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Comprendre l'éclectisme

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Academic year: 2021

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HAL Id: hal-01910344

https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-01910344

Submitted on 31 Oct 2018

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Comprendre l’éclectisme

Jean-Pierre Epron

To cite this version:

Jean-Pierre Epron. Comprendre l’éclectisme. [Rapport de recherche] 705/91, Ministère de l’équipement, du logement, de l’aménagement du territoire et des transports / Bureau de la recherche architecturale (BRA); Ministère de la recherche et de l’enseignement supérieur; Ecole nationale supérieure d’architecture de Nancy; Institut français d’architecture. 1991. �hal-01910344�

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T-c5>

Institut Français d'Architecture Ecole d'Architecture de Nancy

COMPRENDRE L’ECLECTISME

JE A N -P IE R R E EPRO N

C onvention n 3 87 01 266 00 223 75 01 M ELA TT-D A U -D EA R -B R A

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Rapport correspondant à la convention N° 87 01 266 00 223 75 01 Titre original : LA FIN DE L'ECLECTISME

Notification : 9 Octobre 1987

Le présent document constitue le rapport final d'une recherche remise au Bureau de la Recherche Architecturale en exécution du programme général de recherche mené par le M inistère de l'Equipement, du Logement, de l'Aménagement du Territoire et des Transports avec le Ministère de la Recherche et de l'Enseignement Supérieur. Les jugem ents et opinions ém is par les responsables de la recherche n'engagent que leurs auteurs.

Responsable scientifique et auteur : Jean-Pierre EPRON (pour l'Ecole d Architecture de Nancy) qui tient à remercier Jacques ROSEN, Gwënael DELHUM EAU, Yves GRUPPO et Francis BRIERE pour l'aide qu'ils lui ont apportée dans l'élaboration de ce document ; ainsi que Nadia AMRI pour la saisie des textes et la mise en page.

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SOMMAIRE

INTRODUCTION

PREMIERE PARTIE : LES TROIS DISCUSSIONS DE L'ECLECTISM E

CHAPITRE I : LE DEBAT TECHNIQUE 1) Le débat sur la description 2) Le débat sur la structure

3) Le débat sur l'enseignement de la construction Notes et illustrations

CHAPITRE II : LE DEBAT SUR L’HISTOIRE 1) Le débat sur la référence

2) Le débat sur le corpus de référence 3) Le débat sur le principe de composition Notes et illustrations

CHAPITRE III : LE DEBAT POLITIQUE 1) Le libéralisme français 2) Le libéralisme républicain Notes et illustrations PageS Page 31 Page 35 Page 38 Page 45 Page 56 Page 66 Page 77 Page 80 Page 87 Page 92 Page 101 Page 113 Page 118 Page 126 Page 134

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CHAPITRE I : L'ECOLE DE L'ECLECTISME 1) L'institution

2) Cours et concours : la pratique des élèves 3) Enseignement et profession Notes et illustrations CHAPITRE II : LA PROFESSION 1) La Société Centrale 2) La Société Nationale 3) L'Association Provinciale Notes et illustrations

CHAPITRE III : LA CRITIQUE 1) Les concours 2) Les salons 3) Les revues Notes et illustrations C O N C LU SIO N Page 153 Page 156 Page 166 Page 174 Page 180 Page 191 Page 193 Page 196 Page 198 Page 202 Page 213 Page 217 Page 226 Page 233 Page 249 Page 265

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INTRODUCTION

L ’éclectisme est une démarche... une attitude de l’esprit, une aptitude à la discussion, un parti pris de ne soumettre son action à aucun dogme ; c ’est une recherche passionnée et patiente de la vérité, à travers de multiples vérités possibles, un effort vers la beauté sans autres guides que les arguments que les uns et les autres échangent à son propos, une exigence enfin de l’utilité pratique de toute action et de tout choix. Le Beau, le Vrai, l’Utile telle est la devise que Constant-Dufeux a proposé pour la société des architec­ tes reprenant celle que César Daly proposait pour l ’éclectisme en architecture et qui est elle-même empruntée à Victor Cousin, l’inventeur de l ’éclectisme.

L ’éclectisme est pragmatique, concret, efficace, moderne. 11 carac­ térise cette démarche des architectes du XIXe siècle qui, pour situer chronologiquement la période que nous considérons ici, depuis la monarchie de Juillet et l’arrivée au pouvoir des historiens et de libéraux, poursuivent jusqu’à la fin du siècle et pratiquement ju sq u ’à la veille de la guerre de 1914 un vaste débat, technique historique et social, dont les arguments parfois contradictoires, souvent approximatifs ou spécieux servent de référence pour produire l ’architecture de leur temps. 1830-1914, le temps de l’éclectisme en architecture, ou plutôt, une période parmi tant d ’autres qui dans l’histoire de l’architecture ont été caractérisées par cette même démarche des constructeurs -curieux, peu soucieux des dogmes et audacieux dans la transgression des règles.

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L ’éclectisme des architectes du XIXe siècle est le temps d ’un élec- tisme moderne dont il est encore difficile de dire si les mouvements du «Mouvement Moderne» l’ont vraim ent fait disparaître.

Il faut d ’abord distinguer l ’éclectism e de l’indifférentisme. Si l ’éclectisme n ’est pas un style, il n ’est pas non plus n ’importe quel style ravivé dans une version moderne, emprunté, copié, ou imité par n ’importe quel architecte suffisam m ent habile ou connaisseur pour faire, à la demande, roman, gothique, byzantin ou chinois. La querelle qui met aux prises les gothiques et les classiques pour la construction du Ministère des Affaires Etrangères à Londres en 1857 illustre l’indifférentisme. A la suite du concours qui donne la victoire au style classique, Scott, classé second dans la compétition avec un projet néo-gothique fait un tel scandale et une telle campagne en faveur du style gothique, q u ’il obtient, sous la pression du public, le déclassement du lauréat et finalement la commande... il réalisera néanmoins le projet en style classique à la demande formelle du commanditaire. Cette «bataille des styles» pour aussi célèbre q u ’elle soit, n ’est pas le point de départ de l’éclectisme en architecture. Elle démontre la relation qui s ’établit à propos de l’architecture, entre l ’opinion des politiques et l’opi­ nion publique et comment certains architectes, entre les deux, parlent de l’architecture et démontrent leur projet., qu ’ils peuvent indifféremment concevoir et réaliser en style gothique ou en style classique.

L ’éclectisme n ’est pas une forme parmi d ’autre de l’historicisme, cette manière qu ’auraient les architectes de s’inspirer de l ’histoire de l’architecture, d ’emprunter aux époques passées règles et for­ mes, de faire revivre, pour exprimer l’époque où ils sont, un passé plus ou moins lointain, et donner une leçon de modernité en racontant la leçon supposée d ’une construction ancienne.

Si historicisme et revivalism ont leur place dans la démarche éclectique, ils ne se confondent pas avec lui. L ’historicisme en architecture est le fait de concevoir et de construire un édifice dans le style caractéristique d ’une époque déterminée. Bien sûr, il s’agit toujours d ’une interprétation stylistique ; aucun style ne s’est jamais constitué d ’une manière suffisamment homogène et immé­

diate pour qu'on puisse ultérieurement en reconstituer le vocabu­ laire et la grammaire.L’historicisme relève du pastiche architectu­ ral. Il consiste d ’abord, précisément à reconstituer, en une synthèse toujours approximative, les éléments diversifiés d ’un ensemble d ’œuvres qui, à travers l’histoire, ont fait l’objet d ’une classifica­ tion stylistique en référence à des critères toujours révisables. Cette reconstitution d ’un «style» étant faite, le problème de l ’histori­ cisme est d ’v placer un édifice moderne de telle sorte q u ’il semble lui appartenir authentiquement.

