Nicole Mallet
Les
e x p o r t a t io n s
de
silex
Nicole Mallet
Q uand ont été reprises, dans les années 1970, les recherches sur la région du Grand-Pressigny, un nouvel inventaire des outils pressigniens exportés é ta it lancé au colloque d e St-Am and-M ontrond en 1978, c e t inventaire a ya n t pour o b je ctif d e faire un ta n t soit peu la lumière sur c e problèm e des exportations de silex qui a été l'objet de ta n t d e querelles e t de controverses durant plus d e 60 ans. Certes un premier inventaire a va it été réalisé dès la fin du XIXe siècle e t présenté lors du Congrès préhistorique d e France à Tours en 1910. Mais sans fo ndem en t scientifique, c e t inventaire, essentiellement épistolaire, é ta it loin d'avoir em porté la conviction. L'actuel recensem ent s'appuie désormais sur des études géologiques e t pétrographiques qui perm ettent enfin de définir le silex Turonien supérieur de la région du Grand-Pressigny e t d e le reconnaître éloigné d e son lieu d'extraction.
Résultats actuels et limites des exportations de silex
Réalisé sur le long term e par quelques bénévoles e t un é tu d ia n t du C entre d'Études et de D ocum entation Pressigniennes, c e t inventaire reste à co m p lé te r sur le Sud e t Sud-Ouest de la France. Néanmoins il co m p te à c e jour près de 5500 pièces déterm inées e t recensées sur fiches spécifiques do n t :
- 1550 proviennent des villages littoraux des lacs d e Suisse o ccidenta le, du Jura e t des Alpes ainsi que des rives d e la Saône. Recueillis dans des fouilles récentes sur des gisements p arfaitem en t datés par la dendrochronologie, un tiers de ces outils perm et d e suivre p e n d a n t près d e 400 ans, soit entre 2850 e t 2450 à 2400 av. J.-C., l'importation et l'utilisation des silex du Grand-Pressigny.
- 189 ont été recensées dans le Nord-Ouest de l'Europe : Belgique, Pays-Bas, Luxembourg e t Nord-Ouest d e l'Allemagne, toutes situées dans la m êm e fourchette chronologique, soit entre 2850 e t 2400 av. J.-C. - 2135 proviennent de prospections e t d e gisements du Néolithique final du Bassin Parisien.
- 308 ont été recensées dans le Massif Arm oricain ta n t en co ntexte dom estique qu e funéraire.
Les limites actuelles des exportations sont au nord e t à l'est : la Weser et l'Allem agne Rhénane. Les silex
pressigniens ne sem blent pas avoir franchi les Pyrénées et les Alpes bien que deux poignards en silex du G rand- Pressigny a ient été recueillis lors de prospections e t recherches, dans le Valais à 2500 e t 2600 m d'altitude, dans des lieux situés à proximité de cols. Dans le Sud-Est d e la France, les outils en silex du Grand-Pressigny les plus méridionaux ont été déterminés dans le Gard, mais aussi dans la Drôme e t le Vaucluse, où quelques éléments pressigniens proviennent des fouilles préventives effectuées sur le tra c é du TGV Méditerranée. Dans le Sud- Ouest, où le recensem ent n'est pas achevé, un outil pressignien a é té trouvé à Mont-de-Marsan, un dans le Tarn e t un enfin dans les Pyrénées Atlantiques.
Dans certaines régions, les exportations dim inuent dès que l'on s'éloigne du Grand-Pressigny. C'est le cas pour le Sud et le Nord-Est d e la France, en particulier en Picardie e t surtout C ham pagne-Ardennes et le Nord- Ouest d e l'Europe.
Bien que l'inventaire ne soit pas encore terminé, on voit déjà apparaître certaines concentrations dans certaines régions telles que la Beauce, le Gâtinais oriental e t la Brie, par exem ple ; ces concentrations qui s'esquissent actuellem en t sont sans d o ute le fa it d'une forte im plantation au Néolithique, chacun des nom breux villages fo nctionn ant vraisem blablem ent com m e a u ta n t d e relais économ iques pour les produits pressigniens.
Le matériel pressignien exporté
Le matériel pressignien recensé dans le Centre-Est d e la France, le Nord-Ouest d e l'Europe e t le Bassin Parisien se trouve être d'une rem arquable hom ogénéité e t com prend exclusivement des produits déjà débités. Là co m m e ailleurs nous n'avons jamais d é ce lé la moindre tra ce d e m atériau brut exporté au Néolithique.
Contrôle des ressources
Seuls en effet les néolithiques des régions situées dans un rayon d'une cinquan taine d e kilomètres des ateliers pressigniens sont venus s'approvisionner eux-mêmes e t o n t parfois em porté quelques blocs ou rognons, parfois une à deux « livres de beurre » qu'ils n'ont d'ailleurs pas utilisées ; mais ils n'ont jamais taillé de grandes lames, c e tte m éthode d e débitag e, sans nul d oute réservée à quelques maîtres tailleurs, leur éta n t inconnue.
