques en matière d’environnements côtiers. Alors que la posture épistémologique nord-américaine influence les écrits locaux vers une conception des environnements côtiers comme des systèmes principalement sous l’influence des processus d’altération et de transport, c’est-à-dire l’érosion (Hatvany et al., 2015), la posture française en est tout autre, particulièrement en ce qui concerne la baie du MSM. Comme mentionné, les côtes françaises sont en constante évolution et la dernière déglaciation a permis l’établissement de conditions propices à l’accrétion des marais intertidaux et l’accumulation des dépôts sédimentaires. L’accrétion et l’accumulation ont permis des projets d’endiguement massifs sur les côtes atlantiques de la France (Verger, 2009; Barron-Yelles et Goeldner-Gianella, 2001). Ce processus s’est poursuivi jusqu’à la première moitié du XXe siècle et parfois au-delà jusqu’à la fin des années 1980. Soucieux des impacts de tels

travaux sur la biodiversité et l’environnement, cette pratique a peu à peu cessé (Seguin, 1998; Verger, 2009; Goeldner-Gianella, 2013; Hatvany, 2020).

Afin de protéger la richesse naturelle des milieux littoraux, des accords, comme la convention de Ramsar (1975), ont été mises sur pied. Bien que les Nord-Américains et Européens partagent les mêmes désirs et volonté de protéger les milieux littoraux, la différence entre les littoraux nord-américains et français réside dans les phénomènes qui les « menacent ». Alors que les côtes nord-américaines sont perçues comme menacées par un recul des côtes, les côtes françaises, du moins celles à marais littoraux, le sont plutôt par une accrétion (baie du MSM, baie de la Somme), qu’elle soit d’origine anthropique ou non (Gravend, 2018). Les deux perspectives ont un point épistémologique commun : la difficulté de reconnaitre les environnements côtiers comme dynamiques, donc n’ayant pas une évolution ni linéaire ni statique. Ce problème épistémologique est observable dans le concept d’état de référence. Comme l’expliquent Wohl et Merrits (2007), l’état de référence est fondé sur un idéal préconçu qui n’est pas nécessairement représentatif de la réalité et qui ne prend pas nécessairement en compte les dynamiques et processus d’un système, il s’agit plutôt d’une image idyllique statique. Ainsi, la problématique des changements observables sur les littoraux, qu’ils soient d’origine anthropique ou naturelle, est due à des idéaux préconçus de ce à quoi ces littoraux devraient ressembler. Dans les deux cas, français et nord-américain,

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la problématique d’ordre géomorphologique est en fait causée par une question d’ontologie fondée sur les perceptions (Hatvany et al., 2015; Hatvany, 2020).

L’analyse des sources primaires et secondaires a permis de constater un clivage entre les études physiques et culturelles du site à l’étude. Cette différence épistémologique constitue un problème majeur dans l’étude de milieux côtiers. À l’ère de l’anthropocène, les impacts des activités humaines sur les écosystèmes sont indéniables. Il en résulte des entités structurelles et fonctionnelles prenant en compte les interactions sociétés-milieux, et intégrant sur un même espace un ou des sous-systèmes naturels et un ou des sous-systèmes sociaux, l’ensemble coévoluant dans la longue durée, comme l’expliquent Muxart et Lévêque (2004). Ses entités structurelles sont nommées anthroposystèmes. Ce concept, proposé par Lévêque et al. (2003), considère une coévolution diachronique des sous-systèmes naturels et culturels. Il considère également que les interactions sont variables dans le temps. Ainsi, l’évolution d’un système n’est plus considérée comme linéaire, il ne répond donc pas à une trajectoire évolutive dite « fixe ». Une telle conception évolutive des écosystèmes remet en question l’état de référence. Muxart et Lévêque (2004) concluent que les transformations et la variabilité des états d’un système analysé sont la règle, alors que la stationnarité n’est seulement que temporaire. Il importe donc d’utiliser une démarche rétrospective pour mieux comprendre les processus hérités du passé encore à l’œuvre aujourd’hui pour obtenir une meilleure compréhension d’un système et de son évolution. Or, les études de la baie du MSM sont marquées par l’absence de cette compréhension du système comme le fruit d’une évolution conjointe et interreliée des processus naturels et culturels. En effet, cette démarche, qui requiert une vision holistique des systèmes, a très peu été tentée. Bien que Verger (2009) et Lefeuvre et Mouton (2017) aient tenté de présenter un portrait large de la baie du MSM, les facteurs naturels et culturels sont présentés comme deux éléments importants, mais distincts. Bref, la baie n’est jamais présentée et étudiée dans son ensemble comme un anthroposystème à la fois naturel et culturel (Figure 2).