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Le problème du revivalism, lié à l ’historicisme est d ’attribuer à cet édifice ainsi pastiché, le sens, les valeurs ou les significations qui sont liés à ce style. La transplantation du sens attribué à un style dans une œuvre moderne relève des représentations qui, à un moment donné, sont construites et diffusées auprès du grand public d ’un style et de l ’époque à laquelle il est supposé être lié. Le

revivalism est précisément ce travail de l’idéologie qui consiste à construire des représentations de l’histoire et les utiliser dans la fabrication des représentations sociales utiles à des projets politi­ ques et culturels. L ’éclectisme en architecture procède d ’une attitude complètement différente. Son objet n ’est pas d ’inscrire l’édifice moderne par le moyen du pastiche, dans une construction idéologique de l’histoire, mais au contraire de placer l ’édifice moderne dans le contexte de sa propre histoire ;

L ’une et l ’autre démarche, historicisme et éclectisme, correspon­ dent à un moment où dans l’histoire de l ’architecture n ’existe pas ou n ’ existe plus une doctrine architecturale suffisamment reconnue pour imposer, comme allant de soi, la forme des édifices q u ’il faut construire.L’historicisme renonce à la possibilité d ’une doctrine nouvelle et, délibérément, inscrit l ’architecture dans un style au­ quel est attribué la valeur d ’une doctrine. L ’eclectisme prend acte de l’absence d ’une doctrine suffisamment forte pour soutenir le travail de conception des édifices modernes et, en l’absence de doctrines et d ’institutions, accepte d ’emprunter à divers styles des éléments qu ’il compose entre eux pour répondre, à titre provisoire, à la demande de la société moderne. L ’éclectisme est le fait des architectes du début du XIXe siècle qui constatent l ’absence d ’une doctrine architecturale à la quelle il serait possible de rapporter leur projet, l’absence d ’une institution qui, d ’une manière ou d ’une autre, pourrait énoncer une doctrine nouvelle, et surtout l’absence d ’un statut professionnel qui explicitement les chargerait de conce­ voir les édifices et de les réaliser.

L ’éclectisme caractérise la démarche de ces architectes du XEXe siècle, qui après la période révolutionnaire ou après les révolutions morales et scientifiques du XVIIIe siècle, prennent conscience de leur identité professionnelle et découvrent que rien ne la fonde ni ne la garantit. Ils refusent la position de l’historicisme et d ’inscrire l’architecture dans les idéologies q u ’il véhicule. L ’éclectisme est une réponse des architectes à une situation institutionnelle et politique singulière.

L ’architecture certes n ’a pas attendu pour exister qu ’apparaisse une profession d ’architecte ni même un technicien se désignant ainsi et assurant cette fonction, fonction qui au cours du XIXe siècle sera définie comme spécifique, originale et autonome.

Tant q u ’il y aune sorte de consensus politique ou social, c ’est à dire un accord des responsables et des commanditaires pour construire

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suivant des règles inscrites dans l ’histoire et continuellem ent recodifiées pour être adaptées à la circonstance, l ’architecture déroule son histoire sans histoire, sans que se pose la question de désigner un groupe de techniciens qui serait en charge de la conception du projet et du contrôle de son exécution.

Bien sûr, les constructeurs se trouvent placés en situation perm a­ nente de conflit. Les uns cherchent à em piéter sur le domaine des autres. Au problème de construire est associé toujours d ’une manière ou d ’une autre le problème de contrôler l ’utilisation des ressources, le développement de la ville, l ’organisation de la vie des gens. La fonction constructive est une fonction de police et le pouvoir politique tantôt se fait complice des métiers auquel il fait délégation de pouvoir, pour faire le «guet», éteindre les incendies ou percevoir les impôts, tantôt du contraire, il persécute le construc­ teur et l’oblige à se soumettre au contrôle tatillon de son adminis­ tration.

Tout commence véritablement avec l’Académie d ’architecture et le règne de Louis XIV. La Surintendance des bâtiments et l’Acadé­ mie entreprennent une opération de mise en ordre du secteur de la construction.

Désormais une théorie de l ’architecture établira les règles du faire. Elle constituera un «savoip> authentique, s ’appuyant sur une exé­ gèse savante des traités écrits en latin ou en italien. Les lettrés prennent le pouvoir, et ils sont soutenus par le pouvoir qui entend mettre un terme à l’insupportable intrusion des métiers dans l’ordre judiciaire, par l’autorité qu’ils exercent sur les juridictions spécifi­ ques du bâtiment. Charpentiers et maçons exercent un véritable monopole de l’expertise qui les font juges et parties dans les procès. Dés la fin du XVIIIe siècle une règle en architecture s ’imposera aux règles de la construction qui désormais ne relèveront plus de l’autorité exclusive des charpentiers et maçons.

Les architectes du Roi, les 30 académiciens, auront cette charge d ’énoncer la théorie de la démontrer, et de l’adapter aux circonstan­ ces ou aux volontés du pouvoir. L ’Académie prendra en outre la responsabilité de l’enseigner c ’est-à-dire de former les hommes capables, à la fois de la renouveler et d ’en imposer l’ordre. C ’est un ordre qui, en établissant les régies de l ’architecture, impose aux constructeurs le contrôle du politique.

L ’éclectisme commence quand cet ordre se défait. Cette théorie de l’architecture dont nul ne songeait pendant le XVIIIe siècle à contester ni le bien-fondé philosophique ni la nécessité pratique, entre au début du XIXe, dans le domaine de la discussion.

Plus d ’institution pour garantir l’autorité de la théorie, plus de surintendance pour assurer la protection du pouvoir sur le corps des académiciens et plus d ’académiciens pour redire leur fidèle sou­ mission aux volontés du Roi.

Le point de dépan de l’éclectisme est la suppression des académies sous la pression de la commune des arts où David, député à la

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Convention, exerce une grande influence; puis la décision de la Convention de désigner un jury populaire pour se substituer au corps des académiciens. L ’architecture devient l’objet d ’une dis­ cussion publique par le fait d ’un jugem ent popuiaire.Avec elle l’ordre de la construction tout entier se trouve mis en question. Même si dans ce fameux jury, figurent des ci-devant académiciens, David Leroi, par exemple, et en tous cas des personnalités indiscu­ tables du monde savant comme Monge ou Rondelet, il est popu­ laire, parce que, nommé directem ent par l’autorité politique, il reçoit explicitement la fonction de mettre le débat sur l ’architecture sur la place publique : «Le jury se rassemble en séance publique dans le lieu même de l’exposition publique qui aura duré préalable­ ment cinq jours».

Le huis-clos dans lequel s ’énonçait l ’architecture a été brisé ce jour-là.

En fait, bien des évolutions rendaient désormais la théorie de l’architecture impossible,

et de toute façon même sans David et son acharnement contre l’Académie, l ’éclectisme serait apparu, parce que l ’architecture ne pouvait plus rester le fait du prince, ni la règle en architecture le fait d ’un groupe d ’architectes désignés par le pouvoir.

Le problème de l’éclectisme trouve son origine dans un problème politique, celui de la discussion qui accompagne l’établissement des règles de la construction et la prétention ou la volonté des architectes de les soumettre aux énoncés de l’architecture. Or il n ’est plus question pour les architectes de justifier l ’autorité qu’ils revendiquent sur le projet, par référence aux règles de l’architec­ ture, par référence à sa théorie ou à son principe, le «goût». Il leur faut désormais accepter de débattre «publiquement» et contradic­ toirement avec tous leurs adversaires potentiels et déclarés. Ce sera un débat difficile et long.

Ces architectes d ’abord n ’existent pas en tant que «corps consti­ tué», et leur projet de gouverner la construction, de dire le pro­ gramme de l’architecture c ’est-à-dire d ’ énoncer le projet politique d ’une société, leur sera contesté de tous côtés.

