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Réputation, identités transnationales et soutien étranger de rébellions

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Academic year: 2021

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Réputation, Identités Transnationales et Soutien

Étranger de Rébellions

Mémoire

Benjamin Tremblay-Auger

Maîtrise en économique - avec mémoire

Maître ès arts (M.A.)

(2)

Réputation, identités transnationales et soutien

étranger de rébellions

Benjamin Tremblay-Auger

Superviseur : Arthur Silve

28 août 2019

Mémoire de maîtrise

Département d’économique

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Résumé

Les États s’impliquent-ils parfois dans des conflits pour promouvoir une réputation de fermeté? Je revisite cette question fondamentale des relations internationales en l’étudiant dans un nouveau contexte. J’analyse les cas où des États soutiennent des rébellions de pop-ulations extérieures avec lesquelles ils ont des liens ethniques, religieux ou idéologiques. Je fais l’hypothèse que les États s’investissent dans certains de ces conflits afin de développer une réputation d’État défenseur d’une identité transnationale. Cette réputation leur permet de favoriser l’inclusion d’autres groupes co-identitaires ou d’obtenir des concessions en lien avec des enjeux internationaux.

Puisque la construction de la réputation ne peut pas être observée directement, j’étudie des preuves indirectes de son existence. J’utilise un modèle formel inspiré de Kreps et Wilson (1982) pour dériver trois prédictions directement reliées au mécanisme de la réputation: 1) Plus un État a de disputes avec d’autres pays en lien avec des groupes co-identitaires, plus il est probable qu’il soutienne une rébellion; 2) Plus un État a de disputes, plus il est probable que les groupes co-identitaires soient inclus politiquement dans leur pays; 3) Plus l’un de ces groupes est fort par rapport à son gouvernement, moins l’effet du nombre de disputes sur la probabilité qu’il se révolte est important.

Pour tester ces prédictions, j’utilise des données sur les liens ethniques transnationaux, l’inclusion politique des groupes ethniques et le soutien étatique de groupes rebelles entre 1946 et 2010. Ces données riches me permettent de contourner certains des problèmes d’endogénéité et de taille d’échantillon qui affectent les études précédentes sur la réputation des États. J’obtiens des résultats cohérents avec mes prédictions, mais qui ne sont pas robustes à toutes les spécifications et tous les tests de robustesse.

(4)

Table des matières

Résumé ii

Liste des figures v

Liste des tables vii

Introduction 1

1 Revue de littérature 6

1.1 Économie des conflits . . . 6

1.2 Identités et conflits . . . 7

1.3 Soutien étatique de groupes rebelles . . . 7

1.3.1 Motivations . . . 7

1.3.2 Liens transnationaux . . . 8

1.3.3 Dynamique des conflits avec soutien étatique de groupes rebelles . 9 1.3.4 Modèles . . . 10

1.4 Réputation et conflits . . . 11

2 Modèle théorique 13 2.1 Modèle de base . . . 13

2.2 Force des groupes rebelles . . . 22

2.3 Prédictions . . . 24 3 Analyse statistique 27 3.1 Données . . . 27 3.1.1 Variables principales . . . 29 3.1.2 Variables de contrôle . . . 32 3.2 Méthodologie . . . 34

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3.2.1 Tests pour les prédictions . . . 35 3.3 Résultats . . . 38 3.3.1 Prédiction 1 . . . 38 3.3.2 Prédiction 2 . . . 41 3.3.3 Prédiction 3 . . . 43 Conclusion 46 Bibliographie 48 Annexes 54 1 Force des groupes rebelles futurs . . . 54

2 Deux enjeux . . . 56 3 Preuves . . . 60 4 Simulations . . . 69 5 Tests de robustesse . . . 75 5.1 Prédiction 1 . . . 75 5.2 Prédiction 2 . . . 83 5.3 Prédiction 3 . . . 89 6 Statistiques descriptives . . . 96

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Liste des figures

1 Probabilité que l’État étranger soutienne un conflit civil en fonction du nombre de pays cibles . . . 19 2 Probabilité que le groupe ayant un lien identitaire avec l’État étranger soit

inclus politiquement et économiquement dans son pays. . . 21 3 Nombre d’autres pays où l’État étranger a un lien avec un groupe ethnique 31 4 Construction de la banque de données . . . 32 5 Probabilité que le groupe ayant un lien identitaire avec l’État étranger soit

inclus politiquement et économiquement dans son pays (version avec deux enjeux). . . 59 6 Probabilité que l’État étranger soutienne un conflit civil en fonction du

nombre de pays cibles (θ1= 0.05, π = 0.75, CP = 1) . . . 69

7 Probabilité que le groupe ayant un lien identitaire avec l’État étranger soit inclus politiquement et économiquement dans son pays (θ1 = 0.05, π =

0.75, CP = 1). . . 70

8 Probabilité que le groupe ayant un lien identitaire avec l’État étranger soit inclus politiquement et économiquement dans son pays (version avec deux enjeux; θ1= 0.05, π = 0.75, CP = 1). . . 70

9 Probabilité que l’État étranger soutienne un conflit civil en fonction du nombre de pays cibles (θ1= 0.50, π = 0.25, CP = 1) . . . 71

10 Probabilité que le groupe ayant un lien identitaire avec l’État étranger soit inclus politiquement et économiquement dans son pays (θ1 = 0.50, π =

0.75, CP = 1). . . 71

11 Probabilité que le groupe ayant un lien identitaire avec l’État étranger soit inclus politiquement et économiquement dans son pays (version avec deux enjeux; θ1= 0.50, π = 0.75, CP = 1). . . 72

12 Probabilité que l’État étranger soutienne un conflit civil en fonction du nombre de pays cibles (θ1= 0.05, π = 0.25, CP = 0.8) . . . 73

13 Probabilité que le groupe ayant un lien identitaire avec l’État étranger soit inclus politiquement et économiquement dans son pays (θ1 = 0.05, π =

0.75, CP = 0.8). . . 74

14 Probabilité que le groupe ayant un lien identitaire avec l’État étranger soit inclus politiquement et économiquement dans son pays (version avec deux enjeux; θ1= 0.05, π = 0.75, CP = 0.8). . . 74

(7)

15 Nombre d’autres pays où l’État étranger a un lien de même type avec un groupe ethnique . . . 76

(8)

Liste des tables

1 Modèles prédiction 1 . . . 39

2 Modèles prédiction 2 . . . 42

3 Modèles Prédiction 3 . . . 44

4 Modèles sans les valeurs manquantes (prédiction 1) . . . 78

5 Modèles avec des effets fixes pour le statut du groupe ethnique (prédiction 1) 79 6 Modèles avec soutien passé (prédiction 1) . . . 80

7 Modèles avec le nombre d’autres liens de même type (prédiction 1) . . . . 81

8 Test placebo (prédiction 1) . . . 82

9 Modèles sans les valeurs manquantes (prédiction 2) . . . 84

10 Modèles avec des effets fixes pour le statut du groupe ethnique (prédiction 2) 85 11 Modèles avec soutien passé (prédiction 2) . . . 86

12 Modèles avec le nombre d’autres liens de même type (prédiction 1) . . . . 87

13 Test placebo (prédiction 2) . . . 88

14 Modèles sans les valeurs manquantes (prédiction 3) . . . 90

15 Modèles avec contrôle pour la présence de soutien (prédiction 3) . . . 91

16 Modèles avec inclusion passée (prédiction 3) . . . 92

17 Modèles avec le nombre d’autres liens de même type (prédiction 3) . . . . 93

18 Modèles avec échelle d’inclusion à 6 niveaux . . . 94

19 Modèles avec échelle d’inclusion à 3 niveaux . . . 95

20 Statistiques descriptives des variables binaires . . . 96

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Introduction

L’un des plus vieux et importants débats de la littérature en relations internationales est la question de la réputation des États. Est-ce que les États cherchent à défendre leur réputation? Vont-ils s’impliquer dans des conflits internationaux même lorsqu’à court terme le coût excède le bénéfice, uniquement afin de convaincre les autres pays qu’ils défendent toujours leurs intérêts? S’ils le font, est-ce logique de leur part d’agir ainsi? Sur ces questions, les communautés académique et politique sont divisées (Tang, 2005; Dafoe et al., 2014).

