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Ni Amérindiens ni Eurocanadiens : une approche néomoderne du culturalisme métis au Canada

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Academic year: 2021

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Texte intégral

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Ni Amérindiens ni Eurocanadiens. Une approche

néomoderne du culturalisme métis au Canada

Thèse

Emmanuel Michaux

Doctorat en anthropologie

Philosophiae doctor (Ph.D.)

Québec, Canada

© Emmanuel Michaux, 2014

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RÉSUMÉ

Dans une perspective post-structurale qui s’inscrit dans le courant de l’anthropologie historique, cette thèse décrit le phénomène d’ethnicisation récente de groupes qui se désignent comme métis dans l’est du Canada. Le but est de comprendre cet événement en l’abordant en tant que processus culturel et en le qualifiant de culturalisme. L’analyse s’appuie principalement sur des entrevues menées dans plusieurs régions du Canada auprès d’individus d’origine canadienne-française qui affirment leur héritage autochtone.

L’organisation politique des Métis de l’Est constatée au cours de ces dernières décennies engendre une confrontation de perspectives avec l’ordre socioculturel dominant. Les autorités canadiennes expriment en effet de sérieuses réserves quant à cette demande de reconnaissance qui se fait de plus en plus insistante. Plutôt que de s’en tenir à cette dimension politicojuridique du phénomène, la thèse montre qu’il existe de part et d’autre de cette dialectique complexe des résistances culturelles, des logiques, des visions du monde et des mémoires collectives difficilement compatibles.

Cette thèse s’arrête tout particulièrement sur les préoccupations des Métis pour la continuité culturelle, notamment en ce qui concerne l’approvisionnement de gibier et de poisson à des fins alimentaires. Ceux-ci ont conscience que des aspects considérés comme centraux de leur héritage culturel sont aujourd’hui menacés, tout particulièrement dans le contexte du développement du capitalisme et de ses répercussions sur la scène sociopolitique. Ils font appel à leur mémoire et expriment leur conscience collectivement partagée du changement, d’une altération de leurs spécificités qui représente la raison culturelle de leur affirmation ethnique.

Par son approche comparative et multisituée, mais aussi par l’utilisation de données de terrain encore peu exploitées en études métisses dans l’est du Canada, la thèse répond d’une manière inédite à ce phénomène d’ethnicisation. La perspective post-structurale adoptée est susceptible de permettre une meilleure compréhension des enjeux et des défis qui se profilent depuis la fin du XIXe siècle pour les Métis de l’Est. J’entends vérifier si le

culturalisme des Métis représente le moment d’une action collective culturellement spécifique face à des événements singuliers.

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ABSTRACT

Adopting a post-structuralist perspective in line with historical anthropology, this thesis examines the recent ethnicisation phenomenon involving groups from eastern Canada who designate themselves as “Métis”. The aim is to make sense of this event by considering it as a cultural process identified as “culturalism”. The study relies mainly on interviews conducted in various regions of Canada with individuals of French-Canadian descent who emphasize their native ancestry.

Eastern Métis have started getting organized on the political scene within the last decades, and this has caused their perspectives to confront those of the dominant socio-cultural order. Indeed, the Canadian authorities express some serious reservations about this increasingly pressing call for recognition. Rather than considering solely the political and legal dimensions of this phenomenon, this research unveils cultural resistances as well as conflicting logics, world views and collective memories found on both sides of this complex dialectics.

This thesis focuses on the study of the concerns of the Métis with regards to cultural continuity, especially when it comes to providing game and fish for food purposes. They are aware that certain essential aspects of their cultural heritage are now threatened, especially in a context of capitalist development that impacts on the sociopolitical scene. The Métis call upon their memory and express their collective awareness of change which they view as a modification of their specificities and that is in fact the cultural cause for their efforts towards ethnicity.

Using a comparative and multi-sited approach as well as fieldwork data seldom exploited in eastern Canada Métis studies, this research sheds a new light on the phenomenon of ethnicisation. The post-structural perspective adopted here is meant to allow a better comprehension of the issues and challenges that eastern Métis have been confronted to since the nineteenth century. I discuss the way Métis culturalism can be considered as the moment when culturally specific collective action arises, in the face of particular events.

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TABLE DES MATIÈRES

RÉSUMÉ... iii

ABSTRACT ... v

LISTE DES TABLEAUX ... xi

LISTE DES FIGURES ... xiii

LISTE DES CARTES ... xv

LISTE DES PHOTOGRAPHIES ... xvii

LISTE DES PRINCIPAUX SIGLES ET ABRÉVIATIONS ... xix

REMERCIEMENTS ... xxi

INTRODUCTION GÉNÉRALE ... 1

PARTIE I PROBLÉMATIQUE DE LA RECHERCHE ... 9

Chapitre 1 Les Métis de l’Est : bilan des savoirs et des approches ... 11

1.1 Le contexte : métissages et identités métisses au Canada ... 11

1.1.1 Politique du métissage au Canada français : XVIe-XVIIIe siècles ... 11

1.1.2 Bref historique des populations d’ascendance mixte franco-indienne à l’étude ... 16

1.1.3 L’identité métisse au Canada : du XVIIIe siècle à aujourd’hui ... 27

1.1.4 La question de la définition : de la Confédération à aujourd’hui ... 36

1.1.5 Remarques préliminaires sur la politique multiculturelle au Canada ... 44

1.2 Les études métisses dans l’Est : état des lieux et divergences interprétatives ... 49

1.2.1 Thèse dominante en ethnogenèse métisse : années 1980 ... 50

1.2.2 Interprétations divergentes en ethnogenèse métisse : années 1990 ... 59

1.2.3 Développement de la recherche post-Powley : les Métis de l’Est... 63

Chapitre 2 Cadre théorique, objectifs de recherche et méthode d’enquête ... 79

2.1 Le constructivisme : la réalité comme une construction ... 79

2.1.1 La description ethnographique : la dimension épistémologique ... 80

2.1.2 L’approche néomoderne : la dimension ontologique ... 83

2.1.3 Les raisons du choix de l’approche post-structurale ... 85

2.2 L’anthropologie historique : culture, histoire et structure de la conjoncture ... 89

2.2.1 La culture comme objet historique ... 90

2.2.2 Structure, événement et action : la structure de la conjoncture ... 92

2.2.3 Le contact culturel avec l’ordre culturel dominant : capitalisme et culturalisme .. 95

2.2.4 Conclusion sur un débat théorique : le tout culturel ... 102

2.3 Objectifs spécifiques de recherche ... 108

2.3.1 Question spécifique de la recherche ... 108

2.3.2 Réponse provisoire à la question spécifique de la recherche ... 111

2.4 Méthode de collecte et d’analyse des données ... 112

2.4.1 Local et global : l’ethnographie multisituée ... 113

2.4.2 L’anthropologie historique : la nouvelle histoire ... 116

2.4.3 Les sources utilisées et le déroulement du terrain ethnographique ... 120

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Conclusion du chapitre ... 133

PARTIE II LE MOUVEMENT MÉTIS DANS L’EST : RESTRUCTURATION SOCIOPOLITIQUE AUTOUR D’UNE IDENTITÉ RECONNUE ... 135

Chapitre 3 Organisation sociopolitique et construction de l’identité métisse ... 137

3.1 L’organisation politique des Métis de l’Est ... 137

3.1.1 Les Métis de l’est du Canada en chiffres ... 137

3.1.2 Bref historique de quelques organisations métisses au Canada ... 148

3.1.3 La question de la représentation : l’exemple de l’ACMHQ ... 156

3.2 L’identité métisse discutée par les Métis de l’Est et les critères Powley ... 162

3.2.1 Une identité basée sur un héritage biologique mixte ... 164

3.2.2 Une identité basée sur un héritage culturel mixte distinct ... 170

3.2.3 Une identité collective : l’existence d’une communauté historique ... 177

3.3 Une identité politisée et judiciarisée : le besoin de reconnaissance ... 186

3.3.1 Résistance et intégration à la norme : un devenir minoritaire ... 186

3.3.2 Mandat des organisations métisses : la dimension politique du culturalisme ... 197

3.3.3 Les procès impliquant les Métis de l’Est : les droits débattus ... 202

3.3.4 Conflits d’intérêts avec les Indiens et les Métis de l’Ouest ... 208

Conclusion du chapitre : Une construction identitaire sous contrôle ... 215

Chapitre 4 Les défis de la reconnaissance : nationalismes, mémoires, histoires ... 219

