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Pomme, suivi de, Le double divinisant chez Gary

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Le double divinisant chezGary

par

Chloé Cinq-Mars

Mémoire de maîtrise soumisà

la faculté des études supérieures et de la recherche en vue de l'obtention du diplôme de

Maîtrise ès Lettres

Département de langue et littérature françaises Uni versité McGilI

Montréal, Québec Juillet 2001

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Remerciements

Si ce n'était des conseils de M. Jean Larose, de ses encouragements, de son aide et de sa confiance, le présent travail ne serait probablement qu'une vague idée, un petit remord agaçant pendant mes nuits d'insomnie. Je le remercie avant tout de m'avoir donné le goût d'écrire pour un public et l'assurance nécessaire pour le faire. Je suis aussi reconnaissante à M. Yvon Rivard pour son enthousiasme, sa disponibilité et ses idées sur l'écriture et le romantisme qui ont guidé mes recherches et mon inspiration. Finalement, je tiens absolumentàremercier mes parents pour m'avoir soutenue tout au long de mes études: Claude Cinq-Mars, qui a maintes fois sauvé mes écrits d'un carnage informatique et qui a fait le taxi à des heures indues, et Louise Pelletier, qui m'a apprisàécrire et dont la sagesse d'écrivain m'a de nombreuses fois tirée de la déprime.

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Résumé

La première partie de ce mémoire est un récit qui se présente sous la fonne d'un monologue intérieur où s'entrecroisent trois époques de la vie de la narratrice (l'hiver de ses neuf ans, son récent voyage en Irlande et son retouràMontréal) comme autant de vies parallèles avortées. Tantôt par épisodes entiers, tantôtàtravers l'écho de phrases jadis dites ou entendues. les existences passées de Paméla contaminent le récit de son retour obligéà Montréal àl'occasion des funérailles de son père et instaurent une forme de dédoublement narratif, de dialogue fabulé entre les époques.

La seconde partie propose une analyse du double chez Romain Garyàtravers une étude conjointe de Au-delà de cette limite votre ticket n'est plus valable et de Gros-Câlin. Ony montre que le dédoublement est une forme d'auto-engendrement mis en branle par le sujet pour parer au déterminisme qui le condamneàl'inexistence. Le héros garyen refuse tout autre dieu que celui qu'il porte en lui-même: un double infini et immortel dont les circonstances l'ont séparé malgré luiàsa venue dans un monde déterminé. Il rétablit son potentiel illimité de créateur en effectuant un retouràun avant-monde dénué de forces déterministes. De là, il entreprend de faire parvenir à l'existence ce double divin grâce à la projection sur l'autre, dans l'espoir de se faire renaîtreàl'infini. Mais le double idéal incarné a tôt fait de devenir l'original que le héros vient doubler.

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Abstract

The first part of this Master' s thesis is a story presented as an inner monologue where three periods of the narrator' s life (the winler when she was nine years old, a recent trip to lreland and her retum to Montreal) interlace as three parallel miscarried lives. At limes through entire episodes, at times through the echo of sentences once spoken or heard, Paméla's past lives contaminate the story of her forced retum to Montreal to attend her father' s funeral.. They intermingle in a duplicate narrative, a fabled dialogue between times.

In the second part, we intend to analyse the theme of the double in two of Romain Gary's novels: Au-delà de cette limite votre ticket n'est plus valable and Gros-Câlin. The study demonstrates that the subject uses doubling to engender his self so that he can avoid the determinism that condemns him to a non-existence. Gary's hero refuses any god other than the one within himself: an infinite and immortal double from whom he has become seperated against his will at birth. He reinstates his unlimited potential as a creator by returning to a time before this world, a time not determined by external forces. He then undertakes ta give life to his divine double by projecting him on others. The hero hopes that he will thus be endlessly rebom. The embodied ideai double, however, soon tums into the original which the hero imitates, becoming a double himself.

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Table des matières

Première partie: Pomme _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ 1

_ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ 76 _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ 77 _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ 78 _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ 78 _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ 81 _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ 89 _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ 89 _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ 92 _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ 99 _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ 101 _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ 101 _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ 102 _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ 114 _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ 119 _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ 124 _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ 132 _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ 135 _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ 140 Deuxième partie: Le double divinisant chez Gary

Avertissement 1. Introduction.

1.1.Garyet Ajar: le rêve de multiplicité 1.2. Dédoublement: survol théorique 2. L'inexistence sous la Puissance 2.1. Définition de la Puissance 2.2. Agents de la Puissance 2.3. Le double idéal séquestré

3. Inexistence positive: l'anti-Puissance 3.1. Définition

3.2. Entreprises de révolte contre la Puissance 4.Ledouble divinisant

4.1. Projection communautaire 4.2. Projection individuelle 4.3. Le double devient l'original 5. Conclusion

Bibliographie

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IlYa eu1lI1accident.

Jusqu'ici, j'ai survécu à tout ce qui m'a tuée. Des bobos dérisoires (jadis les engelures aux fesses, aujourd'hui la pisse-chaude): c'est tout ce qui reste de mes tragédies ratées. On ne meurt jamais quandil faudrait. Ça aurait dû lui arriverilya treize ans. Mais aujourd'hui non plus, ça ne me tuera pas. Parce qu'il y a de quoi pleurer, peut-être, mais pas de quoi crever. Pourtant, je me réveille à nouveau avec une haleine nocturne au goût de cadavre. Il suffit de fermer les yeux pour moisir un peu. À peine un moment d'inattention et la mort saisit à la gorge. Et un jour, on ne se réveille plus. Ton père... C'est

épouvantable!

Michel s'est retourné dans un mouvement brusque. Le temps de grogner un peu. Le drap tendu sous ma mâchoire m'étrangle. Pas longtemps. Je me dépêtre. l'ai tiré mes morceaux hors du lit. La plante des pieds mouillés contre le froid du bois. La tête posée entre mes épaules toutes chaudes.

ny

a les delL'C-Comprimés-tolis-les-quatre-heures que je dois prendre ce matin.

Itfait encore nuit. Sur l'écran, à côté du futon-lit, ilya écrit qu'il est cinq heures cinq en lettres rouges et carrées. Mais à ma montre,ilest déjà tard dans mes souvenirs. Onze heures cinq là-bas. En Irlande, je suis levée. Mes pieds cognent de vieux pavés, j'ai une clé dans la poche. Chambre numéro neuf. Il pleut sûrement sur mon visage. Il pleut toujours sur mon visage, là-bas.

J'essuie mes joues avec la culotte que Michel ajetée sur le plancher. Je l'enfile. Quand je porte une culotte pour aller aux toilettes, j'ai l'impression de ne pas y être tout le temps. Pas besoin d'allumer la lumière. Je laisse mes pieds suivre leurs traces entre les planches qui craquent. Mes pieds usés par leurs petits pas de plancher froid. J'entends déjà la jolie mélodie du robinet qui fuit. Je cherche dans la pharmacie: aspirines, gravol, pyridium, noroxin, cypro, codéine. Les petits caractères carrés pour réconforter. Pour meubler le monde que j'appréhende de gestes appris par coeur. La chorégraphie des jours

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qui passent. Prenez un comprimé, trois/ois par jour, en mangeant. C'est ça. Il faut manger, boire beaucoup. Il faut faire tout cela comme c'est écrit. Lecliquetis que je reconnais: un hochet pour me rassurer. Une bouchée pOlir papa...

n

faut baisser la culotte. S'asseoir. Il faut écouter le robinet de toutes ses forces. Le robinet qui grouille et qui grince. Le robinet rouillé qui laisse un filet rouge d'eau brûlante se faufiler par son goûtot. Parfois, le robinet ne suffit pas. Alors, on peut serrer les dents, aussi. Se faire craquer de toutes ses forces jusqu'à ce que les lannes cessent.

Dans mon lit, je cache mon sexe à deux mains. Ma honte de fille bien au chaud entre mes doigts. Pour oublier que la brûlure va me tirer du lit tout-à-l'heure. Encore. Ma viande torturée par l'éveil.

Et Michel qui ne sait pas. Pas ce qu'il faudrait en tous cas. Michel qui m'attendait ici tantôt. Michel qui habite l'appartement parce que je n'aurais jamais pu penser que les choses pouvaient changer. Avant. Six mois que je suis partie. Maintenant,ilfaudra compter autrement: il ya longtemps que je suis revenue? Le temps d'oublier. Avec Michel à l'intérieur, ça n'est pas chez moi. Là-bas, les lits portent toujours de jolis noms:

IUlle. rivière. Iluage. Mon lit, cette nuit, s'appelle Michel. C'est un lit mou. Un lit qui

pue la sueur. Un lit qui goûte le ranci et qui écorche le visage. 1wOlildlikeanotlzer bed

please. Celui-là ne me va pas. C'est celui d'une autre: il a déjà servi.

- Pomme...

