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La liberté d'expression et l'administration de la justice : le choc de deux paradigmes

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(1)

Faculté de Droit

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Université

rU,

(2)

La liberté d'expression et l'administration de la justice,

Le choc de deux paradigmes

Tome 1 : La théorie et l'empirie

Par

Richard

E.

Langelier

Faculté de droit

Thèse présentée

à la Faculté des études su périeures

En vue de l'obtention du grade de

Docteur en droit (LL. D.)

juin 2002

(3)

Le jury:

Cette thèse intitulée: La liberté d'expression et l'administration de la

justice, le choc de deux paradigmes

présentée par Richard E. Langelier

a été évaluée par un jury composé des personnes suivantes:

Jacques Frémont,

_

Andrée Lajoie

_

Florian Sauvageau

_

Pierre Trudel

(4)

. Sommaire

La présente thèse examine les rapports entre la libelié d'expression et l'administration de la justice. En droit, historiquement, ces rapports ont été posés comme étant ceux des journalistes et du public d'accéder aux audiences des tribunaux, celui de rendre compte de ce qui s'y passe et de critiquer les décisions judiciaires et la magistrature elle-même, et ceux, corrélatifs et opposés,

des magistrats de tenir des audiences in camera,d'émettre des ordonnances de non-publication et,

le cas échéant, de condamner pour outrage au tribunal. Plus récemment, la question de la protection des sources journalistiques est devenue un nouvel enjeu autour duquel se heurte la constellation du droit et celle de l'information.

Notre thèse s'inspire d'une approche matérialiste des rapports du droit et de la société. La vision matérialiste, dont la pensée maxienne a pu représenter une composante - sans parler des avatars de cette pensée qu'ont constitué les diverses écoles marxistes -, pose la nécessité d'une confrontation synchronique et diachronique du monde du droit et de celui de l'information dans toutes les dimensions et surfaces de leur interaction - d'où l'utilisation du terme de paradigme pour désigner les deux constellations.

Cette exigence fondamentale dicte, pour l'essentiel, la forme et les dimensions qu'a pris cette thèse.

En effet, notre travail se divise en deux Parties. La Première Partie expose le cadre d'analyse et les données empiriques, alors que la Seconde partie est consacrée à l'examen des

normes juridiques elles-mêmes. La Première Partie se consacre à l'étude des rapports de la

société et du droit, et elle aborde succinctement l'examen historique et sociologique des protagonistes. La Seconde Partie analyse les normes juridiques internationales en matière de rapports entre la presse et de la magistrature, et livre notre analyse des normes juridiques canadiennes en la matière. Chaque Section de chacun des chapitres explore, d'un point de vue

diachronique, un sujet d'étude spécifique, respectant généralement les quatre modes

fondamentaux de production de la richesse sociale dans lesquels le droit et l'information se sont inscrits comme mode de normalisation spécifique.

Le respect de ces règles architectoniques rigoureuses nous a semblé la meilleure façon de présenter un sujet vaste et complexe. Toutefois, compte tenu de l'ampleur qu'a pris notre travail, il nous a semblé que notre sommaire devait être utilisé à présenter cette stmcture afin de guider quelque peu notre lecteur.

La Première Partie livre notre analyse théorique des rapports du droit et de la société et celui plus spécifiquement des rapports de la liberté d'expression et de l'administration de la justice. Les chapitres qui le composent abordent successivement la problématique d'ensemble, le point de vue et la démarche qui fut la notre (Chapitre 1), exposent la théorie matérialiste des rapports du droit et de la société (Chapitre II), explorent d'un point de vue historique les moments

et surfaces de leur confrontation en tentant de mettre en lumière les caractéristiques

épistémologiques communes qui les unissent et qui font de l'appel au public le mode essentiel de leur action et de leur légitimation (Chapitre III).

La Seconde Partie examine, comme nous l'avons précédemment indiqué, la norme internationale en matière de rapports entre la presse et la magistrature et le monde du droit. Nous avons choisi des modèles posant une très large perspective sur ces questions où présentant des

parentés historiques avec le droit canadien en la matière. C'est ainsi que nous examinons lePacte

(5)

l'homme de l'ONU en matière de rapports entre la presse et de la magistrature; nous procéderons ensuite de la même manière pour la Convention européenne des droits de l'homme et la jurisprudence de la Cour de Strasbourg, pour les normes américaines et les normes françaises en

la matière.

Nous nous étendrons ensuite beaucoup plus longuement sur les normes canadiennes en la matière. C'est ainsi que nous examinerons le droit d'accéder aux audiences des tribunaux et de rendre compte de leur travail (Chapitre V) et celui de critiquer les juges et la magistrature, d'une part, et de celui des journalistes de protéger leurs sources d'information, d'autre part (Chapitre VI). Un dernier chapitre complète notre travail en résumant les conclusions, si provisoires soient-elles, auxquelles nous en arrivons.

Signalons, en terminant, que cette thèse n'est que Je premier volet d'une approche plus globale qui sera complétée par des études sociologiques et économiques touchant au même sujet.

(6)

Abstract

The present thesis examines the relations between the freedom of expression and the administration of justice. Historically, these relations have been set down as being those of the journalists and the public to be admitted to court hearings, those of the media to report and criticize the judicial decisions and the judiciary itself, and those, correlative and opposing, of the

judges to order the proceeding to be held in camera,to issue non-publication orders and, if need

be, to sentence for contempt of court. More recently, the protection of the journalistic sources has become a new stake about which the constellation oflaw and that of information coll ide.

Our thesis is inspired by a materialistic approach to the relations between the law and the society. The materialistic vision, ofwhich the marxian thought may have represented an element - not to mention the varied metamorphoses of that thought constitued by diverse marxist schools - sets down the necessity of a synchronic and diachronic confrontation between the world of law that of information in ail the dimensions and surfaces of their interaction - hence the use of the term paradigm to designate those two constellations.

Essentially, this fundamental requirement imposes the form and the dimensions taken by this thesis.

This work is divided in two Parts. The First Pali expounds the analysis framework and the empirical data, whereas the Second Part in dedicated to the examination of the legal norms themselves. The First Part is dedicated to the relations between law and society. The Second Part analyses the international legal norms regarding the relations between the media and the judiciary, while our analysis of the canadian legal nonns in this matter will be found in the Second Part. Each Section of each Chapter explores, from a diachronic standpoint, a specific subject of study, generally respecting the four fundamental modes of production of the social wealth in which law and information are inscribed as a specifie mode of normalization.

Rigorous observance of those architectronic rules has seemed to us the best way to lay out such a wide ranging and complex subject. However considering the extent of our work, it seemed to us that our abstract should be used to expound this structure in order to guide the reader somewhat.

The First Part sets out our theoretical analysis of the relations between law and society, more specifically, the relations between the freedom of expression and the administration of justice. !ts Chapters successively tackle the overall issue, our standpoint and our procedure (Chapter 1), expound the materialistic theory of the relations between law and society (Chapter II), explore the moments and surfaces of their confrontation and emphasize the common epistemological characteristics that unite them and that make the appeal to the public the essential mode oftheir action and their legitimation.

The Second Part is considering, as we have already pointed out, the legal norms concerning the relations between the media, the judiciary and the world of law. We have chosen models laying a very wide perspective on these questions or presenting historical links with the

Canadian law in this matter.

In

this way we examine the International Covenant on Civil and

Political Rightsand the jurisprudence of the Human Rights Committee of the United Nations, the

Convention for the Protection of Human Rights and Fundamental Freedoms and the

jurisprudence of the Strasbourg Court and the American and French nonns (Chapter IV).

The Second Part is dedicated to the canadian legal norms. We examine the rights to be admitted to court hearings and that of media to report and criticize the judicial decisions, the judges and the judiciary, on the one hand (Chapter V), and, on the other hand, the right of the journalists to protect their joumalist sources (Chapter VI). A last chapter completes our work, summing up our conclusions, however provisional they may be.

