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La fabrique médiatique de l'événement au XIXe siècle : Jules Vallès, écrire et faire l'histoire (1857-1870)

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HAL Id: tel-01870298

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La fabrique médiatique de l’événement au XIXe siècle :

Jules Vallès, écrire et faire l’histoire (1857-1870)

Celine Leger

To cite this version:

Celine Leger. La fabrique médiatique de l’événement au XIXe siècle : Jules Vallès, écrire et faire l’histoire (1857-1870). Linguistique. Université de Lyon, 2017. Français. �NNT : 2017LYSES034�. �tel-01870298�

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N°d’ordre NNT : 2017LYS034

THÈSE DE DOCTORAT DE L’UNIVERSITÉ DE LYON

opérée au sein de

l’université Jean Monnet Saint-Étienne

Écoles doctorales 3LA 484 et 58 Littérature française du XIXe siècle

Soutenue publiquement le 12 octobre 2017, par :

Céline Léger

La fabrique médiatique de l’événement au XIX

e

siècle

: Jules Vallès, écrire et faire l’histoire

(1857-1870)

Devant le jury composé de :

Marie-Françoise MELMOUX-MONTAUBIN

Professeure de Littérature française, Université de Picardie Jules Verne (rapporteure)

Denis PERNOT Professeur de Littérature française, Université Paris 13 (rapporteur) Jean-Marie ROULIN Professeur de Littérature française, Université Jean Monnet

Saint-Étienne (co-directeur de la thèse) Corinne

SAMINADAYAR-PERRIN

Professeure de Littérature française, Université Paul-Valéry Montpellier 3 (co-directrice de la thèse)

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À mon père.

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Je remercie mes ami-e-s et ma famille de m’avoir soutenue pendant trois ans, tout particulièrement Clément, qui n’a jamais cessé de croire en moi et sans qui cette thèse n’aurait pas lieu d’être. Je souhaite témoigner toute ma gratitude à ma sœur jumelle, à ma mère, à mes grands-parents, ainsi qu’à Amélie, Jeanne-Lise, Alexandra, Charlène et Benoist qui m’ont si bien aidée, voire réconfortée, sans oublier Milène, Adrien et Thomas, pour leur amitié revigorante et leurs sourires lumineux. Je pense aussi à la présence stimulante de ma « seconde » famille cherbourgeoise et de mes ami-e-s lyonnais-es ou colocataires drômois-es. Enfin, je suis extrêmement reconnaissante à Corinne Saminadayar-Perrin et à Jean-Marie Roulin pour leurs précieux conseils et les nombreuses pistes de réflexion qu’ils m’ont ouvertes.

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Résumé

L’œuvre de Jules Vallès s’inscrit de manière exemplaire au confluent de l’histoire, de la presse et de la littérature. Elle entretient une proximité étroite avec les bouleversements de son temps. Elle apparaît donc comme un point d’optique idéal pour analyser l’écriture de l’événement. Or, en dehors de la Commune,

l’événement en tant que tel reste un impensé dans la critique vallésienne. Entre 1857

et 1870, c’est-à-dire sous le Second Empire, qu’est-ce qu’un événement au sens fort du terme pour Vallès ? Bien au-delà des grandes dates communément admises, en quoi sa vision de ce qui fait ou ne fait pas événement le conduit à reconfigurer l’histoire de son époque ?

Dans une optique assumée de démystification, le « grand événement » et le « fait notable » sont d’abord envisagés comme des artefacts culturels, repoussés mais aussi en partie reproduits par l’écriture vallésienne. Pourtant, loin de n’être qu’une construction artificielle – un leurre historique, littéraire et/ou médiatique –

l’événement peut être un bouleversement effectif et concret. Il se définit alors par un

impact destructeur, sa force créatrice au cœur du quotidien ou encore une virulence féconde qui serait l’apanage du langage. Ainsi, Vallès interroge l’ambiguïté qui caractérise la violence de son temps, selon que ses contemporains la subissent, y réagissent ou la réinvestissent par des moyens verbaux et artistiques. Mais les

événements s’avèrent plus encore un outil métonymique au service d’une méthode

heuristique qui explore avec efficacité l’histoire du XIXe siècle. (Re)vécus personnellement, ils structurent un autoportrait de l’écrivain-journaliste en clair-obscur. Ils permettent au reporter de témoigner sur le présent auprès du lecteur, résolument engagé dans les expériences restituées. Enfin, ils révèlent par induction une société difficile et injuste : se construit une histoire militante, qui déplace et subvertit les hiérarchies courantes, explique et remet en question les structures admises.

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Résumé en anglais

The media construction of the event during the 19th century: Jules Vallès, writing and making history (1857-1870)

The work of Jules Vallès falls within the confluence of history, literature and the media in an exemplary way. It sustains a narrow proximity to the upheavals of its time. It thus appears to present an ideal outlook from which to analyse the way of writing the event. Yet, apart from the Paris Commune, the event as such has been overlooked by Vallesian critics. Between 1857 and 1870, that is to say during the Second French Empire, what exactly constitutes an event in the fullest sense of the word for Vallès? Far beyond the historical dates generally deemed important, how does his vision of what makes or does not make an event lead him to reshape the history of his time?

Assuming a deliberate perspective of demystification, the “major event” and the “notable factˮ are firstly considered cultural artefacts, both repudiated but also partly reproduced by Vallesian writing. And yet, far from being only an artificial construction – a historical, literary and/or media illusion – the event can be a real and concrete upheaval. Therefore, it can be defined by a destructive impact, its creative strength at the heart of everyday life, or by a fruitful virulence which would be the prerogative of language. Vallès, thus questions the ambiguity that characterizes the violence of his time, depending on whether his contemporaries react against it or reinvest it through verbal or artistic means. But the events turn out to be even more a metonymic tool serving a heuristic method that explores the history of the 19th century. Personally (re)lived, they structure a self-portrait of the writer-journalist in chiaroscuro. They thereby enable the reporter to testify on present events to the reader, resolutely committed to the experiences related. Finally, by induction they reveal a difficult and unfair society: thereby a militant history takes shape, shifting and subverting the common hierarchies, and explaining and reassessing the accepted structures.

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Sommaire

Introduction ... 19

Partie I « Grand événement » et « fait notable », ou la critique des artefacts culturels ... 43

Chapitre 1 – Le fardeau du haut fait ... 47

Chapitre 2 – Mystifications et élucidations ... 85

Chapitre 3 – Choix et impératifs médiatiques ... 139

Partie II La violence en question : subir, agir, (faire) réagir ? ... 191

Chapitre 4 – Figuration et herméneutique de la violence destructrice ... 195

Chapitre 5 – Consentir à la force créatrice de l’événement ? ... 251

Chapitre 6 – Offensives et bouleversements langagiers ... 297

Partie III Événements métonymiques, méthode heuristique : pour une histoire vallésienne ... 343

Chapitre 7 – Événements (re)vécus : autoportrait mnésique en clair-obscur... 347

Chapitre 8 – L’événement-reportage : témoigner du présent ... 399

Chapitre 9 – Synecdoques pour une histoire militante... 453

Conclusion ... 507

Épilogue ... 522

Bibliographie ... 525

Corpus ... 529

Études critiques ... 541

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Guide pratique de lecture

Dans les notes de bas de page, nous indiquons systématiquement les sources journalistiques des articles de Vallès cités ou évoqués dans l’argumentation. Lorsque l’article a été repris en volume, nous précisons les pages du volume en question, par commodité pour notre lecteur. La référence journalistique prime ; cette pagination est considérée comme facultative, d’où sa mise entre parenthèses. Nous avons donc opté pour l’abréviation « id. » (et non pour « ibid. ») lorsqu’est repris plusieurs fois de suite un même article, sans tenir compte des changements de pagination entre parenthèses. Un « id. » sans plus d’indications démontre que la pagination est elle aussi identique. Enfin, lorsqu’elles sont nombreuses, les citations consécutives puisées dans une même source sont précisées par une seule note de bas de page (d’où l’absence d’appels de notes pour certaines citations).