Michel parle en dormant. Il dit mon nom, mais ça n'est pas moi. Je suis là, quelque part, dans sa nuit, et peut-être quej'ydors. Et peut-être quej'ysuis heureuse, même. Et, si ça se trouve, je l'aime encore, avec le beau rire irrépressible de la Paméla endonnie d'ilya six mois. Il souffle: "Pomme...". Derrière ses paupières, ses yeux tremblent. De petites billes d'ombre grise qui gardent leurs histoires en sécurité derrière leurs rideaux de chair. Ouvre les yeux Michel! Laisse-moi prendre sa place. Laisse-moi faire semblant d'être celle-là encore. Celle-là qui rit et qui mange avidement ta bouche. Celle-là qui ne pleure pas entre tes draps collants, harcelée d'ombres contre le mur, de lumières qui s'enfuient au bruit des pneus dans lasluslz. Laisse-moi être celle-là dans ta tête, Michel!

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Derrière les paupières de Michel, les choses sont autrement. Quand j'ai tourné la clé,ila eu un soupir de rescapé derrière la porte. Comme une bourrasque. Il a ouvert très grand la porte. Et les bras. Et la bouche. Il m'a aspirée de tout son ventre ouvert pour y enfenner ma chair comme entre des crocs. Enclose entre ses côtes, je me suis laissée sucer par la bouche. Et j'ai pensé que je ne devais plus goûter pareil. Qu'il fallait bien que j'aie un subtil arrière-goût d'amertume, de périmé. Mais Michel n'a pas craché. Et maintenant, il n'est plus temps. Il faut jouer le jeu. Le même, chaque fois que Michel s'éveille. Faire comme si, moi aussi, je n'en pouvais plus, de l'avoir attendu. Comme si ma peau asséchée aspirait désespérément à la moiteur de la sienne. Il faut chuchoter les paroles qui

chatouillent et embrasent la nuque, et laisser ma peau lire ses mots sous l'effleurement de ses lèvres indiscrètes.

n

faut parler son langage à coups de reins, et faire siffler ses rêves entre les draps qui crissent sous la peau.

n

faut faire mon corpsà l'image de l'autre Paméla. Celle qui croyait qu'il n'y a pas plus douce caresse que la langue contre le palais quand le mot'~Michel" frémit à la bouche dans un chuchotement d'extase.

J'aurais cru que les mots m'auraient manqué. Que les gestes m'auraient échappé. Mais tout s'accomplit avec la facilité du rituel: je me découvre les bras grands ouverts, moi aussi; les jambes qui s'écartent dans un geste machinal parce que la mémoire du corps est sans scrupules.

Et tandis que Michel me baise, je serre les yeux très fort, de peur d'en voir un autre entre les bras de l'obscurité. Je scelle ma bouche à deux mains, le visage chaviré, pour ne pas crier le nom de celui qui se fracasse derrière mes yeux: Lan-do, Lan-do, Lan-do... Celui qui, là-bas, s'efforce de faire du monde qui m'empoisonne ce soir un vague souvenir. Celui qui est devenu souvenir à son tour entre les bras d'un Michel surgi d'un autre temps. Michel qui a échangé les rôles. Il s'appelait Orlando, et il goûtait bon la pluie de Dublin. Michel a baisé l'une. J'ai baisé l'autre. Et je me demande si nous nous sommes croisés.

Ma clé tourne dans la serrure de la chambre 9, avec un claquement sec qui

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de myope, l'air de celleàqui un demi-mètre d'espace tout alentour suffit. lifaudra ramasser mon corps pour faire rentrer mon existence dans une petite couchette de métal.

À l'intérieur, c'est vieux et décrépit. Lapièce est enluminée de motifs d'humidité et de taches grises sous la peinture qui pèle. Les regards sont mesurés. Deux dormeurs, une lectrice, un absent, et le sourire esquissé de lèvres qui marmonnent. Des deux couchettes vacantes, je choisis celle du dessous. J'ai toujours eu peur des hauteurs. Vas-y! Saute,

ma pomme. Et si je m'écrase? Entre les murs refermés, la fenêtre grande ouverte sur la rumeur de Dublin et les dos retournés, je me reconnais presque. Une ambiance de dortoir de camp de vacances; là où j'ai connu Michel à l'époque de la rupture de ses parents. Un camp pour retardataires où les corps auraient vieilli avec le décor.

Je me dévêt sous les draps tandis que les ressorts grincent pour attirer les regards. Un. surtout, à l'envers. Que le hasard a poséà la tête de monlit.

liest passé six heures. Et je somnole entre les bras du passé, parce que mon souvenir veille, là-bas. Michel dort de son sourire d'éternel amant fidèle et amoureux. Mon avenir de petite femme tout tracéàla commissure de ses lèvres. Michel dort content. Je n'en peux plus de le savoir heureux quand mon corps essoufflé vient s'effondrer parmi ses membres. La tête ailleurs. L'amour en Irlande. Faites qu'il ne me touche plus. Faites qu'il ne se réveille plus. Mais Michel a promis: "Je vais prendre soin de toi." Ilaurait fallu le frapper avant. Je n'ai plus qu'à fenner les yeux pour le faire disparaître un petit peu...

L'obscurité de mes yeux clos est troublée par un bruissement suspect. On s'affaire derrière mon dos tourné vers la chambre d'auberge délabrée; on tire mon sac de dessous ma couchette. Je bouge lentement, les reins engourdis de sommeil, sansycroire vraiment. Je balance ma tête alourdie vers le dortoir encombré de bagages. Entre deux intermèdes de paupières fermées par la fatigue,j'aidu mal àdistinguer ce qui se trame parmi le désordre de valises ouvertes et de vêtements qui traînent. Je finis par discerner le regardàl'envers de toutàl'heure; redressé. J'ouvre la bouche, mais l'air manque pour crier au voleur. Les

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yeux alertés brillent sans couleur. On remet mon porte-monnaie où on l'a pris, un beau sourire de dentifrice sur tout le visage en guise d'introduction. L'air très-enchanté-vraiment.

- Pamela Leduc, Montreal, Canada..

Qu'il dit, mon passeportàl'appui. Et puis il renchérit de ne pas m'en faire, surtout... Qu'il a pris seulement dix livres... Qu'il devrait pouvoir me les remettre très vite si ça va comme il veut...

n

parle avec toute l'assurance du monde, etiln'y a vraiment rienà répondre. Vas-y: fais comme chez toi!

- What are you doing so far from home?

Je ne sais plus du tout ce que je fous toute seule ici, même pas capable de répondreàun bandit trop poli. Des larmes pas loin parce que je ne suis qu'une maudite braillarde.

Arrête de chialer!

- Tu parles français, peut-être?

Parce que je n'ai pas soufflé mot depuis toutàl'heure; c'est que j'ai la bouche sèche. Et d'entendre une phrase familière, comme un petit nom gentil, rassurant - Courage. ma

Pomme - ça me rend l'air dans les poumons. Je lui suis tellement reconnaissante de ces mots de chez moi que je lui sourirais. Je fais "oui" de la tête.

Il range gravement mes affaires. Une à une. Attentif au décompte de mon existence. Un walk-mall, une lampe de poche, un guide de voyage "Lonely Planet"...

- C'est un beau cani f.

- Mon père me l'a offert quand j'étais toute petite.... - C'est un drôle de cadeau à faire à une petite fille.

J'ai grandidepuis~ ...Une gourde, un cahieràdessin... Il parle français comme on récite des comptines, avec une voix douce où il y a trop de syllabes: "peu-ti-teu-fi-yeu"... Une caméra, une brosseàcheveux, un rouge-à-lèvre que je ne mets jamais... Je ne lui demande rien, parce qu'il est trop grand, même accroupi. Je ne crie pas pour le dénoncer; il doit bien avoir trente ans et je ne suis pas sûre d'avoir l'âge pour ce langage. Neparle pas sur cerOll.

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les couvertes sur un dos rond. ••...un petit souvenir." Les mots se sont perdus dans un clin d'oeil. Il dépose ce qui a l'air d'être un programme de théâtre sur mon sac zippé et retourne s'étendre sur sa couchette qui grince. Nos deux lits en tête-à-tête roucoulent de tous leurs ressorts. J'en suis toute retournée, le ventre qui grouille. "Tu as faim?" Il m'offre une cigarette de son paquet écrasé qu'il remet aussitôt dans la poche de son tee-shirt. Je ne fume pas. Je n'ai pas les poumons pour. Encore moins ici, où c'est interdit. Mais ce n'est plus la peine de protester quand il me l'allume à même la bouche. La flamme fait ses yeux verts et met ses cheveux en feu. On partage la cigarette comme ça. De boucheà bouche. Et j'essaie de ne pas tousser tandis qu'il me raconte sa petite histoire qui pue le tabac.

Il s'appelle Orlando. Un comédien qui arrondit ses fins de mois. Un Irlandais du nord qui a appris le théâtre au conservatoire de Paris. Venu ici à la conquête des coeurs, jouer le grand amour trois jours par semaine dans Eurydice d'Anouilh, version française,

quandilne le marmonne pas tout bas pour le roder. "C'està la salle expérimentale de Trinity College, si jamais tu veux venir faire ton tour."

J'ai gardé le mégot dans mon poing fermé. Je n'ose pas m'assoupir avec ce géant qui ronfle doucement, un voleur qui ronronne presque, et qui me fourre sa chevelure blonde, folle de sommeil, à la face.

