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«Ob remedium et salutem animae» : la commémoraison des défunts et le Livre des fondations de Notre-Dame-du-Châtel d'Autun (1468-1649)

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Texte intégral

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Ob remedium et salutem animae

La commémoraison des défunts et le Livre des fondations de

Notre-Dame-du-Châtel d’Autun (1468-1649)

Mémoire

Arnaud Montreuil

Maîtrise en histoire

Maître ès arts (M. A.)

Québec, Canada

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III

Résumé

Le Livre des fondations de Notre-Dame-du-Châtel d’Autun est un manuscrit inédit dans lequel furent inscrits, entre 1478 et 1649, 68 actes de fondation d’anniversaire. L’objectif du présent mémoire est dans un premier temps d’exposer la nature de ce document en étudiant sa structure, son processus de rédaction et ses usages à l’aide de l’analyse codicologique. Dans un second temps, il fait état des pratiques sociales médiévales dont le manuscrit est le témoin : la commémoraison des défunts, la fondation et la célébration des anniversaires dans la collégiale Notre-Dame d’Autun, aujourd’hui disparue. Ce mémoire comporte aussi la transcription des actes du Livre des fondations.

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V

Abstract

The Book of Foundations of Notre-Dame-du-Châtel d’Autun is an unpublished manuscript written between 1478 and 1649 which contains 68 acts concerning the foundation of anniversaries for the dead. The first purpose of this essay is to understand the nature of this codex by studying its structure, its drafting process, and its uses, all through a codicological analysis. Moreover, this paper aims to describe the social medieval practices chronicled by the manuscript: the commemoration of the dead as well as the establishment and subsequent celebration of anniversaries as mentioned in the chapter of Notre-Dame d'Autun. This essay also includes the transcript of the aforementioned Book of Foundations.

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VII

Table des matières

Résumé ... III Abstract ... V Table des matières ... VII Liste des figures ... XI Liste des sigles ... XIII Remerciements ... XVII

Introduction ... 1

La collégiale Notre-Dame-du-Châtel d’Autun ... 5

Notre-Dame et le chancelier Rolin ... 6

À propos du chapitre, des patrons et de la paroisse ... 8

Le livre des fondations de Notre-Dame-du-Châtel d’Autun ... 11

Les pratiques de l’écrit, la memoria et l’histoire de la mort – quelques repères historiographiques ... 13

Les pratiques de l’écrit au Moyen Âge ... 13

La memoria et l’histoire de la mort ... 18

Sources, méthodologie et plan du mémoire ... 22

Chapitre 1. De la structure et du sens d’un manuscrit complexe ... 25

1.1. La reconstruction d’un monument écrit ... 25

I. L’analyse codicologique d’un manuscrit complexe ... 25

Organisation des cahiers et support matériel ... 27

Marques de succession ... 30

Systèmes d’écriture et mains ... 31

Réglure et mise en page... 35

Tableau synoptique ... 39

II. Rédaction, datation et réorganisation du Livre des fondations ... 44

Le manuscrit primitif ... 44

Une rédaction progressive ... 47

Réorganisation textuelle et datation ... 54

1.2. Usage pratique et dimension symbolique du Livre des fondations ... 59

I. De l’usage du Livre des fondations : notes marginales et marques d’utilisation ... 59

Des notes fonctionnelles inséparables du texte ... 60

Des usages pratiques évolutifs ... 65

II. Un objet symbolique prestigieux ... 69

Le parchemin, un support prestigieux ... 69

Le chanoine Drouhot, ses fondations et sa collégiale ... 70

La communauté des bienfaiteurs ... 72

Conclusion – Le Livre des fondations, creuset de la communauté des bienfaiteurs ... 73

Chapitre 2. La communauté des bienfaiteurs... 75

2.1. Du profil des fondateurs : la composition de la communauté des bienfaiteurs 77 Sexe et statut ... 77

Des chanoines…... 78

… et des dames ... 80

Fondateurs et bénéficiaires ... 84

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2.2. La construction de la communauté des bienfaiteurs ... 88

Deux siècles de fondations d’anniversaires ... 88

Le miroir de la communauté des bienfaiteurs ... 91

Conclusion – Une communauté au maillage serré ... 93

Chapitre 3. La fondation et la célébration des anniversaires à Notre-Dame-du-Châtel d’Autun ... 95

3.1. Le déroulement de l’anniversaire : la liturgie et son décor ... 96

I. Une liturgie à la carte ... 96

Un jour de fête ... 97

Les vigiles ... 98

Le matin, après Prime… ...101

Les distributions ...104

II. Le théâtre de l’anniversaire ... 107

Les processions ...108

La sépulture : un locus entre le corps et l’âme ...111

3.2. L’évolution de l’anniversaire à Notre-Dame d’Autun ... 117

Le miroir des anniversaires ...124

Conclusion – Un rite d’intercession aux multiples visages ...127

Conclusion ... 131 Bibliographie ... 135 Documents d’archives ... 135 Sources imprimées ... 135 Instruments de travail ... 135 Études ... 136

Annexes – Transcription du Livre des fondations ... 143

Remarques préliminaires... 143

Table des matières (cahier 1, folio 1) ... 144

Acte 1 - Fondation de Nicole Bonnardeau (c. 2, f. 7) ... 147

Acte 2 - Don du livre par Jehan Drouhot (c. 2, f. 8) ... 147

Acte 3 - Fondation de Jehan Drouhot (c. 3, f. 9) ... 148

Acte 4 - Fondation de Mlle de la Villeneuve (c. 3, f. 11) ... 150

Acte 5 - Deuxième anniversaire de Jehan Drouhot (c. 3, f. 11) ... 150

Acte 6 - Troisième fondation de Jean Drouhot (c. 3, f. 14) ... 152

Acte 7 - Quatrième fondation de Jean Drouhot (c. 3, f. 16)... 154

Acte 8 - Cinquième fondation de Jehan Drouhot (c. 4, f. 19) ... 156

Acte 9 - Sixième fondation de Jehan Drouhot (c. 4, f. 22) ... 158

Acte 10 - Fondation du sieur Jehan Poitreault (c. 4, f. 23) ... 159

Acte 11 - Fondation pour Louis Motin (c. 4, f. 24) ... 160

Acte 12 - Fondation pour Anne Poilblanc (c. 4, f. 24) ... 160

Acte 13 - Fondation d’Isabeau Blanchard (c. 4, f. 24) ... 161

Acte 14 - Deuxième fondation du sieur Poitreault (c. 5, f. 25) ... 161

Acte 15 - Fondations de Pierre Lemas (c. 5, f. 25) ... 161

Acte 16 - Fondation de Maria de Lévis (c. 5, f. 27) ... 163

Acte 17 - Anniversaire solennel pour Mlle Jeanne de Gouy (c. 5, f. 27) ... 163

Acte 18 - Fondation de Jeanne Lautouzot (c. 5, f. 28) ... 164

Acte 19 - Fondation d’Étienne Sébille (c. 5, f. 29) ... 164

Acte 20 - Fondation de Pierre Nonnet (c. 5, f. 30) ... 165

Acte 21 - Fondation de Pierre Pouchin (c. 5, f. 30) ... 166

(11)