4.1 Les Métis de l’Est et les nationalismes métis, québécois et acadiens ... 220

4.1.1 Le mouvement métis Est-Ouest : un imaginaire diasporique ... 220

4.1.2 Tensions autour du projet national métis : l’héritage canadien-français ... 225

4.1.3 Distinctions d’avec les projets nationaux québécois et acadiens ... 229

4.2 Discrimination, discrétion et le jeu de la mémoire ... 236

4.2.1 Discrimination : le regard de l’Autre ... 236

4.2.2 Discrétion identitaire : les sentiments de honte et de peur ... 244

4.2.3 Fierté et honte : travail de la mémoire et poids de l’histoire ... 254

4.3 L’affirmation métisse face à l’histoire : pour une nouvelle histoire ... 262

4.3.1 L’histoire bipolaire et la place du métissage ... 263

4.3.2 Les « sauvages » ne sont pas tous devenus des Indiens inscrits ... 269

4.3.3 Un passé réapproprié : l’affirmation d’une mémoire collective ... 278

Conclusion du chapitre : Une construction identitaire difficile ... 289

PARTIE III L’HÉRITAGE SOCIOCULTUREL DES MÉTIS D’ORIGINE CANADIENNE-FRANÇAISE ET ACADIENNE ... 293

Chapitre 5 Les activités économiques : changements et continuité... 297

5.1 Les activités ancestrales : réciprocité et échanges marchands ... 298

5.1.1 Activités de chasse, de pêche, de piégeage et de cueillette ... 298

5.1.2 Activités de production à la ferme ... 313

5.1.3 Activités rémunérées en région rurale ... 319

5.2 Un mode de vie menacé : le défi de la continuité culturelle ... 326

5.2.1 Le développement des régions : la surexploitation des ressources ... 327

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5.2.3 L’essor du travail salarié en ville : l’exode rural ... 339

5.3 Valorisation, affirmation et représentations ... 345

5.3.1 Prédation : continuité, valorisation et construction de l’identité métisse ... 345

5.3.2 L’affirmation métisse : des droits non reconnus revendiqués ... 355

5.3.3 Des logiques distinctives et la rhétorique du contraste ... 359

Conclusion du chapitre : les Métis et la modernité avancée ... 365

Chapitre 6 La vie communautaire et les parlers : déclin et valorisation ... 369

6.1 La vie communautaire : portrait socioculturel des Métis ... 369

6.1.1 Une vie en marge des paroisses : le petit Canada des Métis ... 370

6.1.2 Pratiques métisses et religion : une vie dans le péché ... 378

6.1.3 L’esprit communautaire des Métis : un héritage mixte ... 385

6.2 Déclin et valorisation de la vie communautaire ... 392

6.2.1 Déclin de la vie communautaire ... 392

6.2.2 Continuité et valorisation : l’expérience d’un contraste ... 397

6.2.3 Le rôle et le travail des organisations métisses ... 404

6.3 Les parlers des Métis francophones ... 408

6.3.1 Présentation et importance socioculturelle de trois parlers ... 409

6.3.2 Anglicisation : déclin du français en général ... 416

6.3.3 Francisation : déclin de variétés régionales du français ... 425

Conclusion du chapitre : Le culturalisme métis et les jeunes générations ... 435

CONCLUSION GÉNÉRALE ... 439

BIBLIOGRAPHIE ... 451

ARCHIVES ET CORPUS DE DONNÉES CITÉS DANS LE TEXTE ... 472

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LISTE DES TABLEAUX

Tableau 1 – Croissance de la population métisse au Canada : 1981-2011 ... 143

Tableau 2 – Les organisations métisses du Canada impliquées dans cette recherche ... 149

Tableau 3 – Quelques procès impliquant des Métis de l’Est depuis 2000 ... 203

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LISTE DES FIGURES

Figure 1 – Croissance de la population métisse au Canada : 1981-2011 ... 144

Figure 2 – Croissance de la population métisse dans l’est du Canada : 1981-2011 ... 145

Figure 3 – Les activités de prédation pratiquées autrefois par mes informateurs ... 299

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LISTE DES CARTES

Carte 1 – Les Métis au Canada en 1996 ... 146 Carte 2 – Les Métis au Canada en 2006 ... 147

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LISTE DES PHOTOGRAPHIES

Photographie 1 – Cueillette industrielle du bleuet en famille (Quinan NS, 1920) ... 312 Photographie 2 – Ancienne ferme familiale des Vermette (Richer MB) ... 316 Photographie 3 – Scierie à Bangor, bûcherons acadiens et leurs animaux (NS, c. 1905) .. 322 Photographie 4 – École rurale d’autrefois avec écurie en arrière (Giroux, Manitoba) ... 370 Photographie 5 : Le homestead des Gobeil (South Junction, section nord-est, Manitoba) 373 Photographie 6 – Ancienne maison (Petit-Village de Yamachiche, QC) ... 375

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LISTE DES PRINCIPAUX SIGLES ET ABRÉVIATIONS

AAMS Association des Acadiens-Métis Souriquois

AAQ Alliance Autochtone du Québec

ACMHQ Assemblée des Communautés métisses historiques du Québec

ARUC-IFO Alliance de recherche universités-communautés sur les identités francophones de l’Ouest

CMDRSM Communauté métisse du Domaine du Roy et de la Seigneurie de Mingan

CMG Communauté métisse de la Gaspésie

CMMYHQ Communauté Métis magoua Yamachiche historique du Québec

CNAC Conseil national des Autochtones du Canada

CNI Conseil national des Indiens

CPA Congrès des Peuples autochtones

CRPA Commission royale sur les peuples autochtones

CRCIM Chaire de recherche du Canada sur l’identité métisse

MNA Métis Nation of Alberta

MMF Manitoba Métis Federation

NMQ Nation Métis Québec

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REMERCIEMENTS

Un grand nombre de personnes et d’organismes ont contribué de près ou de loin à la réalisation de cette thèse. Je voudrais ici leur exprimer toute ma gratitude pour l’attention et l’intérêt qu’ils ont porté à ma recherche.

Mes remerciements vont tout d’abord à l’ensemble des personnes qui, sur le terrain, ont participé à ma recherche. Ma gratitude s’adresse plus particulièrement à mes informateurs privilégiés qui ont suivi avec beaucoup d’enthousiasme l’évolution de ma recherche. Parmi les informateurs avec lesquels j’ai travaillé dans les Maritimes, je remercie tout particulièrement Paul Tufts, non seulement pour son soutien sur le terrain, mais aussi pour son aide lors de la transcription de certaines entrevues en akadjonne. Je remercie également Hector Boudreau chez qui j’ai pu résider plusieurs semaines dans le sud-ouest de la Nouvelle-Écosse, ainsi que Alyre Thériault et Donald Leblanc. Pour leur contribution particulière, j’exprime également ma reconnaissance à Jean-Louis Belliveau qui m’a initié à son système d’écriture phonétique permettant de mettre en valeur « la läg akadjèn é sö nIstwar » (Belliveau 2008) ainsi qu’à Donald Jacquard qui m’a fait découvrir son territoire constitué d’un ensemble d’îles situées au large de Wedgeport. Je suis particulièrement redevable également à Jean-Guile Girard, une personne très impliquée dans la cause métisse et qui m’a fait part de son savoir et de ses recherches à plusieurs reprises.

