2.7 Invariants de similitude (réduction de Frobenius)
Références : X. Gourdon, Les maths en tête, Algèbre, Ellipses, 2009
P. Caldero, J. Germoni, Histoires hédonistes de groupes et de géométrie, Tome premier, Calvage & Mounet, 2013.
Leçons concernées : 150, 151, 153, 154, 157, 159.
Soit K un corps et E un K-espace vectoriel de dimension finie.
Définition 1. Pour f P LpEq, on définit ⇡f,x l’unique polynôme unitaire qui engendre
l’idéal tP P KrXs | P pfqpxq “ 0u et Ex “ tP pfqpxq | P P KrXsu qui est alors de dimension
deg ⇡f,x“ k et dont une base est px, fpxq, . . . , fk´1pxqq.
Proposition 2. Il existe x P E tel que ⇡f,x“ ⇡f.
Démonstration. On note ⇡f “ P1↵1¨ ¨ ¨ Pr↵r la décomposition de ⇡f en produit de facteurs
irréductibles, Ni “ ker Pi↵ipfq et fi “ f|Ni. On remarque que ⇡fi “ P
↵i
i . Par le lemme
des noyaux, on a E “ N1 ‘ ¨ ¨ ¨ ‘ Nr. On montre d’abord la proposition sur les
sous-espaces Ni : supposons par l’absurde que pour tout xiP Ni, ⇡fi,xi est différent de ⇡fi. Soit
xi P Ni, on a ⇡fi,xi | ⇡fi “ P
↵i
i et donc, puisque Pi est irréductible, ⇡fi,xi | P
↵i´1
i et alors
P↵i´1
i pfiqpxiq “ 0. Ainsi Pi↵i´1pfiq “ 0 ce qui est absurde.
On montre alors que x :“ x1` ¨ ¨ ¨ ` xr convient. On sait que ⇡f,x | ⇡f et on montre
donc que ⇡f | ⇡f,x. On a ⇡f,xpfqpxq “ 0 “ ⇡f,xpfqpx1q ` ¨ ¨ ¨ ` ⇡f,xpfqpxrq et donc pour tout
i, ⇡f,xpfqpxiq “ 0. Or ⇡f,xpfqpxiq “ ⇡f,xpfiqpxiq puisque xi P Ni, et donc ⇡fi,xi “ ⇡fi “
P↵i
i | ⇡f,x et ainsi ⇡f “ P ↵1
1 ¨ ¨ ¨ Pr↵r | ⇡f,x ce qui conclut la preuve.
Définition 3. On dit que f P LpEq est cyclique si il existe x P E tel que Ex“ E,
c’est-à-dire, d’après la proposition précédente, si deg ⇡f “ dim E “ n, ou encore si ⇡f “ f.
Remarque. Si f est cyclique, alors dans une certaine base, la matrice de f est la matrice compagnon associée à ⇡f. Il suffit de considérer pour cela x P E tel que Ex “ E et la base
px, fpxq, . . . , fn´1pxqq.
Théorème 4. Soit f P LpEq. Il existe une suite pP1, . . . , Prq de polynômes unitaires et une
suite pF1, . . . , Frq de sous-espaces de E stables par f tels que
(i) E “ F1‘ ¨ ¨ ¨ ‘ Fr
(ii) Pour tout 1 § i § r, fi “ f|Fi soit cyclique de polynôme minimal Pi
(iii) Pr| ¨ ¨ ¨ | P1.
La suite pPiqi est unique, ses éléments sont appelés invariants de similitude de f.
Démonstration. Existence : on procède par récurrence sur dim E “ n. Pour n “ 1, le théorème est trivial. On suppose alors le résultat vrai pour les espaces vectoriels G de dimension dim G § n ´ 1. On note d “ deg ⇡f. Soit x P E tel que ⇡f,x “ ⇡f, que l’on note
P1 “ ⇡f. On note également F1 “ Ex “ Vectpx, fpxq, . . . , fd´1pxqq qui est stable par f.
Alors f|F1 est cyclique et son polynôme minimal est de degré d (par la définition 3) et divise
⇡f “ P1 car celui-ci est un polynôme annulateur, il est ainsi égal à P1.
Étape 1 : on cherche un supplémentaire f-stable à F1. La famille
e1 “ x, e2“ fpxq, . . . , ed“ fd´1pxq
forme une base de F1 que l’on complète en une base peiqi de E. On considère alors la base
duale pe˚
iqi de E˚ et on note ' :“ e˚d qui vérifie alors
'pe1q “ ¨ ¨ ¨ “ 'ped´1q “ 0 et 'pedq “ 1.
On vérifie facilement que la famille p', ' ˝ f, . . . , ' ˝ fd´1q est une famille libre de E˚. On
considère alors “ Vectp', ' ˝ f, . . . , ' ˝ fd´1q qui est donc de dimension d et on pose
G“ 0 “ tx P E | 'pxq “ 0 @' P u qui est alors de dimension n ´ d. Montrons que G convient.