(7)

Finally, we would like to point out that this thesis is but the first phase of a more comprehensive approach that will be completed by sociological and economical studies on the same subject.

(8)

Index des mots clefs

Liberté d'expression Administration de la justice huis clos ordonnance de nonpublication

-outrage au tribunal - protection des sources journalistiques - histoire de la presse et des médias

(9)

PREMIÈRE PARTIE

LE CADRE D'ANALYSE ET LES DONNÉES EMPIRIQUES

CHAPITRE

1

LA PROBLÉMATIQUE, LE POINT DE VUE ET LA DÉMARCHE

Section 1)

La liberté d'expression et l'administration de la justice

1

Section 2 )

Le droit et la société

.4

Section 3 )

Le matérialisme dialectique et historique

6

Section 4)

Matérialisme dialectique et historique, liberté d'expression

et administration de la justice

'"

12

CHAPITRE

II

QUATRE INTERROGATIONS SUR LA SOCIÉTÉ ET LE DROIT

Section 1)

La base et les superstructures

15

Section 2)

Le conflit de classe, la violence et le consentement..

31

Section 3)

La division du travail et l'émergence des juristes

51

Section 4)

Droit et Modernité: Le droit comme discours

71

CHAPITRE

III

L'APPEL AU PUBLIC COMME MODE DE LÉGITIMATION

Section 1)

Les sociétés sans écritures, dites primitives

'"

103

Section 2)

Les sociétés esclavagistes

106

Section 3)

Les sociétés féodales

110

Section 4)

Les sociétés capitalistes

133

(10)

B)

XVIIIe

et

XIXe

siècle

143

a)

Le

XVIII e

siècle

143

b)

La Révolution française

150

c)

Le

XIX e

siècle

162

C)

Le

XX e

siècle

176

a)

L'évolution générale de la presse, de la magistrature et de

la liberté d'expression

176

b)

Des procès

«

spéciaux» et de la presse

203

SECONDE PARTIE

LES NORMES JURIDIQUES

CHAPITRE

IV

LA NORME INTERNATIONALE

Section

1)

La règle onusienne

227

A)

Principes généraux

227

B)

Les dispositions pertinentes

228

C)

Les constations du Comité des droits de 1'homme de 1966 à 1979

229

D)

Les constations du Comité des droits de l'homme 1980-1999

.232

Section 2)

Le droit européen qui découle de la Convention européenne

des droits de l'homme

235

A)

Principes généraux

235

B)

Les dispositions pertinentes

236

C)

La jurisprudence de la Cour européenne de 1960-1979

237

D)

La jurisprudence de la Cour européenne de 1980-1999

242

Section 3)

Le droit américain

259

A)

Principes généraux

259

a)

La protection des sources journalistiques

261

b)

La possibilité de rendre compte et de critiquer.

.269

(11)

d)

L'accès aux documents et à la preuve

.283

e)

La télédiffusion des débats judiciaires

.285

Section 4)

Le droit français

290

A)

Principes généraux

290

B)

Les dispositions constitutionnelles en faveur de la liberté d'expression 291

C)

La couverture des activités criminelles et policières

293

D)

Le droit de critiquer les juges et magistrats

295

E)

Le droit d'accéder et de rapporter

302

F)

Le secret de l'instnlction

.307

G)

La protection des sources journalistiques

31 0

CHAPITRE

V

LE DROIT CANADIEN D'ACCÉDER AUX TRIBUNAUX ET DE RENDRE COMPTE DE CE QUI S'Y PASSE

Section 1)

Introduction

313

Section 2)

Le droit d'accéder aux audiences des tribunaux et de rendre

compte de ce qui s'y passe avant l'adoption de la Charte

canadienne des droits et libertés

315

A)

Le Code criminel canadien, son évolution historique et les rationalisations

tirées de l'évolution législative

315

a)

Le procès public

315

b)

La mise en liberté par voie judiciaire et les ordonnances de

non-publication

318

c)

L'enquête préliminaire

320

d)

Le voir-dite et les jurés

323

e)

Les changements de venue

.323

f)

Quelques autres dispositions du Code criminel..

332

B)

L'évolution de la jurisprudence en matière criminelle et les rationalisations

avancées par la jurisprudence

332

C)

Les dispositions en matière civile et la jurisprudence afférente

351

(12)

a)

La qualification de l'organisme et les conséquences sur sa

procédure

:

354

b)

La

procédure

des

organismes

quasi

judiciaires

et

administratifs

356

c)

Le droit à une audition

357

d)

Les fondements de la décision rendue par le tribunal

administratif

359

e)

Le droit à une audition publique et la question du huis clos

359

f)

L'étendue de l'ouverture: les informations qui ne peuvent

être dévoilées et l'accès aux pièces et dossiers du tribunal

ou de l'organisme

371

g)

Les tribunaux administratifs et les ordonnances de

nOI1-publication

375

h)

L'audience publique, le contrôle de la légalité de la

décision et l'appel de la décision

376

E)

Les privilèges parlementaires

377

F)

La liberté d'expression du juge

378

Section

3)

Le droit après l'adoption de la

Charte canadienne des droits

et libertés

379

A)

Le

Code criminel et son évolution

379

B)

L'évolution de la jurisprudence en matière pénale

380

a)

la jurisprudence de 1982 à 1988

381

b)

la Cour suprême du Canada et les questions relatives à la

liberté d'expression et à l'administration de lajustice

397

c)

la jurisprudence des tribunaux inférieurs de 1988

à

2000

.437

C)

Les dispositions en matière civile et la jurisprudence

afférente

"

463

a)

les dispositions législatives

.463

b)

l'évolution de lajurisprudence

.464

D)

L'évolution du droit administratif après l'adoption de la

Charte

477

a)

les grands espoirs (1982-1988)

.477

b)

la réalité de cette évolution: l'évolution législative et

(13)

E)

La liberté d'expression des juges

521

F)

Les privilèges parlementaires

530

G)

L'accès aux décisions et aux dossiers des tribunaux judiciaires; les actes de

procédure et la liberté d' expression

531

Section 4)

Synthèse et conclusion: l'arbitrage des conflits de droits et

de valeurs

543

A)

En droit criminel canadien avant et après l'adoption de la

Charte

543

a)

avant l'adoption de la Charte

543

b)

après l'adoption de la Charte

544

B)

En droit civil avant et après l'adoption de la Charte

545

a)

avant l'adoption de la Charte

545

b)

après l'adoption de la Charte

546

C)

En droit administratif, avant et après l'adoption de la Charte

546

a)

avant l'adoption de la Charte

546

b)

après l'adoption de la Charte

549

D)

Par la doctrine

550

CHAPITRE

VI

LES LIMITES AU DROIT DE RAPPORTER, LE DROIT DE CRITIQUE DES JUGES ET LA PROTECTION DES SOURCES JOURNALISTIQUES

Section 1)

Introduction

561

Section 2)

La protection des sources journalistiques

564

A)

Le droit avant l'adoption de la Charte canadienne des droits et libertés .564

B)

Le contexte factuel et social

à

l'égard de la protection des sources

journalistiques et les luttes des journalistes et de leurs organisations sur

cette question

570

C)

Les décisions de la Cour suprême du Canada sur la question de la

protection des sources

589

D)

Les décisions des cours inférieures après l'adoption de la Charte

(14)

Section 3)

Les manquements aux normes juridiques applicables et la

question de l'outrage au tribunal

608

A) Introduction

608

B) Le problème des catégories d'outrage

609

C) Les justifications en faveur de la compétence de punir pour outrage au

tribunal. 612

D) La qualification du crime, le régime de responsabilité pénale et la

compatibilité avec la

Charte canadienne des droits et libertés

6l4

E) Les limites au pouvoir des juges de condamner pour outrage au tribunal et les limites

à

la capacité des médias de rapporter les activités judiciaires et

de critiquer les juges 643

F) Lajuridiction des tribunaux et les questions procédurales 648 G) L'affront

à

la dignité de la cour ou les limites au droit de critiquer la

magistrature et les décisions judiciaires 653

H) Le

sub judice

ou les limites au droit de rapporter et de commenter..