Nous envisageons comme des articles les fictions vallésiennes parues en feuilleton, d’où l’emploi de l’abréviation « art. cité » pour leurs mentions répétées dans les notes de bas de page (même si le titre est en italiques).

Nous respectons la mise en page du texte vallésien que nous citons. Lorsque la citation n’est pas isolée, nous indiquons les passages à la ligne par le signe « / ».

Il arrive régulièrement que Vallès n’emploie pas la majuscule en début de phrase, après une ponctuation forte ; il arrive plus rarement qu’il utilise la majuscule après les deux-points : nous n’avons pas modifié ces choix « stylistiques ».

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La notion d’événement, qui est fondamentale, ne semble pas avoir été reprise et repensée comme il conviendrait, et c’est ce qui explique que des relations de première importance n’ont jamais été signalées ou n’ont pas été mises en valeur…

Paul Valéry, « Avant-propos », Regards sur le monde actuel et autres essais, 1945.

Vallès, un homme de talent ; il a l’épithète de l’écrivain, il a fait deux ou trois chefs-d’œuvre d’articles. Et puis rien, il en reste toujours au boniment de ce qu’il menace de faire. Un tonnerre qui accouche d’un pet !

Edmond et Jules de Goncourt, Journal, 10 septembre 1868.

Vallès ! souvenez-vous de ce nom. Vous le verrez grandir et vous l’entendrez répéter….. un de ces jours.

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Histoire et « littérature médiatique

1

» du XIX

e

siècle, ou la centralité de l

’événement

Cadrage

Au XIXe siècle, l’histoire s’impose comme un modèle épistémologique dominant, que ce soit dans le domaine des sciences naturelles ou dans le champ des sciences humaines qui s’inventent alors. Selon Michel Foucault, elle fait partie des nouvelles « empiricités » qui donnent une figure particulière à ce siècle, et lui confèrent son épistémè spécifique2.

Ce rôle majeur désormais accordé à la perspective historique s’explique par le contrecoup de l’événement par excellence, qui a fait entrer la modernité dans un nouveau « régime d’historicité3 » : la Révolution française. Victor Hugo envisage le XIXe siècle tel un « augmentateur logique4 » de ce bouleversement fondateur. Dès lors, l’histoire apparaît comme un moyen suprême de « comprendre le sens de l’événement […] pour déchiffrer et pouvoir infléchir le cours des choses5 ». La première moitié du siècle se caractérise par une foi largement partagée dans le potentiel épistémologique et herméneutique de l’histoire, dont l’homme se fait « l’agent6 » créateur, prométhéen. Le devenir se comprend comme progrès et travail des civilisations sur elles-mêmes. Mais le sang de Juin 1848 et le coup d’État de 1851 ébranlent ce modèle d’une intelligibilité historique, d’une confiance dans le progrès, d’un universalisme humaniste. Surgissent alors des tensions et des apories dont, à la vérité, la période précédente esquissait déjà les linéaments7.

1 Parler de « littérature médiatique » suppose de ne pas envisager la presse et la littérature comme

deux objets culturels distincts. Cf. Alain Vaillant, « De la littérature médiatique », Interférences

littéraires, mai 2011, n° 6, p. 21-33.

2 Cf. Michel Foucault, Les Mots et les Choses [1966], Paris, Gallimard, 1990.

3 Cf. François Hartog, Régimes d’historicité. Présentisme et expériences du temps [2003], Paris,

Éditions du Seuil, 2012.

4 Victor Hugo, Actes et paroles. 1870-1871-1872, Paris, Michel Lévy frères, 1872, p. 174.

5 Sophie-Anne Leterrier, Le XIXe siècle historien : anthologie raisonnée, Paris, Belin, 1997, p. 11. 6 Les Formes du temps. Rythme, histoire, temporalité, textes réunis par Paule Petitier et Gisèle

Séginger, Strasbourg, Presses universitaires de Strasbourg, 2007, p. 10.

7 La question du progrès a été discutée dès la période révolutionnaire, à travers les débats sur la

perfectibilité. La Terreur a posé un défi à la compréhension de la marche historique. Il ne faut donc pas surévaluer la confiance en une intelligibilité de l’Histoire dans la première moitié du siècle, ni la rupture épistémologique de Juin 1848.

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En résultent trois grands constats. D’abord, il s’agit de « mutations épistémologiques8 » dont la littérature est loin d’être dissociée : « les transformations de l’historiographie croisent et recoupent les révolutions et les inventions littéraires9 ». Ensuite, la notion d’événement est au cœur de la réflexion dix-neuviémiste sur l’histoire : or, la question de la représentation – qui construit l’événement autant qu’elle le répercute – engage conjointement l’historiographie et l’écriture littéraire de l’histoire. Enfin, cette problématique aussi résistante que centrale – comment écrire l’événement ? – se trouve exacerbée au XIXe siècle par les croisements incessants entre création littéraire et réflexion historiographique, ainsi que par l’entrée de la France dans « la civilisation du journal10 », même si la presse a joué un rôle capital dès la Révolution. Ces dynamiques concomitantes entraînent des modifications décisives dans le rapport au temps, au devenir et à l’actualité.

État de la question

S’interroger sur l’écriture médiatique de l’événement au XIXe siècle exige d’analyser l’interaction et l’articulation entre la littérature, la presse et l’historiographie, tout au long de la période. Cette perspective a récemment engendré des réflexions porteuses ; elle est un élément essentiel dans la refondation de l’histoire littéraire qu’Alain Vaillant appelait de ses vœux en 200311. Les avancées de l’histoire culturelle ont fait de la presse un objet d’étude pleinement légitime et littéraire, non seulement comme propédeutique ou annexe à l’œuvre

« livresque » des auteurs reconnus du XIXe siècle, mais comme domaine

d’investigation en soi. Si le journal a rapidement constitué un axe de recherche privilégié en histoire et en littérature12, il est désormais devenu un objet textuel à part entière, analysable d’un point de vue historique et poétique. La fécondité heuristique d’une telle approche a été démontrée par la publication d’ouvrages fondamentaux comme 1836, l’an I de l’ère médiatique, ou Presse et Plumes.

8 G. Séginger, « Introduction », Écriture(s) de l’histoire, textes réunis par G. Séginger, Strasbourg,

Presses Universitaires de Strasbourg, 2005, p. 2.

9 Idem.

10 Cf. Dominique Kalifa, Philippe Régnier, Marie-Ève Thérenty et A. Vaillant (dir.), La Civilisation

du journal. Histoire culturelle et littéraire de la presse française au XIXe siècle, Paris, Nouveau Monde éditions, 2011.

11 Cf. A. Vaillant, « Pour une histoire de la communication littéraire », Revue d’histoire littéraire de

la France, 2003/3, vol. 103, p. 559.

12 Cf. Claude Bellanger, Jacques Godechot, Pierre Guiral et al. (dir.), Histoire générale de la presse

française, Paris, Presses Universitaires de France, 1969-72-75-76, 5 tomes. Cf. aussi Dictionnaire

des journalistes : 1600-1789, sous la direction de Jean Sgard, Grenoble, Presses universitaires de Grenoble, 1976.