IX

Acte 23 - Fondation de Jeanne de Poul (c. 5, f. 31) ... 167

Acte 24 - Fondation de Claude Pithoix (c. 5, f. 31) ... 167

Acte 25 - Deuxième anniversaire de Maria de Lévis (c. 5, f. 32) ... 167

Acte 26 - Fondation Pierette Berqueat (c. 5, f. 32) ... 168

Acte 27 - Fondation Suzanne Rolin (c. 5, f. 32) ... 168

Acte 28 - Fondation de Pierre Pisy (c. 6, f. 33) ... 169

Acte 29 - Fondation de Jean Bardin (c. 6, f. 33)... 169

Acte 30 - Fondation de Colette Rolin (c. 6, f. 34) ... 170

Acte 31 - Fondation de Bartholomei Robin (c. 6, f. 35) ... 170

Acte 32 - Fondation pour Jeanne ou Zoe Plunier (c. 6, f. 35) ... 171

Acte 33 - Quadruple fondation de Colette Rolin (c. 6, f. 36) ... 171

Acte 34 - Fondation pour Edmond Pillor (c. 6, f. 37) ... 172

Acte 35 - Fondation de Pierre Ducray (c. 6, f. 38) ... 173

Acte 36 - Fondation de Guillaume Visot (c. 6, f. 39) ... 174

Acte 37 - Fondation de Simon Milor (c. 7, f. 41) ... 175

Acte 38 - Première fondation d’Étienne Genevois (c. 7, f. 42) ... 176

Acte 39 - Deuxième fondation d’Étienne Genevois (c. 7, f. 42) ... 176

Acte 40 - Troisième fondation d’Étienne Genevois (c. 7, f. 42) ... 177

Acte 41 - Fondation de Guillaume Rousselot (c. 7, f. 43) ... 177

Acte 42 - Quatrième fondation d’Étienne Genevois (c. 7, f. 43) ... 178

Acte 43 - Fondation de Nicolas Jean (c. 7, f. 44) ... 178

Acte 44 - Cinquième fondation d’Étienne Genevois (c. 7, f. 44) ... 178

Acte 45 - Sixième fondation d’Étienne Genevois (c. 7, f. 44) ... 179

Acte 46 - Septième fondation d’Étienne Genevois (c. 7, f. 44) ... 179

Acte 47 - Huitième fondation d’Étienne Genevois (c. 7, f. 44) ... 179

Acte 48 - Fondation d’Aulbin de la Crote (c. 7, f. 45) ... 179

Acte 49 - Fondation pour Hugues Pitoix (c. 7, f. 45) ... 180

Acte 50 - Neuvième fondation pour Étienne Genevois (c. 7, f. 46) ... 180

Acte 51 - Fondation annulée de Germain Creusevaud (c. 7, f. 47) ... 181

Acte 52 - Fondation pour Jacques Villain (c. 7, f. 47) ... 181

Acte 53 - Fondation pour Gilbert Pelletier (c. 8, f. 49) ... 183

Acte 54 - Fondation de Marguerite Borceret (c. 8, f. 50) ... 183

Acte 55 - Fondation de Leonarde Brochot (c. 8, f. 50) ... 184

Acte 56 - Fondation de Françoise Robert (c. 8, f. 50) ... 184

Acte 57 - Fondation de Pierre le Duc (c. 8, f. 50) ... 184

Acte 58 - Fondation de Hilaire Malard (c. 8, f. 50) ... 185

Acte 59 - Fondation d’Étienne Boulet (c. 8, f. 51) ... 185

Acte 60 - Fondation de Claude Cornu (c. 8, f. 51) ... 185

Acte 61 - Fondation de Jean Dupasquier (c. 8, f. 51) ... 185

Acte 62 - Fondation de Claude Regnault (c. 8, f. 51) ... 186

Acte 63 - Fondation pour Lazare Goujon (c. 9, f. 53) ... 186

Liste des fondations d’Étienne Genevoix (c. 10, f. 55) ... 188

Acte 64 - Fondation Claude Tachon (c. 10, f. 56) ... 189

Acte 65 - Fondation pour le médecin Claude Perreault (c. 10, f. 57) ... 190

Acte 66 - Fondation de Pierre Ravier (c. 10, f. 58) ... 191

Liste des jours sans vigiles (c. 10, f. 62) ... 192

Acte 67 - Fondation incomplète Bazin (c. 11, f. 63) ... 193

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XI

Liste des figures

Figure 1. Plan de la collégiale Notre-Dame d'Autun en 1772 _______________________ 10 Figure 2. Filigrane du papier du Livre des fondations (f. 5) ________________________ 28 Figure 3. Organisation des cahiers et support matériel ____________________________ 30 Figure 4. La lettre bourguignonne (f. 18) ______________________________________ 31 Figure 5. La lettre humaniste (f. 49) __________________________________________ 32 Figure 6. Cancellaresca formata (f. 7) ________________________________________ 33 Figure 7. La lettre bâtarde (f. 68) _____________________________________________ 34 Figure 8. La coulée (f. 2) ___________________________________________________ 34 Figure 9. Type de réglure principal ___________________________________________ 36 Figure 10. Mise en page 1 (f. 15-16) __________________________________________ 37 Figure 11. Mise en page 2 (f. 32) _____________________________________________ 38 Figure 12. Mise en page 3 (f. 57-58) __________________________________________ 38 Figure 13. Tableau synoptique _______________________________________________ 40 Figure 14. Le manuscrit primitif _____________________________________________ 45 Figure 15. Discontinuités externes et internes entre les cahiers 10 et 11 ______________ 46 Figure 16. Discontinuités internes de contenus et de mains (f. 49-50) ________________ 48 Figure 17. Deux actes concernant Jehan Drouhot (f. 18-19) ________________________ 49 Figure 18. Deux actes de la deuxième phase de rédaction (f. 28-29) _________________ 50 Figure 19. Quatre actes rédigés individuellement (f. 42-43) ________________________ 52 Figure 20. Les actes 11 à 13 (f. 24-25) ________________________________________ 53 Figure 21. Phases de rédaction du Livre des fondations ___________________________ 56 Figure 22. Exemple d'annotations avec programme liturgique et date (acte 3, f. 9) ______ 61 Figure 23. Notes relatives aux distributions (a. 3, f. 9 ; a. 52, f. 48 ; a. 7, f. 15) _________ 61 Figure 24. Notes concernant le prix des services (a. 5, f. 13) _______________________ 62 Figure 25. Annotation marquant un passage relatif à la sépulture (a. 7, f. 17) __________ 63 Figure 26. Ajout interlinéaire (f. 33) et ajout en marge avec correction (f. 44) _________ 63 Figure 27. Ratures sur un acte annulé (f. 12) ____________________________________ 64 Figure 28. Annotation marginale d'identification (f. 30) ___________________________ 64 Figure 29. Distribution des annotations par cahiers et par catégories _________________ 66 Figure 30. Distribution des fondateurs selon leur sexe et leur statut social _____________ 83 Figure 31. Les fondations annulées Motin et Creusevaud (f. 24 et f. 47) ______________ 87 Figure 32. Fondations en ordre chronologique __________________________________ 89 Figure 33. Le tableau funéraire de Jehan Drouhot _______________________________ 114 Figure 34. Anniversaires en ordre chronologique _______________________________ 118

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XIII

Liste des sigles

ASE : Archives de la Société éduenne

ADSL : Archives départementales de Saône-et-Loire ADCO : Archives départementales de la Côte-d’Or

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XV

À mon grand-père Robert Bourassa, à mon cousin Xavier, et au chanoine Jehan Drouhot

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XVII

Remerciements

Ce mémoire est le résultat de deux merveilleuses années de recherche et d’échanges passionnants en compagnie de nombreuses personnes dont le soutien fut et reste inestimable. Mes premiers remerciements vont à M. Didier Méhu pour son encadrement soutenu, la rigueur de son esprit et son immense générosité. Les séminaires informels, soirées ciné-conférence, remue-méninges, suggestions de lectures et rencontres sociales qu’il organisa tout au long des deux dernières années enrichirent grandement mon cheminement académique et personnel. C’est aussi grâce à lui que j’ai eu l’honneur de faire la connaissance de ses collègues Mme Kouky Fianu, M. Michel Lauwers, M. Alain Guerreau et M. Jérôme Baschet, avec lesquels j’ai eu la chance d’avoir des discussions des plus inspirantes. Ma passion pour l’histoire médiévale doit beaucoup à son enseignement stimulant, ainsi qu’à celui de M. Robert Marcoux qui m’a introduit à la richesse de l’art médiéval. Mes remerciements vont ensuite à mes amis et collègues du DKN-6267, Jean-Luc, Mélanie, Guillaume, Maria, Charles, David-Alexandre, Maxime, et à mes deux frères d’armes Patrice et Martin. L’amitié et la bonne humeur de cette grande compagnie logeant dans un petit local furent un véritable cadeau. Merci également à l’ensemble du GREPSOMM pour l’organisation de journées d’études et de conférences qui furent autant de belles fenêtres sur la médiévistique d’ici et d’ailleurs.

J’ai eu la chance, grâce au Fonds d’enseignement et de recherche de la Faculté des lettres et sciences humaines et au Bureau international de l’Université Laval, d’effectuer un séjour de recherche formateur de l’autre côté de l’Atlantique. Merci aux Poitevins Annick, Sébastien, Pascale et Nicolas de m’avoir si bien accueilli à mon arrivée, de même qu’au CESCM pour l’organisation de ses semaines d’études médiévales fort stimulantes. Je suis également reconnaissant à M. Sébastien Barret, Mme Caroline Bourlet et à l’équipe de l’IRHT pour le stage d’initiation au manuscrit médiéval, qui fut très instructif. Merci à Bruno, Édith, Hugo-Donatien et Hermine-Charlotte de m’avoir gentiment reçu au cours de mon séjour parisien. J’aimerais aussi saluer l’aide précieuse qu’ont apporté à mes recherches en Bourgogne Mme Brigitte Maurice-Chabard et l’équipe du Musée Rolin, de même que M. André Strasberg et la Société éduenne. Merci à Mme Isabelle Vernus de m’avoir accueilli et prêté main forte durant mes travaux aux Archives départementales de Saône-et-Loire. Merci aussi à Jérémy et à Antoine, mes deux comparses mâconnais, avec qui cohabiter fut un réel plaisir.

