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Aventures d'Alice en France et la traversée de l'idiome

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Academic year: 2021

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ECOIE NATIONAUE 5UPERIEURE DE BIBUI0THECAIRE5 LE5 AVENTURE5 D'AUICE EN FRANCE ET UA TRAVER5EE DE U'IDIOME

Memnire pr6sente par Philippe-Cnrentin UE PAPE

5nus la directinn de Madame Simnne UAMBUIN

A i i o S k

JUIN 19BO D.5.B. 16

(2)

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"Les Aventures d'Al3 ce En France et la t raverse e de 11idinme"

5DMMAIRE

INTRDDUCTION 4

CHAPITRE 1

"Alice", versinn nriginale:

un livre pnur enfants? ^

CHAPITRE 2 Traduire "Alice": les prnblemes ^ CHAPITRE 3 Traduire "Alice": snlutinns ^7 CCNCUU5IDN 75 Fin 76 APPENDICE

Quelques traductinns du "Jabberwncky" 77

ANNEXE5 B2

DIBLIOGRAPHIE 84

Abreviatinns utilisees: AIW: Alice's Adventures

In Wnnderland. (Alice au pays des

merveilles) .

TUE: Thrnugh the Unoking-glass And What Alice Fnund There.

(De 1'autre cnts du mirnir).

Tnutes les citatinns du texte nri-ginal se referent a:

CARROUL (Lewis). - The Annntated Alice / ed. by Martin Gardner. - Unndnn : Penguin, 1970.

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IIMTRODUCTIQN

"Alice's Adventures In Wonderland" et sa "suite" "Thrnugh the Unoking-Glass", parus respectivement en 1865 et en 1872, nnt connu un succes imm6diat tant en Grande-Bretagne qu'Si 1'etranger, et notamment en France: la premi6re traduction en frangais d'"A-lice", celle de Henri Bue, est parue d6s 1869. D'autres nnt sui— vi, et si l'on peut dire que 1'oeuvre est loin de cnnnaitre ici le statut d'el6ment de 11arri6re-plan culturel de snciet^s

enti-eres dont elle jouit dans les pays anglo-saxons, nn assiste de-puis une dizaine d'ann6es S une vogue d'"Alice" en France. CelJ.e-ci se manifeste par des etudes nombreuses et extrSmement vari6es sur le sujet, qui vont de la th6se a 1'article dans des journaux ou revues non sp^cialises, l'6dition fr6quente de 1'neuvre elle-m6me dans ses traductions les plus connues, mais aussi des adap-tations et des traductions nouvelles.

Ce relatif engouement s'est en particulier manifest6 assez recemment: "Ue Monde des livres" a publi6 la traduction int6grale, par Henri Parisot (1) d1un passage in6dit de "Through the

Lnnk-ing-Glass", apparu innpin6ment lors d'une vente publique (il s'a-git de 1'episode de la guepe, que Tenniel, 1' illustratecic de 1*6-dition originale, avait cnnseill6 § Carroll de supprimer).

Or les "Alice" constituent une oeuvre d'une densite et d'une richesse que l'on ne cesse de decouvrir et qui ne seront pas e—

puises de sitot. U'afflux actuel d'intergt qu'elle suscite

regar-(1)EARB8Dl!r (Uewis). - Ua Guepe emperruqu6e; episnde retrnuv6 de De 1'autre cot6 du mirnir / trad. et avant-propos de Henri Parisot.

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de d1ailleurs, semble—t—il, un aspect de 1'oeuvre diff6rent de

celui qui rassemblait jusqu'ici un public autour d'elle. Cet in-t6r§t, n1en doutons pas, se fixera plus tard sur telle nu telle

nouvelle "lecture1""d' "Alice" .

II est par ailleurs Svident que le public frangais ne peut retirer d'un texte si "britannique" la m8me prevende que les lec-teurs pour qui il a 6t6 compos6. Chacun du reste trouve dans 1'oeuvre de Carroll ce qu'il y cherche, et elle a presque autant de "publics" que de lecteurs.

"Alice" est, nous le savons, une oeuvre intraduisible par excellence. En raison de cette circonstance extraordinaire, ses traductions et ses adaptations sont extrimement dissemblables, soit que l'on aie nSglige tel aspect du texte pnur en privi!6gier tel autre, soit que certains d6tails n'aient pas ete vus (c'est la difficult6 de toute traduction, qui est obligatnirement in-terprStation de 1'original), soit qu'un choix ait ete op6re d6-Iib6r6ment par le traducteur ou 1'adaptateur, suivant sa lec-ture du texte ou suivant le public vis6.

Ce "m6moire" a pour objet, en tSchant de dSterminer & aui s'adresse 1'oeuvre, de localiser les ecueils auxquels se heurte le traducteur ou 1'adaptateur dM,Alice", avant d'examiner

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CHAPITRE 1 "AUICE", VER5IDN DRIGINAUE; UN LIVRE POUR ENFANT5

7

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On trouve le texte intSgral de "Alice au pays des mer-veilles" et de "Au-delS du miroir" S la fnis dans les secti-ons enfantines et adultes des biblioth&ques frangaises. Quant aux maisons d'6dition, elles adoptent diffSrents partis. Pnur ce qui est des collections de poche, et pour ne citer que deux des traductions les plus connues, si celle de Jacques Papy (sans "le Miroir"), avec les illustrations nriginales de Tenniel, est sortie tout r6cemment dans la collection "Fn-lio-junior" de chez Gallimard, celle de Henri Parisot se trou ve entre autres dans la tr&s s^rieuse et peu enfantine col-lection bilingue d'Aubier-Flammarion, sans illustrations. A lire les difffirentes traductions frangaises, on peut en effet se poser la question: "Alice" est-il un livre pour enfants? De fait, 1'oeuvre a constituS le terrain de nombre d'6tudes de toute nature, et pas seulement en France: Alice a 6t6 re-gardee S travers des lentilles psychanalytiques, linguisti-ques, sociologilinguisti-ques,...: le cnnte fantastique imprnvis6 pour trois petites filles lors d1une promenade en barque prSs

d1Oxford a bien d6besd6 sen prnpos initial...

Le R6v6rend Charles Dodgson serait vraisemblablement in-terloqu6 devant 1'audience h6teroclite qu'a conqiiise snn neu-vre: "Alice" n'a jamais 6t6 dans son esprit qu'un divertisse-ment destin6 d des enfants (on pourrait m8me pr6ciser: h des petites filles). Du moins n'a-t-il jamais fait allusion a d'autres interpr6tations possibles. Aussi bien "Alice In

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Won-8

derlarid" que "Through the Looking-Glass" sont 6crits comme des contes de fee. Carroll lui-m8me les d6signe d'ailleurs expressSment comme tels dans les poBmes liminaires de cha-cune des deux parties:

"...To beg a tale of breath too weak" (AIW, p.23) "...to listen to my fairv-tale." (TL-G, p.173) Ensuite, nous 1'avons d6j6 mentionnS, le premier 6tat de "Alice au pays des merveilles" est la consignation par 6-crit, intitul6e "Alice's Adventures Underground", d'un r6cit improvis6 devant et pour un public enfantin. II est vrai que cette premiBre version, qui repr6sente en volume environ la moitii du texte de 1865 ne pose gu6re de probl&mes quant d 1'identification de son public destinataire; on n'y trnuve

pas les chapitres "Cochon et poivre" ni "Un th6 chez IBS F^IYS fous", pour ne citer que les diffSrences les plus remarqua-blesCette premifere version comporte dfailleurs un nombre

li-mit6 de difficultes de traduction importantes. Celles-ci surgissent avec le texte definitif dM,Alice", et plus encore

avec "Through the Looking-Glass": le discours est devenu moins spontan6, plus conscient, plus abstrait. Quoi qu'il en soit, l'un et 1'autre 6pisodes parSsentent 1'apparence de li-vres pour enfants, ne serait-ce que dans leur aspect mat6-riel: 16s 6ditions originales 6taient abondamment illustr6es, la mise en page etait tr6s a6r6e,etc. l*e ton du r6cit, d'ail-leurs, ne laisse aucun doute: c'est celui des rScits d'aven-tures extraordinaires, qui s'inscrit dans une tradition dont "Gulliver's Travels" est un exemple c6l£bre, et plus encore dans la veine, nouvelle & l'6poque, du roman d'aventures en-fantin, repr6sent6 alors surtout par les oeuvres de Dickens (dont Carroll a lu "David Copperfield" vers quinze ans), et

dont les h6ros sont des enfants.Ues autres personnages des deux "Alice" proviennent eux aussi de l'univers enfantin; le Bays des Merveilles abonde en animaux familiers: des chats (Dinah; le Chat du Cheshire), un lapin blanc, un chiot, ou en personnages que 1'enfant reconnait comme appartenant S son domaine: les cartes & jouer, par exemple. Le pays du

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Mi-roir fait usage de crSatures beaucoup mnis r6alistes, puis-qu'en g6n6ral elles sont fagonn6es par le discours de Car-roll, dont elles snnt le prStexte, ou par un discours pr6-exis^ant, r6utilis6 et transform6. Et si elles fnnt effec-tivement partie de 1'univers enfantin, il ne s'agit plus de sa r6alite concr6te: Humpty-Dumpty, Ttfeedledum et Tweedle-dee, le Lion et la Licorne sont les h6rns de cnmptines bien connues des enfants de l'6poque. Ue d6cor et les nb iets snnt eux aussi choisis (importance du jardin dans les deux par-ties; crScelle; puddings de Noel, etc.), de m8me que les situ ations (allusions h l'6cole dans 1'histoire de la Tortue-fan-taisie, stereotypes de l'6ducation de l'6poque et du milieu d'Alice,...).