Par ailleurs, l'outillage recensé est essentiellement constitué d e poignards qui a v e c leurs fragments représentent la majorité du matériel im porté dans toutes les régions concernées. Et si on ajoute à c e groupe des poignards, les outils de réutilisation fabriqués sur des fragments d e poignards, les outils sur lame représentent environ 90 à 92 % du matériel im porté ; les éclats, tous d'ailleurs provenant de la préparation des nucléus « livre d e beurre », et d e rares outils sur éclats (grattoirs, racloirs) ou sur lames courtes (scies à encoches) constituent le reste d e ces importations ; cela sans variation durant près de 400 ans, entre 2850 et 2450 avant J.-C. ta n t en Suisse, dans le Benelux, la Bourgogne e t toutes les régions étudiées.
Ces exportations, attestées sur une telle période, m ontrent que les ateliers pressigniens n'ont pas diversifié leur production durant ces 4 siècles du moins.
La seule différence notable se situe, par exem ple en Armorique, entre sépulture e t habitat. En contexte funéraire dom inent les poignards, souvent d e très belle fa ctu re com m e ceux des peuples d e la Culture des tom bes individuelles des Pays-Bas e t d'A llem agne du Nord. En contexte domestique, le matériel est souvent fra g m e n té e t les lames maintes fois réam énagées en outils divers de type racloirs, grattoirs, poignards courts ; co m m e si c e matériau lointain et d e bonne qualité qu'est le silex du Grand-Pressigny ne d e va it être ni gâché, ni a band onné.
Sous quelle forme c e matériel a-t-il quitté les ateliers pressigniens ?
Ce ne sont pas des lames brutes, b e a u co u p trop irrégulières à notre avis, qui ont été exportées mais des lames régularisées d e form e quasi standardisée, ainsi que l'attestent certains fragm ents d e grandes lames retrouvées dans tel ou tel site et non encore réutilisé, ainsi qu e l'attestent é galem en t les 17 lames régularisées du célèbre d é p ô t d e Moigny dans l'Essonne.
À c ô té d e ces lames régularisées, o n t été exportés mais en nom bre b e a u c o u p moins im portant quelques lames courtes et des poignards à dos polis e t à retouches en éch a rp e qui sem blent avoir été très prisés par certaines populations, notam m ent les peuples d e la céram ique C ordée de Suisse orientale e t ceux déjà cités d e la Culture des tom bes individuelles des Pays-Bas e t d'Allemagne,
Les contextes et datations
La production des ateliers e t leur exportation s'inscrit dans un contexte économ iqu e particulier qui a ffe c te l'ensemble de l'Europe au milieu du IVe millénaire e t surtout au IIIe millénaire.
Les fouilles et travaux récents en Suisse o cc id e n ta le e t dans le Jura ont m ontré que des exportations de lames courtes provenant de l'Yonne e t d e la vallée du Cher existent déjà au Néolithique récent, dans les niveaux du Horgen, tandis que les grandes lames pressigniennes n'arrivent q u 'a ve c le groupe de Lüscherz, vers 2850 av. J.-C.
Toutefois, les toutes premières exportations d e lames pressigniennes sont attestées dans le Jura g râce aux travaux d e P, e t A.-M. Pétrequin. En effet, une lam e dite « ordinaire » en silex du Grand-Pressigny e t débitée, d'après J. Pelegrin, sur nucléus semi conique provient du site d e Chalain IV, Phase Clairvaux-Ferrières, dans un niveau d a té d e 3040 av. J.-C. De m êm e Ewen Ihuel a déterm iné en Bretagne des lames débitées sur nucléus con iq u e au sein du matériel archéologique des plus anciennes tom bes arm oricaines datées de la seconde m oitié du IVe millénaire.
D'autre part, deux lames des niveaux anciens du village d e La Motte-aux-Magnins à Clairvaux-les-Lacs, dans le Jura, ont été débitées sur des nucléus spécifiques à crêtes antérolatérales e t plan d e frappe opposés (J. Pelegrin à paraître). Ces deux lames sont situées dans un niveau désormais d a té par la dendrochronologie d e la fin du Néolithique récent entre 2985 et 2965 av. J.-C. En Bretagne égalem ent, E, Ihuel a identifié quelques lames de c e typ e mais dans des sépultures e t niveaux difficiles à d a te r du fait d e leur réutilisation à différentes périodes du Néolithique.
Ainsi les ateliers du Grand-Pressigny, réputés pour leur production de longues lames débitées sur nucléus « livre d e beurre » et lames plus courtes provenant d e nucléus plats, production bien située entre 2850 e t 2450 av. J.-C., o n t exporté quelques siècles auparavant, en plus petit nom bre e t vers certaines régions, des lames un peu plus courtes obtenues par d é b ita g e d e nucléus con iq u e puis un peu plus tard par d é b ita g e de nucléus à crêtes antérolatérales.
Nicole Mallet
Fig. t. Trois la m es régularisées des d é p ô ts d e M o ig n y e t d e B o u tig n y d é co u ve rts da ns l'Essonne