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Les précédents. L'enjeu de la qualification

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Les précédents. L'enjeu de la qualification

In: Politix. Vol. 5, N°20. Quatrième trimestre 1992. pp. 35-53.

Abstract

Precedents. A label at stake. Dominique Damamme [35-531.

This article attempts to capture the different elaboration processes of institutionnal precedents. First, it describes the elaboration of parliamentary usages and the functions that this particular kind of rules fulfills. Above all, it shows the labeling and recognition conflicts surrounding these precedents, especially when they concern the relationships between the chambers or between the government and the assemblies. Finally, it questions the solidity of parliamentary law, reminding the apparition of a segment of inflexible law under the fifth Republic but also the necessity to maintain the disjunction between effectivity and validity.

Résumé

Les précédents : l'enjeu d'une qualification. Dominique Damamme [35-53].

Ce travail s'efforce de saisir les divers modes d'élaboration des précédents institutionnels. Il décrit d'abord l'élaboration des usages parlementaires ainsi que les fonctions que remplit ce type particulier de règles ; il montre surtout les conflits de qualification et de reconnaissance dont les précédents sont l'objet lorsqu'ils touchent notamment aux rapports entre les Chambres ou aux relations entre le gouvernement et les assemblées ; il s'interroge enfin sur le degré de dureté du droit parlementaire, en rappelant à la fois l'apparition sous la Ve République d'un secteur de droit «inflexible» mais aussi la nécessité de maintenir la disjonction entre effectivité et validité.

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Damamme Dominique. Les précédents. L'enjeu de la qualification. In: Politix. Vol. 5, N°20. Quatrième trimestre 1992. pp. 35-53.

doi : 10.3406/polix.1992.1547

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L'enjeu de la qualification'

Dominique Damamme Université de Rouen LA CHAMBRE n'a pas à inviter le gouvernement à remplir un acte de

sa fonction auprès d'une autre assemblée. Il y a des précédents nombreux qui s'y opposent, et puisqu'ici on invoque toujours les précédents, je fais, moi-même, aujourd'hui appel à l'autorité des précédents". Rejetant ce rappel au règlement de Charles Benoist, le président de la Chambre des députés Henri Brisson lui oppose l'existence de précédents contraires «dans les deux Assemblées» et maintient la parole à l'auteur de la résolution (11 mars 1907)1.

Le précédent, c'est d'abord une pratique indigène au monde parlementaire et un mot qui renvoie aux usages des Chambres, usages reconnus et protégés, partie intégrante de la légalité interne des assemblées, établis en application ou en complément de leur Règlement intérieur. En présence d'une difficulté d'interprétation, d'une contestation ou d'une lacune du droit parlementaire, le précédent indique la solution par laquelle, dans le passé, un problème identique ou similaire a été tranché. Mais, plus exactement encore, les autorités parlementaires, et d'abord la présidence de l'Assemblée nationale et les conseillers du Service de la séance, ont pour règle d'appréhender toute interprétation d'une disposition concernant le fonctionnement de l'Assemblée comme un précédent, qu'il s'agisse de la réitération conforme d'un article du règlement ou d'une adjonction, et d'en juger la validité au regard des textes et de la tradition : définition large qui a pour effet que certains «précédents», recueillis en fin de session par les services sont accompagnés de la mention «A ne pas suivre»2 ; définition qui implique également que tout acte est porteur, in statu nascendi, d'obligation, susceptible de faire jurisprudence, coutume.

En se fondant sur les précédents, les parlementaires n'agissent pas très différemment des agents sociaux dans les situations ou les interactions ordinaires lorsqu'ils se fient aux routines pour dissiper l'incertitude d'un choix • Je remercie B. Gaïti pour sa lecture attentive et suggestive d'une première version de ce texte. 1. Pierre (E.), Traité de droit politique, électoral et parlementaire, 1910 (4e éd), et Traité de droit politique, électoral et parlementaire. Supplément, 1923- Supp., n° 680, p. 1016. Une étude approfondie des précédents supposerait un travail sur les pratiques des Assemblées depuis la Révolution française, en particulier de l'Assemblée constituante. Le cadre historique retenu ici est plus restreint puisqu'il s'attache aux institutions depuis 1875. En ce qui concerne la Ille République, le matériau est tiré du Traité de droit politique, électoral et parlementaire d'E. Pierre, le nomothète de la Ille République, ainsi que du tome premier des Nouveaux suppléments rassemblés par J. Lyon, qui couvrent la période 1924-1945 : Lyon (J)> Traité de droit politique, électoral et parlementaire. Nouveaux Suppléments, Paris, La Documentation

française, 1984.

2. Luisin (B.), «L'interprétation du règlement de l'Assemblée nationale par les précédents», Revue du droit public, 1989, P- 1107- 1130.

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ou pour ajuster leurs appréciations sur une conduite à tenir collectivement, faisant ainsi l'économie d'une mise en question des pratiques ou d'un conflit1. Mais ce bref échange entre deux juristes de la Chambre des députés rassemble d'autres informations sur la vie parlementaire de la Ille République : d'abord le ritualisme de l'appel aux précédents, mais aussi la force juridique des usages dont l'autorité se fonde sur «l'éternel hier» et sur le consensus omnium, qui tiennent donc à la fois de la convention2 et de la coutume ; l'incident éclaire en même temps les formes juridiques dans lesquelles doivent se couler les interactions politiques ; il montre enfin l'autorité de la parole présidentielle dont l'interprétation clôt l'incident et ferme la controverse.

A côté de l'usage politique, il existe un usage profane du terme précédent, l'usage des locuteurs (ordinaires ou savants) dépourvus de titre légitime à dire le droit : journalistes qui utilisent le mot pour désigner une pratique institutionnelle émergente (par exemple, l'absence de vote d'investiture d'un nouveau gouvernement sous la Ve République ou le refus de signature des ordonnances par F. Mitterrand3), et qui seront d'autant plus enclins à qualifier ainsi un acte politique que la stabilité du rapport de forces institutionnel sera forte, que les chances d'institutionnalisation leur paraîtront élevées : anticipations qui auront pour conséquence qu'un déplacement de la pratique institutionnelle sera perçu et compris comme synonyme d'un changement définitif de la règle du jeu constitutionnelle, changement énoncé en même temps qu'annoncé. Journalistes, mais souvent aussi historiens et politistes, pour les mêmes raisons, mais redoublées, pour les derniers, par une propension spontanée qui leur vient de leur formation universitaire et qui les entraîne à penser la répétition (ou les chances de répétition) dans des catégories juridiques ou encore sous l'effet d'une illusion rétrospective qui les conduit à attribuer ex post à un événement — par exemple la crise politique de 1877 — une propriété «constituante» au motif qu'elle n'a pas connu de contre- épreuves.

Juristes enfin, et sans doute devrait-on dire surtout, à la recherche de filiations4, mais aussi aux prises avec un droit «mou»5. Car le droit constitutionnel est loin de comporter toujours des obligations précises ou des sanctions organisées : même si on accorde au Conseil constitutionnel ce caractère d'instance de contrainte dont l'existence consacre, selon Weber, la présence d'un ordre juridique6, le droit constitutionnel demeure un droit politique, c'est-à-dire un droit commandé par des rapports de force politiques. Le «sauvetage» de ce droit hautement «flexible» s'est traduit (et se traduit toujours) par une stratégie doctrinale de juridicisation7 qui tend à assimiler au droit des dispositions à la 1. Bailey (F.G.), Les règles du jeu politique, Paris, PUF, 1971.

