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Chapitre 2. La communauté des bienfaiteurs

2.2. La construction de la communauté des bienfaiteurs

Deux siècles de fondations d’anniversaires

La distribution des fondateurs que l’on vient d’étudier est celle de la communauté des bienfaiteurs dans son état final, complété et statique. Or cette communauté s’est en réalité bâtie sur près de deux siècles et, à l’image du manuscrit qui l’abrite, elle a connu plusieurs transformations : nous avons d’ailleurs déjà relevé quelques éléments de dissemblance entre les fondateurs dont les actes proviennent du manuscrit primitif et ceux provenant des cahiers ajoutés, ce qui laisse supposer l’existence de changements dans le groupe des fondateurs au fil du temps.

Il importe donc, pour saisir le processus de constitution de ce groupe, de proposer une lecture dynamique et chronologique de l’apparition des fondateurs dans le manuscrit, que nous croiserons ensuite avec des observations relatives au processus de rédaction du Livre des fondations. Pour ce faire, nous nous appuierons sur la réorganisation des contenus présentée au chapitre précédent. Nous associerons aux unités de production ordonnées en ordre chronologique et aux actes qu’elles contiennent le nom des fondateurs auxquels ils correspondent, de même que leur statut social et l’année de la fondation de leur anniversaire.

Figure 32. Fondations en ordre chronologique

Unité de prod.

Acte Fondateur Statut social Année de l’acte

Unité de prod.

