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Illusion théâtrale chez Corneille.

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Academic year: 2021

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Texte intégral

(1)

ABSTRACT

/

The scenic aspect of the theatre of Corneille has been neglected by the majority of critics, who view his works primarily as literary productions. While this tefidency is undoubtedly justified as far as

,

-his tragedies are concerned, the early wotks of Corneille, products of the baroque rather than of the classical period, display a spectacular element which merits being brought to light.

The essential function of theatrical representation is to create illusion, as Corneille himself indicates in the title of ois "manifesto" on the theatre,

l'Illusion comique.

We have chosen ta examine in this

j.

thesis three elements of the

mise en scène

which contribute ta the

creation of theatrical illusion: lighting, costume, and acting. In our first chapter, we show how Corneille establishes, by means of nocturnal

..

scenes and cloud effects, the relationship between the different forms

.

which illusion may assume: blindness, dream, and hallucination. The second chapter examines the use of disguises. be they masks or costumes, as weIl as the moral and social questions which these disguises imply. In our third chapter, we endeavour to show how easily social playing and theatrical acting are confused; in other'words, to show what was for Corneille the intimate relationship between theatre and life.

This study leads us ta conclusions on the rôle which illusion plays on the stage of the theatrè as weIl as on the stage of the world.

(2)

RESUME

La plupart des études portant sur le théâtre de Corneille négligent son aspect scénique en faveur de son aspect littéraire. Si cette négligence est sans doute justifiable en ce qui concerne ses tragédies, l~s premières œuvres de Corneille, produits de 1.' âge baroque plutôt que de l'âge classique, manifestent un côté spectaculaire qui mérite d'être mis en valeur.

Le propre de la représentation théâtrale est de créer l'illusion, comme Corneille lui-même l'indique par le titre de sa pièce-manifeste sur le théâtre,

l'Illusion

~omique. Nous avons choisi d'examiner dans ce mémoire trois éléments de la mise en scène qui contribuent à la création de l'illusion théâtrale: l'éclairage, le costume, et le jeu. Dans notre premier chapitre, nous démontrons comment Corneille, par le thème de la nuit et du nuage, établit le, rapport entre les différentes formes que

l'illusion peut prendre: aveuglement, rêve, et hallucination. Le deuxième chapitre examine l'emploi de déguisements--masques et costumes--par certains personnages, ainsi que les questions d'ordre moral et social que ces déguise-ments impliquent. Dans notre troisième chapitre, nous entreprenons de

montrer avec quelle facilité sont confondus jeu social et jeu proprement ' théâtral; en d'autres termes, de montrer quelle était pour Corneille la relation intime entre théâtre et vie.

Cette enquête nous amène à des conclusions sur le rôle que joue l'illusion sur la scène du théâtre ainsi que sur la scène du monde.

"1 <'

(3)

1

l'

ILLUSION THEATRAlE CHEZ CORNEILLE

BV

"

DIANA

HAAS

A Thesis

Subrnitted to'

.

The Facu1by of Graduate Studies and Research

McGill University

In Partial Fulfilment of the Requirements

For the Degree of

Master of Arts

Department of French Language and Literature

.f;.

Augu:S't 1973

©

Diana Haas

1974

1 • -,

(4)

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TABLE DES MATIERES

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1 NT RO DUC T ION, , , • • , , , • • • • • , • • • , • , • , , •• , , • • • , , , • • , • • , • • , • • •

1

l ,

ECLAI RAGE. , ,J, ••• " , ••• , , ••• , ,

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7

II.

COSTUME, ••• "" ••

1" • • • , 1 , • • • • • • • • • • , • • • • • • • • • • 11 • •

60

III •

JEU 1 . ' 1 1 1 l , 1 1 1 1 • • • 1 • , • • • l , t • 1 • 1 • , • • • 1 l , • • • • • • • • • 1 1 "

102

CONCLUSION"", , " " . , . " , ••• " , . " " " •• ",

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147

BIBLIOGRAPHIE •••• ", •••• " ••• " •••• "., •• ", ••• , •••••••••

154

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(5)

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1NTRODUCTION

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(6)

- 1

-Le théâtre, c' est le domaine propre de Corne.ille;' c'est son chez

soi: "Arrachée au grand théâtre, ma muse chante avec peine, et bégayante,

1

n'ose parler de sa propre bouche." Peut-on donc apprécier la pleine

valeur de son oeuvre sans tenir compt~ de son aspe"ct théâtral? "[N]ous

faisons

des~

poèmes pour être représentés,,2

~

écrit le dramaturge. Et

pourtant, la plupart des études portant sur cette œuvre passent sous

silence son côté scénique, pour insister sur son côté littéraire, Certes,

ce dernier est extrêmement important, du moins en ce,qui concerne les tragédies. D ' ail1eurs, conformément à l' évolu'tion de 'la mise en scène, ' v 3 et à celle du public 4 au cours du siècle, " le spec taculaire ,dans les

tragédies a été supprimé; le drame s'est intériorisé.5 Mais, fair-e,des

(1) E:.rousatio (traduit du latin), ŒuvreB complètes, édition:d 1 André

Stegmann (Paris: Le Seuil, 1963), p. 870. .

(2) EpUre dédicatoire à M.

***

(pour la Suivante), Stegmann p. 127.

(3) On verra à ce propos S. Wilma Deierkauf-Holsboer, L'Histoire de la

mise en Bcène daM le théâtre françaiB à Paris de 1600

Cl

1673 (Paris: Nizet, 1960) •

(4) On verra à ce propos Maurice Descotes, Le PuhUc du théâtre et Bon

histoire (Paris:. Garnier, 1965). En fai t, le goût du public pour le spec-tacle ne diminue pas au cours du siècle; i l sera satisfait par la naissance

de cet autre genre qu 1 est la pièce ii machines, et par l' opéra.

(5) Dans son article "Comment jouer Corneille" (Revue d 'Hi8toire du

,Théâtre, 9, 1957, p. 65), Louis Herland écrit ~ ce sujet que "l'un des caractères de la tragédie de ce siècle [ .•. ] est de prêter fort peu au spectacle [ . . . ]." Pourtant,. nous ne pouvons pas partager l'opinion de ce critique lorsqu'il écrit que "Corneille n'avait aucune imagination visuelle" (p. 66), à moins qu'il ne parle que du Corneille des tragédies--et même

n

son affirmation catégorique reste discutable.

(7)

2

-premières oeuvres de Corneille des traités de philosophiel ou de

méta-physique, ne vo ir en elles qu'un prélude à ses œuvres dites "de maturité", 2

c'est méconna!tre dans quelle époque elles ont été écrites, et quelle est

leur essence. Nous voudrions, dans ce mémoire, essayer de mettre ces

~

œuvres dans une lumière plus juste, en étudiant un phénomène qui est

exploité dans chacune d'entre elles: celui de l'illusion théâtrale.

De fait, créer l'illusion est le propre du théâtre: Corneille

l ' c;l,ndique d'une façon évidente; par le titre même d'une de ses pièces, .Z ' Illusion comique, c'est-à-dire l'illusion théâtrale. Il convient de

dé finir ce que nous el'l tendons par "illusion théâtrale". expression qui

est utilisée parfois à la légère.

Il est des arti fices ~lIe Corne::'lle 8' est plu à expIai ter dans ses

tragédies comme dans ses comédies, et qui conststent il tndutre le

per-sonnag,~ ou le spectateur--ou tous les deux--en erreur, afin de les

dé-~ ~

~.

tromper par la suite, et produire l'agréable surprise du dénouement.