Dans ce mémoire, je revisite cette question fondamentale et je lui apporte un nouvel éclairage. Au lieu d’étudier les confrontations directes entre États, comme le font de nombreux travaux sur la question (Dafoe et al., 2014; Clare & Danilovic, 2010), j’analyse les conflits indirects où des États soutiennent des rébellions dans d’autres pays. Entre autres, le fait que les guerres indirectes soient beaucoup plus courantes que les guerres directes depuis 1945 (San-Akca, 2016; Mumford, 2013) leur confère un attrait particulier pour l’analyse statistique. Je me concentre plus particulièrement sur les relations entre des États et des populations extérieures qui ont des liens ethniques, religieux ou idéologiques, et ce, lorsque ces dernières sont politiquement exclues dans leur pays. Ces relations sont souvent source de tensions internationales qui perdurent dans le temps (Bernauer, 2016). En outre, ces liens identitaires transnationaux occupent un rôle de premier plan dans le soutien étatique de groupes rebelles. En effet, depuis 1945, 33% de ces interventions ont été faites en faveur de groupes partageant des liens ethniques ou religieux et 10% en faveur de groupes partageant une idéologie politique socialiste (San-Akca, 2016).

Plusieurs raisons peuvent justifier le soutien étatique de groupes rebelles. Les États peuvent chercher à déstabiliser et à affaiblir des pays rivaux en y soutenant des rébellions (San-Akca, 2016; Salehyan et al., 2011; Lee, 2018). Ils peuvent aussi chercher à mettre au pouvoir des groupes défendant des principes politiques et économiques similaires aux leurs, ou des groupes simplement plus faciles à contrôler (Padró i Miquel & Yared, 2012).

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Ces justifications sont cependant insuffisantes pour deux raisons. Premièrement, elles ne permettent pas d’expliquer l’importance des liens ethniques et religieux dans le choix d’un groupe rebelle à soutenir. En effet, ces liens ne facilitent pas la déstabilisation et ne garantissent pas la convergence des convictions politiques et économiques. Deuxième-ment, lorsqu’il y a un lien identitaire, les États soutiennent parfois des groupes rebelles impliqués dans des conflits ayant un intérêt strictement national a priori faible. Ainsi, l’URSS et la Chine ont soutenu des insurrections de groupes communistes, même lorsque la victoire était peu probable et lorsque les pays concernés étaient d’un intérêt stratégique faible pour eux (Bernauer, 2016).

Prenons le cas de l’Iran, un pays dirigé par un régime théocratique chiite fort. En tant que puissance régionale en compétition directe avec entre autres l’Arabie Saoudite et l’Israël, le pays a soutenu de nombreux groupes rebelles dans les conflits de la région. Ces groupes sont chiites pour la plupart (Erstad, 2018). Or, pourquoi favoriser des groupes de même confession religieuse si l’objectif est d’affaiblir un adversaire politique ou de mettre au pouvoir un groupe plus facilement manipulable? Certains exemples laissent penser que l’identité religieuse des groupes n’est pas de première importance pour l’Iran. Le pays a en effet soutenu des rebelles chrétiens arméniens dans le but, selon plusieurs, d’affaiblir le gouvernement azerbaïdjanais — un gouvernement laïc, mais dominé par les musulmans chiites (Heradstveit, vier). De même, le pays a soutenu le régime des Assad, sur lequel il a eu une influence considérable bien que ceux-ci soient de confession alaouite et issus du parti Baas « laïc » (Erstad, 2018). Ainsi donc, si les objectifs peuvent être atteints par le biais d’autres groupes, pourquoi ce favoritisme pour les chiites?

Deux raisons ont été invoquées pour justifier cette préférence pour les groupes co-identitaires. Premièrement, un gouvernement peut chercher à obtenir le soutien d’une partie de sa population en soutenant des groupes rebelles extérieurs issus de la même ethnie, religion ou idéologie, et ce, afin de solidifier son assise du pouvoir (San-Akca, 2016; Bernauer, 2016). Deuxièmement, un gouvernement peut véritablement se soucier de ces causes rebelles pour des raisons idéologiques ou identitaires. Bien que souvent peu crédibles, les propos de plusieurs États sont compatibles avec une telle explication. Ainsi, l’Iran a déclaré vouloir étendre sa révolution islamique en soutenant des rebelles chiites (Erstad, 2018), un discours similaire à l’URSS qui voulait répandre le communisme en soutenant des groupes révolutionnaires (Bernauer, 2016). On peut aussi penser aux États-Unis qui ont affirmé vouloir promouvoir la démocratie en soutenant des groupes rebelles favorables à ce système politique (Berman & Lake, 2019). Mais, est-ce que ces déclarations sont crédibles, surtout si l’on pense que les États cherchent avant tout à défendre leurs propres intérêts?

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En m’inspirant de la théorie de la réputation en relations internationales, je fais l’hypothèse qu’un État motivé uniquement par son intérêt national peut se faire passer pour le fervent défenseur de groupes associés à une identité transnationale dans le but d’obtenir plus facilement des concessions dans des conflits semblables dans l’avenir. Ainsi, il peut volontairement financer une guerre à perte afin de développer une réputation qui lui sera utile par la suite.

Cette hypothèse est néanmoins difficile à étudier puisque de par sa définition, le phénomène de construction de la réputation ne peut pas être directement observé. En effet, il serait illogique pour un État d’admettre qu’il soutient un conflit dans le but d’investir dans sa réputation. Cela irait à l’encontre de sa démarche de construction d’une réputation. Pour tester mon hypothèse, il faut donc que j’analyse des preuves indirectes de ce phénomène. Pour ce faire, j’utilise des méthodes économiques.

Dans un premier temps, je modélise le phénomène avec un modèle formel inspiré du modèle de la construction de la réputation de Kreps et Wilson (1982). Celui-ci me permet de démontrer que sous certaines conditions, le mécanisme de réputation est ici cohérent et plausible. De plus, ce modèle montre que même s’il est très peu probable que les États soient sincèrement dédiés à protéger des groupes avec lesquels il ont des liens identitaires transnationaux — comme plusieurs le soupçonnent — cela est suffisant pour encourager un grand nombre d’États à agir comme si c’était le cas. Finalement, j’utilise ce modèle pour dériver trois prédictions testables empiriquement, non évidentes et difficilement explicables par un autre mécanisme que celui de la réputation.

Dans mon modèle théorique, je considère trois acteurs: un État étranger, un gouvernement central et un groupe d’opposition exclu politiquement et économiquement1. Le jeu de base se déroule en quatre étapes: 1) Le gouvernement décide d’inclure ou non le groupe politiquement dominé; 2) L’État étranger décide s’il veut soutenir une rébellion de ce groupe; 3) S’il n’y a pas de conflit, le statut du groupe exclu reste tel que choisi par le gouvernement en première étape et le jeu se termine. S’il y a un conflit, les rebelles ont une probabilité fixe de le remporter; 4) Si les rebelles gagnent, ils assument l’autonomie de leur région ou prennent le pouvoir du pays (tout dépendant de la situation) et le groupe dominé est inclus politiquement et économiquement. S’ils perdent, le groupe est exclu.

1Remarquons que le groupe d’opposition ne prend pas de décision dans le jeu. Il ne s’agit donc pas d’un joueur au sens de la théorie des jeux, mais je le désigne tout de même comme un « acteur » dans mon travail afin de faciliter l’analyse.

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Ce jeu est répété pour chaque adversaire de l’État étranger, c’est-à-dire les pays dans lesquels il y a une partie de la population qui est exclue et qui partage un lien identitaire avec un groupe au pouvoir dans l’État étranger. Ainsi, à chaque répétition, l’État étranger reste le même, mais le gouvernement central et le groupe d’opposition changent.

Le jeu est en information incomplète puisque le type de l’État étranger, « transnationaliste » ou « nationaliste », est inconnu des autres joueurs. Je suppose que le type transnationaliste a un plus grand intérêt à ce que le groupe d’opposition remporte le conflit ou que le gouvernement l’inclut, puisqu’aux considérations nationales s’ajoutent celles purement identitaires ou idéologiques.

Ce modèle me permet d’obtenir entre autres trois prédictions testables empiriquement: 1) Plus l’État étranger a d’adversaires, plus il risque de soutenir une rébellion à la première itération du jeu; 2) Plus le nombre d’adversaires est grand, plus le premier groupe dominé a de chances d’être inclus; 3) plus ce premier groupe d’opposition est fort (autrement dit plus il a de chances de sortir victorieux d’une rébellion) moins l’effet du nombre d’adversaires sur le risque de conflit est important.

L’intuition derrière ces prédictions est que plus un État fait face à de nombreux gouverne-ments, plus sa réputation a de la valeur. Il est ainsi encouragé à soutenir un conflit puisque cela envoie un message à plusieurs adversaires à la fois et favorise l’inclusion de plusieurs groupes d’opposition avec lesquels il a des liens2. De même, cela favorise l’inclusion du premier groupe dominé, à la fois parce qu’il a plus de chance de recevoir un soutien étranger et de prendre le pouvoir et parce que son gouvernement est plus enclin à l’inclure afin d’empêcher un tel conflit. Finalement, plus le premier groupe rebelle est fort, plus l’intérêt pour la réputation — ici directement relié au nombre d’adversaires — a tendance à avoir un effet dissuasif sur le gouvernement qui va plutôt chercher à éviter le conflit en incluant le groupe d’opposition.