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Littérature et journalisme au XIXe siècle13. Par ailleurs, des études – notamment celles de Marie-Françoise Melmoux-Montaubin14 et de Silvia Disegni15 pour le roman et le récit intime – ont vérifié les hypothèses d’une naissance de genres littéraires dans la presse, d’une influence des poétiques journalistiques sur l’écriture fictionnelle. Ces recherches font émerger l’idée d’une lente révolution qui – ayant le journal pour source et vecteur – occasionne non seulement un bouleversement du monde des lettres mais une transformation profonde des réseaux traditionnels de fabrication et de transmission du savoir, des idées et des imaginaires. Ainsi la presse est-elle l’objet privilégié d’une histoire littéraire renouvelée, au cœur de la redéfinition des contours de la « littérature ». Elle constitue un champ d’investigation primordial pour plusieurs équipes de recherche dix-neuviémistes, et elle est au cœur d’un nombre croissant de travaux interdisciplinaires. S’en détache

La Civilisation du journal, paru en 2011, qui accorde un intérêt marqué aux rapports entre la presse et l’histoire au XIXe siècle. Ses contributions abordent notamment la prise de conscience historique induite par la culture médiatique moderne16 ou encore l’entrelacement de l’événement, de « l’opinion » et du politique17.

Depuis quelques décennies, la notion d’événement connaît un regain d’intérêt, qui dépasse de loin les études strictement historiques18 ou la seule considération des rapports entre presse et histoire. Après les articles fameux de Pierre Nora19 et de Paul Ricœur20 sur le « retour de l’événement », des chercheurs en ont scruté plus récemment la définition et la poétique, avec le mérite de montrer qu’une telle conception est à la fois imbriquée dans la pratique littéraire et indissociable des problématiques engagées par d’autres champs disciplinaires. En témoignent les analyses réunies en 2004 dans Que se passe-t-il ? Événement,

sciences humaines et littérature21, ou Le Sens de l’événement dans la littérature

13 Cf. A. Vaillant et M.-È. Thérenty (dir.), 1836, l’an I de l’ère médiatique. Analyse littéraire et

historique de La Presse de Girardin, Paris, Nouveau Monde éditions, 2001. Cf. aussi M.-È. Thérenty et A. Vaillant (dir.), Presse et Plumes. Littérature et journalisme au XIXe siècle, Paris,

Nouveau Monde éditions, 2004.

14 Cf. Marie-Françoise Melmoux-Montaubin, L’Écrivain-journaliste au XIXe siècle : un mutant des

Lettres, Saint-Étienne, Éditions des Cahiers intempestifs, 2003.

15 Cf. Silvia Disegni, Jules Vallès : du journalisme au roman autobiographique, Paris, L’Harmattan,

1996.

16 A. Vaillant, « L’histoire au quotidien », dans La Civilisation du journal, op. cit., p. 1319-1328. 17 Thomas Bouchet, « Presse et événement », dans La Civilisation du journal, op. cit., p. 1341-1354. 18 Dans les années 1930, l’École des Annales (Lucien Febvre, Marc Bloch, Fernand Braudel) a rompu

avec l’histoire-récit, « historisante », événementielle ou encore l’histoire-bataille, au nom d’une approche structurale. Mais les années 1980 ont vu le grand retour de l’événement et du récit.

19 Cf. Pierre Nora, « L’événement monstre », Communications, L’Événement, 1972, n° 18, p.

162-172 ; repris et remanié sous le titre « Le retour de l’événement », dans P. Nora et Jacques Le Goff (dir.), Faire de l’histoire. 1. Nouveaux problèmes, Paris, Gallimard, 1974, p. 210-227.

20 Cf. Paul Ricœur, « Le retour de l’événement », Mélanges de l’École française de Rome. Italie et

Méditerranée, 1992, vol. 104, n° 1, p. 29-35.

21 Didier Alexandre, Madeleine Frédéric, Sabrina Parent et alii (dir.), Que se passe-t-il ? Événement,

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française des XIXe et XXe siècles22, publié en 2005, et Que m’arrive-t-il ? Littérature et événement23, paru l’année suivante. Dans une optique plus strictement médiatique,

il a en outre été question d’éclaircir, en 2008, ce « point aveugle de la réflexion contemporaine24 » que constituent les événements littéraires du XIXe siècle. Enfin, l’historien et épistémologue François Dosse a minutieusement interrogé, en 2010, la

Renaissance de l’événement25 qui affecterait l’ensemble des sciences humaines. Un vaste champ de recherche s’est donc ouvert à cette question pluridisciplinaire.

Mais qu’est-ce au fond qu’un événement ? Comme l’a constaté Michel Foucault, dans l’une de ses Leçons sur la volonté de savoir, « c’est toujours une dispersion, une multiplicité […] il est polycéphale26 ». Cette diversité et cette plasticité ont été une source de difficultés, dans tous les domaines de la pensée, depuis l’Antiquité jusqu’à l’époque contemporaine. Dans le seul champ historique, les définitions de l’événement se sont multipliées au point de le faire apparaître comme un objet foncièrement polysémique et ambigu, qui peut sembler impossible à cerner. En 1972, Pierre Nora n’hésitait pas à relever « l’événement-problème27 », c’est-à-dire « l’événement tout ou rien28 ». Son propos était toutefois une invitation à dépasser cette « aporie épistémologique29 ». Plus récemment, Arlette Farge est revenue à une définition minimale, sans éluder la complexité irréductible de la notion : « [L]’événement fut toujours ce qui semblait saisir le temps en une contraction intense donnant une tonalité nouvelle au cours de l’histoire, mais rien ne semble définitivement définir ce que l’on recouvre par “ce qui saisit le temps30” ». Pour tâcher d’en atteindre la quintessence – au-delà des clivages disciplinaires –, il convient de surpasser la bipolarité fondatrice entre « tout ce qui advient dans le temps, c’est-à-dire tout ce qui a naissance et fin31 » et « ce qui est improbable, singulier, accidentel32 ». Mais il faut en même temps veiller à ne pas s’enliser dans « l’immense champ […] obscur33 » qui sépare ces deux pôles conceptuels, si l’on en croit Edgar Morin. À rebours d’une approche immanente et substantialiste de

22 Pierre Glaudes et Helmut Meter (éd.), Le Sens de l’événement dans la littérature française des XIXe

et XXe siècles, Bern, Peter Lang, 2008.

23 Emmanuel Boisset et Philippe Corno (dir.), Que m’arrive-t-il ? Littérature et événement, Rennes,

Presses Universitaires de Rennes, 2006.

24 Corinne Saminadayar-Perrin, « Introduction », dans C. Saminadayar-Perrin (dir.), Qu’est-ce qu’un

événement littéraire au XIXe siècle ? Saint-Étienne, Publications de l’université de Saint-Étienne,

2008, p. 8.

25 Cf. François Dosse, Renaissance de l’événement. Un défi pour l’historien : entre Sphinx et Phénix,

Paris, Presses universitaires de France, 2010.

26 M. Foucault, Leçons sur la volonté de savoir [1970-1971], Paris, Éditions du Seuil/Gallimard,

2011, p. 187.

27 P. Nora, « Avant-propos. L’événement », Communications, L’Événement, op. cit., p. 3. 28 Idem.

29 Id.

30 Arlette Farge, « Penser et définir l’événement en histoire », Terrain [En ligne], mars 2002, n° 38,

URL : http://terrain.revues.org/1929, consultée le 2 juin 2015.