J’aimerais en outre saluer le travail de Gabrielle, mon amoureuse, et d’Élisabeth, ma mère, pour leurs relectures attentives, ainsi que l’appui indéfectible de mon père, Jean-François. C’est en grande partie grâce à eux si je suis rendu où je suis aujourd’hui.

Enfin, j’aimerais exprimer ma gratitude au Conseil de recherche en sciences humaines du Canada (CRSH) et au Fonds de recherche sur la société et la culture (FRQSC) pour leur soutien financier.

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Introduction

In nomine Domini Amen. Tenore hujus presentis publici instrumenti cunctis pateat evidenter et sit notum quod anno a nativitate ejusdem Domini millesimo quadragentesimo septuagesimo octavo, die vero XVII mensis junii, venerabilis et discretus vir dominus Johannes Drouhoti, presbyter chorialis ecclesiae Eduensis ac curatus ecclesie perrochialis sancti Quintini, motus devocione in honorem Dei et Beate Virginis Marie et ut particeps fiat benefactorum ecclesie collegiate Beate Virginis Marie Eduensis, pro remedio anime sue et suorum parentum donavit ac realiter deliberavit ecclesie collegiate predicte et collegio ejusdem Virginis Marie Eduensis, presentibus et futuris, hunc parvum librum bene religatum ad scribandum anniversaria dicte ecclesie. In cujus rei testimonium prefatus dominus Johannes Drouhoti has presentes litteras, per me notarium subscriptum signari requisunt, presentibus discretis viris domino Johanne de Barra dicte ecclesie choriali presbytero, magistro Henrico Felon, Petro Vichet clerico notario, Guillo Colant, testibus requisitis et rogatis.

Johannes Drouhoti curatus Sancti Quintini. Anima ejus requiescat in pace Amen1.

Le 17 juin 1478, le chanoine Jehan Drouhot offrait pour le salut de son âme et celui de ses parents un petit livre bien relié afin que les chanoines de la collégiale Notre-Dame-du-Châtel d’Autun y inscrivent les anniversaires fondés auprès de leur chapitre. Ce manuscrit de parchemin ne contenait alors que les six anniversaires que Jehan Drouhot fonda auprès de son chapitre et le texte présenté ci-haut. Respectant la volonté du chanoine Drouhot, les membres du chapitre autunois employèrent ce manuscrit pour y compiler, entre 1478 et 1649, un total de 68 actes de fondation d’anniversaire, fruits des donations de 50 fidèles soucieux de leur salut.

La célébration d’anniversaires pour les défunts – soit une messe des morts généralement précédée de vigiles devant être dites le jour du décès de son fondateur – dans

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la collégiale éduenne s’inscrit dans le contexte plus large des pratiques de commémoraison des morts encadrées par l’Église, attestées, bien qu’à différents degrés, pendant toute la période médiévale2. Pour l’Église, cette commémoraison a toujours poursuivi le même objectif : l’intercession des vivants pour les défunts dans la perspective de leur salut. C’est la prise en charge par l’Église de cette intercession qui a varié au fil des siècles et des mutations de la société médiévale.

Entre le IVe et le Ve siècle, l’Église – particulièrement en la personne d’Augustin d’Hippone avec son traité sur les soins dus aux morts, le De cura pro mortuis gerenda – définit les relations entre les vivants et les défunts. Selon elle, les suffrages des vivants, par le biais de la prière, de l’eucharistie et de l’aumône, peuvent soulager les peines des défunts ayant mérité d’en bénéficier. L’Église, pour qui les chrétiens vivants et défunts ne formaient qu’une grande communauté de croyants, prit en charge l’aspect spirituel des usages funéraires en se chargeant de la commémoraison de l’ensemble des fidèles décédés en leur offrant l’eucharistie. Elle ne s’intéressa tout d’abord pas aux pratiques funéraires liées au corps, qui relevaient selon elle de la coutume.

Ce n’est qu’à l’époque carolingienne, aux VIIIe et IXe siècles, que l’Église s’occupa des défunts de manière plus active. L’office des morts et la pratique des messes privées se diffusèrent dans l’ensemble de l’Occident, l’intercession pour les morts étant vue par les ecclésiastiques comme un moyen d’unir en son sein les fidèles vivants et défunts. Les communautés monastiques, fondées sur des liens spirituels, s’imposèrent à cette époque comme les spécialistes de la memoria funéraire et comme les intermédiaires par excellence entre les vivants et les morts. Au même moment apparaissaient les cimetières, des lieux consacrés destinés à recevoir les dépouilles des fidèles trépassés3.

Aux cours des XIe et XIIe siècles, alors que l’institution ecclésiale investissait l’ensemble de la société médiévale, les ecclésiastiques, et non plus les seuls moines, s’imposèrent progressivement comme les médiateurs entre l’ici-bas et l’au-delà. Les

2 Pour ce résumé succinct de l’histoire de la commémoraison des défunts au Moyen Âge, nous nous référons à Michel Lauwers, La mémoire des ancêtres, le souci des morts : Morts, rites et société au Moyen Âge, Paris, Beauchesne, 1997, et Michel Lauwers, « Mort(s) », Dictionnaire raisonné de l’Occident médiéval, dirigé par Jacques Le Goff et Jean-Claude Schmitt, Paris, Fayard, 1999, p. 771-789.

3 Michel Lauwers, La naissance du cimetière : Lieux sacrés et terres des morts dans l’Occident médiéval, Paris, Aubier, 2005.

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ecclésiastiques inventèrent de nouveaux types de documents, notamment les nécrologes, pour préserver la mémoire de leurs frères et leurs bienfaiteurs, dont les noms étaient récités lors de l’office du chapitre. Les établissements religieux devinrent, en s’adaptant à la société seigneuriale, ce que M. Lauwers qualifie de véritables « conservatoires des mémoires familiales », car ils offraient des services liturgiques personnalisés pour les membres de l’aristocratie et leurs prédécesseurs. C’est qu’en échange de terres et de revenus, transformés par les ecclésiastiques en biens célestes, les seigneurs laïcs assuraient leur salut et celui de leur lignage tout en asseyant leur propre légitimité en s’associant à leurs ancêtres, à l’origine de leur pouvoir. On n’oublia pas pour autant la masse des morts anonymes : au début du XIe siècle, les moines de Cluny inventèrent une fête annuelle, se tenant le 2 novembre, pour commémorer tous les défunts. À l’intérieur d’un système coutumier, la commémoraison des défunts avait comme effet structurant de garantir la reproduction sociale et de légitimer les structures d’autorités.

Le système de commémoraison instauré par l’Église prenait donc en charge à la fois la mémoire anonyme de tous les défunts et celle, par l’intermédiaire d’une liturgie individualisée, d’un nombre grandissant de particuliers. Or, alors même qu’elle sacralisait la mémoire des ancêtres anonymes, sources et garants de la coutume, l’Église donnait paradoxalement naissance, en commémorant certains défunts de manière individuelle, à une dynamique menant à la sortie du système coutumier progressivement remplacé par un système fondé sur le droit. C’est qu’à partir du XIIIe siècle, l’institution ecclésiale fut en quelque sorte victime de son succès : les pratiques funéraires et commémoratives se diffusèrent parmi les simples chevaliers et les populations urbaines, ce qui ne pouvait pas être sans conséquence sur le rôle de ces pratiques servant à asseoir un système de domination. Au fur et à mesure que la liturgie s’individualisait, les fidèles envisageaient de moins en moins les morts de façon collective. Inversement, la préoccupation du salut individuel, corollaire d’une redéfinition des lieux de l’au-delà donnant naissance au Purgatoire 4 , allait croissant. Cela entraîna un glissement de la logique de la commémoraison des ancêtres vers une logique de prise en charge par les individus de leur propre salut et de celui de leurs proches. Ceci conduisit à la multiplication des

4 Sur les innovations théologiques débouchant sur l’invention du Purgatoire, voir Jacques Le Goff,

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intercesseurs, qui fut accompagnée par une fragmentation des donations, et à un renouvellement des communautés ecclésiastiques intercédant pour les défunts, dont les chapitres séculiers à l’image de celui de Notre-Dame d’Autun5. Au même moment, l’Église s’incarnait profondément dans le siècle, encadrant toujours davantage les fidèles par la confession, l’extrême-onction, la réapparition de la pratique testamentaire qui exigeait théoriquement la présence d’un prêtre, tandis que la prédication des mendiants incitait à prier pour les défunts en fournissant maints exempla mettant en scène des revenants et même des sermons prononcés en mémoire de défunts particuliers6. Ayant complètement intégré le souci des défunts et la nécessité de prise en charge individuelle de leur salut, les fidèles organisèrent leur rédemption à travers leurs testaments et leurs œuvres pieuses en réclamant toutes sortes de messes pour les morts, dont les anniversaires.

