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Inscription et fonctionment du dialogue dans Le côté de Guermantes

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(2)

Inscription et fonctionnement du dialogue dans «Le Côté de Guermantes»

par

Dominique Pellerin

Mémoire de maîtrise soumis à la

Faculté des études supérieures et de la recherche en vue de l'obtention du diplôme de

Maîtrise ès Lettres

Département de langue et littérature françaises Université McGill

Montréal, Québec

Août 1995

(3)

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(4)

L'étude de l'inscription et du fonctionnement du dialogue dans le Côté de Guermantes vise à démontrer que le réalisme sociolectal de ce roman tient moins à la reproduction de lexèmes socialement marqués qu'à l'inscription et à la circulation, au sein du fictif, de présupposés pragmatic~­

linguistiques et socio-idéologiques en vigueur dans le faubourg Saint-Germain de la Ille République, dans la mesure où ce roman absorbe et reproduit, outre un nombre somme toute limité de lexèmes socialement marqués, le système de places, les rapports de force et, surtout, les stratégies dialogales tributaires de l'idéologie aristocrate réelle. En outre, cette étude tente de démontrer que si les répliques actorielles proustiennes subissent maintes systématisations, distorsions et subjectivations qui favorisent l'insertion, à l'intérieur de la composante dialogale, de traits pertinents fonctionnels et structurels propres à la description, traits qui modifient la temporalité inhérente au dialogue réel et introduisent des modifications pragmatico-structurales impensables dans le hors-texte, ces systématisations, distorsions et subjectivations participent des présupposés esthético-idéologiques textuels, à savoir l' anti-mimétisme foncier de la parole romanesque, de la littérature, l'incapacité du langage à révéler directement la vérité.

(5)

ABSTRACT

By studying the modes by which dialogue is inscribed in

Le Côté de Guermantes, as weIl as the way it operates within

the narrative discourse, we show that the sociolectal realism of this novel is derived mostly from the inscription and the circulation, within the fictional discourse, of pragmalinguistic and socio-ideological presuppositions obtaining in the «faubourg Saint-Germain» of th~ French I~Ird

Republic. Indeed, this novel absorbs and reproduces,' in addition to a limited number of socially marked words or expressions, the role relationships, the power relationships, and, especially, the discursive strategies of the real world aristocratie ideology. Furthermore, this study demonstrates that if Proustian intratextual utterances undergo many systematisations, distorsions and subjectivations promoting the insertion, within the dialogal component, of functional anù structural characteristics of the description which modify the te:-aporality of real dialogue and introduce pragmatico-structural modifications unthinkable in the real world, these systematisations, distorsions and subjectivations partake of the text's aesthetic and ideological presuppositions, that is the anti-mimetism both of the characters' discourse in novels and of literature, the incapacity of language to reveal the thruth directly .

(6)

REMERCIEMENTS

Je tiens à remercier tout particulièrement la professeure Gillian Lane-Mercier d'avoir accepté la direction de ce mémoire et à lui exprimer toute ma gratitude envers son enseignement, qui a fortement inspiré la rédaction de ce mémoire, son regard cri tique et ses commentaires, qui ont permis que se développe cette recherche, et son respect et sa patience, qui ont grandement contribué à l'aboutissement de ce projet.

(7)

TABLE DES MATIÈRES

INTRODUCTION 1

CHAPITRE 1: Mode de transcription du verbal et du

non-verbal proustien . . . 15 Le linguistique et le paralinguistique 16 Les accidents de parole . . . 33

CHAPITRE 2: Logique et traits distinctifs dialogaux

proustiens . . . 49

CHAPITRE 3: Subj ectivation narratoriale de la parole

actorielle proustienne . . . . 103

L'illocutoire La descriptivité La focalisation énonciative L'axiologisation narratoriale 50 77 104 120 CONCLUSION

.

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144

BIBLIOGRAPHIE . . . . 151

(8)

(9)

Lorsque Julien Gracq observe que «Le Côté de Guermantes reste la partie à la fois la plus miroitante et la plus superficielle de La Recherche» (Gracq, 1986, p. 12), il refuse de concevoir les paroles des personnages qui y abondent comme unité textuelle fonctionnelle et s'inscrit dans une tradition de critiques pour qui le dire actoriel intratextuel est senti comme accessoire, superflu' . Victimes de cette prise de position quasi unanime à l'égard du dialogue romanesque au cours du XX· siècle, l'organisation et le fonctionnement des deux grandes scènes dialoguées du Côté de Guermantes se sont vues négligées par la critique, quoiqu'elles couvrent plus du tiers de cette partie2 et présentent une unité textuelle

cohérente.

De récentes études tendent pourtant à démontrer que la composante dialogale romanesque n'est ni a-fonctionnelle, ni simple reproduction de la parole extratextuelle, mais que, d'une part, elle consiste en une «pratique rhétorique de la mimésis»3, ce qui suppose des intentionnalités, des stratégies, des finalités, et que, d'autre part, elle fait partie d'un système sémiotique qui lui confère une spécificité propre.

En effet, lorsqu'un auteur «reproduit» un dialogue, il use des exigences des codes littéraire, fictionnel, scriptural et narratif pour manipuler les phénomènes pragmatico-linguistiques et socio-idéologiques attestés dans le réel à

(10)

des fins esthétiques et idéologiq~~s.4Selon G. Lane-Mercier, «les traits pragmatico-linguistiques effectivement retenus par l'auteur ont tendance à se systématiser au sein du texte et, ce faisant, à engendrer des réseaux de redondances» (Lane-Mercier, 1990, p. 61). Se crée alors un programme dialogal immanent conforme au projet esthétique de l'auteur et entretenant des relations de complémentarité avec les logiques narrative et descriptive du texte en question. Les recherches de cette critique contribuent ainsi à prouver que:

Loin d'être autant de «blancs dans une page» (Blanchot), les unités dialogales seraient motivées, relationnelles, interdéterminées par rapport, d'une part, à l'horizon d'attentes (génériques, esthétiques, rhétorico-thématiques, idéologiques) inscrit dans l'espace textuel et, d'autre part, à cette «ossature» logico-syntaxique immanente à laquelle il incombe de distribuer aux actants, outre les modalités du faire, les modalités du dire (Lane-Mercier, 1990, p. 51-52).