Ils débattirent même entre eux du problème de la meilleure straté­ gie pour l ’emporter sur leurs adversaire et ce débat interne fait rebondir le débat public. L ’architecture n ’est plus désormais le fait d ’une théorie, celle q u ’on a patiemment traduit de Vitruve. Elle résulte d ’une discussion sans fin au cours de laquelle chacun marchande sa place. Tout ce qui peut contribuer à fournir un argument aux uns ou aux autres est convoqué, le problème étant de justifier ces arguments, de les placer dans l’ordre de la vérité.

L ’architecture, pour contribuer à dominer la construction dans sa complicité avec le politique, doit continuer à dire le «VRAI». Les architectes empruntent eux-mêmes à la philosophie le terme d ’éclectisme parce qu ’ils sont dans la même situation, dans la même conjoncture que la philosophie. La théorie est désormais

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impossible, comme est impossible la philosophie dans son projet d ’énoncer la règle du monde. On ne peut plus q u ’en faire l’histoire et apprendre d ’elle ce qui, au m om ent où nous sommes, peut nous être utile. Victor Cousin fonde en France « l’histoire de la philoso­ phie» il développe la doctrine de l ’éclectisme dans les cours q u ’il prononce de 1815 à 1820 à l ’école normale, publiés en 1858, sous le titre Du vrai, du bien, du beau.

La fameuse devise q u ’adopte la Société centrale dès sa création en 1840, «le beau, le vrai et l ’utile», toujours gravée dans la façade de son immeuble de la rue Danton construit par Sédille, exprime le programme même de l’éclectisme, une recherche à travers tous les systèmes qui ont été proposés dans l’histoire pour dire la vérité du monde, des éléments qui peuvent être utiles pour dire la vérité d ’aujourd’hui. Les architectes du XIXe font inlassablement le commentaire de cette devise dans une discussion ouverte et tou­ jours renouvelée d ’arguments nouveaux.

Arnaud, le célèbre professeur de construction de l’Ecole Centrale et de l’Ecole des Beaux-Arts est un des théoriciens de l’éclectisme.Il construit le célèbre bâtiment de la Société Hennebique en face du siège de la Société Centrale et achève sa carrière éclectique par un livre dont le titre, sinon le contenu, résume ce qui est l ’essentiel de la démarche du siècle : A la recherche de la vérité.

Il faut rechercher l ’éclectisme, en effet, dans cette démarche dont le point de départ se situe dans le projet des architectes de mettre l’architecture au centre de la construction, à l’endroit même où se rencontrent la «technique» et la «politique», à la recherche d ’un projet pour la société.

L ’éclectisme apparaît au moment où l’architecte, orphelin d ’une institution, privé d ’une Académie pour le corriger, privé de la protection du pouvoir entreprend d ’exister en tant q u ’un person­ nage singulier, voué à une activité spécifique, chargé d ’exprimer l’intérêt public à un moment où, précisément, apparait la liberté d ’en discuter.

L ’histoire de l’éclectisme en architecture se confond avec celle des architectes et nous pourrons nous poser la question de savoir si, après la fin des architectes et celles des institutions q u ’ils ont construites pendant le XIXe siècle peut se poursuivre la démarche de l’éclectisme en architecture et de quelles discussions nouvelles il peut renaître.

L ’éclectisme en architecture s’inscrit bien dans cette discussion sur l’histoire qui marque le début du XIXe siècle, et engage la philo­ sophie elle-même à la suite de Victor Cousin, à s’intéresser davan­ tage à la manière dont se produisent les énoncés de la philosophie qu ’aux énoncés philosophiques eux-mêmes et tout le monde savant à s’intéresser aux contextes, aux situations et aux conjonctures.

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Une discussion technique

Mais l ’éclectisme en architecture est d ’abord une discussion sur la technique constructive.

Cette proposition surprendra ceux qui pensent l ’éclectisme comme un style en architecture, ou un mélange de styles caractéristique de la fin du siècle et plus ou moins associé à la fin de la»belle époque». L ’enjeu de la discussion qui aboutit à l ’éclectisme en architecture, à l’attitude puis aux diverses manières de l ’éclectisme que dévelop­ peront les architectes, est d ’abord d ’établir l’autorité des architec­ tes dans le processus de la construction et la prééminence de l ’architecture sur la technique.

Les architectes du début du XIXe ne se sont pas trompés de cible. S ’ils placent le débat dans l’histoire de l ’architecture ou dans sa théorie et s ’ils entretiennent des relations savantes avec l’archéo­ logie, ce n ’est pas pour justifier l ’élargissement ou la transforma­ tion du corpus de références architecturales mais bien pour argu­ menter la bataille q u ’ils entreprennent contre les entrepreneurs et les ingénieurs.

Le problème posé aux architectes est d ’occuper dans le processus construction la place de coordinateur. Leur référence pour justifier ce rôle q u ’ils revendiquent n ’est pas une compétence «scientifi­ que» q u ’ils ne sauraient pas d ’ailleurs justifier comme suffisante pour obtenir une autorité indiscutable sur le chantier, mais le projet lui-même q u ’ils sont explicitem ent chargés d ’établir et de faire exécuter.

Le projet comporte la conception ou l ’invention des nœuds de la construction, c ’est-à-dire de l’articulation entre les parties de l ’ouvrage qui ne relèvent pas de la même technologie. L ’assem­ blage entre les parties de l’édifice relève du projet architectural parce que la coordination sur le chantier entre les différents corps d ’Etat relève de l’autorité de l ’architecte.

L ’eclectisme en architecture commence par une discussion techni­ que dont l ’objet est de définir l’articulation entre des techniques différentes.

De ce point de vue, la situation à la fin du XVIIIe siècle est radicalement nouvelle et déjà l ’ancienne Académie s ’était mêlée de la discussion technique dans le but très évident de briser le carcan des modèles techniques q u ’imposaient les corporations. Mais après la révolution, et la suppression de l’organisation corporative, le champ est libre pour une compétition sauvage entre les acteurs de la construction.Qui va imposer sur le chantier sa loi et y soumettre le travail des autres ? La règle corporative étant abolie, qui va gouverner ?

Les architectes s ’introduisent dans cette conjoncture et très vite, comprennent que leur autorité doit reposer non pas sur la connais­ sance des techniques, mais sur l’art de les conjuguer, les

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compren-dre assez les unes et les autres pour savoir, dans le projet, les combiner.

Le cours de construction q u ’inaugure Rondelet correspond, déjà à cette problématique que développera son successeur Jaÿ à l ’Ecole des B e a u x -A rts d a n s un e n s e ig n e m e n t p ra tiq u e de la construction.Combiner ensemble les éléments de la construction, composer l’édifice par la définition d ’une juste relation de ses éléments structurels, fonctionnels et décoratifs.Le cours de cons­ truction et la pratique du projet com binent leurs effets pédagogi­ ques pour permettre l ’activité d ’un architecte coordinateur de travaux.

L ’éclectisme commence par cette position singulière de l ’archi­ tecte vis-à-vis de la construction : se distinguer des constructeurs, de tous les constructeurs possibles, pour s’em parer du pouvoir sur la construction.

Cette ambition, à laquelle les architectes resteront fidèles ju sq u ’à notre époque ouvre un difficile débat qui, bien sûr, ne restera pas longtemps sur le plan du «strictement technique».

On le comprend, l’enjeu de gouverner la construction en détenant la règle qui coordonne les constructeurs, est à la fois économique et politique.

A l’ambition des architectes s ’opposent celle des autres techniciens et celle des politiques, et les architectes se disputent vite entre eux pour saisir une place dont ils sentent bien q u ’elle ne pourra pas être occupée par tous ceux qui l ’ambitionnent.

Au combat que mènent les architectes contre leurs adversaires potentiels, ceux qui naturellement s'opposent à leur projet hégémo­ nique, s ’ajoute le combat fratricide ou s'opposeront divers groupes, diverses stratégies, diverses manières de penser, à la fois l ’objectif et le moyen de l’atteindre.