Je teste empiriquement les trois prédictions qui ressortent du modèle théorique en constru-isant une nouvelle banque de données à partir de données existantes. Je concentre mon analyse sur les liens identitaires transnationaux de nature ethnique3. Ainsi, j’incorpore dans ma banque de données des informations des données EPR sur les liens ethniques transnationaux et sur le niveau d’inclusion politique des groupes ethniques dans leur pays 2Dans les faits, le nombre d’adversaires peut aussi avoir un effet négatif sur la probabilité de conflit s’il est grand. En effet, lorsque l’intérêt à investir dans sa réputation est très grand pour l’État étranger, le risque de conflit est important et le gouvernement préfère inclure le groupe d’opposition pour éviter une rébellion. Dans la section 2.3, j’explique pourquoi on devrait tout de même s’attendre à ce qu’en général le nombre d’adversaires ait un impact positif sur le conflit.

3Notons cependant que les groupes ethniques et les liens transnationaux sont très souvent définis en fonction de la religion. Par exemple, les musulmans chiites sont généralement considérés par la banque de données que j’exploite (« Ethnic Power Relations ») comme un groupe ethnique. De surcroît, le chiisme est

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(Vogt et al., 2015). J’utilise la banque de données de San-Akca (2016) pour identifier les cas de soutien étatique étranger à des groupes rebelles associés à des groupes ethniques entre 1945 et 2010. J’approxime le nombre d’adversaires avec le nombre de pays dans lesquels un groupe ethnique a un lien avec l’un des groupes au pouvoir de l’État étranger. J’utilise la proportion de la population du pays qui appartient au groupe ethnique pour estimer la force de ce groupe vis-à-vis de son gouvernement en cas de rébellion.

J’estime une série de modèles de probabilité linéaire avec différents effets fixes et con-trôles pour tester les trois prédictions. J’obtiens dans les trois cas des résultats cohérents avec ce que dit le modèle. Ils ne sont pas toujours robustes face à certaines spécifica-tions alternatives et certains tests de robustesse plus exigeants, comme nous pouvions nous y attendre compte tenu de mon objet d’étude. Toutefois, l’accumulation d’indices concordants fournit un soutien empirique convaincant aux prédictions du modèle.

Mon mémoire a la structure suivante: 1) la revue de littérature; 2) le modèle formel et les prédictions empiriques; 3) la présentation des données, la méthodologie empirique et les résultats avec les tests de robustesse; 4) la conclusion

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1

Revue de littérature

Cette section analyse la contribution de mon mémoire aux pans suivants de la littérature : 1) l’économie des conflits en général; 2) les liens entre conflits et trois types d’identités : l’ethnie, la religion et l’idéologie politique; 3) le soutien étatique de groupes rebelles : les motivations, l’importance des liens transnationaux, l’effet sur la dynamique des conflits civils et les modèles existants; 4) les modèles de réputation et leur utilisation dans la littérature sur les conflits.

1.1

Économie des conflits

Mon mémoire s’inscrit dans le champ de l’économie des conflits. On peut diviser cette littérature en trois sous-champs : 1) l’impact des conflits sur l’économie (Anderton & Carter, 2009; Collier, 1999) ; 2) les causes économiques des conflits (Couttenier & Soubeyran, 2015), dont la fameuse « malédiction des ressources » (van der Ploeg, 2011); 3) l’utilisation des méthodes économiques empiriques et théoriques pour analyser la dynamique des conflits. C’est dans ce dernier sous-champ que s’inscrit mon mémoire. Les modèles économiques de conflits ont jusqu’à présent analysé les guerres civiles (Blattman & Miguel, 2010), en se concentrant particulièrement sur la faiblesse des insti-tutions comme cause (Skaperdas, 1992; Acemoglu, 2003; Besley & Persson, 2010; Azam, 2006), et sur les conflits internationaux (Anderton & Carter, 2009; Caselli et al., 2015). En cela, mon travail fait partie d’une littérature naissante en économique qui étudie de façon théorique et empirique l’interaction entre conflits nationaux et internationaux (voir Sambanis et al., 2018; Martinez, 2017; König et al., 2017; Michalopoulos & Papaioannou, 2016; Bagchi et al., 2019; Konyukhovskiy & Grigoriadis, 2018).

Mon mémoire contribue aussi à la littérature sur les explications rationnelles des conflits (Fearon, 1995). L’un des mécanismes qui y sont mis de l’avant est que les guerres sont souvent la conséquence d’informations incomplètes. Mon modèle exploite ce type de mécanisme en postulant que le niveau d’attachement identitaire des États étrangers pour les groupes rebelles, et donc leur intérêt dans les conflits civils, est difficile à déterminer pour les gouvernements. Ce phénomène est accentué par le processus de construction de réputation qui encourage des États avec un faible niveau d’attachement identitaire à s’impliquer dans des conflits afin de se faire passer pour des États ayant un haut niveau d’attachement. Mon travail offre donc une explication rationnelle au grand nombre de conflits civils avec soutien étatique de groupes rebelles et l’importance des liens identitaires dans ces conflits (San-Akca, 2016).

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1.2

Identités et conflits

Mon mémoire s’inscrit dans la littérature en économique et en science politique sur les conflits identitaires (Esteban et al., 2012; Bernauer, 2016). Cette littérature identifie trois dimensions principales de l’identité: l’origine ethnique, la religion et l’idéologie politique (Bernauer, 2016; San-Akca, 2016). Notons cependant que dans plusieurs régions du monde, les séparations ethniques et religieuses sont souvent équivalentes et même confondues (Vogt et al., 2015). De plus, Bernauer (2016) et San-Akca (2016) analysent l’idéologie politique comme une forme d’identité, bien que ce ne soit pas le cas dans l’ensemble de la littérature. J’adopte le point de vue de ces auteurs en considérant que les groupes pro démocratie ou pro socialisme ont des liens identitaires respectivement avec les États démocratiques et socialistes.

Dans la partie empirique de ce travail, j’utilise seulement les liens de nature ethnique entre États et populations extérieures. L’origine ethnique est l’une des principales causes de conflits dans le monde (Bernauer, 2016). Elle est la principale cause de guerres en Afrique et dans certaines régions de l’Asie (Esteban et al., 2012). L’ethnicité est aussi une source importante de discrimination politique et économique (Esteban et al., 2012). En Afrique, elle est fortement associée au clientélisme politique (De Luca et al., 2018). Plusieurs auteurs en économique se concentrent sur l’origine ethnique lorsqu’ils analysent les conflits identitaires. La principale raison est qu’il est plus facile de construire un argument d’exogénéité pour l’ethnicité que pour d’autres formes d’identités. Pensons notamment à Spolaore et Wacziarg (2016) qui utilisent les migrations ancestrales en Afrique comme source d’exogénéité, ou alors à Michalopoulos et Papaioannou (2016) qui utilisent la carte de Murdoch de la distribution des ethnies en Afrique et justifient que celles-ci ont été séparées de façon aléatoire par les frontières modernes. La religion et l’idéologie politique, bien qu’importantes sources de conflits, sont quant à elles souvent endogènes, car ce sont des formes d’identités beaucoup plus malléables par les individus et les acteurs politiques (Bernauer, 2016).

1.3

Soutien étatique de groupes rebelles

1.3.1 Motivations

Le soutien étatique de groupes rebelles fait partie d’un ensemble de mesures que peuvent adopter les États pour intervenir militairement dans d’autres pays. La première et la plus évidente est l’intervention directe qui s’avère cependant extrêmement risquée et coûteuse sur les plans économique et politique comparativement à l’utilisation d’agents locaux (Salehyan et al., 2011). Les groupes rebelles ne sont cependant pas les seuls

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intermédiaires auxquels un État étranger peut faire appel. Il peut aussi contrôler un gouvernement par le biais duquel il peut influencer les conflits nationaux (Padró i Miquel & Yared, 2012; Berman & Lake, 2019). Notons cependant que l’intervention directe et le soutien d’un gouvernement ont souvent pour objectif la stabilisation de conflits afin de limiter leur contagion et leurs impacts socio-économiques négatifs sur les pays voisins (Silve & Verdier, 2018; Beardsley, 2011; Carmignani & Kler, 2016; Bosker & de Ree, 2014; Berman & Lake, 2019). Le soutien de groupes rebelles est cependant rarement utilisé dans ce but (Bernauer, 2016; Silve & Verdier, 2018).