~

Pour~ant,

l'illusion créée par cette technique de la "'fausse piste,,3

(1) Cf. Louis Rivaille, qui. dans son ouvrage Les Débuts d~ Pierre

Comei lle (Paris: Boivin, 1936), cherche à montrer que les premières œuvres du dramaturge constitueraient avant tout une transposition dramatique de la philosophie scolastique.

(2) C'est un reproche que l ' on pourrait faire, nous semb1e-t-il, il

l'ouvrage de Serge Doubrovsky. Cor>neille et; la dialectique du héros

(Paris: Gallimard, 1963).

(3) L'expression est de Georges May, dans sa Treagédie

corn€lienne,

tragédie racinienne.

Etude

sur Zes BOU1'CeS de

l'int€rtêt dromatique,

Illinois Stud:1es in Language and Literature XXXII, 4 (Urbans: Unive:r:r

sity of Illinois Press t 1948). ouvrage dans lequel i l relève, just:emeriJ",

les techniques chez Corneille qui créent cette sorte d'illusion. '.

f

t

.""

.

(8)

3

-n'est pas à notre avis proprement théâtrale. Certes, la réaction qu'elle

cherche à produire est d'ordre affectif; cependant, le piège tendu vise

autant le lecteur que le spectateur. En plus, connne ce dernier fait même le suggère, cette sorte d'illusion n'est pas limitée au genre dramatique:

elle appartient tout autant à celui du roman, et, plus particulièrement,

à celui du roman policier, dont elle constitue la technique fondamentale.

Par contre, i l est une autre sorte d'illusion qui se rattache directement et uniquement au théâtre, et dont Corneille n'était

certaine-ment pas le seul à reconnaître l'importance. L "abbé d'Aubignac écrit dans

sa Pr>atique du Théâtre:

Je sçay bien que le Theatre est une espece d'illusion, mais il faut tromper les Spec ta teurs en telle sorte qu'ils ne

s'imaginent' pas l'es tre, encore qu'ils le sçachen t; i l ne

faut pas tandi~ qu'on les trompe, que leur esprit le

con-noisse; mais seulement quand i l y fait reflexion [ ... ].1

La création de l'illusion dépend, pour d'Aubignac, de

1#

"vray-semblance",

qui, elle, ne peut exister que si certaines règles--dont les fameuses

unités--son t respec tM-à. Il en va de même pour Chapelain, qui écrit que

les "préceptes" des anciens "concernant les habitudes des âges et des - conditions, l'unité de la fable, sa juste longueur" bref cette

vraisem-blance si: recommandée et s i nécessaire en tout poème" n'ont été donnés que "dans la seule intention d'ôter aux regardants toutes les occasions

(1) L'abbé d'Aubignac, La Pro.tique du Théâtre, édition Pierre Martino

(9)

- 4

-de faire reflexion sur ce qu'ils voient et -de douter -de sa réalité."l

Donc, ~i l'illusion dont parlent ces deux théoriciens soulève en fait

des questions d' esthé tique, 2 elle se rattache à l ' aspec t interne des piècEls

plu~t

qu'à leur aspect

ex~rne;

en d'autre termes à la structure plutôt

qu'au spectacle. Elle serait pour nous non pas illusion théâtrale, mais illusion dramatique.

En déf inissant quelle est l'illusion proprement théâtrale, nous

voudrions remonter à l'origine étymologique du mot "théâtre": lieu où

l'on regarde. Est théâtral, donc, tout aspect d'une œuvre dramatique

qui se rattache au visuel: on voi t le rapprochement, voire l' équh'alence,

qui s'impose entre les termes "théâtral" et "spec taculaire", en donnant

~

à ce dernier ausai son sens étymologique. On voit également en quoi

i11us ion théâtr;;le et il1us ion dramatique sont essentiellement différentes,

surtout dans le contexte du XVIIème siècle français: la première, par son

lien avec le spectaculaire. est une manifestation privilégiée du goût baroque, tandis que la seconde est née des préoccupations théoriques qui vont conduire au théâtre dit classique, où le spectaculaire n'aura plus

sa place. o

Evidemment, i l faut tout de même disting~r entre théâtre et pur

""

(If Chapelain, "Lettre à Antoine Godeau sur la règle des vingt-quatre

heures" (extraits), dans Jacques Morel, La Tragéàie, Série Lettres

Françaises/Collection U (Paris: Armand Colin, 1964). p. 95 •

(2) On verra à ce propos l'article d'André Villiers, "Illusion

(10)

,

1

,'1

- 5

-spectacle: les deux, connne le cirque par exemple l'indique, ne Se

,

confondent pas. Lorsque nous parlerons d'illusion théâtrale chez Corneille,

donc, nous parlerons de l'illusion créée par des moyens proprement scéniques, tout en tenant compte du fai t que, dans un certain contexte, les paroles peuvent compléter ces moyens.

Nous avons choisi d'étudier ici comment trois éléments de la mise

en scène contribuent à la création de cette illusion: l'éclairage, le

costume, et le jeu. Il est évident qu'une des composantes essentielles

de la représentation scénique manque dans notre choix, à savoir le décor.

Si nous en faisons abstraction, c'est qu'en fait, quoiqu'i~fa~orise la

création de l'illusion dans certaines pièces. le décor n'est pas lui-même

créateur d'illusions connne le sont les autres éléments dont i l sera question.

Pour des raisons que nous avons déjà indiquées, notre enquête portera sur

les premières œuvres de Corneille, mais elle comprendra également le Menteur,

dont le titre même indique quel est son intérêt pour notre propos. Par

contre, une des premières œuvres sera passée sous silence: Médée, la

première véritable tragédie de Corneille. Certes, cette pièceoregorge 't

d'éléments baroques; elle comprend des scènes parmi les plus spectaculaires que Corneille ait écrites; et le personnage de Médée, par ses pouvotrs

magiques, est créateur d'illusions. Mais ces illusions sont déjà d'un

1

ordre différent; d'un ordre plutôt intellectuel. De même, nous ne

<1

(1) Cf. J.-D.' Hubert, "Le Réel et l'illusoire dans le théâtre de Corneille

et dans celui de Rotrou", Revue des Scnences Bwrr:zine8, 1958,

p. 334: '''Déjà dans la Médée de Corneille, ce sont moins les illusions en

tant que telles que la volonté créatrice de la magicienne qui importent [ •..

J ".

/

(11)

J'

- 6 - c

f,

-tiendrons pas compte dans notre étude des pièces à machines, pièces à

grand spectacle s' 1'1 en est, mais qui ne sa!lraient être étudiées sur

,

.

~e même plan que les premières œuvres?, 1e~ intentions du dramaturge y

y'

étant ma'ni.festement différentes.

\

La mét,hode que nous poursuivrons dans chaque chapitre consistera

~

~

l à examiner la création de l'illusion d'abord "à même la vie"--c'est-à-dire

\,

à l'intérieur des pièces--, et ensuite au niveau du théâtre, dans Z 'IlZusion

comique. Nous essayerons d'établir ainsi le rapport qui existe entre

l'expérience "théâtrale" à chacun de ces deux niveaux. Il est à espérer

1

.

que notre enquête amènera à de,s conclusions sur le rôle de l'illusion au

-. if

~I

théâtre, et sur le rôle du théâtre dans la vie.