Ce débat technique qui commence avec Rondelet, mais qui est déjà engagé par Soufflot, se poursuit tout au long du siècle, de manière concrète et théorique, relayé par les groupes et les institutions, parfois arbitré par les pouvoirs publics, argumenté de mille maniè­ res. L ’écroulement de la tour de la cathédrale de St-Denis ou plutôt son prudent démontage marque le début d ’une querelle entre classiques et gothiques qui avant d ’être stylistique est une querelle sur la manière d ’analyser la stabilité de l’édifice et de concevoir précisément l’articulation de ses éléments.

L ’éclectisme technique «est un débat, parfois extrêmem ent violent entre diverses manières de concevoir et d ’analyser la stabilité de l’édifice. Dans ce débat s ’affrontent diverses stratégies pour obte­ nir et conserver la place de coordinateur. La manière de concevoir le projet architectural lui-même est un des enjeux de ce débat. C ’est pour cette raison que l’éclectisme en architecture est si difficile à comprendre par les formes architecturales.La discussion n ’est pas au niveau des formes, mais au niveau du faire, au niveau de la manière de penser le projet et l’activité de projet.

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- Le but n ’est pas d ’inventer un code, une théorie définitive, de défendre un style, mais de promouvoir une stratégie qui permette aux architectes de se construire une autorité technique, leur permet­ tant de contrôler l ’exécution des travaux sur le chantier.

- Le débat sur la construction où s'opposent les architectes ( Viollet- le-Duc, Lassus, de Baudot, Brune, Guadet, Arnaud) et qui se prolonge ju sq u ’à l ’époque de la reconstruction dans la polémique qui oppose Pol Abraham et ses adversaires autour de la question du rationalisme, se poursuit aujourd’hui encore en de multiples cir­ constances. C ’est dans une discussion technique et sur la technique q u ’apparait d ’abord l ’éclectisme en architecture.

Nous tenterons dans un premier chapitre d ’en circonscrire l’enjeu à défaut de pouvoir en faire l ’histoire.

Une discussion sur l’histoire

On comprend que la discussion sur la référence et l ’histoire n ’est pas indépendante de la première discussion sur la technique. Sans théorie possible, et au moment même on s’institue une chaire de théorie à l’Ecole des Beaux-Arts, l’architecture s ’interroge sur son histoire.

Vaudoyer, le secrétaire d ’une éphémère société d ’architecture, puis responsable de la création de la section architecture de l ’Ecole des Beaux-Arts, s ’essaie à l ’histoire. Retracer la vie des architectes éminents, décrire les monuments les plus célèbres q u ’ils ont construits, c ’est découvrir les racines de l ’architecture, en inventer le modèle institutionnel à défaut de pouvoir, comme les architectes l’ont réclamé un moment, «rétablir l’ancienne Académie d ’archi­ tecture».

Mais cette histoire présente un nombre illimité de modèles. Avant la révolution, l’Académie pouvait par une simple décision écarter les références d ’un «mauvais goût en architecture» et en interdire l’usage. Au début du XIXe siècle, chacun va tenter de surprendre. L ’histoire, territoire longtemps limité à l’archéologie grecque et romaine où les anciens prétendaient trouver le principe même de l ’architecture, ouvre aux architectes l’immensité de ses références. Le domaine de l’architecture s ’élargit avec celui de l’histoire. Mais l ’éclectisme n ’est pas de puiser là, n ’importe comment et n ’importe quoi.

L ’emprunt fait aux divers corpus de l’architecture doit démontrer la spécificité du projet architectural, q u ’il faut imposer aux cons­ tructeurs comme étant la règle de la construction.

Les éclectiques ouvrent le corpus de l’architecture non pas pour trouver ou imposer des formes nouvelles, faire nouveau, mais pour démontrer le travail spécifique de l’architecte sur la référence architecturale, travail de distorsion, de transformation, d

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’adapta-tion, que seul il est en mesure d ’accomplir et qui doit, là encore, démontrer la prééminence de l'architecture.

L ’éclectisme transcende la doctrine architecturale. Il autorise la confrontation de doctrine. Tous les m ouvements qui se désigneront eux-même ou qui, ultérieurement, seront plus ou moins légitime­ ment désignés comme mouvement au cours du XIXe siècle, sont comme les termes mêmes du débat éclectique.

Il n ’y aurait pas d ’éclectisme en architecture sans ce débat où s’opposent les partisans et les adversaires du gothique, sans cette polémique lassante où s’enferme de Baudot en entraînant à sa suite, et jusqu’au Mouvement Moderne, ses partisans contre l ’Ecole de Beaux-Ans. il n ’y aurait pas d ’éclectisme si l ’Ecole des Beaux- A ns elle-même n ’était pas organisée sous la forme d ’une compé­ tition institutionnalisée entre les élèves et entre les patrons et dans laquelle l’élève a toujours le dernier mot, tout au moins jusqu’au moment où à son tour il s ’installe dans la position du maître. La discussion sur la référence, sur le corpus de l ’architecture (sur les éléments : comiches, moulures, colonnes, sur les modèles de percement, les modèles de rythmes ou de supports) n ’est pas une discussion sur le style, mais sur le projet, sur la matière du projet - avec quoi travailler ?

En fait c ’est une discussion sérieuse ; elle est conjoncturelle et liée à deux discussions dont l ’enjeu n ’est pas mince.

- La première est une discussion sur la technique.Pour l’architecte il s’agit de savoir s ’il peut tenir ce rôle de coordinateur qu ’il réclame.

- La seconde est une discussion sociale et politique. Il s’agit de définir le programme de l’architecture, sa finalité, son but, le rôle q u ’elle joue dans l ’histoire d ’une société qui change.

La discussion sur la référence en architecture est une discussion sur le projet.

Cette discussion sur le projet prend place dans une discussion sociale qui a deux aspects. Un aspect interne, pourrait-on dire ; il s’ agit à l’inténeur du domaine de la construction de saisir le rôle du chef, le rôle du directeur de la construction (l’architecte dira comment construire), et un aspect externe, à l’extérieur du domaine limité des acteurs de la construction, il s ’agit de comprendre la société, saisir le but q u ’elle poursuit, précéder son évolution, faciliter dans l’établissement humain son développement, fixer les bornes de ses aspirations, concilier ses velléités et ses exigences avec ses moyens ; il s’agit pour l’architecte de saisir le rôle du philosophe, rôle essentiellement politique (l’architecte dira pour­ quoi construire).

Et dans cette perspective nulle doctrine, nulle théorie n ’est pratica­ ble. (l’architecture doit être au delà des doctrines.L’éclectisme ne se réduit pas à l’une d ’entre elles. L ’éclectisme est le fait de les permettre toutes et de permettre le débat où elles s’opposent. C ’est cette position qui a prévalu pendant le XIXe siècle et soutenu

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l’éclectisme en architecture.

Il n ’y a pas de forme définitive à l ’éclectisme, c ’est une discussion que poursuivent les architectes sur le projet -comment l ’inscrire dans l ’histoire ?

Une discussion politique

le projet architectural relève d ’une discussion sur la finalité de la construction.. L ’architecte s ’investit donc dans une discussion politique - comment organiser la société?

Le projet témoigne de l ’organisation sociale, mieux encore le dispositif architectonique est un dispositif social.

Le rêve du philosophe de réduire l ’organisation politique à une disposition ingénieuse du plan, (le projet panoptique), est vite devenu la référence de l ’architecte pour définir son utilité. L ’un de ceux qui figurent dans le fameux jury populaire, qui en 1793 se substitue à l’Académie pour juger du prix, Haroux le Romain, exécute dans le réel d ’un édifice le dispositif panoptique que Bentham est venu proposer à la Convention comme une invention architecturale permettant le contrôle politique de la société : c ’est une prison.