31 Edgar Morin, « L’événement-sphinx », Communications, L’Événement, op. cit., p. 177. 32 Id.

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l’événement, comme « réalité en soi » ou donnée de l’expérience, nous privilégierons donc un angle à la fois subjectiviste et constructiviste. D’une part, il serait excessif de proclamer que « tout fait événement » – avec Jean Follain34 ou Gil Jouanard35, chez qui la formule trouve en l’occurrence une légitimation littéraire, voire poétique. Cela dit, l’événement n’est-il pas comparable à la vérité d’après Pascal36, c’est-à-dire que sa signification varie radicalement selon qu’on se place en deçà ou au-delà des Pyrénées, sur une rive du Rhin ou l’autre ? Les événements sont certes « subjectivisés37 » par le travail de la représentation, mais ils sont plus généralement consubstantiels à la « narrativisation38 » et à la « subjectivité39 » des mots qui les restituent. D’autre part, en dehors même d’une phénoménologie et d’une axiologie du fait interrogé – que le locuteur n’a pas toujours vécu et ressenti personnellement, ni inscrit dans un système de valeurs –, tout événement n’est-il pas indissociable de sa « fabrique40 » ou « fabrication41 », à partir d’une trame textuelle ? Si Paul Ricœur42 distingue le fait et l’événement comme « la chose dite » et « la chose dont on parle », nous emploierons indifféremment ces deux termes pour désigner la factualité et/ou sa construction discursive, qui seront précisées selon le contexte des occurrences. Ce raisonnement constructiviste transcende aisément la question – historique, journalistique, littéraire – d’une herméneutique du récit, qui saisit l’événementialité par ses traces, constitutives d’un sens ouvert. Il excède en outre l’examen des discours qui réinterprètent le passé à l’aune d’une intentionnalité auctoriale43, qui le réorientent à partir d’horizons présents et futurs. Dans le cadre d’une modernité médiatique – issue de 183644 puis sensiblement renouvelée au cœur du Second Empire45 –, la presse entame une « relation internalisée avec l’événement qui se produit46 ». Bien avant l’« hyperbolisation du présent47 » – qu’exacerberont à

34 « Tout fait événement / pour qui sait frémir […]. » Cf. Jean Follain, « Événement », D’après tout,

Paris, Gallimard, 1967, p. 52.

35 Cf. Gil Jouanard, « Tout fait événement », Saint-Clément-la-Rivière, Fata Morgana, 1998.

36 Cf. Jean-Marie Paul, « Les événements existent-ils ? », dans Françoise Daviet-Taylor (dir.),

L’Événement : formes et figures, Angers, Université d’Angers, 2006, p. 47.

37 Pour reprendre l’intertitre « Événements subjectivisés » : cf. Geneviève Jolly, « L’Intime et

l’Histoire : Le Nouveau Monde de Villiers de L’Isle-Adam », dans Écriture(s) de l’histoire,

op. cit., p. 243.

38 F. Dosse, Renaissance de l’événement, op. cit., p. 194. 39 Id.

40 Cf. Frédéric Rousseau et Jean-François Thomas (dir.), La Fabrique de l’événement, Paris, Michel

Houdiard éditeur, 2009.

41 Cf. F. Dosse, « V. Une herméneutique du récit de l’événement ou une problématique des Lieux de

mémoire », Renaissance de l’événement, op. cit., p. 167-183.

42 Cf. P. Ricœur, La Mémoire, l’histoire, l’oubli, Paris, Éditions du Seuil, 2000, p. 228.

43 Cf. P. Ricœur, Temps et Récit 3. Le Temps raconté [1985], Paris, Éditions du Seuil, 1991, p. 390. 44 Cf. A. Vaillant et M.-È. Thérenty (dir.), 1836, l’an I de l’ère médiatique, op. cit.

45 Cf. D. Kalifa, Ph. Régnier, M.-È. Thérenty et A. Vaillant, « Les scansions internes à l’histoire de la

presse », dans La Civilisation du journal, op. cit., p. 249-268.

46 F. Dosse, Renaissance de l’événement, op. cit., p. 280. 47 Ibidem, p. 279.

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la fin du XXe siècle les médias de masse et leurs flux continus d’informations48 –, l’événement journalistique du XIXe siècle tend à se constituer en temps réel, d’où un « télescopage des temporalités49 » propre à « la saisie de ce qu’est un événement historique50 ». Somme toute, n’est-ce pas dans la mesure où il s’emploie à « [f]aire l’événement51 » que l’« écrivain-journaliste52 » s’avère le meilleur truchement pour définir ce grand « enjeu des sociétés contemporaines53 » ? La production de Jules Vallès – son « rapport historique54 » au monde, dans la seconde moitié du XIXe siècle – nous permettra de vérifier cette hypothèse liminaire, qu’elle enrichira de ses caractéristiques propres.

48 Nous pensons notamment aux breaking news, initiées par CNN. 49 F. Dosse, Renaissance de l’événement, op. cit., p. 278.

50 Id.

51 Cf. Pascale Goetschel et Christophe Granger (dir.), Sociétés et Représentations, Faire l’événement,

2011/2, n° 32.

52 Cf. M.-F. Melmoux-Montaubin, L’Écrivain-journaliste au XIXe siècle : un mutant des Lettres,

op. cit.

53 Cf. Sociétés et Représentations, Faire l’événement, op. cit.

54 Roger Bellet, « Introduction », dans J. Vallès, Œuvres, I, 1857-1870, texte établi, présenté et

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La fabrique journalistique de Vallès sous le

Second Empire

Période

Éclairée par le prisme du regard vallésien, la Commune de 1871 illustre

exemplairement une définition double de l’événement comme « construction

subjective », à la croisée de l’histoire, de la presse et de la littérature. Depuis lors jusqu’à nos jours, elle porte très lourdement « l’ambiguïté et l’énigme du mot

événement1». D’un côté, elle a été non seulement critiquée, méprisée, diabolisée2, mais aussi diluée, voire niée, dans sa force d’événement historique :

Tout se passe comme si sa nature d’événement, sa durée, si courte, sa destruction s’étaient retournées et se retournaient encore contre elle, pour la détruire en pensée : elle est censée n’avoir pas vraiment existé comme événement et comme révolution, avoir peut-être seulement existé comme catastrophe intemporelle, et avoir eu la destruction comme but et comme mot d’ordre. Elle est historiquement, existentiellement, moralement condamnée à mort3.

Bien qu’ayant suscité de nombreuses études d’ordre historique, politique, militaire, juridique, institutionnel, économique ou social – auxquelles il faut ajouter des biographies et une « importante littérature de circonstances ou de témoignage4 » – elle semble même avoir été en partie occultée, chez les artistes favorables à sa cause comme chez ses ennemis5. D’un autre côté, cette brève mais intense insurrection constitue une date majeure – éminemment féconde –, en particulier dans le parcours et l’œuvre de Vallès, lui-même exilé et condamné à mort par contumace, à cause de son engagement très concret dans le mouvement du printemps 1871. Rédacteur militant de L’Affiche rouge et du Cri du peuple, ce dernier l’a impulsée, soutenue et

portée pendant comme après les faits6. Dès 1872, il lui a consacré, avec son drame

1 R. Bellet et Ph. Régnier, « Introduction : la Commune, ses mythes et ses récits », dans Écrire la

Commune. Témoignages, récits et romans (1871-1931), études critiques recueillies et présentées par Roger Bellet et Philippe Régnier, Tusson, Du Lérot, 1994, p. 7.