Conséquemment, notre étude du dialogue dans le Côté de Guermantes doit s'éloigner de la simple description des écarts stylistiques où se sont jusqu'à maintenant cantonnées la majorité des études sur le langage des personnages proustiens et viser à en analyser les modes d'inscription et de fonctionnement dans la diégèse, afin de mettre au jour le programme dialogal immanent de ce roman ainsi que ses visées esthético-idéologiques.

Nous tenterons de démontrer que loin de calquer le langage des aristocrates du faubourg Saint-Germain de la IIIe

République, ainsi que celui des bourgeois qui les y côtoyaient, les dialogues du Côté de Guermantes subissent

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maintes systématisations, distorsions et subjectivations qui contribuent à leur r.onférer une descriptivité qui ne leur est pas inhérente. Cette descriptivité les prive du statut d'événement qui leur est généralement dévolu dans les textes «réalistes» et assure la mise au jour et la circulation intratextuelles des présupposés pragmatico-linguistiques et socio-idéologiques du «monde» ~ristocratique. Nullement arbitraires, nous croyons que les manipulations et la subjectivation narratoriales de la parole actorielle proustienne participent au contraire des présupposés

esthético-idéologiques auctoriels. En effet, en cantonnant les effets de réel sociolectai de ce roman «dans les sphères du non-dit, de l'implicite, du présupposé» (Lane-Mercier, 1990, p. 48), ce qui suppose que leur mise en valeur ne puisse se faire que par une intervention narratoriale, Proust a souligné l'anti-mimétisme foncier de la parole romanesque et, partant, de la littérature. Il a dévoilé, à partir d'un fait de style, «la fausseté même de l'art prétenju réaliste» (IV, p. 460)', l'incapacité du langage à révéler la vérité directement. Bien avant qu'il n'émette sa théorie «linguistique» dans Le Temps retrouvé, que résume ainsi G. Genette:

si le langage «premier» était véridique, le langage second n'aurait pas lieu d'être. C'est le conflit du langage et de la vérité qui produi t ( ... ) le langage indirect; et le langage indirect, par excellence, c'est l'écriture c'est l'oeuvre

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le narrateur proustien s'efforçait de l'exposer à partir de sa reproduction «dialogale» de l'essence pragmatico-idéologique des Guermantes.

Pour confirmer cette hypothèse, nous devrons d'abord prendre en compte le mode de transcription du verbal et du non-verbal proustien, afin de démontrer que la minutie apportée à la reproduction du langage des personnages dans le

Côté de Guermantes - qu'il s'agisse d'intonation, de prosodie,

de prononciation, de ressources lexicales idiolectales ou sociolectales, de dysfonctionnements communicatifs - n'y est ni gratuite, ni arbitraire. À partir de l'examen de l'apparition de certains lexèmes particularisants dans les répliques actorielles, de la fonction de certains marqueurs typographiques (italique, guillemets, points d'interrogation et de suspension, parenthèses) et des causes ayant provoqué certains désordres élocutoiT.es (non-alternance de répliques,

inobservance du rôle de récepteur, auto-interruptions), nous pourrons ainsi vérifier que dans le Côté de Guermantes, ce sont les différentes situations fictives qui cautionnent l'occultation ou l'exploitation de traits langagiers caractérisants, qui se posent dès lors comme emblématiques de la position des locuteurs dans l'univers de discours fictif et présentent, au narrateur comme au lecteur, la structure et le système de valeurs du monde des Guermantes. En effet, nous montrerons que l'apparition de lexèmes particularisants dans les répliques actorielles proustiennes connote bien sûr

(13)

toujours la qualité du locuteur, mais dénonce surtout une stratégie discursive implicite autrement intéressante; que l'exploitation de la ponctuation s'y avère un moyen de suppléance nécessaire afin d'orienter la prise en charge du sens littéral par le sens indirect, vu le caractère généralement double, ambigu, de la parole mondaine; et que, quoique les accidents de paroles connotent habituellement une déficience, ils sont bien souvent, pour les mondains proustiens, une façon de mieux contrôler leurs interlocuteurs et de se faire valoir.

Cette étude de la transcription du linguistique et du paralinguistique dans le Côté de Guermantes, si elle nous permettra d'affirmer que la parole des personnages y sert essentiellement à mettre en place le système de valeurs en vigueur dans ce milieu, elle nous permettra également de voir que les rapports de force - rapports entre les différentes compétences linguistiques (usage de la langue et maîtrise des situations dans lesquelles cet usage est acceptable) - y sont sclérosés. En effet, une fois inscrits dans le système d'interaction du «monde», les personnages faibles, dominés, ceux qui, comme le souligne P. Bourdieu, «ne sont pas en mesure d'appliquer aux produits linguistiques offerts, par eux-mêmes ou par les autres, les critères d'appréciation les plus favorables à leurs propres produits» (Bourdieu, 1982, p. 63-64), sont condamnés à voir leur insigne" continuellement bafoué et à produire des discours détraqués, alors ~ûe les

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personnages dominants, ceux dont le salon mondain est le milieu légitime, ne cessent de confirmer leur pouvoir en produisant des actes illocutoires et en adoptant des comportements discursifs qui cautionnent leur autorité. Nous en arriverons ainsi à souligner que dans les salons proustiens, dans ce monde du paraître, «la parole ne peut pas porter sur l'être, elle est jeu, elle est stratégie, séduction. On parle pour asseoir son pouvoir, non pour communiquer» (Kibédi-Varga, 1994, p. 12), ce qui oblige les personnages à développer des stratégies énonciatives adaptées

à la position qu'ils occupent dans le système mondain, stratégies qu'ils ne cesseront de réitérer afin de prendre place dans cette «bataille mondaine»' dont le seul enjeu reste la reconnaissance.