658

I) La cause pendante 667

J)

Les défenses possibles et la détermination de la sentence 668

Section 4)

Synthèse et conclusion 674

CHAPITRE

VII

Ex

EO ILLUD CONSEQUITUR UT

Section 1)

Introduction

680

Section 2)

La philosophie du droit.. 681

Section 3)

Les leçons de 1'histoire

687

Section 4)

Les normes juridiques comme expression symbolique

696

BIBLIOGRAPHIE GÉNÉRALE

La théorie et l'empirie

70]

A) Ouvrages utilisés , 701 B) Décisions judiciaires '" , '" '"

720

(15)

C)

Documents gouvernementaux

720

D)

Articles de revue

720

La norme juridique

internationale

723

A)

Le droit onusien

723

B)

Le droit européen

729

C)

Le droit américain

736

D)

Le droit français

743

La norme juridique canadienne

748

A)

Le cadre canadien de la liberté d'expression

748

B)

Le droit d'accéder et de rendre compte

752

C)

La protection des sources journalistiques

772

D)

Le droit de critique et les questions suh judice

786

(16)

A.C. Appeal Cases

Adm. L. R. Administrative Law Reports

AI. Alinéa (s)

Alb. Alberta

Alta. L. Rev. Alberta Law Review

AlI. E. R. AIl England Reports

A.P.R. Atlantic Province Reports

Art. Article (s)

Alta. L.R. Alberta Law Reports

B.e. British Columbia

B.R. Banc de la Reine ou du Roi

Bull. civ. Bulletin des arrêts des chambres civiles de la Cour de Cassation (France)

Bull. crim. Bulletin des arrêts des chambres criminelles de la Cour de Cassation (France)

c. Contre

C. Chapitre

C.A. Cour d'appel du Québec

e.A.F. Cour d'appel fédérale

e.e.e. Canadian Criminal Cases

e. de D. Cahiers de droit

e.F. Cour fédérale

Ch. civ. Chambre civile de la CoUr du Québec

Ch. cr. Chambre criminelle ou pénale de la Cour du Québec

Ch.j. Chambre de lajeunesse de la Cour du Québec

C.H.R.R. Canadian Human Rights Reporter

Chitty's L. J. Chitty's Law Journal

C.M. Cour municipale

Conf. ou conf. par Confirmant ou confirmé par

C.Q. Cour du Québec

Crim. L.Q. Criminal Law Quarterly

Crim. L. R. Criminal Law Reports

C.R. Criminal Reports

C.R.R. Canadian Rights Reporter

C.S. Cour supérieure du Québec

D. Recueil Dalloz (France)

Dalhousie L. J. Dalhousie Law Journal

D.L.R. Dominion Law Reports

D.T.E. Droit du travail Express

Et suiv. et suivants

F. Federal Reporter

F2d Federal Reporter deuxième édition

F. Supp. Federal Supplement

Gaz. Cano Gazette du Canada

Gaz. Pal. Gazette du Palais (France)

G.O. Gazette officielle du Québec

H.C.J. High Court of Justice (Ontario)

(17)

J.ouJJ. Juge ou juges

J.c.P. Juris-c1asseur périodique (France)

J.E. Jurisprudence Express

J.O. Journal officiel de la République française

K.B. King's Bench

Man. Manitoba

Man. L.1. Manitoba Law Journal

McGill. L.J. McGill Law Journal

N.B. Nouveau-Brunswick (New Brunswick)

NFLD. Newfoundland

N.R. National Reporter

N.S. Nouvelle-Ecosse (Nova Scotia)

Obs. Observations

O. L. R. Ontario Law Report

Ont. Ontario

0.1. Ontario Judgments (Quicklaw)

O.R. Ontario Reports

Osgoode HallL.J. Osgoode Hall Law Journal

OttawaL. R. Ottawa Law Review

Par. Paragraphe

P.E.I. Prince Edwards Island (Ile-du-Prince-Edouard)

Q.B. Queen's Bench

Queen's L..1. Queen's Law Journal

R. La Reine, (Regina) Le Roi (Rex)

R.C.S. Recueil des arrêts de la Cour suprême du Canada

R.D.F. Recueil de droit de la famille

R.D.J. Revue de droit judiciaire

R.D. McGill Revue de droit de l'Université McGiIl

R.D.U.S. Revue de droit de l'Université de Sherbrooke

Rev. fI'. dl'. adm. Revue française de droit administratif

R.J.Q. Recueil de jurisprudence du Québec

R.L. Revue Légale

R. duB. Revue du Barreau

R. du B. cano Revue du Barreau canadien

RJ.T. Revue juridique Thémis

R.R.A. Recueils de droit en responsabilité et assurance

S. Recueil Sirey

S.A.G. Sentence arbitrale de griefs

Sask. Saskatchewan

S.c. Statuts du Canada

S.c. Law Rev. Supreme Court Law Review

Soc. Chambre sociale de la Cour de cassation (France)

S.Q. Statuts du Québec

S.R.C. Statuts revisés du Canada

S.R.Q. Statuts refondus du Québec

S.C. Supreme Court

S.Ct. Supreme Court Reporter (U.S.)

Trib. adm. Tribunal administratif

(18)

Trib. cam. Tribunal de commerce

Trib. corr. Chambre correctionnelle d'un tribunal

Trib. gr. inst. Tribunal de grande instance

U.S. United States Reports (Supreme Court)

v. Versus

(19)

Dédicace

À

Marie-France, ma conjointe, pour sa patience infinie

À

Candide, mon père, qui aurait tant voulu ...

À

mes camarades des syndicats, sans qui ce texte n'aurait pu naître

À

Pierre Trudel, pour ses encouragements et ses précieux conseils

(20)

LE CADRE D'ANALYSE ET LES DONNÉES EMPIRIQUES

Chapitre l : LA PROBLÉMATIQUE, LE POINT DE VUE ET LA

DÉMARCHE

Section 1)

La liberté d'expression et l'administration de la justice

L'objet de notre étude est de comprendre et d'exposer les rapports qui lient la liberté d'expression et l'administration de la justice.

Historiquement, ces rapports ont été présentés sous trois aspects différenciés, mais corrélatifs. Il s'agit de la possibilité d'accéder aux audiences des tribunaux ou, si nous le posons du point de vue de la magistrature, du droit de juger in camera; le droit de rendre compte de ce qui s'y passe ou, du point de vue opposé, d'interdire la publication ou la retransmission des débats; et finalement, du droit de critiquer la magistrature ou le comportement d'un magistrat, lors d'un procès, et celui opposé du juge de condamner pour outrage au tribunal. Récemment, une nouvelle question a surgi. Elle concerne le droit des journalistes de ne pas dévoiler leurs sources et celui de la magistrature d'exiger ce dévoilement,

lorsque la bonne administration de la justice le requiert.

La dialectique des valeurs qu'expriment ces droits, leurs justifications et leurs articulations spécifiques, sera donc au cœur de ce texte.

Mais avant de pouvoir parler de ces droits spécifiques, compte tenu de la nature particulière de ce texte, il nous a semblé nécessaire d'examiner d'abord, ne serait-ce que de façon sommaire, la question du droit dans ses rapports avec la société, ses acteurs, ses institutions, son discours, etc.