2 Cf. Paul Lidsky, Les Écrivains contre la Commune, Paris, François Maspero, 1970. 3 Id.

4 R. Bellet et Ph. Régnier, « Introduction : La Commune, ses mythes et ses récits », article cité, p. 16. 5 Cf. Bertrand Tillier, La Commune de Paris, révolution sans images ? : politique et représentations

dans la France républicaine : 1871-1914, Seyssel, Champ Vallon, 2004.

6 Pendant : voir les articles publiés dans Le Cri du peuple entre février et avril 1871. Après : voir

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historique La Commune de Paris, une « œuvre apologétique7 » qui s’ouvre sur les journées de Juin et se termine par la répression à Satory. Enfin, sa trilogie autofictionnelle montre comment sa révolte individuelle s’est résolue dans une « révolution » collective, dont L’Insurgé propose une saisie originale et stimulante,

car profondément impliquée, affective, sensible, mais aussi partielle et discontinue, aux antipodes d’une vision surplombante de l’événement. Somme toute, la Commune s’avère déterminante dans la trajectoire vallésienne. Selon Roger Bellet, elle est aussi bien le « rachat d’un passé douloureux8 » qu’une « sorte d’éternel futur antérieur, qui impliquera l’avenir9 ». Ainsi vérifie-t-elle une définition bivalente de l’événement, que reprend François Dosse : résultat et commencement, dénouement et ouverture de possibles10. Jacques Migozzi la décrit comme « l’expérience historique nourricière11 » d’une écriture novatrice ; Roger Bellet en fait

« l’événement-avènement12 ». Vallès lui-même la considère peu ou prou comme le

« couronnement de sa vie13 », qui marque « à la fois un aboutissement et une rupture14 ».

Toutefois, le risque n’est-il pas précisément de surestimer la Commune au détriment des autres événements qui ont en amont irrigué l’écriture vallésienne, dont la diversité ne saurait être subsumée, voire absorbée, par ce « supra-événement » personnel ? Les recherches vallésiennes ont connu ces trente dernières années un important renouvellement. Mais, en dehors de l’épisode communard, la question de l’écriture historiographique, journalistique et littéraire de l’événement chez Vallès n’a pas été frontalement et directement posée. Pour pallier cette lacune, notre travail sera centré sur les articles de l’écrivain-journaliste qui s’échelonnent entre 1857 et 187015. Il s’agit soit de textes connus mais jusque-là négligés du point de vue de leur rapport à l’événement, soit d’articles ponctuels de journaux ou d’œuvres de fiction

7 Marie-Claire Bancquart et Lucien Scheler, « Préface », dans J. Vallès, La Commune de Paris

[1969], Paris, Les Éditeurs français réunis, 1970, p. 8.

8 R. Bellet, « Jules Vallès et Paris : le provincial naturalisé parisien », Cahiers de l’Association

internationale des études françaises, 1990, vol. 42, n° 1, p. 53.

9 Id.

10 F. Dosse, Renaissance de l’événement, op. cit., p. 6.

11 Jacques Migozzi, L’Écriture de l’histoire dans la trilogie romanesque : L’Enfant, Le Bachelier,

L’Insurgé de Jules Vallès, Thèse de doctorat : littérature française, Paris 8, 1990, p. 4.

12 R. Bellet, « Préface », dans C. Saminadayar-Perrin, Modernités à l’antique. Parcours vallésiens,

Paris, Honoré Champion, 1999, p. 13.

13 C. Saminadayar-Perrin, Jules Vallès, Paris, Gallimard, 2013, p. 21. 14 Id.

15 C’est en 1857 que Vallès fait irruption dans la littérature de l’époque. Notre borne finale sera plus

précisément avril 1870, moment où La Rue, deuxième du nom, doit cesser de paraître. Suivent notamment le plébiscite du 8 mai puis le déclenchement de la guerre en juillet. Nous reprenons le découpage effectué par Roger Bellet pour son édition dans la Pléiade, dont le premier tome s’arrête à la guerre de 1870.

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parues en feuilletons, partiellement édités et très peu étudiés16. Une telle production ne peut être envisagée indépendamment des secousses politiques qui bornent le Second Empire : la « brisure17 » de 1848 et la « cassure18 » du 2 décembre, d’une part ; « l’irréversible19 » de la guerre de 1870, de la chute de l’Empire puis de l’insurrection communarde, d’autre part. Pour autant, il faut se garder de la réduire à une perspective historiciste ou même téléologique. Dans le cadre d’un corpus essentiellement journalistique20, l’événement sera défini au sens large, dans son triple rapport à l’histoire, à l’actualité et à la fiction. Loin de se limiter à une dimension politique, sociale, autobiographique, il peut aussi être – séparément ou conjointement – artistique, médiatique, linguistique. Enfin, il doit être contextualisé à la lumière des spécificités journalistiques de la période : expansion décisive des médias de grande diffusion, qui fait la part belle au divertissement21 ; presse « bâillonnée22 » par une censure sévère, dont l’étau tend pourtant à se desserrer dans les années 1860. C’est une époque où règne la petite presse dite littéraire, souvent un miroir complaisant « de la fête impériale et de la mondanité parisienne23 ». En 1863, le lancement du Petit journal – vendu au numéro et au prix symbolique d’un sou – inaugure une presse véritablement populaire. Il s’agit d’une « petite révolution24 » que Vallès approuve et soutient, mais dont il souhaite en même temps dépasser les insuffisances. Ainsi se réjouit-il, en janvier 1866, que L’Événement de Villemessant

soit « un miroir non pas seulement de la vie artistique ou littéraire, mais encore de la vie sociale25 », qui « touche à tout26 » et « intéresse toutes les classes, les lettrés, les bourgeois, le peuple27 ».

16 Roger Bellet a certes proposé une analyse magistrale des liens entre journalisme et révolution, chez

Vallès, de 1857 à 1885 : cf. R. Bellet, Jules Vallès, journalisme et révolution. 1857-1885, Tusson, Éditions du Lérot, 1987 et Jules Vallès, journalisme et révolution : la presse du Second Empire,

de la Commune et de la IIIe République (1852-1885). 2. Documents, Tusson, Éditions du Lérot, 1989. Mais il n’existe aucune étude d’envergure sur les caractéristiques propres du journalisme vallésien qui précède la guerre de 1870 et la Commune.

17 R. Bellet, Jules Vallès, journalisme et révolution. 1857-1885, op. cit., p. 7. 18 Id.

19 R. Bellet, « Introduction », dans J. Vallès, Œuvres, I, 1857-1870, op. cit., p. XVII.

20 À l’exception du premier livre L’Argent et d’un article non publié, écrit pour le Grand Dictionnaire

universel du XIXesiècle, de Pierre Larousse.

21 Cf. notament Quentin Deluermoz, « L’entrée en régime médiatique. L’étape des années 1860 »,

Histoire de la France contemporaine. 3. Le Crépuscule des révolutions. 1848-1871, Paris, Éditions du Seuil, 2012, p. 210-213.

22 Cf. Christophe Charle, Le Siècle de la presse (1830-1939), Paris, Éditions du Seuil, 2004, p.

91-110.

23 C. Saminadayar-Perrin, Jules Vallès, op. cit., p. 27-28. 24 Q. Deluermoz, Le Crépuscule des révolutions, op. cit., p. 211.