Au Québec, j’adresse mes remerciements les plus sincères à la Métisse magoua Pauline Guillemette Pelletier pour son enthousiasme, son soutien inconditionnel et son dynamisme. Du Petit-Village de Yamachiche, je remercie également Françoise pour son accueil inoubliable durant mes quelques jours passés auprès des Magouas. Merci aussi à Pierre qui, en plus de son accueil, m’a donné la possibilité de l’accompagner à la chasse au chevreuil. Je remercie également Steve d’avoir apporté de la viande de bois au village afin que je puisse goûter à ces denrées qui, pour les Magouas, n’ont pas de prix. Au Québec, toujours, j’adresse mes plus sincères remerciements à plusieurs dirigeants d’organisations métisses pour leur confiance et leur soutien tout au long de ma recherche : Serge Paul et Pierrette L’Heureux de Maniwaki, Jean-René Tremblay et René Tremblay de Chicoutimi, ou encore Raymond Cyr de Sherbrooke avec qui j’ai pu vivre l’expérience inoubliable d’une semaine de chasse à l’orignal dans les monts Chic-Chocs, en compagnie de Métis de la Gaspésie. Enfin, au Manitoba, je suis particulièrement redevable à Gabriel Dufault qui m’a fait part de ses connaissances, de ses impressions et de ses espoirs en tant que président de l’Union nationale métisse. Je remercie aussi la Métisse Camille Fisette-Mulaire de Saint-Pierre-Jolys pour son accueil, son aide précieuse et le temps qu’elle m’a accordés pour me faire découvrir sa région baignée par l’univers métis, lequel s’étend le long de la rivière aux Rats, un affluent de la rivière Rouge. De même, dans la région de Richer et de Sainte-Anne, j’ai tiré profit de la généreuse disponibilité de Léon Tétreault qui m’a conduit sur les traces des Métis le long de la rivière Seine. Enfin, à Saint-Laurent, je suis tout particulièrement reconnaissant à Serge Carrière pour son accueil et sa contribution à ma recherche, me conduisant auprès d’autres informateurs, jusqu’à Saint-Eustache, sur la rivière Assiniboine.

Je remercie également mes autres informateurs, rencontrés de manière formelle ou non, que je citerai parfois par leur prénom pour respecter l’anonymat : Camille, Gérard d’Entremont, Christine, Norma Muise, Raymond Muise, Michael Morris et Ronald Surette, Noël, Éveline et Robert, Roger, Bruno, Sylvain, Andrée Durand, Gérard et Claudette, mais aussi, dans l’Ouest, Guy, Georges et Florence Beaudry, Cécile, Alice, Lucie et Roméo, Julien Remillard, Gilbert Bourgeois, Florence, Gertrude, Jean, Bernard Vermette, Paul Gobeil, Réal Bérard, Audie Carrière, Ernest, Thérèse Dumont, Audrey Combot et Emmanuel Rainville, Guy, Cécilia Allard, Jules Desjarlais, Martin, Rose Ross, Philip Beaudin, Adrienne Grégoire, Ariane Mulaire. J’exprime ma gratitude à mes

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informateurs de l’Alberta dont les témoignages n’ont pas été traités formellement dans cette thèse, mais qui feront l’objet de recherches ultérieures : merci à Cathy Ouellet, à Christie Ladouceur, à Jacques Martel ainsi qu’à Liliane Coutu Maisonneuve.

Plusieurs personnes du milieu universitaire ont influé à divers degrés sur la réalisation de cette thèse. De mes années de Master à Lyon, je pense tout d’abord à Philippe Jacquin, disparu la veille de notre première rencontre, mais qui m’a encouragé durant plusieurs mois à persévérer pour trouver ma voie dans les études autochtones nord-américaines. Lui qui a mené des recherches ethnohistoriques sur le métissage en Amérique du Nord (Jacquin 1996), quel sentiment aurait-il envers le développement des études métisses dans l’est du Canada? Je dois également souligner le soutien de Françoise Morin, qui a accepté de diriger mon Master 1 et 2 malgré (ou du fait de) mes intérêts de recherche qui, déjà, me poussaient à étudier des groupes autochtones marginaux (en l’occurrence, les Malécites que certains qualifient de métis). Enfin, je voudrais remercier le professeur François Laplantine dont l’enseignement m’a initié à une anthropologie (du) sensible. L’influence de sa pensée est perceptible dans cette thèse. Plus récemment, durant mes années de scolarité à l’Université Laval, d’autres personnes ont également été de bon conseil. Tout d’abord, je souhaite remercier vivement Paul Charest qui m’a permis, lors de mes années de Master, de mener plusieurs recherches de terrain au Québec auprès des Malécites de Viger (Cacouna) et des Innus de La Romaine. C’est lui aussi qui m’a présenté le professeur Denis Gagnon de l’Université de Saint-Boniface qui dirige la Chaire de recherche du Canada sur l’identité métisse (CRCIM).

J’exprime ma profonde reconnaissance à Denis Gagnon pour son soutien et ses encouragements inconditionnels, pour ses conseils judicieux et pour avoir sans cesse stimulé ma recherche en me présentant notamment de nouvelles opportunités de recherche en études métisses et en me permettant de travailler auprès d’un groupe de recherche dynamique et indépendant, ouvert et attentif à des populations métisses non reconnues. Toute ma gratitude va également aux professeurs Frédéric Laugrand et Denis Gagnon qui ont accepté de superviser et de diriger ma thèse de doctorat. À l’Université Laval, j’ai pu profiter d’un enseignement de qualité qui m’a permis d’approcher certains professeurs qui se sont montrés intéressés par mon projet : Frédéric Laugrand, tout d’abord, dont l’enseignement m’a aidé à développer des réflexions théoriques et méthodologiques qui se sont révélées centrales dans cette thèse; Francine Saillant, dont le séminaire m’a initié aux théories postcoloniales, à certaines réflexions philosophiques incontournables et à une réflexion féconde sur la condition de minoritaire qui a trouvé sa place dans cette thèse. Je remercie également l’équipe de Géo-Stat pour son aide dans la réalisation des cartes géographiques. De l’extérieur de l’Université, d’autres professeurs et chercheurs doivent également être remerciés ici : tout particulièrement Yves Labrèche qui m’a encouragé et aidé à mener diverses recherches de terrain auprès des Métis du Manitoba; le linguiste Robert Papen qui a facilité la compréhension de certaines spécificités du français mitchif et qui a été d’un grand secours pour moi lors de la transcription d’entrevues menées au Manitoba. Je suis redevable au Centre d’études franco-canadiennes de l’Ouest (CEFCO) qui m’a permis d’exposer, à l’occasion de deux colloques, les premiers résultats de ma recherche.

Également, j’exprime toute ma reconnaissance aux personnes qui ont accordé un soutien financier à ma recherche. Multisituée et donc particulièrement onéreuse, celle-ci a été financée par la Chaire de recherche du Canada sur l’identité métisse et par l’Alliance de recherche universités-communautés sur les identités francophones de l’Ouest canadien (ARUC-IFO). À ce titre, mes remerciements vont une nouvelle fois à Denis Gagnon.

Enfin, j’ai une pensée toute particulière pour Carole et ma fille Lily ainsi que pour mes parents et ma famille dont la présence constante tout au long de ces années m’a permis d’aller au bout de cette expérience de recherche exigeante.

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INTRODUCTION GÉNÉRALE

Au Canada, certaines personnes placent le métissage au fondement même de la nation canadienne. En 1979, le leader métis Harry W. Daniels, alors président du Conseil des Autochtones du Canada, s’est exprimé sur cette question : « Il ne peut y avoir de véritable unité nationale au Canada en dehors de l’héritage métis… Le fait métis, non pas le fait français ou le fait anglais, représente le fondement authentique de la culture et de l’identité du Canada » (traduit dans Morisset 1983 : 198-199). S’opposant également à l’idéologie de la population majoritaire au Canada, le géographe Jean Morisset considère que la population métisse est la meilleure représentation possible du caractère national canadien (Morisset 1983 : 197). Plus récemment, cette idée a été développée par l’écrivain canadien John Ralston Saul dans son ouvrage Mon pays métis: quelques vérités sur le Canada (2008). On la retrouve également chez les Métis, comme dans le témoignage de l’Acadien-Métis Jean-Louis Belliveau pour qui être l’Acadien-Métis, c’est « être de vrais Canadiens » (Pointe de l’Église, février 2010).