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Figure 2 : Schématisation de l'étude des milieux anthropisés

Le schéma a) représente l’étude des milieux anthropisés telle que décrite dans la littérature sur la baie du MSM. La section noire correspond aux processus physiques et la section blanche correspond aux pressions anthropiques. Une discordance existe entre l’étude des deux phénomènes, car les processus physiques n’incluent pas les pressions anthropiques et vice-versa. Les deux sont étudiés de façon séparée. Le schéma b) représente l’étude du milieu comme anthroposystème où la section noire correspond aux processus physiques avant l’introduction d’influences humaines. La discordance survient lorsque des pressions anthropiques apparaissent dans le milieu étudié. La trame grise correspond à l’étude du milieu en considérant les processus physiques, les pressions anthropiques et leurs interactions à travers le temps, tel que représenté par la flèche. Les deux deviennent alors indissociables.

La trajectoire écosystémique et le concept d’anthroposystème sont des concepts clefs dans l’étude de l’évolution passée et actuelle de l’environnement. Une approche basée sur ces concepts contredit à première vue les théories de la succession écologiques et des communautés climaciques de Clements telles que développées dans son étude (1916) sur la succession naturelle. Cependant il est possible d’argumenter que les concepts d’anthroposystème et de trajectoire écologique viennent plutôt recontextualiser ces concepts et répondre à leurs lacunes. La communauté climacique de Clements est le fruit et l’étape ultime d’une succession écologique prédéfinie par des facteurs intrinsèques et

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environnementaux, excluant l’humain et d’autres événements externes à l’écosystème (Worster, 1994). Les idées de seuils et d’évolution dynamique non linéaire de la théorie des trajectoires semblent permettre un portait plus réaliste et ouvert à un dynamisme évolutif des écosystèmes. L’écosystème n’est donc plus une entité avec une certaine finalité en matière de succession, mais bien une entité qui évolue en fonction des processus qui eux aussi peuvent évoluer dans le temps. Le climax d’un écosystème ne serait donc pas statique comme il est traditionnellement compris, mais bien un objectif établit en fonction des processus actifs, dictant une trajectoire, qui muterait avec la mise en place de nouveaux processus et de nouvelles conditions (Johnson et Miyanishi, 2008).

Finalement, la littérature étudiée a mis en évidence une posture épistémologique observable dans la perception négative des impacts humains sur les environnements côtiers.

Depuis la seconde moitié du XXe siècle, l’humain est généralement vu comme une entité

perturbatrice (Hatvany, 2020). Or l’utilisation du mot perturbateur, dans le contexte côtier, sous-entend une connotation péjorative chargée de sens et d’émotions. La première définition de Larousse (2020) définit « perturbation » comme un « dérèglement dans un fonctionnement, un organisme, un système ». La seconde parle d’un « trouble profond dans le cours de la vie humaine, dans la société. » En matière de synonyme, pour la première définition, Larousse parle de bouleversement, de dérèglement et de déséquilibre, alors que pour la seconde il parle d’agitation, de chaos, de désordre et de dérangement. Les définitions et les synonymes sont clairs, une perturbation est généralement vue comme quelque chose de négatif. De plus, celles-ci témoignent d’un anthropomorphisme où les émotions humaines sont projetées sur la définition et la signification pour l’environnement. Lorsqu’il est question de la perturbation d’un écosystème, la première chose qui vient en tête est qu’une action posée directement ou indirectement sur un milieu entraîne des dégradations. Bien qu’il soit possible de lire l’expression « perturbation positive » de temps à autre dans la littérature, la présence de l’adjectif « positive » ne fait qu’appuyer la notion selon laquelle une perturbation, seule, est perçue négativement. Par exemple, Kearns (2010), biologiste et chargée de cours à l’Université du Colorado Boulder, stipule que les constructions humaines et le développement perturbent les environnements naturels, sans faire de distinction entre

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il est statistiquement improbable que l’humain n’ait eu que des impacts négatifs sur l’environnement. Pour ces raisons, ainsi que par souci de maintenir un certain niveau d’objectivité et d’impartialité, les impacts positifs et négatifs des activités humaines sont présentés dans ce mémoire sans jugement moral. De ce fait, le mémoire ne s’insère pas dans une ontologie où l’humain est réduit à un agent biogéomorphique purement négatif.