Acte Fondateur Statut social Année de l’acte

1 3 Drouhot Chanoine 1468 12 41 Rousselot Chanoine -

5 Drouhot Chanoine 1476 13 42 Genevois Chanoine 1553

6 Drouhot Chanoine 1476 14 43 Jean Chanoine 1549

7 Drouhot Chanoine 1476 15 44 Genevoix Chanoine 1543

8 Drouhot Chanoine 1476 16 45 Genevoix Chanoine 1553

9 Drouhot Chanoine 1477 46 Genevois Chanoine 1554

2 10 Poitreault Chanoine 1500 17 47 Genevois Chanoine 1554

14 Poitreault Chanoine 1503 18 48 de la Crotte Prêtre

bénéficiaire à St-Lazard

1555

15 Lemas Chanoine 1494 19 49 Pitoix, H. Chanoine 1553

16 de Lévis Demoiselle 1473 50 Genevois Chanoine 1556

17 de Gouy Demoiselle 1501 21 51 Creusevaud Chorial -

18 Lautouzot - - 22 52 Villain Chorial 1558

19 Sébille Chanoine - 23 11 Motin Chanoine -

20 Nonnet Chanoine - 12 Poilblanc Domina 1566

21 Pouchin Chanoine - 24 53 Pelletier Chanoine 1577

22 Charvot Chanoine - 25 54 Borceret - -

23 de Poul Demoiselle - 26 27 Rolin, S. Demoiselle 1578

25 de Lévis Demoiselle - 27 55 Brochot - 1579

3 28 Pisy Chanoine - 28 56 Robert Serve 1578

29 Bardin Chanoine 1510 57 Le Duc Chanoine 1581

30 Rolin, C. Demoiselle 58 Malard Chanoine 1581

31 Robin Chanoine - 29 59 Boulet Chanoine à

Saint-Lazare

1596

32 Plunier - - 30 60 Cornu Chanoine -

33 Rolin, C. Demoiselle - 31 61 Dupasquier Chanoine -

4 de la

Villeneuve

Demoiselle - 32 26 Bergueat - 1608

4 34 Pillor Chanoine 1516 33 63 Goujon Chanoine de

St-Lazard 1612 5 35 Ducray Curé de Saint- Quentin - 34 1 Bonnardeau - 1617

6 36 Visot Chanoine 1521 35 64 Vachon Chanoine 1626

7 24 Pithoix, C. Chanoine 1530 65 Perreau Médecin 1626

8 37 Milor Chorial 1534 36 62 Regneault Prêtre habitué 1633

9 38 Genevois Chanoine 1546 37 13 Blanchard - -

10 39 Genevois Chanoine 1549 38 66 Ravier Cordonnier 1649

Le tableau précédent permet d’analyser la constitution progressive du groupe des bienfaiteurs. L’examen des colonnes contenant les données des fondateurs, leur statut social et l’année de leur fondation montrent que le groupe des bienfaiteurs fut d’abord très homogène : sur une période de 38 ans s’étendant des fondations Drouhot (1468-1478) jusqu’à la fondation du chanoine Pillor en 1516 (ce qui correspond aux unités de production 1 à 4), les 11 fondateurs étaient tous des chanoines du chapitre de Notre-Dame tandis que quatre des sept fondatrices appartenaient à la famille des Rolin. Mis à part trois femmes, la demoiselle Jehanne de Poul et deux autres dont on ne sait presque rien, Jehanne Lautouzot et Jehanne dite Zoé Plunier, toutes les fondations conservées dans le codex émanent pour cette période d’un horizon presque exclusivement limité aux chanoines autunois de Sainte-Marie et aux demoiselles de la famille Rolin, ce qui témoigne d’ailleurs des bonnes relations entre le collège et ses patrons. Il semblerait donc que les pages du Livre des fondations aient été entre 1478 et 1516 réservées à ces gens de qualité.

À partir de la fondation de Pierre Ducray, créée entre 1516 et 1521, s’esquisse un léger mouvement d’ouverture du Livre des fondations à quelques ecclésiastiques extérieurs au chapitre. Des individus comme Pierre Ducray, curé de Saint-Quentin d’Autun, et Aulbin de la Crote, prêtre bénéficiaire à Saint-Lazare ayant fondé un anniversaire en 1555, font ainsi leur apparition dans le manuscrit. Trois prêtres choriaux, Simon Milor (1534), Germain Creusevaud, (v. 1557) Jacques Villain (1558), membres du chapitre de Notre-Dame, commencèrent à figurer dans le codex aux côtés de leurs supérieurs de rang canonial.

Au cours du dernier tiers du XVIe siècle se produisit un changement très rapide. Alors que le Livre des fondations contenait jusqu’alors essentiellement les anniversaires des femmes Rolin et des membres du collège de Notre-Dame, les fondations inscrites dans le manuscrit furent désormais le fait d’une majorité de bienfaiteurs n’appartenant ni au chapitre, ni à la famille du chancelier. À partir de la fondation de dame Anne Poilblanc vers 1566 et surtout de celle de Marguerite Borceret, vers 1578, jusqu’à celle de la demoiselle Marie Poisson en 1649 (soient les unités de production 23 à 39), les chanoines de Notre- Dame se firent de plus en plus rares. Si les ecclésiastiques arrivèrent encore en tête de file du cortège des fondateurs pour cette période, ils ne furent plus responsables de la majorité des fondations : même en additionnant aux 6 chanoines de Notre-Dame les deux chanoines de Saint-Lazare, Boulet et Goujon, ainsi que le prêtre habitué Regnault, les ecclésiastiques

ne comptent que 9 des 20 fondateurs dans leurs rangs. Ce recul de la présence des ecclésiastiques parmi les fondateurs se double de l’inscription d’anniversaires fondés par des laïcs de toutes origines sociales confondues. On y trouve par exemple le cordonnier Pierre Ravier, le médecin Claude Perreau et même une serve, Françoise Robert. On vit aussi réapparaître des femmes parmi les fondateurs, dont la patronne de la collégiale Suzanne Rolin et cinq femmes au statut inconnu.