Je me suis levée avant Michel et je suis venue ici en cachette. Avec une petite carte verte(stiLVOLISpiaft, présentez cette carteàchaque visite) pour montrer que c'était bien

moi. Ils m'ont encore cherchée dans leurs dossiers. Quand ils ont cru m'avoir trouvée, j'étais toute effeuillée, pleine d'infractions. "Mais qu'est-ce que vous faites en

gynécologie? Il faut vous rendre en urologie mademoiselle!" Ils m'ont rajouté des détails, des signatures authentiques, des directives. Et puis ils ont vérifié que Michel n'ait rien pris là-dedans. C'est qu'il a été le premierà me tripoter ce matin. II a fouillé en moi avec les doigts, avec la langue, avec le sexe aussi. Il ne m'a pas trouvée. Je suis partie en vitesse "parce qu'avec les funérailles ce soir, je ne sais plus où me fourrer..." Et

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encore. Une autre pairedegants, une autre pairedemains. Et panni les néons du plafond, à les sentir se débattreàl'intérieur, j'aurais presque pensé que je les avais tous gobés. Le ventre rempli de petits docteurs. uMais non,ilne s'agit pas d'une fausse couche..." Ils m'ont mis de jolis noms quelque part par là: "La scarlatine?Lechlamydia plutôt!

Sûrement un cancer de la vessie." Il leur a fallu un tuyau de métal pour ranger tout ça; c'est que le mien n'allait plus. Ouvre grand ma Pomme. Les tenailles pour me craquer, me sortir de là et "c'est-fini-vous-pouvez-y-aller-au-suivant". Maisily en a pour tout le monde! C'est pour ça que j'attends de me montrer ici aussi; ma viande mouillée perdue parmi les morceaux pourris d'une nouvelle salle d'attente, proprement empilés sur leur chaise de plastique respective. bien enveloppés d'une jaquette comme la mienne.

Sur les murs, ily a les dessins de beaux organes tranchés. Vessie, système rénal et autres entrailles de bon goût panni nos membres amers. Sur la porte de la salle de bain, il y a écrit de ne pas y aller avant la consultation. C'est dur parce qu'à la fontaine, le robinet fuit. Ça fuit presque toujours, les robinets, si on [es écoute. Derrière mon graffiti sur fond de condensation

Cl

love you), la neige s'est transformée en pluie de l'autre côté de la fenêtre. L'eau qui ruisselle et bruit tord et crispe tous nos sexes contre le plancher dans leur reflet de mélamine blanche. Sous mes paupières closes, c'est sans issue: j'entends encore la pluie sussurrer sa soif le long du verre.

En voyage aussi, la pluie cogne contre la vitre.

À

chaque cahot. je me dis que c'est maintenant que je vais mouiller la banquette. Il n'yen a pas pour longtemps. J'essaie de ne plus penser qu'aux montagnes abruptes qui se dressent comme dans un décor de poupées: les vaches, tout en haut, qui ne sont pasàl'échelle, trop grosses pour la distance. Le paysage qui semble plus vaste qu'il ne l'est en vérité, mon décor en carton-pâte.

"Paméla Leduc. bureau 505." D'une main. je tiens majaquette fermée sur mon dos. De l'autre, je porte mon anorak en boule avec mes vêtementsàl'intérieur. Dans le bureau exigu,iln'y a de place pour rien d'autre que moi entre les murs de contreplaqué. Je fais de mon mieux pour ramasser les morceaux, mais tout tombe, tout s'échappe. Les

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cheveux dans les yeux~la jaquette qui glisse sur l'épaule, ranorak qui échoue sur le plancher et éparpille des pilules. Je n'en peux plusdetout retenir.

- Va à côté et remplis-moi ça.

Je n'ai pas pu voir son visage derrière l'éprouvette. J'ai fait comme il adit.

Les passagers de l'autobus stationné sur le bord d'un chemin de terre se sont dispersés dans le paysage. La chair blanche de petites femmes, la jupe remontée. De gros hommes, la têtebaissée~à leur affaire. J~enfoncepresque jusqu'aux chevilles. Je fais comme si les autres ne voyaient pas, comme si les autres n~y étaient pas. Etpuis~à la queue-leu-leu pour reprendre nos places.

- Couche-toi là et détends-toi.

Je m'étends et je m'étale: les jambes écartées, les bras étirés, la bouche ouverte, les yeux écarquillés, et je laisse faire...

C'est tellement doux la pluie sur les joues. En sortant, j'ai encore vomi.

La lumière a pris toute la place dans l'appartement trop propre que Michel a meublé d'attentions pour sa Paméla. J'écrase la carte d'une main: "Je passe te prendreàsix heures. Je t'aime. Michel." Moi, je ne veux plus être prise. Je suis à sec. Le sexe pleureur étanché sur mon corps écorché.

Il a laissé de rondes roses jaunes sur la table. Leurs grosses têtes épanouies se penchentàmon approche. Un soleil safran d~aprèsla pluie se diffuse à travers le vase et vient éclater contre le plastique transparent de mes nouveaux flacons: de nouveaux comprimés comme autant de promesses.

Je voudrais décapiter un gros bourgeon jaune pour ma boutonnière. Pour ce soir. Mais les ciseaux ne sont nulle part. J'ouvre les tiroirs de la Paméla de jadis etj'ytrouve

sesfourchettes,sesspatules, sescouteaux. Ses armoires débordent de plats qu'elle a placésconsciencieusement~de bouteilles ordonnées par catégories. Huiles. Vinaigres.

(18)

Sauces. Confitures. Tout est rangé comme pour l'éternité. Elle a réglé ses comptes avant de partir. La Pomme de Michel mise en petits pots, toute aigre d'oubli. Michel n'a rien changé;ila tout laissé scrupuleusement en place. On dirait la chambre d'une morte; comme s'il m'avait voué un cultedesix mois. vénérant chaque détail devenu relique. Six mois à effacer ses propres traces, à nettoyer et à replacer chaque article

consciencieusement. Michel a toujours su se faire discret, se faire oublier.

Je finis par tirer mon canif de ma poche. Et je coupe. La fleur tombe et le pétale doré de soleil est irrisé de rouge sur les planches craquelées de la cuisine. En me penchant pour le ramasser, une goutte écarlate vient éclater au sol et s'incruster dans les rainures du bois. Àquatre pattes dans la cuisine, j'ai un doigt tranchéàune main et l'objet tranchant dans l'autre. La lumière berce la lame de reflets blancs maculés de ma couleur. La lame goûte l'animal contre la langue. Elle est toute propre maintenant. Comme si le sang n'avait pas coulé. L'indolence du métal où mon oeil se découpe. Mais mon doigt saigne. Un fruit incisé. Je saigne sans douleur. Continument. La crainte, seulement, à voir l'invincible altéré. Et si je tranchais mon visage? Mes morceaux indistincts enfin désarticulés. Mes organes cueillis avec la même virtuosité que Paméla mettait jadisà dépecer un poulet. Décoller la peau. Casser les os.

Il faut rincer la blessure. Il faut laver toutes les taches. Et, sous la douche, je n'en finis plus de frotter très fort toutes mes fautes. Je garde les yeux ouverts sous l'eau et j'efface et je pleure, mais je ne vois plus pareil, l'ancienne rétine ne revient pas. l'ai l'eau sur ma tête, sur mes épaules, sur mes seins. l'ai le jet contre mon ventre, le liquide entre mes cuisses. Je m'asperge de parfums, et je pue toujours. Je me frotte et je me flatte, je m'essouffle et je m'essuie. Mais quelque part, je saigne encore. Ça coule des yeux, ça coule du ventre, et c'est sans source. Lacérée comme le nuage qui s'effrite derrière la fenêtre qui m'a pris mon reflet de toute sa buée suffocante.

l'ai missarobe favorite. Une belle robe de velours cramoisie. Par-dessus, j'ai mis le veston de marié de papa. Les épaules tombantes et la doublure usée au bout des

manches retroussées. Mon allure de poupée sur laquelle on aurait enfilé de véritables vêtements d'enfant. L'accoutrement disproportionné des enfants trop aimants. Tout

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tombe et tout coule.

Retiens-toi, ma Pomme.

Pendant la semainede relâche, quand on allait voir la famille au chaletdeSaint-Donat, je vomissais tout le temps. Maman disait que c'était la route, Ralentis! Ça la reprend... Papa savait que c'était la famille. II roulaità toute allure pour prouver qu'il était le plus fort.

Je retiens la rose, doucement inclinée, par une grosse épingle à couche. La petite tête sans corps bien solide contre mon coeur.

- Mon pauvre petit coeur...

Je déteste le salon funéraire. J'ai la nausée rien qu'à les entendre. La huée de menteurs tousà me plaindre et

à

s'en foutre dans le fond. l'étamperais leurs faces d'enfants cruels perdues quelque part derrière leurs yeux d'effrontés. C'est ta faute, papa! Je n'aurais jamais dû revenir pour toi...

Je t'en veux d'être mort. De m'accabler de tous ces visages arrachés par les années. De tous ces sourires hypocrites. De toutes ces embrassades. Ces poignées de mains accusatrices: "Ma pauvre enfant...". De tous ces inconnus à reconnaître qui voient bien que je suisà plaindre. "Toutes mes condoléances". Etil faut dire merci. Avouer ma faute par une approbation silencieuse du menton. Papa, depuis sa boîte de bois, prend un air de mime qui a peint son visage pour qu'il parleà sa place; l'air de dire: Tu m'as

manqué. Il fallait venir avant. Le fond de teint trop foncé parce que la mort a jauni son

visage. Et le rouge à lèvres.