À l’opposé, bien que cela ne soit pas déclaré ouvertement, le soutien de groupes rebelles est souvent utilisé pour déstabiliser des pays rivaux (San-Akca, 2016; Salehyan et al., 2011; Lee, 2018). Ce type de déstabilisation politique peut avoir un impact énorme sur l’économie d’un adversaire, permettant ainsi de maintenir une position de domination qui protège d’une agression ou facilite la victoire en cas de guerre. De surcroît, le financement de rébellions peut être un moyen de pression efficace lors de négociations internationales (Maoz & San-Akca, 2012).

Dans certains cas, les groupes rebelles peuvent être utilisés par des États pour exploiter des ressources, bien que cela soit rare étant donné le coût élevé de financer une telle opération sur une période prolongée (Bernauer, 2016). On peut tout de même citer le cas du soutien aux groupes rebelles de l’est du Congo, qui a présumément permis au Rwanda et à d’autres d’extirper les précieuses ressources minérales de ce pays (Sanchez de la Sierra, 2019). En soutenant un groupe rebelle, un État étranger peut aussi chercher à mettre en place un gouvernement qui partage des idées similaires au niveau des politiques sociales, tel que le favoritisme ethnique, religieux ou linguistique. Cette similitude peut aussi se retrouver au niveau économique, les États capitalistes et socialistes ayant économiquement avantage à s’entourer de pays partageant la même philosophie économique (Bernauer, 2016). Un État peut aussi chercher à mettre en place des régimes qui sont facilement manipulables. Il peut ainsi s’assurer que certaines politiques sont adoptées, par exemple l’exportation de ressources rares telles que le pétrole (Padró i Miquel & Yared, 2012). De plus, sans nécessairement avoir un intérêt économique ou sécuritaire à mettre en place un régime vassal, un pays peut parfois être encouragé à le faire afin d’empêcher d’autres puissances d’y étendre leur influence (Berman & Lake, 2019).

1.3.2 Liens transnationaux

La littérature récente démontre que les liens transnationaux identitaires (ethniques, re-ligieux et idéologiques) jouent un rôle très important dans le soutien étatique de groupes rebelles (Gleditsch, 2017; Bernauer, 2016). D’un côté, les États sont plus susceptibles de

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soutenir des groupes avec lesquels ils ont des liens et ces derniers sont plus susceptibles de leur demander de l’aide (San-Akca, 2016). D’un autre côté, le fait de partager des liens identitaires avec des États étrangers modifie la façon dont ces groupes sont traités par les gouvernements en place (Michalopoulos & Papaioannou, 2016; Muller & Pecher, 2018; Jenne, 2004; Han & Mylonas, 2014; van Houten, 1998).

Or, si un État cherche à stabiliser, déstabiliser ou à exploiter des ressources, l’identité des groupes rebelles devrait avoir très peu d’importance (Bernauer, 2016). Même si en théorie la similitude identitaire peut encourager un État étranger à mettre un groupe d’opposition au pouvoir (Padró i Miquel & Yared, 2012), cela ne permet pas d’expliquer son importance dans les nombreux cas de soutien étatique à des causes rebelles ayant des chances de réussite marginales ou dont l’objectif n’est pas la prise du pouvoir (San-Akca, 2016).

L’un des principaux arguments avancés pour expliquer le rôle des liens identitaires est que le soutien d’un groupe externe appartenant à une certaine ethnie, religion ou idéologie peut servir de signal envers des groupes locaux partageant une même identité. Un gouvernement peut ainsi espérer gagner le soutien politique de ces groupes en leur montrant qu’il leur accorde de l’importance (San-Akca, 2016; Bernauer, 2016; Fearon, 1994).

Les dirigeants d’un État peuvent aussi avoir un désir sincère de défendre certains groupes à l’étranger. Parfois, la structure même d’un gouvernement est construite autour de la défense d’une identité ethnique ou religieuse (Iran, Israël) ou idéologique (URSS) et il est donc naturel et même vital que ce pays se porte à la défense de groupes partageant cette identité à l’extérieur du pays. Dans ces cas, le soutien de groupes rebelles ne relève donc pas de l’intérêt économique, politique ou sécuritaire (San-Akca, 2016; Gleditsch, 2017).

1.3.3 Dynamique des conflits avec soutien étatique de groupes rebelles

Lorsque des États étrangers soutiennent des groupes rebelles, cela peut changer radicale-ment la dynamique des guerres civiles. Celles-ci sont en effet plus longues et plus diffi-ciles à résoudre par la négociation (Regan, 2002; Cunningham, 2006, 2010; Akcinaroglu & Radziszewski, 2005; Sawyer et al., 2017) ainsi que plus intenses et plus violentes (Nedrebo, 2009; Martinez, 2017; Siqueira & Sandler, 2006).

La simple possibilité qu’un groupe rebelle puisse être soutenu par un État étranger peut avoir un impact important sur la dynamique politique d’un pays. Les liens transnationaux peuvent encourager la discrimination économique (Michalopoulos & Papaioannou, 2016; Muller & Pecher, 2018), l’exclusion politique et l’assimilation (Michalopoulos & Pa-paioannou, 2016; Han & Mylonas, 2014; Jenne, 2004). Ces liens peuvent aussi encour-ager le sous-investissement dans les institutions démocratiques, légales et de gouvernance

(18)

(Lee, 2018). Cederman et al. (2013) trouvent quant à eux une relation en U inversé où ce sont les cas intermédiaires, impliquant un soutien ni trop fort ni trop faible, qui favorisent le plus les conflits. La meilleure explication de ce phénomène est qu’un soutien étranger faible n’est pas suffisant pour entrer en conflit contre le gouvernement tandis qu’un soutien fort permet d’obtenir des concessions du gouvernement sans avoir recours à la violence (Evera, 1994; van Houten, 1998). Une relation analogue ressort aussi de mon travail. En effet, ce sont les États étrangers ayant un nombre de liens modérés, et donc un intérêt modéré à s’investir dans le conflit pour défendre leur réputation, qui provoquent le plus souvent des rébellions. Ceux ayant un intérêt faible n’entrent pas en conflit et ceux ayant un intérêt élevé intimident les gouvernements et les font céder aux demandes des rebelles.

1.3.4 Modèles

Mon modèle théorique s’inspire du modèle de réputation (Kreps & Wilson, 1982), une nouveauté par rapport aux quelques modèles de soutien étatique de groupes rebelles existants. Plusieurs auteurs réutilisent cependant le modèle de délégation et l’adaptent à cette problématique (Bapat, 2012; Salehyan, 2010; Salehyan et al., 2014; Salehyan et al., 2011; Konyukhovskiy & Grigoriadis, 2018)4. D’autres développent de nouveaux modèles pour analyser comment le soutien étranger de rebelles ou de terroristes peut encourager à la violence envers les civils (Siqueira & Sandler, 2006; Salehyan et al., 2014), comment le potentiel d’obtenir ce soutien peut encourager un groupe ethnique à se rebeller (Sambanis et al., 2018) et comment cela peut changer la façon dont il est traité par son gouvernement (van Houten, 1998).

Ainsi, bien que ces modèles permettent de mieux comprendre la dynamique des relations rebelles-patrons et rebelles-gouvernement, ils mettent un peu de côté la dynamique tout aussi complexe des conflits internationaux sous-jacents. Ceux-ci sont néanmoins pris en compte dans le modèle Schultz (2010), qui voit dans le soutien de groupes rebelles une façon d’attaquer un adversaire de façon secrète, ce qui peut provoquer l’échec de négociations internationales. De même, de façon plus minimaliste, Maoz et San-Akca (2012) modélisent la décision des États d’utiliser des groupes non étatiques pour s’attaquer mutuellement et comment ils sont influencés par les possibilités de représailles. Bagchi et al. (2019), quant à eux, mettent en place un modèle avec trois États étrangers qui soutiennent chacun un groupe rebelle. Ils étudie la dynamique complexe qui ressort de leur modèle lorsque deux des États ont une forte aversion pour le groupe rebelle du troisième État, ce qui selon eux est représentatif de la guerre en Syrie. Ainsi, le modèle que je développe permet d’analyser sous un angle nouveau, la réputation, la façon dont les conflits internationaux influencent les guerres civiles.

(19)

1.4

Réputation et conflits

Le modèle de Kreps et Wilson (1982) étudie le comportement d’entreprises en situation de monopole lorsqu’elles font face à de potentiels entrants. Deux types d’entreprises monopolistiques existent : l’entreprise « vengeresse » qui est prête à se lancer dans une guerre de prix à perte contre l’entrant, même si cela implique de lourdes pertes, et l’entreprise standard qui suit son propre intérêt économique de court-terme et laisse la nouvelle entreprise s’installer. Le type du monopole n’est pas connu des autres joueurs. Kreps et Wilson montrent qu’une entreprise standard peut agir comme une entreprise « vengeresse » pour se faire passer pour ce type et ainsi décourager d’autres d’essayer d’entrer dans le marché dans le futur. Le modèle que je développe reflète bien celui de Kreps et Wilson. L’entreprise en situation de monopole est remplacée par un État étranger de type « nationaliste » ou « transnationaliste » (équivalent aux types standards et « vengeresse ») et l’entrant est remplacé par un gouvernement central qui choisit de faire ou non une concession politique ou économique (au lieu d’avoir un entrant qui décide de son entrée dans un marché).