1.2 Site d’étude

La baie du MSM est située sur la côte atlantique nord de la France, à cheval entre la Bretagne et la Normandie (Figures 3 et 4). Le territoire à l’étude s’étend sur plus de 20 km de longueur entre la Pointe du Grouin à l’ouest et les falaises de Carolles à l’est et a une largeur moyenne d’environ 10 km. Quatre principales unités hydrologiques composent le bassin versant de la baie du MSM : le marais de Dol et ses ruisseaux, le bassin du Couesnon, le bassin de la Sélune et le bassin de la Sée. Le bassin versant de la baie du MSM, d’une superficie supérieure à 3 200 km2, rejoint les eaux de la Manche et de l’Atlantique par l’ouverture dans

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Figure 3 : Localisation de la baie du Mont-Saint-Michel. Source : Google Earth, 2020.

La baie se situe dans un environnement macrotidal où il n’est pas rare d’observer des marées supérieures à 10 m (SHOM, 2020). Le régime tidal de la baie s’explique par la faible pente de l’estran pouvant atteindre 3 ‰ et même être inférieure à 1 ‰, dans la partie estuarienne (partie est) de la baie (Verger, 2009 : 187). Le fond de la baie à l’est est communément nommé la petite baie (Figure 4). Le taux de salinité des eaux de la baie varie de 33,5 ‰ en avril à 34,7 ‰ en septembre (Ifremer, 2020). Le climat de la baie est classé tempéré chaud sans saison sèche selon l’échelle Köppen-Geiger-Pohl (Arnfield, 2020). Entre 1973 et 2020, la température moyenne était de 11,46°C et les précipitations annuelles moyennes étaient de 651,92 mm.an-1 (Infoclimat, 2020).

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Figure 4 : La baie du Mont-Saint-Michel. Source : Modifiée de Google Earth, 2016.

En matière de biodiversité, la baie est un milieu de vie et de nidification exceptionnel pour des centaines d’espèces. On y trouve des mammifères marins comme le grand dauphin et le phoque veau-marin, des oiseaux comme l’oie cendrée et l’oie rieuse, puis des poissons comme l’anguille argentée et la lamproie marine. On y trouve aussi des hermelles qui édifient des récifs dans la zone intertidal (Lefeuvre et Mouton, 2017). En ce qui concerne la végétation halophyte des marais intertidaux de la baie du MSM, ceux-ci abritent treize espèces principales (Tableau 1 et Figures 5 et 6). Ces plantes se développent et leur distribution varient en fonction de facteurs environnementaux ou abiotiques comme le taux de salinité, le temps de submersion, l’abondance des précipitations et la température, mais

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varient aussi en fonction de facteurs biotiques comme le piétinement, le pâturage, le temps de submersion et la compétitivité interespèces (Lefeuvre et al., 2003; Bilodeau, 2010).

Tableau 1 : Principales espèces de plantes halophytes des marais de la baie du Mont-Saint-Michel

Nom commun Nom latin Zonation

Salicorne Salicornia sp. Zone pionnière

Spartine anglaise Spartina anglica Zone pionnière

Puccinellie maritime ou

herbe à mouton Puccinellia maritima Bas marais

Soude maritime Suaeda maritima Bas marais

Aster maritime Aster tripolium Bas, moyen et haut marais

Obione faux-pourpier Halimione portulacoïdes Moyen marais

Armérie maritime Armeria maritima Moyen et haut marais

Limonium à feuilles de

lychnis Limonium lychnidifolium Haut marais

Jonc de Gérard ou Jonc

des prés salés Juncus gerardii Haut marais

Obione à fruits

pédonculés Halimione pedunculata Haut marais

Arroche en fer de lance Atriplex hastata Haut Marais

Fétuque rouge Festuca rubra Haut marais

Chiendent maritime Elymus pycnacanthus Haut marais

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Figure 5 : Salicorne en zone pionnière, baie du MSM. Cliché : Nicolas Roy, juin 2019

La salicorne est une chénopodiacée pionnière de transition entre la vasière et le schorre inférieur. Elle est généralement une des premières plantes à s’installer lorsque les conditions le permettent (c.-à-d. temps de submersion). Capable de tolérer de faibles concentrations de sel dans ses cellules, elle excrète l'excès, ce qui lui confère un goût salé et rend son utilisation populaire dans la salade. Historiquement, elle a été exploitée pour la soude nécessaire à la fabrication du savon par combustion.

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Figure 6 : Zonation théorique des marais intertidaux dans la baie du Mont-Saint-Michel.