La salle est bondée de vieux qui pleurent sur eux-mêmes parce que c'est permis d'avoir peur de mourir devant un cadavre. Les gens regardent les photos affichées sur les murs. Ils regardent Paul à la pêche, Paul devant son ordinateur, Paul avec son cigare. Ils disent qu'il pêchait, qu'il écrivait, qu'il fumait. Mais moi,je regarde papaà Paris, papa en caleçons avec une enfant nue sur ses cuisses, papa qui nage avec ses lunettes, et je pense: Il n'y a plus de Paris. Il n'y a plus d'enfant. Et pourquoi est-ce que la dépouille porte ses lunettes? Je tiens ma petite maman toute maigre, fébrile entre mes bras, je la regarde

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renifler et ravaler sa morve de gros sanglots, et je ne me rappellederien d'autre, sinon que moi, mon père, je l'aituéàneuf ans,àcoups de poings dans les coussins et à mordre les draps jusqu'à les déchirer parce que papa m'avait fait

ça. ça:

ce pour quoi je lui en voudrais encore plus de m'avoir fait rater sa mort. Ou sa vie. Allez savoir.

Papa et moi, on est l'un pour rautre comme la salive à la bouche. On est une seule chair, un seul cri. Pour nous deux. ce soir, c'est le soir de ·'l'Oeil". Le soir victorieux où notre métamorphose s'opère. Le soir où nous nous muons en un monstre gigantesque qui voit tout et surtout se fait voir. Le monstre qui vient hanter les trois chalets enneigés rassemblés autour du quai "Leduc". Le soir où ma tête, hissée au-dessus de celle de mon père, effraie les cousins, les oncles, les tantes, tout l'univers qui vit encore après que l'on m'ait renvoyée, à une heure puérile, dans une chambre toute peinte de l'enfance de mon papa: de grosses fleurs effeuillées, des vers de Paul Valéry que je répète pour patienter,

Patience dans l'azur! Chaque atome de silence Est la chance d'unfndt mûr!I ... Parce que ce soir, peut-être.

Je languis, jusqu'à ce que papa anive avec mon manteau, avec lesnorkelet un poncho impennéable. Il porte déjà sa combinaison de planche à voile. La lune complice dans les yeux, pour nous guider dans les sentiers. Le doigt dans la moustache,il

m'engage à un silence de connivence. C'est le signal de départ. Je lui réponds de mon doigt d'enfant contre mes lèvres craquées par le rire en hiver.

l'ai un manteau par-dessus ma jaquette de flanelle, les pieds nus dans mes bottes. J'ai le poncho qui traîne et le masque de plongée qui m'aveugle. Papa sort le premier par la fenêtre. Une bourrasque gelée siffle sous les poèmes affichés au mur de bois rond. Bien accrochéàson échelle, mon père tend les bras et souffle aussi. Courage, ma Pomme! C'estàton tour! Oui c'est mon tour! Ce soir, c'est moi qui mortifie les maudits cousins qui me font prisonnière et menacent de me déshabiller dans le froid avant de me fourrer la face en larmes dans la neige et de me renvoyer

à

la maison à coups de pieds au cul. Ce soir, c'est mon tour parce que papa vient me sauver. Mon papa qui fait

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ma grosse tresse tous les matins s'est enfin décidé à grimper à mon échelle de Rapunzel. Mais il

y

manque quelques barreaux... Saute, ma Pomme!

Viens papa qu'on les terrifie! Qu'on les casse, qu'on les cogne, qu'on les

décortique! Viens, que mes neuf ans soient vengés, que mon petit corps soit réhabilité, que nos membres s'unissent dans le gigantisme de l'épouvante, ta tête bien à l'abri entre mes cuisses d'enfant heureuse. Tiens-moi bien papa! Ne m'échappe pas dans ta course, ne fais pas perdre la tête à notre géant aux yeux d'enfant. Et surtout crie très fort! Qu'ils en pissent dans leurs culottes. Et que j'en rieàen crever de les voir s'éparpi11er et disparaître dans les bois comme les tisons légers du feu de camp qu'ils désertent.

Papa, crie encore que je sentetavoix au creux de mon ventre, que je me rappelle tes poings sur mes chevilles gelées. Crie encore que je me sache plus forte que tout, laideàen faire peur,

à

en être increvable. Crie encore que je me rappelle le son detavoix et le bruit de notre pas étouffé par la neige. Crie, que j'ouvre la bouche. Rends-moi ma voix d'invincible.

- Il ne faut pas rester toute seule ce soir. l'ai invité tout le monde au salon. Tu vas voir, Pomme, ça va te changer [es idées de danser un peu...

l'ai mis un sourire sur mon visage pour aller avec la fleuràma veste et le Michelàma table. Mon sourire de déracinée pour feindre l'ineffable. Les lunettes en guise de

simulacre de regard. Les étrangers roulent leurs regards sur moi comme sur une berge qui s'effrite. Sans s'attarder. "Au suivant!" La voix de Brel s'essouffle. Mais iln'y a plus de suivantàvoir. Jamais. Tous éclipsés par le souvenir de ta lumière, Lando, de ton regard qui m'a tuée, qui m'a pris tous mes amantsàvenir pour que je ne sache plus me sculpter que sur des ombres. Toute occuppéeàmimer ton absence, je sens mes orbites creuses parce qu'ici tu n'existes pas. Même s'il te venait l'envie de surgir de ma

mémoire, ce ne serait pas ici. Ce ne serait pas dans ce bar enfumé de la rue Saint-Laurent oùiln'y a rienàentendre sinon les vieilles rengaines françaises qui exaltent une nostalgie qui n'est pas la nôtre.

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piste en me jetant des regards de tombeur-pas-terrorisé-du-tout. Michel danse et une enjôleuse se dandine autour. Letemps d'un regard, eIle le colle, le frotte, le lèche, le déshabille, le viole. Àpeine le temps qu'une goutte de sueur suive sa trace depuis sa nuque aux cheveux trop ras, trop drus, trop noirs jusqu'au col de sa chemise comme-ïl-faut que son corps trempé maquille d'ombres rebelles. Michel se déhanche et se défait. Michel est trop lâche pour résister. Trop flatté aussi. Ça se voit au petit sourire piteux et coupable qu'il me lance. Je plonge dans mon verre pour ne plus le voir. Je sirote. Je dessine des motifs sur le verre humide. Toujours les mêmes lettres qui se distinguent: l'éternel/love

you

de fenêtre d'autobus. Un "je faime" de doigt rose et gercé sur le décor de ton visage triste, sur fond mouillé de beaux cils blonds.

Mon verre est vide maintenant. Un verre sans goût, assorti à la vie d'avant toi. Et ce n'est plus la peine de regarder au travers puisque parmi tous ces visages qui m'assaillent et m'oublient aussitôt,il n'y a pas le tien. Iln'y aura plus jamais le tien. Parmi tous ces éclats de voix pour couvrir la musique, le timbre de la tienne est censuré, impossible. Panni toutes les odeurs, parmi toutes les ombres, parmi tous les frôlements, rien. Tu n' y es pas. Chassé avec mon espoir exilé.

- C'est quoi ton petit nom?

Déclinez votre identité: nom-prénom-profession-papiers-à-l'appui-rien-à-déclarer. - Ilva faIloir que tu me répondes parce que ma mère m'a dit de ne jamais danser avec des inconnues...

"Paméla." Pour le faire taire. Ilest vieux, laid et sent l'antiseptique. Ilfait tourner un trousseau de clefs autour de son index. Sur le porte-clefs: la photo d'une blonde plantureuse. Parfois en maillot de bain, parfois déshabillée, dépendamment de l'angle selon lequel on la regarde. Iln'est pas très ragoûtant, mais Michel est collé ailleurs contre un corps tout de peau... Et d'un peu de robe au tissu satiné. Je n'ai pas d'excuse, pas d'absent pour m'éclipser. Ilglisse ses clefs dans sa poche et je le laisse me tirer de derrière ma table de fin de soirée, encombrée de verres à demi vidés et de sacoches pleines. Ilest brusque. Mon genou a accroché une chaise qui s'est renversée.

Le

temps du coup sur la rotule, j'ai presque oublié la douleur lancinante qui me reprend au ventre chaque fois

(23)

que je suis debout.

n

me tient serrée contre son col

à

l'eau de javel, une main sur ma

nuque et l'autre pressée sur mes reins pour m'empêcher de m'enfuir, pour bien appuyer

mon ventre creux sur son sexe comprimé par un jeans usé.

l'ai

mis la main gauche sur sa bouche pour empêcher les relents de rince-bouche

sur mon oreille. Mais

il

a ouvert les lèvres et mes doigts sont entre ses dents maintenant.

Le plastique du "Plaster" s'accroche légèrement

à

la peau dure de ses lèvres gercées.

Mon autre main pend au bout de mon bras comme une gifle abandonnée, oubliée au bord

des doigts.

Il a une plaie

à

la place de la bouche: la peau coupée au couteau, sans l'enflure des

lèvres. Sa bouche mince est sur mon oeil maintenant et

il

sourit d'un sourire entendu. Le

sourire bien en place du crétin qui se croit irrésistible parce qu'il m'a eue dans sa bouche.

