2.13 Théorème d’Artin
Références : A. Jeanneret, D. Lines, Invitation à l’algèbre, Cépaduès, 2008, J. Calais, Extensions de corps, théorie de Galois, Ellipses, 2006.
Leçons concernées : 125, 151, 162.
Théorème 1 (Artin). 1 Soit L un corps et soit H un sous-groupe fini du groupe des automorphismes de L. Alors si on note LH :“ tx P L | pxq “ x, @ P Hu, L{LH est une extension finie de degré rL : LHs “ |H|.
Lemme 2 (Dedekind). Soit n • 1, K, L deux corps, et soit '1, . . . , 'n : K Ñ L n homo-morphismes de corps distincts. Alors p'1, . . . , 'nq est libre sur L.
Démonstration. On suppose par l’absurde que p'1, . . . , 'nq n’est pas libre et on se donne p 1, . . . , nq P Lnzt0u avec un nombre minimal r d’éléments non nuls tel que∞ni“1 i'i“ 0. On remarque que nécessairement r • 2, et quitte à renuméroter, on peut supposer que
1, . . . , r ‰ 0 et∞ri“1 i'i “ 0. Soit y P K tel que '1pyq ‰ '2pyq. On a, pour x P K, r ÿ i“1 i'ipxq “ 0 (1) r ÿ i“1 i'ipxyq “ r ÿ i“1 i'ipxq'ipyq “ 0. (2)
On réalise alors p2q ´ '1pyq ˆ p1q et on obtient r
ÿ i“2
i`'1pyq ´ 'ipyq˘'i “ 0
ce qui nous fournit une contradiction par minimalité puisque 2p'1pyq ´ '2pyqq ‰ 0. Démonstration (Théorème). On pose m “ rL : LHs (éventuellement infini) et n “ |H|. On veut montrer que m “ n.
Étape 1 : m • n. On suppose par l’absurde que m † n. On se donne px1, . . . , xmq une LH-base de L et on note 1, . . . , nles éléments de H. On considère le système d’équations
1pxjqy1` ¨ ¨ ¨ ` npxjqyn“ 0, j P r|1, m|s.
Puisque le nombre d’inconnues est strictement supérieur au nombre d’équations, il existe une solution non nulle py1, . . . , ynq au système. Alors, pour tout x “ ∞mj“1 jxj P L avec
j P LH, n ÿ i“1 yi ipxq “ n ÿ i“1 m ÿ j“1 yi ipxjq j “ m ÿ j“1 j ´ÿn i“1 yi ipxjq ¯ “ 0
1. D’après le mathématicien autrichien Emil Artin ([artin]).
ce qui est absurde d’après le lemme précédent.
Étape 2 : m § n. On suppose par l’absurde que m ° n, alors il existe une famille px1, . . . , xn`1q de L libre sur LH. Par le même raisonnement que précédemment, il existe une famille non nulle py1, . . . , yn`1q de L telle que
ipx1qy1` ¨ ¨ ¨ ` ipxn`1qyn`1“ 0, @i P r|1, n|s.
On choisit py1, . . . , yn`1q tel que le nombre r de ses composantes non nulles soit minimal, et quitte à renuméroter on suppose que y1, . . . , yr ‰ 0 et yr`1, . . . , yn`1 “ 0, et on suppose que y1 “ 1, ce qui nous donne le système
ipx1q ` ¨ ¨ ¨ ` ipxrqyr “ 0, @i P r|1, n|s. (3) On fait alors agir P H sur le système, pour obtenir
p ipx1qq ` ¨ ¨ ¨ ` p ipxrqq pyrq “ 0, @i P r|1, n|s
et puisque ⌧ fiÑ ˝ ⌧ réalise une permutation des éléments de H le dernier système est équivalent à
ipx1q ` ¨ ¨ ¨ ` ipxrq pyrq “ 0, @i P r|1, n|s. (4) On réalise alors p3q ´ p4q ce qui nous donne
ipx2qpy2´ py2qq ` ¨ ¨ ¨ ` ipxrqpyr´ pyrqq “ 0, @i P r|1, n|s.