Il reste à dire un mot sur les éditions Ses œuvres de Corneille

dont nous nous sommes servi. Lorsque les éditions originales1 servaient

mieux à illustrer notre propos--ce qui était souvent le cas, vu la nat~re

baroque »de notre sujet--, nous les avons citées. Toutes nos autres

2

citations se réfèrent <lUX Œuvres aompUtes éditées par André Stegmann.

t

(1) En ordre alphab~tique: CUtandr~ ou Z 'i~nocence déliv~~ "édition

dr R.-L. Wagner du texte de 1632 (Lille: G~ard; Genève: Droz', 1949).

'L' TLZuaion aorrrique, é.dition de Robert Garapon.du texte de 1639

(Paris: Didier, 1970).

Mérite ou les fa:usses lettres. édition de Mario Roques et de Mariono

Lièvre du texte de 1633 (Lille: Giard; Genève: Droz, 1950).

r.:.

.' La naae Royal le ou l' amoureuz extravagant, edition de Jean-Claude

Brunon du texte de 1637 (Paris: Didier, 1962).

La Veuve'ou le "truître "trahi, édition de Mario Roques et de Marion

Lièvre du t;xte de 1634 (Genève: Droz; Lille: Giard, 1954).

(12)

r

,/ (

I.

ECLAIRAGE

~. 1. •

\

(13)

\

)

7

-Par sa nature même, l'éclairage--Ia présence ou l'absence de lumière--est créateur et destructeur d'illusions. Si l'état de

l'éclairage scénique au XVllème siècle ne permettait pas de véritables ohangements de lumière pendant la durée d;>speotaole,l il n'empêohe Corneille, part ses indications textuelles, a voulu faire imaginer à

que

.

ses spectateurs de tels changements. Ce sera notre tâche, dans ce chapitre, de montrer comment le dramaturge, en se servant de cette ressource scénique "imaginée", établit le rapport entre les différentes formes que l'illusion peut rêvetir, et de voir quelles sont les

conséquences_des illusions ainsi créées.

*

*

*

Au commencement de Clitandre, "tout le monde au château (est]

"

plongé dans,'le sommeil,,2, et la scène, elle, se trouve plongée dans l'obscurité. "La nuit [ •.• ] dure encore" , et seule Caliste, 3 '

(1) Pour un examen des divers moyens par lesquels l'effet de la nuit était créé au théâtre de l'époque, on verra Donald

à.

Roy, '~helot'8

'Nights': A Traditional Stage Effect", dans

Gat'lica. Essays Pzoesented

ta

J. Heywood Thomas by CoUeagueJs, Pupils and Friends (Cardiff: University of Wa1es Press, 1969), pp. 121-26.

(2) Edition R.-L. Wagner, 1, l, v. 3.

(3)

l, 1,

v.

iO.

(14)

\

8

-bou~ersée

par la nouvelle que Rosidor lui est infidèle, s'est déjà levée:

Ma

jaiouse fupeur, mon dépit, mon amour,

Ont tpoublé mon

repos avant le point du jour.

l

Elle avance à tâtons, en attendant le moment où "le soleil commencera

2

(

de luire" , le moment où el~~ surprendra R~sidor avec Hippolyte, le

moment donc où elle apprendra, de ses propres yeux, la vérité.

Tant que la nuit dure, elle est impatiente de l'apprendre,

-témoin l'apostrophe adressée à l'infidèle:

Toi, que l'oeil qui te

b~esse

attend poUP

te

guépip,

Eveille-toi,

bPigand,

hâte toi

d'acquéPip

Sur l'honneup

d'Hip~olyte

infâme victoipe,

Et de m'avoip tPOmpée une

ho

teuse gloipe,

Hâte tois

déloyal, de me fa ssep ta foi,

Le jour s'en va paroître,

nteup,

hâte toi.)

"Mais, hélas:,,4 Caliste aime toujours

soleil se lève, son impatience tourne en hésitation, et finalement

en désir de tout ignorer. Il est trop tard, pourtant,

(1)

(2) (3) (4) (5)

[ ... l

et l'aube de ses

rais

A déjà peblanchi le haut de ce8 fopêt8. 5

l, 1, v. 11-12. l , l , v. 6.

Edition R.-L. Wagner,

l, 1,

v.

23-28.

l , l , v. 21. l , l , v. 39-40.

(15)

9

-Au mouvement intérieur, qui se produit dans l'âme de~aliste, correspond le mouvement extérieur, parallèle mais inverse, qui se produit dans les cieux. Plus le ciel s'éclaircit et l'obscurité

.

cède la place à la luminosité, plus Caliste cherche à s'ai4ugler, à se réfugier dans l'illusion que la nuit lui permet. Ajoutons que dans les deux cas, ce mouvement est décrit comme une véritable lutte. Les cieux sont le théâtre d'une sorte de bataille entre lé jour et la nuit: le soleil répand une

[ ... ] lumière sombre

Dont l'éclat brille

à

peine et

dispute

avec l'ombre. 1

Cette "dispute", n'est-elle pas l'extériorisation du déchirement intérieur de Caliste entre sa "jalouse fureur" et son amour, entre

2

son désir de savoir et son désir d'ignorer? Et n'annonce-t-elle pas l'atmosphère de la pièce e~tière, où vérité et erreur se livrent

3

constamment bataille?

.",

On voit que la naissance du jour constitue à la fois le reflet et la cause de l'angoisse de.Caliste. Son bonheur moral--l'illus'ion de l'amour de Rosidor--, et le plaisir sensuel du soleil, sont con-jugués, car tous deux dépendent de la présence de la nuit. En plus,

(1)

l, 1,

v.

41-42.

(2) Cf. v. 27: "Je crains ce que'je ch.erche".

(3) Il s'agira à un moment donné d'une véritable "guerre dans les cieux, comme nous le verrons plus loin (cf. IV, 3, v.

1113).

#

, '-'ta

(16)

t

...

la

-la nuit, phénomène physique, et l' "erreur" 'de Caliste, état d'âme, sont confondues, comme le sont leurs antithèses, le jour et la vérité:

Et

toi~

père du

jour~

dont le flambeau naissant

Va

chasser mon erreur avecque le croissant~

S'il-est vrai que Thétis te reçoit dans Ba

couche~

Praends~ Soleil~

prends encor deux baiseros

sur

sa

bouche~ ~

retour me va perdre, et retranchant ton bien,

Praolonge en l'arrêtant

mon bonheur et le tien:

Puisqu'il

faut qu'avec toi ce que je crains éclate,

Souffre qu'encore un peu L'ignorance me flatte.

1

Assimiler nuit et erreur, jour et vérité, signifie non seulement que le point du jour et le moment de vérité cofncident, mais aussi, et surtout, que le jour à lui seul a le pouvoir de

révéler

cette vérité, dans le sens étymologique du terme.2 Chasser le croissant et l'erreur, c'est dissiper 3 les voiles qui cachent la vérité, c'est rendre la

vérité

visible.

L'erreur, l'ignorance, l'illusion ne peuvent prospérer sans l'absence de lumière que garantit la nuit, leur complice.

Il est donc normal dans cette situation où tout dépend de la li.

présence ou de l'absence de lumière, de la capacité ou de l'incapacité de voir, que les yeux aient leur rôle à jouer. Et, en effet, une

éq~1valence est établie entre la fonction des organes de vue, et celle

des rayons du jour. Tout comme elle voudrait pouvoir ralentir le mouvement solaire, Caliste aimerait que le fonctionnement normal de

(1)

(2) '(3)

Edition R.-L. Wagner, I, 1, v. 47-54. "Révéler" dérive de

veZum,

"voile".