Plusieurs raisons nous y poussent d'ailleurs. Il y a d'abord l'interrogation terrifiante mais nécessaire, du point de vue de la recherche, sur les rapports du droit et de la société : y a-t-il

«

quelque chose »derrière,àcôté ou en amont du droit, qui le justifie, l'explique, en dessine les contours ou en impose les formes, ou le droit peut-il être compris strictement à partir de lui-même?

(21)

Comme Edgar Morin l'a jadis constaté, la recherche des causes non apparentes mais pourtant efficientes de la réalité sociale constitue la démarche même de la science sociale qui se construitl.

Ainsi, c'est une question importante d'un point de vue épistémologique, car elle renvoie à une interrogation tout aussi fondamentale qui est celle de la possibilité ou de la virtualité d'une science du droit : cette science est-elle possible si le droit ne peut être compris à partir de lui-même, ou, à tout le moins, et empruntant en cela l'analyse foucaldienne de la connaissance, un

«savoir» juridique peut-il émerger2?

On peut donc, à cet égard, qualifier de fondamentales les questions qui sont préalables à l'examen des normes juridiques particulières régissant les rapports du droit et de la société, mais aussi des droits spécifiques, des normes particulières, qui régissent les rapports de la liberté d'expression et de l'administration de la justice et qui, dans une certaine mesure à tout le moins, permettent de comprendre l'évolution de ces mêmes normes.

Pour l'essentiel en effet, et c'est là notre seconde raison, la volonté d'expliquer strictement à partir d'elles-mêmes les règles existantes en la matière n'aurait présenté qu'un intérêt littéraire, sinon aucun intérêt. Et cela s'explique de diverses manières.

En premier lieu, un certain nombre d'auteurs se sont déjà employés à présenter les normes, règles et procédures qui régissent les rapports de la liberté de la presse et de l'administration de la justice3.Notre contribution personnelle n'aurait donc pu que rebrasser les

éléments que la doctrine et la jurisprudence ont exposés depuis plusieurs années.

En second lieu, il faut tenter de comprendre et d'expliquer la formidable poussée, l'avancée des médias, leurs tentatives répétées et pathétiques de contrer les conceptions très étroites des juristes et des juges pour limiter l'accès aux tribunaux et surtout pour réduire la couverture des procès. Y a-t-il d'autres raisons que la constitutionnalisation des normes juridiques sur la liberté d'expression qui expliquent l'intervention répétée des médias devant les

IMORIN, Edgar,La rumeur d'Orléans,Paris, Éditions du Seuil, 1970,256 p., p.112.

2FOUCAULT, Michel,L'archéologie du savoir,Bibliothèque des Sciences Humaines NRF, Paris, Gallimard, 1992,275 p., p. 237-240.

3Vo ir, par exemples,Procureur Général ( Nouvelle-Écosse)c.MacJntyre,[1982]1 R.C.S. 175;Dagenais c. Société Radio-Canada

[1994] 3 R.C.S. 835; ANISMAN P. et LINDEN,A.M. (dir), The medias, the courts and the Charter,Toronto, Carswell, 1986; COMMISSION DE RÉFORME DU DROIT DU CANADA, L'accès du public et des médias au processus pénal, Document de travail 56, Ottawa, Ministère des Approvisionnements et Services Canada, 1987, 120 p.; LEPOFSKY, David, Open justice : the constitutionnal right to attend and speak about criminal proceeding, Toronto, Butterworths, 1985; MEWETT, Alan W.,«Public criminal trial », (1978-79) 21 Crim.L.Q. 199; MORISSETTE, Rodolphe,La presse et les tribunaux,Montréal, Éditions Quebecor / Wilson et Lafleur, 1991, 543 p. ; TRUDEL, Pierre,Droit de l'information et de la communication, coll.«Notes et documents », Montréal, Thémis, 1984,595 p.; WRIGHT, Peter,«The open court: The hallmark ofjudicial proceeding» (1947) 25R. du B. cano

(22)

instances judiciaires pour faire valoir leur droit de rapporter ce qui se passe dans l'enceinte des tribunaux?

Même dans la mesure où le raisonnement juridique de la constitutionnalisation de la

liberté d'expression pourrait expliquer en partie cette poussée, se poserait quand même la question du pourquoi de cette constitutionnalisation.

(23)

Section 2) Le

droit et la

société

Mais nos interrogations devaient se faire encore plus précises. Si un lien existe entre la société et le droit, quelle est la nature de ce lien? comment se fait l'ancrage? par quel mécanisme? s'agit-il d'un rapport structurel, causal, dialectique?

On retrouve chez les philosophes et les juristes, à diverses époques historiques, des articulations différenciées de ce type de rapport.

Platon voit dans le droit l'incarnation de l'idée de justice. Montaigne croit que la plupart des choses du monde«se font par elles-mêmes »4. Michelet voit dans l'évolution du droit et de la société un mystérieux mélange de nécessité et de libertéS. Tocqueville avance que la démocratie et l'égalité donnent«un certain tour aux lois », bien que la liberté ne se traduise pas

«en tous lieux [... ] sous les mêmes traits »6. Montesquieu énonce que les lois«sont les rapports nécessaires qui dérivent de la nature des choses »7, alors que Hegel opine dans le même sens et insère le droit«comme élément conditionné d'une totalité »8.

Au XIXesiècle Marx posera la question des rapports du droit et de la société comme si le premier découlait «en dernière analyse» de la seconde, en particulier des «conditions d'existence matérielles »9, alors que plus tard Max Weber rejettera cette approche et conclura que la société constitue «la conclusion largement contingente de processus multiples dont les liens réciproques ne peuvent être établis avec sûreté et certitude»10.

Au XXe siècle, malgré certaines apparences, le débat se pose toujours dans les mêmes termes, au-delà des différences importantes de vocables.

Encore une fois, certains auteurs verront le droit comme le«révélateur de phénomènes sociaux, traduction du rapport de forces à l'instant donné de l'histoire d'une société déterminée »11 voire comme «en relation privilégiée, en correspondance [... ] avec un système

4MONTAIGNE, Michel de,Les essais,coll. l'Intégrale, Paris, Éditions du Seuil" 1967,622 p., p. 377. 5MICHELET, Jules,Histoire de France,1.1, Lausanne, Éditions Rencontre, 1965,538 p, p.ill.

6TOCQUEVillE, Alexis De, De la démocratie en Amérique,1.1, Paris, Gamier-Flamarion, 1986,569 p., p. 57 et 425.

7MONTESQUIEU,De l'esprit des lois,1.1, Paris, Gamier-Flamarion, 1988,507 p., p. 122.

8HEGEL, Friedrich.,Principes de la philosophie du droit,coll. Idées, Paris, Gallimard, 1968, 380 p., p.il.

9MARX, Karl,Contributionàla critique de l'économie politique,Paris, Éditions Sociales, 1977,309 p., p.;;'. Marx dira encore que le droit n'est que«la reconnaissance officielle du fait».Consultez «Misère de la philosophie», dansŒuvres1, coll. La Pléiade, Paris, Gallimard, 1963, 1818 p.,p.~

HVINCENT, Jean-Marie,Fétichisme et société,Paris, Éditions Anthropos, 1973, p.lQQ(cité dans WEBER, Max,Sociologie du droit, Paris, Presses universitaires de France, 1986,242 p., p.2).Weber nie d'ailleurs formellement que le droit rationnel soit un produit du développement du capitalisme. ConsultezL'éthique protestante et l'esprit du capitalisme,coll. Agora, Paris, Pocket,

1994, 286 p., p.1.2.

IIROYER, Jean-Pierre, «L'Homme et le droit», dans POIRIER, Jean, (dir.),L 'histoire des mœurs, 1.2, coll. La Pléiade, Paris, Gallimard, 1991, p. 535-609, 536.