Malgré cette conception des choses, force est de constater que certains conflits sociaux ayant une portée politique, mais aussi juridique importante, gagnent l’est du Canada à mesure que des individus, de plus en plus nombreux, se réclament de cette identité métisse. Ces individus sont qualifiés par ceux qui s’opposent à leur mouvement d’affirmation tantôt de romantiques tantôt d’opportunistes. Pourtant, les Métis n’envisagent pas un retour utopique aux jours primordiaux – à cette époque glorieuse pour eux du commerce des fourrures. Ils revendiquent des droits qui leur permettraient de protéger à l’avenir leur culture distinctive qu’ils vivent et valorisent encore, et qui leur permettraient d’intégrer comme ils l’entendent de nouveaux besoins et de nouvelles logiques à leur manière d’être dans le monde. Selon les auteurs du rapport de la Commission royale sur les peuples autochtones (CRPA) (Canada 1996b : point 3.2), les Métis de l’Est ne sont pas des opportunistes qui attendent leur dû dans une société multiculturelle, mais des individus inquiets et préoccupés, qui se prennent en main et qui luttent collectivement pour s’assurer un avenir qui leur ressemble dans le Canada de demain.

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Cette reconnaissance en tant que Métis est soumise au point de vue des autorités gouvernementales canadiennes qui contestent leur existence. Dès lors, l’interprétation de l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982, concernant tout particulièrement la nature de l’identité métisse et des droits ancestraux, se retrouve débattue devant les cours de justice, dans le cadre de procès couteux, longs et complexes qui se concluent généralement en défaveur des Métis. Ces individus, avec leurs propres points de vue et préoccupations, échappent encore à la conscience collective et à l’histoire officielle. Ils paraissent particulièrement inauthentiques du point de vue de l’idéologie dominante. La politique d’affirmation culturelle des Métis de l’Est ne bénéficie donc pas de l’a priori positif et bienveillant auquel ceux-ci pouvaient s’attendre dans un État multiculturel. Cette situation engendre un contexte de conflit social, une lutte des interprétations, une confrontation des mémoires, bref un choc culturel dans une situation d’interaction asymétrique.

Face à cette recrudescence d’individus qui se disent Métis dans l’est du Canada, la question se pose de savoir comment et pourquoi cette affirmation ethnique s’opère, et si ce processus s’inscrit dans une culture historique distinctive que l’on peut qualifier de « métisse ». En outre, un autre objectif de cette thèse est de déterminer si les raisons et les finalités de l’affirmation des Métis sont comparables au Canada : les personnes qui se désignent en tant que Métis partagent-elles une culture en commun, un mode de vie, des représentations ou des conceptions du monde similaires; nourrissent-elles les mêmes préoccupations envers des transformations culturelles devenues inacceptables compte tenu de repères traditionnels collectivement partagés; finalement, leur affirmation ethnique est-elle fondée culturellement, ou ne représente-t-elle qu’une nécessité proprement utilitaire concernant la poursuite d’intérêts sociaux, de nature identitaire, politique et pécuniaire?

Une première précision s’impose quant à la terminologie employée pour désigner la population étudiée. Dans cette thèse, je qualifie de Métis les personnes et groupes ou communautés qui se réclament de cette identité autochtone, qu’ils soient ou non reconnus officiellement. Cela répond à une remarque formulée dans le rapport de la CRPA selon laquelle les Métis de l’Est ont tout autant la légitimité de se désigner au moyen du terme « Métis » (Canada 1996b : point 1.). En outre, j’emploie le terme d’« Eurocanadien » ou de « Canadien d’origine européenne » pour désigner la population à prédominance non

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autochtone du Canada qui s’est constituée historiquement au Canada, cela afin d’éviter l’emploi du terme familier de « Blanc ».

Cette recherche se resserre autour d’individus et de groupes métis issus de la population canadienne-française apparue à l’époque de la Nouvelle-France et qui s’est déplacée d’est en ouest au cours de l’histoire coloniale. Sont ainsi considérées dans cette thèse des personnes qui affirment leurs origines canadiennes-françaises ou acadiennes – en plus de leurs origines autochtones – et qui tendent à se rassembler en diverses organisations métisses dans les Maritimes (principalement le sud-ouest de la Nouvelle-Écosse) et au Québec (Mauricie et Saguenay-Lac-Saint-Jean – Côte-Nord). Une autre population métisse d’origine canadienne-française, rencontrée dans le sud-est du Manitoba, complète cette recherche multisituée et comparative. Dans l’Est, j’ai travaillé principalement auprès de trois organisations métisses lors de mes terrains ethnographiques, soit l’Association des Acadiens-Métis Souriquois (AAMS) dont le siège se trouve dans la municipalité de Clare en Nouvelle-Écosse, la Communauté Métis magoua Yamachiche Historique du Québec (CMMYHQ) située au Petit-Village de Yamachiche et la Communauté métisse du Domaine du Roy et de la Seigneurie de Mingan (CMDRSM) dans la région du Saguenay-Lac-Saint-Jean (Michaux et Baron 2010; Michaux 2012b). Au Manitoba, j’ai rencontré des Métis membres de la Manitoba Métis Federation (MMF) et de l’Union nationale métisse Saint-Joseph du Manitoba (UNMSJM), toutes deux localisées dans la ville de Winnipeg. Cette recherche couvre une période qui ne remonte pas au-delà de la Confédération canadienne et de la Loi constitutionnelle de 1867, et s’étend jusqu’à l’époque actuelle marquée par une forte affirmation métisse, notamment dans l’Est. Cette fenêtre temporelle qui ne remonte guère loin dans l’histoire se justifie en regard des objectifs que je me suis fixés et de l’accent mis sur les données ethnographiques de source orale. Les individus que l’on rencontre aujourd’hui peuvent encore témoigner de cette époque relativement récente : il leur est possible de raconter ce qu’ils ont appris de leurs aïeux (tradition orale), de décrire l’héritage que ceux-ci leur ont transmis, autant le patrimoine matériel mobilier et immobilier (photos, fermes, objets du quotidien) que le patrimoine immatériel (les manières de vivre dont ils ont hérité).

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La partie I de la thèse précise l’objectif principal de la recherche. Il s’agit de décrire le processus événementiel d’affirmation afin d’identifier plus précisément la nature de ce besoin manifeste des Métis de disposer d’un espace à eux au sein de l’ordre culturel canadien. S’il est important de tenir compte de cette politique intentionnelle que représente leur ethnicisation, d’aborder ces questions de pouvoir et de lutte pour la reconnaissance identitaire, il s’agit aussi, et surtout, de dialoguer avec eux afin de déceler l’expression d’une culture, de saisir ce qui tient lieu de « social » et de « culturel » pour eux : comprendre leur affirmation comme constituant un dispositif de compréhension complexe. C’est pourquoi, pour décrire ce phénomène qui n’apparaît pas être la simple manifestation d’une identité ethnique à des fins pragmatiques, je ne parle pas seulement d’ethnicisation, en tant que récupération instrumentale (se faire mieux voir) des logiques de la société dominante, mais de « culturalisme », un terme que j’emprunte à l’anthropologue américain Marshall Sahlins (2007). C’est pourquoi, plus particulièrement, j’entends m’écarter du courant historique en ethnogenèse métisse, lequel tend à imposer un modèle unique de communauté en enfermant les Métis dans l’ethnicité. Je propose à la place un modèle théorique et méthodologique qui s’inscrit dans l’approche constructiviste et qui entend laisser une large place à la subjectivité des acteurs sociaux dans la construction de leur réalité. L’affirmation culturelle des Métis en tant que minorité ethnique est ici envisagée comme le moment de la confrontation ouverte entre plusieurs logiques, entre plusieurs formes d’imagination sociologique. Leur culturalisme est appréhendé comme le résultat d’une interaction culturelle qu’il reste à décrire et qui est perçue comme préoccupante par les Métis : ceux-ci prennent conscience que leur intégrité socioculturelle est menacée par la société majoritaire (canadienne, québécoise, acadienne ou encore celle des Métis reconnus) qui a en tête de les maintenir dans un projet national particulier (canadien, québécois, acadien, mais pas métis).