(17)

- l~ -ses yeux soit entravé:

Ah, mes yeux.' si Jamais vos fonctions propices

A mon cœur' amOUT'eux fir'ent de bons ser'vices,

Appr'enez aujourd'hui quel est votr'e devoir':

Le

moyen de me plair'e est

de

me

décevoir.

Si vous ne

m'abusez,

si vous n'êtes

faussaires

Vous êtes

de

mon heur' lèS cr'uels adver'sair'es. l

N'est-ce pas dire qu'elle cherche non pas le trompe-l'oeil, mais/la tromperie de l'oeil dans le sens le plus concret du terme "l'oeil "?

Ce sont donc des phénomènes pùrement physiques qui maintiennent ou détruisent l'illusion de Caliste: les mouvements célestes, le fonctionnement des yeux. Pourtant, la véritable source de l'illusion est ailleurs. 'Car si la malheureuse cherche à se faire tromper, c'est

2 parce qu'elYe a déjà été trompée--du moins elle le croit--par Rosidor. c'est dans les vers qui suivent ceux que nous venons citer, où Caliste s'adresse à ses yeux, que la confusion entre ces deux niveaux de tromperie \ fait le mieux voir:

Un infidèle

encore r'égnant

SUl"

mon penser'

Votrae

fidelité

ne peut que m'offenser',

Appr'enez, appraenez par' le

tra!tre

que j'aime

Qu'iZ me faut me

trahir

pOUl' êtrae

aimé de

même.

3

Est-il besoin de remarquer combien cet état de choses volontairement

(1)

l, 1,

v.

29-34.

(2) Cf. vers cités plus haut: "de m'avoir trompée"; "de me fausser ta foi".

(18)

12

-«.;.'

complexe et paradoxal, où nuit intérieure et nuit extérieure se confondent, où illusion morale et illusion physique se superposent, où il fait nuit et jour à la fois, où l'on combat la trahison d'autrui par la trahison de soi, est dans le goût baroque? Mais en même temps que dans cette scène sont confondus à plaisir l'abstrait et le matériel, l'intérieur et l'extérieur, il s'~n élève ~ne opposition nette entre, d'une part, nuit, obscurité, aveuglememt, illusion--et ses nombreux synonymes--; et, d'autre part, jour, luminosité, vue, et vérité.

L'on attendrait donc dans les scènes qui suivent (puisque, bon gré mal gré, le soleil se lève et -les yeux voient), l' "éclatement" de la vérité dont Caliste a si peur, à savoir la trahison de Rosidor. Mais, surprise! lorsqu'enfin le soleil brille,l ce n'est pas du tout la "vérité" qui est révélée, dévoilée, découverte, mais, au contraire, ce que Caliste croyait être illusoire: la fid~lité de Rosidor. C'est que la "vérité"

.J avait été faussée, la trahison de Rosidor n'étant que l'invention de Dorise,

véritable auteur de la véritable illusion. C'est bien l' "erreur" de Caliate qui est chassée "avecque le croissant", mais une erreur toute différente; le rôle des rayons ~u jour est bien

révélateur,

mais la vérité finale, celle qui triomphe, apporte non le malheur mais la joie.

Avec la découverte simultanée, par Caliate et par Rosidor, de la double trahison dont chacun avait été victime (car n'oublions pas que

(19)

\

13

-Rosidor avait été trompé par le faux billet de Pymante), l'histoire de ces deux amants se termine: il ne leur reste qu'à commenter avec le Roi leur

1

"heureux malheur" , et à échanger des baisers sur le lit du convalescent Rosidor,2 en attendant le moment de leur mariage. Pourtant, la pièc'e, elle, vient de commencer; la tromperie continue, et la situètion s'embrouille à

loisir. Car une fois le crime découvert, les criminels sont obligés de se cacher à la vue de ceux qui le's che!chent. Il s.' agit donc toujours, on le

..

voit, d'une question d'éclâ~r~ge.

Puisqu'il fait jour, on ne,peut pas profiter de l'obscurité que la nuit offrirait. Dorise et Pymante ont donc recours, chacun de son côté,

" v

au déguisement. 3 L'objet est le même: tromper la vue,

aveugler

les policiers du Roi, envoyés à la rec::~et:che des coupables. Et, c'est bien ce

,

'

&,---~

qui arrive, lorsque Lysarque et l~s archers voient Pymante sans le

re-/ '

connattre comme criminel:

Cette troupe d'archers,

aveugles

en ce point,

Trouve ce qu'elle cherche et ne s'en saisit point. 4

Pour Dorise, pourtant, les choses ne sont pas si simples. Car si Pymante fuit les policiers du Roi, Dorise, elle, est obligée de fuir à la fois ces

(1) III, 1, v. 675.

(2)

Edition R.-L. Wagner,

V, 3,

indication scénique.

(3) Ou plutôt au "dé-déguisement" dans le cas de Pymante: i l jette le masque qui trahirait son identité de criminel (II, 1, indication scénique). Nous en reparlerons lors de notre discussion du costume.

(20)

14

-policiers et ce même Pymante qui cherche à la violenter. Et ce dernier, mattre en tromperie, ne se laisse pas tromper si facilement: il surprend l'aiguille laissée par mégarde dans les cheveux de Dorise et qui trahit l'identité de celle qu'il aime.

-c'est à ce moment que l'aveuglement métaphorique, dont il a été question jusqu'ici, où un obstacle, tel le déguisement ou l'absence de lumière, se pose entre l'oeil et son objet pour en fausser la vue, devient aveuglement réel, dans son sens le plus littéral: absenc~ de l'oeil. Avec cette même aiguille qui a "désaveuglt" Pymante, Dorise crève l'oeil à son persécuteùr.l

.

Même si un seul oeil est atteint, il n'empêche que Pymante se trouve dans un état d'aveuglement total:

s'est"-bZZe caahée? où l'emporte

sa

fuite?

faut-il que ma

~ge

adresse ma poursuite?

La

tigresse m'échappe et telle qu'un éclair

En

me frappant Zes yeux, elle

se

perd en l'air;

Ou plutôt, l'un perdu, l'autre m'est inutile;

L'un

s'offusque du sang qui de l'autre distiZe. 2

Ne sachant

diriger àes pas, Pymante avance à tâtons, tout comme faisait Caliste dans l'obscurité de la première scène. Ses yeux lui étant "inutiles", il prendra "dorénavant pour guides les hasards,,3 dan!;! sa

pour-(1) IV, 1,

v. 1179-82:

(2) IV, 2, (3) IV, 2, • ,

..

'

indication scénique.

Cf.

édition

R.-L.

Wagner, IV, l,

Aussi Ze falloit-il que ae melne poinçon

Qui premier de mon sexe engendra ae soupçon

Fût l'auteur

de

ma prise, et

de

ma déLivrance,

Et qu'après mon péril il fît mon assurance .

v. 1033-38.

(21)

15

-suite de Dorise. Et tout comme dans la scène de Ca1iste, l'aveuglement.

""

et les phénomènes cosmiques sont rapprochés, voire confondus: "telle

,

"

qu'un éclair/En me frappant les yeux, elle se perd en l'air". Confusion non seulement entre l'humain et le cosmique, mais aussi entre le réel et

~'I\ le métaphorique. Bientôt, pourtant, la métaphore se concrétise, et le

ciel éclate en éclairs véritables.