De fait, le premier public de "Alice In Wonderland" a 6t6 exclusivement enfantin, et son succSs en librairie ful-gurant; de mSme pour "le Mirnir": on ne saurait dnnc nier que les "Alice" soient des livres pour enfants, du moins lors de leur parution.

En 6crivant "Alice", Carroll n'avait-il pas d'autre in-tention (consciente ou inconsciente) que d'amuser un public

enfantin? Ua confrontatinn "Alice UndergroundV^Alice In Wonderland" est tout-S-faiit. r6velatrice: si la premifere ver-sion semble effectivement correspondre h cette intention, la seconde est infiniment plus compliqu6e. Ues oeuvres litt6rai-res qui vont suivre confirmeront cette 6volution: de "Through the Uooking-Glass" h "Sylvie and Bruno", elles viseront de moins en moins un public enfantin, mSme si elles sont tnutes d6di6es h des "amies-enfants", voire se pr6sentent comme des contes pour enfants ("Sylvie and Bruno"). D'ailleurs, si "Through fche Uonking-Glass" fait encore appel & Alice, "The Hunting Df the Snark" (1B76), qui marque 1'abnutissement de l'6volution vers 1'abstraction qui caract6rise la litt6ratu-re de "nnnsense" de Carroll, ne cnmpnrte aucun persnnnage enfant.Rar ailleurs, dans "Alice In Wonderland", le mnnde des adultes qui ont quntidiennement des relatinns avec l'h6-rome: parents, maitres,... est pratiquement escamnt6: nn

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n'y fait que des allusions tr6s lointaines. Ua petite fille est seule, autonome, face aux "Merveilles", alnrs que, dans le pays du Miroir, elle a constamment affaire h des adultes dont les comportements, dans leurs rapports avec les enfants, sont caricatur6s (la Riine Rouge, qui est un genre de monstre de 1'iducation, est la plus caract6ristique), et mSme h un personnage adulte presque humain; le Chevalier Blanc (alias 11auteur lui-m8me?), qui laisse dij& pressentir "Sylvie and

Bruno". Carroll a-t-il profiti du diveloppement nouveau de la litt6rature enfantine, lii au statut qufacquiert 1'enfant

dans certains milieux de 11Angleterre du XIXBme sifecle, aux

pr6occupations pidagogiques qui se font jour, pour s'en fai-re un alibi et pouvoir "difai-re" certaines nivrnses et nbsessi-nns sous couvert de littirature enfantine? II a la certitude, puisque sa longue frSquentation des enfants lui dnnne d'ins-tinct, il le sait, le tnn juste qui gagne leur cnmpliciti, d1@tre lu par un public complaisant, qui ne le jugera pas.

C'est pour lui 11audience idSale: 11enfance n1est pas encore

usie par les habitudes, ni polluSe par les conventions de biens6ance et autres qui rSgissent bien vite la vie de toute personne. U'enfant est un Stre qui n1est pas termin6, mais

c'est surtout un 6tre plus humain que ses parents puisqu1il

est encore vierge — de corps et d'esprit. U'enfance est l'8«j ge d'or de 1'homme.. . Encore faut-il pr€ciser..que, selnn sa propre formule, Carroll aime tous les enfants, sauf les pe-tits gargons. Ue petit gargon laisse tris tot deviner le fu-tur homme —le fufu-tur mSle — et snn esprit critique et snn agresssivitS sont bien plus d6velnpp6s que ceux d'une petite fille du m6me Sge. Dr c1est de 1'agressivit6 et de 1'esprit

critique d'autrui que Charles-Uutwirfge Dodgson a d snuffrir, lui qui en fera rarement preuve autrement que par le mnyen d6tourn6 de la litt6rature. Mais une oeuvre littiraire, sur-geon de l'8me de son criateur dans lequel circule immanqua-blement un peu de ses secrets, est un produit impudique d8s le moment OLI elle est publiie, et ce d'autant plus que l'au-teur refuse le contact des secrets en questions. Or les "Ali-ce", et surtout le premier, sont de ce point de vue des actes particuliSrement obscSnes, si on y regarde bien... Un traves-tissement en conte pour enfants serait une manneuvre habile,

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critique de la part d1un adulte rus6. Prend-on au sSrieux

un conte de f6e? Non.Lbe courant est d6toue#t6 (rien ne nous permet de conclure qu'il l'ait 6t6 intentionnellement. Dn peut m@me penser le contraire: les enfants ne snnt pas uni-quement des non-adultes). "Alice In Wonderland" est de toutes fagons une neuvre extrSmement violente, et par bien des cftt6s subversive: mais c'est precis6ment la forme de conte pour en-fants qui rend cette violence et cette puissance corrosive

possibles: la structure de 1'univers invent6 par Carroll qui, malgr6 1'aspect d6routant de ce qyi s'y passe, est profond6-ment simple et claire? permet aux rouages du pamphlet de tour-ner sans entraves. Ues contrastes y sont nets, les nuances absentes, les labyrynthes de la psychologie de litt6rature abolis, le recit est sobre, direct, et les inventions lin-guistiques, pour nombreuses et inattendues qu'elles soient, sont partie int6grante des r6gles du jeu. Gar c'est bien de jeu dont il faut parler, ou plutSt de farce puisque la plu-part du temfcs, les r§gles en sont totalement arbitraires, et n'existent que pour elles-m8me; et personne, hormis Alice, ne songe i contester 1'existence de ces rSgles. Elles pourraient 8tre alt6r6es sans aucun dommage pour la partie: le jeu

chan-gerait d'aspect, de direction, c'est tout.VU1important est

que ces rSgles n'aient pas de fondement raisonnable, pas d'u-"kilit6 en dehors d' elles—m@me. Ue jeu s'arr8te n'importe

quand, et tourne court; il n'y a pas de r6sultat. Ues "Alice" d6livrent un sentiment aigu d'AB5URDE. Pourtant le fantasti-que de Carroll conserve toujnurs un p&ed dans la r6alit6: le decor mat6riel est bien concret, et sert de cadre h une abs-traction des liens qui unissent les nbjets entre eux, et dnnt nous admettons a priori 1'existence sans chercher 6 nous in-terroger sur leur nature. Ce suppnrt concret rend efficace la destructinn des rappnrts quotidiens, puis la recr6ation d'une structure qui n'est pas sans rappeler 1'autre, mais de-barrass6e de toute trace de gras, d6sinfect6e. C'est la cnn-frontation implicite de ces deux mondes —— l'un maigre, net,

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pr6cis, 1'autre confus, embarrass6, embrum6 — qui fait res-sortir la pr6carit6 des certitudes humaines, 1'injustice r6-voltante — aux yeux de Carroll — qui donne h un syst&me de relations sociales incohSrent force de norme et ecrase Idin-SivlSjjndividu peu soucieux (ou incapable) de s'y confnrmer. "Alice^s Adventures Underground" constituait donc un cadre qu'il 6tait interessant pour Carrnll d'exploiter jusqu'au bout pour en faiire plus qu'un simple conte de f6e, et peut-Stre aussi pour pouvoiir y mettre, sGrAeneefa^onN&qiiiasi-allSgo-rique, sans les formufer, un certain nombre de choses qu'il n'aurait jamais exprimees autrement, de fagnn qu'elles de-meurent masqu6es non seulement h ses lecteurs, mais aussi d lui, Charles Dodgson. (Voir D ce sujet toutes 3DBS 6tudes psy-chanalytiques, notamment am6ricaines (1), auxquelles, "Alice In Wonderland" et Through the Uonking-Glass" ont donn6 lieu). L'usage alternatif que faisait Carroll de son nom v6ritable et de son pseudonyme suivant le type d'ouvrages qu'il publi-ait va dans ce sens^ sachant notamment qu'il refuspubli-ait de s'i-dentifier a 1'auteur d'MAlice", et avait horreur qu'on le pr6 sentSt comme "Lewis Carroll". II coupait court li toute cnn-versation tendant S se rapporter h Alice. Ajoutez h cila que toute lettre adress6e h "Lewis Carroll, Christ Church, Ox^nrd ford" 6tait renvoy6e h son exp6diteur avec la mentinn "incnn-nu", sur 1'ordre de lui-m8me...