Nous devrons ensuite étudier la logique et les traits distinctifs du dialogue proustien. En effet, si le premier chapitre nous amène à noter la constance des comportements langagiers et interactionnels des personnages proustiens, ainsi que l'importance des stratégies discursives dans le «monde», le deuxième nous servira à démontrer que ces stratégies implicites impliquent souvent, dans le faubourg Saint-Germain, la transgression des maximes de relation (impertinence pragmatique) et de qualité (ironie et paroles mensongères). Nous montrerons que l'efficacité de ces transgressions tient à ce que, pour les mondains, l'iœpertinence se révèle un moyen efficace d'exclure de leur

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milieu, de leurs conversations, des personnages dont le comportement se révèle inapproprié, et à ce que pour eux, bafouer la maxime de qualité au profit de l'esprit constitue le meilleur moyen de faire valoir leur insigne, puisque produire et manipuler des impressions constituent la valeur dans laquelle le «monde~ des Guermantes cherche et trouve sa cohésion. D'autre part, tout en confirmant la stabilité des comportements discursifs des personnages proustiens, l'étude de ces diverses transgressions des maximes conversationnelles nous mènera à noter que Proust a exploité les propriétés descriptives et paradigmatiques du dire actoriel en fixant les possibles dialogaux des personnages (aucune amélioration ou détérioration illocutoire possible), en introduisant des déformations temporelles inhérentes à la description (surtout fréquentatives, mais également duratives et ordinales) et en ménageant des déformations pragmatico-structurales qui font appel à la mémoire textuelle (paroles isolées, paroles isolées silencieuses, paroles dépragmatisées)·. Nous pourrons ainsi démontrer que le nivellement énonciatif et temporel provoqué

à la fois par l'introduction de telles distorsions dialogales et par la fixité des parcours illocutoires contribue nécessairement à mettre en relief l'essence pragmatico-idéologique des Guermantes, puisqu'il facilite non seulement la caractérisation des personnages, mais une déclinaison paradigmatique des présupposés pragmatico-linguistiques et socio-idéologiques sous-jacents à leurs paroles. L'analyse de

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la dimension descriptive des répliques actorielles

proustiennes se révélera donc propice non seulement à la divulgation des présupposés du monde aristocratique, mais à celle de la visée esthético-idéologique du texte.

si ce deuxième chapitre nous conduit à constater que, dans le Côté de Guermantes, nous n'avons pas l'impression d'une histoire racontée, d'une intrigue qui se noue et se dénoue, mais d'une suite de parcours dialogaux statiques, l'analyse de la subj ectivat ion' narratoriale de la parole actorielle proustienne, au dernier chapitre, nous permettra de préciser que le récit proustien trouve sa dimension transformationnelle

au niveau de l'activité intellectuelle du narrateur qui, au fil de son apprentissage, devient de plus en plus adepte à extraire des paroles senties commme emblématiques, des couches signifiantes toujours plus générales (Lane-Mercier, 1989, p. 290) .

Dans ce chapitre, nous noterons que le caractère remémoratif de ce récit homodiégétique, qui suppose un décalage entre le savoir incomplet du héros et le savoir absolu du narrateur (<<quête cognitivo-perceptive où sont mobilisées surtout - au sens dynamique du terme - les facultés interprétatives du narrateur» [Lane-Mercier, 1989, p. 290]), favorise le balisage des isotopies énonciatives par le narrateur qui jamais ne cesse de contrôler la parole s'améliorent les compétences perceptives et cognitives de Marcel, le nombre de ses prises de parole diminue au profit

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d'une amplification de la subjectivation narratoriale de la parole actorielle et le discours indirect supplante le discours direct, permettant ainsi de souligner un effet de conjonction énonciative, c'est-à-dire la fusion progressive du narrateur et de Marcel. De même, nous insisterons sur le fait que l'amélioration progressive des compétences perceptives et cognitives du héros, qui suppose une appréhension de plus en plus précise de l'essence des Guermantes, entraine une modification sensible du nombre, du type et, surtout, de la fonction des accidents de parole imputables à Marcel. En effet, nous illustrerons, dans un premier temps, à partir d'extraits dan~ lesquels Marcel n'entend pas ce qui est dit ou ne comprend pas ce qui est dit, combien l'effacement graduel de la ligne de démarcation entre le savoir de Marcel et celui du narrateur permet l'introduction de modalisateurs de doute dont la fonction est moins de connoter une hésitation, une incompréhension du héros, qu'une orientation tacite des paroles actorielles par le narrateur. Il en résulte un resserrement des lignes de cohérence du texte et un accroissement de l'intérêt du narrataire, dans la mesure où les modalisateurs de doute proustiens ne se veulent pratiquement jamais arbitraires (soit ils annoncent des isotopies énonciatives encore implicites, soit ils étayent des isotopies déjà distinguées). Dans un deuxième temps, deux accidents de parole de Marcel ayant trait à son inobservance volontaire de son rôle de récepteur (qu'il