La zone pionnière, aussi appelée haute slikke, est caractérisée par une végétation clairsemée d’espèces pionnières comme la salicorne et la spartine. Le bas marais (schorre inférieur) forme une bande plus ou moins large de végétation composée, entre autres, de puccinellie, de soude, d’obione et de salicorne à la bordure du marais. Le moyen marais (schorre intermédiaire) est composé d’espèces arbustives comme l’obione faux-pourpier. En raison de son altitude, le haut marais (schorre supérieur) est moins influencé par les marées. La végétation du haut marais est ainsi constituée de plantes graminées moins tolérantes aux inondations comme le jonc de gérard et le chiendent maritime. La limite entre le moyen marais et le haut marais peut être définie par une microfalaise de quelques centimètres dans des systèmes d’érosion où l’altération et le transport sont actifs (Natura 2000, 2020).

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C’est cette richesse naturelle « exceptionnelle » qui confère au MSM son statut de site patrimonial naturel (Lefeuvre et al., 2000; 2003; UNESCO, 2019a). Hormis ces éléments qu’il est possible de qualifier de naturels, la baie du MSM est également caractérisée par des éléments d’origine culturelle qui lui confère également un statut de patrimoine culturel. L’élément le plus frappant est a priori le mont lui-même, caractérisé par ses remparts et l’abbaye qui le surplombe et qui forme la silhouette iconique du monument historique (Figure 7). Cette silhouette est d’autant plus marquante par la relative planitude du paysage qui l’entoure. Le mont constitue l’attrait touristique le plus important de la région ainsi que l’un des plus importants de la France. Des plus de deux millions de touristes annuels, près de la moitié visite l’abbaye, alors que les autres se contentent de visiter le mont, ses boutiques et ses restaurants (Stille, 2014).

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Figure 7 : Le Mont-Saint-Michel et son paysage de vastes marais en premier plan. Cliché : Nicolas Roy, juin 2019.

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Au mont viennent s’ajouter les polders, construits aux XIXe et XXe siècles, dans la

structure de la baie (Figures 1b et 8). Les polders sont principalement utilisés à des fins agricoles. Avec leur vocation agricole, les polders se fondent dans le paysage de la baie. Les carottes, les salades, les poireaux, l’ail, les oignons et les céleris sont les principales cultures dans la baie, et ce, pendant une grande partie de l’année (Écomusée de la Baie du Mont-Saint-Michel, 2015). La baie du MSM est également connue pour ses moutons de prés-salés. En effet, l’élevage du mouton occupe une place importante dans la baie avec une cinquantaine d’éleveurs et près de 14 000 bêtes sur une superficie de 3 500 hectares (Lefeuvre, 2003; Écomusée de la Baie du Mont-Saint-Michel, 2015). La viande produite par ces moutons fait l’objet d’une Appellation d’Origine Contrôlée (AOC) depuis 2009 et d’une Appellation d’Origine Protégée (AOP) (Prés-salés du Mont-Saint-Michel) depuis 2012 (Écomusée de la Baie du Mont-Saint-Michel, 2015; France 3 Normandie, 2020). Des chevaux et des bovins parcourent aussi les prés-salés depuis le début du XXe siècle (Natura

2000, 2020a). Les habitants de la baie exploitent également le domaine maritime. La pêche, la mytiliculture et l’ostréiculture ont une place importante dans les activités culturelles de la baie. Ces activités prennent place dans la partie ouest de la baie à proximité de Cancale (Verger, 2009; Office de Tourisme Communautaire Saint-Malo Baie du Mont-Saint-Michel, 2020). Deux types d’huîtres sont cultivés dans la baie, l’huître plate (ostréa eludis), une espèce indigène de la baie, et l’huître creuse (Crassostréa gigas), une espèce introduite. Près de 4 000 tonnes d’huîtres creuses et 700 tonnes d’huîtres plates sont produites chaque année dans la baie (Écomusée de la Baie du Mont-Saint-Michel, 2015).

Du côté des marais, hormis les traces de pâturage et de fauche, il est possible d’observer d’autres éléments culturels comme des cabanes en gazon de marais pour les bergers et des gabions. Les gabions de la baie du MSM sont des abris utilisés par les chasseurs et sont généralement jumelés à un étang aménagé. Environ 1 100 chasseurs participent aux prélèvements des canards (sarcelle d’hiver et d’été, canard siffleur, souchet, etc.) et des limicoles. La chasse à la botte et la chasse à la passée sont également pratiquées (Écomusée de la Baie du Mont-Saint-Michel, 2015).