Les modèles de réputation ont eu une influence considérable en économique, mais aussi en science politique (Mailath & Samuelson, 2006). Dans le domaine des conflits in-ternationaux, plusieurs auteurs s’entendent pour dire que les États cherchent souvent à développer une réputation d’interventionnisme, ou d’agressivité, puisque cela facilite les concessions d’adversaires dans les conflits futurs (voir Dafoe et al. 2014 une revue de cette littérature). Ainsi, en intervenant dans des conflits ayant a priori un intérêt national faible, un État peut décourager d’autres pays de le défier dans l’avenir (Russett, 1963; Clare & Danilovic, 2010).

En politique intérieure, Walter (2006) s’est inspirée du modèle de Kreps et Wilson pour argumenter que les États cherchent à se construire une réputation de fermeté lorsqu’ils font face à des rebellions. Elle montre que plus le nombre de groupes séparatistes est grand dans un pays et que plus les territoires contestés ont de la valeur, plus le gouvernement va réprimer au lieu d’accommoder les rebelles. L’explication de Walter est que les États ont un plus grand intérêt à maintenir une réputation d’intransigeance lorsque les groupes rebelles sont nombreux. Ma stratégie empirique est conceptuellement analogue à la sienne puisque j’utilise le nombre de liens identitaires avec des groupes rebelles dans d’autres pays pour évaluer l’incitation pour un État à se construire une réputation d’État « identitaire ». Mon travail est aussi directement en lien avec celui de Clare et Danilovic (2010) qui analysent la prise de position de pays dans des disputes internationales et qui s’inscrit dans une vaste littérature sur la théorie de la dissuasion (Dafoe et al., 2014). Ils trouvent que plus un État a de rivaux, plus il va adopter des positions fermes ou entrer en conflit

(20)

afin de promouvoir une réputation de « force ». Ces deux approches souffrent cependant d’un problème d’endogénéité important: le nombre de disputes ou de groupes séparatistes auquel un État fait face est endogène au mécanisme de la réputation. En effet, si un État est ferme dans ses relations avec ses adversaires, cela devrait décourager d’autres de le défier. Dans la partie empirique de mon travail, le nombre de pays opposés à un État est exogène, puisqu’il est uniquement basé sur les liens ethniques transnationaux et ne dépend pas de si les adversaires d’un État choisissent de le défier.

D’autres auteurs mettent cependant en doute l’importance de la réputation dans les re-lations internationales (Dafoe et al., 2014). Plusieurs critiquent les études empiriques sur la question puisqu’elles sont souvent conduites sur de petits échantillons et souffrent de problèmes d’endogénéité. De plus, la logique même du mécanisme de réputation est attaquée sous plusieurs angles. Entre autres, Jervis (1982) doute de la capacité des États à maintenir une réputation et à véritablement avoir une influence sur la perception que les autres ont d’eux. De même, certains argumentent que la réputation est rattachée aux chefs d’État et non aux pays, ce qui laisse supposer que son impact est de courte durée (Huth, 1997; Wolford, 2007). Néanmoins, il est clair que la réputation a toujours été d’importance pour les hommes d’État (Dafoe et al., 2014; Tang, 2005).

En somme, mon mémoire contribue à la littérature de trois façons : 1) il permet de faire des liens entre les littératures sur les conflits identitaires, les conflits internationaux et les conflits nationaux; 2) Il amène une nouvelle perspective théorique et un nouveau mécanisme, la construction de la réputation, à la littérature sur le soutien étatique de groupes rebelles; 3) Il amène de nouvelles preuves que la réputation est un phénomène important des relations internationales et plus particulièrement des conflits internationaux.

(21)

2

Modèle théorique

2.1

Modèle de base

Je considère N +1 acteurs: un État étranger E qui peut soutenir des groupes rebelles et des pays cibles Pi, i ∈ 1, 2, 3...., N. Dans chacun des pays Pi, il y a un groupe avec lequel E a

un lien identitaire. E cherche à obtenir des autres pays une meilleure inclusion politique et économique pour les groupes avec lesquels il a des liens identitaires. Pour chaque pays, cet enjeu est noté xi ∈ {0, 1}, avec xi = 1 s’il y a une concession et xi = 0 sinon. L’utilité

des Pien fonction de ces enjeux est de 1 − xiet celle de E est de PNj=1βxj, avec β > 0.

Les liens entre E et les groupes des pays Pipeuvent être ethniques, religieux, idéologiques

ou autre. E a avantage à ce que ces groupes aient une plus grande influence politique et économique. Ainsi, une meilleure inclusion économique peut profiter à l’État étranger s’il entretient des relations économiques fortes avec ces groupes. Par exemple, le Rwanda a bénéficié économiquement de la prise du pouvoir au Zaïre par des Tutsis, un groupe ethnique influant du Rwanda, puisque cela lui a donné un accès exclusif aux ressources minières de l’est du Congo (Muller & Pecher, 2018). De même, si un État étranger partage des liens idéologiques ou politiques forts avec un groupe d’opposition, plus ce dernier aura un poids politique important, plus l’État étranger pourra avoir de l’influence dans le pays. Cela peut entre autres l’aider à atteindre ses objectifs économiques ou sécuritaires internationaux. Pensons notamment aux États-Unis qui ont soutenu des groupes pro capitalisme, entre autres en Amérique latine — leur « cour arrière » — où ils cherchaient à limiter l’influence de l’URSS, considérée comme une menace (Blasier, 1988). De plus, le partage du pouvoir ou d’une rente avec un groupe d’opposition peut affaiblir les élites d’un pays rival, ce qui peut être avantageux pour l’État étranger (San-Akca, 2016). Par conséquent, même si un État réfléchit uniquement en fonction de ses intérêts nationaux, il peut avoir de nombreuses raisons de soutenir la rébellion d’un groupe co-identitaire. Un État étranger peut aussi avoir un intérêt pour un groupe dans un autre pays qui va au-delà de la raison d’État. Ceux au pouvoir du pays peuvent avoir particulièrement à coeur le sort d’un groupe ethnique, religieux ou politique dans un autre pays pour des raisons morales, idéologiques ou de convictions religieuses (San-Akca, 2016; Bernauer, 2016). Un exemple crédible est Israël et ses liens avec les minorités juives extranationales. En effet, depuis la fondation d’Israël en 1948, la défense de la diaspora juive est l’une de ses missions fondamentales — l’une de ses raisons d’être d’État — selon l’intellectuel israélien reconnu Sammy Smooha (2002). Un autre exemple crédible est l’URSS, qui a soutenu de nombreux groupes rebelles d’allégeance marxiste-léniniste. Bien que ce soutien ait eu une importance stratégique pour l’URSS, le fait que la doctrine d’État

(22)

marxiste-léniniste encourageait la propagation internationale du communisme suggère fortement que le soutien de l’URSS pour ces causes dépassait le simple intérêt stratégique. Je considère un jeu dynamique en information incomplète. Ainsi, il y a deux types d’États étrangers: ceux qui sont « nationalistes » (n) et ceux qui sont « transnationalistes » (t). Les États transnationalistes retirent le même bénéfice de la politique x du point de vue de leur intérêt national que ceux de type nationaliste. Cependant, ils retirent une utilité supplémentaire, puisqu’ils ont aussi à coeur la cause rebelle pour des raisons identitaires ou idéologiques. Les États nationalistes retirent donc une utilité de βnx et

ceux « transnationaux » retirent une utilité de βtx avec βn < βt. J’utilise la fonction T

pour identifier le type de E. Lorsque E est de type t, j’écris T(E) = t et lorsqu’il est de type n, j’écris T(E) = n.

Dans l’annexe 2, je présenterai une version alternative du modèle où βn = 0. Je montrerai

que même s’il n’accorde aucun intérêt aux enjeux concernant les groupes avec lesquels il a un lien identitaire (x), un État nationaliste peut tout de même chercher à faire croire le contraire afin d’obtenir des concessions sur d’autres enjeux (y).

Implicitement, je fais l’hypothèse que tous les enjeux xiont la même importance, à la fois

pour l’État étranger et pour les pays cibles. En réalité, on peut imaginer que leur importance varie grandement. Or, il est très difficile de comparer objectivement les enjeux entre eux quant à leur intérêt pour les acteurs concernés. Puisque des résultats théoriques dépendant d’une variation dans l’importance des enjeux seraient difficiles à tester empiriquement, je fais le choix d’ignorer cette dimension.