2. Weber (M.), Economie et société, Paris, Pion, 1971, p. 33-

3. Gaxie (D), «Jeux croisés : droit et politique dans la polémique sur le refus de signature des ordonnances par le président de la République-, in Les usages sociaux du droit, Paris, PUF - CURAPP, 1989-

4. Gaïti (B.), De la Quatrième à la Cinquième République • les conditions de la réalisation d'une prophétie, thèse de science politique, Université Paris I, 1992.

5. Le droit constitutionnel ne présente pas le «caractère d'obligation garantie par des sanctions que lui accorde la représentation idéal-typique de la tradition juridique-, notamment la doctrine constitutionnelle française ; voir Gaxie (D.), -L'énigme du droit-, Association française des constitutionnalistes, rapport présenté au 1er Congrès français de droit constitutionnel, Strasbourg, 1990.

6. Weber (M.), Economie et société, op. cit., p. 33 sq., p. 321 sq.

7. Cette stratégie de juridicisation ne «travaille» pas seulement sur le texte constitutionnel mais opère également sur le règlement intérieur des assemblées : «La valeur de la coutume ne [...] [suite de la note page suivante]

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juridicité incertaine. Ainsi que l'écrit Pierre Avril, «la doctrine constitutionnelle française a toujours eu tendance à considérer que le droit réglait assez complètement les rapports des pouvoirs publics pour que l'ensemble de leurs comportements puisse être ramené à l'obligation juridique... La répugnance à admettre qu'elles (les pratiques tenues pour obligatoires mais qui ne correspondaient à aucune règle écrite) n'étaient pas du droit, et en même temps l'impossibilité de les rattacher au droit, a suscité l'immense et vaine controverse sur la coutume»1 ou sur le «droit constitutionnel non écrit»2. Certes, l'instauration d'un contrôle juridictionnel a ôté à la réflexion juridique sur la coutume parlementaire l'essentiel de son matériau et de son actualité, mais le jugement que prononce Pierre Avril sur la «vanité» des débats doctrinaux évacue un peu vite les enjeux politiques et juridiques de ce long travail de juridicisation des interactions institutionnelles, comme il oublie les tentatives actuelles d'appropriation juridique des pratiques qui demeurent en dehors du domaine de compétence du Conseil constitutionnel.

On se propose dans cette note, après avoir examiné la codification proprement parlementaire des usages, d'analyser les conditions politiques d'établissement des précédents institutionnels, c'est-à-dire les diverses opérations, internes et externes, de certification des règles coutumières. Restera ensuite à s'interroger sur l'effectivité de ce droit de création parlementaire : c'est ce qu'on esquissera dans un dernier point en essayant également d'apprécier dans quelle mesure le développement d'un contrôle de constitutionnalité a joué sur le rapport des hommes politiques au Droit. Indiquons enfin que beaucoup d'exemples présentés ici sont tirés de la Me et de la IVe République et que nombre de développements renvoient donc en priorité au régime parlementaire.

La codification «parlementaire»

Rappelons quelques évidences : les précédents parlementaires ne réglaient (et ne règlent) pas que des questions techniques de procédure. Les usages, dans le régime parlementaire des Me et IVe Républiques, régulent les rapports entre les Assemblées comme les relations entre les Chambres et le gouvernement. La pratique et le discours parlementaires confèrent aux règlements intérieurs ou à la Constitution, réalité et autorité — ne serait-ce que par confirmation, paraît nullement inférieure en matière parlementaire à celle de la prescription écrite. En effet, l'usage approuvé est l'expression de la volonté des intéressés au moins autant que ne l'est le règlement voté par eux. La coutume exprime l'acquiescement par le comportement et cet

acquiescement [...] est [...] tout aussi valable, peut-être même plus profondément valable que l'acquiescement par une volonté unique se manifestant à travers le vote d'un texte- (Prélot (M.), Droit parlementaire français, cours IEP, Paris, Les Cours de droit, 1953-1954, p. 41). Dans un ouvrage plus ancien (1934), J. Rivero écrivait que -la vie intérieure exige l'émission de commandements d'une portée plus ou moins étendue et provoque la naissance de règles, issues de la coutume et des pratiques. Il faut reconnaître à cet ensemble de règles le caractère de normes juridiques-. Si ces règles n'ont de valeur que -localement-, -elles produisent tous leurs

effets de règles de droit pour les personnes qu'une intégration spéciale a mises dans leur dépendance- {Les mesures d'ordre intérieur administratif, Paris, Sirey, 1934, p. 380).

1. Avril (P.), «Droit parlementaire et droit constitutionnel sous la Ve République-, Revue du droit public, 3, 1984, p. 582. Ce rejet dans les poubelles de l'histoire des interrogations doctrinales sur la validité des règles coutumières, en même temps qu'elle reflète l'assurance toute nouvelle que tire le juriste de la juridiction du Conseil constitutionnel, s'opère ici encore au nom du droit, en l'occurrence d'un ordre juridique conventionnel au sens anglo-saxon du terme (voir p. 583).

2. Capitant (R.), -Les sources du droit», Mélanges Gény, III, 1, cité in Avril (P.), -Droit parlementaire et droit constitutionnel...», art. cit., p. 583-

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que par réaffirmation de la lecture «normale» et consacrée — ou une signification supplémentaire, éventuellement d'ailleurs en contradiction avec la lecture dominante des constitutionnalistes et de la presse politique. S'intéresser aux précédents institutionnels, c'est donc nécessairement rencontrer la double question de l'interprétation et de l'invention de la règle, questions qui en fait convergent dans une interrogation sur la constitution du droit1.

Concrètement, cela revient à se demander quelles sont, dans un régime représentatif, les autorités habilitées à transformer un acte ou une pratique récurrente en un précédent, à déterminer qui exerce le pontificat constitutionnel2. Le «pontife constitutionnel» des Ille et IVe Républiques, ce sont les Assemblées alors que, sous la Ve, le pouvoir de création et de certification est détenu pour l'essentiel par le président de la République. Subsistent cependant, semble-t-il, entre ces oracles, des différences de capacité «constituante» : le Parlement était le seul et unique pontife alors que sous la Ve cohabitent deux Représentants (le président de la République et les Chambres) et une juridiction (le Conseil constitutionnel). Avant 1958, le Parlement disposait du monopole de la codification du «droit du Parlement» — en fait de cette vaste partie du droit constitutionnel traitant «des règles suivies dans l'organisation, la composition, les pouvoirs et le fonctionnement des assemblées politiques»3 dont les frontières perpétuellement extensibles épousaient le tracé des précédents «parlementaires» — . Les usages parlementaires complétaient et «s'agrégeaient» à un texte ayant «force de loi», le Règlement intérieur.

Qu'il s'agisse d'une effectuation routinière ou innovatrice, pour ceux qui ont charge de faire respecter le règlement intérieur, les présidents des Assemblées, chaque mise en jeu laisse une trace, une sédimentation susceptible d'engager l'avenir sous la forme d'un usage ou d'une convention. Le précédent parlementaire, c'est, en ce sens, autant l'application traditionnelle de la règle que l'écart à la règle fondé en tradition. De là le double rôle du Président de gardien de la loi et de législateur. Lorsque, à la suite d'une contestation, une solution est constituée en convention par un président d'Assemblée (et qu'elle est, surtout dans les premières années de la Ille République, explicitement ratifiée par elle), cette opération de codification joint effet d'homologation et effet d'officialisation4 : énonciation légitime qui transforme la pratique en obligation, validation officielle qui lève l'incertitude sur la réalité ou la signification de la règle. Si les précédents générés par des conflits entre institutions restent souvent lourds d'indétermination, connus comme précédent et comme usage parce que reconnus a posteriori, les précédents proprement parlementaires, dans la mesure où ils concernent l'organisation ou le fonctionnement interne de l'Assemblée deviennent immédiatement valides, une fois consacrés publiquement : ils sont la loi du Parlement, parce 1. Habib (L), -L'impur objet de la science du droit», Droits, 1990 ; Troper (P.), "Le problème de l'interprétation et la théorie de la supralégalité constitutionnelle», Recueil d'études en hommage à C. Eisenmann, Paris, Cujas, 1975 et «Fonction juridictionnelle ou pouvoir judiciaire?», Pouvoirs, nol6, 1981.