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Finalement, le cyclisme occupe lui aussi une place importante autour de la baie. Le territoire comporte huit boucles de vélo aménagées qui permettent aux touristes de visiter l’ensemble de la baie et non seulement le MSM. Un itinéraire praticable à vélo, la Voie verte V4 de la Baie du Mont-Saint-Michel, relie Saint-Malo et le MSM. Enfin, la baie est reliée au réseau ferroviaire français, ce qui permet au touriste d’y accéder facilement depuis Paris (Office de Tourisme Communautaire Saint-Malo Baie du Mont-Saint-Michel, 2020). C’est l’ensemble de ces éléments à caractère naturel, culturel et social qui forment un portrait de l’environnement de la baie du MSM. Un environnement non seulement marqué par une richesse naturelle, mais aussi par une richesse culturelle.

1.3 Méthodologie générale

1.3.1 Sources et collecte de données

Afin d’identifier la problématique de l’étude, une revue de la littérature en géographie physique et humaine a été réalisée. Ensuite, pour répondre aux objectifs de ce projet déterminés à la suite de l’identification de la problématique, des données primaires et secondaires ont été récoltées. Considérant l’ampleur du site d’étude et les objectifs du projet, une approche multiscalaire a été privilégiée. L’analyse de ce projet est donc présentée à deux échelles, c’est-à-dire à l’échelle de la baie et à l’échelle du MSM. Dans la mesure où l’objectif principal de ce projet est de déterminer l’impact des travaux d’aménagement sur les marais intertidaux de la baie du MSM, une zone d’étude de 1 177,8 hectares a été délimitée à proximité du MSM (Figure 8) en fonction de la couverture spatiale des jeux de photographies aériennes et des données LiDAR disponibles. Elle s’étend sur 4,3 km d’ouest en est et sur environ 3 km sur l’axe nord-sud avec comme limite sud les polders (Figures 8 et 9).

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Figure 8 : La baie du Mont-Saint-Michel et la zone d'étude spécifique. Source : Carte de base modifiée d’ESRI, 2018.

Pour répondre au premier objectif, une revue de la littérature, dont des études préalables sur la sédimentologie de la baie comme celles du Furgerot (2013) et Tessier et al. (2006 et 2017), a été réalisée. Des photographies aériennes ont également été analysées, dont 21 jeux, datant de 1947 à 2015, fournies par l’Institut National de l’Information Géographique et Forestière (IGNF) (Tableau 2) et des données sources LiDAR de 2009 à 2017 du CIRCLE (Contrôle Innovation et Recherche en Cartographie Laser de l’Environnement). Une couverture photographique de 2018 à une résolution de 30 à 50 cm a également été assemblée auprès d’ESRI (Environmental Systems Research Institute).

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Tableau 2 : Photographies aériennes utilisées

Année Identifiant du jeu de photographies Échelle

1947 C1214-0051_1947_F1214-1615 1 : 27 291 1952 C1215-0101_1952_F0915-1215 1 : 25 965 1960 C1215-0161_1960_CDP1603 1 : 8 117 1965 C1315-0011_1965_F1315-1515 1 : 26 748 1966 C1215-0091_1966_F1115-1315 1 : 39 932 1969 C1215-0021_1969_F1215 1 : 24 813 1972 C1110-0061_1972_FR2260 1 : 26 478 1977 CIPLI-0401_1977_FR2889LOT4 1 : 19 866 1980 C1215-0052_1980_FR3200 1 : 14 389 1982 CIPLI-0061_1982_IPLI6 1 : 20 484 1986 C1215-0071_1986_F0715-1315 1 : 29 920 1989 C1115-0011_1989_F0815-1215 1 : 30 039 1991 C91SAA1872_1991_FR8397 1 : 20 451 1995 C95SAA0221_1995_FR5093 1 : 30 046 1997 CA97S00871_1997_F1214-1315 1 : 30 408 2000 CN00000211_2000_IFN50-14-61TEMPETE 1 : 30 637 2002 CP02000152_2002_fd0050_250 1 : 26 217 2007 CP07000232_FD0050x046 1 : 710 2010 CP10000152_FD50_C_50x023 1 : 500 2012 IGNF_BDORTHO_2-0_RVB-0M50_JP2-E080_LAMB93_D050_2012 1 : 5 000 2015 IGNF_ORTHOHR_1-0_JP2-E080_LAMB93_D50-2015 1 : 5 000

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Pour comprendre la dynamique évolutive des marais, des données climatiques comme la vitesse des vents, des données de précipitation et des données de température ont été recueillies auprès d’Infoclimat (2020) pour la période 1973 à 2019. Des données marégraphiques de 1994 à 2019, ainsi que les données concernant la direction de la houle et de l’écoulement des eaux ont été téléchargées via le portail du SHOM (Service hydrographique et océanographique de la Marine).