En résumé, la constitution de la communauté des bienfaiteurs à travers les pages du Livre des fondations se fit selon trois tendances. Le codex semble avoir été dans un premier temps (1478 à 1521 environ) le gardien de la mémoire des chanoines de Notre-Dame et des femmes de la famille Rolin. À partir de 1521, il s’ouvrit progressivement aux choriaux et à deux ecclésiastiques provenant de l’extérieur du chapitre tout en se fermant aux femmes, mais il accueillait encore essentiellement les fondations des chanoines. À partir de 1566, on eut tendance à transcrire de moins en moins d’actes provenant de chanoines dans le manuscrit, qui accueillait inversement de plus en plus d’actes émanant de laïcs d’origines diverses et notamment de femmes.

Le miroir de la communauté des bienfaiteurs

Si les limites temporelles de ces trois phases sont bien entendu approximatives, force est de constater qu’il y a une forte corrélation entre elles et les changements dans le processus de rédaction du Livre des fondations. Ainsi, les actes datant d’entre 1468 et 1521, qui se rapportent principalement aux anniversaires de chanoines de Notre-Dame et des demoiselles Rolin, font tous partie, à l’exception de celui du chanoine Pillor, des trois phases de rédaction organisées et programmées que nous avons identifiées dans le chapitre précédent (unités de production 1 à 3)174.

L’ouverture aux choriaux et aux ecclésiastiques issus de l’extérieur du chapitre coïncide dans le manuscrit avec le passage des phases de rédaction programmées à

174 La première phase d’écriture correspond aux actes de Drouhot (actes 2-3 et 5 à 9, f. 9-22) écrits en 1478, la deuxième aux actes 10 et 14 à 23 (f. 23 et f. 25 à 31) écrits autour de 1503, et la troisième aux actes 4 et 28 à 33 (f. 11 et f. 33 à 36) écrits vers 1510.

l’écriture individualisée, un acte ou deux à la fois, des anniversaires (unités 4 à 39)175. Le début du renversement de tendance amenant une plus grande présence de laïcs d’origine variée se manifeste quant à lui formellement et textuellement par la fin de l’ensemble d’actes signés Goujon (unités 9 à 19)176, le début de l’utilisation de la lettre humaniste177 et par l’écriture d’actes intercalés au sein d’unités de production préexistantes178. Si le tournant de l’ouverture grandissante aux laïcs de toutes conditions prend codicologiquement place à l’intérieur du manuscrit primitif, la rupture n’est toutefois réellement consommée que lors de l’ajout des cahiers 1, 9, 10 et 11, sans véritable rapport avec le reste du codex, qui transforme le Livre des fondations en document d’archives.

L’explication du tournant du XVIIe siècle relève de l’hypothèse. Ce que l’on constate, c’est que le manuscrit semble en 1649 avoir définitivement perdu son sens social premier, celui de préserver la mémoire des chanoines donateurs et des demoiselles Rolin, pour en acquérir un nouveau, celui de préserver la mémoire d’une communauté des bienfaiteurs élargie. On peut difficilement comprendre cette transition à l’aune seule du Livre des fondations, qui n’en est que le reflet. Le fait que l’on continue à écrire des anniversaires dans le même codex témoigne néanmoins d’une continuité de son sens premier et d’une proximité, par le biais du manuscrit, entre les vieux chanoines et les donateurs plus récents.

Il est possible de mettre cette ouverture du chapitre en relation avec un événement somme toute banal, mais probablement majeur pour le chapitre autunois, qui prit place en 1577 : la mort de Suzanne Rolin et le passage du droit de patronage de la collégiale à la famille Chambellan179. Cette disparition de la présence et du soutien traditionnel des patrons de la famille du chancelier, qui habitèrent tous dans l’Hôtel Beauchamps d’ailleurs directement relié à la collégiale par une galerie, aurait pu l’inciter à chercher de nouveaux bienfaiteurs en s’ouvrant davantage à la société autunoise. Or si ceci pourrait expliquer un accroissement des fondations laïques à Notre-Dame d’Autun, ce dont atteste le cahier de recension des fondations de 1694, cela n’explique pas pour autant l’ouverture des pages du

175 Ce qui correspond à tous les actes rédigés après l’acte 34 (f. 37), ce dernier y compris. 176 Soient les actes 38 à 50, f. 42 à 46.