J’entends ainsi vérifier si le culturalisme métis représente une construction sociale dans un contexte d’interaction entre d’un côté des forces contingentes et de l’autre l’action culturellement spécifique des individus et des collectivités, c'est-à-dire leur agencéité. Je suppose donc l’existence de logiques culturelles et d’événements singuliers qui font l’objet d’une synthèse originale et situationnelle opérée par les Métis. J’aborde dans cette thèse la question du malaise de la modernité et de la valorisation du passé qui apparaît dans le

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discours des Métis. De leur point de vue, deux forces socioculturelles majeures représentent des événements importants et préoccupants : leur affirmation aujourd’hui nous incite à considérer les effets du développement de l’économie de marché sur les groupes culturels minoritaires et à reconsidérer la nature et le rôle de la politique multiculturelle au Canada dans ce contexte. Ces phénomènes globaux s’expriment localement sous la forme d’actes, d’incidents et d’événements divers qu’il reste à décrire.

Les Métis font face, tout particulièrement dans le cadre de leur quête de reconnaissance, à une société de contrôle qui veille à l’ordre socioculturel et qui entend, selon ses logiques propres, avoir le dernier mot sur ce qu’ils sont ou ne sont pas. La majorité culturelle (les Canadiens anglais au Canada ou encore les Québécois dits de souche au Québec) s’efforce d’obtenir le consensus des mémoires par la construction d’une histoire nationale. Elle garde, dans le cadre d’une approche multiculturelle, le contrôle des groupes ethniques qui la constituent et impose ainsi l’idée d’homogénéité et de stabilité culturelles au sein de chaque groupe historique reconnu. Elle garantit l’authenticité de cette dichotomie instituée à l’époque coloniale et toujours présente entre Eurocanadiens et Autochtones. Finalement, elle ignore la multiplicité des cultures dans l’histoire, mais aussi l’idée même de métissage, s’éloignant ainsi de certaines avancées théoriques de l’anthropologie abordées dans la partie I, respectivement le post-structuralisme et le déstructuralisme.

La partie II présente une description des mouvements sociaux actuels orchestrés par les Métis de l’Est. Il peut paraître surprenant de commencer par analyser le discours ethnique des Métis avant de proposer une description de leur héritage culturel. Toutefois, j’adopte ici une approche originale qualifiée d’histoire régressive qui a été développée notamment par l’anthropologue Nathan Wachtel (1990). Cette approche consiste à aller de ce que l’on connaît le mieux, à savoir le mouvement d’affirmation des Métis aujourd'hui, vers ce qui est moins bien ou plus difficilement connu, à savoir le passé de cette population, pour tenter de comprendre l’émergence d’un groupe, comment ses membres construisent leur réalité. Sur le territoire qui représente aujourd’hui le Canada, depuis l’époque des premiers contacts entre Amérindiens et Inuits d’un côté et Européens de l’autre, des personnes et des groupes d’individus ont mis certains éléments de leur double héritage culturel au service du développement de leur existence. Au cours des trois dernières décennies, de plus en plus de

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Canadiens affirment être les héritiers de cette interaction coloniale à l’origine de cultures qu’ils considèrent comme distinctives et qu’ils souhaitent valoriser en les qualifiant de métisses. Ces individus affirment leur indépendance culturelle, leurs liens historiques et privilégiés à des territoires particuliers, leur identité distincte, leurs propres préoccupations concernant le passé, le présent et l’avenir. Ils choisissent désormais de se présenter en tant que groupes ethniques et politiques afin d’être reconnus comme tels par une société qui a elle-même contribué, de par son fonctionnement propre, à l’essentialisation et la réification des catégories ethniques, à commencer par l’identité métisse elle-même. Ces individus entendent opposer leur politique culturelle à celle de la majorité culturelle au Canada et il est important d’en connaître les raisons, la portée et le sens culturels. La politique multiculturelle (en particulier l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982) représente un espoir de reconnaissance pour les Métis de l’Est face à la Charte canadienne des droits et

libertés qui ne protège pas leurs particularités culturelles. Il est important de comprendre

comment s’opère et s’organise leur affirmation de l’identité métisse, quels sont les obstacles politiques et juridiques à leur reconnaissance, mais aussi (et surtout) si, dans ce conflit social qui s’étend au Canada, des logiques culturelles se confrontent, et ce dans un contexte d’interaction bien particulier où un point de vue se trouve être institutionnalisé et protégé par des appareils d’État quand l’autre n’est pas supposé exister.

Dans la partie III, laquelle est particulièrement descriptive également, l’objectif est de montrer comment la mémoire des personnes rencontrées permet de révéler l’existence d’une continuité culturelle. Cette perspective de recherche ne permet pas de remonter au-delà de la fin du XIXe siècle. Il s’agit encore ici de faire ressortir les effets de l’interaction

culturelle, mais cette fois-ci avant la venue de ce phénomène d’ethnicisation, lequel représente ce moment de l’histoire où les Métis de l’Est aspirent à entrer dans l’Histoire. Certains changements rapides qui interviennent dans le contexte du développement du système capitaliste préoccupent les Métis aujourd’hui, tandis que l’État n’entend pas protéger leur culture au moyen de la reconnaissance de leurs droits ancestraux. Sont analysés plusieurs aspects culturels que les Métis mettent de l’avant dans leurs pratiques discursives : pratiques de chasse, de pêche et de cueillette, vie communautaire, pratiques langagières. Le discours des Métis se structure autour d’une rhétorique du contraste dans le cadre de changements culturels qui s’accélèrent. Cette rhétorique révèle une insécurité chez

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les Métis concernant plusieurs aspects : culturel, identitaire, linguistique, socioéconomique et mémoriel. Cette insécurité se traduit par la difficulté à faire le lien dans les mémoires, sinon sur le mode de la rupture, entre l’héritage culturel et la société moderne dans laquelle les Métis vivent et évoluent. Le déclin des activités de prédation, la modernisation de leur existence, la domination du français de référence sur les parlers vernaculaires issus du français ou encore la marginalisation de leurs expériences particulières représentent des expériences préoccupantes pour les Métis.

En définitive, je considère le culturalisme métis contemporain comme l’opportunité de déceler, sous l’apparente homogénéité des catégories ethniques reconnues au Canada (autochtones ou non), l’expression d’une différence, d’une pluralité de formes, l’exercice exposé en plein jour d’ordres culturels différents et potentiellement subversifs qui menacent l’ordre établi par la société dominante. Ce culturalisme, qui en quelque sorte déconstruit l’univers eurocanadien ou du moins l’amène à se repositionner, est en mesure de révéler des logiques distinctives que l’on peut qualifier, pour répondre d’une certaine convention, de métisses. En prenant en compte, tout au long de cette recherche, le point de vue des Métis, et notamment leur point de vue sur le point de vue de la politique canadienne à l’endroit des Autochtones et sur celui du système capitaliste qui imprègne la société canadienne, cette thèse vérifie le potentiel analytique d’une perspective de recherche encore peu développée en études métisses.

En inscrivant ma recherche dans le courant post-structuraliste en anthropologie historique, une perspective qui m’amène à déconstruire certaines réalités (le multiculturalisme canadien, l’homogénéité des cultures, la rigidité des identités, l’histoire officielle) et à comprendre comment d’autres se réalisent (ethnicisation), il devient important de tenir compte de certaines forces historiques, d’un contexte d’interaction culturelle asymétrique ou encore du travail de la culture. La conclusion générale pose une réflexion sur ce choix et sur la possibilité, en études métisses, de pousser plus loin encore le positionnement post-structural, cela afin d’extraire davantage la recherche des logiques du multiculturalisme canadien, et plus particulièrement de la rigidité des assignations ethniques. L’objectif est aussi de montrer que, dans les recherches sur le métissage du moins, un certain déstructuralisme tel que développé par l’anthropologue François Laplantine s’appuyant sur

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la pensée du philosophe Gilles Deleuze pourrait également s’avérer pertinent pour penser le métissage au Canada. Mais cela serait, à mon sens, pertinent uniquement aux époques et aux régions pour lesquelles les questions de culture et d’identité n’appartenaient pas et n’appartiennent toujours pas à la tradition, à la perspective métisse (non soumise encore à d’autres logiques). Pour l’heure, mon intention dans cette thèse est de contribuer de manière originale à l’avancement des études métisses dans l’est du Canada, là où l’identité métisse revendiquée par toute une frange de la population canadienne demeure la plus impopulaire, la plus contestée et la plus incertaine. Il reste à montrer qu’être Métis peut représenter pour cette population une manière non québécoise, non acadienne, non indienne, non inuite et ainsi de suite d’être Canadien ou, plus largement, d’être au monde.

