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L’écriture journalistique ne peut se comprendre indépendamment de son contexte d’émergence, surtout lorsqu’elle est contrainte par une législation sévère. La production précommunarde de Vallès, comprise entre 1857 et 1870, ne saurait donc être dissociée de la censure qui sévit sous le Second Empire. La période de 1852 à 1860 est celle où « la presse a été, depuis le Premier Empire, le plus asservie au pouvoir1». Le gouvernement redouble de rigueur après l’attentat commis par Felice Orsini le 14 janvier 1858. À la différence de ce qui s’est produit sous le Premier Empire, la presse subsiste et conserve de nombreux organes. Il s’agit néanmoins d’une « lumière sous le boisseau2 » pour reprendre, avec davantage de pessimisme, la formule de Pierre Guiral. Les années 1860 à 1868 sont certes marquées par le réveil des journaux politiques et le développement d’une presse de grande information ; toutefois, le régime administratif évolue peu et le système d’avertissements, de suspensions et de suppressions reste une menace très active. La presse française se libéralise seulement à partir de l’année 1868. Les textes vallésiens écrits avant 1871 relèvent donc, pour la plupart, d’une « écriture contrainte3 ».

Bien au-delà des simples rapports entre la production vallésienne et la censure impériale, cette « écriture contrainte » n’est-elle pas le fait du « cothurne étroit du journalisme4 », de la « contrainte médiatique5 » dans son ensemble ? Moyennant quelques adaptations, les quatre grands principes qui composent la « matrice médiatique6 » des quotidiens français, entre 1830 et 1914, sont très opératoires pour étudier la presse du Second Empire, quel que soit son rythme de parution. Aux ciseaux de « dame Anastasie » s’ajoutent en effet les exigences journalistiques de la périodicité, de la collectivité, de la « rubricité » et, enfin, de l’actualité. À l’instar de la censure, ces « règles7 » peuvent constituer une « discipline8 » féconde ou un « moteur de l’écriture9 », mais elles obligent parfois l’écrivain-journaliste à se mettre en « porte-à-faux » vis-à-vis de ses objectifs, de ses

1 P. Guiral, « Cinquième partie. La presse de 1848 à 1871 », dans Histoire générale de la presse

française, op. cit., t. 2, p. 249.

2 Id.

3 J. Migozzi, L’Écriture de l’histoire dans la trilogie romanesque, op. cit., p. 38.

4 Cf. Bulletin de la société Théophile Gautier, « Le Cothurne étroit du journalisme » : Théophile

Gautier et la contrainte médiatique, 2008, n° 30.

5 M.-È. Thérenty, La Littérature au quotidien, op. cit., p. 11. 6 Cf. ibid., p. 47-120.

7 Ibid., p. 46.

8 J. Migozzi, L’Écriture de l’histoire dans la trilogie romanesque, op. cit., p. 44. 9 Ibid., p. 520.

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convictions ou encore de ses lecteurs. Le journalisme vallésien du Second Empire illustre et problématise tout à la fois ces choix et ces impératifs médiatiques, qui se cristallisent sur la question suivante : qu’est-ce qui fait ou ne fait pas événement, dans un contexte donné, du point de vue du journaliste et de son lecteur immédiat ? La question est d’autant plus aigüe que la presse peut reprendre ou négliger mais aussi impulser, construire, voire déconstruire, les événements de son temps. L’écriture journalistique définit amplement l’historicité et l’événementialité des faits consignés en fonction de la place et du traitement qu’elle leur accorde. Vallès conduit donc à penser et à interroger les catégories mêmes du « grand événement » et du « fait notable » comme fabrications médiatiques.

Regards critiques : événements ou non-événements ?

Édifices et trompe-l’œil historiques

Déclenchée par les ordonnances de Saint-Cloud dont l’une suspend la liberté de la presse, la Révolution de Juillet est le prototype même de l’événement journalistique10. Directement visés, les journalistes réagissent les premiers. L’émeute du 27 juillet est la conséquence d’une intervention policière destinée à empêcher la sortie de trois journaux : Le National, Le Globe et Le Temps. À la suite de ce soulèvement, la monarchie de Juillet profite à la presse :

Au total, la révolution de 1830 représente une bonne opération pour la presse, notamment libérale : elle augmente le nombre des lecteurs et facilite, par la nouvelle législation, la publication des journaux. […] Les journalistes condamnés précédemment sont amnistiés, la Charte révisée promet la liberté de publier et rejette la censure. Une simple déclaration remplace l’autorisation pour les crieurs, afficheurs et colporteurs d’imprimés et d’écrits. Le cautionnement est sensiblement abaissé (2400 francs au lieu de 6000), ainsi que le droit de timbre et la taxe postale11.