L’importance toujours croissante de la liturgie des défunts fit en sorte que de nouveaux documents nécrologiques permettant de mieux s’adapter et de mieux gérer les demandes des fidèles supplantèrent, à partir du XIIIe siècle, les vieux nécrologes. Au premier chef venait l’obituaire, un document compilant les fondations de services anniversaires dus aux défunts sous la forme d’un calendrier7. Selon Jean-Baptiste Lebigue, la charge des divers services devint si lourde que les communautés durent également rédiger de véritables documents comptables permettant la gestion des prestations liturgiques, des rentes attachées aux fondations et des rémunérations des officiants8. C’est ainsi que naquirent les livres de distribution et pitanciers servant à rémunérer les célébrants et participants honorant une fondation, et les cartulaires ou livres de fondation, manuscrits compilant des actes de fondation.

5 À propos de l’importance de la liturgie des défunts pour les chapitres séculiers, Jacques Chiffoleau, La

religion flamboyante, Paris, Le Seuil, 2011 [1988], p. 25-27.

6 Voir à ce sujet le livre de Jean-Claude Schmitt, Les revenants : Les vivants et les morts dans la société

médiévale, Paris, Gallimard, 1994.

7 Concernant la typologie des documents nécrologiques, voir Nicolas Huyghbaert, Les documents

nécrologiques, Coll. Typologie des sources du Moyen Âge occidental, Turnhout, Brepols, 1972, à consulter

avec le supplément de Jean-Loup Lemaître, paru dans la même collection en 1985 ; également Jean-Baptiste Lebigue , « 4. L’organisation du culte. Liturgie des défunts », Initiation aux manuscrits liturgiques, Paris-Orléans, IRHT, 2007, http://aedilis.irht.cnrs.fr/initiation-liturgie/defunts.htm.

8 Jean-Baptiste Lebigue , « 4. L’organisation du culte. Liturgie des défunts », Initiation aux manuscrits

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Le manuscrit offert par Drouhot à la collégiale ne contient aucun calendrier et correspond typologiquement à un livre des fondations ; c’est sous cette appellation que nous le désignerons dorénavant. Mais avant d’en dire plus sur ce manuscrit, nous présenterons d’abord la collégiale qui l’abritait.

La collégiale Notre-Dame-du-Châtel d’Autun

L’histoire de la collégiale Notre-Dame d’Autun est très inégalement connue. Les travaux d’Hermann Kamp et de Brigitte Maurice-Chabard, qui sont les plus détaillés, concernent essentiellement son élévation au rang de collégiale par Nicolas Rolin ou ses liens avec ce célèbre personnage9. On doit à Julien Noblet et surtout à Vincent Tabbagh la mise en relation de la fondation de Notre-Dame d’Autun avec celles des autres collégiales de France et de Bourgogne à la même époque10. L’histoire de Notre-Dame en tant qu’église paroissiale au cœur du quartier cathédral a quant à elle été abordée par la bande par Jacques Madignier dans sa thèse sur le chapitre d’Autun au Moyen Âge central11. Au cours des XVIIIe et XIXe siècles, des érudits se sont intéressés à la collégiale, Claude Courtépée faisant une description de son apparence et de son architecture, Harold de Fontenay étudiant ses inscriptions épigraphiques12. La postérité de Notre-Dame d’Autun du début du XVIIe siècle jusqu’à sa destruction pendant la Révolution ne semble pas toutefois avoir

9 Hermann Kamp est l’historien ayant réalisé les travaux les plus substantiels sur ce sujet, notamment avec son livre Memoria und Selbstdarstellung : Die Stiftungen des burgundischen Kanzlers Rolin, Jan Thorbecke Verlag, Sigmaringen, 1993. Voir également l’article où il poursuit la réflexion, « Le fondateur Rolin, le salut de l’âme et l’imitation du duc », dans La splendeur des Rolin : Un mécénat privé à la cour de Bourgogne, Paris, Picard, 1999, p. 67-88, et celui de Brigitte Maurice-Chabard, dans lequel elle fournit une description de la collégiale, « La collégiale Notre-Dame-du-Châtel à Autun », ibid., p. 91-99.

10 Julien Noblet, En perpétuelle mémoire : Collégiales castrales et saintes-chapelles à vocation funéraire en

France (1450-1560), Rennes, PUR, 2009 et Vincent Tabbagh, « Les fondations de collégiales en Bourgogne

aux XIVe et XVe siècles », Les collégiales dans le Midi de la France au Moyen Âge : Actes de

l’atelier-séminaire des 15 et 16 septembre 2000, Carcassonne, Centre d’études cathares, 2003.

11 Jacques Madignier, Les chanoines du chapitre cathédral d’Autun : du XIe siècle à la fin du XIVe siècle,

Langres, Éditions Dominique Guéniot, 2011.

12 Claude Courtépée, Description historique et topographique du duché de Bourgogne, Tome III, 1778, p. 448-453 ; Harold de Fontenay, « Épigraphie autunoise : Moyen Âge et Temps modernes (suite) », Mémoires

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suscité l’intérêt des chercheurs contemporains et reste malheureusement méconnue13. En ce sens, la collégiale attend toujours son historien.

Notre-Dame et le chancelier Rolin

L’église Notre-Dame d’Autun a très tôt fait partie de ce qui fut le pôle ecclésial autunois. Dès le Haut Moyen Âge, les clercs de la ville d’Autun s’installèrent au sud de la zone délimitée par le rempart antique, où s’élève un éperon rocheux. Sur celui-ci s’éleva le quartier ecclésiastique autunois, qui se ceignit plus tard d’un rempart interne. C’est ce qui explique qu’on ait donné le nom de castrum puis de châtel à cette partie de la ville14. Au Ve siècle débuta la construction de la cathédrale Saint-Nazaire, qui ne fut jamais achevée. Sous la cathédrale se trouvait un lieu de culte souterrain dédié à saint Jean Baptiste, appelé Saint-Jean-de-la-Grotte, qui faisait probablement office de baptistère15. Cet ensemble cathédrale-baptistère formait un groupe épiscopal complété par l’église Sainte-Marie dont on ne connaît pas la date de construction, bien que sa location et sa dédicace à la Vierge laissent entrevoir une possible origine paléochrétienne. Rebâtie en style roman au cours des XIIe et XIIIe siècles, l’église Notre-Dame devint le cœur d’une des paroisses de la ville haute s’étant progressivement formée à l’intérieur du châtel. Le XIIe siècle vit aussi s’élever, en face de cette église paroissiale, un nouveau sanctuaire dédié à saint Lazare destiné à abriter ses reliques. Consacrée en 1130, l’église Saint-Lazare fut achevée en 1178 et transformée en cathédrale en 1195. Une autre petite église paroissiale, dédiée à saint Quentin, se situait à proximité du chevet de la nouvelle cathédrale16.

Au tournant du XVe siècle, l’église Notre-Dame d’Autun menaçait de tomber en ruine et serait sans doute demeurée un lieu de culte secondaire sans l’action énergique d’un puissant paroissien attaché à l’église de son baptême, Nicolas Rolin17. Notre-Dame devint très tôt la protégée du chancelier bourguignon : il y fit dès 1426 sa première fondation, une

13 Hermann Kamp, dans Memoria und Selbstdarstellung…, op. cit. en fait quelque peu mention, mais ce n’est pas là son propos.

14 Jacques Madignier, op. cit., p. 247-254. 15 Ibid., p. 254-259.

16 Ibid.

17 Brigitte Maurice-Chabard, « La collégiale Notre-Dame-du-Châtel à Autun », La splendeur des Rolin…, op.

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rente de quarante livres tournois destinée à entretenir un ou deux chapelains. Deux ans plus tard il finança la construction d’une chapelle dédiée à saint Sébastien. En 1443, le chancelier prit une décision qui laissait entrevoir son ambition quant à l’avenir de la petite église de paroisse ; il se fit céder par le chapitre cathédral, pour lui et ses successeurs, le droit de patronage sur Notre-Dame18.