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PARTIE I PROBLÉMATIQUE DE LA RECHERCHE

Au cours des trois dernières décennies, des individus métissés de l’est du Canada qui considèrent avoir des coutumes, une histoire ainsi qu’une conscience collectives distinctes, s’affirment et cherchent à se faire reconnaître comme Métis. C’est cette « réalité » qui m’intéresse : il s’agit de comprendre comment et pourquoi elle « se réalise ». Cette partie décrit la problématique de la recherche. Je montre que les études métisses dans l’Est représentent un champ de recherche jeune dont le sujet de recherche les expose à des défis importants : comprendre le point de vue des Métis nécessite une certaine remise en cause de la manière par laquelle sont généralement appréhendés les groupes autochtones. Cette déconstruction, qui nécessite non seulement d’adopter un regard critique par rapport aux formations ethniques pensées à l’époque coloniale et réifiées depuis, mais aussi de remettre en question des concepts, des méthodes et des paradigmes par lesquels les groupes métis sont appréhendés, ne fait pas encore consensus en études métisses. Partant de ce constat, il est question d’établir les grandes lignes de mon approche anthropologique concernant ce phénomène. Cette partie expose ainsi les défis que je perçois en études métisses et l’approche que je privilégie pour tenter d’y répondre de manière adéquate, c’est-à-dire qui permette de comprendre le sens des revendications des Métis de l’Est aujourd’hui.

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Chapitre 1 Les Métis de l’Est : bilan des savoirs et des approches

Dans ce premier chapitre, l’objectif est de présenter le problème général de la recherche, lequel concerne autant le contexte sociopolitique d’affirmation des Métis de l’Est que l’état et la nature de la recherche les concernant. Prenant mes distances avec un certain discours objectiviste et rationaliste constaté autant dans le milieu politico-juridique que scientifique, cette thèse s’inscrit dans une perspective de recherche qui fait appel à l’imaginaire et à la subjectivité d’individus qui se rassemblent et s’ethnicisent au moyen de critères objectifs. Autrement dit, il n’est pas question de donner à ce phénomène d’affirmation une signification seulement utilitaire, pratique et objective en m’appuyant sur les seuls discours politiques et les attitudes ethniques. Le processus et les raisons de l’affirmation ethnique des Métis paraissent représenter des sujets de recherche plus complexes dès lors que l’on tient compte de la culture et de ses dynamiques. En somme, sont spécifiées dans ce chapitre les raisons qui m’incitent à ne pas m’arrêter à une explication fonctionnaliste de l’organisation politique métisse, mais plutôt à chercher, dans ce mouvement, le sens spécifique que les Métis lui donnent et qu’il reste encore à décrire.

1.1 Le contexte : métissages et identités métisses au Canada

Il est nécessaire tout d’abord de remonter quelque peu dans l’histoire pour dresser les bases du contexte historique et politique dans lequel se déploient les problématiques actuelles concernant les Métis et leur reconnaissance.

1.1.1 Politique du métissage au Canada français : XVIe-XVIIIe siècles

Dans la mesure où cette thèse s’intéresse aux Métis de l’Est aujourd'hui, et plus précisément à des individus qui situent l’origine de leur métissage au cœur de deux anciennes régions coloniales de la Nouvelle-France, soit l’Acadie et la vallée laurentienne, il est nécessaire en premier lieu de rappeler brièvement le contexte historique du métissage franco-indien1. Selon les historiens Gilles Havard et Cécile Vidal, auteurs d’une Histoire de l’Amérique française, la relation franco-indienne du temps de la Nouvelle-France a été

1 Cette relation particulière entre Français et Amérindiens a déjà fait l’objet de nombreuses études, si bien qu’il n’est pas nécessaire d’en dresser ici un portrait détaillé (voir notamment Delâge 1991 ; Havard 2003 ; Jacquin 1996 ; Podruchny 2006 ; Trigger 1992).

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marquée par une logique métisse, celle du mélange des idées, des objets, des corps et des peuples (Havard et Vidal 2003 : 253). Durant le Régime français, il n’y a jamais eu de politique cohérente en matière de mariages mixtes : les autorités civiles et religieuses se montraient souvent divisées sur la question. Toutefois, si le XVIIe siècle a été globalement

marqué par la promotion des intermariages, le XVIIIe siècle a été frappé quant à lui du

sceau de la mixophobie, le discours dominant étant alors caractérisé par le rejet des mariages mixtes (Havard 2003 : 648). Ces divergences de politique renvoient aux espoirs exagérément optimistes de transformer les Amérindiens en Français qui ont caractérisé le premier siècle et aux désillusions de voir tant de Français devenir des Amérindiens qui ont marqué le second.

Malgré les rares données disponibles pour traiter du métissage entre Français et Amérindiens au Canada2, et du silence des sources à ce sujet, les historiens s’entendent

pour dire que ce phénomène a pris de l’ampleur dès le XVIe siècle le long des zones

côtières de l’est du Canada actuel. Selon l’historienne Olive Patricia Dickason, les savoir-faire des Amérindiens se sont très vite révélés être indispensables aux marins et commerçants, une situation qui a contribué au développement des relations euroamérindiennes (Dickason 1996 : 162 ; voir aussi Rousseau 2012 : 124). Bien que les alliances militaires aient également contribué à cette proximité sociale entre Français et Amérindiens durant tout le Régime français, c’est dans le contexte de la traite des fourrures, principale activité économique de la colonie française, que l’interpénétration des deux univers s’est installée le plus durablement à l’échelle de la Nouvelle-France (Havard et Vidal 2003 : 210 ; voir aussi Delâge 1992).

Au début du XVIIe siècle, avec la mise en place d’une colonie permanente par les Français,

a pris forme une politique d’intégration des Amérindiens dans la société coloniale française : l’idée était d’en faire des Français, et ce tant culturellement (francisation) que juridiquement (naturalisation) (Havard 2009 : 989-990 ; Trudel 1960 : 278-279). Il s’agit là

2 Les registres paroissiaux demeurent très lacunaires et n’enregistrent que les mariages chrétiens, ne tenant compte ni des unions « à la façon du pays » ni des liaisons passagères (Havard et Vidal 2003 : 250). Dès lors, si sous le régime français les historiens comptabilisent 120 mariages mixtes officiels, il est impossible d’évaluer le nombre d’unions qui se sont produites « à la façon du pays » (Dickason 2001 : 23). De plus, pour le XVIIIe siècle, et dans un contexte de plus en plus mixophobe, Claude Hubert et l’anthropologue Rémi Savard (2006 : 28) ont mentionné la disparition de certaines données des registres civils et paroissiaux. Il s’agissait alors, selon eux, d’effacer toute trace de la présence autochtone à proximité des paroisses et de rayer de l’histoire les unions mixtes franco-indiennes.