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hésite à jouer ce rôle ou que le narrateur mentionne directement qu'il «n'écoutait plus») retiendront

particulièrement notre attention en raison de leurs répercussions patentes sur le déroulement de la narration. En effet, nous tenterons de démontrer que l'occurrence de ces deux accidents, au terme du dîner chez les Guermantes, loin d'être arbitraire, cautionne, à partir d'un fait de style, l'introduction d'un jugement de valeur narratorialo Dans la mesure où G. Lane-Mercier nous dit que:

ne pas écouter autrui (.0.) revient non seulement à déprécier la parole et la personne de son interlocuteur mais aussi et surtout à tricher avec le système communicatif, en admettant que le refus d'assumer pleinement ses responsabilités énonciatives constitue une agressivité pour ainsi dire en sourdine, dissimulée, qui fait basculer les rapports de place et de force vers les régions limitrophes du paraître0 C'est laisser son

partenaire dialogal disserter dans le vide, sans qu'il le sache, ce qui, dans le cadre du romanesque, est une forme d'annulation discursive éminemment symptomatique de l'évolution des réseaux actantiels (Lane-Mercier, 1989, po 191),

nous démontrerons que la perpétration volontaire de ce type d'accident par Marcel, qui assume la focalisation énonciative de ce roman (perception auditive), non seulement souligne qu'il maîtrise les comportements discursifs des Guermantes, c'est-à-dire leur essence pragmatico-idéologique, mais affiche, implicitement, sa désapprobation des valeurs

mondaines, pour autant qu'il n'annule pas simplement la parole d'un interlocuteur ponctuel, mais discrédite le discours mondain en général. Nous noterons que ce désengagement implicite de Marcel vis-à-vis de la fonction sociale de la

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parole mondaine est d'ailleurs annoncé par ses réticences à

participer, un peu avant ce «scandale discursif» final, aux conversations mondaines concernant la littérature.

À partir de ces différentes observations, nous pourrons noter que l'intérêt considérable de ces derniers accidents imputables à Marcel tient à ce qu'ils nous permettent de pressentir les présupposés esthético-idéologiques auctoriels non à partir des nombreux commentaires critiques qui abondent dans le texte proustien, mais à partir d'un fait dialogal. Au surplus, nous démontrerons que ces silences et ces «absences» du narrateur-héros confirment que «L'enjeu de la mondanité proustienne et son amour (sa haine) de la conversation de salon restent inséparables de celui de l'écrit» (Berthet, 1979, p. 160), dans la mesure où ils confirment que pour Proust, la nature de la littérature est effectivement semblable à celle de la parole mondaine, en ce que la vérité ne nous y est jamais dévoilée directement .

(20)

NOTES

2. Selon G. Genette, «110 pages y racontent la réception Villeparisis ( ... ), 150 pages le dîner, ( ... ) chez la duchesse de Guermantes» (Genette, 1972, p. 127).

3. Terme employé par G. Lane-Mercier dans le séminaire «Le Dialogue dans le roman» tenu â l'Université McGill â

l'hiver 1994.

1.

4 .

M. Blanchot affirme que: «Dans le roman, la part dite dialoguée est l'expression de la paresse et de la routine: les personnages parlent pour mettre des blancs dans une page et par imitation de la vie où il n'y a pas de récit, mais des conversations; il faut donc de temps en temps dans les livres donner la parole aux gens le contact direct est une économie et un repos (pour l'auteur plus encore que pour le lecteur)>> (Blanchot, 1959, p. 225).

Il convient de préciser, dès maintenant, que le caractère de notre étude nous a amenée â employer un vocabulaire souvent technique qui confère â notre texte, nous en sommes consciente, une certaine lourdeur qu'il nous a cependant semblé difficile d'éviter. D'autre part, en vertu du nombre encore restreint d'études théoriques concernant le dialogue et, conséquemment, de l'absence d'un vocabulaire normatif concernant plusieurs procédés dialogaux intratextuels (parole isolée, parole isolée silencieuse, etc.), il nous semble important de souligner que nous empruntons un nombre appréciable de termes et d'expressions â G. Lane-Mercier, dont l'ouvrage, La

Parole romanesque, constitue l'une des premières explorations de la problématique de l'inscription et du fonctionnement du dialogue dans le roman.

5. Nous tenons â préciser que toutes nos références â la

Recherche se rapportent â la dernière édition de la «Pléiade», celle de 1988-1989, dont une référence complète est donnée dans la bibliographie. Chaque fois que nous citerons un passage du texte proustien, nous nous contenterons, conséquemment, de noter le tome ainsi que le numéro de la page.

6. Selon F. Flahault, â qui nous empruntons un certain nombre de termes ou expressions (insigne, rapports de place, complétude, etc.), «Toute énonciation s'inscrit dans un horizon de complétude. L'énonciation du sujet parlant vaut alors comme insigne donnant â reconnaître â

(21)

7. 8. 9.

l'autre les marques lisibles d'un certain rapport à la complétude» (Flahault, 1978, p. 101). L'insigne peut donG être défini comloe la demande de reconnaissance de la position qu'un locuteur peut se prévaloir d'occuper dans l'univers de discours, réel ou fictif.