Autre ingr6dient des "Alice" qui pourrait paraltre peu Si m8me d'entrer dans la composition d'un livre pour enfants: la logique, qui passionnait Carrnll, et qui est nmnipr6sente dans les deux r6cits; cependant le ton du texte est h ce point limpide et naturel que les enfants sont tnut-6-fait en mesure de comprendre et d'appr6cier les subtilit6s qu'il com-porte. M6anmoins ces divertissements logiques constituent l'un des ressorts principaux de l'oeuvre pour le lecteur a-dulte, dans la mesure oCi ils sont ("sans en avoir l'air") une interrogation profonde — et pessimiste —- sur la con-dition humaine.

(1) Notamment: LENNON (Florence Becker).

- The Life of Lewis Carroll. - New York : Collier, 1962.

(6dition r6visee et augment6e de "Victoria through the Lonking-glass - premiere publication 1945. )

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Cette interrogation fondamentale est synthitisie en peu de mots dans la difficile conversation d'Alice avec Hump-ty-Dumpty, dans le chapitre 6 de "Through the Uooking-Glass", le seul passage dans les deux "Alice" qui soit fondi exclu-sivement sur des jeux de langage. Jeux de logique — jeux de langage: les derniers sont inclus dans les premiers, puisque le langage est censSment un svst&me (logique, par difinition) de signes 6labor6 pour permettre la communication; le distwur cours de Humpty-Dumpty est uniauement logique et c'est cette logique m@me qui devient 1'objet de son message. Ue signe linguistique n'est plus un moven. c'est une chose. Mais en raison j ustement de 11imperfection logique de toute langue,

voire de snn incohSrence, Humpty-Dumpty ne peut pousser son jeu jusqu1au bout: la faille apparaJtra tfit nu tard. II

pre-fire le sabnrder, et il finit dnnc par dStruire le signe lin-guistique, dont le fonctionnement se r§v61e de la sorte ver-satile et peu rigoureux. Ue discours de Humpty-Dumpty n'est plus "apprihendable" par son interlocutrice:

"There's glory for you!"

"I don't know what you mean by 1glory'",Alice

said.

Humpty-Dumpty smiled contemptuously. "Of course you don•^ — till I tell ynu. Imean 'there's a nice knock-down argument for you!1"

But 1glory1 doesn't mean 'a nice knock-down

arg-ument1", Alice objected.

"When J. use a word," Humpty-Dumpty said, (...)"it means just what I choose it to mean — neither more nor less."

"The question is," said Alice, "whether you can make words mean so many different things."

"The question is," said Humpty-Dumpty, "which is to be master ,— that's all."

TUG, pp.268/,9 ?Et voilS de la glnire pour vous!"

"Je ne comprends pas ce que vous voulez dire par "gloire"," dit Alice.

Humpty-Dumpty sourit avec didain. "Evidemment! Pas avant que je ne vous explique. Je veux dire: "VoilS un bel argument Scrasant!"

"Mais "gloire" ne veut pas dire "bel argument 6-crasant", objecta Alice.

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"il signifie ce que je veux qu'il sigriifie, ni plus, ni mnins."

"L-a questinn est de savoir," dit Alice, "si vnus pouvez r6ellement faire eta sorte que les mnts si-gnifient des choses si diff6rentes."

"La question est de savoir," dit Humpty-Dumpty, "qui doit commander, c'est tnut."

Voil8i r6sume le debat. La question, pnur Alice, qui est partisane de la langue-communication, est effectivement de sa voir si UN membre du groupe peut a sa guise d6noncer 1'accnrd tacite de tout le groupe, et se comporter en franc-tireur vis-6-vis de celui-ci: le discours de Humpty-Dumpty n'est plus appr6hendable que par le locuteur lui-m6me (le"ma$tEe" de ce qu'on peut appeler la "designation"). Carrell a dans ce chapitre tir6 les implicationd les plus extrSmes de ce qu'il tente de d6montrer, et son message, d savoir son hyper-sensibilit6 d des 5Y5TEME5 qui ne peuvent 6tre qu1arbitraires

, et n'en gouvernent pas moins le monde etles gens qui y vi-vent, y est peut-Stre plus explicite que partout ailleurs dans les deux livres. La question est r6ellement de savnir qui doit commander: le langage, qui est un produit de l'hnm-me, ou 1'homme lui-meme? Le systBl'hnm-me, ou snn inventeur?

L'oeuvre de Carroll d6passe ainsi sa fonction premiSre de livre pour enfants, sans tnutefnis s'ali6ner ce jeune public, puisque tout arrive et passe h travers Alice, qui focalise le discours des persnnnages du Pays des Merveilles ou du Miroir. Le fait que par le personnage d'Alice, le pu-blic enfantin se trouve en quelque snrte h l'int6rieur du livre contrSle le contenu et les developpements de celui-ci. On sait que Dodgson 6tait professeur de math6matiques; il se montre dans les "Alice" excellent pSdagogue, et son oeuvre peut prStendre h une mani6re d1universalit6.

Cette universalitS est n6anmoins relativis6e par le fait que les "Alice" sont marqu6s par le milieu ambiant: Car-roll etait, est-il besoin de le rappeler, anglais; il 6cri-vait en pleine periode victorienne, soit dans une fere de

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na-tionalisme et de prospfiritS triomphants, voire agressifs, et qui plus est pour des enfants de la bourgeoisie; or, nous 1'avons not6, le public fait partie du livre, de sorte que celui-ci prfisente un caractere "ethno-socio-historique" ac-cuse. Alice, a 1'6vidence, est une bourgeoise en herbe, comme en tfimoignent les allusions aux pratiques sociales en usage dans un tel milieu, et le decor quotidien 0C1 elle ivolue: el-le a une nurse, on lui enseigne el-les bonnes manidres, elel-le ne va pas & 11ecole mais aseiste S des legons particuliSres (S

i

sept ans, elle sait d1ailleurs un peu de frangais: cf. le

chapitre 2 de "Alice In Wonderland"): quand, au debut de Va-venture, elle est si dSsorientfie qu'elle ne sait plus qeii el-le est, elel-le sait en tous cas qu'elel-le ne veut pas Stre Mabel, qui "ne sait presque rien," qui "habite une maison minuscule1,1

n1a presque pas de jouets et tant de lagons h apprendde. Et

bien sQr, elle sera vexfie que la Reine Blanche suggBre de 1re

11engager comme femme de chambre. D'ailleurs la "vfiritable"

Alice (Alice L-iddell), celle qui constitua avec ses deux soeurs le premier public du conte, et qui est le modfele du personnage, 6tait la fille du doyen de Christ CRurch, un

coll&ge de 1'universiti d'Oxford. be parler de 1'hdrnlne, sur-tout dSsigne immanquablement son appartenance snciale, et ce-ci intfiresse le traducteur de fagon pripondfirante (voir

cha-pitre suivant).

Ue XlXfeme siScle mnntre lui aussi ses cnutures, et le livre a forcSment vieilli par certains cot^s: la classe sn-ciale & laquelle appartenait Alice s'est amenuisSe (nntam-ment en tant que lectorat; non que les enfants bourgenis ne lisent plus, bien au contraire; mais ils ne sont plus les seuls h le faire, et une dfimarche a la Carroll serait au-jourd1 hui proprement impensable) j IL-es enfants anglo-saxons

actuels eux-mSme ne sont plus tout-S-fait "en phase" avec ce contexte di d6limit6 et certains bondissements humoristiques tombent h plat ou passent inapergus, faute de r6f6rence (ex-emple certaines parodies dont I6nt6gte?,8'appui est & present

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sorti de la mSmoire collective.

Enfin, l'extr@me caractere britannique des "Alice" est le principal responsable du peu d'int6rSt que manifestent a leur 6gard les enfants Strangers. II suffit de parcourir "The Annotated Alice" pour s'apercevoir qu'une bonne partie des notes de Martin Gardner, qui est pourtant americain, 6-claircit des termes ou des pratiques incompr6hensibles pour des non-britanniques (ex. "fender", p.36, "comfits", p.48, "going messages", p.56, "cucumber-frame", p.60, "dormouse", p.94, "treacle", p.100, "much of a muchness", p.103, etc.)

5i le livre a ainsi perdu de son impact sur les enfants de langue anglaise, tfacitdmniqeesreompris, que dire alors des enfants frangais, qui perdent la totalitS des allusions au contexte socio-historiqueS

"Alice" d'ailleurs n'a pas seulement vieilli en raison de son d6cor et de son contexte: le public a chang6 depuis le XIX6me si&cle, sesserait—ce que dans sa compnsition; ses pr6— f6rences, ses habitudes, ses paresses, ses plaisirs se sont consid6rablement modifi6s* Ues goOts litteraires enfantins en particulier se sont deplac6g. Bien que "Alice" puisse sans doute Stre ccftid6r6 comme 1'ancStre du livre pour en-fants tel qu'on le congoit aujnurd'hui, l'6vnlution dans ce domaine est telle que Carroll aurait & 1'heure actuelle vraisemblablement de la peine 5 trnuver un 6diteur. II s'en-suit que l'int6rSt du livre s'est lui aussi d6plac6. C'est ce que r6sume fnrt bien Attilio Brilli dans sa pr6sentatinn de la traduction italienne de Tnmasn Giglio (1);

"Avec "Alice", nous sommes en presence d'un texte qui, du moiias h 1'origine, repond h sa fonction pre-miSre: constituer un nouveau genre de livre pnur 1'enfance, riche d1illustrations et

typographique-ment attrayant; Mais plus de cent ans apr&s sa pu-blication (1865), l'identit6 et le role du texte se sont profond6ment modifi6s$, Alla difference d'au tres classiques pour esihfants qui, comme "Gulliver" "Robinson" ou "Don Quichotte", sont devenus tels

(1) Alice nel paese delle meraviglie/ Uewis Carroll; trad. tie Tommaso Giglio; introd. de Attilio Brilli; notes de Alex R. Falzon.-- Milant? : Bizzoli, 1 978.