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du grand projet unificateur mis en œuvre par Samuel de Champlain, fondateur de la ville de Québec : le but était que les Français et leurs alliés amérindiens ne fassent qu’un seul et même peuple, à savoir un peuple français. Le 24 mai 1633, alors que Champlain projette d’établir un établissement colonial à Trois-Rivières, il explique aux Algonquins réunis sous le commandement de leur chef, Capitanal, que « quand cette grande maison sera faite (l’habitation des Trois-Rivières), alors nos garçons se marieront à vos filles et nous ne serons plus qu’un peuple » (Champlain 1951 : 40)3. Face au manque de femmes françaises

dans la colonie à l’époque, les mariages mixtes devaient permettre d’y implanter une colonie française viable. Cette politique du métissage a été prolongée et clarifiée sous Colbert, secrétaire d’État de la Marine de 1669 à 1683, un ministère alors en charge des colonies françaises au nom du roi. Dans une lettre adressée à l’intendant Jean Talon, Colbert a indiqué la nécessité de rapprocher les Amérindiens de la société coloniale « afin que par la succession du temps n’ayant qu’une mesme loy & un mesme maistre, ils ne fassent plus ainsy qu’un mesme peuple et un mesme sang » (cité dans Havard 2009 : 1001). Les encouragements officiels de Colbert pour tenter de favoriser les mariages chrétiens ont toutefois été peu efficaces : il s’agissait notamment d’octroyer une dot, appelée « présent du roi », aux Indiennes converties épousant un Français (Dickason 1996 : 167 ; Havard 2003 : 647 ; Havard et Vidal 2003 : 245).

Dans la mesure où les mariages mixtes entre Français et femmes amérindiennes n’étaient autorisés qu’une fois effectuée la conversion de celles-ci au catholicisme, les missionnaires français ont joué un rôle de premier plan dans la mise en œuvre du projet unificateur du roi de France. De plus, la citoyenneté s’appuyait alors sur le critère de la religion et il était donc nécessaire d’évangéliser les Amérindiens pour en faire des citoyens français (Dickason 2001 : 22 ; Havard 2009 : 989-990). C’était ainsi que l’État royal et l’Église catholique envisageaient, par le biais des mariages mixtes et de l’évangélisation (francisation), le projet de créer une seule nation, laquelle devait être française. La réussite de ce projet passait également par l’acculturation des Français dans la mesure où, pour mener à bien cette politique, les missionnaires et les commandants de poste étaient encouragés à se familiariser avec la culture des Amérindiens pour mieux la transformer

3 Ce faisant, Champlain n’a pas introduit sur le nouveau continent l’idéologie du sang pur, celle de la pureté de la race française qui habitait la noblesse française préoccupée par la possible dégénérescence de leur lignage (Havard 2009 : 1002 ; Dickason 2001 : 21).

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(Havard et Vidal 2003 : 213-215 et 217). Cette acculturation devait également profiter au commerce des fourrures. À ce titre, dès la décennie 1610, dans le but de mener au mieux la traite des fourrures, Champlain a fait envoyer quelques « truchements » séjourner parmi les Amérindiens en gage d’amitié et d’alliance, et aussi afin de les initier à la vie « sauvage » (Jacquin 1996 : 63).

Dans les faits, la politique de francisation a été un échec : les Amérindiens ne se sont jamais totalement intégrés dans la société française, lesquels répugnaient à se soumettre aux lois de l’État, même si, comme le constate Dickason (1996 : 158 et 162), elles ont pu leur être imposées à l’occasion. Certes, les missionnaires ont connu un certain succès dans leur projet d’évangélisation, mais la simple conversion religieuse des Amérindiens n’a pas suffi à les franciser et à en faire des citoyens français. Le grand projet unificateur des autorités coloniales a également été fragilisé par l’indianisation des Français : le nombre de colons à adopter la vie aventureuse dans la forêt plutôt que le dur labeur dans les champs s’est rapidement révélé être préoccupant pour les autorités (Havard 2003 : 542-544 ; Bouchard 2005 : 23-25).

Cette ouverture à l’Autre, si elle n’a pas été favorable au projet unificateur, a en revanche fortement contribué au succès de l’alliance franco-indienne : cette ouverture procède du vivre-ensemble, favorisant les échanges, l’intimité et les mélanges. Le projet colonial français était aussi de faire des Amérindiens des alliés commerciaux dans le cadre de la traite des fourrures, ainsi que des alliés militaires dans le contexte des conflits coloniaux qui opposaient la France à l’Angleterre et à leurs alliés amérindiens. Incontestablement, c’est sur cette idée d’alliance (plus que sur celle d’intégration donc) que la politique coloniale française s’est révélée être la plus efficace : ce concept d’alliance représentait en Nouvelle-France l’élément réellement structurant de la relation avec les Amérindiens (Havard et Vidal 2003 : 52)4. Ces alliances franco-indiennes ont favorisé la politique de

métissage voulue au XVIIe siècle par les autorités coloniales, encore confiantes quant à leur

projet unificateur. Elles ont permis de développer une stratégie d’implantation basée sur les mariages mixtes entre Français et Amérindiens.

4 Il existe à ce titre une ambiguïté inhérente à la politique coloniale française à l’égard des Amérindiens : doit-on les traiter comme des sujets de Sa Majesté ou comme des alliés? Autrement dit, faut-il les franciser ou au contraire les encourager à rester fidèles à leur mode de vie, et notamment à demeurer des chasseurs et des pourvoyeurs de fourrures?

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Selon le géographe Étienne Rivard (2004 : 23), la politique coloniale du métissage, prédominante au cours du XVIIe siècle dans le cadre du projet unificateur voulu par les

autorités françaises, était « profondément anti-métisse ». Cela, dans la mesure où il s’agissait d’une politique d’intégration des Amérindiens et des métis dans la société coloniale. Au cours du XVIIIe siècle, s’est substituée à cette politique « anti-métisse » une

politique mixophobe. La théorie de l’altération de la race française par les intermariages est devenue dominante au sein de l’élite coloniale. Un nouveau langage racial apparaît, et l’infériorité du « Sauvage » n’est plus seulement pensée en terme culturel, mais aussi en terme racial (Belmessous 1999 ; Peterson 2001 : 39)5. Le métis représente désormais non

plus un Français, mais un dégénéré, dans la mesure où sa blancheur est altérée. On assiste à une racialisation accrue des rapports sociaux. Cette idée de la pureté du sang français a imprégné l’historiographie en Nouvelle-France au cours de ce siècle, pour persister parfois jusqu’au XXe siècle (Hubert et Savard 2006 : 29 ; Bouchard 2005 : 30-32). Les élites

tentaient de nier ou de minimiser l’impact du métissage biologique sur la population coloniale : « Quand les autorités gouvernementales commencèrent à tenir un registre des Indiens et Indiennes dans la seconde moitié du XIXe siècle, les responsables des registres

religieux et civils des plus anciennes paroisses étaient depuis longtemps à l’œuvre pour occulter tout ce qui risquerait de mettre en doute que ‘la population du Bas-Canada est aussi purement française que celle de la Bretagne et de la Normandie’ » (Hubert et Savard 2006 : 78, citant Bellemare 1901 : 147)6. L’historien Russel Bouchard parle de « ravages

persistants de cette infernale persécution identitaire et de cette insoutenable répression de l’identité ethnoculturelle métisse », ainsi que d’une « répression religieuse infernale » qui a marqué toute une population, encore à l’époque de ses parents (Bouchard 2005 : 33).

Après la Conquête anglaise, les Canadiens français étaient perçus par les Canadiens anglais comme des dégénérés, du fait de leur métissage avec les « Sauvages » (Delâge 1991 : 26). Plutôt que de condamner ce discours dépréciatif du métissage canado-indien, les élites canadiennes-françaises ont proposé un autre discours anti-métis, en niant l’existence même

5 Au XVIIe siècle, les termes de « race » et de « sang » avaient le sens de « lignée » ou de « parenté » : la pureté de la race ou du sang, c’est la pureté de la lignée (Havard 2009 : 1001-1002).

6 Lors des mariages mixtes, consigne était donnée aux curés de ne pas identifier les parents de l’un ou l’autre conjoint, sinon des deux, afin que les enfants de ces couples soient reconnus comme étant d’origine française. Quant aux curés qui n’auraient pas respecté ces consignes, certaines données de leurs registres ont été supprimées ultérieurement par les autorités, comme cela s’est fait dans la région de Trois-Rivières (Hubert et Savard 2006 : 30-31).

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de ce métissage et en redonnant à la race canadienne toute sa pureté (Rivard 2004 : 47 ; Dickason 2001 : 20)7.