2. François (B.), -Le président, pontife constitutionnel-, in Lacroix (B.), Lagroye Q.), dir., Le président de la République, Paris, Presses de la FNSP, 1992.

3. Prélot (M.), Droit parlementaire français , cours IEP, Paris, Les Cours de droit, 1957-1958, p. 5. 4. Bourdieu (P.), «Habitus, code et codification», Actes de la recherche en sciences sociales, n°64, 1986.

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qu'énoncés par une autorité dotée d'un monopole légitime et incontesté de qualification, autorité à la vérité double sous les Ille et IVe Républiques s'agissant du couple Président- Assemblée.

'Fixer la jurisprudence- . Léon Gambetta rappelle un précédent de 1848

Un député invalidé réélu peut-il reprendre sa place dans le bureau dont il faisait partie avant son invalidation ?

'Le député qui vient d'être réélu est-il investi par cette réélection du mandat qu'il possédait antérieurement à son invalidation, ou, au contraire, n'est-ce pas un nouveau mandat qui lui est conféré ? Dans la séance de la Chambre des députés du 20 janvier 1848, sous la présidence de M. Sauzet, un cas analogue s'est présenté et, comme il s'agit bien de fixer la jurisprudence, je me permets de rappeler ce précédent... Vous allez décider si le cas de l'honorable

M. Delafosse doit recevoir une solution analogue en vertu de ce principe que le mandat ne survit pas à l'invalidation... Cela dit, je consulte la Chambre sur le point de savoir si la réélection d'un député invalidé ou démissionnaire restitue à ce député les positions qu'il occupait antérieurement soit dans les bureaux, soit dans les commissions*.

Consultée, la chambre se prononce négativement. Gambetta indique alors : -Le précédent restera établi de la manière suivante : un député ne reprend pas de plein droit sa position antérieure dans les travaux législatifs de la Chambre-1 . On sait que dans la tradition française du régime parlementaire le pouvoir normatif des Chambres ne se limite pas à leur organisation ou à leur fonctionnement interne mais intéresse aussi le gouvernement, dans son action comme dans son existence. Or, celui-ci n'intervient jamais dans le processus de production des usages et de la coutume parlementaire ; il n'a évidemment pas juridiquement compétence pour interpréter le règlement des chambres. Dès lors, les prérogatives gouvernementales dépendent de l'interprétation parlementaire qui prévaudra de la norme constitutionnelle, du règlement et des usages. D'où encore cette conséquence que, même si le consentement peut-être en effet présumé lorsque la règle porte sur l'organisation de la Chambre, tous les usages proprement «parlementaires» ne sont pas, contrairement à la présentation qu'en donnent certains juristes, obligatoirement des conventions exprimant la volonté commune, explicite ou tacite, des intéressés, même si le consentement à l'usage peut être en effet observé lorsque la règle porte sur l'organisation de la chambre ou son fonctionnement.

Sous la IVe République, le non-respect des conditions constitutionnelles de la confiance et de la censure2 aboutit à ce qu'un gouvernement soit «démissionné» alors que la Constitution aurait permis son maintien. Lorsqu'en mai 1957, Guy Mollet pose, dans les formes constitutionnelles, la question de confiance sur un projet fiscal, le rejet du texte par 250 voix contre 213, chiffre inférieur à la majorité qualifiée de 298 voix, n'empêche pas A. Le Troquer, président de l'Assemblée nationale, à la fois de constater que la confiance n'est pas refusée et de déclarer que «L'Assemblée voudra sans doute laisser à son président le soin de la convoquer*, formule sacramentelle d'ouverture des 1. Pierre (E.), Traité..., op. cit., no7l8.

2. Williams (P.), La vie politique sous la IVe République, Paris, A. Colin, 1971. Au total, de 1947 à 1958, quatorze des vingts gouvernements qui ont démissionné l'ont fait sans obligation constitutionnelle .

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crises ministérielles. On peut ne voir là que l'effet des nécessités : sanction de la perte de confiance politique du gouvernement et anticipation de la décomposition prochaine de la coalition majoritaire, ou encore manifestation de l'incapacité d'un président d'Assemblée à faire respecter les textes constitutionnel et réglementaire.

Cette fonction d'autorité se résumerait alors à la mise en forme ou encore à la rationalisation des intérêts immédiats d'une majorité circonstancielle de députés ou des intérêts collectifs de la corporation. Mais on peut aussi lire dans cette déclaration le résultat et la traduction d'une coutume, faite de manquements répétés à la lettre des textes, s'imposant au gouvernement, et qui autoriserait quasi «constitutionnellement» le président de la Chambre à considérer le gouvernement comme démissionnaire. Il serait étonnant qu'il n'en soit pas ainsi pour un président d'Assemblée, marqué, par fonction, par une propension au nomothétisme, c'est-à-dire à appréhender les pratiques comme précédents potentiellement constitutifs d'usages, à les saisir, dans une perspective téléologique, comme une chaîne d'actes formant et faisant droit par leur répétition. Les gouvernements des Ille et IVe Républiques étaient ainsi comptables de leurs actes envers une autorité constituante de fait, la présidence de la Chambre des députés ou de l'Assemblée nationale, incorporée au corps politique dont elle formait la tête (à la différence du Speaker de la Chambre des Communes)1, disposant du pouvoir de qualifier la pratique interne de l'Assemblée mais aussi ses relations extérieures dont le champ variait en fonction des rapports de force2.

En des termes empruntés à Weber, les corps parlementaires forment un «groupement» et leur direction une «activité de groupement»3. Droit disciplinaire, le droit parlementaire s'attache à la régulation et à la pacification des pratiques : la fixité de la règle rétablit l'ordre, introduit de la prévisibilité dans les actions tout en prévenant les contestations futures. Mais les Assemblées constituent aussi un espace public égalitaire. Représentant, le Parlement est un lieu où la parole est libre. Il s'agit alors, toujours selon Weber, d'une «administration en dehors de toute relation de domination», dont les membres considèrent que la direction «agit [...] pour leur "service" et en vertu de leur mandat»^. D'où une tension permanente entre pouvoir et anarchie, loi et anomie : «Le président ne peut que faire respecter le règlement, votre règlement. S'il se dérobait à ce devoir, il n'y aurait plus rien ; la Chambre ne serait plus une assemblée ; ce serait un cohue»^. La 1. May (T. E.), Traité des lois, privilèges, procédures et usages du Parlement, Paris, Giard et Brière, 1909-

2. Dans le dialogue entre un député français et un voyageur britannique de la «Seconde lettre à ses commettants- (5 mai 1789), Mirabeau montre le spectacle de 500 nommes égaux, nul n'ayant le droit de les commander, tous voulant être entendus. Bientôt, une voix s'élève : -II nous faut un chef. 'Comment imaginer, déclare alors le visiteur, que des hommes qui n'avaient jamais délibéré dans une Assemblée connussent et pratiquassent tout d'un coup le mécanisme compliqué des votements et des délibérations. Vous avez commencé par le chaos, et le monde a-t-il commencé autrement ? Vous avez été une demi-heure à trouver le premier anneau« {in Furet (F.), Halévi (R.), Les orateurs de la Révolution Française, Paris, Gallimard, «La Pléiade», 1989).