25 Jules Vallès, « Timothée Trimm et Thérésa », Le Figaro, 21 janvier 1866 (Gallica) (p. 609). 26 Id.

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30

Corpus

Au total, la production vallésienne qui précède la Commune s’inscrit dans une grande diversité de journaux et de rubriques, dont peuvent cependant se dégager quelques lignes de force, au travers d’une synthèse diachronique.

Après le succès de scandale du livre L’Argent – provocante démystification

d’un romantisme de la pauvreté –, Vallès fait ses « premières percées28 » dans la chronique. Il est rigoureusement contraint par la censure et s’adapte aux conditions des revues ou journaux auxquels il contribue. À plusieurs reprises, il déborde toutefois l’allusionnisme du Présent, les anecdotes boulevardières de La Chronique

parisienne et même l’irrévérence moqueuse du Figaro, pour revendiquer son individualité et ses convictions29.

Il adopte une position plus claire et des accents plus virulents à partir de l’année 1863, marquée par une avancée sensible de l’opposition républicaine et par une démocratisation de la presse, plus accessible et tournée vers l’actualité quotidienne du peuple30. Le critique littéraire au Progrès de Lyon et au Courrier du

dimanche prône un art réellement démocratique – dont il propose un usage dialogique, égalitaire – ; il défend une liberté illimitée de la presse31. Le journaliste réfractaire32 explore les marges sociales, en France comme en Angleterre, à l’épreuve de l’enfer parisien ou londonien. S’il traite nombre de sujets très convenus33, il engage aussi une modernisation résolument populaire et militante de la chronique, « qui joue la Rue contre le Boulevard, l’enquête de terrain contre la causerie, le journalisme de témoignage contre la chronique mondaine34 ». En témoigne sa collaboration au Figaro, à L’Époque ou à L’Événement, vers 1865-1866. Ce faisant, il oscille entre deux directions respectivement subversive et novatrice, appelées à se prolonger dans les dernières années du Second Empire : la

28 C. Saminadayar-Perrin, Jules Vallès, op. cit., p. 174.

29 Voir, dès 1857, son article sur Cavaignac, dont le contre-éloge funèbre entraîne la fin de sa

collaboration au Présent. Voir aussi « Le dimanche d’un jeune homme pauvre ou le septième jour d’un condamné », « Les réfractaires », « Les morts », dans Le Figaro de 1860-1861, ou encore sa « Lettre de Junius », dans Le Figaro du 7 novembre 1861.

30 « Le médium journalistique se désacralise, se désembourgeoise, se détourne des assemblées pour

s’intéresser à la rue. » Cf. D. Kalifa, Ph. Régnier, M.-È. Thérenty et A. Vaillant, « Les scansions internes à l’histoire de la presse », art. cité, p. 259.

31 Voir son article retentissant sur Les Droits de la pensée de Girardin : cf. J. Vallès, « La liberté de la

presse », La Presse, 18 janvier 1865 (Gallica).

32 Plusieurs articles seront réunis, dès novembre 1865, dans un livre intitulé Les Réfractaires. 33 Le jour de l’An, le Carnaval, Pâques, ou encore les réunions de la Société des gens de lettres, mais

aussi la mort de telle ou telle personnalité.

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polémique pamphlétaire du « franc-parleur35 », d’une part ; et un journalisme d’investigation, fondé sur la « chose vue36 », à l’avant-garde du reportage37, d’autre part.

En 1867, les luttes ouvrières convergent avec un républicanisme radical, le régime impérial commence à se libéraliser et la presse semble désormais en mesure de s’opposer au pouvoir, de subvertir l’ordre établi. Ce tournant politique et culturel offre à Vallès une latitude inédite, qu’il exploite par un vigoureux « journalisme de combat38 ». Il fonde son propre journal, La Rue, où il renforce sa formule de l’enquête sociale au service des pauvres et des vaincus, objets mais aussi acteurs d’une écriture radicalement démocratique. En contrepoint, ses articles pour La

Situation précisent plutôt son approche désacralisatrice des hiérarchies conventionnelles, ou encore son ethos biographique, à travers des escapades aériennes et rurales ; ils sont eux-mêmes traversés par un « dualisme complexe39 », entre épanchement personnel et attaques explicites contre les mœurs, la culture, les institutions.

En 1868, sa rubrique « Courrier de Paris », pour Le Globe, constitue un réquisitoire virulent contre les violences policières et les iniquités judiciaires ; ses « Lettres d’un irrégulier », dans Le Figaro, puis sa contribution à L’Art relient étroitement révolution culturelle et bouleversements socio-politiques. Après plusieurs mois d’éclipse journalistique, Vallès consacre un « chapitre » aussi personnel que séditieux à l’histoire du 2 décembre, dans Le Courrier de l’intérieur du 8 septembre 1868. Cette évocation désespérée d’une génération vaincue véhicule une forte critique de l’Empire, qui le conduit à la prison de Sainte-Pélagie, d’où il s’affirme pour la première fois « socialiste40», au seuil de l’année 1869.

35 En témoigne bien le texte où il attaque violemment le général Yusuf pour ses crimes en Algérie, et

qui l’oblige à démissionner de La Liberté : cf. J. Vallès, « Courrier de la semaine », La Liberté, 26 mars 1866 (Bibliothèque nationale de France, qui sera ensuite reprise sous l’abréviation « BNF ») (p. 632-637). Voir aussi le double article où il fait le portrait de ceux qu’il appelle des « francs-parleurs », qui fit du bruit, même s’il n’apparaît qu’aux pages 5 et 6 des numéros en question : J. Vallès, « Mœurs et portraits littéraires. Les francs-parleurs », Le Courrier français, 19 et 26 août 1866 (BNF) (p. 898-906).

36 Cf. Myriam Boucharenc, « Choses vues, choses lues : le reportage à l’épreuve de l’intertexte »,

Cahiers de narratologie [En ligne], 2006, n° 13, URL : http://narratologie.revues.org/320, consultée le 18 mai 2017.

37 Cf. J. Vallès, « Lettres de province. Au fond d’une mine. (Première heure) (Deuxième heure) », Le

Figaro, 16 et 17 novembre 1866 (Gallica), « Le châtiment », Le Nain jaune, 7 mars 1867 (BNF) et « Une nuit blanche », Le Nain jaune, 14 mars 1867 (BNF) (p. 924-936). Cf. aussi Autour de

Vallès, L’Invention du reportage, coordonné par Guillaume Pinson et M.-È. Thérenty, 2010,

n° 40. Bien que le terme de « reporter » soit un « anachronisme » en 1865 (cf. C. Saminadayar-Perrin, Jules Vallès, op. cit., p. 231) et qu’il s’agisse plus précisément de « proto-reportage », nous tenterons de démontrer ce que nous entendons par « reportage » vallésien.

38 C. Saminadayar-Perrin, Jules Vallès, op. cit., p. 255.

39 R. Bellet, Jules Vallès, journalisme et révolution. 1857-1885, op. cit., p. 162.

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32

Ses écrits traversent les deux dernières années de l’Empire selon un mouvement contradictoire, qui recoupe une dialectique personnelle de l’espoir et du désespoir quant à la possibilité d’enclencher un réel progrès vers l’égalité de tous et de toutes. D’un côté, ses engagements se font de plus en plus nettement politiques, voire révolutionnaires. En témoignent à des degrés variés ses éphémères journaux Le

Peuple, Le Réfractaire, Le Corsaire, un long article censuré sur Waterloo41, puis, en 1870, sa contribution à La Marseillaise de Rochefort – organe de la démocratie radicale. Mais il se limite parfois au pittoresque social, en particulier dans sa seconde version de La Rue, quotidien privé de cautionnement et donc souvent à distance des grands débats de l’époque. Toutefois, la critique en a exagéré le populisme aseptisé et mièvre, sans mesurer toujours la portée politique de ses faits divers, fortement structurés par la violence de la misère. Ainsi convient-il d’examiner à nouveaux frais ces articles inexplorés42 qui, à l’aube d’un cataclysme politique, posent comme prééminente la question du progrès social.