1.1.2 Bref historique des populations d’ascendance mixte franco-indienne à l’étude

Dans cette sous-section est proposé un aperçu historique du processus de métissage dans les régions à l’étude, soit le sud de la Nouvelle-Écosse, la région de Trois-Rivières ainsi que le Saguenay-Lac-Saint-Jean au Québec. La situation plus dans l’Ouest, avec l’apparition d’une identité métisse clairement affirmée et revendiquée, est traitée dans la sous-section suivante. La rencontre euroamérindienne, le métissage et le commerce avec les Indiens, principalement la traite des fourrures, représentent des caractéristiques communes qui ont marqué, à des degrés divers, l’histoire de ces trois régions. Cette histoire ici brossée à grands traits ne remonte pas au-delà de la fin du XIXe siècle. L’histoire plus récente, qui

fait partie du domaine d’étude, sera traitée dans les parties II et III de la thèse. Le sud-ouest de l’Acadie

En Acadie, le métissage semble avoir été généralisé. Certains chercheurs affirment d’ailleurs que l’Acadie représente le pays du métissage par excellence (voir par exemple Havard et Vidal 2003 : 214 ; voir également Rameau de Saint-Père 1889). À la fin du XVIIe siècle, l’ensemble des Micmacs était considéré comme christianisé, ce qui

représentait une barrière de moins pour les intermariages aux yeux des autorités coloniales. Au siècle suivant, les Acadiens passaient pour former une race mixte (Dickason 2001 : 26). Cette interprétation s’appuie sur des documents d’origine britannique et française datant de la première moitié XVIIIe siècle, lesquels suggèrent que les intermariages entre les colons

français et les Indiens ont été fréquents au point que les Acadiens dans leur ensemble formaient un peuple métis (Brown et Riley 2005 : ix-xiii). Par exemple, Samuel Vetch, commandant anglais de la garnison d’Annapolis Royal de 1710 à 1713, craignait-il les Français d’Acadie qui, ayant contracté des mariages avec des Amérindiens convertis, avaient une forte influence sur eux (Dickason 1996 : 165). Autre exemple, dans une lettre datée de 1756, soit un an après le début de la Déportation des Acadiens, un dénommé

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Varennes a mentionné que ces derniers « formaient une race mélangée, c'est-à-dire que la plupart étaient issus de mariages ou de concubinages entre des femmes sauvages et les premiers colons », principalement des Français (cité dans Havard et Vidal 2003 : 250 ; également dans Dickason 1996 : 165). Ainsi, les témoignages du XVIIIe siècle tendent à

démontrer que les Français d’Acadie étaient en voie de réaliser cette « race unique » souhaitée par Champlain et Colbert, comme l’a mentionné l’abbé Pierre Maillard en 1753. Ce processus de métissage a toutefois été interrompu par la Déportation des Acadiens en 1755 (Dickason 1996 : 165).

Cette interprétation mérite toutefois d’être nuancée comme le rappelle l’historien Denis Jean. Selon lui, les métis n’étaient pas majoritaires dans les établissements où résidaient les Français (Jean 2011 : 50). L’historien William Wicken, dans un rapport d’expertise qui reprend un développement de sa thèse de doctorat de 1994, propose une description des populations acadiennes qui permet également de relativiser l’idée d’un métissage généralisé chez les Acadiens. Il fait la distinction entre les villages ruraux de la Baie de Fundy où le métissage n’a été que marginal et les villages côtiers du sud où les intermariages ont été bien plus fréquents (Wicken 2004 : 3-9 ; 1994 : 236-255)8. Dans les villages ruraux, tels

que Port-Royal (Annapolis Royal, fondé en 1605), les Mines et le village de Grand Pré (1682), Cobequit (Truro, 1697) et Pisiguit (Windsor, 1703), le mode de vie des fermiers acadiens, trop éloigné de celui des Micmacs, ne favorisait pas les intermariages. De plus, les femmes acadiennes étaient en nombre suffisant et les prêtres contrôlaient les « vagabondages » des jeunes hommes. Ici, l’Église parvenait à maintenir une distance sociale et physique entre les communautés acadiennes et micmaques. En comparaison, le long de la côte sud-est de la Nouvelle-Écosse, dans le village de La Hève (1632), mais aussi celui de Ministigueche (Barrington) ou encore de Cap Fourchu (Yarmouth), les intermariages étaient bien plus fréquents. Cela est dû à plusieurs facteurs selon Wicken : l’isolement des colons, leur faible nombre (seulement 500 vers 1755 contre 10 à 15 000 pour les villages ruraux), et notamment le manque de femmes acadiennes, un mode de vie très peu agricole et plus proche de celui des Micmacs, ainsi qu’une influence bien moindre de l’Église que dans les villages ruraux. La chasse, la pêche et le commerce des fourrures

8 Pour situer le territoire de la Nouvelle-Écosse à l’époque, ainsi que certains villages que l’on peut localiser précisément, je renvoie à la carte du Kmitkinag en annexe 17, réalisée avec Denis Jean.

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avec les Micmacs et les marchands de Boston représentaient l’économie dominante de ces villages qui était au cœur des relations franco-amérindiennes (Brown et Riley 2005 : v). La région acadienne étudiée dans cette thèse, qui comprend les municipalités actuelles de Clare (Par-en-Haut), d’Argyle (Par-en-Bas) et de Yarmouth, se situe sur cette frange côtière marginale à l’époque coloniale. Les communautés qui s’y sont formées sont difficiles à documenter, dans la mesure où les puissances européennes se sont désintéressées de ces régions marginales et que les registres des paroisses qui constituent la plupart des sources disponibles au XVIIe siècle ont été détruits ou perdus. De toute manière, dans ces régions

isolées, aucun prêtre ne s’est établi de manière permanente (Wicken 2004 : 11). Les documents historiques qui permettraient de retracer l’histoire de cette région sont non seulement rares et parcellaires, mais aussi contradictoires, notamment quant au degré de métissage des habitants d’origine européenne que l’on nommera ici « Acadiens »9 (Brown

et Riley 2005 : 135-136; Wicken 2004 : 7).

Il semble que la région correspondant à l’actuelle municipalité de Clare, et plus largement au comté de Digby, n’ait pas été occupée ni exploitée par des Acadiens avant les années 1760, c'est-à-dire avant leur retour de déportation (Brown et Riley 2005 : xv et 128). Par contre, les sources disponibles permettent d’établir l’existence de communautés acadiennes situées, d’est en ouest, à Mirliguesche (Lunenberg), à La Hève, à Port Rossignol (Shelburne), au Cap-Noir (Cape Negro, près de Barrington), à Ministiguesh (Barrington), à Pobomcoup (Pubnico), à Ouimakagan (près de Pubnico et de Sainte-Anne-du-Ruisseau) et à Chebogue (au sud de Yarmouth) (Wicken 2004 : 15-17 ; Brown et Riley 2005 : iv-v). C’est à Pubnico qu’a vécu dès la décennie 1650 Sieur Philippe Mius d’Entremont, baron du fief de Pobomcoup, ayant acquis ici ces terres en récompense de ses services rendus à la colonie alors qu’il était sous les ordres du gouverneur Charles de Saint-Étienne de La Tour (Charles de La Tour).

Peu de chercheurs se sont intéressés spécifiquement à cette région et ceux qui l’ont abordée ont souvent repris les conclusions de l’historien François-Edme Rameau de Saint-Père dans son ouvrage en deux volumes Une colonie féodale en Amérique : l’Acadie (1604-1881)

9 En réalité, les descendants des Français d’Acadie ne se sont auto-identifiés comme Acadiens qu’après la Déportation (Jean 2011 : 50).

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Tableau 1 – Croissance de la population métisse au Canada : 1981-2011 81
Figure 1 – Croissance de la population métisse au Canada : 1981-2011  050000100000150000200000250000300000350000400000450000500000 1981 1986 1991 1996 2001 2006 2011Nombre de MétisMétis du CanadaMétis de l'EstMétis de l'Ouest
Figure 2 – Croissance de la population métisse dans l’est du Canada : 1981-2011  0100002000030000400005000060000700008000090000100000 1981 1986 1991 1996 2001 2006 2011Nombre de MétisRégion de l'AtlantiqueQuébecOntario
Tableau 2 – Les organisations métisses du Canada impliquées dans cette recherche

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