Il sourit confiant, et je le crèverais. Je lui arracherais la ride au coin de l'oeil avec les

dents! Mais il ne voit rien et tourne et tourne toujours et m'emporte. Et

il

me tient très

fort contre lui, mon bassin compressé pour que je lui pisse dessus. Et puis

il

suggère,

il

sussure: "Si on allait faire un tour aux toilettes?" Tout tourbillonne au dessus, une petite

galaxie de discothèque qui glisse sur les tentures de velours noir. Des soleils rouges et

bleus et blancs qui m'aveuglent, qui grisent pour que j'en oublie presque la proposition.

Mais un petit bataillon de perles blanches soigneusement alignées se penche sur mon

visage, seul éclat parmi la noirceur découpée d'une tête

à

contre-jour.

Je singe celui qui me surplombe. Mon visage modelé

à

son image: l'oeil vitreux, les

crocs sortis. Les relents d'aseptie me prennent

à

la gorge. Mon apprenti dentiste empeste

la stérilité et ça m'écoeure, le gosier chaviré. Ça brûle. Son parfum comme l'acide sur la

plaie d'une réminiscence: ce matin encore, l'odeur des organes dans le formol. Et quand il

chuchote, le sifflement s'amplifie comme sur les parois d'un corridor de céramique.

- Viens qu'on remplisse ton verre...

Va à côté et remplis-moi ça.

- ...ça va te détendre.

Détends-toi.

(24)

retire. Il verse la bière dans mon verre. Le liquide ocre monte le long des parois et j'entends le bruit d'une éprouvette qu'on remplit. Il a entrepris de me faire boire comme un bébé. Leverre cogne contre mes incisives. Sans me laisser respirer,ilen vide le contenu qui déborde et me coule jusque dans les oreilles.

- Il faut fêter ça!

Une nouvelle bouteille dans une main, ilm'enserre la taille de son bras libre et m'attire dans son antre éclairé au néon. Une toilette, ça vous assassine un idéal. Ça sent l'urine, la merde et le vomi. l'entends tout derrière les murs de carton. Les bruits - le tintement des verres, les corps qui se bousculent - m'irritent, la musique m'assomme, les rires

m'enragent (est-ce qu'on m'a vue m'échapper?). Les voix évoquent mes cousins qui se moquent; ils étaient quatre à me faire prisonnière:T'aimes ça jouer au docteur, hein, Pomme? Vicieuse. Vicieuse. Derrière la porte, ilya comme une plainte, presque

rassurante de douceur, d'enfant qui pleure. Arrête de chialer. maudit bébé! Laissez-moi

sortir! Je suffoque ici. Et je ne sais plus me défendre maintenant que papa n'est plus là. Il s'acharne contre le loquet brisé de la porte. Pas moyen de m'enfermer. De dos, sans visage, il m'apparaît presque inoffensif. C'est le moment d'attaquer. Oui: ce serait si simple de lui sauter dessus maintenant pour lui déchirer la bouche avec les doiglS. Je le vois déjà s'aggripper au comptoir du lavabo, et je lui assène un extraordinaire coup de coude sur la nuque pour lui péter les dents sur le robinet de métal, pour qu'il n'ait plus qu'un trou noir sanguignolentàla place de sa bouche de dentiste. Sa maudite bouche qui me sourit maintenant, toute propre et bien rangée (les courtes incisives toujours à leur place) parce que la porte s'est montrée docile avant que je ne réagisse. Si ce n'était de son air pervers, mon docteur aurait un sourire presque gentil. Et j'ai tellement besoin qu'on soit gentil avec moi, qu'on me rassure, qu'on me console de mon papa qui est parti. Il prend une dernière gorgée pour la chance, dépose sa bouteille près du lavabo et, sans me lâcher des yeux, il fait glisser ses lèvres parmi les poils noirs de son avant-bras. Il a un doigt en travers de la bouche:

- Chhh...

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S'il ne m'avait jetée sur la cuvette, je pourrais presquem'ytromper, et croire encore

à

ses yeux complices tandis qu'il s'agenouille devant moi. S'il-te-plaît, sois gentil. Je suis une bonne fille. Je serai sage et obéissante.

Ses yeux, plissés par le sourire, sont injectés de sang; je le remarque seulement maintenant, dans cette lumière. C'est une lumière au néon qui donne un éclat de faux, de cassant, de rigide prêt à craquer. Lasensation d'être dans un théâtre de marionnettes. Quelque chose de pas honnête flotte parmi les relents d'urine qui empestentàintervalles réguliers, au rythme de la ventilation. Et pourtant, je joue le jeu. Je fais semblant parce que c'est tellement plus facile. Je le laisse remonter ma jupe et glisser ses épaules sous mes genoux. Il dit: ··On va s'amuser un peu...", avant de s'engouffrer sous ma robe. Camoufflé comme un papa sous mon poncho qui cours et m'emporte dans la nuit.

J'ai un imposteur dessous ma robe rouge de honte, et pas de papa pour l'effrayer. Il y a un homme comme un secret de mauvaise fille caché entre mes jambes écartées. J'y sens son souffle qui brûle. Ses griffes s'enfoncent dans mes cuisses comme de petits vers qui percent ma peau pour s'infiltrer et venir grouiller dans mes entrailles. J'observe le plaisir qui gronde, m'envahit et m'efface, onduler parmi le velours de ma robe. Une voluptueuse odeur de honte me fouette à nouveau le visage renversé dans une vague de chaleur qui me colle quelques cheveux aux lèvres. La douceur me chavire le ventre et m'emporte dans sa valse tomoyante de ventilateur de plafond. Je voudrais crier, frapper, ex.ploser, maisclzhh!:ily a toujours les bruits de l'autre côté du décor. Toujours la musique d'imposteurs, les potins d'hypocrites et les rires à gorge déployée. Le spectacle des gens comme-il-faut continue, là-bas. Il ne faut pas l'interrompre de mon inadmissible intermède de coulisses. The show must go on...

Je fenne les paupières très fort, comme des tentures rouges devant mes yeux, pour ne plus entendre les autres et pour mieux me perdre dans le souvenir, là-bas. En voyage: là où je suis toujours quand mon corps m'abandonne et laisse errer ma mémoire. Là où c'est la bouche d'Orlando qui s'empare de moi pour la toute première fois. Une fois irrévocable: désormais, quand je sentirai une caresse, elle sera de lui, parce que mon corps en a décidé ainsi; parce que ma chair s'est creusée sous ses doigts, obligeant les caresses

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futures a immiter les siennes,àsuivre des fonnes qu'il a pétries. Ce sont ses lèvres entre mes cuisses et son coeur pris dans mon gosier. Sa tendresse vient dessiner ma bouche qui gronde d'un rire retenu, parce que de l'autre côté des tentures, le spectacle se joue

toujours. Levrai, celui-là: Eurydice. Derrière la scènede TrinitYCollege, je gobe en silence les baisers irréels d'une répétition clandestine, anonyme, même, puisque les mots d'amours n'ont pas été proférés.

Tout a été dit la veille, à l'issue de la représentation précédente, sur son vélo vert, devant son théâtre: la salle expérimentale de l'université; il croyait m'avoir rencontrée par hasard. ~~Écoute,Pomme, il ne me reste plus de billet gratuit... Mais, si tu en as envie, viens en coulisses demain."

Revoir encore le spectacle auquelj'aiassisté si souvent déjà; chaque fois presque en secret, dans l'ombre du dernier rang. Revoir ma vie rêvée entre les bras d'Orlando qui me murmure "Eurydice" au creux de l'oreille. Croire encore mon corps sur la scène, à la place de l'actrice, à espérer très fort que ce soit mon nom dans sa bouche: "Paméla!" J'ai un nom ingrat et empoté, qui sonne comme un mensonge. C'est un nom qui ne me va pas, toujours àme barrer la route du rêve. Paméla Leduc, redescends sur lerre! Oui maman.

Mais sur terre, ça pue les toilettes d'un bar perdu et ça vous crie la voix de Brel par les oreilles. Et c'est tellement plus doux de m'envoler vers le tourbillon du ventilateur, de danser sa valse à mille temps avec mon Orphée-Orlando.

Oui, que je danse sur la jolie mélodie de son souffle enflammé. Et quand bien même ce ne serait pas moi sur scène, ce serait tout au moins Eurydice dans les gradins: Paméla, la nouvelle Eurydice, perdue dans les enfers des estrades oubliées, dans sa petite mortde spectatrice, tandis que la vie - la vraie, avec ses éclats de rires et ses tannes, avec ses baisers et ses drames - se joue là-bas, sur scène. Et espérer qu'un jour mon Orphée vienne m' y chercher.