Les données visant à répondre aux objectifs 2 et 3 proviennent principalement de sources secondaires détaillant les aspects et processus patrimoniaux et culturels du site. Les sources comprennent des articles, des mémoires comme celui de Dufour (2006) et Hernandez (2015), des sites internet comme celui des Amis du Mont-Saint-Michel (2019) et de l’UNESCO (2017; 2018; 2019a; 2019b; 2019c; 2019d), etc. Des sources primaires, principalement des rapports gouvernementaux (Brassens et al., 2005; de Senneville et Verlhac, 2009; Banquy et al., 2013; 2014) et de la documentation produite par les acteurs aux commandes du RCM (Projet Mont-Saint-Michel, 2019a; 2019b, 2019c) ont également été utilisées pour répondre aux objectifs 2 et 3.

1.3.2 Méthodes de traitement de données

Ce projet de recherche est à la fois qualitatif et quantitatif. Pour réaliser le portrait de l’évolution de la baie tel que présenté dans le Chapitre 2, une revue des sources primaires et secondaires a été effectuée. Puisque le Chapitre 2 est en soi une synthèse de la géohistoire de la baie sur une longue durée, les informations et le portrait présentés ont été établis par l’analyse d’études archéologiques, sédimentologiques et géographiques réalisées par des auteurs comme Bonnot-Courtois et al. (2014), Furgerot et al. (2013), Morzadec-Kerfourn (1995), Tessier et al. (2006 ; 2012; 2017) et Verger (2009), ainsi que par la consultation de documents historiques, dont des cartes comme celle de Mortier (1693).

Pour documenter l’évolution de la superficie des marais dans la zone d’étude depuis la poldérisation, des cartes historiques (Mortier, 1693; Saccardi, 1693; Forestier, 1734) et les jeux de photographies aériennes (Tableau 2) ont été intégrés et géoréférencés dans un SIG

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type polynôme de deuxième ordre. Les données quantitatives (superficie des marais) ont été compilées et traitées avec le logiciel Excel (MicrosoftⓇ). La superficie des marais salés a été

déterminée en mesurant la surface couverte par la végétation halophyte. Le trait de côte a été défini comme la limite de la végétation halophyte du marais. Pour documenter l’évolution du trait de côte, 30 transects, placés à un intervalle de 150 m, ont été tracés dans la zone d’étude avec une orientation nord-sud (Figure 9). Quatorze transects sont sur ou à l’ouest du MSM (en rose) et seize sont à l’est (en bleu). La distance du trait de côte a été mesurée en fonction de l’année la plus ancienne dans les jeux de photographies aériennes, soit 1947. Le delta Δ (la différence entre deux années) a été calculé et transcrit dans Excel pour chaque transect. Afin de documenter, de représenter et d’analyser l’évolution altitudinale de la baie, des données LiDAR ont été utilisées pour construire des modèles d’élévation dans ArcMap. Le module d’analyse d’image du logiciel a permis, grâce à la calculatrice Raster, de calculer et de représenter la différence d’élévation entre chaque année.

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Figure 9 : Transects de la zone à l’étude. Source : IGNF, 2015.

En ce qui a trait à l’analyse des variables de forçages extrinsèques au marais, une analyse de la variance (ANOVA) a été réalisée avec les données marégraphiques du marégraphe de Saint-Malo afin de déterminer la tendance de changement du niveau de la mer et la signification de cette tendance à un seuil de α = 0,05. Les données, à la base horaire, ont ensuite été simplifiées en données journalières et les valeurs minimales, moyennes et maximales ont été extraites grâce à l’utilisation d’un tableau croisé dynamique dans le logiciel Excel. Les journées comportant 21 heures de données enregistrées et moins ont été exclues des analyses (Cayer, 2020). En effet, les probabilités de ne pas être en possession des données des marées hautes et basses avec 22 valeurs enregistrées sont très faibles (<10 %) et permettent ainsi d’éviter un biais potentiel. Les valeurs journalières minimales ont ensuite été soustraites aux valeurs journalières maximales afin d’obtenir l’amplitude des marées. Les

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valeurs d’amplitude, ainsi que les valeurs d’évolution du trait de côte et de la superficie des marais, ont été centrées et réduites conformément à l’équation suivante :

𝑥 =

,

où 𝑥 est la valeur centrée réduite, 𝑋 est la valeur de la donnée, µ est la moyenne du jeu de donnée et 𝜎 correspond à l’écart type du jeu. Cette manipulation a été effectuée afin de permettre la superposition et la comparaison des valeurs des différentes analyses (amplitude des marées, évolution de la superficie et du trait de côte) sur une même échelle sous forme de graphique.