En 1450, c’est fort du droit de patronage et décidé à faire de Notre-Dame son mausolée funéraire que Nicolas Rolin entreprit de faire de son église paroissiale une collégiale à l’image de son rang. Pour ce faire, il créa un chapitre composé d’un prévôt, d’onze chanoines, de quatre choriaux et de quatre enfants de chœur. Il obtint la même année l’exemption du pouvoir épiscopal pour sa collégiale. Quelques années plus tard, il grossit les rangs du collège d’un chanoine supplémentaire de même que de six autres choriaux. Pour assurer la prospérité de la collégiale nouvellement fondée, il lui assura une rente de 1200 livres tournois, une somme qu’il augmenta à 2000 livres dans son testament rédigé en 1462. Par le nombre de desservants attachés à Notre-Dame et par la richesse de sa dotation, la collégiale de Rolin éclipsait toutes les autres de Bourgogne à l’exception de la Sainte-Chapelle de Dijon, liée au duc lui-même19. Agrandissant et rénovant la collégiale, le chancelier fit bâtir un nouveau clocher, un nouveau portail et un nouveau chœur, il éleva une salle du chapitre devenue nécessaire ainsi qu’une nef comportant deux niveaux, longue de cinq travées et flanquée de deux collatéraux. Il fit aussi agrandir le terrain autour de la collégiale de façon à étendre la superficie du cimetière. Enfin, il fit construire une galerie reliant directement son hôtel personnel, situé à deux pas de l’église, à l’étage de la nef, là où étaient situées des tribunes réservées à sa famille et où étaient conservées ses archives personnelles20. Notre-Dame était donc physiquement liée à l’hôtel particulier des Rolin.

18 L’année 1443 marque le début des ambitieuses velléités de fondations de Nicolas Rolin, sur lesquelles on ne s’étendra pas ici. En effet, c’est au cours de cette même année qu’il annonça son désir de doter Beaune de ses fameux hospices, un projet qui impliquait des dépenses colossales qui l’occupa jusqu’à sa mort en 1462. 19 Hermann Kamp, « Le fondateur Rolin, le salut de l’âme et l’imitation du duc », La splendeur des Rolin…,

op. cit., p. 67-69 et 76-78. H. Kamp montre de plus que les privilèges demandés par Rolin aux autorités

ecclésiastiques, par exemple celui de désigner le prévôt, sont à l’image exacte de ceux réclamés par le duc pour sa Sainte-Chapelle de Dijon.

20 Ibid. L’original de l’autorisation de construire cette galerie, qui a été en 1454 adressée au chancelier par l’évêque d’Autun Jean Rolin, son fils, est conservé aux ADSL, 10 G 1.

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Rejoignant ses parents inhumés dans cette église et se prémunissant de ses privilèges de fondateur, Rolin élit naturellement sépulture dans le chœur-même de sa collégiale21.

À propos du chapitre, des patrons et de la paroisse

Les chanoines de Notre-Dame d’Autun étaient tous prêtres. Ils habitaient la ville haute d’Autun dans des maisons situées autour de la collégiale22. Pour tenir leur rang, les chanoines profitaient des fruits des généreuses prébendes offertes par le chancelier. Le chapitre recevait le montant considérable de 2 000 florins de rente par année, qui écrase à titre comparatif les 160 florins dont disposaient les douze chanoines et le prévôt de Saint-Georges de Chalon23. À partir de ces deniers, chacun des chanoines de Notre-Dame d’Autun pouvait par année toucher, selon les statuts de 1450, jusqu’à soixante-treize francs, deux gros et trois blancs24. Les choriaux disposaient également de revenus de ce type, mais les sommes qu’ils touchaient étaient moindres. Les fondations comme celles du livre de Drouhot venaient grossir considérablement les revenus des célébrants, ce qui était prévu par l’article 7 de son acte de fondation25. Ainsi, Notre-Dame d’Autun put profiter entre 1462 et 1530 de onze à douze mille livres en plus de ses rentes annuelles26.

La vie liturgique quotidienne du chapitre, définie par le chancelier, comportait d’imposantes obligations. Les statuts de la collégiale de 1450 indiquent que les membres du collège étaient rigoureusement tenus de chanter toutes les heures canoniales et que le prévôt était chargé de dire la messe paroissiale quotidienne. Ils stipulent de plus que les chanoines

21 Le fait que Nicolas Rolin établisse sa sépulture dans le chœur n’est pas extraordinaire. Comme l’a montré Julien Noblet, c’est même la norme dans des cas semblables de fondation. Il s’agit-là du privilège exclusif du fondateur d’une collégiale ou d’une Sainte-Chapelle à vocation funéraire, parfois étendu aux membres de sa lignée, qui ne pourraient en aucun cas prétendre au même droit dans une autre église. Julien Noblet, En

perpétuelle mémoire…, op. cit., p. 161-166.

22 Jacques-Gabriel Bulliot, « Jean Drouhot, curé de Saint-Quentin, chanoine de la collégiale Notre-Dame-du-Châtel d’Autun et ses fondations », loc. cit., p. 301-360.

23 Vincent Tabbagh, op. cit., p. 205. À noter qu’il s’agit d’un cas particulier, les autres collégiales de Bourgogne, qui comptaient en général six chanoines, pouvaient compter sur des sommes allant entre les 160 florins de Saint-Georges et les 900 de Chavannes.

24 ADCO, G 2389.

25 Item dictus fundato vult et ordinat, quod de cetero dicti prepositus et canonici non possint seu valeant aut

debeant recipere nec acceptare aliquam novam fundationem anniversarii seu misse […] de Requiem pro defunctis, sed nichilominus si contingat aliquos parrochianos dicte ecclesie aut alios, causa devocionis, pro fundacione aliorum divinorum officiorum dare inter vivos seu legare in ultima voluntate aliquid de bonis suis dicte ecclesie…, Acte de fondation, ASE, D3. Cette charte a été transcrite par H. Kamp dans Memoria und Selbstdarstellung, op. cit., p. 330-337.

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devaient tous célébrer quatre messes quotidiennes, deux hautes et deux basses, pour l’âme du fondateur : une messe de Requiem au grand autel après les matines, la grande messe du jour après que la messe paroissiale ait été dite, une messe basse de Requiem sur la tombe du père du chancelier et une messe basse à la chapelle neuve au moment de l’élévation de l’hostie pendant la grande messe du jour27. La célébration des anniversaires se faisait en plus de toutes ces autres cérémonies.

Le droit de nomination des chanoines dont le chancelier s’était prémuni – droit qu’il légua à ses descendants – instaurait un lien fort à la fois personnel et collectif entre chacun des chanoines et ses patrons. Ce lien ne s’est pas rompu à la mort de Nicolas Rolin, mais a perduré au fil des quatre générations suivantes. Son fils, Guillaume Rolin de Beauchamps (1411 – 1488), hérita de l’hôtel familial et du droit de patronage. Il le céda à son fils François (1449 – 1521), dont le fils bâtard, aussi nommé François, était chanoine à Notre-Dame d’Autun, qui le passa à son tour à sa petite-fille Suzanne (1513 – 1577). Celle-ci hérita d’une partie des biens de son père à Autun, en particulier de l’hôtel familial et du patronage de la collégiale, qui tombèrent dans l’escarcelle des Chambellan, la famille de son mari Nicolas28. De 1443, année de l’obtention du droit de patronage, jusqu’en 1577, les chanoines entretinrent donc des relations continues avec les Rolin, les descendants du chancelier de la branche de Beauchamps ayant d’ailleurs, à l’instar de leur aïeul, élu sépulture dans la collégiale29. Le chapitre de Notre-Dame semble avoir fait office, entre 1450 et 1577, de clergé privé de la puissante famille Rolin.

Notre-Dame d’Autun resta malgré son érection au rang de collégiale le point central d’une des paroisses de la ville haute30. Le rapport hiérarchique entre les fonctions collégiale

27 Les statuts de la collégiale ont été en partie copiés dans un registre conservé aux ADCO, G 2389.

28 Jean-Bernard de Vaivre a présenté la généalogie des Rolin dans « La famille de Nicolas Rolin », La

splendeur des Rolin…, op. cit., p. 19-35.

29 Cette proximité entre les chanoines et leurs patrons ne doit pas surprendre ; elle constitue plutôt la norme dans le contexte des fondations de collégiales à la fin du Moyen Âge. Les fondateurs exerçaient la plupart du temps une emprise directe sur leur chapitre en contrôlant la nomination des chanoines et la collation des prébendes, un droit qu’ils léguaient à leurs héritiers. Sur les liens entre les fondateurs et leur collégiale, Julien Noblet, op. cit., p. 82-84.