Et ce jour-là, c'est aujourd'hui.

n

est venu. J'étais côté cour, cachée entre deux lourds rideaux: en coulisses, comme convenu, à me faire discrète, à me faire menue. Et je regardais le spectacle d'un autre angle, mais toujours à l'écart. Et puis c'est arrivé sans prévenir. Soudain, entre deux scènes, entre ses bras: ··chhh...", qu'il m'a fait,

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m'entraînant derrière le décor. Les baisers sont venus tout de suite. Confiants, comme s'ils reprenaient leur place sur ma peau. Des baisers comme sur la scène. Et maintenant, les gestes sont sûrs et précis pour éviter de faire bouger les tentures, pour que le public ne remarque rien. Ce sont des gestes presque caricaturaux, aussi dessinés que son visage poudré peint au pinceau. Et sa pantomime m'emporte enfin sur sa face du monde. Certes, je suis toujours dans l'ombre, mais du bon côté de la rampe, cette fois.

Je suis timide et maladroite. Mon corps excédé ne répond pas. Je n'ai jamais connu qu'un rôle sans envergure: l'éternelle répétition avec Michel. Mon enthousiasme me paralyse, mais Orlando me guide et me retient de ses caresses d'équilibriste. Il est là, qui me souffle la réplique: "Embrasse-moi." Et je répète dans un souffle: embrasse-moi. ··Plus près." Plus près. ··Plus fort!" Plus fort. "Gently now." Doucement, tout doucement, presque immobile, les cris retenus à l'orée des lèvres. Pourtant, il manque les paroles que j'aurais cru. Je n'entends pas de mots d'amour, comme sur la scène. Mais je me dis que c'est tout comme, puisque maintenant sa bouche m'assassine, que ses mains me séquestrent, que son sexe m'enchante. Et puis, il y a toutes ces autres choses qu'il a dites, qu'il a fait~s,qui sont irrémédiables. Après celles-là, je le sais, c'est pour de bon. C'est pour toujours. Un regard, une invitation, ces gestesàprésent, etilm'a tout pris, tous mes espoirs, tous mes projets, pour êtreàjamais le seul pour qui j'existe, le maître de jeu. Entre ses bras, je m'aggrippe à mon nouveau rôle de toutes mes forces. Je le tiens bien serré en moi, mon rôle; et ce ne sera jamais plus celui d'une figurante!

J'en oublie qu'à la fin le rideau doit tomber. Tandis qu'il m'aime ainsi, qu'il m'apprend en vitesse ce qu'est l'éternité,il me semble tout à coup que son visage est changé, que ses traits sont étirés dans une grotesque grimace où se perd mon souvenir parodié. Pourquoi est-ce que je ne reconnais pas le masque de clown sous cette face peinte? Maintenant, j'ai honte de me voir abandonnéeàlui comme une fillette aux prises avec un monstre d'amour qui l'éblouit. J'entends les munnures derrière les tentures. Et je voudrais crieràcette Paméla-là de se défendre, de se dépêtrer, de ne pas se laisser faire surtout, de ne pas y croire! Mais le clown en a déjà fait sa marionnette, et son doigté est impeccable. Ilia manipule avec tant d'habileté qu'on croirait qu'elle fait ça d'elle-même!

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Et moi je sais que les espions s'avancent vers elle, que les spectateurs clandestins

regardent au travers des tentures. Ceux-là savent, ils ont vu Lando répéter l'expérience de ville en ville, sa tournée personnelle entre les spectacles, son off-Broadwayàlui tout seul. Et pendant qu'elle se croit heureuse, je suis certaine que ça espionne tout autour, que ça s'excite, que ça se masturbe! Parce qu'Orlando en a vu d'autres. Parce qu'il a fait ça souvent et de toutes les façons. Parce que n'importe qui peut tenir le rôle d'Eurydice. Mais il va te renvoyer en enfer Paméla, commeill'a assurément fait avec toutes les autres. Il joue la comédie. Et je suis sûre que ça divertit, que ça fait rire, puisqu'il remet ça partout... même aux toilettes, à l'occasion, avec une paumée qui n'a pas assez d'orgueil pour refuser.

Et c'est comme si ça chuchotait pendant qu'il me pelote: "Regardez-là qui

s'excite!" J'entends toujours marmonner le silence:"SOI1petit cul se tortille pas maL là-dedans!" Et les voix s'élèvent"La garce!", et m'assomment"La vicieuse!" Et mon public rit. Et mon public se tord. Il en redemande de son choeur unanime de garçons cruels. Il applaudit. La peau mouillée des paumes éclate. Éclate. Éclate encore. Ça frappe et frappe, de mains en mains.

Sur ma cuvette, j'essaie de garder les yeux au plafond; je suis le mouvement du ventilateur qui tient tout juste par son fil. J'attends qu'il lâche, pour que ses hélices me décapitent, pour ne plus entendre le claquement répétitif de la chair moite qui en

redemande. More, more, more... MORT! Je voudrais qu'ils crèvent, qu'ils crèvent tous, mes maudits juges, mon implacable public, toujours à me suivre, toujours à me condamner! Et qu'ils crèvent aussi, tous les Orlando du monde, avec leurs promesses de bonheur à n'en plus finir, d'amour en canne, en vitesse. Ils m'avaient promis. Ils m'avaient tous promis. Papa, Orlando, Michel. L'amour à vie est devenue une histoire de cul. Il pue la merde désormais. J'ai beau espérer, retenir mon souffle, l'odeur revient, me râcle la gorge, m'étouffe. Ça chiâIe toujours derrière la porte. Une plainte qui flotte parmi une fétidité de déchets humains aux relents de javellisant. Ça pue à en pleurer. C'est une odeur horrible, à en faire pipi au lit pour le reste de sa vie.

(29)

Je la connais trop bien, cette odeur qui m'effrayait déjà lorsque j'étais enfant. À

l'époque, au chalet, il fallait se rendre à la toilette sèche, dans la forêt. Je sens encore l'envie qui me presse. Je me retiens. J'attends que cette envie qui me prend toujours au ventre vers la fin de la nuit soit devenue intolérable, que même le froidde l'hiver manque d'éloquence pour me garder au lit. Alors, ilfaut faire vite, avant que mon corps ne lâche. Pas le temps d'attacher mes bottes. Je m'enveloppe dans une couverture de laine pour affronter la nuit bleue et silencieuse du sentier qui mène auxbécosses. Il y règne un silence insolite, comme si de petits espions faisaient taire la forêt. Et si l'Oeil était là, à observer la course entre mon corps et moi? Yarrivera-t-elle à temps?

Je cours et je m'essouffle, et je m'enfarge dans mes lacets, et je me relève, et je tire la couverture lourde de neige sur mes épaules, et je claque enfin la porte de la cabineàciel ouvert. Le trou pestilentiel, béant, comme une grosse bouche ronde sciée dans la

banquette, n'est pas rassurant du tout. Les planches ont été découpées sans pensée pour les petits. J'ai toujours peur qu'il m'avale, ce trou trop grand pour mon format. J'ai

à

peine fini d'uriner, la couverture remontée en boule autour du cou, que je reçois une balle de glace sur les cuisses, sans un bruit. Le froid pince la peau. Je laisse ma couverture et grimpe sur la banquette, en faisant bien attention d'éviter le trou. Puis, sur la pointe des pieds, en tirant la tête hors de la cabaneàla force de mes doigts gelés, je jette un coup d'oeil dans l'obscurité.

- Il

Y

a quelqu'un?

Ma voix estàpeine audible. Rien n'y répond. Puis:

- BOVH!!~

Et aussitôt, le fracas de la pyramide de cousins qui s'écroule après m'avoir terrorisée, tandis que le sursaut me fait reculer malgré moi et que le trou me gobe. Les rires.

r

entends surtout les rires qui n'en finissent plus, qui font que je n'ose même pas me relever, que je n'essaie même pas de me dégager. Honteuse et répugnante, je laisse les rayons des lampes de poche me harceler comme des mouchesàmerde, sans réagir.

"Pomme-le-gros-caca-pollrri!" Les voix des garçons s'acharnent, sans pitié. "Son petit cul se tortille pas mal/à-dedans!' Des mots qui vont me suivre partout, toujours.

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"Lagarcef', "La vicieuse!" Oh oui: qu'ils crèvent enfin et cessent de me tounnenter,

mes petits bourreaux, mes spectateurs. Que leur bouche pourisse et les empoisonne!

"'Arrête de chialer, maudit bébé!" J'enrage etfen pleure. ·~Méchants. Méchants", entre les dents:à peine un chuchotement, une résignation. Si seulement j'étais déjà grande! Si fétais forte! Si au moins j'avais mon papa invincible avec moi!

Mais je me vengerai. Je les tuerai tous, les maudits garçons, toujours à s'en prendre à mon petit corps. La prochaine fois, je serai impitoyable! L'odeur de merde, d'urine, et du mélange chimique pour stériliser le tout me monteraà la gueule, la prochaine fois. Je me souviendrai et je me débattrai! Je mordrai et je crierai! Je frapperai de toutes mes forces, avec tout ce que j'aurai sous la main. Avec une bouteille de bière laissée près du lavabo, peut-être bien. Un bon coup sur celui qui s'acharne encore contre moi. Leverre éclate. Le tortionnaire s'écroule. Je m'évade enfin de mon enfer puant.

Michel est assis par terre, derrière la porte.

n

pleure doucement, comme un enfant qu'on pourchasse et qui s'est résigné. Sa voix est cassée, méconnaissable:

- Pourquoi, Paméla? Pourquoi lui? - Parce qu' il est comme les autres.

Michel se relève et s'apprêteà toiser son rival derrière la porte des toilettes laissée entr' ouverte.