Ensuite, une typologie et une cartographie conceptuelle de la baie ont été réalisées avec le logiciel ArcMap dans le but d’obtenir un portrait holistique de l’environnement et des dynamiques côtières de la baie du Mont-Saint-Michel. Cette étape a été inspirée par l’approche développée par Cowell et al. (2003a et 2003b) et French et al. (2016) qui consiste sommairement à cartographier et schématiser les interactions entre différents éléments méso-scalaires, c’est-à-dire qui évoluent sur une base décennale et centennale, d’un système côtier.

Afin d’explorer la conceptualisation du patrimoine et du DD du site, ainsi que la conception et la réalisation du RCM, une analyse critique de la littérature et une analyse de contenu ont été accomplies. L’analyse effectuée s’est concentrée sur la documentation produite en lien avec le projet RCM. Celle-ci comprend entre autres des rapports produits par l’UNESCO (2019), le gouvernement français (Brassens et al., 2005; de Senneville et Verlhac, 2009; Banquy et al., 2013; 2014), le Syndicat Mixte Baie du Mont-Saint-Michel (Projet Mont-Saint-Michel (2019a; 2019b; 2019c), les médias, etc. Une fois la documentation dépouillée, les principaux acteurs ont été identifiés, puis leur discours a été identifié et analysé. Pour ce faire, une attention particulière a été portée sur les termes employés, sur leur contexte d’utilisation et sur la signification que chaque auteur leur octroyait (Foucault, 1969). Le public visé a également été tenu en compte. Enfin, une mise en relation des discours et des conclusions du RCM a été effectuée afin d’analyser de manière critique les résultats du RCM et l’influence des discours sur ceux-ci. Cette analyse permet, dans le cadre de ce projet,

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d’exposer les enjeux et possibles difficultés de la mise en œuvre du DD dans un projet d’aménagement côtier.

Finalement, une revue de la littérature a été réalisée sur les concepts de trajectoire écologique, de succession et de communauté climacique (Tansley, 1935; Worster, 1994; Lévêque et al., 2003; Hatvany et al., 2015; Valette, 2019). Une analyse rétrospective a ensuite été effectuée sur l’évolution des marais intertidaux de la baie du MSM, tout en la mentant en relation les concepts de trajectoire, succession et climax. Cette étape a été réalisée afin de mieux comprendre l’influence de l’humain sur l’environnement physique et les marais intertidaux de la baie du MSM.

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Chapitre 2 Mythes, légendes et mutations

Introduction

Ce chapitre traite de l’histoire et de la géomorphologie de la baie avant 1850. Le contexte géologique et la formation de la baie y sont présentés. De plus, un bref survol des grandes étapes de l’occupation humaine du territoire du paléolithique au XIXe siècle est également

effectué.

2.1 Contexte géologique et géomorphologique

2.1.1 Base structurale

Il y a environ 600 millions d’années, au cours du Protérozoïque supérieur (Briovérien), des grès et des argiles se sont déposés. Ces dépôts sédimentaires ont ensuite été transformés en schistes briovériens à la suite de l’orogénèse de la chaîne calédonienne (Denis, 1987; Mougel et Talasmin, 2016; Lefeuvre et Mouton, 2017). Des roches plutoniques, c’est-à-dire des roches intrusives n’atteignant pas la surface à l’état liquide, se sont formées et se sont mises en place en profondeur au cours de cette période. Le granite, qui compose les monts de la baie du MSM, est une de ces roches plutoniques. Or, le contact du granite et du schiste a entraîné la formation de cornéennes. Les cornéennes sont des roches recristallisées très dures au grain très fin qui résulte d’un métamorphisme de contact entre l’intrusion, le granite d’anatexie refroidissant, et le schiste (Lefeuvre et Mouton, 2017). L’érosion différentielle du granite, du schiste et des cornéennes a transformé la chaîne calédonienne en chaîne hercynienne entre 370 et 230 millions d’années, puis en Massif armoricain (Lefeuvre et Mouton, 2017). La poursuite du processus d’érosion différentielle, entraînant la pénéplanation de la région, a permis la mise en évidence des monts Tombe (MSM), Dol et Tombelaine, ainsi que des massifs granitiques de la baie, qui en forment l’armature (Figure 10).

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Figure 10 : Formation géologique de la baie du Mont-Saint-Michel.

a) Sédimentation des grès et argiles au fond de la mer. b) La force de compression causée par des mouvements tectoniques transforme l’argile en schiste. c) L’intrusion granitique se fraie un chemin et entraîne un métamorphisme de contact avec les schistes, créant ainsi les cornéennes. d) Par l’action d’érosion différenciée, une extrusion de granite apparait dans le paysage.