Ce projet montre d ’abord cet idéal de faire correspondre l’organi­ sation sociale à l ’organisation spatiale, mais plus encore de réduire la seconde à la première. Dans cette perspective, l’architecte devient l’organisateur, le planificateur ultime.

A son plan obéit la politique.

Cette position sera répétée ju sq u ’à Le Corbusier, qui écrit en 1939 dans VArchitecture d’Aujourd’ hui : «les plans, alors mettront l’autorité au pied du mur - Banc d ’essai, diagnostic, verdict... voilà que les plans désignent l ’autorité, les plans sont justes, sont vrais... les plans éclairent, les plans désignent les mesures qu ’il faut prendre, les organes efficace q u ’il faut créer, les gens capables qu ’il faut appeler».

Les architectes néoclassiques peut-être, et ceux du Mouvement Moderne parfois ont pris à la lettre cette conviction que le projet, le plan, le programme même de l’architecture exprimait ou redisait de manière concrète le programme d ’une société. Les architectes du XIXe, en quête d ’une reconnaissance de leur utilité se sont bien gardés de confondre l’ordre du projet et l ’ordre du pouvoir. Mais ils s’inscrivent, bien que de manière prudente, dans cette problémati­ que d ’une correspondance à établir entre le social et le construit, ente l ’édifice et la société.

La génération des architectes qui fondent l’éclectisme reste mar­ quée par la Révolution. Ils inscrivent l’architecture ou le pro­ gramme de l’architecture dans le projet de la réforme sociale. S ’ils

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restent convaincus du rôle politique que tient dans l ’histoire le projet, ils récusent précisément la position «démiurgique» du dictateur, du visionnaire ou du poète, «témoin» ou «homme repré­ sentatif» de son temps.

Les «éclectiques» vont inscrire la discussion sur la finalité de l ’architecture, celle de son programme et de ses moyens, dans une discussion politique sur la réforme sociale. Ils récusent le panopti­ que et tout dispositif totalitaire. La démarche éclectique est expé­ rimentale et tâtonnante.

César Daly disparaît quelques années aux Etats-Unis faire l’expé­ rience d ’une architecture pour une communauté de Saint-Simo- niens.

Les architectes de la république - Baltard, Davioud, Roux, Delaire et bien d ’autres s’inscrivent dans le projet de « l’économie sociale». Plus tard, pionniers de l ’urbanisme, ils fondent leur action dans le cadre du M usée social, prolongement de la société d ’économie sociale de Frédéric Leplay.

L ’éclectisme en architecture s ’inscrit dans le débat politique. Il accompagne, au cours du XIXe siècle, le projet d ’une réforme sociale dont le ressort profond est cette volonté de créer des solidarités, d ’établir par une négociation constante, un équilibre ou une harmonie entre des forces antagonistes.

La relation qui lie le réformisme social et l’éclectisme en architec­ ture est le fait de cette commune recherche du compromis. L ’éclectisme n ’accepte pas la victoire d ’une position sur l’autre, mais recherche le point de convergence où l ’une et l ’autre peuvent se rencontrer.

Cette recherche exige la discussion. Les architectes du XIXe siècle ont longuement débattu, et leur complaisance à discuter entre eux dans les revues d ’architecture surprend aujourd’hui. Dans les querelles où ils s’affrontent, toute opinion est détaillée, nuancée, précisée dans une forme littéraire choisie pour faire rebondir toute discussion et permettre finalement la distinction entre ce qui est opposition radicale et irréductible de ce qui peut devenir le point de départ d ’un accord.

Les architectes éclectiques sont dans une négociation permanente, fidèles à la leçon de l’éclectisme philosophique. Ils sont en quête des parcelles de vérité que contiennent toutes convictions, et cherchent à les fusionner, à les composer et à les utiliser.

Le programme de l ’éclectisme en architecture est un projet politi­ que inspiré du projet d ’une philosophie qui aurait renoncé à fonder une nouvelle théorie ; Il s ’énonce désormais dans une discussion sans cesse renouvelée et qui ne doit déboucher que sur une manière d ’être au monde, pratique et efficace.

Le concept clef de l ’éclectisme en architecture est celui de «com­ position «, il s ’agit de composer «harmonieusement» des éléments saisis dans différents ensembles.

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utiliser tellement q u ’il prend dans la pratique de projet et l’ensei­ gnement de l’école la valeur d ’un «concept», dérive de cette position prudente du philosophe qui, renonçant à fonder une philosophie, inaugure l ’histoire des philosophes.

C ’est aussi composer entre elles des positions antagonistes, les concilier dans un compromis pratique.

L ’éclectisme en architecture naît avec la génération des militants de l ’architecture, celle des élèves de l ’école qui en 1830 appellent Labrouste à prendre la direction d ’un nouvel atelier.

La démarche des architectes éclectiques correspond à celle des fondateurs de la monarchie de Juillet. Un projet politique qui vise à réconcilier les français, à effacer les souvenirs de la révolution, à fonder par la nouvelle monarchie une sorte de République tolérante avec laquelle on puisse, entre gens de bonne compagnie, gouverner les français dans l ’ordre.

Ce projet politique traverse le siècle et se prolonge dans la nouvelle République. L ’éclectisme en architecture l ’accompagne, il en suit les détours parfois violents, il en épouse les formes paradoxales et subit comme lui divers soubresauts. Les architectes de la Société centrale en 1840 s’intéressent au diplôme et au problème de la sélection -Qui est architecte? Qui participe à la discussion du programme de l’architecture ? Quelle mode de sélection adopter pour choisir les électeurs dans une démarche censitaire ?

Les architectes de la République prolongent la discussion en l’adaptant aux inflexions du discours politique. Le corps profes­ sionnel s ’élargit comme le corps électoral et la discussion, forcé­ ment, sans changer de ton, s ’élargit, englobant désormais l’opinion et le goût des provinciaux, et bientôt sous l’insistance de de Baudot, l ’opinion et le goût des ingénieurs et des techniciens du bâtiment. Les luttes artistiques après 1884, après que soit rétabli le droit d ’association, redoublent chez les architectes.

L ’éclectisme devient un combat, une lutte fraternelle où les «artis­ tes» s'em poignent à propos de tout.

Les architectes s ’interdisent entre eux de parler politique (le slogan restera longtemps inscrit sur les murs des ateliers de l’école «pas de politique à l ’atelier»), une sorte de dénégation...

Les architectes éclectiques sont toujours proches du pouvoir. Garnier le dit gentiment aux provinciaux qui, en 1884, se plai­ gnaient des manœuvres des parisiens : «laissez nous faire... nous rencontrons les ministres en ville et pouvons leur parler.»

Guadet en 1906, au moment où, il est vrai, le débat politique perd cette tolérance q u ’il avait du temps de Jules Ferry, envoie carré­ ment promener Delaire qui propose un motion en faveur de l’enseignement technique libre : «votre discours est un discours de droite». Exception rare, dans ce très long débat sur l ’architecture et la profession d ’architectes où s ’épuisent les architectes sans jamais dévoiler leurs alliances secrètes, leurs appartenances politiques ou religieuses. Tout doit pouvoir se concilier dans le projet d

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’architec-ture, toutes les exigences parfois contradictoires du programme doivent trouver une résolution harmonieuse dans le projet, de la même manière q u ’il faut bien résoudre dans une «motion de synthèse» les propositions contradictoires des différents groupes. L ’éclectisme est une démarche politique qui accompagne le projet de cette harmonie sociale évoquée dans les congrès politiques des partis de la Troisième République. L ’éclectisme en architecture se discute précisément dans les congrès de la Société Centrale. Les architectes qui s ’interdisent de parler politique donne à leur discours la forme même du discours parlementaire.