Cette libéralisation de la presse est néanmoins éphémère. Le rétablissement du cautionnement fin 1830 et le « retournement autoritaire du régime après 1833- 183512 » favorisent en particulier la disparition des feuilles avancées. Les « Trois Glorieuses » sont certes un événement journalistique puisqu’elles ont pris leur impulsion dans la presse mais, à en juger par leur portée effective, elles n’équivalent pas à une révolution journalistique. Dans leur prolongement, n’est-ce pas plutôt en

10 Cf. notamment D. Kalifa, M.-È. Thérenty, A. Vaillant, « Le Quotidien », dans La Civilisation du

Journal, op. cit., p. 275-276 (cf. « Les Trois Glorieuses, ou le sacre du quotidien »).

11 Ch. Charle, Le Siècle de la presse (1830-1939), op. cit., p. 40. 12 Ibid., p. 42.

1836 qu’une « grande révolution13 » s’introduit dans le journalisme, même s’il s’agit d’une « Révolution par en haut14 », dénoncée par Proudhon ? Avec La Presse, proposé à un prix deux fois moins élevé que ses concurrents, Girardin crée en effet le quotidien bon marché et inaugure pour ainsi dire « l’an I de l’ère médiatique15 ». L’ambivalence révolutionnaire des « Trois Glorieuses » ne se limite évidemment pas à des causes et à des conséquences d’ordre journalistique. Dans le camp gouvernemental, le major-général de la Garde Royale Marmont s’est rapidement inquiété de l’ampleur politique des événements : « Ce n’est plus une émeute, c’est une révolution16 » a-t-il déclaré le 28 juillet, dans une lettre à Charles X restée fameuse, avant que la défaite et l’exil ne le contraignent au silence.

Parmi les prédécesseurs de Vallès, Chateaubriand et Dumas ont été de cette « révolution », dont ils ont soutenu et souligné la grandeur. Leurs écrits postérieurs en font cependant un portrait nuancé, traversé d’ombres et de lumières. Pour l’auteur des Mémoires d’outre-tombe, les conséquences de « ces trois derniers soleils qui viennent de briller sur la France17 » seront « mémorables18 » ; cette « révolution a prononcé un arrêt contre tous les trônes19 » ; « un pas énorme a été fait20 » ; et l’usurpation du pouvoir prendra fin. La révolution portera ses fruits et conduira à la démocratie. Elle ne doit pas être confondue avec « le roi improvisé21 » qui en est issu par hasard : « Juillet, libre dans son origine, n’a produit qu’une monarchie enchaînée ; mais viendra le temps où, débarrassé de sa couronne, il subira ces transformations qui sont la loi des êtres22 […]. » En somme, il s’agit d’une révolution temporairement entravée mais d’une révolution quand même : c’est un processus seulement inaccompli.

En 1830, Dumas est d’emblée partie prenante du déroulement des événements23. Le 25 juillet, lorsqu’il apprend la signature des ordonnances, il renonce à un voyage qu’il projetait pour Alger. Le 27 juillet, il emprunte les boulevards où l’insurrection débute ; il court vers la Bourse d’où partent les premiers coups de feu, assiste à l’incendie du corps de garde de la Bourse et voit

13 Louis Blanc, Révolution française. Histoire de dix ans. 1830-1840 [1840-1844], Paris, F. H.

Jeanmaire, 1882, p. 839 (Gallica).

14 Émile de Girardin repris par Pierre-Joseph Proudhon, dans Œuvres complètes, Mélanges : articles

de journaux, 1848-1852. Premier volume. Articles du représentant du peuple. – Articles du peuple, Paris, Librairie internationale, 1868, p. 83.

15 Cf. A. Vaillant et M.-È. Thérenty (dir.), 1836, l’an I de l’ère médiatique, op. cit.

16 Georges Girard, Les Trois Glorieuses, Paris, Firmin-Didot et Cie, 1929, p. 72. Ces propos

reprennent un échange célèbre, attribué à Louis XVI et à La Rochefoucauld, lors de la prise de la Bastille.