3- «Nous dirons d'une relation sociale [...] qu'elle constitue un groupement lorsque le maintien de l'ordre est garanti par le comportement de personnes déterminées, spécialement instituées pour en assurer l'exécution, sous l'aspect d'un dirigeant», (Weber (M.), Economie et société, op. cit., p. 49).

4. Ibid., p 296.

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déclaration dramatise l'indiscipline parlementaire. Mais le sens de cette réflexion se situe au delà, dans le rappel qu'il n'y a pas de corps sans tête, de parole sans loi, bref, que le Parlement n'existe que par cette méta-règle : il n'y a pas d'espace public sans ordre, même si cet ordre est réglé par une loi d'égalité et de réciprocité. Pour que la parole soit libre et partagée, elle doit être ordonnée. Règle simple mais qui engage toutes les autres, et qui est formellement au principe de l'obéissance dans une démocratie directe. Le mode de constitution des précédents éclaire, de manière symptomatique, cette oscillation d'une assemblée autocéphale entre pouvoir de légiférer et consentement à la règle. Dans les questions que le règlement n'a pas tranchées ou qu'il n'a pas prévues, le Président indique la solution. Si son interprétation est contestée, il consulte la Chambre mais il peut aussi (en droit) passer outre : «Le président est chargé de faire observer le règlement ; c'est à lui qu'appartiennent l'interprétation des textes et leur application aux cas divers qui peuvent se présenter ; mais il a le droit de consulter la Chambre, soit lorsqu'il se trouve en présence d'une difficulté qui n'est pas prévue par le règlement, soit lorsqu'il y a contestation sur le sens ou sur la portée d'un vote [...]. J 'ai fait connaître à la Chambre mon sentiment sur

l'interprétation du règlement ; mais vous savez à quel point votre Président pousse le libéralisme (Vifs applaudissements) au profit de toutes les opinions pour que, puisqu'une contestation s'élève sur le sens d'un texte, la Chambre juge en dernier ressort« (Vifs applaudissements sur un grand nombre de bancs)1.

Dans son travail sans fin de conservation et de rationalisation de ce droit inflationniste2, le Président pouvait s'aider du Traité de Droit politique, électoral et parlementaire d'Eugène Pierre, secrétaire général de la présidence de la Chambre des députés sous la Ille, pédagogue officiel du régime parlementaire, qui a colligé la quasi-totalité des précédents supplétifs ou interprétatifs de la fondation de la Ille jusqu'à sa mort en 19243. Le Traité, c'est proprement la légitimité traditionnelle, le «grand» livre de la tradition mais d'une tradition hautement respectable, à ne pas confondre avec la main courante des illégalismes : chez Eugène Pierre, à la différence des rapports parlementaires emplis de pratiques illégales4, les exemples d'usages contra legem sont rares, juste tolérés dans les notes de bas de page ou prudemment évoqués à propos des réformes qui les ont supprimés. Il aurait été en effet impensable que le Traité, outil de travail destiné aux parlementaires (et d'abord aux présidents des Chambres et des commissions parlementaires) — et indicateur de la spécialisation du travail parlementaire et de la professionnalisation politique pour les parlementaires qui s'y réfèrent5 — mais aussi ouvrage public, conservatoire des pratiques politiques du «génie» 1. Il s'agit de P. Deschanel en 1913, cité dans Pierre (E.), Supp., n°679.

2. Lorsque le Président cumulait légitimité, habilité et expertise, on parlait alors d'une «présidence professionnelle» dont les archétypes furent L. Gambetta et H. Brisson. Pour des exemples de complexité du droit parlementaire, voir les questions de priorité abordées dans Pierre (E.), Supp., Livre 6, 3e section, n°787 à 967.

3. E. Pierre en recensait près de 4000 à la fin du siècle dernier {De la procédure parlementaire , Paris, Maison Quantin, 1887). Une bibliothèque des précédents existe à l'Assemblée nationale sous la forme d'une série de dossiers (pour chaque article de la Constitution ou du règlement) rangés dans le bureau du directeur de la séance.

4. Par exemple, Joseph-Barthélémy, -La résolution du 15 juillet 1926 et la réforme des méthodes parlementaires», in Mélanges Hauriou, 1929- Rapport, Doc. Pari., Annexe, nol666, 3 juin 1926 et débats du 15 juillet 1926 et 20 Juillet 1926, Journal officiel, p. 2982 sa.

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politique français, instrument essentiel de légitimation du parlementarisme républicain1, se fasse le recueil des scories quotidiennes des luttes parlementaires. Et c'est parce que le Traité constitue d'abord un «aide- mémoire» pour la direction des assemblées que l'invocation du précédent, expression de l'institué, se révèle l'arme la plus usuelle du Président et que son invocation par les parlementaires apparaît aussi rare. La contradiction avec les paroles de Charles Benoist rapportées tout au début n'est qu'apparente et se comprend si l'on voit dans le Pierre un dispositif au service de l'ordre parlementaire et de ceux qui en sont chargés mais aussi de l'hégémonie des Chambres à l'égard du gouvernement, pour ne rien dire du «peuple». Cela ne signifie donc pas que les hommes politiques de la Ille République (ou leurs successeurs) abandonnaient aux seules autorités parlementaires les secours du droit parlementaire... quand ils le maîtrisaient.

Contre les micro-illégalismes, entreprises individuelles de contournement du droit, le rappel à l'ordre de la règle ou aux usages du droit «prétucien», comme on disait alors, suffisait souvent à faire barrage. Devant la répétition des violations, dans des conjonctures tendues, face à une personnalité politique, le président pouvait utiliser des moyens de défense plus sérieux ou plus obliques : démonstration de la nécessité logique de la règle, réitération de l'usage par un vote solennel de la Chambre, acceptation sous réserve ou à titre exceptionnel d'une procédure juridiquement douteuse2. Lorsqu'il s'agissait

d'une infraction ou d'une réclamation individuelle, le rapport de forces tournait généralement en faveur du Président. Mais face aux exigences d'un groupe, d'une commission par exemple, aux nécessités de la lutte politique ou à la collusion des intérêts collectifs des parlementaires, le droit ne résistait pas longtemps. Le règlement et les usages constituaient un univers malléable parce que si l'acquiescement à la règle tenait à la légitimité de celui qui l'avait énoncée, et donc au Parlement, il consacrait en même temps le droit des parlementaires à abolir ce qu'ils avaient institué.

Petites techniques présidentielles de défense du droit.

- Le Président : "Cette procédure est peut être critiquable, mais elle existe ; et ce que vous me demanderiez en ce moment, ce serait de détruire tous les précédents existants [...]. Je ne puis pas me le permettre tant que le règlement

n'aura pas été modifie»^.

- Le Président : 'Vous demandez une modification au règlement ?»

- Le député : *Je demande que le bureau veuille bien donner l'interprétation- . - Le Président : "L'interprétation fondée sur un grand nombre de précédents est celle qui vient d'être exposée à la tribune par M. le rapporteur-.

- Le député : *Je ne parle pas de précédents. Je prie le bureau de se réunir». - Le Président : *Le Bureau n'est pas chargé d'interpréter le règlement ni de faire valoir une interprétation spéciale, contraire aux précédents suivis par

l'Assemblée»61 .