L ’éclectisme architectural s ’inscrit dans la rhétorique politique. Il s’achève au début de notre siècle dans un éclectisme national néo Louis XVI au moment où les ligues patriotiques mettent fin, pour un temps, aux réconciliations heureuses.

Trois discussions donc - trois débats - accompagnent l ’architecture éclectique et scandent son histoire :

-La première est une discussion technique dont l’objet est de détenir la règle, la mesure à laquelle ordonner la fédération des techniques nouvelles et les associer aux manières traditionnelles de construire. L ’enjeu de cette discussion est pour les architectes de prouver que la règle de toute coordination technique est le projet architectural lu i-m êm e-c’est la première leçon de l ’éclectisme que de concilier dans un tout les éléments disparates de la construction.

-La deuxième discussion porte sur l’histoire. Le problème est de justifier le projet d ’architecture, d ’inscrire la démarche de l ’archi­ tecte dans l’histoire de l’architecture. L ’éclectisme n ’est pas une forme d ’histoncism e, c ’est à dire une manière de répéter, de redire l ’architecture, ou de lui faire dire quelque chose, mais au contraire une volonté de faire l ’architecture moderne.

L ’obsession des éclectiques est d ’être modernes. Pour eux la discussion sur l’histoire a pour objet de dire le présent.La référence aux divers corpus de l’architecture est faite pour inventer la forme de l’époque présente.

Les éclectiques jugent cette époque q u ’ils vivent, comme une époque transitoire qui annonce quelque chose de différent et de nouveau. Saisir le sens de cette transition, c ’est pour les architectes éclectiques, comprendre l’architecture dans son histoire. La réfé­ rence n ’est pas pour les architectes le moyen de découvrir dans un corpus d ’édifices choisis, le principe ou l’essence de l’architecture, mais au contraire de constater sa constante transformation, son adaptation aux circonstances, sa dépendance au programme de la société qui la produit.

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-Et précisément la troisième discussion dans laquelle cherche à s’inscrire l ’éclectisme en architecture est une discussion morale et politique.

L ’architecture pour les éclectiques n ’a plus sa justification en elle- même. Ils échappent à cette tautologie constante de la théorie de l’architecture qui définissait «le goût» en architecture ou son principe par la «proportion» que consacre le goût. Les éclectiques situent le programme de l’architecture dans le programme d ’une société. C ’est un nouveau programme qui cherche à établir l’équi­ libre social dans un consensus politique, plutôt que dans l ’autorité d ’un pouvoir fondé dans l ’ordre du «principe» ou du concept qu ’incarnerait le prince.

Le programme est celui de la réforme sociale, 1 ’ ambitieux projet du XIXe siècle qui cherche à donner une forme à l’idéal d ’une «pratique politique», qui progressivement conduirait à la démocra­ tie. Emile Trélat, le fondateur de l’Ecole spéciale dans un texte manifeste, décrit le «sittélarium», le temple de l’urne, à la fois lieu fonctionnel où le citoyen vote et lieu symbolique, manifestant de manière monumentale le projet de la société nouvelle. C ’est le symbole architectural d ’un programme politique.

Discussion politique, en réalité, plutôt que projet ou programme, discussion longue et difficile qui conduira l ’éclectisme bourgeois post-haussmanien au logement social et à l ’urbanisme. Les archi­ tectes du Musée social, Auburtin, Tony Garnier, Hebrard, ou Prost, cette dernière génération des élèves de l ’Ecole des Beaux-Arts du XIXe siècle, conduiront l’éclectisme en architecture vers la problé­ matique du Mouvement Moderne qui restera marquée par cette filiation avec l ’éclectisme réformiste q u ’il récusera, pourtant, avec tant de violence.

Dans un premier chapitre, on tentera de retracer ces trois discus­ sions et la p an qu ’y prennent les architectes de l’éclectisme.On essayera de montrer qu ’elles sont liées, que les arguments de l ’une sont utiles aux autres, et que les stratégies que développent les architectes se nourrissent des arguments qui s’y développent, qu ’elles sont transversales. La relation au pouvoir, la complaisance des éclectiques pour ceux qui l’exercent, s ’explique par cette impérative nécessité de commander à la technique ; et réciproque­ ment, l’autorité q u ’ils réussissent parfois à saisir dans le processus- construction leur sert à tenir un discours moral et politique. Ce projet de l’éclectisme en architecture est de saisir les formes consacrées par l ’histoire, en dire «le beau, le vrai, l’utile», par le moyen d ’une composition précisément adaptée au temps qui se déroule, une composition «juste» pour le moment même où elle est produite.

Les éclectiques n ’ont pas construit pour l’éternité - mais justement pour le moment présent.

Entre les néo-classiques et les modernes ils ont occupé leur siècle à construire le modèle d ’une attitude exemplaire et une architecture

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dont ils ont inscrit le modèle dans l’histoire.

L ’éclectisme en architecture est une discussion ; dans une deuxième partie nous tenterons d ’identifier le lieu où elle se déroule. Discussion technique, professionnelle et politique, elle ne peut se dérouler sur la place publique ou se réduire au débat d ’opinion. Si elle est bien relayée par les journaux ou les revues auprès du grand public appelé à s’instruire des thèses en discussion, le débat s’instaure d ’abord dans un certain nombre de lieux privilégiés, des institutions, disposant de moyens de communications de rencontre et de diffusion.

-L ’Ecole des Beaux-Arts d ’abord, l’école même de l ’éclectisme, issue des anciennes écoles académiques, mais dont la structure semble avoir été conçu pour servir à nourrir et renouveler constam­ ment le débat architectural ;

-la profession ensuite, d ’abord réduite à une société dite centrale puisqu’elle fait la tentative de saisir et circonscrire entre ses membres le débat architectural, mais vite composée d ’un grand nombre de groupes et de sociétés dont l’apparition et la multiplica­ tion correspond au développement même des querelles où s’affron­ tent entre eux les architectes, et enfin toutes les institutions ou organisations qui apportent l ’occasion des «luttes artistiques» : ex­ position, concours, revues, publications. Les architectes rencon­ trent là et les arts et les artistes, et surtout cette fois-ci le jugement de l ’opinion. Ce lieu est, en fait celui de la critique architecturale. Celle-ci apparait avec l ’éclectisme et disparait avec lui. La critique architecturale dont on déplore aujourd’hui q u ’elle n ’existe pas est en effet un genre qui est lié à l ’éclectisme.

-Ces trois institutions-l’enseignement, la profession et la critique architecturale- forment ensemble le cadre où la discussion de 1 ’éclectisme trouve non seulement ses formes et sa réthorique, mais les procédures de son renouvellement, les raisons de son propre mouvement.

Ce cadre institutionnel où se déroule la discussion apporte en effet le moyen d ’une confrontation constante du projet à la réalité socio- politique où il s ’inscrit.

L ’éclectisme en architecture est un débat soutenu et renouvelé par l’épreuve constante de la contradiction ; composition permanente, l’éclectisme impose que soit organisé et structuré une sorte d ’expé­ rimentation de la vérité qu ’il propose. Vérité provisoire, proposi­ tion souvent provoquante, le projet de l’éclectisme ne se développe que dans un ajustement constant de ses thèses à la conjoncture.

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L'école

L ’Ecole des Beaux-Arts, l ’école de l ’éclectisme est en quelque sorte le contraire d ’une Académie ; c ’est une institution qui poursuit le but, paradoxal pour une institution, de rendre tout jugement, tout énoncé, toute opinion, précaire et révisable. Alors que l’Académie se donnait comme objet de dire la vérité en architecture par l ’exposé de son principe étem el, quitte à reconnaî­ tre que son application dépendait des circonstances, l ’institution de l’éclectisme a pour objet de dire la vérité par une procédure de révision constante des positions q u ’elle défend. Une vérité diachro­ nique, transversale qui n ’est la vérité que parce que précisément elle change toujours, en adéquation parfaite, en rapport juste, avec la circonstance.