17 F.-R. de Chateaubriand, Mémoires d’outre-tombe, op. cit., t. 3, p. 250. 18 Ibid., p. 251.

19 Id.

20 Ibid., p. 252. 21 Ibid., p. 253. 22 Id.

23 Cf. C. Schopp, « Révolution de 1830 », Dictionnaire Alexandre Dumas, Paris, CNRS Éditions,

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s’ériger les premières barricades. Le lendemain, il aide à la construction d’une barricade puis, à la tête d’un groupe d’une cinquantaine d’hommes, tente de rejoindre la place de Grève. L’attaque est repoussée ; il se réfugie chez le peintre Lethière avant de se rendre au National, où est proclamé un gouvernement provisoire. Le 29 juillet, il participe à l’assaut du musée de l’Artillerie, s’intègre à un corps armé qui se prépare à forcer le pont des Arts. La troupe est mise en déroute ; il rentre finalement chez lui se changer. Entre-temps, les Tuileries ont été prises : Dumas les parcourt aux côtés du peuple insurgé. Enfin, il suit le cortège de La Fayette qui va installer le gouvernement provisoire à l’Hôtel de Ville. Dans ses

Mémoires, il apparaît alors comme un acteur de premier plan des Journées de Juillet, érigées en événement personnel, ne serait-ce que par leur impact émotionnel, en plus inédit : « C’était la première fois que j’entendais le sifflement de la mitraille et j’avoue que je ne croirai pas celui qui me dira qu’il a, pour la première fois, entendu ce bruit sans émotion24. » Il insiste aussi, avec emphase, sur le rôle prépondérant du peuple, d’où l’idée explicite que la révolution a été confisquée par des élites lorsque, pour reprendre les termes de Jean-Louis Bory, le « mélo populaire [a] fait place à la comédie bourgeoise25 » :

Ceux qui ont fait la révolution de 1830 c’est cette jeunesse ardente du prolétariat héroïque qui allume l’incendie, il est vrai, mais qui l’éteint avec son sang ; ce sont ces hommes du peuple qu’on écarte quand l’œuvre est achevée, et qui, mourant de faim, après avoir monté la garde à la porte du Trésor, se haussent sur leurs pieds nus pour voir, de la rue, les convives parasites du pouvoir, admis à leur détriment, à la curée des charges, au festin des places, au partage des honneurs26.

Il évoque alors le sang de Juillet sans occulter les origines sociales des « braves de Juillet27 », alors que le régime de Louis-Philippe fabrique autour de ces événements un deuil national réconciliateur, en excluant les ouvriers de la représentation politique et de sa « galerie de portraits de martyres28 ». De surcroît, la fête nationale des 27, 28, 29 juillet est rapidement devenue une « fête de clôture29 », et le sens de la commémoration a pu s’inverser : « à mesure que sont célébrées dans la cohorte des martyrs les victimes des insurrections de juin 1832 et avril 1834, et de l’attentat de Fieschi, les braves de Juillet sont honorés, non sans paradoxe, comme défenseurs de la loi et de l’ordre30 ». Chez Dumas, le culte des morts suggère plutôt – même timidement – « l’inachèvement de la souveraineté populaire et l’attente d’une révolution toujours en devenir31 ».

24 A. Dumas, Mes Mémoires. 1830-1833, variantes et notes établies par Pierre Josserand, Paris,

Éditions Robert Laffont, 1989, t. 2, p. 60.

25 Jean-Louis Bory, La Révolution de Juillet : 29 juillet 1830, Paris, Gallimard, 1972, p. 522. 26 A. Dumas, Mes Mémoires. 1830-1833, op. cit., p. 87.

27 Emmanuel Fureix, La France des larmes : deuils politiques à l’âge romantique, 1814-1840,

Seyssel, Champ Vallon, 2009, p. 294.

28 Ibid., p. 295. 29 Ibid., p. 299. 30 Ibid., p. 300. 31 Ibid., p. 305.

Le problème de la censure gouvernementale a encore accentué l’ambiguïté de ladite révolution et de ses conséquences. À cet égard, Dumas retranscrit dans ses

Mémoires la préface et le discours où Victor Hugo dénonce la censure dont sa pièce

Le Roi s’amuse a fait les frais en 183232. « Est-ce qu’il y a eu en effet quelque chose qu’on a appelé la révolution de Juillet33 ? » s’interroge ce dernier, inquiet de la censure journalistique, littéraire, et en particulier théâtrale, qui sévit sous le nouveau régime. En 1832 déjà, les assauts sournois d’Anastasie minent cet « édifice, beau, quoique incomplet, qu’avait improvisé la révolution de Juillet34 », et ils peuvent préfigurer les lois de septembre 1835, qui mettront clairement fin à la législation libérale de 1830. Le gouvernement abuse de « cette disposition au repos et de cette crainte des révolutions nouvelles35 » qui caractérisent l’époque. Toutefois, plutôt qu’une indifférence généralisée pour les idées de liberté, Hugo invoque un besoin temporaire d’immobilité après les efforts révolutionnaires des « Trois Glorieuses » : La France a marché vite en juillet 1830 ; elle a fait trois bonnes journées ; elle a fait trois grandes étapes dans le champ de la civilisation et du progrès. Maintenant, beaucoup sont harassés, beaucoup sont essoufflés, beaucoup demandent à faire halte36.