1. Voir, dans cette perspective, les différentes introductions au Traité. 2. Pierre (E.), Supp., n°939-

3. Ibid., n°934. 4. Ibid., n°453.

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- Le Président : 'Je ne connais ici que les élus du suffrage universel. Je leur dois à tous la même protection. Vous m'imposerez des fatigues qui me rendront peut-être ma tâche impossible mais vous ne m'y ferez pas renoncer»1. - Le Président : 'J'ai quelques réserves à faire à cette proposition de résolution. Il ne vous échappera pas, Messieurs, que, dans la forme comme dans le fond, elle constitue véritablement un ordre du jour motivé qui, d'après l'article 41 de notre règlement (aujourd'hui 113) ne devrait se produire qu'à la suite d'une interpellation acceptée par la Chambre et développée devant elle [...]. Si l'on pouvait substituer aux interpellations que la Chambre n'a pas encore entendues des propositions de résolution s 'imposant d'office au début de nos séances, il n'y aurait plus, en réalité, qu'à faire disparaître de notre règlement les articles 36 et 46 qui seraient constamment violés. Je me permets de soumettre cette observation à la Chambre . C'était mon devoir. Je me conforme aux précédents qui ont toujours été suivis à ce fauteuil et qui sont justifiés par la nécessité de faire respecter l'ordre du jour en même temps que le règlement'2 .

Conflits et transactions

entre autorités institutionnelles

Toute sectorisation institutionnelle enclenche des définitions relationnelles de position. On peut dire, de manière très générale, que la régulation des interactions institutionnelles résulte d'affrontements. Dans la mesure où, comme d'ailleurs la règle constitutionnelle elle-même, l'apparition et la fixation d'un nouvel usage institutionnel procèdent de conflits, la coutume constitutionnelle (et donc aussi le droit écrit) apparaît fréquemment étroitement subordonnée aux rapports de force politiques. En fait, les précédents institutionnels traduisent soit une nouvelle balance des forces entre pouvoirs constitutionnels à l'issue d'un litige ou d'une crise soit une collusion implicite ou une transaction officielle entre eux. De sorte qu'on peut distinguer des précédents conflictuels et des précédents contractuels. Cette double modalité, et parallèlement ce double cycle de production des précédents, correspondent plus ou moins à deux types de compétences, propres ou partagées : la stratégie de la force ou/et la nécessité du compromis, la stabilisation de la coutume par hégémonie politique ou par traité. D'ailleurs, si les situations de partage de compétences donnent souvent lieu à des affrontements durables, donc à des solutions instables, ces litiges ont quelque chance de déboucher avec le temps sur une transaction qui permettra d'éviter une situation de blocage. Mais, encore une fois, toutes les coutumes constitutionnelles n'ont pas des interactions conflictuelles pour origine. Il en est de purement transactionnelles telle, par exemple, que la violation collective et collectivement assumée de l'article 27 al. 2 de la Constitution de 1958 : «Le droit de vote des membres du Parlement est personnel», qu'une entente entre le Parlement et le gouvernement a depuis toujours préservé et qu'une décision du Conseil constitutionnel a couverte3.

1. Ibid., n°463. 2. Ibid., n°45O.

3. Cons, const., n°69-37, 20 novembre 1969, Rec, p 15. Exemple quelque peu différent et datant d'avant la réforme de 1974, le refus de saisir le Conseil constitutionnel lors de «l'Affaire Rives - Henry» en 1971. Voir Schwarzenberg (R. G.), "Le cas Rives-Henry et le droit», Le Monde, 8 octobre 1971.

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•Le Sénat a, concurremment avec la Chambre des députés, l'initiative et la confection des lois. Toutefois, les lois de finances doivent être, en premier lieu, présentées à la Chambre des députés et votées par elle» (art. 8 de la loi du 24 février 1975). En droit, cette question des pouvoirs financiers des Chambres n'a jamais été résolue. Elle l'a été en fait par ce qu'on a appelé le système du -dernier mot», système qu'expose Gambetta dès 1876 : "Ce qu'il faut affirmer et mettre au dessus de toute discussion, c'est que, lorsqu'en matière de loi de finances, la Chambre des députés a dit son premier mot, le Sénat a bien [...] le droit de faire des remontrances à la Chambre [...] mais le Sénat n'a que ce droit. Les remontrances, les observations du Sénat une fois présentées à la Chambre, le droit du Sénat est épuisé. La Chambre des députés statue en dernier ressort, dit oui ou non, accepte ou rejette, mais ce vote là est sans appel et sans cassation-.

Pour le Sénat, le débat n'était pas clos, mais la formule fut acceptée en pratique et même officiellement admise : »En principe, non, rien n'est fini, le droit est réservé et complet ; mais en fait, à moins qu'il n'y ait des nécessités impérieuses ou des raisons d'une certaine gravité, il est réellement d'une bonne politique de ne pas faire perpétuellement la navette [...]. Il ne s'agit pas de droit, je le répète. Je ne parle pas de principes ; je dis que c'est une bonne politique t...]»1 .

Produits de compromis, les textes constitutionnels manquent, souvent volontairement, de précision. Comme l'écrit Maurice Duverger à propos des institutions de la Ve République, «le texte n'est pas clair»2. Plus, comme tout texte, les constitutions restent ouvertes à la construction du sens3. Ce n'est pas parce qu'une compétence ou une obligation est littéralement énoncée dans un texte qu'elle s'impose d'elle même. Un pouvoir demeure indéterminé tant qu'il n'a pas été employé, tant que son sens n'a pas été «vérifié». Le conflit précisément constitue le mode ordinaire en droit politique de vérification du sens : pour qu'il se réalise, il faut qu'il s'actualise. Habituellement, l'attention

1. L. Gambetta, président de la commission du Budget, Pierre (E.), Supp. n° 529-530 et M. Dauphin, rapporteur général du Budget, Sénat, 20 mars 1885, n°532. -Nous avons été presque unanimes à reconnaître la nécessité de mettre fin à toute équivoque sur les rapports entre les deux chambres en matière financière Nous avons pensé que [...] si, en soumettant le budget au Sénat, il lui accorde par la même, le droit de discuter, d'approuver ou non les décisions de la Chambre, et par conséquent d'appeler à une seconde délibération, il ne lui accorde en tout cas, d'aucune façon, ni le droit d'initiative, ni le dernier mot en cas de suppression ou de diminution des crédits, attributs essentiels de la Chambre des députés, directement issus du suffrage universel [...]. Il ressort des précédents qu'il a toujours dépendu de la fermeté de la Chambre de faire triompher ses résolutions- Q. Roche, Rapporteur de la Commission du budget, 7 mars 1885, n°532). Lorsque le gouvernement proposa en 1884 de réviser la Constitution, il fut d'avis d'inclure l'article 8 dans la réforme. -Depuis 1876, le Sénat et la Chambre sont en désaccord sur la portée de l'article 8. Le Sénat estime que cet article n'établit, pour les lois de finances, aucune exception au principe général d'égalité des droits entre les deux chambres dans la confection des lois, qu'il prescrit seulement un ordre chronologique, une priorité dans la présentation et la délibération des lois de finances ; que le Sénat a, dès lors, le droit absolu d'amender le budget, soit pour supprimer, soit pour augmenter les crédits votés par la Chambre. La Chambre croit, au contraire, qu'elle possède la plénitude des droits budgétaires, que le Sénat n'en a qu'une partie, qu'il n'a sur les finances qu'un droit de contrôle et qu'il ne peut rétablir un crédit supprimé par la Chambre des députés. Dans la pratique, ce désaccord,

qui a failli maintes fois dégénérer en conflit, s'est toujours résolu à la dernière heure, grâce à l'esprit de conciliation patriotique qui anime les deux assemblées, par des concessions mutuelles. Il est arrivé à la Chambre des députés de rétablir, dans une nouvelle délibération, les crédits d'abord supprimés et que le Sénat avait rétablis. Il n'est jamais arrivé que le Sénat s'obstinât à rétablir un crédit deux fois supprimé par la Chambre. Mais est-il sage de laisser subsister entre les deux chambres cette cause de tiraillements périodiques» (Exposé des motifs, 24 mai 1884). Le Sénat refusera d'inclure l'article dans la révision constitutionnelle, Pierre (E.), Supp., n° 551-

2. Duverger (M.), «Les institutions de la Ve République», Revue française de science politique , mars 1959, p. 101.

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du juriste se concentre sur les pratiques qui s'établissent dans le silence ou contre la lettre des textes. Cependant constituent tout autant des précédents, les actes conformes au texte mais contraires à la lecture instituée, à son

interprétation reçue.