177 L’acte de fondation de Germain Creusevaud est le premier à avoir été rédigé de la sorte (acte 51, f. 47). 178 C’est le cas des textes 1 (f. 7-8), 11 à 13 (f. 24), 24 (f. 31), 26 et 27 (f. 32).

179 Voir Jean-Bernard de Vavivre, « La famille de Nicolas Rolin », La splendeur des Rolin…, Op. cit., p. 19- 35.

Livre des fondations à tous les donateurs et non plus à un groupe restreint. Peut-être la fin du lien privilégié entre les chanoines et leurs patrons a-t-elle entraînée également la fin d’une communauté des bienfaiteurs centrée sur les membres du chapitre et les Rolin.

Cette ouverture témoigne en tout cas d’un changement du rapport entre les chanoines et, à travers leur Livre des fondations, la mémoire de leurs bienfaiteurs. Dans cet ordre d’idées, le Livre des fondations n’apparaît pas seulement comme le protecteur sacralisant de la mémoire de la communauté des bienfaiteurs, mais aussi comme le miroir de l’évolution de ses rapports avec les chanoines puisque le manuscrit, rédigé par les chanoines, a lui-même formellement, textuellement et codicologiquement évolué de pair avec leur représentation de cette communauté qui finalement n’existait comme telle que dans leur codex.

Conclusion – Une communauté au maillage serré

La communauté des bienfaiteurs dont la mémoire est conservée dans le Livre des fondations était assez homogène ; elle était essentiellement composée d’hommes issus du clergé autunois, plus particulièrement des chanoines de Notre-Dame, et de femmes liées à la famille Rolin ou dont le statut reste inconnu. Trois prêtres choriaux du même chapitre, le curé de Saint-Quentin, deux chanoines et un prêtre bénéficiaire à Saint-Lazare, un médecin, un cordonnier, deux veuves, l’une demoiselle et l’autre bourgeoise, ainsi qu’une serve venaient compléter le petit groupe des cinquante fondateurs.

Ceux-ci ont tous accédé au Livre des fondations en vertu de leur générosité à l’égard du chapitre de Notre-Dame, auprès duquel ils ont fondé en personne ou par testament des messes anniversaires devant être dites à perpétuité, le tout en échange de sommes considérables. Ces sommes, qui ont sans doute servi à acheter des rentes au profit du collège, ne furent toutefois que rarement mentionnées dans le codex étudié, ce qui constitue un signe du désintérêt de ses rédacteurs pour la question.

L’analyse de la constitution progressive de la communauté des bienfaiteurs a montré que celle-ci était, à la manière du Livre des fondations, évolutive. Au départ, son maillage était serré : seuls les chanoines et les demoiselles Rolin habitaient ses pages. Mais le

maillage se relâcha avec les années et la communauté des bienfaiteurs se diversifia, accueillant bientôt des choriaux et des ecclésiastiques extérieurs au chapitre, puis des hommes et des femmes laïcs de toutes origines. Le Livre des fondations est à l’image de cette progression : au départ rédigé de façon programmée et homogène, l’écriture du manuscrit primitif se fit au fil du temps de plus en plus épisodique, individuelle, et se caractérisa par les variations formelles et textuelles - voire même codicologiques en tenant compte des cahiers ajoutés – entre les différents actes qu’il contient. Comme la communauté des bienfaiteurs que nous étudions existait d’abord à travers le Livre des fondations tenu par les chanoines d’Autun, toute évolution du codex qui l’abritait fut le miroir du changement du rapport entre le chapitre et la mémoire de ses défunts bienfaiteurs.

Chapitre 3. La fondation et la célébration des anniversaires à