P. Zima affirme que dans La Recherche «La conversation ( ... ) est souvent représentée non seulement comme une polémique et une "bataille" mondaine, mais aussi comme un principe répressif, inhumain» (Zima, 1980, p. 384). Ces trois types de paroles actorielles strictement romanesques sont, nous dit G. Lane-Mercier, des «répliques directes à potentiel dialogal manifeste ( ... ) qui surgissent au cours d'un passage par ailleurs diégétique, en provoquant une disj onction vocale: le narrateur cède brusquement la parole à un acteur identifié ou non, pour la lui reprendre aussitôt». Elle précise que la parole isolée est «une forme "orale" à laquelle un "référent" extratextuel bien net fait défaut ( ... ) [qui] se caractérise, sur le plan distributionnel, par les rapports quelque peu énigmatiques qu'elle entretient avec la diégèse (et, par extension, avec l'instance narratoriale); sur le plan proprement énonciatif, par une série de manques qui entérinent sa disconvenance distributionnelle, et, sur le plan conversationnel, enfin, par un pouvoir enchaînant suspendu. C'est ainsi que, dans les cas moins extrêmes, peuvent faire défaut un ou plusieurs constituents énonciatifs le destinateur, le destinataire, le contexte - ce qui place ce genre de réplique au sein d'un circuit communicatif défectueux, alors que, dans les cas les plus marqués, il peut ne subsister que le "message" dès lors entièrement dépragmatisé, c'est-à-dire dépourvu d'instances émettrice et réceptrice connues, de contexte, de force illocutoire, et ainsi de suite» (Lane-Mercier, 1989, p. 231-232). La parole isolée silencieuse s'apparente à la parole isolée, à l'exception du fait qu'il s'agit de la représentation non de paroles mais de pensées, qui peuvent donc s'insérer soit à l'intérieur d'un dialogue, soit à l'intérieur de la diégèse.

Nous employons l'expression «subjectivation narratoriale de la parole actorielle» pour définir l'acte de rapportage proustien dans la mesure où les paroles actorielles rapportées par le narrateur sont selon nous plus que focalisées. Nous verrons en effet au troisième chapitre que ce dernier ne fait entendre comprendre

-à son narrataire que ce qu'il veut bien que ce dernier saisisse, souvent au détriment de la véritable portée des propos des autres personnages.

(22)

CHAPITRE 1:

MODE DE TRANSCRIPTION DU

VERBAL ET DU NON-VERBAL

PROUSTIEN

(23)

Dans les deux scènes mondaines du Côté de Guermantes, où prime le parlé, Proust a apporté un soin particulier à la reproduction du langage des personnages. Intonation, prosodie, prononciations particulières, ressources lexicales y sont rendues avec une précision qui a souvent confondu les critiques, qui n'y ont vu qu'un calque de certains sociolectes' de l'époque. Pourtant, le Côté de Guermantes peut tout au plus donner â croire à son caractère référentiel puisque, comme le souligne G. Lane-Mercier,

Le réalisme phonologique et morpho syntaxique des personnages, s'il se fonde sans conteste sur des réalités langagières partielles, n'est en fait vraisemblable que dans la mesure où il est motivé, relationnel, interdéterminé par rapport â un système de cohérence complexe, reflet de facteurs «psy-», de compétences diverses qui ancrent le sujet parlant dans son propre acte d'énonciation, lequel est â son tour ancré dans, et engendré par, une structure textuelle immanente, une «ossature» qui distribue aux acteurs leurs aptitudes discursives et interactionnelles (Lane-Mercier,

1989, p. 169).

De façon générale, les critiques se sont peu préoccupés des motivations sous-jacentes â la sur-référentialité linguistique de ce texte dont le ressort réaliste tient â «la fascination du narrateur de La Recherche face au

••

fonctionnement du langage en tant qu'indice du rang social» (Lane-Mercier, 1989, p. 165). Peu d'entre-eux ont relevé le fait que ce sont les différentes situations fictives du Côté de Guermantes qui cautionnent l' occultation2 ou l'exploitation

(24)

de traits langagiers caractérisants, dès lors emblématiques des rapports de force qui s'y jouent.

Si, dans le Côté de Guermantes, certains lexèmes sont ouvertement sociolectaux et consistent dans la reproduction de la manière littérale dont certains aristocrates ou bourgeois utiliseraient les unités lexicales, il n'en reste pas moins que le propre de cette transcription est moins de faire vrai que de connoter l'insigne dont se prévalent les sujets parlants fictifs puisque les mots y sont prétexte à stimuler la reconnaissance; ils ne sont que des moyens d'échange.

du sociolecte de la duchesse de Guermantes dans ces deux lexèmes permet de souligner la légitimité la supériorité -L'exploitation proustienne d'un certain nombre de ces

salons et, parallèlement, l'illégitimité du sociolecte

bourgeois qui ne correspond pas aux normes linguistiques imposées par ce personnage. Il s'ensuit, comme l'a souligné 1. Éliade, que

Dans le salon du Faubourg Saint-Germain, où le règne d'Oriane est encore incontesté, ( ... ) chaque membre de la coterie [apporte) sa contribution afin que l'atmosphère «vieille France» soit gardée intacte. C'est la duchesse qui donne le ton en faisant revivre de vieilles façons de s'exprimer,

( ... ) en supprimant l'article et conférant au mot «poison» le genre qu'il avait dans le langage familier du XIX· siècle, ou lorsqu'elle s'ingénie à faire revivre une acception du verbe «rédiger» qui n'existe plus depuis le XV" siècle (arranger, disposer d'une certaine manière) ( ... ) Les émules de la duchesse reproduiront, chacun selon ses capacités, le langage archaïsant d'Oriane (Éliade, 1971, p. 614).

(25)

L'emploi des deux types citatifs suivants, l'italique et les guillemets, promouvoit, dans le Côté de Guermantes, le développement de la dichotomie entre sociolectes aristocrates et bourgeois. Tout en favorisant la transcription d'un phénomène paralinguistique réel et en faisant entendre un discours qui désigne une catégorie sociale, ils permettent, selon M. Grévisse, de signaler un mot sur lequel «on veut

attirer l'attention à cause de son importance» (Grévisse, 1988, p. 99).

Le narrateur proustien détache certains mots de ses personnages dans le but de rappeler leurs compétences linguistiques, de confirmer leur supériorité, soit en détachant un lexème particularisant (ou mot d'esprit) pour le mettre en valeur l'italique' mime alors l'intonation correspondante, soit en encadrant certains lexèmes de guillemets dans le but de les dévaloriser', puisque «un mot entre guillemets est un mot que l'on attribue aux autres, que l'en ne prend pas à charge, un mot extérieur au discours, étranger, ou nouveau, ou vulgaire, bref un mot marqué»

(Catach, 1980, p. 24).