(24)

idéologique

>P.

Alors que d'autres y verront un élément social s'insérant dans une structure

complexe par son mode d'énonciation, ses institutions, son discours, etc.B.

Ces diverses références n'ont certes pas pour objectif de présenter un tableau d'ensemble des visions ou conceptions des rapports de la société et du droit, mais bien de

montrer qu'en Occident, en particulier, cette question est au cœur des préoccupations des

juristes, sociologues et philosophes, et que, de façon indirecte à tout le moins, tous ont dû y

apporter une certaine réponse, y compris quand ils refusent de poser ce rapport de façon

explicite. Certains avancent même que le refus de poser cette réalité comme contradictoire,

constitue l'un des aspects de l'idéologie juridiquel4. En fait, on pourrait sans doute dire qu'il

n'est qu'un élément de la confrontation du matérialisme et de l'idéalisme, de l'immanence et de la transcendance qui traverse l'ensemble de la philosophie.

12SOULIER, Gérard,Nos droitsface à l'État, coll. Points Politique, Paris, Éditions du Seuil, 1981,252p., p.29.

13FOUCAULT, Michel, Surveiller et punir, Bibliothèque des Histoires NRF, Paris, Gallimard, 1991,315 p. ;L'archéologie du savoir, op. cit., note 2.

(25)

Section 3) Le matérialisme dialectique et historique

Ces considérations nous amènent à devoir nous situer nous-même dans ce débat, à

montrer d'ores et déjà nos couleurs, à tracer le cadre à l'intérieur duquel nous allons tenter de développer notre analyse.

D'entrée de jeu, disons que c'est en référence au matérial isme dialectique et historique, en utilisant son cadre d'analyse que nous tenterons de situer les rapports du droit et de la société, et ceux, plus spécifiques, de la liberté d'expression et de l'administration de la justice.

En fait, comme lean-Paul Sartre le rappelait, au début des années 60, le marxisme au

XXe siècle est une philosophie incontournable, par rapport à laquelle tous les philosophes,

penseurs, sociologues et juristes se sont situés et continuent de le faire. C'est

«

l'humus» qui a

fertilisé toute la pensée moderne, tout comme en d'autres siècles les philosophies de Descartes

et de Locke, et plus tard celles de Kant et de Hegel ont joué ce rôlel5•

Si comme Chateaubriand le prétend, chacun a en soi son monde et veut le justifier, utiliser le matérialisme dialectique et historique, réexplorer le marxisme après l'échec des tentatives d'édification du socialisme dans le monde, après les résultats catastrophiques auxquels ont conduit ces tentatives, cela ne constitue-t-il pas une aventure risquée, voire une

démarche surannée et obsolète inspirée par la nostalgie? Pire encore, une telle «méthode»

d'analyse ne risque-t-elle pas de conduire à des résultats peu fiables, problématiques et, au demeurant, fort peu scientifiques?

Le problème de l'actualité du marxisme, Daniel Bensaïd devait le présenter ainsi:

Aussi longtemps qu'il [le système capital iste] dominera les rapports

sociaux, la théorie de Marx restera actuelle, sa nouveauté recommencée

constituant l'envers et la négation d'un fétichisme marchand universel.16

Certes, Marx n'est pas plus responsable de Staline ou de Pol Pot que ne le sont Raymond Aron ou Georges Burdeau de Pinochet et des autres dictateurs qui se sont inspirés du

modèle libéral. Comme le disait déjà Hobbes il y a plus de 350 ans: « [... ]on ne doit pas

imputer les actions d'un Néron comme essentielles à la monarchie»17.

Mais au-delà du débat sur la responsabilité d'un auteur par rapport à son œuvre, se pose de façon beaucoup plus pertinente la question de savoir ce qui dans la pensée unique du 15SARTRE, Jean Paul,Questions de Méthode etCritique de la raison dialectique,Bibliothèque des Idées NRF, Paris, Gallimard, 1967, 755p., p.17-21.

(26)

libéralisme triomphant qui déferle présentement, dans le vertige du vide où la pensée occidentale semble se confiner et surtout dans les sociétés de plus en plus inégalitaires dont cette philosophie permet l'émergence ou tout au moins les justifient, ce qui devrait nous encourager à mettre au rebut la vision matérialiste dialectique et historique qui est la nôtre.

Certes, SI par une vIsion matérialiste dialectique et historique nous entendons la répétition caricaturale des prolégomènes staliniens nous n'irons nulle part, car, comme Marx le rappelait lui-même, lorsque l'histoire se répète cela prend toujours une forme caricaturale.

Afin d'illustrer notre propos, examinons ce que Marx et Engels disaient des rapports de la société et du droit, et voyons ensuite comment cela a été « traduit» dans la pratique.

Revenons donc à ce texte célèbre de Marx, cité précédemment, où il explique sa vision des

rapports de la société et du droit.

Dans laPréfaceMarx indique:

Mes recherches aboutirent à ce résultat que les rapports juridiques ainsi que

les formes de l'État ne peuvent être compris ni par euy-mêmes ni par la prétendue évolution générale de l'esprit humain, mais qu'ils prennent au contraire leurs racines dans les conditions d'existence matérielles dont Hegel,

àl'exemple des Anglais et des Français du XVIII' siècle, comprend l'ensemble

sous le nom de "société civile ", et que l'anatomie de la société civile doit être

cherchée à son tour dans l'économie politique. [. ..] Le résultat général auquel

j'arrivai et qui une fois acquis servit de Jil conducteur à mes études, peut

brièvement se formuler ainsi: dans la production sociale de leur existence, les hommes entrent en des rapports déterminés, nécessaires, indépendants de leur

volonté, rapports de production qui correspondentàun degré de développement

déterminé de leurs forces productives matérielles. L'ensemble de ces rapports de production constitue la structure économique de la société, la base concrète

sur laquelle .1''élève une superstructure juridique et politique et à laquelle

correspondent des formes de conscience sociales déterminées. Le mode de production de la vie matérielle conditionne le processus de la vie sociale, politique et intellectuelle dans son ensemble. Ce n'est pas la conscience des hommes qui détermine leur être ; c'est inversement leur être social qui

détermine leur conscience.18

Ce texte de 1859 n'est pas le seul où Marx pose le rapport du droit et de la société.

Malheureusement, c'est ce seul texte qui a été «reconnu» et qui servira de fondement à une

interprétation mécaniste, non dialectique, voire très économiste de la société.

17HüBBES, Thomas,Le citoyen ou les fondements de la politique,Paris, Garnier-FIamarion,1990, 408p., p.200.

(27)

Certes, cette lecture unilatérale et biaisée de l'œuvre de Marx, correspondait aux intérêts spécifiques de certaines couches sociales en lutte pour l'hégémonie politique dans leur société respective (URSS, pays est européens, Chine, etc.). Mais on était loin de Marx ...

Ce texte, interprété dogmatiquement ou mécaniquement, semble nier la possibilité d'une science du droit; il pose que le droit ne peut être que le reflet imparfait, tronqué de la réalité

économique, sans plus. Faire l'histoire du droit, en comprendre la philosophie, se résume doncà

faire l'histoire économique de la société.

Traduit dans le contexte spécifique de notre sujet d'étude, soient les rapports entre la

liberté d'expression et l'administration de la justice, ce point de vue conduit àl'inexplicable, à

l'invraisemblance d'une concordance des règles de droit et du type de société desquelles elles émergent, alors que, pour ne prendre que la comparaison des règles de droit américaines et canadiennes, des dissemblances, des ruptures, des discontinuités, des écarts sensibles se font

jour dans l'étendue des droits octroyés à la presse dans les tribunaux, face à eux et ~ leur

encontrel9.

Cette absence d'isomorphisme, et plus encore d'isotropisme juridique, ces décalages significatifs de la règle, remettent-ils en cause l'analyse même?