L'exemple de la responsabilité du gouvernement devant le Sénat sous la Ille République.

En 1896, Léon Bourgeois, mis en échec par le Sénat, accompagne sa démission de la déclaration suivante : 'Nous n'avons pas cru possible de remettre notre démission à M. le président de la République avant d'être venus devant vous pour vous rendre compte des motifs patriotiques de notre résolution, et vous

donner l'assurance qu'aucune autre considération n'aurait pu nous déterminer à quitter le poste où votre confiance nous a jusqu'ici énergiquement maintenus. Nous ne permettrions pas, en effet, qu'une fausse interprétation des motifs de notre retraite pût faire croire au pays que nous avons un seul instant abandonné la doctrine professée par les plus illustres de nos prédécesseurs au gouvernement de la République, par Gambetta et par Jules Ferry, et suivant laquelle c'est à la Chambre directement issue du suffrage universel qu'appartiennent l'initiative et la direction de la politique .

à elle seule appartient, suivant le mot du président du Sénat, "le pouvoir de faire et de défaire les ministères"' (déclaration de Léon Bourgeois du 23 avril

1896).

En revanche, en 1913, le ministère Briand démissionne sans rappeler les réserves développées en 1896. En décembre 1930, Tardieu déclare devant le Sénat : -Le Gouvernement que j'ai l'honneur de présider peut tomber ce soir

devant vous parce que le conflit de doctrine si souvent soulevé ne sera pas évoqué aujourd'hui . la thèse suivant laquelle le Sénat ne peut renverser un ministère n'est pas la mienne'. Inversement, Léon Blum, en 1937, préférera démissionner plutôt que de voir sa responsabilité sanctionnée par le Sénat : en opposition à la règle, il en reconnaissait la réalité1

Si le conflit de 1896 mérite qu'on s'y arrête, c'est qu'il a été explicitement défini comme «précédent» par les acteurs politiques, qu'il est dûment répertorié par «le Pierre», mais surtout parce qu'il révèle comment la pratique produit du sens, le sens, alors même que la responsabilité devant le Sénat était «prévue» par l'article 6 de la loi du 25 février 1875. Le Sénat ne demandait que l'application littérale du texte. Or, comme le souligne Joseph-Barthélémy, «les droits du Sénat sont sortis des faits. Son concours est indispensable à tout ministère pour légiférer, pour travailler, pour vivre. Aucun ministère ne peut défier son hostilité permanente»2. Manière de dire que ce sont les précédents (en l'occurrence, transactionnels) qui ont fait le texte ou que la «force des choses» a réécrit un texte constitutionnel dont la positivité était liée à d'autres intentions ou à une autre tradition3. Joseph-Barthélémy ajoutait d'ailleurs : «Ce texte — de l'article 6 — suffit à la conviction de quelques-uns. Il suffirait s'il s'agissait de discuter, devant un juge de paix, des querelles d'intérêt privé. En 1. Pierre (E.), Traité, op. cit., et Supp., n° 99-

2. Joseph-Barthélémy, Duez (P.), Traité de droit constitutionnel, Paris, Economica, 1985 (rééd., 1933), p. 36. D'un point de vue doctrinal, on peut se demander si le terme même de régime parlementaire est correct pour décrire les Lois constitutionnelles de 1875- Cette qualification n'a véritablement de sens qu'après 1877 dans la mesure où la théorie du gouvernement mixte, exposée notamment par Montesquieu, dans laquelle le chef de l'exécutif est également membre du législatif, demeure une source d'inspiration pour une large part des constituants tentés par une monarchie constitu tionnelle .

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matière politico-constitutionnelle, pareille méthode est inadmissible. Les constituants de 1875, en écrivant ce pluriel, ont simplement copié les chartes de 1814 et de 1830. Elles aussi déclarèrent les ministres responsables devant les chambres et cependant les ministres n'ont jamais été considérés par personne comme responsables devant la Chambre des pairs». Ces deux exemples de précédent sont particulièrement intéressants en ce qu'ils posent, à chaque fois, en des termes différents, la question de la «valeur» du droit, de son «poids», question à laquelle le juriste tente en permanence de répondre, pour laquelle, en fait, il n'existe pas de réponse universelle, et dont la solution dépend, dans chaque conjoncture, de la configuration des forces en présence.

La Ille et la Ve République ont traversé des crises de refondation de sorte qu'elles sont deux fois nées1. De telles naissances en deux temps sont rares et lourdes d'effets durables — ce qui ne signifie pas irréversibles — , contraignant les acteurs à une réévaluation générale de l'équilibre des institutions. La crise de 18772, en instituant un système dans lequel le gouvernement était responsable uniquement devant les Chambres (en tout cas devant celle des députés), a autorisé une lecture strictement parlementaire des Lois constitutionnelles, par la suite consacrée, alors que celles-ci énonçaient ou, plus exactement, contenaient aussi une conception active de la présidence de la République : «En 1875, les conservateurs crurent faire une présidence très forte, et les républicains s'en défiaient. Or, les événements sont venus déjouer l'espoir des uns et dissiper les craintes des autres»^.

1877, c'est donc, pour les républicains, un second moment constituant. Nouvelle Constitution qui transcrit, dans la problématique républicaine qui se construit alors, une recomposition de l'équilibre des pouvoirs légitimée par l'élection. Pour la doctrine républicaine, le nouveau système institutionnel résulte de la «volonté du peuple» exprimée par le suffrage universel et assimilée à une ratification. La suppression du droit de dissolution se fonde moins sur l'absence de contre-épreuves — d'où un usage stratégique dans les manuels de droit constitutionnel de la Ille du terme de désuétude qui constate rétrospectivement une abstention — que sur l'association (censée validée démocratiquement) entre République et irresponsabilité présidentielle, sur l'identification entre dissolution et coup d'Etat contre la République. S'appuyant sur la force du droit, notamment sur les conditions juridiques de la dissolution, avis conforme du Sénat, irresponsabilité présidentielle, obligation du contreseing ministériel, ou encore sur l'existence d'une logique parlementaire potentielle, on a soutenu que la crise n'avait fait que reconnaître un parlementarisme moniste déjà-là ou qu'accélérer le rythme d'une évolution en germe dans le texte constitutionnel. Si personne ne peut raisonnablement contester que les dispositions constitutionnelles ont pesé après 1877 sur l'usage du droit de dissolution, il n'est cependant pas possible d'attribuer ab initio à ces articles une destination certaine et unique puisque, au moins pour les deux derniers, ils figuraient également dans les institutions de la Monarchie limitée

1. La remarque peut sans doute s'étendre à la IVe République si l'on songe à la rupture du tripartisme.

2. Pelletier (W.), »La crise de 1877. La construction de la place et de la compétence présidentielles», in Lacroix (B.), Lagroye Q)> dir., Le président de la République, Paris, Presses de la FNSP, 1992.