Enfin, nous n’exclurons pas l’ensemble des fictions vallésiennes parues en feuilletons avant l’été 1870 : Jean Delbenne, dans L’Époque en octobre 1865 ; Un

Gentilhomme, Le Testament d’un blagueur et Pierre Moras, publiés respectivement dans Le National, La Parodie, Paris puis Paris-Journal, en 1869-1870. Ces récits n’ont pas été repris en livres par leur auteur puis ont été généralement écartés des choix éditoriaux, ce qui a pu accroître leur discrédit. Or, leurs intrigues sont ponctuées d’événements divers, dont la plupart posent ou réitèrent la question – centrale chez Vallès – de ce qui peut être subi comme violent, voire traumatisant, à une échelle individuelle et familiale, voire collective. Par souci de cohérence générique et de pertinence argumentative, l’essentiel de ces textes à dominante fictionnelle fera l’objet de traitements spécifiques et resserrés. De manière plus transversale, les feuilletons pourront aussi illustrer les problématiques vallésiennes de l’événement comme artifice, de l’inaction stérile, d’une écriture performative ou encore autofictionnelle.

Méthode

Mis à part les exemples feuilletonnesques et les articles relevant clairement du reportage, les différents genres journalistiques pratiqués par Vallès seront convoqués dans toutes les étapes de la réflexion : premier-Paris ; chronique ; fait divers ; ou encore critique littéraire et artistique. L’événement sera traité comme une question transversale, d’où le choix de ne pas fixer l’ossature de notre argumentation à partir de distinctions génériques. Nous veillerons cependant à scruter les

41 Cf. J. Vallès, « Le champ de bataille de Waterloo », Œuvres, I, 1857-1870, op. cit., p. 1083-1095

[article écrit en 1869 pour le Grand Dictionnaire universel, mais censuré, donc publié à titre posthume dans la Revue universelle, le 22 juin 1901].

42 La bibliothèque de la Pléiade reprend seulement quatre articles parus dans La Rue de 1870 : « À

Arthur Arnould, rédacteur de La Marseillaise » ; « Il neige au Creusot » ; « Notre plébiscite » ; « La fosse commune ».

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contraintes, les spécificités et les variantes liées aux différents contextes, journaux, genres et rubriques approchés. Dans une perspective comparatiste, en synchronie et en diachronie, nous porterons donc une grande attention aux supports originels des textes vallésiens. Ainsi avons-nous effectué des recherches systématiques dans les journaux d’où sont issus nos articles, en explorant le catalogue numérique de la Bibliothèque nationale de France, puis en nous rendant directement sur place, pour accéder aux textes qui n’étaient pas disponibles sur Gallica. Nous avons également acquis auprès de l’Institut de France une version numérique du feuilleton Jean

Delbenne, paru dans L’Époque de 1865, mais introuvable à la Bibliothèque

nationale de France. Avec l’aide des relevés minutieux de Gaston Gille43 et de Roger Bellet44, il a été possible de recenser les textes vallésiens qui n’ont pas été repris dans la Pléiade ou dans les Œuvres complètes, ni même, plus ponctuellement, dans

d’autres recueils45. Nous en avons examiné la plus grande partie, soit sur Gallica, soit à la Bibliothèque nationale de France, sur un support papier ou microfilm. Certains se trouvent retranscrits dans notre volume d’annexes46. Nous avons également tenu à consulter sous leur forme initiale les articles publiés en recueil47, pour les ressaisir en co-texte.

Dans tous les cas, il paraît utile de confronter un certain nombre d’articles vallésiens à la « marqueterie48 » formée par les rubriques des journaux concernés, mais aussi de prendre en compte leur place dans l’économie de la page ou du numéro49. De plus, les dates de parution, les titres des journaux ou encore les intitulés des articles en question constituent des indices déterminants sur les intentions et les contraintes qui ont modelé l’écriture vallésienne. Pour ne prendre qu’un exemple – non pas le plus flagrant –, ils permettent d’emblée de mesurer

43 Cf. Gaston Gille, Sources, bibliographie et iconographie vallésiennes, Genève-Paris, Slatkine,

1981.

44 Dans sa notice de la Pléiade.

45 Cf. J. Vallès, Les Francs-parleurs, introduction, choix de textes et notes par R. Bellet, [Paris], J.-J.

Pauvert, 1965. Cf. aussi J. Vallès, Littérature et Révolution. Recueil de textes littéraires, préface et notes de Roger Bellet, Paris, Les Éditeurs français réunis, 1969.

46 Nous aimerions publier ces textes ainsi que d’autres articles de Vallès non repris en volume sur le

site « Médias 19 ».

47 Pour les rares textes repris en volume dont nous n’avons pas retrouvé la version originale, nous

nous contenterons de renvoyer à l’édition concernée (Pléiade ou autres). Quoi qu’il en soit, la pagination sans plus d’indications (entre parenthèses pour les références consultées sur leur support journalistique) sera celle de la Pléiade : cf. J. Vallès, Œuvres, I, 1857-1870, op. cit.

48 M.-È. Thérenty, La Littérature au quotidien. Poétiques journalistiques au XIXe siècle, Paris,

Éditions du Seuil, 2007, p. 83.

49 « Vallès se sent parfois un relégué de colonne ». Cf. R. Bellet, Jules Vallès, journalisme et

révolution. 1857-1885, op. cit., p. 94. Mais, dans l’ensemble, la place de ses articles varie

beaucoup, selon les rubriques et les journaux. Par exemple, sa chronique littéraire se situe traditionnellement à la fin du Progrès de Lyon ; ses articles-feuilletons prennent place au rez-de-chaussée de L’Époque ; ses chroniques ou reportages se trouvent aux pages 3, 4, 5 du Nain jaune

ou du Courrier français. En revanche, il a très souvent droit aux premières pages de L’Événement,

de La Rue et, dans une moindre mesure, du Figaro. Nous signalons d’emblée ces données pour ne pas y revenir systématiquement.

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l’écart esthétique, culturel et idéologique qui tend à séparer les « Chroniques » pour

Le Présent – « revue sage50 » de 1857 – et les articles intitulés « La Rue » dans le quotidien libéral L’Événement, dirigé par Villemessant en 1865-1866. C’est l’une

des raisons pour lesquelles il importe de mentionner les informations principales des sources journalistiques, en particulier les titres d’articles primordiaux, qui ont pu être modifiés ensuite par Vallès pour la constitution de ses livres Les Réfractaires et surtout La Rue. En vue de cerner les résonances, les contrepoints, voire les contrastes, entre les articles vallésiens et leur contexte réel de parution, nous en restituons d’ailleurs les passages d’origine, tels qu’ils se présentaient avant leurs éventuelles révisions auctoriales51.