De surcroît, je fais aussi l’hypothèse implicite que le choix de la politique d’inclusion xi

est dichotomique: 1 ou 0, autrement dit, tout ou rien. On pourrait cependant imaginer que plusieurs degrés d’inclusion soient possibles, de sorte à ce que le groupe en question puisse avoir différents niveaux d’influence politique par rapport au groupe dominant. Or, cela ne changerait pas fondamentalement les résultats du modèle et en compliquerait l’analyse inutilement5.

Au début du jeu, les Pi ne connaissent pas le type de E. Je présume cependant qu’ils

connaissent la probabilité que E soit du type « transnationaliste » ou « nationaliste », ou du moins qu’ils ont une croyance commune ex ante sur cette probabilité. Je définis cette probabilité comme étant P(T(E) = t) = θ1= 1 − P(T(E) = n).

5Dans un modèle avec plusieurs niveaux d’inclusion, la logique du modèle fait que le choix se fait toujours entre deux options en fin de compte: offrir le niveau d’inclusion minimal pour éviter le conflit avec certitude, ou ne rien offrir et prendre le risque de faire face à un conflit. Je m’abstiens d’inclure dans ce mémoire une extension du modèle avec plusieurs niveaux d’inclusion, puisqu’une telle extension serait peu intéressante en soi.

(23)

E interagit successivement avec P1, P2et ainsi de suite jusqu’à PN. Le jeu prend la même

forme à chacune de ces interactions.

1. Pi choisit une politique xi ∈ {0, 1}. Si xi = 1, alors Pi inclut politiquement et/ou

économiquement le groupe qui a un lien identitaire avec E. Si xi = 0, alors il

n’inclut pas le groupe en question.

2. E choisit Si ∈ {0, 1}. Si Si = 1, E soutient une rébellion et si Si = 0, il n’en soutient

pas.

3. Si Si = 0, la politique xi est laissée telle quelle. E obtient un bénéfice de βxi et Pi

obtient un bénéfice 1 − xi.

3’. Si Si = 1, alors E provoque un conflit civil dans le pays Pi en soutenant un groupe

rebelle associé au groupe avec lequel E a un lien identitaire. E et Pi subissent

respectivement des coûts CE et CP associés au conflit6. E et les rebelles ont une

probabilité π ∈ (0, 1) de remporter le conflit.

4. Si les rebelles gagnent, ils mettent en place de force la politique xi = 1. Le

gain de E pour cette période est β − CE et celui de Pi est −CP.

4’. Si Pigagne, il n’y a pas de concession et xi = 0. Le gain de E est −CE et celui

de Pi est 1 − CP.

Il est évident que xi = 1 =⇒ Si = 0, puisque l’État étranger ne gagnerait rien à imposer

de force une politique qui est déjà en place. De plus, notons que le gain espéré pour la période i de E en cas de conflit est βπ − CE et celui de Piest de (1 − π) − CP.

Remarquons qu’implicitement je fais l’hypothèse qu’il n’y a jamais de rébellion sans soutien de l’État étranger et que si ce dernier veut provoquer une rébellion, il pourra toujours le faire. Bien que le soutien étranger soit une composante souvent essentielle des rébellions depuis 1946, cette hypothèse est tout de même très simplificatrice de la réalité. Or, pour que la construction de la réputation soit possible, il faut que l’implication de l’État étranger dans le conflit soit appréciable. Une rébellion sans soutien étranger est donc sans intérêt ici et je n’analyse pas cette situation dans le modèle. De même, le cas où une rébellion serait déjà présente dans le pays et où l’État étranger aurait ensuite à décider s’il va la soutenir ou non est stratégiquement semblable pour E à la situation que 6Ces coûts sont définis de façon générale et représentent à la fois l’investissement financier nécessaire pour mener une guerre, la destruction et les pertes humaines. Il va de soi que CE, CP> 0.

(24)

j’analyse dans ce modèle. J’aurais pu faire l’hypothèse qu’il y a toujours une rébellion dans le pays cible et que sans soutien étranger les rebelles ont une probabilité de victoire positive. Cependant, cela n’aurait pas changé fondamentalement et de façon intéressante les résultats du modèle. D’un autre côté, pour qu’un pays soit inclus dans le modèle comme un « adversaire », il faut qu’il y ait un groupe exclu politiquement ayant un lien identitaire avec l’État étranger et désirant améliorer sa condition politique et économique. Par conséquent, pour chacun des pays pris en considération dans le modèle, il devrait toujours y avoir une frange plus véhémente de la population prête à entrer en conflit violent avec le gouvernement. Ainsi, si un groupe rebelle prêt à recevoir un soutien extérieur n’existe pas déjà, l’État pourra sans nul doute en former un de toutes pièces en recrutant parmi les membres les plus militants du groupe exclu.

Pour qu’on observe une stratégie de construction de la réputation, il faut que la stratégie de E diffère selon son type. De plus, il faut que le type n ait une incitation à soutenir un groupe rebelle pour obtenir des concessions dans les interactions futures. Par définition, un État nationaliste a un intérêt assez faible pour l’inclusion du groupe co-identitaire pour qu’il ne veuille pas soutenir le groupe rebelle de façon sincère — autrement dit, pour le simple bénéfice du conflit de court terme — mais assez grand pour que les gains futurs puissent justifier d’investir dans sa réputation en soutenant un groupe rebelle à la période présente. Par définition aussi, un État transnationaliste se soucie suffisamment du sort du groupe pour le soutenir dans un conflit sans prendre en compte l’effet que cela aura sur ses interactions futures avec d’autres États.

Hypothèse 1 CE

1 + π < βn<

CE

π < βt

De même, je fais l’hypothèse que le coût du conflit est plus grand que celui d’inclure le groupe politiquement exclu pour les Pi.

Hypothèse 2 π + CP > 1

Ainsi, 1 − π − CP < 0, le côté gauche étant le gain espéré en cas de conflit et le côté droit

le gain lorsque Pi concède xi = 1. Sans cette hypothèse, il n’y aurait pas de construction

de la réputation puisque les Pi choisiraient toujours xi = 0, peu importe leurs croyances

sur le type de E7.

Dans le cadre de ce travail, j’analyserai seulement ce qui se passe à la première période 7Il faut noter que je ne m’attends pas à ce qu’en réalité toutes les interactions entre États étrangers et pays cibles respectent ces deux hypothèses. Pour ce modèle, je me concentre cependant sur les situations où c’est le cas et où la construction de la réputation est possible. Je discute dans la section 2.3 de comment la présence dans les données de cas ne respectant pas ces hypothèses peut affaiblir — non pas gonfler — les

(25)

du jeu (celle avec P1). L’analyse des autres périodes offre des résultats qui sont analogues

à ceux de la première période, du moins en ce qui a trait aux prédictions qui seront testées empiriquement. Il est donc redondant de les analyser aussi.

À l’équilibre bayésien parfait du jeu, les stratégies adoptées en première période sont8 :

Proposition 1 la stratégie de P1en première période est:

• θ1 < (π + C1 P)N =⇒ x1= 0 • θ1 ≥ 1 (π + CP)N =⇒ x1 = 1

La stratégie de E en première période est: • x1 = 1 =⇒ S1= 0

• T(E) = t, x1= 0 =⇒ S1= 1

• T(E) = n, x1= 0, alors nous avons une stratégie mixte unique. Soit µ1, la probabilité

de soutenir le conflit en première période.

µ1 = P(S1 = 1) = ((π + CP)

(N−1)1)θ1

1 − θ1 ∈(0, 1).

S’il est très probable que l’État étranger soit de type t, alors le gouvernement du pays préfère faire une concession au groupe exclu afin d’éviter qu’il reçoive du soutien de la part de cet État. Si cette probabilité est plutôt faible, alors le gouvernement est prêt à prendre le risque de ne pas partager le pouvoir et/ou la richesse du pays avec ce groupe et ainsi encourager une rébellion soutenue par un autre pays.

E de type n adopte une stratégie mixte où il soutient le groupe rebelle avec une certaine probabilité lorsqu’il n’y a pas de concession en première période. Ceci s’explique de façon intuitive: s’il soutient toujours le groupe rebelle à la première interaction, alors son bluff ne fonctionne jamais puisque les autres Pi savent très bien que E de type n est

tout autant à même de soutenir le groupe rebelle que celui de type t. D’un autre côté, s’il ne soutient jamais, l’État étranger est toujours encouragé à soutenir le groupe rebelle, puisque cela serait un bluff parfait étant donné que les Pi anticipent que seul un État de

type t soutienne un groupe rebelle. Il existe donc un équilibre entre ces deux stratégies 8Les preuves des propositions se trouvent dans l’annexe 3.