La foudre ne peut ni se produire, ni se faire voir, que dans un ciel obscurci par les nuages. Il est donc naturel que la tempête qui survient soit décrite par rapport aux changements d'éclairage dont elle est la cause:

Mes menaces déjà font trembler tout le monde:

Le vent fuit

d'épouvan~e,

et le tonnerre en gronde,

L' œil du ciel s'en retire,

et par un

voile noir

N'y

pouvant résister,

se défend d'en rien voir; Cent nuages épais se d~~illant

en larmes,

"

A force de pitié,

veul~,\

m'ôter les armes;l

A la perte de l'oeil de Pymante répond le retrait de l' "oeil" du ciel; aux larmes de sang "distillées" par l'oeil de celui-là,2 les larmes de pluie "~distillées" par celui-ci. L' aveugl:ment de Pynrante sera partagé

L

par toute la terre.

Mais non seulement la tempête est l'extériorisation de

l'é~"

physique de Pymante; elle est également la concrétisation de sa disposition

(1)

(2)

IV, 2,

v.

1085-90.

IV, 2,

v.

1039-42.

(22)

- 16

-morale: "la nature étonée embrasse mon courroux"l. Comme la nuit était·

à la fois le reflet et la complice de l'erreur de.aliste, l'orage constitue 2

le reflet et la complice de la rage de Pymante. Dorise ne pourra pas lui échapper, car:

Quelques lieux où l'effroi porte ses pas

err~ts,

Ils sont

entrec~upés

de mille ,gros torrents. 3

Et. ce qui est plus important encore, c'est à l'aide de ces mêmes éclairs qui illuminent le ciel noir--et auxquels Dorise semblait ressembler

lorsqu'elle lui "rrappait les yeux"--que Pymante se vengera sur la cruelle. Eux seuls ont le pouvoir de lui rendre Dorise visible:

Tout est Je mon parti: le ciel même n'envoie

Tant d'éclairs redoublés qu'afin que je la voie. 4

\

Ou. vengeance la plus douce. les éclairs pourraient frapper Dorise elle-même. et lui rendre la pareille:

Que je serais heureux, si cet éclat de foudre,

Pour m'en faire

~ison,

l'avait réduite en poudPe!5

Jusqu'ici il a été questi~n du rapport entre la tempête et

l'aveuglement de Pymante. Considérons maintenant quelle en pobrrait être

(1)., IV. 2, v. 1091.

(2) Dans cette scène où aveuglement, rage et orage se superposent et se

confon~ent, comment ne pas songer aux scènes de

King Lear,

où la tempête sert

A'

arrière fond l I ' aveuglement de Gloucester et l la folie du Roi?

(3) •

IV,

2, v. 1095-96. -.

(4) IV,

2.

v.

1093-94.

(23)

17

-la signif~ation dans le contexte de la pièce entière.

Il est intéressant de noter à combien de reprises on fait allusion à une tempête--bien que métaphorique--avant l'éclatement de la tempête réelle. Pour les deux coupables, le danger que présente l'approche des policiers est comparé à une menace de mauvais temps: Dorise serait

;'~"battu[e]

d'une tempête"l; et Pymante, qui vient d"'aveug1er" les archers

-du. Roi,2 se félicite de sa ruse ainsi:

Que j'aime ce péri l dont la vaine menace

Promettait un orage et se tourne en bonace [ ... ].3

Les coupables, pourtant, ne courent encore aucun véritable danger: celui dont la tête est vr"aiment menacée d'une "tempête", c'est l'innocent t1itandre; témoin cette prophétie adressée au Prince:

Les perfides auteurs de ce complot maudit,

Qu'à me persécuter votre absence enhardit,

A votre heureux retour verront que

ces tempêtes,

Clitandre préservé, n'abattront que leurs têtes. 4

Cette autre tempête, c'est la colère du Roi.S D'abord, trompé par_ le faux cartel qui avait déjà trompé Rosidor, et par les corps trouvés des

(1) II, 8, v. 662 .

(2)

Cf. plus haut, p.

13,

note

4.

(3)

II,

2, v. 413-14.

(4)

III,

3,

v.

835-38.

(5) Cf. III, l, v. 736: "justes mouvements"; v. 737: -"me rougit de c.olère"; v. 762: "l'ardeur qui vous transporte"; III, 2, v. 769: "ce grand 'courroux"; v. 775: "violents transports".

(24)

fil

18

-trattres servants de Clitandre,l Alcandre a envoyé ses archers non à" la recherche du véritable coupable, mais à celle d'un innocent: ce n'est donc pas seulement le "dé-déguisement" de Pymante qui rend les archers "aveugles", mais aussi l'erreur du Roi. Ainsi, au lieu de s'approcher de la vérité du crime, ils s'en éloignent. Ce qui menace de dérober cette vérité à jamais, pourtant, ce ne sont pas les artifices de Pymante, mais bien plutôt le "grand courroux" d'Alcandre, aveuglant lui auss'i, en ce qU'i,1 étouffe, dans celui qu'il possède, la volonté de voir clair, de chercher la vérité à

travers les obstacles qui la voilent. La suggestion, de la part de Rosidor, que:

L'apparence déçoit, et souvent on a vu Sortir la vérité d'W1 moyen inrprévu,

Bien que la conjecture y fût encor pZU8 forte [,t]2

est donc rejetée catégoriquement: \

Non, il ne fut jamai8 d'apparences plus vraies [, .. ].3

(1) Cf. III, 1, v. 743-48. (2' III, l, v. 759-61..

(3) III, l, v. 766. C6mme contrepartie du Roi, qui voit la vérité là où il n'y a qu'illusion, C1itandre, enfermé dans 80n "noir cacRot" (IV, 7, v. 1222), certain de sa propre innocence, refuse l'évidence qui se présente à ses sens, et prend la vérité pour une illusion:

Je ne sais

si

je veille ou si ma rêverie A mes sens endOrmis fait quelque tromperie;

Peu s'en faut, dans Z 'excès de ma confusion,

Que je ne prenne tout pour une illusion.

Clitandre prisonnier! Je n'en fais pas croyable

Ni l'air sale et puant d'un cachot effroyable, Ni de ce faible jour l'incertaine clart~,

(25)

1

19

-L'orage réel, n'est-il donc pas en même temps la transposition

.

" météorologique,de l'orags-qui couve au château du Roi? Corneille s'est

~ême soucié d'indiquer. dans

l'Argument.

que les deux événements se

d 1 , , , il ,.

pro uisent simu tanement: Tandis que tout cec se passe, une tempete -""'surprend le PrinC,e à la chasse". Le noircissement du ciel semble r~pondre

au noircissement de la situation de Clitandre et de tous ceux qui cherchent

2

la vérité, dont~ surtout, le Pr~nce. Ignorant toujours la raison pour laquelle Clitandre a été mandé au château, Floridan pressent

to~t

de même un danger imminent, et la tempête ne semble que confirmer ses soupçons.

'~~~

C1itandre lui étant une sorte d'alter ego,3 ils courent tous

~un

même q

danger:

Je les sens,

je les

vois, mais

mon âme-~nnoc~nte Dément tous les objets que mon oeil lut présente,

Et le

dé8avouant~ défend à ~~ raison

De me persuader que je sois en prison. [ .•. ]

Non, cela ne se peut:

vous vous trompez, mes yeux; J'aime mieux rejeter vos plus clairs témOignage;,

J'aime mieux démentir ce qu'on me fait d'outrag

s,

Que

de

m'imaginer, sous un

<~i

juste roi,

Qu'on peuple les prisons d'innocents corrme

moi.'