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S la suite d1une perte reelle d'une partie de leur

epaisseur signifiante, "Alice.9 semble avoir acquis avec les annies des dimensions nnuvelles, jusqu'a se proposer aujourd'hui comme un extranrdinaire nbjet de connaissance. Sans perdre de sa valeur propre de dncument qui raille la p6dagngie victn-rienne, "Alice" cnnstitue une pi6ce pr6cieuse pnur la psychanalyse, la linguistique, la lngique, la semintique. Ues cnntributinns de ces disciplines ont en outre le mSrite d'avnir rfioriente sur le texte, sur la langue irnnique, sur le "nonsense", toute la curiosite trnuble qui s'etait accumul6e, sous 1'influence des psychanalystes americains des ann6es quarante et cinquante, quasi exclusivement sur 1'auteur. D'objet perturbant ou de document i-nerte, "Alice" peut ci pr6sent se changer en objet de connaissance diniB lequelrli lidtemrvls..) trou-ve une extraordinaire occasion didactique, qui a le m6rite d'imposer d^elle-mSme une approche interdis-ciplinaire.

"Alice", sous son aspect indeniable de livre pour en-fants, apparait en effet a pr6sent comme une oeuvre-prot6e, et le travail des traducteurs et des adaptateurs est respon-sable , ici plus que pour tout autre texte, d'une perte de substance importante, tant ce discours si cnmpliqu6 et si simple h la fois appelle, quand il ne 1'impose pas, 1'inter-pr6tation.

(19)

CHAPITRE 2

TRADUIRE "AUICE": UE5

PRDBUEME5,

STAATZA CF AVGL 0 - SAXON POETRY. CWJTS MZLLyS. , KH> V SLYG»r CWE»

H» &Y*B 1TH» 6.yW>LB IN Ym WX*E : KLL Hfiwsy WfiltS y* l»K»&i»VES J

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(20)

Venons-en au fait

"Alice", nous 1'avons dit, connut un succBs intense et immediat, et les traductions ne se sont pas faites attendre. Paru en 1865, le"?,,Pays des Merveilles" 6tait traduit en

fran-gais dBs 1869 (Henri Bue).

Cent ans aprSs leur parution, les deux "Alice" cnnti^u&n nuent d*6tre traduits et adapt6s, tant en France qu'aillBurs. Mais si la "lecture" dM,Alice" a chang6, si elle dnnne lieu

a nombre d'interpr6tati6ns qui conduisent, sur des chemins parfois divergeants, h des analyses contradictoires, il s'en-suit que les traduetions doivent s'en ressentir.

D'abord, qu'est-ce qu'une traduction?

PTraduction" implique d'une part "texte". d'autre part "passaoe d*une lanaue Si une autre".

Un texte peut Stre d6fini comme une expression linguis-tique d'une "r6alit6"; c'est donc quelque chose de d6jS struc tur6 selon des contraintes bien pr6cises: le rapport discnurs -monde est en quelque sorte bifide; ce rapport, nous 1'appe-lons SIGNIFICATION quand nous par1'appe-lons de l'op6ration qui cnn-siste S isoler un 616ment du monde et & 1'interpr6ter lin-guistiquement. Ua signification est donc une capacit6 de structurer le reel afin de le rendre exprimable. Ue principe de cette structuration peut Stre appel6 GRAMMAIRE: la

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gram-20

maire est la capacitS que nous avens de filtrer la reprisen-tation a travers une s^fucture. Nous appellerons DE5IGNATI0N le "remplissage", en quelque sorte, de la structure livree par ce principe, au moyen d'1 une RHETORIQUE propre

dtilsotech-niqaebdisre^nSsentation. En d'autres termes, la designation est le mouvement de r6interpr6tation de la structure en ter-mes de r6alite; la rhetorique, elle, est une capacitS de re-investir 1'analyse op6ree par la grammaire dans une situation donn6e. Ua rh6torique est ce qui rend le langage "humain". C'est un certain jeu dans les rouages de la grammaire qui

permet ce r6ajustement, lequel contredit parfois cette der-ni6re. Et c'est sur ce jeu, ces difauts dans le maillage solide du syst&me qu'agit Carroll.

On voit qu'il s'agit donc d'un "texte" bien particulier puisqu'il est son propre pr6texte (pr6-texte) et joue avec soa-m@me. La "realitS" qu'il exprime est souvent le langage lui-m6me, consid6r6 comme un objet faisant partie integrante du monde. II est donc souvent un m6talangage.

II s'agira de traduire ce discours, c'est h dire de le faire passer d'une lanaue h une autre. QU'est-ce qu'une lan-gue? On dit commun6ment: "tel texte est en "anglais", tel au-tre est en "frangais", etc." Qu'est-ce que cela signifie? "Anglais", "frangais" s'appliquent h deux "syst6mes" d'analy* se et d'expession linguistiques du monde qui, pour proc6der du m6me principe fondamental (chacun est une grammaire et une rh6torique) n'en sont pas moins differents en ce sens que l'u-tilisateur de l'un, a moins d'un apprentissage appropri6, ne "comprend" pas un locuteur se servant de 1'autre: une langue est commune h un groupe social donn6, et les mots "anglais" et "frangais" suggferent des groupes nationaux. II est vrai que, tr&s grossi6rement, 1'anglais est 1'idiome des Anglais le frangais celui des Frangais. Mais il faut aller plus a-vant; une communaut6 nationale est loin d'§tre monolithique: elle est constitu6e de quantiti de groupes et sous-groupes dont les sp6cificit6s se retrouvent au niveau linguistique comme autant de "marques": on parle ainsi de dialectes

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(va-ri6t6s de langue caracteristiques d'une r6gion: Bill le 16-zard du Pays des Merveilles est irlandais, par exemple) et son idiome en t6moigne), de "sociolectes", ou variations de 1'idiome en raison de la classe sociale (la langue d'Alice est diff6rente de celle du Griffon, etc.); on parle de "jar-gons", qui caract6risent une corporation ou une activit6 par-ticuliBres, d'"6tats de langue", notion qui introduit le cri-tfere genStique; une langue n'est en effet jamais stable, 6 moias d'etre entr6e dans un regrettable et irr6versible pro-cessus de disparition. De plus, 1'idiome d1un enfant est

dif-ferent de celui d1un adulte, et ainsi de suite, toutes ces

marques se combinant pour cr6er autant d'idiomes particuliers englob6s dans le terme "anglais" ou "frangais", puisqu'ils ont tous en commun une mSme origine, du moins partiellement,

un fonctionnement grammatical h peu pr6s semblable, une gran-de partie gran-de leur lexique.

Traduire un texte, c1est donc Stre confront6 h des

pro-bl&mes de structure de systBmes qui ne colncident pas, mais aussi & des problSmes J{ethnolinguistiques,

sociolinguisti-ques et historicolinguistisociolinguisti-ques, puisqu'il peut se trouver des r6alites propres d une ethnie qui lui soient a ce point sp6cifiques qu'elles en deviennent "exotiques" pour tout 6-tranger, des marques linguistiques d'un groupe social dnnt il faudra 61ucider l'identit6, et auxquelles nn devra trnuver

des 6quivalents dans la langue d'arriv6e, des marques histo-riques dont il faudra tenir compte, soit pour les restituer —et alors il faudra utiliser des marques parallSles — soit pour les 61iminer si on a resolu de "moderniser" le texte.

Traduire "Alice", dans ces conditions, va se r6v6ler une gageure. Commengons par les problBmes d'idiome, ou de langue (oppos6e 6 langage).

"Alice au pays des merveilles" et "A travers le miroir" sont des oeuvres dat6es. U'&re victorienne marque en effet un palier dans 1'evolution de la langue officielle, celle qu'utilisent l'6lite et les classes dirigeantes. Cette langue est h la fois instrument du pouvoir et marque de celui-ci.