- Mais qu'est-ce que t'as fait! ... Paméla! Il ne bouge plus. Eh merde... Il saigne en plus. [lsaigne!

Je m'en vais. Parce que je n'ai pas envie d'entendre. Parce que je ne veux pas savoir. Parce que c'est mon tour et c'est tout. Je pousse la porte de la sortie de secours et

('alanne se déclenche. '''I1 faut sacrer le camp en vitesse!": Michel m'a suivie sur le palier de l'escalier de fer qui descend en zigzag le long de la bâtisse.

Mais moi, dehors, je n'ai plus du tout envie de partir. Les flocons sont tellement doux sur ma langue; ils valsent et virevoltent en hâte. Ou est-ce le reste du monde qui tournoie autour de ces bouquets pétrifiés? J'ai une folle envie de danser.

(31)

aussi. Je me demande s'il a peur ou si c'est trop froid pour lui dehors sans mes bras pour le réchauffer. J'ai le goût de rire, de m'éclater. C'est moi qui décide,àpartir de

maintenant. C'est moi qui choisit. Il me semble enfin que mes traces ne s'estompent plus; que mescheveux~ mes rognures d'ongles, mes dents de lait que papa gardait dans une boîte à cigares sur la cheminée, et même mon odeur répètent, comme un écho bavard et opiniâtre, que je suis passée par là. Mon corps, semé sur le monde, me fait enfin vivre en dehors des autres, de ce qu'ils exigent de moiàgrand renfort de racontars. Àl'avenir, je peux changer le cours des choses, si je veux. Parce que je l'ai vu s'écrouler, parce que c'est Pomme qui l'a frappé, contre toute attente. Pomme l'irréductible~Pomme la

redoutable. J'ai vaincu mon geôlier, Michel! Lesort en est jeté. C'est fini l'obéissance. Et à présent, c'estlafiestadans l'escalier de secours qui sonne sous mes pieds. Je peux tout faire désormais. Il n'en tient qu'à moi de sauter la rampe, de plonger panni le ciel qui saupoudre avec parcimonie sa blancheur sur l'asphalte encore chaud de la ruelle, et d'y laisser mon corps écrasé comme ma signature. Il n' y a plus de cul-de-sac.

Je tourne et je crie et "j'espère que je l'ai tué" parce qu'il ne faudrait pas qu'il se relève et qu'il reprenne les rênes de mon histoire.

- Tu n' y penses pas, Pomme. Tu as trop bu. Allez, viens, je te ramène à la maison.

- Mais je n'ai aucune envie d' Yretourner. Je n'ai rien à faire là-bas. Je ne suis pas encore morte,Michel~ Je ne suis pas une relique.

- Paméla, ne fais pas l'enfant. Ce n'est pas le moment d'avoir des emmerdes avec la police. Penseàta mère...

- Quelle mère? Celle qui faisait la vaisselle pour ne pas m'entendre pleurer quand j'étais petite ou celle qui brûlait mon journal intime pour effacer les indices?

Maman s'est efforcée de me fondre dans son décor propret toute sa vie; alors si ce soir un policier devait la mettre au courant de mon existence - uMadame Agnès Leduc? Paméla, c'est bien votre fille?" - ça ne lui ferait pas de tort! Mais Michel persévère:

- Tu es dure... Viens-t-en donc. Si ce n'est pas pour elle...

n

hésite. Penché sur le garde-corps,iln'a pas l'air certain des mots qu'il faudrait employer.

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- ...fais-Ie pour moi.

- Vas-t-en Michel. Vas-t-en peureux! Je ne t'ai rien demandé. De toutes façons, tu n'as rien à faire ici: ton seul délit à toi, c'est d'être fade.

- Je comprends, Pomme. Je te comprends.

Je ne sais pas trop ce qu'il croit comprendre au juste. Que je me sois soûlée? Que j'aie suivi un homme aux toilettes? Dans sa tête, je suis comme je suis par ennui, ou pour me venger d'une fille à la robe satinée...

Michel comprends toujours tout. Chez lui, le monde est sans mystère. Et je suis sans couleur, sans mensonge.

n

n'y a pas d'autre face, pas de ret1et au miroir. Chez Michel, je suis une idée, insipide et éternelle.

Je crois que c'est en désespoir de cause, en dernier recours, pour sauver les restes, qu'il me demande (et ça m'apparaît anachronique ces mots d'un autre temps munnurés d'une voix d'enfant):

- Veux-tu être ma femme?

Il me demande de devenir madame Beaulieu et, vraiment, je n'ai plus aucune envie d'être qui que ce soit d'autre que moi-même.

n

a tiré de sa poche un écrin de faux cuir turquoise dans lequel il aurait dû mettre ses dents de petit garçon en attendant que la bonne fée réalise son voeu. Et je devrais être heureuse. Et peut-être que tout à l'heure, avant mon exploit, j'aurais encore pu me réjouir. Mais je reste bouche bée, suivant des yeux les mots qui s'estompent avec les flocons qui les portent jusqu'à terre. Du coin de l'oeil, je devine la main tremblante de Michel refennée sur son espoir en boîte. Les étoiles de glace s'éteignent à son contact comme autant de rêves qui fondent entre ses doigts. fiest effaré, son sort se joue sur mes lèvres. Je lève les yeux vers son visage: son regard fixe, posé sur ma bouche me fait osciller entre le rôle de la bonne fée et celui de la sorcière. Michel a peur de mon ombre, peur qu'elle m'emporte un jour cette ombre qu'il feint d'ignorer. C'est pour ça qu'il veut me mettre les fers aux doigts: un maillon de la chaîne pour me retenir, l'entrave fine, ciselée, avec une jolie pierre dessus.

n

veut faire de moi sa petite femme bien rangée sur sa cheminée, entre le portrait de sa mère et les dents de lait de nos enfants dans leur petite boîte.

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- Tu peux réfléchir...

Prendre un temps toujours trop court en face de l~étemité. Pour ses yeux posés sur ma

bouche~pour son âme prête à entendre la sentence, le temps a cessé. Il a un regard comme si c'était encore possible nous deux; chargé de jolies histoires qui finissent bien. Des yeux figés comme ceux d'un aveugle. Je me détourne. je meberce~accoudée sur la fragile rampe du palier de l'escalierdesecours, indolente devant cet ultimatum parce que c'est tellement plus agréablederegarder le motif crénelé du ciel aux couleurs de la ville, le long des bâtiments de briques. C'est tellement plus rassurantde voir le halo jaune qui founnille de neige autour de la tête du lampadaire que de soutenir le regard noir de Michel sous des cils lourds. Comme ceux des vaches en Irlande: denses et longs. Les vaches simplement heureuses dans leur enclos, convaincues que ce sont nous lesprisonniers~

pauvres bêtes humaines avec à peine la largeur d'un chemin pour respirer.

La vache aveugle continue de me faire les yeux doux. Pour que je saute la clôture. Pour que j'aille vivre la vraie vie dans son paradis aux relents de purin. Pourtant, même si le chemin devait un jour n'être pas plus large qu'un sentier, même si je n'avais plus que l'épaisseur de mon thorax pour vivre, je ne choisirai plus jamais ton côté de la clôture, Michel; parce qu'il pue la bague au doigt, ton côté. Ilpue le corps inassouvi et l'horaire surchargé. Il pue les mots usagés et les factures à payer. Il empeste la vie d'adulte et je ne veux pas d'une vied~ennui. Ça sent le bonheur minable et résigné de gentil organisateur. Tu m'offres une vie de camp de vacances où il n'y a qu'à se laisser faire par le moniteur.

À lafenne de Michel. Hi-Ya-Hi-Ya-Yo! Et mêmesi~de mon côté du monde, ça sent le foutre et la sueur, même si ça goûte les larmes et le sang, j'y reste. Parce que je préfère ça à ruminer les souvenirs de ma vie d'avant toi jusqu'à n'en plus pouvoir rien tirer et crever de faim.

-Je préfère te dire non, Michel.

Je suis une sorcière. Michel est mort noyé. Ses yeux fixes sont devenus des yeux vides et son visage s'est inondé. La rigole a fait place au déluge. Il ne parle pas. Il ne supplie pas. Il ne demande pas pourquoi. Il n'a pas de cri, pas d'éclat, seulement le silence résigné d'une vie qui s'achève: la nôtre. l'ai poignardé Michel et j'ai tué sa Paméla. l'ai

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zigouillé les enfants qu'ils auraient pu avoir d'un coup de langue. Et toutes ces morts dans ses yeux, ça fait monteràla bouche le goût du sang, le goût du carnage, le goût de dégourdir Michel, de le faire réagir, de le faire gueuler, qu'il cesse enfin sa bête

soumission à tout, tout le temps!

- Tu peux encore

y

penser un peu. Prends ton temps, si jamais tu changes d'avis... Admets-le, Michel: il ne reste rien de la Pomme de ton passé. Il n'y a rienàcroquer. La pomme est pourrie. La pomme est foutue. Tu m'ennuies, Michel. Tu m'écoeures! Tu me harcèles d'une Pomme que je ne suis plus, d'une victime, d'une morte! Des souvenirs de pestiférée, douloureux, infectieux; des souvenirs qui vous collent la honte à la peau.