(III, 3,

v.

797-808, 812-16).

(1) C'est-à-dire la rencontre du Roi, de Rosidor, et de Caliste, et la décision, malgré les protestations de Rosidor, d'exécuter' Clitandre avant le retour du Prince.

(2) Cf. II, 5, v. 524: "Que j'en sache au plus tôt toute la vérité". (3) Cf. II, 5, v. 522: "je chéris ta vie à l'égal de la mienne"; et V, l, v. 1298: "Ami, que jVe chéris à l'égal de moi-même" •

(26)

,

,

,

.

20

-[ ... ] je pense à tous moments

Voir le dernie1' déb1'is de tous les éléments, Dont L'obstination à se faire la guerre

()

Met toute la nature au pouvoir du tonnerfe. Dieux, si vous t~moignez par là vot1'e courroux, De Clitandre ou de moi lequel menacez-vous?

La pe1'te m'est égalf1 et la même tempête

Qui l'aurait accablé tombe1'ait s~ ma tête. l

~is l'exemple le plus frappant de ~a confusion entre tempête abstraite et tempête concrète, vient lorsque Floridan sort enfin de l' ignqrance:

""--Ah, CUtandre! qinsi donc de fauâ~es conjectut,es

T'accablent, malheu1'eux, sous le co1rroux du Roi!2

L'erreur--les conjectures--et la colère du Roi "ensuite transformées en- puissance physique ,qui

sont d'abord con?bndUeS en, accable, foudro y" telle une tempête réelle.

Et celle-ci "foudroye" aussi:

~

-, Que l bonheur m' aadOmpagne en ce moment fatal.'

r;

tonne1'1'e a sous moi foudI'oyé mon ahevaZ [ ... ].3

Il s' agi:t du cheval de chasse du Prince: car n'oublions pas qu'en même

,

.

temps que les policiers du Roi font la chasse aux criminels, et que

r'

P~nte fait la chasse à Dorise, Floridan et ses veneurs font la chasse

, ~ ---~ à " "

au cerf. Et

ç

est precisement ce moment fatal, que les trois chasses

rejoignent. 1 se

(1)

IV.

~,

v. 1111-18.

(2)

lV,

8,

v.

1270-71.

1 " \ (3)

IV,

3,

v. 1103-04.

"-\ \, \1 "

(27)

21

-Avec la mort du cheval et la dispersion des veneurs,l résultats tous

.

deux de la force de l'orage à son sommet, la chasse au cerf se terrine: Floridon se trouve seul et à pied,2 dans l'obscurité3 qu'il trouve double-ment menaçante. 4 Cepehdant, peu à peu l'obscurité le cède à la clarté, et \ les forces des différents éléments s'annulenF l'une l'autre: le tout semble annoncer un retour à la paixt

J'en trouve à la fin quelque meilleur présage; L'haleine m~ue aux vents, et la force à l'orage; Les éclairs, indignés d'être éteints par les eaux, En ont tari la souree et séché les ruisseaux Et déjà le soleil de ses rayons essuie

Sur ces moites rameaux le reste de la pluie. 5

1

En plus, au changement de lumière répond un changement de Bon: le gazouillis des "petits oisillons" rempla.ce le "bruit affreux des foudre.s décochés,,6 Et, comme 'l'on pourrait s'y attendre, l'éclaircissement des cieux accompagne et produit un retour à la vérité.

Car à ce moment même Pymante survient, prêt à tuer Dorise qui essaie de s'échapper. Apr~s une lutte à trois, l'agresseur est désarmé et arrêté.

~

Ce qui était une chasse au cerf se termine donc en chasse à l'homme. Ce ne

7

sont pas les policiers du Roi, mais les veneurs du Ftince qui saisissent

(1) Cf. IV, 3, v. 1107-08. (2) Cf. IV, 3, v. 1111.

(3) Cf. IV, 2, v. 1087-90, déjà' cités.

(4) Cf. plus hàut, p._20, note 1. (5) IV, 3, v. 1121-26.

(6) IV, 3, v. 1127.

(7) Cf. II, 2, v. 408, déjl cité.

(

(28)

~_.

,

,

- 22

-enfin le coupable. Il est "garrotté", tel un animal, dans les couples des

chiens~l

le gibier, la "prise,,2 de ces chasseurs, c'est Pymante, le

véritable criminel.

Une fois la vérité du crime découverte, les différents niveaux d'erreur et d'illusion sont détruits à tour de rôle: Floridan est

éclairci sur la raison derrière l'appel de C1itandre au château; il peut donc s 'y rendre en hâte, afin de "désaveugler" le Roi, prévenir la

matérialisation de son courroux en "accablement" réel, et libérer son ami. "[V]otre heureux retour a calmé cet orage,,3 la "guerre,,4 dans les cieux finie, la paix revient sur terre.

*

*

*

Si le décor de la Place Royale n'autorise pas l'atmosphère orageuse que l'on trouve dans

Clitandre,

les effets d'éclairage qui y sont exploités n'en sont pas moins intéressants. Il s'agit, éVidemment,!u quatrième acte qui est "dans ,la nuit,,5. C'est le rôle

~ramatique

d cette nuit,

acte, rôle le plus évident et le plus bana1~ qu'il convient d'examiner d'abord.

(1) IV, 5, v. 1155. (2) IV, 8, v. 1290. (3) V, l,

v:

1317.

(4) IV, 3, v. 1113.

(29)

23

-L'obscurité de minuit1 est doublement favorable aux desseins d'un trompeur tel qu' Alidor: c le crime sera caché aux yeux du monde, et

l'identité des criminels aux yeux d'Angélique:

~

Enfin la nu't

s'avanoe~

et son voile propice Me va faci li ter le 8u(!C~S que j'attends

Pour rendre heureux Cléandre~ et mes désirs contents. 2

Poürtant, ce trompeur sera bientôt trompé, le "voile propice" étant source d'un quiproquo dont Alidor, et non Angélique, est victime:

(Alidor: )

Autant que l'ont permis les ombres de la nuit~

Je l'ai vu de mes yeux.

(Angélique: )

Tes yeux t'ont dono séduit [ ...

J.3

Comme dans Clitandre, donc, où le point culminant de l'action et celui de la tempête cofncident, où la pièce se dénoue grâce à la confusion que cette tempête crée, la nuit dans la Place Royale, en "aveuglant" les personnages pour les brouiller à l'extrême, rend possible le dénouement du matin qu'elle précède.

Mais l'intérêt de ces scènes nocturnes n'est pas limité à leur rôle dans l'intrigue. Bien au contraire: l'opposition entre nuit et jour s'intègre aux questions les plus profo'ndes que la pièce soulève.

(1) (2) (3)

Cf. III, 6,

v.

848;

IV,

2, v. 953.

IV, 1,

v.

890-92.

IV, 6, v.

1055-56 • J

.

"

(30)

\"

- 24.-

...

Pour Alidor, l'horloge qui sonnera minuit marquera en même temps ,le moment de sa libération:

Mon cœur" laB de pOY'teY' un joug si tyroannique

Ne seY'a plus qu'une heure,esolave d'Angélique.

i

Q

Pourtant, si au début de l'acte il l'attend avec impatience,2 c'est un état d'âme bien différent qu'il manifeste lorsque enfin l'heure sonne: 3 l'impatience de Cléandre fait ressortir l'hésitation d'Alidor:

(Alidor: )

Tu

t'avanoes trop tôt.