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où ils participaient d'une toute autre «logique» institutionnelle, celle de la monarchie limitée ou du gouvernement mixte1.

Le rejet de cette problématique juridique de la crise de 1877 ouvre une double interrogation : de quels précédents cette crise a-t-elle accouché ? Suffit-elle à rendre compte de l'interdiction de l'usage du droit de dissolution ? Sur ce dernier point, il est clair que la solidité de cet impératif négatif a longtemps tenu à sa légitimité d'origine mais la «dureté» qu'on lui attribue habituellement apparaît pour partie rétrospective dans la mesure où il ne doit sans doute sa durée qu'à l'échec des projets de réforme des années vingt, en particulier au dénouement de la crise de 1924 qui, comme le signalait Gaston Jèze dans la Revue du Droit Public «marquera, sans doute, l'échec définitif des tentatives de ce genre»2. En somme, la cristallisation de la coutume a supposé l'épreuve de sa mise en jeu et la réaffirmation de l'accord sur l'existence de l'usage.

D'autre part, si la crise de 1877 fait surgir un précédent, il se limite, pour les constitutionnalistes et pour ce spécialiste du droit parlementaire qu'est Eugène Pierre, à un usage conforme du droit de dissolution : position qui ne variera pas dans les éditions successives du Traité. La crise n'a pu instituer un précédent contraire au texte constitutionnel pour la simple raison que le président de la République a fait un usage légal du droit de dissolution, et qu'aucun Président n'a par la suite recouru à ce pouvoir3. Les déclarations politiques officielles, notamment de Grévy4, n'expriment pas la «volonté du souverain», elles demeurent des opinions extérieures au droit et n'ont pas le statut fondateur qu'on leur prête aujourd'hui. Bref, il n'existe pas de précédent ou de coutume constitutionnelle contraires à la Constitution et pour sauver la fiction constitutionnelle, le Traité est donc contraint de jeter par dessus bord et le principe de réalité et l'idéologie du régime. Cette dénégation de la pratique se retrouve dans les ouvrages de droit public du début de la Ille République, de Léon Duguit notamment, mais pour d'autres raisons. A relire ces analyses des institutions politiques de la Ille, on s'aperçoit que les faits ne pesaient pas lourd au regard de la lecture consacrée par le «Droit». Pour cette doctrine constitutionnelle qui associe le régime parlementaire à une représentation idéalisée de la Monarchie de Juillet, les «mauvaises pratiques» n'existaient pas parce qu'elles ne devaient pas être et, occultant le fait, elle occultait la règle coutumière. Par formalisme juridique comme par opposition au «régime d'assemblée»^, les premiers constitutionnalistes refusent d'admettre toute coutume parlementaire contraire au «droit», en fait à la lecture qu'ils en proposent. Il est certain que la catégorie de la coutume est signe d'une crise du droit et, en ce sens, tout le travail doctrinal postérieur aux premières grandes synthèses théoriques du début du siècle, de juridicisation de ces régularités incertaines ou illégales apparaît ambigu, à la fois remède contre la violation et récupération des pratiques mais en même temps reconnaissance de la dépréciation du droit positif. Ce n'est pas un hasard s'il 1. Troper (M.), La séparation des pouvoirs et l'histoire constitutionnelle française, Paris, LGDJ, 1973.

2. Le de réactivation ou de réforme du droit de dissolution. Jèze (G), «Chronique constitutionnelle de France-, Revue du droit public, 1924, p. 248.

3. Rappelons qu'E. Pierre meurt en 1924.

4. «Soumis avec sincérité à la grande loi du régime parlementaire, je n'entrerai jamais en lutte contre la volonté nationale, exprimée par les organes constitutionnels- (Message du Président Grévy au Sénat du 6 février 1879)-

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faut attendre la période de l'entre-deux-guerres pour voir apparaître, sous la plume d'un constitutionnaliste parlementaire, Joseph-Barthélémy, le constat réaliste de la désuétude du droit de dissolution. Encore cherchera-t-il à la fonder en droit : «De la simple affirmation par le texte constitutionnel que le président de la République est irresponsable, le droit constitutionnel coutumier fait découler une douzaine de règles très importantes, notamment celle-ci : que la personne du chef de l'Etat ne doit pas être mêlée aux débats parlementaires. Remarquons, en outre, que la coutume a même modifié la Constitution de 1875 dans ses parties écrites. Ainsi, le droit de dissolution, expressément consacré par l'article 5 de la loi du 25 février 1875, est resté lettre morte depuis 1877»1.

Le jugement des hommes politiques sur le droit parlementaire (et les usages légitimes) apparaît radicalement différent de celui des premiers constitutionnalistes en ce qu'il associe la formation de la règle à la volonté du souverain et de son représentant, le Parlement : l'usage transcrit un rapport de forces, qui matérialise une domination ou un compromis : la parole d'autorités habilitées à dire le sens scelle le droit. Même si le contrat n'est pas légal, il n'en fera pas moins, en certaines circonstances, «jurisprudence».

Mais que se passe-t-il lorsque n'existe pas — en dehors donc d'un moment formellement constituant ou de la décision d'une juridiction constitutionnelle — de monopole d'attribution du sens, que plusieurs pontifes coexistent et que l'autorité des oracles est concurrencée ? Comment s'opère la reconnaissance de l'usage quand la parole politique est plurielle ou quand s'ouvre un écart entre la parole indigène et la parole savante, entre la parole indigène et la parole de l'opinion. Qui, alors, confère à un événement la qualité de précédent et à quelles conditions ? Pour qu'il y ait certification de la coutume, il est nécessaire que la parole autorisée ne se heurte pas à d'autres discours performatifs, situation improbable lorsque le précédent ou l'usage n'est énoncé ni par le souverain ni par un tiers qui fait droit2, qu'il touche aux rapports entre autorités institutionnelles et donc engage des interprétations contradictoires de la norme constitutionnelle. Encore faut-il également que l'interprétation soit reçue par le public et par la corporation des juristes qui détient compétence et légitimité pour interpréter la règle : de sa réception hors du champ du pouvoir dépend son institutionnalisation. Le destin des précédents se joue dans la distance entre ces différentes paroles et ces différentes légitimités, dans la concurrence entre hommes politiques et juristes. Comme en 1877, comme en 1962 aussi. Mais si ces deux moments s'appellent, ils diffèrent aussi l'un l'autre dans leur trajectoire postérieure car le référendum de 1962 a été tenu pour se rapporter explicitement à l'objet du conflit et pour une validation de l'interprétation de l'article 11. Ce fut en tout cas la position dominante de la doctrine qui considéra en 1969 qu'une fois avait «fait coutume».

Lorsque certaines régularités souffrent d'un manque d'objectivité (soit qu'une pratique modifie une coutume parlementaire ou qu'un usage flottant rende la règle indifférente, comme la double investiture sous la IVe République, les présidents du Conseil désignés se partageant par moitié entre le respect et la 1. Joseph-Barthélémy, Traité, op. cit. ; voir également les prises de position de dirigeants socialistes comme Blum et Renaudel, au cours du débat parlementaire du 20 juillet 1926.