Au-delà de leurs divergences politiques, Chateaubriand, Dumas et Hugo ont en commun de souligner l’inachèvement de l’événement, qui conserve néanmoins une fécondité et un prestige considérables : « l’éclair de juillet37 » l’emporte sur ses zones d’ombre. De manière symptomatique, leurs propos personnifient dans un même élan métaphorique la Révolution et la France, qui semblent avoir accompli en un temps très bref une succession d’exploits héroïques38. L’écriture littéraire du souvenir mobilise un langage symbolique et laudatif, qui emprunte à l’allégorie mythique. Elle peut en outre contribuer au mythe de Paris, né du choc des « Trois Glorieuses », comme l’ont montré Pierre Citron39 ou Patrice Higonnet :

Juillet 1830 fut une renaissance. En s’insurgeant comme un seul homme contre les velléités politiques de Charles X – Charles le Simple, comme le disait le poète (parisien) Béranger – la ville devint à ce moment même, et du jour au lendemain, mais durablement cette fois-ci, la capitale mythique et mondiale de la révolution, « notre mère40 ».

32 A. Dumas, Mes Mémoires. 1830-1833, op. cit., p. 967-973.

33 V. Hugo, [Préface du Roi s’amuse], cité par A. Dumas, Mes Mémoires. 1830-1833, op. cit., p. 968. 34 V. Hugo, [Discours prononcé devant le tribunal de commerce], cité par ibid., p. 979.

35 V. Hugo, [Préface du Roi s’amuse], cité par ibid., p. 972. 36 Id.

37 J. Michelet, « Préface de l’Histoire de France (1869) », Œuvres complètes, IV, op. cit., p. 11. 38 Voir notamment les citations précédentes : la « révolution a prononcé un arrêt contre tous les

trônes », « un pas énorme a été fait » ; la France « a marché vite en juillet 1830 ; elle a fait trois bonnes journées ; elle a fait trois grandes étapes ».

39 Cf. Pierre Citron, La Poésie de Paris dans la littérature française de Rousseau à Baudelaire, Paris,

Éditions de Minuit, 1961.

40 Patrice Higonnet, Paris, capitale du monde : des lumières au surréalisme, Paris, Tallandier, 2005,

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Bien des auteurs du siècle – surtout avant Juin 1848 – pérennisent à leur manière le « brusque élan du mythe de Paris41 » déclenché par la Révolution de Juillet : Victor Hugo et Pétrus Borel, parmi d’autres. Dans son ode « À la Colonne », le premier salue « ce puissant Paris qui fermente et bouillonne42 ». Chez le second, la nuit du 28 au 30 juillet fait de la capitale un « cratère43 » où « un clair de lune nouveau44 » révèle les atrocités du cléricalisme.

Le mythe vallésien de Paris, en grande partie hérité de la mythologie hugolienne, se développe essentiellement à partir de la Commune de 1871. De manière inédite, la capitale acquiert alors une dimension lyrique et symbolique. Une fois encore, la « force du mythe vient de l’Histoire même45 ». Mais Vallès n’est pas un grand adepte des images romantiques et des métaphores grandiloquentes, surtout avant 1871, en particulier lorsqu’il s’agit des « Trois Glorieuses ». Il ne déroge pas seulement au « mythe de 1830 » ; il va jusqu’à éluder l’événement lui-même, qui se signale avant tout par son absence, voire par son insignifiance. Né en 1832, le futur insurgé n’a pas vécu personnellement ces journées historiques et ne peut pas les relater « de l’intérieur », comme l’a fait Dumas, sauf à utiliser les artifices de la fiction. Il les évoque donc plutôt à travers les trajectoires d’autrui. Dans un article du

Figaro daté de juillet 1865, la journée du 27 juillet 1830 devient un épisode biographique qui immerge le lecteur dans l’enfance du saltimbanque Bâtis :

Bâtis, le 27 juillet 1830, se trouvait avec sa mère sur la place du Châtelet, faisant des tours de physique amusante, avec trois gobelets, cinq muscades, rien dans les doigts, rien dans les poches, un sac à la malice sur le ventre. À côté était une caisse sur laquelle il battait pendant les entractes pour attirer le monde.

Il venait, à ce moment, d’exécuter sur la peau d’âne des rra et des flla à étonner un tambour-maître, quand passa tout un bataillon d’insurgés.