(Cléandre: )

Je me LaBBe d'attendY'e. 4

Ce changement de volonté, accompagné du changement qui se produit dans les cieux et provoqué par lui, rappelle d'une manière frappante la première scène de

ClitandY'e,

où Caliste commença par chercher, et finit par fuir, la vérité. Tout comme Caliste, Alidor se trouve dans un état de déchirement, de "balancement", de "doute"S: sur un fond obscur, il "cherche désespérément à voir clair en lUi-même,,6. Car la nuit extérieure n'est que la matérialisation de la nuit qui règne à l'intérieur du héros, et qui obnubile son esprit:_ "mon iugement s'enveloppe de nuës!,,7

(1)

IV, 1,

v.

893-94.

(2)

IV, 1,

v.

890:

"Enfin

la nuit s'avance".

(3)

IV,

2, v.

953:

"minuit vient de sonner".

(4)

IV,

2, v.

950.

(5)

IV, 1,

v.

929.

(6) Edition Jean-Claude Brunon, note l la page 124.

(31)

25

-C'est la puissance des yeux d'Angélique qui empêche le "iugement" d'A1idor de percer ces "nuës", et d'obtenir une fois pour toutes cette liberté qui constitue, pour lui, la seule valeur vraie. Puissance qu'il faut bien appeler magique: tout comme la baguette magique dont Médée se servira dans la pièce suivante pour immobiliser Theudas,l ou comme la tête de Méduse dans

Androm~de

qui transforme les

"m~ants"

en pierre,2 les yeux d'Angélique paralysent Alidor:

POUI'

vivre

de

la sorte Angélique est

trop beUe~

Mes

pensers

ne sauraient m'entretenir que

d' eUe~

Je sens de ses regards mes plaisirs

se

borner;

Mes pas d'autre côté n'oseraient se tourner [ ... ].

3

Il s'agit donc d'une autre sorte d'aveuglement, en ce sens que 1"'éc1at" du visage de la bien-aimée limite le champ de vision de celui qui le contemple.

Ainsi, l'angoisse d'Alidor est le produit d'un paradoxe: ce n'est pas un manque de lumière, mais le trop de lumière qui émane du visage "trop beau" d'Angélique, qui empêche le héros de voir clair, de se décider à se défaire irrévocablement d'elle. A cette éclipse intérieure de la lucidité ,4 qui fait obstacle aux desseins d'Alidor, répond l'absence de lumière solaire,

(1)

Médée,

V, l, v. 1297: "Dieux! je suis dans les fers d'une invisible chatne!"

(2)

Andro~de,

V,

5, cf. surtout v. 1694-99.

(3) l, 4, v. 213-16. Il est évident que nous revenons ici à l'idée de 1 "'éblouissement" avancée par Jean Starobinski dans son essai "Sur Corneille", dans

L 'ŒiZ vivant

(Paris: Gallimard, 1961), quoique ce dernier ne parle pas de

la PZace RoyaZe

l ce propos.

(4) Et qui côto:1e lun moment donné la folie: "mon esprit s'égare" (IV, 5, v. 1017.

(32)

1 '

....

1

- 26

-obstacle extérieur à ces mêmes desseins en ce qu'elle est responsable du quiproquo.

Et pourtant, par un autre paradoxe, cette nuit est l'auteur non seulement de l'aveuglement physique d'Alidor, mais aussi de son dés-aveuglement moral:

AueugZe, cette nuit m'a redonné le iour:

Que i' eus de perfidie,

&

que ie vis d'amour!

1

Ce n'était pas l'amour d'Angélique qui était illusoire--au contraire, il

2

s'était avéré de plus en plus vrai -- mais l'idée que l'on pourrait jamais s'arracher à son pouvoir:

C'est

en

vain

qu'on résiste aux traits d'un beau visage,

En vain,

à

son pouvoir refusant son courage,J

On

veut éteindre

un

feu par ses yeu:x: allumé

Et

ne Ze point aimer quand on

8

'en voit aimé [ ...

J.

3

C'est la reconnaissance de son erreur passée--de la vanité de sa recherche de la liberté--, et du triomphe de son amour présent, qui constitue donc le désaveug1ement d'Alidor. Dans toute autre comédie de Corneille, 4 cette victoire- de la vérité sur l'illusion déboucherait sur le bonheur. Dans

la

Place RoyaZe,

i l en va tout autrement.

(1) devenu (V, 3, (2) Et ton (3)

(4)

Edition Jean-Claude Brunon, V, 3, v. 1352-53. Le premier vers est par la suite: "Les ombres de la nuit m'ont redonné le jour"

v.

1292).

Cf. V, 3, v. 1296-97: "Plus je t'étais ingrat, plus tu me chérissaisl amour - croissai t plus je te trahissais."

V,

3,

v.

1302-05. .

(33)

27

-f

Car la victoire est éphémère. Dès que les circonstances autour de

lui changent, et que l'amour d'Angélique lui est soustrait, Alidor se réfugie dans son erreur première, dans son "illusion de la liberté et du

1

2

pouvoir". Ce qui ne 1 t empêche pas d'affirmer sa victoire; mais c'est

une victoire factice. La "liberté" d J Alidor dépend non de sa propre

volonté, mais de l'absence d'Angélique, c'est-à-dire de l'absence de la lumière dont celle-ci est la source:

Cependant Angélique enfennant dans un, clo'Ître

Ses yeux dont nous craignons la fatale clarté,

Les mU1'S qui garderont aes ty!'ans de paro'Ître

Serviront de remparts à notre liberté. 3

Alidor ne sait triompher que dans l'obscurité, par l'artifice: les murs

du clottre d'Angélique et le voile "propice" de la nuit servent donc à

la même fin, qui est de cacher la vérité à la vue, et, ce faisant, de

gàcder artificel1ement une liberté qui est fausse.

t.

Si les "ombres de la nuit" favorisent la déception de soi

re-cherchée par' A1rd"r, ·f.l.en v!i. tout autrement pour Angélique.

C'~st

elle

qui devai t être la vic

ti~e

de -

:a-~r~perie

d' AUdon aVeUglér Ptr le.

ténèbres, elle se livrerait volontairement non à son amant

mai~

à

C1bndre.

(1) Octave Nada1, Le Sentiment de Z 'amoUl' dans Z 'œuvre de Pierre

CorneiZZe (Paris: Gallimard,

1948),

p. 116.

(2) Cf. surtout V, 8, v. 1502-05.

(34)

28

-Mais ce n'est pas seulement sur l'aveuglement physique d'Angélique

que compte Alidor pour mener son projet à bien: i l compte également sur

son manque de lucidité morale.l Et l'un équivaut à l'autre:

Je livre entre tes mains cette belLe mœftresBe, Si tôt que j'aurai pu lui rendre ta promesse j

Sans lumière, et d'ailleurs s'assurant en ma foi,

Rien ne l'empêchera de la croire

,

de moi. 2

Alidor ne se trompe pas. Angélique apparatt, et prend la promesse de

Cléandre sans l'examiner. Dans l'obscurité de minuit ("Que la nuit est

obscure! ,,3) , tout ce qu'elle voit, c'est la

"~'foi"

de son "amant:

Je prends sans lire et ta foi 111' est si claire

Que je la p:rends bien moins pour moi que pour mon p~re [ •..

J.