30 Comme l’a souligné Vincent Tabbagh, l’installation d’une collégiale dans une église paroissiale ne s’effectuait cependant pas sans heurts ; il fallait contrôler les rapports entre le collège et la cure ainsi qu’entre les paroissiens et le patron, établir les droits et devoirs de chacune des parties, fixer la répartition des revenus et des charges, délimiter l’espace ecclésial et organiser le déroulement des activités liturgiques. Vincent Tabbagh, « Les fondations de collégiales… », op. cit., p. 214-215.

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et paroissiale était clairement exprimé à travers l’architecture et la séparation des espaces du lieu de culte. Le premier rang y était attribué au chapitre. À l’issue des travaux entamés en 1450, Sainte-Marie fut constituée de deux églises parallèles juxtaposées et décalées et de deux chœurs orientés. La partie nord, qui comptait trois nefs et abritait le chœur surélevé, était réservée à l’usage des chanoines tandis que la partie sud était dévolue aux paroissiens. On peut observer cette division de l’espace interne du bâtiment dans l’image suivante, un plan de l’église datant de 177231 :

Figure 1. Plan de la collégiale Notre-Dame d'Autun en 1772

Le bénéfice de la cure de Notre-Dame était indépendant du chapitre. Le curé, qui était aussi le prévôt du chapitre, détenait les dîmes, les rentes et autres droits paroissiaux et était tenu d’assurer le service auprès des paroissiens, les chanoines n’étant pas impliqués dans la distribution des sacrements32. Les fondations pouvaient être effectuées auprès du chapitre

31 Plan de Notre-Dame réalisé en 1772, conservé aux ADCO, G 2390.

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ou de la cure, voire des deux, selon le choix du bienfaiteur33. On peut supposer l’existence de documents nécrologiques distincts entre la paroisse et le chapitre34. Cela expliquerait le besoin comblé par Drouhot avec le don du manuscrit, de même que l’absence de références à des célébrations d’anniversaires antérieures. La continuation de celles-ci a dû relever de la paroisse et non du chapitre.

Au total, même si elle était située au cœur du pôle ecclésiastique d’Autun, Notre-Dame apparaît isolée. Son caractère de collège ecclésiastique personnel des Rolin, tout en lui assurant la prospérité ainsi qu’un lien fort et durable avec cette noble famille, la coupait des structures ecclésiastiques ordinaires. Ainsi, même si Notre-Dame accueillait une paroisse, le chapitre en était entièrement distinct. En dehors de ses liens privilégiés avec les Rolin, le collège autunois était vraisemblablement tout à fait autonome, voire même replié sur lui-même.

Le livre des fondations de Notre-Dame-du-Châtel d’Autun

Le présent mémoire constitue la première tentative d’étudier le Livre des fondations de Notre-Dame d’Autun. Ce codex inédit formant le cœur de notre recherche est longtemps demeuré inaperçu et n’a été que récemment recensé dans le troisième supplément du

Répertoire des documents nécrologiques français35. Entre 1478 et 1791, soit depuis le don du manuscrit à la collégiale jusqu’à la disparition de Notre-Dame, le codex fut conservé au chapitre. À partir de 1791, il fut transféré à la bibliothèque du Grand Séminaire d’Autun, où il portait la cote B 51. Depuis 1905, année de la loi de séparation des Églises et de l’État, il

33 […] si contingat aliquos parrochianos dicte ecclesie aut alios, causa devocionis, pro fundacione aliorum

divinorum officiorum dare inter vivos seu legare in ultima voluntate aliquid de bonis suis dicte ecclesie seu dictis curato et canonicis communiter vel divisum, ipsi curatus et canonici tales fundaciones, donaciones et legata recipere poterunt et acceptare. Acte de fondation, ASE, D3. Cette disposition a dû être lourde de

conséquence pour le chapitre : celui-ci n’étant aucunement responsable des paroissiens, il est fort probable que ces derniers aient élu la paroisse plutôt que le chapitre dans l’éventualité d’une fondation.

34 Jean-Loup Lemaître a fait état de l’existence de documents nécrologiques du genre, réservés à une communauté donnée. Mourir à Saint-Martial : La commémoration des morts et les obituaires à Saint-Martial

de Limoges du XIe au XIIIe siècle, Paris, De Boccard, 1989, p. 419-450.

35 Jean-Loup Lemaître, Répertoire des documents nécrologiques français : troisième supplément (1993-2008), dir. Jean Favier et Jean-Loup Lemaître, Paris, Académie des inscriptions et des belles-lettres, 2008.

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est conservé aux Archives départementales de Saône-et-Loire, où il est aujourd’hui consultable sous la cote 10 G 4.

Étant donné l’absence de travaux sur ce manuscrit, nous avons pris le parti de réaliser une étude portant autant sur le codex en tant qu’objet écrit que sur son contenu. L’objectif de notre mémoire sera dans un premier temps de comprendre la nature et le sens social du Livre des fondations. Nous procèderons pour ce faire par une approche codicologique menée conjointement à une étude du contenu textuel du manuscrit. C’est à l’aune de ce que nous aurons découvert que nous nous efforcerons ensuite de faire état des pratiques de la société médiévale dont il est le témoin de même que de leur évolution. Nous produirons également une transcription intégrale du Livre des fondations.

En recourant à une approche codicologique, nous chercherons à déconstruire les différentes strates d’écriture ayant mené à la création du manuscrit que nous conservons actuellement. À l’instar de ce qu’ont préconisé Jacques Le Goff et Pierre Toubert, nous considérons le codex étudié comme un « document-monument ». Selon eux :

Le document n’est pas innocent. Il résulte d’un montage conscient ou inconscient de l’histoire, de l’époque, de la société qui l’ont produit d’abord, mais aussi des époques successives pendant lesquelles il a continué à vivre, fut-ce dans l’oubli, pendant lesquelles il a continué à être manipulé, fut-ce par le silence. Le document est quelque chose qui reste, qui dure et le témoignage, l’enseignement (pour évoquer l’étymologie) qu’il apporte doivent d’abord être analysés par une démythification de son sens apparent. Le document est monument. Il est le résultat de l’effort des sociétés historiques pour imposer – volontairement ou involontairement – telle image d’elles-mêmes au futur. Il n’y a pas, à la limite, de document vérité. Tout document est mensonge. […] un monument est d’abord un habillage, un trompe-l’œil, un montage. Il faut en premier lieu démonter, démolir ce montage, destructurer cette construction, et analyser les conditions de production des documents monuments36.

Suivre une démarche associant l’analyse codicologique et l’analyse textuelle nous paraît d’autant plus important que, comme Joseph Morsel et Didier Méhu l’ont souligné, les caractéristiques physiques des documents écrits telles que le support matériel, la mise en page et les modes de conservation, ainsi que leurs usages, contribuent à la dimension

36 Jacques Le Goff et Pierre Toubert, « Une histoire totale du Moyen Âge est-elle possible ? », Actes du 100e

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signifiante des documents au même titre que le texte qu’ils contiennent37. Par ailleurs, même si le Livre des fondations constitue, dans le cadre de notre travail, ce que les historiens qualifient volontiers de « source » selon une belle métaphore suggérant le jaillissement, le point d’origine, nous l’appréhenderons à l’inverse comme un point d’arrivée puisqu’il s’agit d’abord et avant tout d’un objet produit par la société médiévale, fruit de rapports sociaux préalables à son existence38. Le Livre des fondations, tant dans ses dimensions matérielle que textuelle, ne peut être compris adéquatement que si l’on tient compte de son processus de création et de production, ainsi que du milieu où il fut utilisé.

Les pratiques de l’écrit, la memoria et l’histoire de la mort – quelques repères historiographiques

Les pratiques de l’écrit au Moyen Âge

Notre angle d’approche, qui nous mène à appréhender le Livre des fondations dans sa totalité et non dans sa seule dimension textuelle, inscrit la présente recherche dans le champ des travaux sur les pratiques sociales de l’écrit au Moyen Âge, proche des études menées autour des concepts de « Schriftlichkeit » en Allemagne et de « Literacy » dans le monde anglo-saxon et aux Pays-Bas. Il s’agit d’un courant de recherches s’efforçant d’appréhender la place de l’écrit dans la société médiévale, son sens et les usages sociaux dont il faisait l’objet, ainsi que les rapports entre oralité et écriture dans une société où prédominait l’oral.