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22

Rigide, policSe, 616gante, chaste, elle devient sQre d'elle-m8me et capable de s'imposer comme langue universelle, paral-lelement h 1'expansionisme britannique victorieux. La langue se mue en institution et devient corrSlativement un principe d'INTEGRATI0N/EXCLU5I0N. L'idiome particulier en usage dans les classes ais6es de 1'Angleterre victorienne (auxquelles appartient Alice) est donc caracteristique: c'est celui qui est utilisS dans les "Alice" & la fois pour le r6cit (le con-teur s'adresse S un public socialement determin6) et pour la plus grande partie des dialogues puisque outre Alice, les personnages du Pays des Merveilles et du Miroir sont le plus souvent des modSles/caricatures d'adultes "integres" dans la bourgeoisie victorienne et parlant 1'idiome de leur caste.

Un problSme tout-a-fait particulier de linguistique "his-torique" reside dans le "jabberwocky", parodie burlesque de vieil-anglais. Or 1'anglais moderne se distingue principale-ment du vieil-anglais par 1'appnrt consid6rable de mots et de racines d'origine latine, et surtout frangaise, qui nnt d61aye le fonds anglo-saxon ancien. Le r6sultat est que le vieil-anglais a une consonnance tr6s caract6ristique pour des britanniques et qu'il est possible d'en faire des pastiches, dont le r6f6rent sera tr6s facile h identifiery Si l'on veut traduire "jabberwocky" en frangais, on se heurte h une 6vo-lution diachronique de la langue toute diff6rente. Combien de lecteurs reconnaftraient un pastiche d'ancien frangais? Du reste, combien de traducteurs sont suffisamment familiers avec le frangais du Moyen-Age pour que leur pastiche soit sa-tisfaisant?

Justement: est-il 16gitime de transposer dans sa propre langue un proo6d6 qui s'appuie sur un d6tail des avatars de la langue de "depart" 6 un point tel que le texte est indis-sociable d'une communaut6 sp6cifique? La r6ponse h cette

question est cruciale dans la traduction d'"Alice". Pour bien lire 1'original, il faudrait pratiquement disposer d'un si-gnalement des "rites" auxquels Carroll fait allusinn, et dnnt certains constituent des 6cueils pour le traducteur, parce qu'ils sont, si on veut, "textualis6s": exemple, le passage concernant les insectes dans "Through the Looking-Glass" fait j n'pJL^L-2.jei '<n !S r IX' e, 1. J lV 5 q1 ] v

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implicitement allusion S la tradition de Noel en Angleterre. Or cette tradition est une 6tape tr6s importante de la vie britannique, et Carroll n'a besoin que de mentionner quelques uns des accessoires de ce "rituel" pour que 1'allusinn snit op6rat?te et la confrontation du texte a la r6alit6 sociale signifiante. Cela ne se produira pas si le texte est laisse tel quel (encore que la chose soit improbable,puisque le pas-sage est bSti sur des jeux de mots) pour des lecteurs fran-gais, d'autant qu'il opere d deux niveaux: ethnique (une tique britannique, donc exotique pour nous), social (une pra-tique d'Ein groupe sncial, celui d'Alice). Autre exemple: com-ment traduire "a mad tea-party", alors que "to have tea" est trBs diff6rent de "to have coffee", et ne saurait Stre rendu par "prendre le th6" que sous peine d'un appauvrissement =-.e6-madtique considerable puisque "to have tea" renvoie d une pratique sociale Slaboree qui n'a pas d'6quivalent en France. De m8me "tea-things" ne veut pas dire seulement "tasses et soucoupes": "tea" ne renvoie pas au breuvage, mais au "rite". On pourrait multiplier les exemples.

A cote de cette difficult6 d'exprimer "naturellement", c'est-6-dire sans explicitation, une rSalitS sociale §tran-g6re, il existe un autre exotisme, plus SlaborS et d'autant plus ardu & transposer qu'il prend appui sur la langue elle-m8me:nous avons d6j& 6voqu6 ceci plus haut. L-es "Alice", au lieu d'etre bdtis h partir d'une r6alit6 brute, le sont

sou-vent S partir d'un discours consid6r6 comme objet reel, et faisant partie du monde sensible. Humpty-Dumpty par exemple fait du signe linguistique 1'objet m§me de son message. Mais Carroll fonde parfois ses effets sur une r6f6rence implicite h un texte d6j6 objectiv6: sans une connaissance de ces pr6-textes, le lecteur est incapable de saisir le sens du texte. Tel est le probleme pos6 par les parodies (environ une dou-zaine dans les deux "Alice") et par les proverbea et dictons gauchis, alt6r6s ou utilis6s tels quels. Comment saisir toute la puissance de dSrision contenue dans ces mots que chante

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J

24

en pleurant la Tortue-fantaisie;

Beau — ootiful Soo — oop! Beau — ootiful Soo — oop!

Soo — oop of the e - e - evening, Beautiful, beautiful Soup!

AIW, p.141 si on est incapable de reconnaftre:

Beautiful star, Beautiful star,

Star of the evening, Beautiful star.

pifit chant inoffensif bien dans la tradition de 11

6duca-tion victorienne. Le cotS burlesque de la parodie est encnre aggrav6 par les cSsures dans les syllabes accentuies, indi— quant la "bonne" manifere de chanter: c1est 1'institution

sn-ciA&e qui, mine de rien, est ainsi globalement vis6e. Ua plupart des pastiches de Earroll sont aussi d6capants, nn-tamment quand ils sortent d1entre les lfevres innocentes de la

pauvre Alice elle-m6me. Exemple: la premifere parodie que le lecteur rencontre dans "Alice In Wonderland": Alice essaie en fait de r6citer un petit poSme didactique et moral que 1'on fait traditionnellement apprendre aux enfants:

How doth the little busy bee Improve each shining hour And gather honey all the day

From every opening flower! (1) et voici ce qu'on entend Alice r6citer:

How doth the little crocodile Improve his shining tail,

And pour the waters of the Nile

•n every golden scale! (2)

Ues elements lexicaux qui portent la charge s6mantique de 1'original (c1est-S-dire des 616ments auxquelles s1

atta-(1) "Voyez donc la petite abeille/ Voltiger dans les airs/ Et butiner les fleurs vermeilles/ Au calice entrouvert!" (d6but d1une po6sie d1Isaac Watts; trad. Jacques Papy)

(2) "Voyez le petit crocodile/ Comme sa queue se tord/ Uor-squ1il repand les eaux du Nil/ Sur ses ecailles d'nr!"

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chent des valeurs didactiques, Sdifiantes, morales) sont remplac6s par des lex6mes qui renvnient S une attitude qua-si sadique ou perverse: crocodile pour petite abeille, etc.

Cette version renversSe de la "bonne morale" victorienne, mise dans la bouche d'une petite qui est une bourgeoise en devenir est un genre de crise de "lucif6risme": Alice n'est pas encore entierement fagonnSe par la matrice. Ve processus est inconscient: elle s'applique 6 reciter le podi»6 tel qu'el-le l'a appris, mais "sa voix Stait Strange et rauque, et ce n'6taient pas les m6mes mots que d'habitude qui lui vinrent d la ttnuche." C'est une autre Alice qui parle, une Alice carrol-lisSe. Mais tout l'6pisode tombe h plat si la confrontation implicite des deux poBmes ne peut s'operer.

Or la plupart des parodies des "Alice" constituent au-tant d'agressions contre un syst6me social institutionnalisS

et SriegS en norme et m66e parfois contre le lecteur lui-m6me, en tant qu'"6tre social". C'est ce qui se produit avec 11

u-tilisation des dictons. qui sont des sSquences existant d6jSi telies quelles dans une langue donnee h l'6tat de cadre rh6-torique ("if everybody minded their own business...") ou m6-me compl&tem6-ment fig6es ("to grin like a Cheshire cat", "mad as a hatter", etc.), et donc reconnaissables et ind6niables de toute la communautS linguistique comme 6tant son propre fait, de sorte que les 6l6ments de cette communaut6 sont pris au piBge lorsque Carroll, Si travers ses personnages, agit dessus. U'utilisation de formes que tout membre de la commu-naut6 linguistique reconnait comme siennes (il reconna£t en avoir la responsabilit6, comme un parent est responsabla? de son enfant) a pour r6sultat 1'intangibilit6 du discours, et donc le camouflage du trucg On donne au discours sa valeur "faciale", et le tour est jou6: on nbtient bel et bien un r6el fantastique, dont les lois sont modifi6es mais prises pour vraies. Dans le cas par exemple de "to grin like a Che-shire cat", la chose est d'autant plus frappante que l'on a le resultat fantastique sous les yeux; et la Duchesse est i-nattaquable, puisque le dicton est pour ainsi dire sous la

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26

responsabilitfi de la communautfi linguistique. Ue fait de prendre le dictan "au pied de la lettre" est le seul compnr-tement possible du point de vue logique. Si la "r6alit6" qui en est logiquement dfiductible est, elle, inacceptable, nn doit admettre que la s6quence ne correspondait pas de fagnn logique h la r6alit6 dont elle est eens6e etre 1'image, mais que le prncessus de significatinn a 6t6 falsifi6 dBs le d6but par d'autres 61ements. U'incident cnnduit donc cette fois le lecteur a remettre en questinn le fonctionnement de son

pro-pre syst6me linguistique, et 6 accepter l'inop6rance de sa logique,par interf6rence avec d'au±res facteurs. Dr le lec-teur etranger ne connait pas le dicton "to grin like a Che-shire cat", et ne percevra donc pas le but du passage. A sup-poser qu1il le connaisse, s'il ne fait pas partie de la commu

naut6 linguistique qui 1'utilise,, il ne sera qu1"observateui"

de 1'agression, puisqu'il ne se sentira pas lui-m§me pris b parti.