Des extraits de lettres écrites par Engels dans les années 1890 méritent à cet égard

d'être cités. Ainsi, dans une lettreàConrad Schmidt Engels indique:

Dans un État moderne, le droit ne correspond pas seulement à une situation

économique d'ensemble et en est l'expression, il représente aussi une

expression COHÉRENTE EN ELLE-MÊME, qui ne doit pas apparaître, du fait de contradictions internes, inconsistante. Pour que ce but soit atteint, il faut que le droit de plus en plus dépasse l'état de fidèle reflet des conditions économiques.

Et d'autant plus qu'il y réussit, il arrive de moins en moins qu'un code juridique soit l'expression grossière, brutale, sans nuance de la domination

d'une classe - ce qui, en soi, serait déjà une offense à l'idée de lajustice?O

Dans une lettre

à

Joseph Bloch, Engels ira dans le même sens:

D'après la conception matérialiste de l 'histoire, le facteur déterminant dans l'histoire est, EN DERNIÈRE INSTANCE, la production et la reproduction de la vie réelle. Ni Marx ni moi, n'avons jamais affirmé davantage. Si quelqu'un

19Infra,Seconde Partie.

2°Lettre d'Engels à Conrad Schmidt(27octobre 1890), cité dans DUMONT, Fernand,Les idéologies,Paris, Presses universitaires de France, 1974,183 p., p. 25. Les soulignements sont dans le texte.

(28)

dénature cette position en ce sens que le facteur économique est le SEUL déterminant, il le transforme ainsi en une phrase vide, abstraite, absurde. La situation économique est la base, mais les divers éléments de la superstructure

[... ] exercent également leur action sur le cours des luttes historiques et dans

beaucoup de cas, en déterminent de façon prépondérante la FORME. 21

Dans une lettre à B. Borgius, Engels sera encore plus précis:

Le développement politique, juridique, philosophique, religieux, littéraire, artistique, etc., repose sur le développement économique. Mais ils réagissent tous également les uns sur les autres, ainsi que sur la base économique. Il n'en est pas ainsi parce que la situation économique est LA CA USE, QU'ELLE EST

SEULE ACTIVE et que tout le reste n'est qu'action passive. Ily a, au contraire,

action réciproque sur la base de la nécessité économique qui l'emporte toujours

EN DERNIÈRE INSTANCE. 22

Le lecteur de ce texte excusera ces longues citations. Toutefois le but de l'exercice, à nos yeux essentiel, était de faire ressortir comment ces rapports de la base et des superstructures sont des éléments dynamiques, mettant en cause tant les éléments superstructurels entre eux que leur détennination, en demière analyse, par la base économique. Mais plus encore, à l'étape actuelle de notre exposé, il montre que ce qui durant longtemps a été présenté comme la vision marxiste du droit n'était que l'altération de cette pensée, sa caricature même. Ce qu'il faut donc rejeter dans ce marxisme, c'est le caractère fétichiste et caricatural, la volonté d'en faire un dogme.

Ce caractère incontoumable du matérialisme dialectique et historique, on le retrouve aussi dans l'attitude de ceux et celles qui depuis 150 ans l'ont combattu. Il importe fort peu de répondre aux ultralibéraux qui font la lutte au marxisme par la casuistique religieuse, l'injure

ou le mensonge23• Leur argument accompagne la noire logique de la guerre idéologiquement

froide des années 1950-1960, et y pu ise ses sources essentielles.

Par contre, le comportement d'une partie des théoriciens occidentaux face au marxisme

est plus significatif de sa force, de son attrait et de l'incapacité de la pensée libérale de le

contrer sérieusement sur le terrain philosophique, à tout le moins. L'attitude de Weber au début

21Lettre d'Engelsà Joseph Bloch du 21 septembre 1890, dans Oeuvres choisies de Marx-Engels, t.3, Moscou, Éditions du Progrès, 1976,611 p., p. 509. Les soulignements sont dans le texte.

22Lettre d'Engelsà B. Borgius du 25 janvier 1894, dans Oeuvres choisies de Marx-Engels,t.3, op. cit., note 20, p. 526.

23L'un des principaux représentants de ce courant en Occident est Konstantin Stoyanovitch.. Ses principaux ouvrages sur la question sont Marxisme et droit, Paris, LGDJ,1964, 403 p. ; La pensée marxiste et le droit, Paris, Presses universitaires de France, 1974, 196 p.. Consultez aussi KELSEN, Hans, The Communist Theory oflaw, Londres, 1955; pour une formulation plus récente de ces vieilleries idéologiques, consultez LEVY, Bernard-Henri, La barbarieàvisage humain, coll. Figures, Paris, Grasset,1977,236 p..

(29)

du XXesiècle et celle de Foucault, à la fin du même siècle, sont caractéristiques à cet égard. En

effet, comme Philippe Raymond et Dominique Lecourt le remarquent24, c'est en se situant à

mi-chemin entre le matérialisme et l'idéalisme, en tentant d'en faire une synthèse nouvelle, en

s'inspirant du marxisme tout en refusant de lui accorder crédit que ces deux penseurs vont

pour l'essentiel élaborer leur œuvre. Quand Weber écrit son Histoire économique 25du monde

en ne faisant que trois brèves références quasi anecdotiques à l'œuvre de Marx, alors que

Foucault, dans Les mots et les choses, réduit le marxisme à ce poisson capable seulement de

vivre dans la pensée du XIXe siècle26, voilà ce qui s'appelle refuser de payer son écot. Cette

attitude sera d'ailleurs celle d'une grande partie des intellectuels qui rejettent le marxisme,

comme le remarque Jean-Claude Passeron à propos de Joseph Schumpeter27• Foucault fera

ultérieurement amende honorable28, mais ses écrits globalement resteront marqués par la même

attitude.

En parfaite symétrie avec ce point de vue et accompagnant cette fois le camp de ceux qUI se réfèrent au marxisme, on trouve l'opinion de ceux qui énoncent que le marxisme occidental a été «perverti» par divers courants libéraux (structuralisme, psychanalyse,

sémiologie, linguistique, etc.i9.

On peut certes déplorer cette influence issue de la confrontation du marxisme aux autres courants de la pensée moderne ou au contraire s'en réjouir. Nous optons volontiers pour la seconde attitude.

Le matérialisme dialectique et historique ne trouve ni son aboutissement ni sa fin dans le marxisme. Sauf pour ceux qui en font un dogme, ou une religion, et ce faisant l'assassine, le marxisme n'est pas une totalité englobante et finie. Il ne peut à lui seul expliquer l'ensemble du

monde.Ilest à la fois partie et tributaire de tous les courants de la connaissance humaine.Ilest

également confluent. Sa source réelle est la connaissance scientifique qu'il intègre, systématise

et synthétise à travers la pratique sociale de la lutte, y inclus la lutte idéologique.

24RAYMOND, Philippe, «Max Weber et l'économie », dans WEBER, Max,Histoire Économique, Bibliothèque des Sciences Humaines NRF, Paris, Gallimard, 1991, 431 p., p. 1-XI ;LECOURT, Dominique, Pour une critique de l'épistémologie, coll. Théorie, Paris, François Maspero,1972, 134p., p.98-133.

25 WEBER, Max,Histoire économique, op. cil.,note23.

26FOUCAULT, Michel,Les Mots et les Choses,coll. Tel, Paris, Gallimard. 1990,400p., p.274.On connaît la réponse célèbre que

fit SARTRE:«Il s'agit de constituer une idéologie nouvelle, le dernier barrage que la bourgeoisie puisse encore dresser contre Marx. »(cité par David Macey dansMichel Foucault,Paris, coll. Biographie NRF, Gallimard,1994,577p., p.l2l).