Il n ’y a donc pour l ’éclectisme que la solution d ’une institution qui institutionnalise le débat.

La vérité n ’est pas dans la perm anencede 1 ’ énoncé, mais dans celle de la procédure qui le produit.

L ’éclectisme se développe dans cette forme institutionnelle étrange qui consacre et pérennise le débat, un modèle institutionnel tout à fait spécifique, dont l’Ecole des Beaux-Arts produit une applica­ tion exemplaire.

-des ateliers formés par le regroupement de certains élèves autour du maître de leur choix ;

-une confrontation permanente entre ces ateliers par les concours d ’émulation qui mettent les élèves en compétition entre eux et, à travers leur projet, les maîtres q u ’ils ont choisis ;

-un jugem ent produit par l’assemblée générale de ces maîtres, au cours d ’une négociation parfois difficile dont l’enjeu est de dire la vraie réponse qu ’ il fallait apporter au problème posé, et qui apporte la réponse provisoire à la question permanente de la vérité ou du «goût» en architecture.

La leçon du jury serait difficile à saisir si n 'étaient pas compréhen­ sibles les intérêts divers soutenus par les divers patrons et si on ne pouvait pas reconstituer les stratégies des élèves, vite avertis que dès l’école, il s ’agit de fonder les bases d ’une carrière.

L ’Ecole des Beaux-Arts, dans un contresens qui ne peut être que le fait d ’une ignorance absolue de son organisation et du rôle qu ’elle joue dans l ’architecture du XIXe siècle, a été donnée comme l’école du classicisme, ou comme l ’expression d ’un académisme inspiré du néo-clacissisme du XVIIIe.

En fait, l’Ecole n ’existe q u ’à partir du moment où cette confronta­ tion entre professeurs institutionnalise le débat architectural et autorise l’éclectisme en architecture ; c ’est-à-dire apporte le moyen d ’articuler les trois discussions qui le caractérisent, discussions sur

la technique, la forme, et la signification de l’édifice.

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sa position néoclassique, il comprend vite q u ’il faudra dans son action de professeur composer avec les élèves.

L ’un des programmes de concours q u ’il donne décrit de manière si explicite un temple néo-classique, q u ’il provoque l ’indignation des élèves et des professeurs.

Dès le début de l ’Ecole, même si pendant un temps les professeurs et les élèves restent fidèles aux leçons de Percier et en tout cas en 1830 avec la génération des romantiques les élèves rompent avec les «barbons», (c’est ainsi que les dissidents appellent leur maîtres Vaudoyer et Lebas), et provoquent avec Labrouste une première scission.

L ’histoire de l ’Ecole se confond avec l ’histoire de ces scissions qui ont scandé le débat architectural ; c ’est le débat même de l ’éclec­ tisme en architecture.

On proposera donc de reconstituer le modèle de ces scissions, c ’est- à-dire le modèle institutionnel du conflit et de sa résolution toujours provisoire. Il permet de reconstituer les termes et les enjeux du débat, la manière dont les élèves sont initiés et entraînés; combats dont se nourrit l’éclectisme. Un enseignement de la construction, un enseignement de l’histoire, une pratique du projet qui n ’est approchée que dans le cadre de la compétition.

L ’Ecole de Beaux-Arts, l’Ecole de l’éclectisme, n ’est pas une institution d ’enseignement où serait exposé ou développé les éléments d ’un savoir, c ’est une «école de guerre» dont la pédagogie repose sur des exercices de simulations du réel, comme on faisait à Mézière sous l’Ancien Régime, dans l ’école du génie militaire, des exercices simulacres de sièges ou de d ’assauts.

En fait, on ne comprend rien à l ’histoire de l’Ecole des Beaux-Arts si on ne la replace pas dans le cadre de l’histoire de la profession qui progressivement au cours du XIXe siècle se reconstitue pour permettre discussions et combats, pour organiser, codifier cette lutte q u ’ont engagée les architectes pour exister-contre ou avec leur partenaire, contre ou avec les pouvoirs publics.

Il est significatif que depuis 1830 ju sq u ’à la fin du siècle, toute la production de l’Ecole, les projets des élèves et le jugement des professeurs, fassent l ’objet dans la presse professionnelle d ’un commentaire critique abondant et illustré.

Il met le travail des élèves et le débat des professeurs à l’épreuve de la compétition professionnelle et du jugem ent du public.

C ’est un commentaire dont l ’objet est de construire la positon de l’éclectisme, de la rendre possible.

Mais l’éclectisme n ’est pas une discussion théorique ; il se démon­ tre dans le réel de la construction. Le projet n ’a de sens que devenu réalité dans le construit.

La discussion du projet ou les débats de doctrine que poursuivent gothiques et classiques ne prennent leur véritable sens que par le rôle q u ’ils jouent à soutenir pour les uns ou les autres une image professionnelle séduisante pour leurs éventuels clients. Les

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pou-voirs publics n ’ontpas longtemps laissé se développer dans l ’indif­ férence une discussion qui, poussée dans son objet ultime, aboutit à faire la police dans la cité. Les professeurs longtemps laissés libres l ’organiser le débat architectural seront contraints en 1862 par un décret resté célèbre, de se plier à la discipline d ’un règlement que tente d ’imposer l ’Etat. L ’enjeu de ce long contentieux qui met aux prises 1 ’ institution architecturale, l 'Ecole, l 'institut et la profes­ sion est un enjeu politique im portant, même s’il semble aujourd’hui dérisoire. Il s’agit de contrôler le débat et le placer sous la haute autorité de l ’Etat.

Le politique s’en mêle parce que l’objet de la discussion reste politique-L’éclectisme conduit à l ’arbitrage de l’Etat-et impose son intervention.

La profession

Le projet de l’école et le projet d ’une profession se rencontrent dans l’action de Julien Guadet. Elève à l’Ecole en 1862, il organise le chahut qui interdit à Viollet-le-Duc de prononcer le cours d ’esthé­ tique et d ’occuper la chaire vide de Lesueur. Guadet, devenu grand prix, puis professeur et successeur de Constant-Dufeux à la tête de l’atelier officiel, créé en 1862 par le décret q u ’en tant q u ’étudiant il combattit, occupe en 1894, la chaire de théorie de l’architecture à l’Ecole des Beaux-Arts. Il sera le premier titulaire de cette chaire à faire la tentative d ’un exposé théorique de la pratique du projet. Dans son livre Eléments et théorie de l’architecture, il fait la théorie de l ’éclectisme. Son œuvre trouve son aboutissement dans son action à la Société Centrale.

En 1895 il prépare dans le cadre d ’une commission de la société un texte définissant le rôle de l ’architecte et ses devoirs. Ce texte sera adopté à la quasi unanimité des architectes présents au cours du congrès de Bordeaux. Il permet à une profession fortement divisée de définir son unité au niveau de la «morale». Il reste jusqu’à nos jours la charte des architectes, il est tout-à-fait significatif que ce soit Guadet, l’un des grands élèves de l’Ecole, le chef d ’atelier incontesté, puis le professeur de théorie, qui théorise l ’éclectisme, qui devienne par ce texte le théoricien de la profession. Cette charte de l’architecte deviendra le code des devoirs professionnels, an­ nexe de la loi de 1940, fondant légalement la profession. Ce texte achève le long combat des architectes du 19ème siècle pour faire reconnaître leur identité et établir dans un statut professionnel leur place dans le processus de production.

Si, comme nous le proposons ici, l’éclectisme en architecture apparaît bien au moment où la théorie de l’architecture n ’est plus suffisante pour justifier l’ambition des architectes à gouverner la construction. Il faut q u ’ils établissent leur compétence, justifient la

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spécificité de leur travail et fondent sur quelque chose l’autorité q u ’ils réclament. Ce long travail de justification de leur projet professionnel doit trouver son aboutissement dans l ’établissement d ’une institution réglée et reconnue.