Autre m6canisme travaillant sur des donn6es ethnolingui-tiques ou culturelles: les comptines et la mise en sc6ne de leurs personnages. Voici la transition entre les chapitres 3 et 4 de "Through the Uooking-Glass":

"...she came upon two fat little men, sn suddenly that she could not help starting back, but in an-other moment she recovered herself, feeling sure that they must be

Chapter IV

Tweedledum and Tweedledee

TLG, pp£?3,9/229 "...ille se trouva face & face avec deux petits bonshommes rebondis, d'une fagon si soudaine qu'el-le ne put retenir un mouvement de recul. Mais elqu'el-le se reprit bien vite, certaine qu'il ne pouvait s'a-gir que de

Chapitre IV

Tweedledum et Tweedledee

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deux bonshommes ne peuvent etre QUE Tweedledum &. Tweedledee, puisqu'il connait bien la comptine,— rappelee d'ailleurs par Carroll p.230 -- dont ils sont les h6ros, et qui fait la tra^ me de tout ce chapitre 4. Mais le lecteur etranger ne saura pas ce qu'il fauit attendre de la succession des panneaux qui indiquent la direction de la maison des deux personnages. II n1entrera dans le jeu qu'apr6s la citation de la comptine,

sans toutefois y participer vraiment puisqu'il faudra qu'il aborde cette comptine "intellectuellement": il devra s'effor-cer d'en garder le statut en mSmoire pendant tout le chapi-,s, treivbfaa chose se r6p6te pour Humpty-Dumpty, pour le Uinn et 1 la Licnrne. -MCe qui nous separe radicalement, Frangais du XXSme sifecle, de ce texte victorien," 6crit Jean-Jacques Ma-youx dans sa tr6s interessante introductinn d "Tout Alice" de Parisot, "(...) c'est 1'absence fatale de certains echa-faudages de la fable. Le Ui§vre de Mars, le Chapelier fnu, paraissent devant nous comme creatures gratuites." (1)

Nous parlerons bien sOr du "nonsense" quand nous abnr-derons les questions de langage, puisque le ressort de ce gen-re, qui serait plutot d'ailleurs une tournure d'esprit, une fagon de penser, est principalement logique. Cependant le "nonsense" 6voque obligatoirement 1'Angleterre, dont il n'est

pas extricable. Du reste, le terme ne se traduit pas. Il peut h ce titre §tre consid6r6 comme une marque "ethnique"; il contribue d'ailleurs Si amenuiser le public d'"Alice" dans les

pays non anglo-saxons. U'"esprit" frangais, en particulier, a du mal a concevoir cette notion, justement parce qu'elle pr6suppnse que l'on prend tout systime organis6, toute struc-ture, pour une cr6ation commode mais imparfaite, et parfois encombrante, de l'ingeniosit6 humaine, pour un mal n6cessaire mais certainement pas pour de wl'argent comptant". Pour

pnu-voir s'amuser du "nonsense", il faut sapnu-voir ne pas s'arrgter aux codes; ;.il faut savnir que si l'on s'y fie, ils vous trnm-Pent subtilement, et sans risques — accusez-les, ils vous diront qu'ils n'y sont pour rien, que c'est vous qui les avez

(1) CARROUU (Uewis). - Tnut Alice : les Aventures d'Alice snus terre; Ues Aventures d'Alice au pays des merveilles; De 1'autre c8t6 du miroir et ce qu'Alice y trnuva;... / trad. par Henri Parisot ; chronologie, pref. et biblioar. par Jean-Jacques

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cr66s, et qu'en les rendant respnnsables, c'est a vnus que vous jetez Ra pierre — il faut savnir que la rSalitS, si tant

est qu'nn puisse 1'apprncher, est au-deld. Pr6cis6ment, les pays angln-saxons cnmptent parmi ceux ACI la vie est la mnins formalisee du monde. Ici, c'est le cnntraire (exemple: le BROIT britannique est un droit coutumier, alnrs que le cnde NapolSon interpose entre les hommes et les situations h juger un redoutable 6cran).

II reste une difficultS, plus tenace qu'il n'y paralt, d'ordre sociolinguistique: Carrnll utilise pour les dialogues d'"Alice" — de fagon assez pnnctuelle il est vrai — plusi-eurs "niveaux de langue", avec 11intervention d'un anglais

dialectal, et m6me d'un jargon qui tient du snnbisme:

"In that case," said the Dodn solemnly,rising tn its feet,"I mnvd that the meeting adjnurn, for the immediate adoptinn of more energetic remedies —"

AIW, p.47 "Dans ce cas, dit en se redressant d'un air sn-llPP.ll J'e Pr°Pnse 11 ajournement de

l'as-sembiSe, en vue de 1'adoptinn immediate de remfedes plus 6nergiques..."

Trad. Henri Parisot U'invasion du lexique anglais par 1'apport latin et frangais dont nous avons parl6 plus haut a eu pour

cons6-quence la formation de "doublets", cfest-S-dire qu'd une m6me

notion ont correspondu deux termes, l'un anglo-saxon, rele-vant d'un niveau de langue populaire (car 1'Angleterre a cnn-nu d une certaine 6poque une situation de bilinguisme, le frangais 6tant la langue des classes gouvernantes), 1'autre latin, correspondant h un niveau de langue dit "soutenu". Or le Dodo emplnie une prepnrtion anormalement 61ev6e de mnts

d'origine latine, ce qui rend son discours un peu ridicule et fait dire h 1'Aiglnn "Speak Englishl"

Citons encore le parler irlandais de Bill le leziard, a-vec en harmonique les connotations sociales qu'il pnrte — on

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voit toute la dfiperditinn de substance significative qu'en-traine la traductinn d1un tel passage: comment "rendreJ'un

ac-cent irlandais en frangais, comment suggSrer en m6me temps la situation des irlandais immigres? Ua langue "trfes faubnu-rienne" du Griffon, pour reprendre 11expression de Maynux,

passera de m6me difficilement la barriire de la traduction. Ces difficultis de lanaue. tenant h la communautS dont elle est 11instument de communication, sont souvent

consid6-res comme secondaiconsid6-res par les traducteurs, tant sont mani-festes les probl&mes de lanoaaa qui pour certains sont le seul interSt des "Alice" et justifient h eux seuls une traduc-tion, consid6r6e presque comme un exercice de virtuositS. II est vrai que le langage tient une place privil6gi6e dans 1'oeuvre de Carroll, dans la mesure oCi il est le svstime par excellence. Or Carroll, dans les "Alice", vise par la d6ri-sion h montrer que tout systfeme est un leurre, un travestis-sement de ce qu'il syst6matise. II ne le fait pas en tenant sur la syst6matisation un discours critique, mais en utili-sant un systBme particulier — le plus elabor6 qui existe — h contre-courant . U'axinme de d6part est que le langage est une logique: Carroll construit dnnc un univers nCi tout acte d de parole, tout comportement linguistique, tout dialogue, sont rigoureusement logiques. On s1apergoit que cette lngique

peut en toute impunite engendrer des monstres. On d6couvre ainsi que ce qui, dans le langage, est pr6tendQment systSme p pur, h savoir la grammaire, g6n6ratrice du "sens" d'un disetiu cours, se prend les pieds dans sa propre logique: on obtient le "non-sens" (exemple la Reine Blanche: la confiture qu1elle

propose h Alice, bien que qualifi6e de "very good", n'a pas d'existence: elle est un mot tout seul, sans "r6f6rent"). On d6couvre d'autre part que cette "logique"se trnuve cnntredite par les mndalit6s pratiques de son utilisatinn et par la na-ture m8me de ses utilisateurs: on obtient une deuxifeme vari-6t6 de "nonsense", qui englobe le blncage de l'6chanoe verbal et le non-conformisme. On arrive donc par d6duction d

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distin-30

guer deux vari6t6s de "sens", dont tout discours fait preuve S un degr6 plus ou mnins important: la premiSre (en anglais: "meaning") a pour critSre la

Qrammaticaliti. La seconde (en

anglais "sense") a pour double critfere, d'une part 1'utilit6 l'int6r§t (sens "bancaire" du terme) du discours, d'autre part la conformit6 & la norme. Est "nonsensical" ce qui est soit a-grammatical, snit inutile, soit nnn-cnnfnrmc, c'est-a dire tout ce qui opacifie le syst6me.

Ues passages de "Alice" relevant de la seconde vari6t6 de "nonsense" posent peu de prnblemes de traduction: c'est par exemple Tweedledum &. Tweedledee reifiant les cnntraintes th6oriques qui pSsent sur tel compnrtement social en situa-tion (ce "nonsense" est en d6finitive le "sense" absnlu):

"If you think we're wax-works," he said, "you ought to pay, you knnw. Wax-works werennot made to be looked at for nothing. Nohow!"