(26)

qui se traduit par un équilibre mixte. Cette probabilité dépend de la probabilité que E soit de type transnationaliste (θ1), du nombre d’adversaires futurs N − 1, ainsi que de la perte

espérée du conflit pour P1(1 − (1 − π − CP) = π + CP).

J’analyse ensuite la probabilité de conflit en première période:

Proposition 2 Soit ω ∈ [0, 1] la probabilité que S1= 1.

Si θ1 ≥ (π + C1

P)N =⇒ ω = 0. Sinon, ω = θ1(π + C

P)(N−1) ∈(0, 1).

Pour commencer, remarquons qu’une augmentation de la probabilité que l’État étranger soit de type transnationaliste (θ1) a dans un premier temps un effet positif sur le

con-flit, puisque cela augmente la chance que l’État étranger intervienne lorsqu’il n’y a pas d’inclusion (x1= 0). Au-delà du seuil (π+C1P)N, la probabilité de conflit retombe cependant

à zéro puisque le risque de soutien étant devenu grand, le pays préfère concéder x1 = 19.

La variable N permet de capturer l’importance de la réputation pour l’État étranger nationaliste. Plus le nombre d’adversaires futurs est grand, plus il est important pour l’État étranger de défendre sa réputation puisque celle-ci lui sera utile pour plus de con-frontations10. Ainsi, ce paramètre est particulièrement important à la fois pour l’analyse théorique et empirique, puisqu’il permet de montrer l’importance de ce mécanisme. La probabilité de conflit augmente dans un premier temps lorsque le nombre d’adversaires futurs augmente. Ainsi, un adversaire supplémentaire implique une probabilité de conflit qui augmente de θ1(π + CP)(N−1)(π + CP−1), une valeur toujours positive. Mais, lorsque

ce nombre devient très grand, c’est-à-dire lorsque N ≥−ln θ1

/

ln(π+CP)11, la probabilité de

conflit retombe à zéro. La relation est donc non linéaire. L’intuition est que plus le nombre d’adversaires futurs est grand, plus un État étranger de type n est encouragé à défendre sa réputation en soutenant un groupe rebelle lorsque le pays ne fait pas de concession. Or, cela peut en soi encourager le premier pays à céder, même s’il croit que l’État étranger bluffe, puisqu’il sait que celui-ci voudra défendre sa réputation. Ces deux mécanismes ont des effets opposés sur le conflit. Le premier mécanisme domine dans un premier temps et le deuxième par la suite, ce qui explique que la relation soit non linéaire.

9Je n’analyse pas plus en détail les conséquences d’un changement de θ1 parce que ce paramètre n’est

pas observable empiriquement. Je ne peux donc pas tester empiriquement la relation entre ce paramètre et le conflit. De plus, les paramètres π et CP sont difficiles à interpréter à ce stade et je reporte donc leur

analyse à la section 2.2.

10Dans le modèle, lorsque N = 1, il n’y a pas de réputation à construire et le type n ne soutient jamais de groupe rebelle. De même, lorsque N est très grand, celui-ci soutient presque systématiquement tout conflit puisqu’il veut entretenir une réputation d’État « transnationaliste » coûte que coûte.

(27)

Pour illustrer cet effet, je fais une simulation en considérant des valeurs raisonnables pour les autres paramètres du modèle: 1) Je suppose que θ1 = 0.05, puisqu’on imagine que

peu d’États sont véritablement « transnationaux » (autrement dit, il y a peu d’États qui se soucient véritablement du sort des populations transnationales)12; 2) Je suppose que π = 0.25, puisque malgré un soutien étranger, les rebelles sont généralement défavorisés dans un conflit contre leur gouvernement (Salehyan et al., 2011); 3) CP = 1. Le coût

du conflit est supposé grand à cause de la destruction et des pertes humaines. Avec ces valeurs, j’obtiens la relation suivante13:

1 3 5 7 9 11 13 15 17 19 0 0.1 0.2 0.3 0.4 0.5 0.6 0.7 0.8 0.9 1

Nombre de pays cibles (N)

Probabilité

de

conflit

)

Figure 1: Probabilité que l’État étranger soutienne un conflit civil en fonction du nombre de pays cibles

La probabilité est de 5% lorsque E n’a qu’un seul adversaire et donc aucun intérêt à investir dans sa réputation. Dans ce cas, le risque de conflit est uniquement déterminé par la probabilité que E soit de type t. La probabilité de conflit atteint un pic à 13 pays cibles 12La probabilité θ1, qui est une probabilité subjective, peut varier considérablement d’un cas à l’autre.

Certains pays, en se basant sur les informations qu’ils ont sur leur adversaire, peuvent penser que θ1 est

très faible ou très élevé. Or, en moyenne je m’attends à ce que cette probabilité soit à peu près égale à la véritable proportion d’États transnationaux, et donc qu’elle soit faible. D’un point de vue empirique, c’est cette moyenne qui est importante.

13Notons que les sauts sont toujours discrets et que le trait pointillé sert simplement à mieux montrer la relation.

(28)

où elle est de 73%, une augmentation notable de 68%. Avec 13 adversaires, l’intérêt à investir dans sa réputation pour un État étranger de type n est considérablement plus grand. La probabilité retombe ensuite à zéro lorsque le nombre d’adversaires est de 14 ou plus. À ce seuil, P1cède puisque le risque que E intervienne est trop grand. En annexe 4, j’inclus

des graphiques de simulations avec des valeurs différentes pour les paramètres. La forme générale du graphique reste cependant toujours la même.

Le mécanisme de réputation peut non seulement influencer la présence de conflits, mais aussi l’inclusion des groupes politiquement exclus ayant des liens avec un État étranger.

Proposition 3 Soit γ ∈ [0, 1] la probabilité que x1 = 1.

Si θ1 ≥ 1 (π + CP)N

=⇒ γ = 1. Sinon, γ = πθ1(π + CP)(N−1) ∈(0, 1)

Une augmentation de la probabilité que l’État étranger soit de type transnationaliste favorise l’inclusion du groupe dominé, mais de façon non linéaire. Si le gouvernement n’inclut pas le groupe, alors un θ1 plus élevé implique que le risque de conflit, et par

conséquent d’inclusion, est plus grand. Néanmoins, si θ1 dépasse le seuil critique, le

risque de soutien devient assez grand pour amener le gouvernement à céder et à inclure le groupe d’opposition.

Un plus grand nombre d’adversaires futurs augmente la probabilité que le groupe soit inclus politiquement et économiquement dans le pays. Dans un premier temps, avec un pays cible supplémentaire, la probabilité d’inclusion augmente de θ1π(π +CP)(N−1)(π +CP−1).

Puisque E a plus de chance de soutenir un conflit s’il n’y a pas de concession, cela implique que le groupe d’opposition a plus de chance d’obtenir son inclusion de force. La relation est cependant non linéaire, puisque si N ≥−ln θ1

/

ln(π+CP)le nombre d’adversaires futurs

cesse d’avoir un effet sur la probabilité d’inclusion. Au-delà de ce seuil, le gouvernement inclut le groupe pour éviter le conflit. N n’a donc jamais d’effet négatif sur l’inclusion. Contrairement à la probabilité de conflit, les deux effets de N (qui augmente la probabilité du conflit ou qui encourage le gouvernement à céder) vont ici dans le même sens.

(29)

Je fais une simulation avec les mêmes valeurs de paramètres que précédemment (θ1 = 0.05, π = 0.25, CP = 1)14: 1 3 5 7 9 11 13 15 17 19 0 0.1 0.2 0.3 0.4 0.5 0.6 0.7 0.8 0.9 1

Nombre de pays cibles (N)

Probabilité

d’inclusion

)

Figure 2: Probabilité que le groupe ayant un lien identitaire avec l’État étranger soit inclus politiquement et économiquement dans son pays.

La probabilité d’inclusion du groupe rebelle est de seulement 1.25% lorsqu’il y a un adversaire et qu’il n’y a donc pas d’intérêt pour l’État étranger d’investir dans sa réputation en soutenant une rébellion. La probabilité n’est pas de zéro puisqu’il est tout de même possible que l’État étranger soit de type nationaliste, qu’il soutienne le conflit et que les rebelles soient gagnants. Cette probabilité monte jusqu’à 18% avec 13 adversaires, lorsque Ea un avantage considérable à investir dans sa réputation et que le risque de conflit est par conséquent de 73%. Au-delà de ce seuil, la probabilité d’inclusion est de 100%, puisque le gouvernement inclut toujours les rebelles face à un risque de conflit trop grand. Les graphiques de simulations en annexe 4 montrent que la forme générale de la relation ne change pas avec des valeurs différentes pour les paramètres.