Les guillemets ont toujours, dans le Côté de Guermantes, la valeur d'une précaution; ils permettent à la duchesse ou à

un autre personnage de discréditer5 le parler moyenâgeux du

prince de Guermantes ou le sociolecte bourgeois d'un Bloch, d'un Saint-Loup, etc.' Cette dévalorisation se retrouve principalement dans les répliques de la duchesse de Guermantes

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parce que dans les salons elle occupe le sommet de la hiérarchie et peut d'emblée se permettre de dévaloriser un parler qui y est senti comme étranger. Elle peut imposer ses normes (vocabulaire, comportements verbaux, etc.)', appliquer son veto et infliger ses sanctions, sans qu'aucun n'ose la contredire.

L'extrait qui suit souligne que si la prédominance du sociolecte de la duchesse de Guermantes émane bien sar de sa «situation de reine» (II, p. 784) dans le «monde», elle résulte également de la fascination du narrateur face à sa maîtrise inégalée de la langue, tout en révélant que cette fascination ne va pas sans s'amenuiser. Bien que le narrateur tente de se raccrocher aux lexèmes familiers de la duchesse comme à un mince fil lui permettant de retrouver, par moments, les rêves de son enfance: «Dans ces yeux et dans cette voix je retrouvais beaucoup de la nature de Combray» (II, p. 784), ses commentaires laissent subrepticement filtrer sa déception face

à un langage qui se révèle «limité» et mensonger.

Cet extrait nous permet également de constater que l'apparition de lexèmes ouvertement sociolectaux dans les répliques actorielles, en plus de connoter la qualité des locuteurs, signalent généralement des comportements langagiers implicites autrement intéressants. L'apparition du lexème familier «poison» dans la réplique de la duchesse de Guermantes non seulement déprécie Mme de Gallardon, tout comme l'adjonction du suffixe péjoratif «ette», mais vient étayer

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une stratégie de manipulation du langage de la duchesse de Guermantes, ce qui confirme que

l'exercice d'un pouvoir symbolique s'accompagne touj ours d'un travail sur la forme qui ( ... ) est destiné à attester la ma~trise de l'orateur et à lui acquérir la reconnaissance du groupe (Bourdieu,

1982, p. 74).

[La duchesse qualifie d'horreur le portrait qu'a fait d'elle Elstir.)

«Ce portrait ne doit pas déplaire à Mme de Gallardon, dit le duc.

Parce qu'elle ne s'y conna~t pas en peinture?» demanda la princesse de Parme qui savait que Mme de Guermantes méprisait infiniment sa cousine. «Mais c'est une très bonne femme, n'est-ce pas?» Le duc prit un air d'étonnement profond.

«Mais voyons, Basin, vous ne voyez pas que la princesse se moque de vous (la princesse n'y songeait pas). Elle sait aussi bien que vous que Gallardonnette est une vieille poison'», reprit Mme de Guermantes, dont le vocabulaire, habituellement limité à toutes ces vieilles expressions, était savoureux ( ... ): à l'accent, au choix des mots, on sentait que le fond de la conversation de la duchesse venait directement de Guermantes. Par là, la duchesse différait profondément de son neveu Saint-Loup, envahi par tant d'idées et d'expressions nouvelles; il est difficile, quand on est troublé par les idées de Kant et la nostalgie de Baudelaire, d'écrire le français exquis d'Henri IV, de sorte que la pureté même du langage de la duchesse était un signe de limitation, et qu'en elle l'intelligence et la sensibilité étaient restées fermées à toutes les nouveautés (II, p.

792) .

La précarité de l'insigne de la princesse de Parme se dessine déjà avant même que la duchesse n'intervienne, puisque ses deux actes illocutoires se soldent par un échec. Le silence qui prolonge sa première demande de confirmation infirme son argument, ce que souligne implicitement la présence du «mais» en tête de sa deuxième réplique. Cette

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conjonction marque également la réticence de la princesse de Parme qui n'est pas prête à ce qu'on nie la «bonté» de Mme de Gallardon, comme le suggère la structure assertive de sa question (SVC) et la hausse de ton suscitée par l'adjonction de l'expression «n'est-ce pas?». Elle tente en vain de faire admettre son point de vue au duc afin de lui faire désavouer le sous-entendu de sa litote (la négation du verbe déplaire permet au duc d'insinuer que Mme de Gallardon est malveillante et, ainsi, de «préparer» la «sortie» subséquente de sa femme) , sous-entendu d'autant plus perceptible que le modalisateur «devoir» souligne le j eu du duc. La description du mimo-gestuel - l'air d'étonnement du duc - invalide l'énoncé de la princesse de Parme et confirme, implicitement, la présence antérieure de ce sous-entendu,'

Ce sont cependant les deux interventions subséquentes de la duchesse qui viennent vraiment consacrer les rapports de force en cours et jeter le discrédit sur la princesse de Parme, Tout en annulant l'énoncé de la princesse: «Mme de Gallardon est une très bonne femme», en affirmant au contraire qu'elle est une vraie poison, la stratégie discursive de la duchesse s'avère d'autant plus répressive que son énonciation est ironique et que ses deux répliques, s'adressant a priori

à son mari, visent indirectement la princesse (démultiplication des interlocuteurs),

La duchesse de Guermantes manipule le langage à dessein: la structure de sa première réplique garantit la gradation

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d'une configuration phonostylistique à fonction impressive (mécontentement) qui vise à mettre en évidence le posé «la princesse se moque de vous», c'est-à-dire à exposer au duc ce qu'elle feint de lui reprocher. L'emploi de la conjonction de coordination «mais» signale que la duchesse s'apprête à s' obj ecter à la réaction du duc et renforce le reproche connoté par «voyons». L'interruption provoquée par l'apostrophe vient alors souligner cette intention de la duchesse en assurant le contact avec le duc et accentue la remontrance contenue dans la principale «vous ne voyez pas que». La structure de cette question intonative (SVC) permet

à la duchesse d'insister sur la véracité de son assertion indirecte, alors que les conventions scripturales permettent à Proust d'étayer la prééminence de cet acte indirect sur l'acte direct interrogatif en élidant le point d'interrogation et l'incise correspondante.