4

Pourtant, ces mêmes ténèbres et cette même promesse vont bientôt

servir au désaveuglement d'Angélique. Cela commence au moment de son

\

retour, lorsqu'elle retrouve Alidor seul, ses gens partis avec Phylis. Cela finit avec la révélation, par Doraste, du nom du véritable auteur de la promesse:

(1) L'aveuglement moral d'Angélique étant surtout provoqué p.ar le

"fard du lansage" d' Alidor, nous l'étudierons .lors de notre discussion du jeu.

(2) IV, 2, v. 957-60. (3) IV, 3, v. 973.

(35)

- 29

-Je

vois

ta

trahi8on,

et doute

-i.e

Z'

auteur.

M:zis,

pOU!'

m'en

éclaircir,

ce hitZet doit suffire;

Je

te

pris d'AZidor, et

te

pris sans lire [ •..

J.1

L'éclaircissement et le désabusement2 d'Angélique, qui ne sont certes

pas sans cruauté et sans amertume, conati tuent donc une victoire finale de la vérité sur l'illusion, victoire qui coIncide avec celle qu'elle

rem~~::\1 sur Alidor.

l'

*

11

*

La question de l'éclairage dans

te

Menteur est d'un intérêt tout

particulier pour notre propos. Car, en dehors de l'importance dramatique

de la nuit qui y est: réellement représentée, et que nous étudierons

d'abord, la pièce examine en profondeur les rapports int imes et complexes

qu~existent entre, d'une part, le monde ténébreux du rêve, et, d'41utre part, le royaume merveilleux et éblouissant du mensonge.

3

Au lever du rideau, la scène--le jardin des Tuileries--est baignée

de la lumière matinale.4 Le deuxième acte se passe pendant l'après-midi, 5

et au début du troisième, seule la lumière du crépuscule illumine la Place

(1) (2) (3)

(4)

(5) IV, 7, v. 1169-71. Cf. V, 8, v. 1500.

Au sens figuratif, sl l'on veut.

Cf. l , l , v. 25: "de bon matin".

(36)

/

...

.

'"

\ -

30-R oya e. I l L orsque orante se ren D d b d 1 f .... ' d L .. en as e a enetre e ucrece, c est 2 ,

dans l'obscurité de la nui t tombée. 3 Ce n'es t pas ici le lieu de démêler tour;; les fils de l'imbroglio qui atteint son sonnnet lors de cet te scène

,

nocturne. Nous pouvons cependant indiquer en quoi la présence de la nuit

contribue à son prolongement.,

,

La nui t, cotmne on l'a vu dans la Plaoe Royale, a des avantages

évidents pour celui qui cherche à tromper autrui. Et le personnage qui,

dans le Menteur, cherche à profiter par la ruse, n'est pas Dorante mais

Clarice.

\,

4 C'est elle qui, trouvant l'idée d'Isabelle excellente, se

décide à parler à la fenêtre de Lucrèce sous le nom de son amie, d'abord

, 5

dans le but de "connattre" Dorante, sans compromettre ses chances auprès

d'Alcippe, ensuite "par curiosité,,6. Ses desseins dépendent de l'obscurité

\

de la nuit pour réussir. Pourtant, c'est justement cette assurance que

la nui t lui fournit qui sert à confondre Clarice, et Lucrèce avec ~lle.

Certaines que Dorante croit qu'il ,parle à celle-ci, elles ne peuvent qu'être

étonnées des protes tations d'amour' qu'il lui adresse, après en avoir

adressées à Clarice le matin. Lorsque la scène se termine, Clarice est

dans l'illusion d'être méprisée par Dorante; Lucrèce dans celle d'être

aimée de lu1.. De son côté, Dorante, reconnaissant la voix de son

inter-(1) III, 2, v. 841: "Si du jour qui s'enfuit la 1um1.ère est fidèle".

(2) III, 5.

(3) III, 3, v. 916: "cette obscurité"; cf. aussi II, 2, v. 454; et

II, 7, v. 710 et v. 714: "cette nuit".

(4) Cf. II, 2, v. 459 • (5) II, 2, v. 422-23.

(6) III, 3, v. 915. ,

,

(37)

Î

;31

-locutrice des Tuileries, qu'il appelle "Lucrèce", ne peut pas comprendre la réaction de cette même "Lucrèce" devant ses protestations. Donc, si

"

la voix de Clarice est l'élément principal dans le rebondissement du quiproquo chez Dorante, ce rebondissement n'aurait jamais pu se produire

i

sans la ruse de Clarice,

s~ns,

donc, la présence de la nui t. 1

Ainsi, le rapport entre l'extérieur et l'intérieur, entre la scène et les personnages, est, comme dans les autres pièces que nous avons

étudiées 9 double: sur un arrière-fond d'obscurité, ignorant tous une

partie de la vérité, chacun des personnages essaie de voir clair à travers

la confusion dont cette même obscurité est la cause.

La scène au début du quatrième acte se trouve de nouveau éclairée par les rayons du jour. Pourtant, si "tout l'intervalle du troisième au

2

quatrième [acte] vraisemblablement se consume à dormir par tous les acteurs" ,

les heures qui se sont écoulées depuis le rendez-vous noc turne n'ont pas été tranquilles.

Les mensonges de Dorante découverts, la brusque sortie de Clarice 'le

- 3

laisse "a deux doigts de [s]a perte" : i l a été pris à son propre jeu.

Pourtant, si cette fin d'acte, et l'intervalle qui la sépare du quatrième acte,

(1) A rapprocher du quiproquo qui se produit pendant les scènes nocturnes

de la

Suite du Menteur

(IV, 5,6,7, et 8): cf.

IV,_

8, v.

1550:

ItMais on l'a pris pour moi, dans une nuit si noire" •

(2)

Discours des trois

un.it~s

d'action,

de

jour, et

de lieu, Stegmann, p. 841.

(3)

III, 6, v. 1066.

(38)

- 32

-marquent l'échec du menteur sur le plan social, ils -marquent en même temps

1

le début du succès du

Menteur,

et de Dorante avec lui, sur le plan du spectacle. Car Dorante, toujours optimiste, va

rêver:

AZZons

sur le chevet rêver

queZque moyen

D'avoir sur 'Z'incrédule un pZus dOux entretien.

Souvent leur belle humeur suit

le cours de la lune:

Te LZe rend des mépris qui veut qu'on l' impo'I'tune;

Et de quelques effets que le siens soient suivis,

Il sera demain jour, et la nuit porte avis. l

Il Y a confusion donc entre les deux opérations, l'une passive, l'autre active, représentées par le mot "rêver": faire des rêves pendant qu'on dort, et réfléchir à un problème. A en croire Cliton, c'est

à

la dernière de ces activités que son mattre s'est adonné:

Il n'a fait toute nuit que soupirer d'ennui.

~ 2

Quels ont donc été les fruits des "~,~" de Dorante? question que Cliton lui pose lorsqu'il le ret~ve le matin

c'est la devant la 3"

maison de Lucrèce, toujours en train de "rêver" , ce qui lui offre l'occasion d'un jeu de mots:

A propos

de

'l'êve'I', n'avez-vous Pien

~uvé

Pout' servir

de 'l'em~de

au déso'I'droe arilroo?4

(1) III, 6, v. 1083-66.

v. 1579-60: "Allons nous inspirer quelque meilleur

A rapprocher de

la Suite

du

Menteur,

IV, 8, reposer: la nuit et le sommeil/Nous pourront " conseil." _

(2) IV, 7, v. 1339.

(3) Dans le sens de s'absorber (4) IV, 1, v. 1095-96.

Figure

TABLE  DES  MATIERES  .  ,.

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