L’intérêt des médiévistes pour l’histoire des pratiques de l’écrit est tributaire de questionnements et de réflexions effectuées en dehors du champ des études médiévales : ce fut le développement par les anthropologues anglo-saxons de nouveaux modèles théoriques

37 À ce sujet, voir Joseph Morsel, « Ce qu’écrire veut dire au Moyen Âge… Observations préliminaires à une étude de la scripturalité médiévale », Memini. Travaux et documents publiés par la Société des études

médiévales du Québec, 4 (2000), p. 3-43, et Didier Méhu, « Textes, sources, lettres, monuments ? Réflexions

sur les documents écrits clunisiens du Moyen Âge », Memini. Travaux et documents, 9-10 (2005-2006), p. 169-190.

38 Joseph Morsel, « Les sources sont-elles le "pain de l’historien" », dans Hypothèses 2003. Travaux de

l’école doctorale d’histoire de l’Université Paris I – Panthéon-Sorbonne, Paris, Presses de la Sorbonne, 2004,

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et méthodologiques qui entraîna une toute nouvelle manière d’envisager l’écrit39. À la suite des anthropologues, c’est autour du concept de literacy40, entendu comme la compétence de la lecture et les implications de celle-ci sur les processus mentaux, que se développèrent dans le monde anglo-saxon et aux Pays-bas les premières recherches sur l’écrit au Moyen Âge. En 1979 parut le livre From Memory to Written Records41 du médiéviste britannique Michael T. Clanchy, qui constituait la première étude complète au sujet de la literacy au Moyen Âge. S’intéressant essentiellement à l’écrit administratif, Clanchy n’insista pas sur les implications de l’écrit sur les processus mentaux, mais le présenta plutôt comme un moyen concret utilisé par les Normands pour contrôler les populations anglo-saxonnes récemment conquises. Il montra que le pouvoir royal normand raffina au fil du temps l’utilisation de l’écriture dans le but de renforcer sa domination, mais que ses efforts se heurtèrent aux habitudes et aux coutumes orales ainsi qu’à l’inefficacité de l’écrit lui-même. Ce dernier constat soulignait fortement l’altérité de l’écrit médiéval par rapport à celui des sociétés contemporaines.

39 Charles F. Briggs, « Literacy, Reading and Writing in the Medieval West », Journal of Medieval History, Vol. 26, no 4 (2000), p. 399-400. Parmi les instigateurs de ces nouvelles réflexions se trouvaient les anthropologues Jack Goody et Ian Watt. Les deux savants, dans leur article « The Consequences of Literacy », Comparative Studies in Society and History, 5 (1963), p. 304-345 présentèrent l’écriture alphabétique comme une technologie ayant des conséquences importantes dans l’organisation sociale et les processus mentaux des sociétés classiques. Reprenant cette thèse en 1977, J. Goody entreprit dans son ouvrage The Domestication of the Savage Mind, Cambridge, Cambridge University Press, 1977, une nouvelle étude des différences entre les sociétés qui connaissent l’écriture et celles qui ne l’ont pas dans le but de pousser plus loin l’analyse des effets de l’écriture sur les modes de pensée ainsi que sur les principales institutions sociales. J. Goody y développa l’idée que les différences entre les sociétés gouvernées par l’oral et celles qui le sont par l’écrit « ne renvoient pas précisément à des différences de ‘‘pensée’’ ou de ‘‘mentalité’’ (quoiqu’il puisse y avoir des effets de ce genre) mais à des différences dans la nature même des actes communicatifs. » À partir des travaux de J. Goody, l’interrogation du lien unissant le mode de communication à l’évolution des structures sociales devint possible. Walter J. Ong, en continuité avec Goody, fit paraître quelques années plus tard l’ouvrage marquant Orality and Literacy. The Technologizing of the World, Londres, Routledge, 1982. W. Ong proposa un modèle binaire opposant la mentalité orale à la mentalité écrite en soulignant le caractère technologique de l’écriture et en insistant de façon prononcée sur l’importance de l’avènement de l’imprimerie dans le changement des processus mentaux.

40 La Literacy ne se définit pas seulement comme la capacité de lire, mais aussi comme un phénomène culturel complexe comportant des implications idéologiques importantes qui varient selon l’époque, l’endroit et le milieu dans lequel il prend place. En plus d’être une compétence personnelle, la literacy est aussi, en quelque sorte, une « mentalité ». La literacy n’est pas non plus uniforme, en ce sens qu’il en existe plusieurs degrés ou niveaux. Ainsi, le paysan à qui est présenté une charte n’a pas le même niveau de literacy que le marchant notant ses opérations commerciales dans son livre de compte ou que le maître en théologie. Charles F. Briggs, loc. cit., p. 398-399.

41 Michael T. Clanchy, From Memory to Written Records: England, 1066-1307, Cambridge (MA), Harvard University Press, 1979.

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En s’éloignant du concept de Literacy, les chercheurs allemands développèrent le concept de « pragmatische Schriftlichkeit », soit l’usage de l’écriture dite « pragmatique » dans les rapports sociaux42. Le groupe de recherche 231, nommé « Agents, champs et formes de la scripturalité pragmatique au Moyen Âge », piloté par H. Keller et développé de 1986 à 1999, fut destiné à se concentrer spécifiquement sur ces questions en étudiant l’expansion et l’évolution fonctionnelle de l’écrit entre le XIIe et le XVIe siècle43. Le bilan de son travail, résume H. Keller, fut de souligner l’importance de considérer les formes de la culture écrite médiévale dans la perspective d’une société dominée par l’oralité, c’est-à-dire, selon lui, « par l’ouïe et la vue, la parole et le geste, par l’insertion des mots écrits et parlés dans des formes de communication et d’expression symboliques et rituelles, par les remémorations à visée exemplaire immédiate, mais peut-être aussi tournées vers l’avenir, mises en œuvre par une culture de la mémoire44. » Il ne faut pas pour autant oublier l’autre versant de la médaille, soit la nécessité de considérer l’empreinte de l’oralité marquant la vie sociale sur la culture écrite et ses fluctuations45.

Ce n’est que dans les années 1990 que l’étude des pratiques de l’écrit apparut en France, à la faveur du renouvèlement des questionnements en histoire sociale46. Si l’histoire du livre47 et celle de la lecture48 y ont très tôt fait l’objet d’un intérêt marqué, l’absence d’un

42 Hagen Keller, « L’oral et l’écrit : Oralité et écriture », in Les tendances actuelles de l’histoire du Moyen

Âge en France et en Allemagne (dir Jean-Claude Schmitt et Otto Gerhard Oexle), Paris, Publications de la

Sorbonne, 2002, p. 127-142.

43 Ce groupe avait pour but d’appréhender les caractères de la culture écrite, qui sont à la fois spécifiques et évolutifs, et donc de comprendre les intentions et la situation de l’activité de la culture écrite dans une société qui présente les traits typiques d’une culture de la mémoire, et dans laquelle, en même temps, presque tous les domaines de l’expérience sont régis par le principe d’oralité. Pendant ces quatorze années ont été produits d’innombrables articles et ouvrages, dont la synthèse à heureusement été réalisée dans Schrift und

Schriftlichkeit / Writing and its Use. Ein interdisziplinäres Handbuch, éd. Hartmut Günther et Otto Ludwig, 2

vol., Berlin / New York, De Gruyter, 1994-1995. 44 Hagen Keller, op. cit., p. 141.

45 Ibid.

46 Ainsi que l’explique Pierre Chastang dans « Cartulaires, cartularisation et scripturalité médiévale : la structuration d’un nouveau champ de recherche », Cahiers de civilisation médiévale, vol. 49, n° 193 (2006), p. 21-23.

47 Notamment avec les travaux d’Ezio Ornato, auxquels l’ouvrage récapitulatif suivant offre une excellente introduction : La face cachée du livre médiéval : L’histoire du livre vu par Ezio Ornato et ses amis et ses

collègues avec une préface d’Armando Petrucci, Rome, Viella, 1997, 679 pages.

48 Voir Guglielmo Cavallo et Roger Chartier, Histoire de la lecture dans le monde occidental, Paris, Éditions du Seuil, 1995, dont la section sur le Moyen Âge tient d’ailleurs compte des travaux réalisés hors de France.