27PASSERON, Jean-Claude,«Présentation», dans SCHUMPETER, Joseph,Impérialisme et classes sociales, Paris, Éditions de Minuit,1972,291p., p.33-34.

18«Entretien avec Michel Foucault», dansDits et Écrits(1954-1988),t.2, « (1970-1975)», Bibliothèque des Sciences Humaines NRF, Paris, Gallimard,1994,838p., p.167-168.

29ANDERSON, Perry,Sur le marxisme occidental, coll. Petite collection maspero, Paris, François Maspero,1977, 165p., p.80et suiv.

(30)

Il n'est donc pas un savoir totalîtaire et, comme Althusser l'a montré, il doit changer de

forme à chaque pas en avant, à chaque avancée de la connaissance scientifique30• Certes en

Occident, au début du XXIe siècle, se rallier à un certain type de discours, accepter ses

significations, ses modes d'énonciation peut constituer, comme Foucault l'a montré, un certain

assujettissemene1• Mais ce risque nous semble inhérent à toutes tentatives de théorisation

qu'elles l'acceptent explicitement ou non.

Toutefois, d'un point de vue historique, compte tenu de la très profonde sédimentation idéologique en Occident face au marxisme, il ne nous est guère apparu plus convaincant ou éclairant d'utiliser des vocables comme la pensée marxienne plutôt que la pensée marxiste pour situer notre approche, ou la distinguer des visions plus politiques - et sans doute moins scientifiques - de la question. Nous ne voyons pas non plus comme plus éclairant, d'utiliser des

vocables tels que la «philosophie critique », «théorie de la praxis », etc., car l'amalgame

« multicolore» qui se retrouve bien souvent sous ces étiquettes, outre que celles-ci seraient le plus souvent dictées par des considérations politiques et corporatives propres au chercheur, ne permet pas davantage d'en cerner avec exactitude la nature spécifique et donc d'en dégager les caractéristiques fondamentales d'un point de vue scientifique. C'est pourquoi, pour l'avenir, nous nous en tiendrons au matérialisme historique et dialectique'}.

JOALTHUSSER, Louis, Lénine et la Philosophie ,- Marx et Lénine devant Hegel, Paris. coll. Petite collection maspero, François Maspero, 1972,95 p., p. 32.

3IFOUCAULT, Michel, L'ordre du discours, coll. NRF, Paris, Gallimard, 1971,82 p., p. 45.

3zD'autres que moi ont tenté ou tentent de procéder à une refondation du matérialisme dialectique et historique en l'épurant des scories du stalinisme, du léninisme et du trotskisme. Il s'agit d'abord d'assumer entièrement l'héritage du marxisme et de comprendre comment cette pensée fut dévoyée par les courants slavophiles du socialisme. Il s'agit encore de tirer les leçons des expériences historiques récentes dans la lutte pour la démocratie et le socialisme. Consultez sur cette approche: MATELU, Roger, Le communisme autrement, coll. Utopie Critique, Paris, Éditions Syllepse, 1998,266 p.. Cette démarche implique donc, comme le rappelle encore Claude Lefort, que nous soustrayons l'œuvre de Marx « au mythe de la théorie marxiste».LEFORT, Claude, Les formes de ['histoire,coll. Folio, Paris, Gallimard, 2000, 569 p., p.l.Q, .

(31)

Section 4) Matérialisme dialectique et historique, liberté d'expression et

administration de la justice

Le développement d'une vision matérialiste dialectique et historique des rapports de la

liberté d'expression et de l'administration de la justice suppose, du point de vue

méthodologique, deux éléments fondamentaux. Le premier concerne les moyens matériels de l'expression et le second les rapports sociaux dans lesquels ils s'insèrent, les stratégies et les orientations des protagonistes, etc. Pour comprendre adéquatement ces rapports, il sera nécessaire de mettre en parallèle constant, en rapport critique et dialectique entre eux, et la

vision politique générale d'une société et les moyens de cette vision. Pour prendre une

comparaison qui n'est pas trop éloignée de notre sujet, il faut mettre en rapport l'acteur

énonçant le texte et la construction du théâtre qui permet au texte, au verbe, de franchir

l'espaceet avec l'émergence même du langage théâtral, et avec l'histoire intime et concrète de

l'auteur de la pièce qui est représentée etavec l'économie politique et la culture qui conduiront

de nombreuses personnes à s'entasser dans le théâtre pour entendre cette histoire se raconter à travers la médiation du langage théâtral, par le bourdonnement de cette parole tragique ou comique qui fend l'air de ce lieu matériel et symbolique et qui, passant de l'oreille au cerveau de l'auditeur, produit ses effets idéologiques et éthiques. Bref, sans la mise en situation des divers éléments de cette longue chaîne de médiations matérielles, idéologiques, politiques, économiques, sociales, etc., notre connaissance du droit comme vecteur de différenciation sociale, comme mode d'efficience politique, comme philosophie, demeurerait embryonnaire, partielle, altérée.

Ainsi, on ne peut véritablement faire une histoire de la liberté d'expression sans faire

l'histoire du développement des moyens matériels d'expression et des contradictions

économico-politiques qui en ont permis l'émergence - même si l'une ne se réduit pas aux

autres, ni ne les équivaux - alors qu'en Occident, à tout le moins, faire l'h istoire de la

magistrature implique, en grande partie, faire l'histoire de l'État dans sa présence politique et sa matérialité institutionnelle.

Comme on le voit, la nécessité plus que jamais moderne de repenser les rapports du droit et de la société, de mettre en parallèle le monde et notre représentation juridique du

(32)

monde, de comprendre les rapports complexes qUi les unissent, présente des exigences de rigueur et un défi de taille à relever.

Aussi, les contraintes liées à la nature de ce texte impliquent-elles des choix difficiles mais nécessaires. Pour comprendre le droit fallait-il écouter les juristes, les théologiens, les théoriciens politiques de l'État, ou encore les organisations qui se sont situées en marge des sociétés et en ont combattu les règles juridiques?

Que peut-on tirer de l'histoire des théories politiques, ou éthico-politiques sur la façon dont les rapports du droit et de la société ont été posés? Devrait-on privilégier ces visions plutôt que celles simplement, banalement et nécessairement juridiques des penseurs du droit?

La réponse à cette question se trouve de façon détaillée dans le texte qui suit. Contentons-nous pour le moment d'une affirmation dont on trouvera la justification plus loin:

dans les modes de production antérieurs à celui dans lequel nous vivons, l'articulation des

divers éléments de la superstructure et de l'infrastructure est telle que le religieux et le politique jouent un rôle majeur dans la configuration du monde, dans l'articulation des rapports de la

société et du droit.

Cette vérité du monde et du droit, ce n'est pas le droit enroulé sur lui-même, frileux, mécaniste qui pouvait nous la donner. Ce que d'aucuns considéreront comme un détour inutile par la philosophie du droit, ce regard interrogateur sur les discours dans lesquels nous avons voulu représenter sinon fonder le rapport du droit et de la société était d'autant plus nécessaire que la mise en perspective, l'examen des décalages et des corrélations, des discontinuités comme des cohérences et des évolutions, tout cela se justifie par la nature même de ce texte, ce qu'aucune herméneutique juridique, si poussée soit-elle, n'aurait permis.

Par ailleurs, agir autrement aurait sans doute conduit politiquement à nous rallier au

«socialisme de juristes», courant dont la stérilité politique n'est plus à démontrer33.

En fait, paraphrasant Marx, nous pourrions dire que l'étude du droit est à l'étude de la

société réelle ce que l'onanisme est à l'amour sexuel34•Il nous faut donc élargir la perspective.