Merde, Michel! Ne vois-tu pas que c'est fini la soumission, les sourires de poupée, les silences compréhensifs? Que c'est fini les baisers? Que c'est fini les enfants-et-ils-vécurent-heureux-jusqu'à-Ia-fin-des-temps? Je n'ai plus de bouche pour t'assouvir, plus de bras pour t'embrasser, plus de sexe pour t'aspirer. fi ne reste rien pour toi Michel. Ton amour ne m'apparaît plus que comme une tendresse de rechange pour fillettes déçues par leur papa. C'est un amour de panneau publicitaire: le sourire absent figé au visage. J'ai grandi, Michel. J'ai compris. Les choses ne sont pas comme tu l'avais promis: toujours belles si l'on sait plier l'échine.

-Je ne t'aime plus Michel.

Michel s'est effondré. Il est à genoux, agrippéàmes jupons, la face dans mon giron. Il chuchote:

- Paméla...Ma Paméla...

Et je n'ose pas le repousser. Je n'ai pas la force de me défaire, de m'engouffrer dans la vie sans lui comme dans un tombeau. Il n'y a plus que la voix de Michel et ses poings crispés sur mes cuisses pour me retenir. " ...Paméla..." Combienilest difficile d'éteindre cette voix qui me nomme et me fait exister. Je ne sais plus si j'aurai le courage d'affronter le silence. "...Paméla! Paméla!" Cette exécution de celle qu'il appelle, qu'il invente, est pourtant ma seule issue pour vivre enfin selon mon envie. Une petite mort pour me choisir telle que je suis dans mes rêves.

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mon nom dans sa bouche~~... ma Paméla..." Maintenant que je l'embrasse une dernière fois pour trouver l'audace qui me manque, maintenant que je ne reconnais plus le goûtde sa langue,j'arri ve enfinàle faire taire. J'en fais un étranger. Et je n'existe plus que par moi-même, sans support, sans témoins, sans voix. Je me détache et le rire gronde dans ma bouche: j'ai laissé les empreintes de mes mains sur ses épaules enfarinées. Michel m'a fourré l'écrin entre les doigts. Il est tellement dépité, tellement ridé, tellement rabougri que c'en est presque comique. Avec ses cheveux blanchis par la neige, on croirait qu'il a l'âge de ce vieillard qu'il rêve d'être à mes côtés. Pauvre Michel! C'est trop laid, les faibles. C'est trop ridicule. Et puis, c'est trop drôle quand il n'y a personne pour les défendre. Je me souviens: quand tu étais petit garçon, les autres campeurs se moquaient de toi parce que, la nuit, tu pleurais dans tes draps le départ de ton papa. Un jour où ils en faisaient trop -ils t'avaient enfenné dans le gymnase- je t'ai secouru; parce que j'étais davantage du genreàmordre qu'à brailler. En ce temps-là, tu avais déjà un regard de maître chanteur: des yeux mouillés que j'avais vu quelque part, et qui perçaient le mystère de mes souvenirs coupables. Je t'ai défendu jusqu'au bout, jusqu'à aujourd'hui, pour qu'on cesse de rire. Mais, aujourd'hui, c'est de toi quej'ai honte, Michel. Sans moi, tu es dérisoire.

Je sais que c'est cruel de rire, que c'est méchant de lancer l'écrin dans la ruelle, mais c'est irrépressible. Et même si tu me secoues, même si tu me gifles comme je ne t'ai jamais vu le faire, je ris et je saute et rien ne m'arrête. Et, vraiment Michel, tu es grotesque de me brusquer, de me brutaliser. Et je me fous que mon ventre me fasse souffrir, je me fous de la rampe qui plie davantage chaque fois que tu m'y jettes: je rigole et j'exulte parce que j'en suis capable.

Michel me pousse enfin comme il se doit. Comme un homme àce qu'on dit. Et je m'envole. Je plonge de l'étage parce que la barre de métal a lâché. Écrasée de tout mon long, écartée, mon souffle empêché, je sème des traces de sang sur la neige. Je me vide par la bouche. Je l'entends qui descend en catastrophe, l'escalier tonne.

n

crie,ilse repentà bonne distance pour ne pas casser mes restes, et je me réjouis. La douleur qu'il m'inflige est rédemptrice: trop aiguë pour me laisser penser à autre chose, à ce qui m'attend sans lui, trop féroce pour que je regrette ma méchanceté. Avec ma face en morceaux, qui croira,

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Michel, que c'est moi le bourreau? Qui osera me condamner après ta boucherie? Quelle histoire te raconteras-tu pour recoller les débris?

Le front sur l'asphalte gelé, je ne t'entends plus. l'attends que mon corps cessede s'écouler dans sa petite flaque rouge dessous mon nez, et se fige en d'infimes éclats glacés.. Lefrimas pétrifie mes cheveux affolés. Tu es debout, la tête penchée sur moi, les yeux rouges de larmes et les joues roses de froid, ma fleur fanée chiffonnée entre les doigts, mes lunettesàtes pieds, comme recueilli sur mon cadavre, nouvelle reliquedeta collection pour ta prière hebdomadaire.

Je distingue des murmures, je sens des gestes arrêtés, des corps trop troublés pour réagir. Même la neige a cessé. Comme si l'hiver avait suspendu toute trace de

mouvement. Comme s'il avait gelé jusqu'au temps qui passe... ou ne passe plus. Seule mon haleine vaporeuse s'élève depuis mes lèvres collées à la glace, tandis que les cristaux dans mon sang sui vent imperceptiblement leur cours.

Je m'endors ...

l'entends vaguement une voix qui me retient. "Pardonne-moi Paméla." Papa? Non: papa est mort, j'ai vu sa carcasse décoréeàla rococo.

- Reste avec moi, je t'en supplie. C'était un accident... Rien qu'un stupide accident... - Orlando...

Mon amour, tu ne m'as pas laissé partir! - C'est Michel, Paméla, ton Michel.

Ah bon? Comme c'est dommage. Laisse-moi alors. Mais Michel me tient bien serrée entre ses bras et m'arrache au sommeil. ''Tout va redevenir comme avant, ma Pomme. Tu vas voir." Menteur, papa. Il me secoue dans sa course et chacun de mes morceaux me rappelle sa présence à grand renfort d'élancements et m'arrache au réconfort des rêves. l'ai mal, papa, j'ai froid. Michel court dans la rue maintenant. 'iaxi! Taxi!" Les lumières des commerces défilentàl'envers entre mes paupières enflées. J'ai le ventre défoncé, les joues gercées. II fait trop froid cette nuit. Je voudrais grelotter un peu moins. Laisse-moi partir, m'échapper dans mes amours perdues. Au loin, je crois deviner une sirène. '"Taxi!... Merci. On vaàWestmount. Le plus vite possible, s'il-vous-plaît."

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Entre ses bras, dans la perfide chaleur de Michel -c'est étrange combien toutes les chaleurs se ressemblent- je cherche mes souvenirs empêchés par l'éveil. ~~AllezPomme! Encore un effort, on y est presque!" Plus tard,les efforts, d'accord, Michel?

Mais Michel me secoue, Michel me réveille, Michel me gifle: il a peur que je ne le quitte davantage.

n

m'embrasse. Et si je n'étais si fatiguée, je me débattrais, si je ne me sentais si engourdie, je me défendrais. Mais ça n'est jamais que mon corps entre ses bras, le coeur n'y est pas. Je peux bien m'accorder de m'assoupir un peu, non? Atténuer la douleur au ventre et celle qui me traverse la face. Me reposer juste un moment. Le temps de me rappeler mon papa qui me renversait pour m'apprendreàéviter les contusions la prochaine fois que je devrais tomber sous les croche-pieds de mes cousins. Toujours les commotions à force de me frapper le front. Je me souviens d'une fois, c'était sur le ciment et étrangementiln'y avait pas de cousin en vue, seulement des pieds qui avaient grandis trop vite, qui ne m'allaient pas. Je m'étais relevée avec peine, fatiguée, tellement fatiguée, pour aller quêter de la glace et de la tendresseàla maison. J'ai mis mes mains, papa! Je te jure quej'ai mis mes mains! Menteuse. Et mon papa en colère me jetaità

terre. l'ai gardé longtemps mon regard de raton parce que le sang avait coulé du front aux yeux, pour les cercler de rouge, de noir, de violet, de bleu, de jaune.

l'avais oublié la douleur, mais le souvenir du sommeil est toujours resté. La seule ivresse qui m'était permiseàl'époque m'avait cruellement été refusée cette fois où j'avais manqué de mains. Ne t'endors pas, surtout! Papa me secouait, maman fumait et moi je

ne pensais qu'à dormir encore un peu... Une minuteàpeine. Un moment encore parce que je suis si fatiguée. Tellement fatiguée. Laissez-moi m'endonnir, tous; partir un petit peu. Laissez-moi rêver de lui. C'est tout ce que je demande. Que je m'abandonneàma petite mort comateuse toute d'Orlando tissée, et que jamais je ne me réveille.

Je l'ai attendu longtempsàl'entrée du campus. Un bruine tiède envahissait la rue et faisait les lumières diffuses. Orlando est finalement venu me rejoindre, le regard encore sombre de maquillage mal enlevé.

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