Ainsi la démarche de l ’éclectisme, dont on suit le déroulement dans les trois débats qui mettent en cause les architectes, conduit à penser puis à promouvoir une organisation professionnelle. On ne saurait considérer l ’éclectisme en architecture (ses formes, ses développe­ ment stylistiques, ses évolutions, ses transformations de toute sorte) sans le rapprocher de ces débats techniques, historiques, et politiques par lesquels il se construit et se développe.

On ne saurait considérer ces débats sans les rapprocher de cette longue suite de projets que conçoivent les architectes pour inventer une profession ni de ces batailles où ils s ’opposent les uns aux autres (et surtout après que le débat corporatif soit redevenu légal après la loi de 1884) à propos de la forme même à donner à leur profession. Au début du siècle les tentatives de construire pour les architectes une profession sont pensées à travers les deux grands modèles institutionnels qui au XVIIle siècle ont été consacrés par le pouvoir pour s ’opposer un poids dominant des corporations. - d ’une part le modèle de l’organisation administrative : c ’est le projet de Rondelet de construire un corps des architectes de l ’Etat à l ’instar du corps des ingénieurs des Ponts et Chaussée ;

- d ’autre part le modèle de l ’académie, institution placée sous la protection du pouvoir, mais disposant du privilège de se coopter pour former une élite professionnelle en charge d ’énoncer la théorie et de produire les modèles de l ’architecture.

Ce n’est q u ’à partir de la création de la Société Centrale en 1840 qu ’apparait le projet d ’une profession, adapté aux circonstances et cohérent avec la pratique et la doctrine des architectes de l ’éclec­ tisme. La Société Centrale a joué un rôle déterminant dans la longue marche de l’éclectisme. Elle a servi de relai au débat qui se poursuit à l ’Ecole. Elle a permis de prolonger ce débat dans le milieu des professionnels. Elle a transformé le débat d ’école en débat profes­ sionnel.

Là aussi, les liens qui unissent l’Ecole et ses maîtres aux fondateurs de la profession ne sont pas le fait du hasard.

Il s’agit bien du même projet : régler le débat architectural, trouver aux débats de doctrine leurs prolongements pratiques, leur utilité professionnelle, faire déboucher la discussion d ’Ecole dans une discussion sur les formes de la pratique des architectes, leur statut, leur responsabilité, leur rapport avec leurs clients ou avec leurs entrepreneurs, les règles q u ’ils doivent s’imposer dans leurs rap­ ports professionnels de concurrence, d ’associations ou de subordi­ nation des uns aux autres, l’attitude q u ’ils doivent adopter vis-à-vis

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de la puissance publique.

La profession, le projet d ’une profession est le lieu même du débat de l’éclectisme mais aussi le critère utile à juger les arguments qui s’échangent ou les projets qui s ’opposent.

Le projet d ’une profession est, en fait, l ’enjeu des débats de l’éclectisme.

La démarche de l’éclectisme, dont nous avons posé l ’origine dans cette recherche d ’une autorité indiscutable sur le chantier et sur la discussion de l’ordre social, implique la recherche d ’une institution pour garantir et conserver cette autorité. Dès lors le débat de l’éclectisme dérive vers le débat corporatif. Les architectes de l’éclectisme ne pourront jam ais choisir entre l’attitude rigoureuse et ferme qui permettrait de limiter la profession à un groupe réduit de professionnels dont la compétence et la moralité serait placée au-dessus de tout soupçon par une implaquable «sélection» et l’attitude plus ouverte et plus généreuse, mais plus laxiste, qui permettrait de constamment renouveler le débat par de nouveaux arguments, de nouvelles thèses et de nouveaux hommes. La néces­ sité du débat qui rend possible l 'éclectisme implique cette deuxième attitude. Aussi dès le début de la République, et là encore, Viollet- le-Duc prendra la tête du combat, se forme une «Société Nationale» rivale de la «Société centrale», puis à partir de 1884, après la loi autorisant les syndicats professionnels, de nombreuses sociétés d ’architectes, de ville, de département, de région, ou de spécialités professionnelles, sont créées pour exprimer et défendre des intérêts jugés spécifiques. La morale de Guadet, la morale de l ’éclectisme permet un temps, de réunir, dans une sorte d ’adhésion générale, dans une sorte de solidarité professionnelle ou idéologique, cet ensemble éclaté.

La recherche de l’éclectisme est de «composer» avec des éléments divers, des ensembles dont l’unité puisse s ’affirmer sans conteste, au delà de toutes différences et de toutes divergences.

La démarche de l’éclectisme comporte deux phases ; celle de la «discussion» - la lutte où s’affirment les oppositions, les antino­ mies, les contradictions apparemments irréductibles entre les hommes ou les styles, et celle de la «composition» au cours de laquelle un coordinateur inspiré rend tout conciliable, rend possible par son intervention, son «invention», l’association, la juxtaposi­ tion, l ’intégration des éléments les plus hétérogènes à un ensemble qui existe alors comme un tout. Il revenait à Guadet le théoricien de la «composition» de formaliser cette morale qui a rendu possible la composition de la profession.

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La critique architecturale

Mais, à dire vrai, cette composition d ’une profession n ’a de durée que parce que s ’y est poursuivi le débat architectural, en le trans­ posant dans d ’autres lieux de débats et particulièrement dans l’opinion .

Le débat dans lequel se définit et se transforme l ’éclectisme en architecture est arbitré par le grand public. Cet arbitrage ne s ’ac­ complit pas directement. Il n’est pas possible de placer un débat dont les implications économiques et politiques sont multiples, en définitive un débat savant, sous l ’autorité d ’un public «ignorant» et peu préparé à connaître et à comprendre ses enjeux réels. Mais néanmoins, le public est associé ou intégré à ce débat dont il devient même l’arbitre par l ’intermédiaire d ’un «système critique» compo­ sé de diverses instances fonctionnant en relation les unes avec les autres. La fonction de la «critique architecturale» est d ’intéresser l’opinion et même la rendre juge de l’architecture sans q u ’elle soit amenée à se prononcer sur des questions q u ’elle ne peut compren­ dre. La critique architecturale a pour fonction d ’établir un lien entre le niveau professionnel et celui de l ’opinion et pour cela de trans­ former les questions posées aux divers niveaux de la pratique pro­ fessionnelles en un ensemble de questions qui concerne, le public sur lesquelles il peut se prononcer. La critique est un système qui transforme un ensemble de questions complexes, professionnelles ou savantes et le réduit, sans le dénaturer, à une question qui concerne l’opinion. La critique architecturale n’est pas le travail d ’une critique qui «expliquerait» à l ’opinion le travail de l’archi­ tecte, mais une succession d ’instances, dans lesquelles le travail de projet et ses enjeux s ’expriment de manière didactique pour per­ mettre divers commentaires qui, articulés entres-eux, informent globalement l’opinion de manière approximative mais juste de ce qui est en cause et qui la concernent dans le débat architectural. L ’existence de ce système critique est une des conditions de la possibilité d ’existence de l ’éclectisme.

Si l’éclectisme ne restait q u ’un débat technique et professionnel où s’affronteraient des professions en situation de compétition, (archi­ tectes, ingénieurs, archéologues ou politiques) sans que, à la fin, et d ’une manière quelconque le public ne prenne pan au débat, il manquerait assurément son but, qui reste par définition même de faire un «consensus social».

La critique architecturale est donc un système complexe qui articule le débat professionnel et politique au débat social. C ’est un «système» parce que nulle instance, ni la politique ni la profession­ nelle, ne peut traduire en termes compréhensibles les enjeux du débat ni expliquer au fond sans être caricatural, les implications économiques et politiques, des positions qui s’affrontent. Et l’opi­ nion, pourtant, ne peut se contenter de faux-semblants, de discours

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