Ces efforts déployés par la duchesse pour insister sur la véracité de son affirmation indirecte permettent d'accentuer son incompatibilité avec l'acte préalable de la princesse. Le narrateur se voit dans l'obligation d'intervenir afin de lever cette ambiguïté, puisque les procédés scripturaux s'avèrent impuissants à restituer les nuances prosodiques et. intonatives caractéristiques de l'ironie. En soulignant que la princesse de Parme n'enfreint pas la maxime conversationnelle de qualité - ce qui est cohérent avec le rôle illocutoire qui lui est attribué dans le récit, le narrateur implicite que c'est la

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duchesse qui viole cette maxime en affirmant quelque chose qu'elle sait être faux. Il démasque son ironie. Comme le souligne F. Récanati:

«Pour concilier ici l'énonciation avec les maximes conversationnelles, il faut supposer non pas que le locuteur fait un acte illocutionnaire indirect qui

s'ajoute à. l'acte d'assertion directement accompli, mais qu'il accomplit un acte illocuticnnaire indirect qui se substitue à l'acte direct, celui-ci n'étant accompli qu'en apparence» (Récanati, 1981,

p. 215).

La deuxième réplique de la duchesse de Guermantes relève de la même stratégie. Le ton ascendant que suggère la locution adverbiale «aussi bien que» et l'apparition du lexème familier «poison» viennent décupler la force de l'ironie en soulignant que le duc connaît, lui, cette évidence, et en attestant la maîtrise de la langue de la duchesse.

Ces deux actes de parole de la duchesse sont caractérisés par leur vide pragmatique, dans la mesure où, dans les deux cas, elle:

met en scène [une] assertion et montre, en la produisant dans un contexte qui la réfute d'emblée,

à quel point elle est insoutenable; [elle] exhibe cette assertion, laissant à l'auditeur le soin d'apprécier son ridicule (Récanati, 1981, p. 219).

La duchesse affiche l'absurdité de l'intervention de la princesse de Parme et dévoile les carences cognitives de cette dernière.

Cet exemple permet de mettre au jour l'ampleur de la force et de l'insolence de ce personnage, dont le règne est sans pitié, de même que la constance de son contrôle dialogal:

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elle joue avec la langue pour rappeler sa supériorité interactionnelle. En outre, il nous a permis de mettre à nu la dualité intrinsèque de la parole actorielle proustienne qui est une «parole ambiguê, dit G. Genette, plusieurs fois repliée sur elle-même, qui dit ce qu'elle tait et avoue ce qu'elle nie» (Genette, 1969, p. 291). Nous croyons que cette propriété du langage actoriel proustien est à la base de l'illusion référentielle de ce texte et que, comme l'a postulé G. Lane-Mercier, «malgré le projet de mimétisme discursif formulé au préalable par [l') auteur, ( ... ) les sociolectes proustiens bifurquent de l'''objectivité'' linguistique vers la "subjectivité" connotative du langage indirect» (Lane-Mercier, 1989, p. 47-48) .

Les personnages qui pénètrent dans le monde des Guermantes doivent déployer tous leurs efforts pour adopter les comportements langagiers qui y sont valorisés. Ils peuvent certainement tenter d'imiter le sociolecte archaïsant de la duchesse de Guermantes, mais ils doivent surtout développer des stratégies énonciatives artificieuses s'ils désirent arriver à leurs Eins, c'est-à-dire faire reconnaître leur insigne. L'ignorance des règles du jeu mondain de certains personnages et les stratégies énonciatives développées par d'autres, stratégies de manipulation ou de protection, trahissent leur position dans ce milieu.

Cette reproduction des comportements langagiers indirects justifie la précision avec laquelle Proust s'est attaché à

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combler les déperditions suprasegmentales imposées par les contraintes scripturales, puisque l'inflexion intonative, la prosodie et le mimo-gestuel sont bien souvent les seuls points d'ancrage de la véritable force illocutoire de ces actes. Proust a conféré à la ponctuation la tâche de «ré infuser du paralinguistique dans le dialogal scriptural afin de simuler une couche communicative qui ne saurait recevoir un investissement autre qu'expressif» (Lane-Mercier, 1989, p. 145). Ce mécanisme de suppléance oriente fréquemment la prise en charge du sens littéral par le sens indirect, provoquant une disjonction illocutoire.

Considérons, par exemple, l'extrait suivant:

«- Oriane, dit la princesse de Parme, j'ai eu l'autre jour la visite de votre cousine d'Heudicourt; évidemment c'est une femme d'une intelligence supérieure; c'est une Guermantes, c'est tout dire, mais on dit qu'elle est médisante ... »

Le duc attacha sur sa femme un regard de stupéfaction voulue. Mme de Guermantes se mit à

rire. La princesse finit par s'en apercevoir.

«Mais ... est-ce que vous n'êtes pas ... de mon avis? . .. demanda-t-elle avec inquiétude» (II, p.