On a alors, par minimalité de r, yj ´ pyjq “ 0 pour j P r|2, r|s, c’est-à-dire que pour tout jP r|2, r|s, yj P LH. L’équation p3q pour i P r|1, n|s tel que i“ idL devient alors
x1` x2y2` ¨ ¨ ¨ ` xryr “ 0
ce qui nous fournit une absurdité, par hypothèse sur px1, . . . , xn`1q puisque yj P LH. Corollaire 3. Soit L un corps et soit H un sous-groupe fini du groupe des automorphismes de L. Alors H est le groupe des LH-automorphismes de L, c’est-à-dire GalpL{LHq “ H. Démonstration. On note G “ GalpL{LHq. On a immédiatement H Ä G. Montrons que G est fini. Soient a1, . . . , anune LH-base de L, mi les polynômes minimaux sur LH respectifs des ai, et f “ m1¨ ¨ ¨ mn. On note R l’ensemble des racines de f dans L. R contient évidemment ta1, . . . , anu, et donc puisqu’ils constituent une LH-base de L, P G est entièrement déterminé par ses valeurs sur R. Ainsi, l’application
G Ñ SpRq
ބ |R
est injective, et donc puisque R étant fini, SpRq est fini, G est fini. 45
Or on a les inclusions LH Ä LG Ä L par définition de G, et LGÄ LH Ä L car H Ä G. Ainsi LG“ LH, et le théorème précédent appliqué à G et H nous donne
|G| “ rL : LGs “ rL : LHs “ |H| et donc G “ H.
Ce théorème s’inscrit dans la théorie de Galois, dont nous donnons quelques éléments afin de mettre en contexte le sujet.
Définition 4. On rappelle que si L{K est une extension de corps, on note GalpL{Kq l’ensemble des K-automorphismes de L, c’est-à-dire
GalpL{Kq “ P AutpLq | |K “ idK(.
Étant donné une extension L{K, on note F l’ensemble des corps intermédiaires de L{K et H l’ensemble des sous-groupes de GalpL{Kq. Pour H P H, on note InvpHq le sous-corps fixe de L par H l’ensemble
InvpHq “ xP L | @ P H, pxq “ x(.
On vérifie que InvpHq est un corps intermédiaire de L{K pour tout H P H et que pour tout F P F, GalpL{F q est un sous-groupe de GalpL{Kq. On peut donc considérer les applications
Gal : F Ñ H
F fiÑ GalpL{F q , Inv : H Ñ F H fiÑ InvpHq.
Définition 5. On dit qu’une extension L{K est galoisienne si elle est algébrique et que K“ InvpGalpL{Kqq.
Le théorème d’Artin permet de montrer un premier théorème qui caractérise les exten-sions galoisiennes de degré fini.
Théorème 6. Pour toute extension L{K, les assertions suivantes sont équivalentes (i) L{K est galoisienne de degré fini
(ii) L{K est de degré fini, normale et séparable (iii) GalpL{Kq est fini et K “ InvpGalpL{Kqq.
Lorsqu’une de ces conditions est vérifiée on a de plus | GalpL{Kq| “ rL : Ks. Exemple. (i) Les extension C{R et Qp?2q{Q sont galoisiennes.
(ii) L’extension Qp?3
2q{Q n’est pas normale donc n’est pas galoisienne. Le théorème permet également d’obtenir la proposition suivante.
Proposition 7(correspondance de Galois). Pour toute extension L{K, les deux assertions suivantes sont équivalentes
(i) L{K est galoisienne de degré fini
(ii) L{K est de degré fini et les applications Gal et Inv sont des bijections réciproques l’une de l’autre.
Démonstration (partielle). L’implication piiq ñ piq est évidente. On montre que si on sup-pose piq, alors Gal ˝ Inv “ Id. D’après le théorème précédent, par hypothèse, GalpL{Kq est fini, ainsi, tout H P H est fini, et on peut donc lui appliquer le corollaire du théorème d’Artin pour obtenir H “ GalpL{ InvpHqq “ Gal ˝ InvpHq.
On donne enfin le théorème central de la théorie de Galois.
Théorème 8 (fondamental de la théorie de Galois). Soit L{K est extension galoisienne de degré fini. Si F est un corps intermédiaire pour cette extension, alors
(1) L{F est une extension galoisienne de degré fini (2) rF : Ks “ rGalpL{Kq : GalpL{F qs
(3) les assertions suivantes sont équivalentes (i) F {K est normale
(ii) GalpL{F q Ÿ GalpL{Kq (iii) F {K est galoisienne.
Remarque. La théorie de Galois a de nombreuses applications, notamment dans l’étude des polygones constructibles, et la résolution des équations par radicaux.
Commentaire :voir aussi les notes de J. Le Borgne sur le sujet.