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transgression, jusqu'à la révision de 1954, traduction d'une mise en ordre des intérêts parlementaires) ou lorsqu'un usage reste entaché d'illégitimité ou d'illégalité, parce que sa signification constitue un enjeu de lutte entre pontifes et entre partis politiques ou, qu'en dépit de l'accord initial dont il a été l'objet (comme l'interdiction d'user du droit de dissolution sous la Ille République), les critiques de la presse ou les commentaires de la «science du droit» empêchent sa validation, la répétition (et le silence des adversaires politiques) conditionnent alors la solidification de la coutume parlementaire.

L'usage du droit parlementaire

Tout comme, en 1959, les nombreuses propositions de résolution inscrites dans le Règlement de l'Assemblée nationale et du Sénat, l'introduction en 1949 dans le Règlement du Conseil de la République d'une compétence au titre de l'initiative législative ou encore du système des questions orales avec débat suivi d'un vote ne doit rien au hasard. Ces pratiques quasiment délictueuses, loin d'apporter la preuve définitive du mépris incoercible des hommes politiques à l'égard du droit, montre d'abord que l'élaboration du Règlement intérieur constitue souvent une session de rattrapage politique, presque toujours en tout cas l'occasion pour les vaincus de tenter de reconquérir le terrain perdu. Ne retenir que ces tentatives d'évasion du droit, réduire (et stigmatiser) le comportement parlementaire à de stricts intérêts politiques méconnaîtrait pourtant la multiplicité des tentatives et des réformes parlementaires destinées à rationaliser le droit des assemblées. Même si ces réformes ont été tardives, limitées ou faiblement efficaces, quand bien même l'intérêt pour le droit parlementaire apparaîtrait d'abord le fait de juristes comme, sous la Ille, Joseph-Barthélémy, longtemps président de la Commission du règlement, ou, après-guerre, Paul Coste-Floret, on ne peut nier cependant la réalité des «bonnes résolutions» parlementaires1. Simple hommage du vice à la vertu ? En fait, dans la tête des hommes politiques se succèdent, selon les conjonctures et leurs intérêts, deux «bonnes formes» de corps politique — soit la représentation d'une machine fonctionnelle, d'un organe productif2, soit celle d'un espace public composé d'acteurs égaux en droit — auxquelles ils adhèrent avec une égale conviction. Tout renforcement de la discipline se heurtant aux droits individuels et collectifs des parlementaires, le comportement du personnel politique révèle moins un mépris à l'égard des règles constitutionnelles ou de celles qui régissent leur «groupement» qu'il ne reflète un ensemble de tensions structurelles, entre représentation et législation, entre discipline majoritaire et contrôle gouvernemental, dans lesquelles ils sont pris, et qui expliquent les contradictions de leurs discours et entre leurs discours et leurs actes. Plus qu'une volonté délibérée de transgression, il s'agit d'un aveuglement3 ou d'un oubli «professionnel» de même qu'on parle d'une maladie.

1. Lyon, op. cit., n°448. Sur l'évolution de la position des socialistes, voir note supra.

2. Représentation particulièrement répandue dans l'entre-deux-guerres chez les parlementaires, chez les critiques du parlementarisme (en partie, les mêmes individus) et dans l'opinion publique. Sur cette période, voir notamment Gicquel (J.), Problèmes de la Réforme de l'Etat en France en 1934, Paris, PUF, 1965-

3. Une réclamation d'un député sur le libre exercice du droit d'interpellation s'attire la réponse suivante de Brisson : 'En ce qui concerne l'exercice du droit d'interpellation, par des résolutions répétées et depuis plusieurs années, la Chambre a affirmé sa volonté de ne consacrer qu'une séance par semaine aux interpellations [...] si le droit d'interpellation a une importance capitale, le droit de faire aboutir soit les propositions de loi de l'initiative [suite de la note page suivante]

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Un cas de 'Schizophrénie» pratique

Le Président à un député se plaignant qu'on laisse parler un orateur en dehors de l'objet du débat : 'Si quelqu'un s'est plaint bien souvent que les observations des orateurs ne fussent pas toujours à leur place, surtout au moment de la discussion du budget, c'est bien celui qui a l'honneur d'être à ce fa uteuil (Applaudissements). Mais il faut une règle uniforme. A plusieurs reprises — et j'en prends à témoin l'Assemblée — quand, discrètement, je faisais l'observation qui convenait, on m'a fait comprendre très clairement que l'orateur intéressant d'une façon particulière l'Assemblée, il fallait le laisser continuer, fe veux bien prendre acte de vos protestations et, avec votre concours, si vous le permettez, à l'avenir, mais non pas à l'occasion du débat soulevé par l'orateur qui se trouve en ce moment à la tribune, car il faut qu'on soit prévenu, je m'attacherai à ce que les observations ne portent que sur le sujet même en discussion et j'appliquerai strictement les dispositions du règlement» (Vifs applaudissements)1.

A la fin de la Ille et sous la IVe, les parlementaires se sont prononcés pour des dispositifs réglementaires de plus en plus précis et de plus en plus rigoureux. Mais, en même temps, le régime parlementaire exigeait une réglementation

adaptée aux conditions d'exercice de la lutte politique.

- M. le ministre des Finances : «/<? demande à la Chambre d'ajouter au premier paragraphe de cet article un 4e (alinéa) ainsi conçu..."

- M. le Président : 'Le gouvernement n'ayant pas le droit d'amendement, la Commission entend-elle proposer la modification dont vient de parler M. le ministre des Finances» .

- M. le Président du Conseil : «Af. de Lasteyrie (le ministre des Finances) en tant que député, n'a-t-il pas le droit de faire ce qui est interdit au ministre des Finances» .

- M. le Président : 'Je réponds négativement. Ici, je ne connais pas M. de Lasteyrie ; je ne connais que M. le ministre des Finances»2 .

De ces exigences de la lutte parlementaire résultent la recherche constante d'accommodements, les tentatives aussi diverses que variées de détournement de procédure. Ainsi, l'utilisation des ordres du jour motivés qui réglementairement ne peuvent se produire qu'à la suite d'une interpellation : «Le président n'a pas voulu refuser à notre collègue d'annoncer le dépôt de son projet de résolution ; mais il croit devoir répéter à la Chambre ce qu 'il a déjà dit[...] à plusieurs de nos collègues dans la même circonstance, à savoir que, dans la forme comme dans le fond, son texte constitue un véritable ordre du jour motivé qui, d'après le règlement, ne serait recevable qu'à la suite d'une interpellation discutée^. Ou de la combinaison de la procédure parlementaire, soit les projets de loi de l'initiative gouvernementale, ce droit apparaît aussi

comme un des droits les plus sacrés et comme un des devoirs les plus impérieux du Parlement. En fait, dans cette législature, il a été déposé 262 demandes d'interpellations. Il en a été discuté 120...', Ch. des Dép., 21 octobre 1904, Supp. n°659-

1. Pierre (E.), Supp., n°845.

2. Ch. D., 22 Février 1924. Le fait qu'il s'agisse là d'un accommodement sollicité par le gouvernement n'a pas d'importance pour la démonstration, moins que la distinction entre sectorialisation parlementaire et sectorialisation présidentielle (du type Ve République) que rappelle cet échange : il est difficile, en effet, d'imaginer qu'un tel fait puisse aujourd'hui se produire. Pierre (E.), Supp., n°704 ; pour un autre exemple, le dialogue entre le Président Deschanel et Pierre Laval, président du Conseil, voir Supp., n°76, p 79-

3. Ch. D, 28 décembre 1904, Pierre (E.), Supp., n°63- Sur ce point de droit parlementaire, Supp. n°45O.

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