"Contrariwise," added th one marked 'DEE', "if you think we're alive, you ought to speak."

TUG, pp. 229-230. "Si vnus pensez que nous sommes en cire," dit-il, "vous devez payer. Les statues de cire ne snnt

pas faites pour qu'nn puisse les regarder gratui-tement. En aucune fagnn!"

"Si„au contraire," ajouta celui qui 6tait marque "DEE", vous pensez que nous sommes vivants, vnus dCiSt p-srldevez parler."

Ce que fait Alice, mais:

"You've begun wrong!" cried Tweedledem. "The fis6t thing to do in a visit is to say <£How d'ye

JC do' and shake hands!"

TLG, p. 231.

"Vous avez mal commence!" s'6cria Tweedledum. "La premiere chose & faire dans un visite est de dire "Bonjour" et de se serrer la main!"

C'est la Reine Rouge gelant les preceptes de l'6duca-tion traditatonnelle. C'est Humpty-Dumpty, dnnt le discnurs est CQMPREHENSIBLE (grammatical, logique), mais non

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APPRE-HENDABUE, ou plutot apprehendable d'une infinitS de facjnna, et c'est pourquoi il est inutilisable par le grnupe et aso-cial; il n'y a pas d'eBtretien possible avec Humpty-Dumpty, (d'oCi les Stonnements d'Alice et ses "j'ai bien peurade ne

pas vous comprendre tout-d-fait"). D'ailleurs, le Verbe est d ce point reifi6 par £et implacable logicien que toute cnn-versation avec lui devient forcement un jeu de massacre 0C1 son interlocuteur est d'avance perdant, puisque Humpty-Dump-ty est decidS § se servir de la langue nnn comme un mnyen de communication. mais au contraire comme une barriSre, et comme moyen de singularisation. II va mftme jusqu'd figer les rSgles de la conversation;

"This conversation is going on a little ton fast: let's go back to the last remark but nne."

"I'm afraid I can't quite remember it,"ugAlice

said, very politely.

"In tbat case we start afresh," said Humpty-Dump-ty, "and it's my turn to choose a subject —" ("He talks about it just as if it was a game!" thouqht Alice)

TUE, p. 265. "cette conversation va un peu trop vite; revenons 5 1'avant-derniBre remarque."

"J'ai bien peur de ne plus m'en souvenir," dit Alice tres poliment.

"Dans ce cas recnmmengnns," dit Humpty-Dumpty, "«? et c'est mon tourdde chnisir un sujet..." ("II en parle tout-d-fait comme si c'etait un jeu," pensa Alice.

Certains points cnnstituent pourtant des gnulots d'etran glement: 1'opacification la plus radicale de la langue-cnm-municatinn consiste en 1'invention de lex6mes. La plupart des mots du poSme "Jabberwocky" ne renvoient 6 rien et provoquent un black-out temporaire dans la communication auteur—lecteur. Dr tous ces mots "sonnent" anglais puisque ni le cadre synta-xique ni les regles morphologiques n'ont ete transgressea-s Le traducteur est donc contraint a une inventinn oarall6le. ,Cf. an-.

i nexes) D1autres passages relSvent h la fois des deux vari6t6g ti

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32

de "nonsense" dans la mesure ou ils sont des exemples de "po-lysimie" rhetorique qui, Stant institutionnalis6e, relfeve du •roupe; il s1agit de differentes habitudes lingui^tiques, qui

sont unpeu comme des poncteations, des respirations, prnpres au discours Parl6 (les "tags" parbexemple), ou encore des "fa-gons de dire", des "expressions toutes faites", des "tnurnu-res idiomatiques" qui sont en fait un d6vergondage de la lan-gue, forcie hors de son cadre logiqueqy-bes passages sont nnm-breux ou Alice ne "comprend pas" le discours de ses interlo-cuteurs, parseque ces derniers jouent sur cette particularit6.

Citons la r6ponse de la Reine Rouge a Alice qui lui expliquaib qu'elle avait "perdu son chemin";

"I don't know what you mean by vour way," said the Queen; "all the ways about here belong to me"

TLG, p. 206.

"Je ne vois pas ce que vous voulez dire par votre chemin," dit la Reine; "tous les chemine par ici sont 5 moi"

0r, si en frangais comme en anglais "chemin" designe d la fois un objet concret (qui peut effectivement appartenir 5 la Reine), et une notinn abstraite, & savoir 1'id6e d'un

parcours h effectuer pour parvenir en un pointr (d'oCi fls' ex-pression "perdre son chemin"), ce qui rend la tSche du tra-ducteur iais6e, il n1en va pas de m@me pour;

"I beg your pardon?" said Alice.

"It isn1t respectable to beg," said the King.

TUG, p. 280.

ou encore avec "every other day", piierre d' achoppement de la conversationdd1Alice avec la Reine Blanche;

"But really you should have a lady's-maid!"

"I'm sure I111 take vou with pleasure!" the Queen

said. "Twopence a week, and jam every other day." Alice cofiildn1t help laughing, as she said "I

don't want you to hire me — and I don't care fnr jam."

"It's very good jam, said the Queen.

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"You couldn1t have it even if you did want it,"

the Queen said. "The rule is, jam to-morrow and jam yesterday — but never jam to-dav."

"It must come sometimes to 'jam tn-day'," Alice obj ected.

"No, it can't," said the Queen. "It's jam every other day: to-day isn't any other day, you knnw."

"I dnn1t understand you," said Alice. "It's

dread-fully confusing!"

TUG, p. 247. "Every other day", "chaque autre jour", 6quivaut en an-glais 6 "un jnur sur deux". Chacun comprend dnnc: un jnur, confiture, le lendemain, pas de confiture, et ainsi de suite. Pour Alice, en tous cas, il s'agit 16 d'une 6vidence: le sens apparent de 1'expression va de soi, elle va directement du discours 6 la r6alit6, en occultant cette lentille qu'est le langage, qui est plac6e sur le parcours du sens et qui est pour elle absolument transparente. Ce que "every other day" "veut dire", son "sens", lui apparaissent tout-de-suite. Or le sens a les pieds fragiles: le processus de designation, c'est-6-dire le rapport du discours 6 ce qu'il d6signe, peut tres bien s'obscurcir si on sait agir dessus judicieusement: 1'interlocuteur est alors atteint de cataracte linguistique.

U1obscurcissement de la lentille est obtenu tout

bnnne-ment en utilisant ses propres propriStes, qui ne snnt ni cel-les de l'"oeil" (Alice), ni celcel-les de la chose vue (le monde). On voit alnrs quelque chose de si different 6 travers la len4, tille qu on n'y croit pas: c'est comme si on ne vnyait rien. En 1'occurence, "other" dSsigne 6 lui tout seul un certain morceau de r6alit6, de m§me que "every". "Every other day", pris au pied de la lettre", c'est—6—dire pris pour ce que 1'expression designe logiguement. devie par rapport senr-sens institutionnalisS, et designe une r6alit6 impnssible, une NON-REAUITE: le langage, produit d'une socifite, prend

ici sa liberte vis-6-vis d'elle, lui 6chappe en quelque sorte: d'oij 1' inacceptabilitS du discours de la Reine Blanche, son rejet, 1'"incomprShension" qu'il suscite.

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interes-34

sant du point de vue linguistique: il concentre en quelques lignes ce qu'un long discours th§orique etablirait moins ef-ficacement. Malheureusement, il est difficile h rendre en frangais. Parisot calque sa traduction sur le texte anglais: "tous les autres jours"/Maujourd'hui n'est pas l'un des

au-tres jours, voyez-vous bien." U'effet est rat6, puisque "tous les autres jours" n'est pas une expression toute faite en frangais, et ne renvoie h rien. Ba$iy propose "chaque lende-main"/"...c'est toujours de la confiture pour le lendemain, et aujourd'hui n'est pas demain, vous savez." Apr6s tnut,

peut-6tre pourrait-on se servir de 1'expression courante frangaise correspondant d "every other day": "tous les deux jours"/"au-jourd'hui, ga ne fait pas deux jours." Quni qu'il en snit, la traduction ne parviendra pas S restituer le naturel snuverain du texte de Carroll.

Parlons des "tags" et assimil6s: ce sont ces petits seg-ments non signifiants, quoiqu'emanations du systime grammati-cal, qui 6maillent la chalne parlie, comme pour remplir des "blancs" dans 1'intonation de la phrase (ces segments ne snnt souvent rien d'autre que les supportsdde marques prosodiques)> pour cesurer le discours et lui donner un rythme, et aussi pour garder un contact explicite avec 1'interlocuteur que ces segments impliquent en g6n6ral directement: tel est peut-Stre leur seul fondement semantique (en anglais: "you see","you know", des interrogations plus ou moins factices comme "does it?", "aren't you?", etc. En frangais: "tu vois", "tu

com-prends", etc). Ils abondent en anglais, et ont toujnurs in-qui6te les traducteurs, sachant qu'ils se rencontrent moins en frangais, et ne reposent pas, de toutes fagons, sur les m§mes elements lexicau*: toute traduction littSrale est dnnc vou6e d un caractBre etrange et difficilement lisible (vnir par exemple les innombrables "ynu know" d'Alice). Mais la difficultS est encore accrue par le fait que Carrnll s1en

prend h ces segments et en fait le dSpart de digressinns. Exemple: les objections de la Chenille h Alice:

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"... because I1m not myself, you see."