Ils avisent le petit tambour, et le chef du groupe va droit à lui. « Sangle ta caisse, dit-il, marche devant nous, et bats la charge ! »

Il fallait passer le pont d’Arcole sous le feu des royaux. Les insurgés passèrent avec le petit saltimbanque à leur tête. Coiffé d’un chapeau gris que terminait la queue de lapin traditionnelle, vêtu d’un bourgeron à carreaux rouges, il battait la charge. Derrière lui, les insurgés chantaient La Marseillaise46.

41 Ibid., p. 66.

42 V. Hugo, « À la colonne. II », Les Chants du crépuscule [1836], Œuvres complètes. Poésie I, Paris,

Robert Laffont, 2002, p. 698.

43 Pétrus Borel cité par P. Higonnet, Paris, capitale du monde : des lumières au surréalisme, op. cit.,

p. 63.

44 Id.

45 R. Bellet, « Rue de Paris et tableau de Paris, vieux Paris et Paris révolutionnaire chez Vallès »,

dans Paris au XIXe siècle. Aspects d’un mythe littéraire, préface de R. Bellet, Lyon, Presses

universitaires de Lyon, 1984, p. 139.

46 J. Vallès, « Bâtis », « La banque et les banquistes. Scènes de la vie étrange », Le Figaro, 20 juillet

Ce micro-récit, proche de la saynète musicale, transpose pour ainsi dire l’événement historique sur un « mode mineur ». Il ne reprend pas la Révolution de Juillet dans son ensemble, mais se focalise sur l’un de ses épisodes insurrectionnels : le franchissement du pont d’Arcole, qui permit au peuple de prendre l’Hôtel de Ville. À l’époque, le combat revêt presque aussitôt une dimension légendaire : « Arcole » serait le nom de guerre d’un jeune polytechnicien ayant courageusement planté un drapeau tricolore sur le pont et péri sous les balles des troupes royales. Il confine au mythe et fait très rapidement l’objet de nombreuses représentations artistiques,

comme les peintures d’Eugène Delacroix et d’Amédée Bourgeois, ou le poème de

Casimir Delavigne intitulé « Une semaine de Paris47 ». Vallès déplace en outre l’événement du côté de l’anecdote comique. En lieu et place du héros « Arcole », le jeune Bâtis s’avance pour battre la charge à la tête des insurgés, mais il est « poussé » par le hasard des circonstances. L’événement historique est-il un prétexte pour enrichir la galerie des saltimbanques d’un portrait avantageux, à l’appui d’un récit qui frise le conte héroï-comique ? À l’inverse, l’historiette sert-elle un regard décentré, voire burlesque, sur la grande Histoire ? Dans ce cas, il pourrait s’agir – en creux – de rabaisser dans un registre parodique l’événement auquel faisait déjà écho l’épisode, à savoir la fameuse « bataille d’Arcole », conduite par Napoléon Bonaparte du 15 au 17 novembre 179648. L’hésitation demeure ; le texte vallésien peut être sous-tendu par ces différentes intentions, qui ne sont pas nécessairement contradictoires. Toujours est-il que l’événement n’est revêtu d’aucune ampleur historique et qu’il peine à exister en tant que tel. De surcroît, la date est erronée : les faits réels datent du 28 et non du 27 juillet. Volontaire ou non, l’erreur est le symptôme d’un récit historique qui manque de sérieux. C’est pourtant l’un des passages vallésiens qui s’étendent le plus au sujet des « Trois Glorieuses ». Dans le même article, le récit suivant – consacré au saltimbanque Julien Gillaud – se limite à une simple mention de l’année « 183049 » et du gouvernement de Juillet. Il n’est plus question de révolution ou d’insurrection ; ces références servent avant tout à inscrire les débuts du saltimbanque dans un contexte historique qui participe à la vraisemblance biographique. À la rigueur est-il possible d’entrevoir une allusion ironique au « règne50 » de Louis-Philippe, qui a lui aussi commencé en 1830. Marquant l’inauguration et non la fin d’une souveraineté monarchique, la date apparaît alors bien peu révolutionnaire. S’il faut parler de « révolution », la dénomination est aussi galvaudée que lorsque Vallès dénonce la continuité carcérale de l’enseignement malgré les événements historiques : « et l’on nous a enfermés dans des endroits qui s’appellent collèges sous la monarchie, et lycées après les révolutions51 ».

Dans toute la production vallésienne comprise entre 1857 et 1870, la révolution de 1830 est présentée comme la cause explicite d’un seul changement

47 Publiée dans La Revue de Paris.

48Le jeune polytechnicien se serait souvenu du drapeau porté par Bonaparte au pont d’Arcole, en

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