14Notons que les sauts sont toujours discrets et que le trait pointillé sert simplement à mieux montrer la relation.

(30)

2.2

Force des groupes rebelles

Jusqu’à présent, j’ai plutôt ignoré le rôle dans le modèle des groupes qui sont la cible du soutien de l’État étranger. Dans cette section, je comble en partie cette lacune du modèle en prenant en compte l’importance de la force de ce groupe vis-à-vis de son gouvernement. Je représente la force relative des rebelles à chaque période par αi ∈ R.

La force relative d’un groupe d’opposition dépend dans les faits de plusieurs facteurs. Premièrement, il peut avoir accès à des ressources naturelles ou financières qui facilitent l’investissement dans un conflit. Par exemple, le groupe peut avoir accès à son propre réseau commercial, à du pétrole ou à des ressources minières. Deuxièmement, le terrain peut être en faveur des rebelles. En particulier, il est connu qu’un terrain montagneux ou une forêt dense favorise les tactiques de « guerilla » des groupes rebelles. Troisièmement, plus un groupe est bien organisé et est politiquement centralisé et coordonné, plus il sera en mesure de faire face au gouvernement (Salehyan et al., 2011; San-Akca, 2016). Qua-trièmement, plus la population du groupe politiquement exclu est grande en comparaison de celle des groupes dominants, plus il sera puissant par rapport au gouvernement. Ce dernier facteur est particulièrement important et est utilisé pour tester empiriquement la relation prédite entre la force relative du groupe dominé et le conflit.

J’ajoute une étape au jeu à chaque période. Si E décide de soutenir le groupe rebelle, alors Pi choisit CPi, son investissement dans le conflit, de façon à maximiser son gain

espéré 1 − πi− CPi− CP. CPest un coût fixe qui représente une perte inévitable en cas de

conflit — un « coût d’entrée » au conflit en termes économiques. Autrement dit, même si le pays cible n’investit aucune ressource dans la guerre civile, il subira quand même une perte entre autres à cause de la destruction. L’hypothèse 2 est toujours respectée lorsque l’hypothèse suivante sur le coût fixe au conflit est respectée:

Hypothèse 3 CP > 1

De surcroît, je fais l’hypothèse suivante sur π:

Hypothèse 4 π ∈ (0, 1) est une fonction continue et deux fois différentiable de α et CP.

En plus, π0 α > 0, πC0P < 0, π 00 CP ≥ 0, π 0 CP CP=0 < −115.

Intuitivement, cette hypothèse implique que plus les rebelles sont forts, plus leur chance de victoire est grande. De même, plus le gouvernement investit dans le conflit moins elle l’est. 15Pour des raisons plus techniques, je fais aussi l’hypothèse que ∂C∂αP ∈ R, c’est-à-dire que cette dérivée

(31)

Je fais aussi l’hypothèse que l’investissement du gouvernement suit la loi des rendements décroissants et diminue ainsi de moins en moins la probabilité de victoire des rebelles au fur et à mesure qu’il augmente. Finalement, je fais l’hypothèse que l’investissement CPi est toujours profitable pour le gouvernement pour des valeurs très faibles de CPi. Il

s’agit somme toute d’une hypothèse très simple et raisonnable qui correspond parfaitement aux fonctions de conflit classiques telles que les concours de Tullock (Skaperdas, 1996; Garfinkel & Skaperdas, 2007).

J’analyse l’effet d’un changement dans α1sur la probabilité de conflit en première période.

Pour toutes les périodes subséquentes (i ≥ 2), je considère αi fixe par simplicité (αi =

αf, ∀i ≥ 2). Par le fait même, πi+ CPi= πf + CP f, ∀i ≥ 2. Je garde l’analyse de l’effet de

la force des groupes rebelles futurs (αf) pour l’annexe 1.

Je définis la fonction g1comme étant la valeur de π1+CP1+CPen fonction de α1, lorsque P1

choisit CP1de façon à maximiser son gain espéré. La fonction g1est la perte espérée de P1

à l’équilibre en fonction de la force du groupe rebelle: 1−(1−π1−CP1−CP) = π1+CP1+CP.

Je définis gf de la même façon, sauf que je considère πf + CP f + CP en fonction de αf.

Cette dernière fonction peut être interprétée comme la perte espérée des Pi, i ≥ 2.

Proposition 4 Soit ω ∈ [0, 1] la probabilité que S1 = 1 et γ ∈ [0, 1] la probabilité que

x1= 1.

Si α1 ≥ g1−1[θ 1 1gf(αf)N−1

] =⇒ ω = 0, γ = 1.

Sinon, ω = θ1gf(αf)(N−1)et γ = π1θ1gf(αf)(N−1).

Cette proposition montre qu’une augmentation de α1 ne peut que diminuer la probabilité

d’un conflit en première période (ω = θ1gf(αf)(N−1) −→ ω = 0). α1 n’a pas d’effet sur

la probabilité que l’État étranger intervienne lorsqu’il n’y a pas d’inclusion (µ1), puisque

cette stratégie est choisie de façon à rendre les adversaires futurs indifférents entre céder ou pas. Elle ne dépend pas du gain espéré du conflit à la période présente et donc de α1. La

force du groupe d’opposition influence la probabilité de conflit uniquement en favorisant une concession de la part de P1. Plus le groupe rebelle est fort, plus le gouvernement

risque de perdre le conflit et plus ce conflit sera coûteux, ce qui l’encourage à faire une concession. De plus, s’il n’y a pas d’inclusion, le groupe aura une chance plus grande de sortir victorieux du conflit (π0

α > 0), ce qui augmente aussi la probabilité qu’il soit inclus

politiquement et économiquement. L’impact de α1 sur l’inclusion ne peut donc qu’être

(32)

Finalement, l’effet de α1 sur le conflit et l’inclusion interagit avec celui du nombre

d’adversaires (N). Une augmentation de la puissance relative du groupe d’opposition (α1) diminue le seuil requis du nombre d’adversaires (N) qui engendre une concession

du premier pays. Ainsi, ce seuil est N ≥ −ln (θ1(g1(α1))

/

ln(g

f(αf)) + 1 et sa dérivé est

négative par rapport à α1. De ce fait, l’impact d’une augmentation de N risque davantage

de faire tomber à zéro la probabilité de conflit et à un la probabilité d’inclusion. Ainsi, une augmentation de α1 diminue l’impact du nombre d’adversaires sur la probabilité de

conflit et augmente son effet sur la probabilité d’inclusion.

2.3

Prédictions

Mon modèle théorique permet d’obtenir des prédictions qui peuvent être testées em-piriquement. Pour ce faire, je me concentre sur les liens identitaires ethniques entre États et populations extérieures. Pour mesurer le nombre d’adversaires, j’utilise le nombre de pays avec lesquels un État a des liens identitaires avec un groupe ethnique. De même, pour mesurer la force relative du groupe ethnique, j’utilise la taille relative du groupe par rapport à la population de son pays16.

Puisque je fais le pont entre un modèle théorique déterministe et une analyse statistique, deux choses sont à prendre en compte. Premièrement, les résultats du modèle ne concer-nent que les situations respectant les hypothèses 1 et 2. Rien ne dit que ces hypothèses devraient être nécessairement respectées en pratique. Or, pour les cas où elles ne le sont pas, le mécanisme de réputation ne devrait pas être en action. Les effets devraient être nuls: le nombre d’adversaires ne devrait pas avoir d’effet sur la probabilité de conflit ou d’inclusion. Puisqu’une partie des cas doit respecter ces deux hypothèses, je m’attends qu’en moyenne les effets soient fidèles au modèle, quoique moins forts. Deuxièmement, la plupart des relations ressortant du modèle sont discontinues. Statistiquement, la moyenne des différentes relations observées devrait cependant être « lisse ». Autrement dit, on ne devrait pas observer de discontinuités sur le plan statistique.

La proposition 2 montre une relation non linéaire entre le risque de conflit et le nombre d’adversaires. Néanmoins, les simulations du modèle montrent que l’augmentation du nombre d’adversaires a un effet positif même pour un grand nombre d’adversaires futurs (13 dans le graphique 1). Puisque je n’observe jamais plus de 9 adversaires dans mon modèle statistique principal, je m’attends à ce que l’effet observé soit positif.

Prédiction 1 Une augmentation du nombre d’adversaires augmente le risque de conflit.

Figure

Figure 1: Probabilité que l’État étranger soutienne un conflit civil en fonction du nombre de pays cibles
Figure 2: Probabilité que le groupe ayant un lien identitaire avec l’État étranger soit inclus politiquement et économiquement dans son pays.
Figure 3: Nombre d’autres pays où l’État étranger a un lien avec un groupe ethnique
Figure 4: Construction de la banque de données Données sur les États étrangers
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