Il sera indispensable de contextualiser plus largement la production de Vallès en confrontant ses modalités d’écriture à celles de ses contemporains52, en redessinant l’espace de débat qui permet de comprendre sa construction propre de l’événement. L’écriture journalistique étant constitutivement polyphonique et dialogique, il faut comparer les choix de Vallès avec ceux que d’autres ont inscrits et développés dans leur contexte plus ou moins élargi. Nous en étudierons donc les échos avec une actualité immédiate – comprise entre un et quelques jour(s) – ou « tiède53 » – qui s’étend à plusieurs semaines ou mois. Mais nous tâcherons aussi de les situer dans les constantes et les infléchissements – perceptibles sur les divers supports du journal, de la revue et du livre – propres à la période du Second Empire, voire au-delà, à l’échelle du XIXe siècle. En revanche, pour mieux parer au double écueil d’une analyse téléologique et déterministe, qui érigerait à l’excès la Commune en vocation et palingénésie personnelles, nous n’exploiterons que très rarement les textes que Vallès écrivit après cet événement.

50 R. Bellet, « Table », Jules Vallès, journalisme et révolution. 1857-1885, op. cit.

51 Dans sa notice de la Pléiade, Bellet mentionne toutes les variantes qui distinguent le journal et le

livre, pour Les Réfractaires et La Rue.

52 Notre corpus secondaire comprend donc entre autres les historiens, écrivains et/ou journalistes

suivants : Dumas père, Hugo, Michelet, Zola, Erckmann-Chatrian, mais aussi Gautier, Barbey d’Aurevilly, Scholl, ou encore Rochefort.

53 C. Saminadayar-Perrin, « Poétiques de l’information dans la presse du Second Empire », Autour de

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Une trajectoire singulière, historique ?

Événements vallésiens

Orientations transversales

Il faut s’intéresser à l’écriture de l’événement telle que la presse la redéfinit et la pratique, donc commencer par ressaisir la tension féconde liée au statut amphibie d’« écrivain-journaliste1 ». Il arrive souvent que « le journaliste vise à restituer l’événement en le situant dans l’actualité2 », tandis que « l’écrivain cherche à en extraire la réalité profonde, le sens3 ». Cette tension due à une « position inconfortable de l’entre-deux4 » se trouve au cœur du journalisme vallésien, imbriqué à « l’histoire au jour le jour » que tend à constituer la presse du XIXe siècle. Dans la foulée de cette « formidable accélération de l’histoire5 » qu’a été la Révolution française, l’après 1830 voit « une sorte d’actualisation effrénée de l’Histoire6 » dont résulte, selon certains, « un présent étêté […] où tout est “actualité” […] où tout, à égalité, est susceptible de faire événement, du fait de la

journalisation du quotidien7 ». Le phénomène est inséparable du développement de la presse, facteur déterminant des Journées de Juillet. Or, le « diktat de l’actualité8 » peut rendre problématique la délimitation même de l’événement sous un angle historico-médiatique : « les événements ne font plus autant saillie, car ils se succèdent à plus vive allure, se surimposent, se poursuivent, puis s’effacent à brève échéance9 ». L’époque du Second Empire hérite de ces évolutions, jusqu’à ce que la fin des années 1860 enregistre « une accélération de la course à l’actualité dans

1 Cf. M.-F. Melmoux-Montaubin, L’Écrivain-journaliste au XIXe siècle : un mutant des Lettres,

op. cit.

2 M. Boucharenc, « Beau comme la rencontre de la littérature et du reportage sur la scène de

l’événement », dans Que se passe-t-il ? Événement, sciences humaines et littérature, op. cit., p. 116.

3 Id.

4 M.-È. Thérenty, « Chronique et fiction », Autour de Vallès, Vallès-Mirbeau. Journalisme et

littérature, sous la direction de M.-F. Melmoux-Montaubin, 2001, n° 31, p. 7.

5 P. Petitier, « Introduction », dans Les Formes du temps. Rythme, histoire, temporalité, op. cit., 2007,

p. 12.

6 José-Luis Diaz, « Révolutions de la littérature (après 1830) », dans Qu’est-ce qu’un événement

littéraire au XIXe siècle ? op. cit., p. 66.

7 Id. Le mot actualité est alors un néologisme.

8 M.-È. Thérenty, La Littérature au quotidien, op. cit., p. 90.

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36

l’ensemble de la presse10 ». Comme d’autres, Vallès perçoit dans l’asservissement à une actualité frénétique l’un des principaux écueils qui guettent l’écrivain-journaliste. Il ne veut en aucun cas être un simple « fileur d’actualités11 », quand bien même il se retrouve à faire « le métier d’articlier quotidien12 ». Il est cependant convaincu que la saisie journalistique du réel est – plus que le volume – apte à dire quelque chose de l’événement, à rendre compte des faits dans l’immédiat de leur surgissement. C’est pourquoi il entend non pas condamner ou nier l’actualité, mais se l’approprier et la dépasser. Nous ne sommes pas loin de la distinction d’Audiberti13 – avant Barthes – entre « l’écrivant », qui collectionne les événements, et « l’écrivain », qui les considère par rapport au général. Il faut donc « peindre l’actualité14 » en disant son « opinion15 » et savoir quitter quelquefois « le terrain mouvant de l’actualité pour rôder […] dans le pays où l’impression est reine16 ». Contre « le vent du jour17 », qui emporte avec lui la première page et tend à effacer le nom des chroniqueurs « sur le sable18 », s’impose la profondeur et la pérennité de « l’actualisme19 ». Ce néologisme vallésien désigne un mode de représentation,

notamment journalistique, qui répond au défi d’une « exigence croissante

d’informations20 » sur le présent, tout en proposant une « alternative21» à l’actualité. À rebours d’une actualité quotidienne, la chronique vallésienne se caractérise aussi par « la place considérable qu’elle accorde au “rite22” », ce retour du même, année après année : l’abattage du cochon, les vendanges, les chasses d’automne, la Toussaint, le jour de l’An, le paiement du terme, Pâques, ou encore l’Ascension, etc. Mais, loin de se situer en dehors du temps ou dans un espace anhistorique, le rituel fait le plus souvent l’objet d’une « historicisation23 ». Aux antipodes de la « chronique-commère24 » asservie à une actualité factice, l’écriture du temps ritualisé consiste entre autres à repousser l’immobilisme socio-politique et peut

10 C. Saminadayar-Perrin, « Poétiques de l’information dans la presse du Second Empire », art. cité,

p. 19.

11 J. Vallès, L’Insurgé, Œuvres, II, 1871-1885, édition établie, présentée et annotée par R. Bellet,

Paris, Gallimard, 1990, p. 910.

12 J. Vallès, « Paris », L’Événement, 4 mars 1866 (BNF).

13 Cf. Jacques Audiberti, Entretiens avec Georges Charbonnier, Paris, Gallimard, 1965, p. 7-20. 14 J. Vallès, « Paris », L’Événement, 13 mars 1866 (BNF).

15 J. Vallès, « Paris », L’Événement, 12 mars 1866 (BNF).

16 J. Vallès, « Au hasard. À une provinciale », L’Événement, 16 mars 1866 (BNF) (cf. Annexes). 17 Id.

18 J. Vallès, « Hier – Demain », Le Nain jaune, 14 février 1867 (BNF) (p. 917).

19 Cf. notamment J. Vallès, « Le salon. II. Les actualistes », Le Courrier français, 17 juin 1866 (BNF)

(p. 890-894).

20 M.-F. Melmoux-Montaubin, « De l’actualité à l’actualisme : poétique de la chronique

vallésienne », Autour de Vallès, Vallès et le « sens du réel », op. cit., p. 31.

21 Id.

22 Ibid., p. 33. 23 Ibid., p. 37.

24 Cf. C. Saminadayar-Perrin, « Poétiques de l’information dans la presse du Second Empire »,

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