Étape 2 : soit y P G, vérifions que fpyq P G. On a, par définition de G, pour 1 § k § d´2, '˝ fkpfpyqq “ 0 et d’autre part ' ˝ fd´1pfpyqq “ 0 puisque, ⇡f étant de degré d, fdpyq
s’exprime comme une combinaison linéaire de py, fpyq, . . . , fd´1pyqq. Ainsi, G est stable par
f.
Soit y “ 1x` ¨ ¨ ¨ ` dfd´1pxq P F1X G. On applique alors ' ˝ fi à y pour i allant de
0 à d ´ 1 pour obtenir 1 “ ¨ ¨ ¨ “ d“ 0 et donc F1X G “ t0u.
Étape 3 : par dimension, on a ainsi montré que G est un supplémentaire f-stable à F1.
On applique alors l’hypothèse de récurrence à G et f|G, et on trouve une suite pP2, . . . , Prq
de polynômes unitaires et une suite pF2, . . . , Frq de sous-espaces de G (donc de E) stables
par f|G (donc par f) tels que
(i) G “ F2‘ ¨ ¨ ¨ ‘ Fr, et ainsi E “ F1‘ ¨ ¨ ¨ ‘ Fr
(ii) Pour tout 2 § i § r, fi “ pf|Gq|Fi “ f|Fi soit cyclique de polynôme minimal Pi, et le
résultat est vrai pour i “ 1 d’après le début de la preuve (iii) Pr| ¨ ¨ ¨ | P2.
On conclut en remarquant que puisque P1“ ⇡f est un polynôme annulateur de f|G, ⇡f|G “
P2 | P1.
Unicité : soit pQ1, . . . , Qsq et pG1, . . . , Gsq deux autres suites satisfaisant le théorème.
On remarque que P1 “ ⇡f “ Q1. Supposons par l’absurde que la liste pQ1, . . . , Qsq soit
différente de la liste pP1, . . . , Prq. Soit alors j le premier indice i tel que Pi ‰ Qi, qui existe
même si s ‰ r puisque ∞r
i“1deg Pi “ n “ ∞si“1deg Qi. On a, par (i), le fait que les Fi
soient stables par f, et puisque pour i • j, ⇡f|Fi “ Pi | Pj par (ii) et (iii),
PjpfqpEq “ PjpfqpF1q ‘ ¨ ¨ ¨ ‘ PjpfqpFj´1q. (1)
D’autre part, en utilisant E “ G1 ‘ ¨ ¨ ¨ ‘ Gs qui est une décomposition en sous-espaces
stables par f, on a
PjpfqpEq “ PjpfqpG1q ‘ ¨ ¨ ¨ ‘ PjpfqpGsq. (2)
Or, pour 1 § i § j ´ 1, d’après la remarque qui précède le théorème, il existe une base de Fi dans laquelle la matrice de f|Fi soit Cp⇡f|Fiq “ CpPiq et une base de Gi dans laquelle la
matrice de f|Gi soit Cp⇡f|Giq “ CpQiq “ CpPiq par hypothèse sur j et donc dim PjpfqpFiq “
dim PjpfqpGiq. Ainsi, si on prend la dimension dans (1) et (2), on obtient
dim PjpfqpGjq “ ¨ ¨ ¨ “ dim PjpfqpGsq “ 0
et donc
PjpfqpGjq “ ¨ ¨ ¨ “ PjpfqpGsq “ t0u
ainsi, Qj | Pj. Par symétrie on obtient Pj | Qj et donc Qj “ Pj ce qui est absurde.
Corollaire 5 (Réduction de Frobenius). Soit f P LpEq et pP1, . . . , Prq la suite des
inva-riants de similitude de f. Il existe une base dans laquelle la matrice de f est la matrice par
blocs ¨ ˚ ˝ CpP1q p0q ... p0q CpPrq ˛ ‹ ‚
où CpPiq désigne la matrice compagnon associée au polynôme Pi. Deux endomorphismes f
et g sont semblables si et seulement si ils ont les mêmes invariants de similitude. Enfin, le polynôme minimal de f est P1 et son polynôme caractéristique P1¨ ¨ ¨ Pr.
Démonstration. Pour obtenir la matrice par blocs annoncée, il suffit de considérer une base adaptée à la décomposition E “ F1‘ ¨ ¨ ¨ ‘ Fr et de voir que pour tout i il existe une base
de Fi telle que la matrice de fi dans cette base soit CpPiq.
Si f et g sont semblables d’invariants de similitudes respectifs pPiqi, pQjqj, alors puisque
la relation de similitude est transitive, les pQjqj sont aussi des invariants de similitude de
f et on conclut par unicité. La réciproque s’obtient en remarquant que si f et g ont les mêmes invariants de similitude, alors ils sont semblables à la même matrice compagnon par blocs et sont donc semblables.
Commentaire : on montre seulement le théorème 4 et éventuellement le corollaire 5, mais la preuve de la proposition 2 est à connaitre puisqu’elle est souvent demandée.