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concept français faisant consensus 49 équivalent au literacy anglo-saxon ou à la

Schriftlichkeit allemande révèle le faible intérêt pour la question de la place de l’écrit dans

la société médiévale qui a prévalu jusqu’alors50. C’est autour des cartulaires qu’en France s’est développée une véritable réflexion sur la place de l’écrit au Moyen Âge. Le moment fondateur ayant donné l’impulsion à ce champ de recherche est d’ailleurs le colloque

Cartulaires organisé par l’École des chartes en 199151, influencé par les travaux allemands sur la memoria et la Schriftlichkeit. À l’ordre du jour figuraient des interrogations novatrices telles que : peut-on utiliser les actes dans les cartulaires comme des copies des originaux ; ou encore, peut-on ignorer l’opération de sélection documentaire accompagnant

de facto la rédaction d’un cartulaire52 ? À l’issue de ces réflexions se posait aux médiévistes français le problème – qui n’était d’ailleurs plus étranger depuis longtemps à leurs collègues anglo-saxons, italiens53 et allemands – de repenser la place de l’écrit et de ses usages dans la société médiévale. De nombreux travaux sur les usages des sources diplomatiques, parmi lesquels figurent ceux de Brigitte-Miriam Bedos-Rezak, ont montré que les documents écrits étaient souvent laissés de côté lors des résolutions de conflits ou de litiges concernant des droits que l’écrit servait à garantir54. De tels travaux mirent en évidence qu’il n’est pas possible de restreindre l’écriture à sa seule fonction juridique et

49 Joseph Morsel a en 1991 proposé le mot « scripturalité », mais celui-ci n’a pas été adopté par l’ensemble de la communauté scientifique.

50 Joseph Morsel, « Ce qu’écrire veut dire au Moyen Âge… Observations préliminaires à une étude de la scripturalité médiévale », Memini. Travaux et documents publiés par la Société des études médiévales du

Québec, 4 (2000), p. 3-43.

51 Les cartulaires. Actes de la Table ronde organisée par l'École nationale des chartes et le GDR 121 du

CNRS (Paris, 5-7 décembre 1991), textes réunis par Olivier Guyotjeannin, Laurent Morelle et Michel Parisse,

Paris, École des chartes, 1993 (Mémoires et documents de l’École des chartes, 39). 52 Pierre Chastang, « Cartulaires, cartularisation… », loc. cit., p. 23-24.

53 Nous ne nous penchons pas ici sur les contributions considérables des savants italiens à la recherche sur les pratiques de l’écrit. Nous nous permettons de renvoyer, à titre d’exemples, aux travaux d’Armando Petrucci sur la lecture et de Paolo Cammarosano sur la production documentaire : Armando Petrucci, « Lire au Moyen Âge », Mélanges de l’École française de Rome, Moyen Âge, Temps modernes, Vol. 96 no 2 (1984), p. 603-616 ; et Paolo Cammarosano, Italia medievale. Struttura e geografie delle fonti scritte, Rome, La Nuova Italia scientifica, 1991.

54 Brigitte-Miriam Bedos-Rezak, « Diplomatic Sources and Medieval Documentary Practices: an Essay in Interpretative Methodology », dans The Past and the Future of Medieval Studies, éd. John Van Engen, Notre-Dame (Indiana), 1994, p. 313-343. Au fil de ces pages, l’auteure a soulevé la contradiction entre une apparente abondance de chartes au XIe siècle et leur défaillance lorsque venait le moment d’assurer la permanence de l’acte juridique dont elles étaient porteuses. Elle montra que même si les chartes étaient qualifiées d’obstacle à l’oubli, on n’y recourait souvent même pas lorsque venaient le temps de prouver des droits sur une terre.

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probatoire55 ; le même constat s’applique au sujet du Livre des fondations et des actes qu’il contient.

Inspiré par la question des rapports entre le pouvoir et l’écrit et fort d’une solide connaissance des réflexions allemandes autour de la Schriftlichkeit, Joseph Morsel s’est interrogé depuis le début des années 2000 sur plusieurs aspects relatifs à la place de l’écrit dans la société médiévale56. Derrière des questions en apparence simple, telles « pourquoi écrit-on ? » ou « pourquoi a-t-on des sources ? », ce médiéviste aborde dans ses travaux les questions de production, de réception, de conservation et d’utilisation de l’écrit au Moyen Âge57. J. Morsel s’est par ailleurs intéressé à une autre dimension de l’écrit peu étudiée dans ce courant de recherches : sa matérialité, et plus particulièrement sa visualité58. Pour Morsel, la visualité comprend trois volets : celui des procédés graphiques liés au processus de l’écriture (mise en page, couleurs, etc.), celui des rapports étroits existant entre les mots et les images (non seulement les signes graphiques comme les croix ou les seings, mais aussi les mots eux-mêmes, les actes écrits étant souvent produits à dessein d’être lus, vus et entendus) et finalement celui de l’usage public des document écrits, comme les évangiles portés cérémonieusement, les chartes placées sur les autels ou les documents remis en signe de transaction mais non lus publiquement. Par cette thématique de la visualité, l’historien français insiste sur l’impossibilité de réduire le sens d’un document à son contenu59.

Comme l’a souligné Pierre Chastang, les travaux sur les pratiques de l’écrit ont amené les médiévistes français à tenir compte du fait que le texte est le résultat d’un processus d’écriture issu d’une intentionnalité, et que son existence comme sa conservation matérielle doivent être objets de questionnement. Face à un document écrit, l’historien ne doit pas se contenter, comme il l’a longtemps fait, de distinguer le vrai du faux, mais doit chercher à comprendre ce que la production et la conservation du texte, compris comme un objet et un ensemble de signes, nous apprennent sur la société médiévale60. Notre réflexion

55 Comme l’explique Pierre Chastang, « Cartulaires, cartularisation… », loc. cit., p. 23. 56 Voir notamment Joseph Morsel, loc. cit., p. 3-43

57 Par exemple dans Joseph Morsel, « Du texte aux archives : le problème de la source », BUCEMA, Hors

série no 2 (2008), http://cem.revues.org/4132, consulté le 23 décembre 2012.

58 Ibid., p. 5. 59 Ibid., p. 7.

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sur le sens du Livre des fondations en tant qu’objet écrit se fera donc en tenant compte de la pluralité des rôles sociaux de l’écriture qu’ont démontrée quarante années de recherches sur le sujet.

La memoria et l’histoire de la mort

Notre mémoire se trouve au confluent des recherches de la memoria et de l’histoire de la mort. Ces deux champs d’étude, l’un essentiellement allemand et l’autre français, se croisent néanmoins autour des travaux sur la mémoire des défunts et sur les attitudes devant la mort.

Le terme de memoria, comme l’a souligné M. Lauwers, renvoie à la fois à un vocabulaire attesté dans les documents médiévaux (memoria, memoriale, commemoratio), aux réalités et aux institutions signifiées par ce vocabulaire, et à un champ de recherche qui a fait florès en Allemagne depuis les années 196061. Le concept de memoria, souvent invoqué par les historiens mais rarement défini, coïncidait au début avec un type de documents, les libri memoriales, et une pratique sociale, la commémoraison des défunts, mais renvoie aujourd’hui à toutes les formes et à toutes les traces de la « mémoire », ce mot étant pris dans toute sa polysémie médiévale et contemporaine.

La memoria s’est constituée en un objet d’étude à part entière à la suite de travaux sur les documents nécrologiques commémoratifs, notamment ceux de Karl Schmid et de Joachim Wollach. K. Schmid, s’intéressant à l’aristocratie, a montré que l’on pouvait identifier des réseaux de parents, d’amis et d’associés à partir des livres dont se servaient les abbayes carolingiennes pour commémorer les défunts, et qu’ils reflétaient le passage d’une aristocratie hors-terre à une aristocratie reposant sur la topolignée62. J Wollach, concentrant ses recherches sur le milieu monastique, découvrit que la création de listes de

61 Nous nous appuyons tout au long de cette section sur l’article historiographique de Michel Lauwers, « Memoria. À propos d’un objet d’histoire en Allemagne », Les tendances actuelles de l’histoire du Moyen

Âge en France et en Allemagne, dir. Jean-Claude Schmitt et Otto Gerhard Oexle, Paris, Publications de la

Sorbonne, 2002, p. 105-126. Voir dans le même ouvrage Michael Borgolte « Memoria. Bilan intermédiaire d’un projet de recherche sur le Moyen Âge », p. 53-69, et Johannes Fried « Le passé à la merci de l’oralité et du souvenir. Le baptême de Clovis et la vie de Benoît de Nursie », p. 71-104.

62 Voir le recueil d’articles de Karl Schmid, Gebetsgedenken und adliges Selbstverständnis im Mittelalter, Sigmaringen, Jan Thorbecke Verlag, 1983.

Figure

Figure 1. Plan de la collégiale Notre-Dame d'Autun en 1772 _______________________ 10  Figure 2
Figure 1. Plan de la collégiale Notre-Dame d'Autun en 1772
Figure 2. Filigrane du papier du Livre des fondations (folio 5)
Figure 3. Organisation des cahiers et support matériel  N o  du cahier  Type 85 Matériau  Folios
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