Comme Weber lui-même le remarque d'ailleurs, jusqu'au XVIIe siècle, c'est à travers une

alliance avec les humanistes, non avec les juristes, que l'État moderne a tenté de s'ériger. Ce

33EDELMAN, Bernard,La légalisation de la classe ouvrière,t. l, «L'entreprise », Paris, Christian Bourgeois éditeur, 1978, 254

p., p.ll.

34MARX, Karl et ENGELS, Friedrich,L'idéologie allemande,Paris, Éditions Sociales, 1976, 621 p., p. 234 (Marx appliquait sa comparaison en parlant de la philosophie idéaliste allemande).

(33)

choix en dit long sur l'importance des uns et des autres dans les diverses époques historiques antérieuresà la nôtre35•

En terminant qu'il nous soit permis de dire quelques mots sur notre méthodologie tout au long de cette recherche, non dans le but de justifier nos choix théoriques, mais dans celui de guider le lecteur. Quant à la justification de cette méthodologie, il faut convenir que c'est dans la réponse aux questions posées, dans les résultats mêmes de la recherche que se trouvera ou non la démonstration de sa pertinence, de sa valeur, de son caractère apodictique.

Ainsi, le prochain chapitre examinera de façon plus détaillée les grandes questions théoriques dont celui-ci a pu constituer une épure sommaire et qui doivent nous guider dans le reste de notre recherche. Ce faisant, nous sommes conscient que tout chercheur par sa propre . démarche, par ses opinions, se confronte à la réalité du monde, et que cette confrontation montre les reflets particuliers et spécifiques qui expriment à la fois la société et son idéologie dominante, et, dans notre cas, notre tentative de rupture avec cette idéologie dans notre façon singulière, nous l'espérons du moins, de poser le rapport du droit et de la société.

Le chapitre suivant examinera, quant à lui, les rapports de la liberté d'expression et de

l'administration de la justice dans les divers modes de production historiques. Certes dans la

plupart des sociétés antérieures à la nôtre. le terme de liberté d'expression, pour traduire la

publicité ou l'ouverture des procès, semble toutà fait inadéquat, et pour cause. En fait, il serait

sans doute plus juste de parler du mode de légitimation spécifique du processus judiciaire, par

appel ou non à la présence du public ou à sa participation. Mais n'anticipons pas...

La Seconde Partie de ce texte examll1era ensuite les règles du droit positif tant à l'étranger (Chapitre IV) qu'au pays ainsi que le mode de sanction rattaché aux violations de ses normes (Chapitre V et Chapitre VI). Une brève conclusion clôturera notre exposé (Chapitre VII).

(34)

ET LE DROIT

Section

1) La base et les superstructures

Nous avons avancé précédemment que le droit et la société entretiennent entre eux des rapports privilégiés, dynamiques, fluides et dialectiques. Mais peut-on aller plus loin et caractériser de façon plus précise la nature et l'étendue de ces rapports?

Remettons donc notre ouvrage sur le métier. .. car comme le dit si bien Hobbes

« [...]

il

se trouve dans l'obscurité des doutes un certain commencement d'un filet de la raison, avec l'aide duquel on parvient dans une lumière très éclatante »1. Préliminairement, disons que nous nous intéressons fort peu au rapport des individus et de la société, thème cher à une certaine

école sociologique américaine qui avance que « [...] les hommes sont libres de faire l'histoire,

mais cel1ains sont plus libres que d'autres »2.

Nous avons vu précédemment que pour Marx et Engels le droit

«

dérive» en

«

dernière

analyse» de la société et de l'infrastructure économique de la société. On trouve dans l'ensemble de l'œuvre de Marx et d'Engels diverses formulations des rapports de la base et des

superstructures. Ainsi par exemple, dans L'idéologie allemande, ces auteurs diront que les

formes des relations entre les humains sont « conditionnées» par la production.

Toutefois, ces postulats théoriques demeurent généraux et ne permettent pas de fixer, de façon précise, la place et le rôle particulier de chacun des éléments de la superstructure et, qui plus est, la nature des rapports entre ces divers éléments: y a-t-il un élément plus important que les autres dans la superstructure, quel rôle spécifique le droit peut-il jouer, etc. ?

En fait, selon l'évolution historique, ilpourra y avoir l'un ou l'autre des éléments de la

superstructure qui joue un rôle dominant. Sans en faire un exposé achevé, Marx avait déjà

évoqué dans sa Contribution à la critique de la philosophie du droit de Hegel,texte qui ne sera

jamais achevé et qui servira, en quelque sorte, d'introduction à sa Critique du droit politique

hégélien, que pour l'Allemagne de cette époque,

«

la critique de la religion est la condition

préliminaire de toute critique», car «lutter contre la religion c'est donc indirectement lutter

contre le monde dont la religion est l'arôme spirituel », et qu'ensuite « la critique du ciel se

1HOBBES, Thomas,Le citoyen ou les fondements de la politique, Paris, Garnier-Flammarion, 1990,408 p., p. 85.

2MILLS, C. Wright,L'imagination sociologique,3eéd., coll. Les textes à l'appui, Paris, François Maspero, 1971, 235 p., p.l.2l::

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transforme par là en critique de la terre, la critique de la religion en critique du droit, la critique de la théologie en critique de la politique »3.

Engels exprimera cette réalité dans des termes fort semblables, quand il dira que la vision juridique est la vision classique de la bourgeoisie qui fait une «sécularisation de la conception théologique», puisqu'au « dogme, au droit divin, se substituent le droit humain, à l'Église, l'État »4. Dans son texte de 1888, Engels indiquera toutefois la difficulté d'établir les

rapports de la religion et de sa base matérielle, car dans ces questions philosophiques, la

« corrélation [ ... ] devient de plus en plus complexe, de plus en plus obscurcie par les chaînons intermédiaires »5.

Ainsi donc, si nous devions résumer l'essentiel des propos de ces deux auteurs, nous pourrions dire:

• si la superstructure est déterminée « en dernière analyse» par la base

matérielle, elle conserve une efficace propre, une autonomie relative;

• au sein des superstructures, certaines peuvent, à des périodes données,

être un reflet plus fidèle, plus signifiant de la base matérielle.

Le matérialisme dialectique et historique ne s'est heureusement pas arrêté avec Marx et

Engels. À la génération suivante deux théoriciens vont s'y employer et apporter des

contributions significatives à la compréhension du phénomène. Ils'agit de EvgenyB. Pasukanis

et surtout d'Antonio Gramsci.

Il est intéressant de noter à cet égard que les contributions de Lénine seront très

modestes pour ne pas dire davantage, celui-ci se contentant de rappeler les énoncés de Marx et d'Engels sur la liaison étroite des divers éléments de la vie sociale et leur subordination, en

dernière analyse, aux rapports de production6•

La contribution de Pasukanis est autrement significative. Son ouvrage principal La

théorie générale du droit et le marxisme, paru en 1924, restitue les éléments fondamentaux de

l'analyse matérialiste du droit et tente de les projeter dans l'expérience soviétique en cours en URSS.

3MARX,Karl, « Contributionàla critique de la philosophie du droit de Hegel », dansCritique du droit politique hégélien,Paris, Éditions Sociales, 1975,222 p., p. 197-212, spécialement p. 197-198. Les soulignements sont dans le texte.

4ENGELS, Friedrich, «Socialisme de juristes », dansMarx-Engels sur la religion, Paris, Éditons Sociales, 1972,366 p., p. 264. sENGELS, Friedrich" « Ludwig Feuerbach et la fin de la philosophie classique allemande ». dans Oeuvres choisies de Marx-Engels,1.3, Moscou, Éditions du Progrès, 1976,611 p., p.349-391, p. 387.

6LÉNINE, «Révision des programmes agraires du parti ouvrier» dans Oeuvres complètes, 1. 10, Moscou! Paris, Éditions du Progrès! Éditions Sociales, 1975,610 p., p. 167, p.fi.

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