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2.1.2 Les glaciations et la transgression flandrienne

Hormis ses éléments structurels, le paysage de la baie tel qu’il est observable aujourd’hui est entre autres le résultat des variations climatiques globales Plio-Pléistocène qui se sont manifestées par des cycles de glaciation et déglaciation. Comme Lefeuvre et Mouton (2017) l’expliquent, c’est au cours des 30 millions d’années dernières que le climat a joué un rôle important dans le façonnage de la baie par l’alternance de périodes glaciaires et interglaciaires. Pendant les périodes glaciaires, le niveau de la mer était moins élevé qu'il ne l'est aujourd'hui, mais augmentait lors des interglaciaires. Durant cette période jusqu’à il y a 2 millions d’années, pendant les périodes interglaciaires, la Manche formait un golfe délimité par la barrière de Weald-Artois au nord entre l’Angleterre et la France. Au cours des interglaciaires, les eaux pouvaient atteindre Granville à environ 24 km au nord du MSM. Entre -2,6 et -1 million d’années, la fréquence des glaciations était de l’ordre de 40 000 ans et le niveau de la mer ne diminuait que d’environ 50 m (Lefeuvre et Mouton, 2017).

C’est il y a environ 900 000 ans que la fréquence des glaciations aurait diminué, passant à des cycles de 100 000 ans. Cependant, les glaciations subséquentes auraient été plus froides, entraînant donc des niveaux marins négatifs plus importantes de l’ordre des 100 m et plus. Cinq des dix dernières glaciations auraient été suffisamment froides pour mettre à sec la Manche. La dernière glaciation aurait abaissé le niveau marin d’environ 120 m et aurait perduré jusqu’à il y a environ 20 000 ans (Billeaud et al. 2007; Gluard, 2012; Lefeuvre et Mouton, 2017). Entre 20 000 années avant le présent (BP) et 12 500 BP, le climat s’est réchauffé, ce qui a entraîné la fonte progressive des glaciers. Entre 12 500 BP et 11 000 BP, le climat s’est refroidi temporairement, limitant ainsi la progression de la déglaciation, de la fonte des glaciers et provocant un ralentissement de la remontée du niveau marin. À la suite de cette période de froid, le climat s’est de nouveau réchauffé – marquant le début de l’Holocène - ce qui a entraîné une reprise et une accélération de la fonte des glaces, provoquant ainsi une augmentation rapide du niveau marin. Vers 10 000 BP, le niveau marin était inférieur de 35 m à celui actuel. Le niveau de l’eau a donc connu une augmentation de 85 m entre le début de la déglaciation et 10 000 BP. Toutefois, les eaux n’atteignaient toujours pas la baie du MSM. C’est vers 7 500 BP que la baie a complètement été ennoyée,

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alors que le niveau marin était inférieur de 10 m comparativement au niveau actuel. Les eaux entouraient alors tous les monts de la baie (Figure 11).

Figure 11 : La baie du Mont-Saint-Michel vers 7 500 BP.

Cette figure présente une approximation de la surface de la baie couverte par la mer il y a environ 7 500 ans, réalisée grâce à un modèle d’élévation produit par l’United States Geological Survey. La limite des eaux a été tracée en fonction du classement altitudinal. Deux classes ont été définies, une comprenant les données de moins de 20 m et une comprenant les données de plus de 20 m. Cette classification a été établie en fonction du niveau marin inférieur de l’époque et du comblement subséquent. Il est peu probable qu’un accroissement vertical supérieur à 20 m ait pris place en marge de la zone en comblement (Morzadec-Kerfourn, 1995; Lefeuvre et Mouton, 2017 : 31). Cependant, la figure présente sans doute une vision légèrement exagérée de la superficie submergée.

Source : Image modifiée depuis USGS, 2000.

Entre 8 000 et 6 000 BP, la transgression a ralenti, passant de 6 mm.an-1 à 1 mm.an-1

(Billeaud et al., 2007). Ce ralentissement a rendu possible une l’accélération du comblement, de la colonisation de la baie par les marais intertidaux, ainsi que la mise en place de cordons

Figure

Figure 3 : Localisation de la baie du Mont-Saint-Michel.  Source : Google Earth, 2020
Figure 4 : La baie du Mont-Saint-Michel.  Source : Modifiée de Google  Earth, 2016.
Tableau 1 : Principales espèces de plantes halophytes des marais de la baie du Mont-Saint-Michel
Figure 5 : Salicorne en zone pionnière, baie du MSM. Cliché : Nicolas Roy, juin 2019
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