"I don1t see," said the Caterpillar.

"... one doesn1t like changing so nften, you

know."

"I dpn't know," said the Caterpillar.

AIW, pp. 67, 72. "... parce que je ne suis pas moi-mSme, vous voyez..."

"Je ne vois pas," dit la Chenille.

"... on n1aime pas changer si souvent de taille,

vous savez..."

"Non. Je ne sais pas," dit la Chenille.

Cette derni&re remarque est strictement juste d'un point de vue logique (la Chenille ne sait pas qu'"on n'aime pas changer si souvent de taille", puisque sa nature comporte de tels changements), alors que le "you know"d'Alice n'est rien d'autre qu'une formule rh6torique, une habitude en anglais, qui n'a pratiquement rien 3 voir avec la notion de "savoir". Si donc le traducteur tient h ne rien perdre des implicati-ons de tels echagges, il encourt pour sa traduction un man4 que de naturel qui serait en ccmtradiction flagrante avec l'o-riginal dont c'est 1'une des vertus majeures; sans compter

/

que ce naturel est pr6cis6ment le point d'ancrage de la dis-cussion, puisqu'il permet seul de creer 1'effet de surprise indispensable.

Occupons-nous de qe qui, tout en constituant lappOias grande partie des jeux de langage d'"Alice", est aussi le domaine qui risiste le plus & la traduction, h savoir celui qui est 1'occasion de developpements prenant appui sur ce lien qui rattache le "dit" d ce qu'il reprSsente et que l'on appelle "sens", r6sultet de la cojjonction de deux n6cessit6s* celle d'exprimer et celle de communiquer. II s'agit d'abord,

une fois isoli 1'ilement h reprSsenter,dlBnlui^ta^Tefneotres-pondre un 6l6ment linguistique, phonique. On structurera ain— si le reel, en faisant correspondre & la structure obtenue une structure equivalente qui sera capable de reprSsenter la

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36

premi&re et qui fonctionnera & 1'aide de ses propres roua-ges.

II est evident que ce lien,qui est iph;S6en33!?ir!e§t par

d6-finition logique, puisqu'il unit deux structures paralleles: il faut pour qu'il soit efficace que les deux structures co-Incident exactemedt, et qu'a un 6l6ment de l'une correspnnde

un 616ment 6quivalent de 1'autre, et ceci, dans les deux sens. II s'agit ensuite de faire en sorte que cette double structuration soit op6rSe identiquement par *out locuteur de la communaute linguistique consid§r6e, faute de quni les dis-cours glisseront les uns sur les autres...

Carroll a ainsi souvent recours a l'univocit6 qbirmlest que theorique, mais largement admise, de la relation entre t<n tout objet et sa representation linguistique, ainsi qu'& la tendance des gens S accepter d'une part toute cat§gorisation qui est attest6e dans leur langue comme existant reellement, d'autre part toute categorisation attestee dans la r6alit6 comme ayant n6cessairement une contrepartie dans le lexique de leur langue. De toutes fagons, ils ne sont pas pr6par6s h constater des d6fauts dans ce domaine, et Carroll en pro-fite, se servant de la polys6mie, de 1'homnnymie, de la sy-nonymie.

Polvs6mie;

11— then you don't like all insects?" the Gnat

went on, as quietly as if nothing had happened. "I like them when they can talk," Alice said. "None of them ever talk, where come from."

"What sort of insects do ynu rejniee in, where vou come from?" the Gnat inquired.

"I don't reioice in insects at-sall,"

TL-G, p. 221.

Subtilement, deux "sens" de "to rejoice": "eprouver du plaisir" et "poss6der" (mSme racine que le frangais "avoir la jouissance de quelque chose), sont forces a cohabiter h cause du contexte. Le frangais n'a pas de lexfeme r6unissant ces deux s&mes: il va donc falloir user d'un artifice-<

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allon-ger le dialngue en tSchant d'y incnrpnrer les deux sSmes sans altirer le ton du passage.

Homonvmie:

Le Chevalier Blanc est responsable d'un autre glissement simantique, qui relBve cette fois de 1* homnnymie, ou identiti phonologique (et, dans ce cas pr6cis, graphique), c'est-S-dire une carence de dinotation phonologique d'une diffirence de sens: en d'autres termes, une structuration de la r6alit6 non accompagnee d'une analyse correlative du son:

"And then he took the helmet off again — but it took hours and hnurs to get me odt. I was as fast as — as lightning, you know."

TUG, p. 303. Carnoll joue sur "fast" "attach6" et "fast" "rapide", d'ou 1'effet de surprise que provoque la fin de l'enonc6, et 1'impnssibilit6 de le decalquer en frangais. Andre Bay suppri-m BspDBesuppri-ment et sisuppri-mplesuppri-ment le jeu de suppri-mots, Parisnt effectue un

transfert sur la polys6mie du mot "attach6": "... il a fallu

des heures et des heures pour m'en faire moi-m6me snrtir, tant je m'y 6tais attach6." D'autres, comme M.-M. Fayet, tradui-sent litt6ralement ("J'etais aussi enfonc6 quel'6clair"), avec une-inote explicative.

Ces ricochets du sens sur deux homnnymes sont frequem-ment exploit6s par Carroll, puisqu'ils permettent des effets assez spectaculaires. L'un des passages les plus rednutables pour le traducteur, h qui i1 pose des problSmes aigus et qua— siment insurmontables est le guiprnQUn qui se prnduit dans "Through the Looking«6lass" entre Alice et la Reine Blanche a cause de la parfaite identit6 phnnique de "addressing" (de "to address", s'adresser h) et "a-dressing" (de "tn dress", habiller)i

"Am I addressing the White Queen?"

"Well, yes, if you call that a-dressing," ... tlg, p. 245.

(39)

38

Voici comment 1'obstacle a ete franchi par quelques tra-ducteurs:

"Est-ce h la Reine Blanche que je me pr6pare h parler?

— Peut-Stre, si vous appelez ga "se preparer"... AndrS BAY

"Est-ce bien h la Reine Blanche que je m'adresse? — Hum! oui, si vous appelez cela de 11adresse, . . .

Henriette RDUIUUARD — Est-ce que je m'adresse h la reine blanche?

— Mon Dieu, oui, si vous appelez cela un habil-lage, . . .

(avec note explicative)

M.-MsjFAYET et le toujours inattendu Henri PARI5DT:

"De parler h la Reine ai-je 1'honneur insigne?" "Avez-vous dit: "Hein, Cygne?"...

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Autre calembour 6labor6; celui-ci, trouvS dans la con-versation entre Alice et la Duchesse, au chapitre 9 de "Alice In Wonderland", 0C1 l'on saute d'une cat6gorie syntaxique ii i^ une autre:

"there's a large mustard-mine near here. And the moral of that is — 'The more there is of mine, the less there is of yours."'

AIW, pp. 121-122. Nouveau casse-tSte pour le traducteur. Cette fois le ca-lembour s'appuie sur "mine" ("mine", dont on extrait les mi-n6raux; ici, en fait de min6ral, il s'agit de moutarde) et "mine" (pronom possessif 1Bre pers. sg.: "le mien" nu "& mni"). Or, "mine" dans "the more there is of mine" (= "plus j'en ai*) est en fait EN MEME TEMP5 nnm et pronom, puisqu'il peut etre commut6 non seulement avec d'autres pronoms, comme "his" , "hers", etc., mais aussi avec des substantifs, comme "but-ter" ou "gaiety", par exemple ("the more there is of gaiety"...

Ce qui fait que "the more there is of mine" signifie § la fnis "plus j'en ai" et "plus il y a de mine"... Parisot et Papy se rabattent sur le dicton "il ne faut pas juger les gens sur la mine", Bay supprime.

Mais on trouve un calembour encnre plus extraordinaire, puisqu'il est mulii-dimensionnel, au chapitre 3 de "Alice In Wonderland", au moment oCi la Souris entreprend de cnntier l'his toire de sa vie:

"Mine is a long and sad tale!" said the Mnuse, turning to Alice, and sighing.

"It is, a long tail, certainly," said Alice, look-ing down with wonder at the Mouse's tail; "but why do you call it sad?"

AIW, p. 50. TRADUCTION UITTERALE

"Mon histoire est longue et triste," dit la Snu-ris en soupirant et en se tournant vers Alice.

"Longue, d'accord," dit Alice, regardabt avec 6tnn-nement la queue de la Souris; "mais pnurquni dire qu'elle est triste?"

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