775) •

L'examen de cet extrait permet de confirmer qu'un marqueur typographique peut signaler une disjonction

illocutoire, où «le sens connoté par le paraverbal dévie par rapport à celui, littéral, du verbal» (Lane-Mercier, 1989, p. 157). Dans la première réplique de la princesse de Parme, qui désire connaître l'opinion d'Oriane sur Mme d'Heudicourt afin de savoir si elle peut l'inviter au théâtre, l'acte assertif est prolongé de points de suspension qui laissent sourdre la

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teneur de l'acte illocutoire indirect. Afin de ne pas trop exhiber son ignorance, la princesse use d'une stratégie de protection. Elle sollicite indirectement une confirmation qui, toutefois, ne vient pas. Elle doit alors effectuer un réembrayage sur sa propre réplique et réitérer sa demande de confirmation directement. Trois répétitions de points de suspension viennent alors renforcer son hésitation, connotée par la forme interronégative de sa question et révélée par un lexème du discours attributif (inquiétude). Comme l'affirme Andrée Borillo, lorsqu'un locuteur formule une question

interronégative, il:

dévoile ( ... ) sa stratégie dialogale. En effet, lorsqu'il dit non [Pl?, en même temps qu'il formule l'éventualité d'une assertion négative de la part de son interlocuteur, le locuteur signale qu'il n'est pas prêt à la recevoir telle quelle sans explication, argumentation ou justification. La manière interrogative qu'il a d'évoquer cette éventualité indique en quelque sorte qu'elle fait problème pour lui (Borillo, 1979, p. 38).

La princesse de Parme se sert de la négation dans un effort ultime pour contrôler l'orientation du dialogue. Cependant, l'insuccès de ses deux actes et la réaction du duc et de la duchesse - rapportés par le narrateur, révèlent son inaptitude interactionnelle.

Le rapprochement de cet extrait avec le précédent met en évidence le «caractère foncièrement descriptif» du dialogue proustien. Il montre qu'un personnage reproduit fatalement le même comportement discursif, qu'il «échappe rarement à la parole-type actantielle ( ... ) et thématique ( ... ) qui lui a

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été dévolue par la logique textuelle, dont il ne peut que décliner un ensemble de variantes linguistiques et illocutoires tracé d'avance» (Lane-Mercier, 1989, p. 282). Bien que le titre de noblesse de la princesse de Parme soit plus éminent que celui du duc et de la duchesse de Guermantes, chacune de leurs conversations accentue l'assujettissement de la princesse, quel que soit le topique mis en place par cette dernière (toile d'Elstir, médisance de Mme d'Heudicourt, etc. ), et chacune de ses interventions - presque touj ours structurellement identiques - rappellent, par la récurrence de certains phonostylèmes (hésitation, étonnement), par l'exploitation de l'acte de requête indirect et l'échec de ses multiples tentatives d'orientation discursive, son infériorité, qui émane généralement de ses carences compétentielles socioculturelles.'·

L'examen de l'emploi d'un autre marqueur typographique, les parenthèses, nous permet d'entériner à quel point les comportements langagiers du Côté de Guermantes relèvent de la mise en scène. Alors que les parenthèses ont généralement un faible rendement dans le parlé romanesque, «Proust en fait un usage massif: le récit de La Recherche est en permanence commenté» (Milly, 1984, p. 335). L'insertion de paroles actorielles entre parenthèses lui permet de souligner «un changement prosodique important, dO. à l'insertion au sein d'une réplique par ailleurs homogène d'éléments plus ou moins

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étrangers à la fois à son contenu sémantique et à sa force illoc\!toire» (Lane-Mercier, 1989, p. 152).

Dans les répliques actorielles proustiennes, la variation prosodique provoquée par l'intrusion de parenthèses vient appuyer une modification illocutoire participant d'une stratégie énonciative emblématique de la situation du locuteur dans le salon mondain. si cette intrusion peut atténuer la portée de l'acte illocutoire antérieur, signaler que le locuteur tente de protéger son insigne et, conséquemment, attester sa subordination à son interlocuteur, elle peut, en outre, souligner le manège d'un personnage qui manipule le langage afin de mieux annuler la parole de son interlocuteur.

Considérons le passage qui suit:

«- Moi qui n'ai pas l'honneur de faire partie du ministère de l'Instruction publique», répondit le duc avec une feinte humilité mais avec une vanité si profonde que sa bouche ne pouvait s'empêcher de sourire et ses yeux de jeter à

l'assistance des regards pétillants de j oie sous l'ironie desquels rougit le pauvre historien, «moi qui n'ai pas l'honneur de faire partie du ministère de l'Instruction publique, reprit-il en s'écoutant parler, ni du cercle Volney (je ne suis que de l'Union et du Jockey), vous n'êtes pas du Jockey monsieur?» demanda-t-il à l'historien qui, rougissant encore davantage, flairant une insolence et ne la comprenant pas, se mit à trembler de tous ses membres, «moi qui ne dine même pas chez M. Émile Ollivier, j'avoue que je ne connaissais pas mentalité» (II, p. 534).

Dans cet extrait, la répétition de deux phrases identiques, la description du mimo-gestuel et les lexèmes du phonostylistiques à fonction impressive fortement appuyées

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(fausse humilité et vanité). Par cette stratégie, le duc se prépare à annuler la parole de l'historien qui l'a contredit sans en avoir le pouvoir. Le ton bas que laisse supposer l'apparition des parenthèses, la structure syntaxique de la proposition qu'elles encadrent (emploi du modalisateur restrictif «ne ... que») permettent au duc de marquer avec beaucoup plus de force l'effet qu'aura la question rhétorique qui suit. Bien que le duc semble poser une question (utilisation de l'incisp. «demander» et du point d'interrogation), la syntaxe assertive (SVC) de cette proposition et sa forme interronégative révèlent la stratégie dialogale du duc qui oriente la suite du dialogue en anticipant une réponse négative qui nécessairement ne vient jamais. La répétition d'une phrase de même structure que les deux premières incluant «même pas» et l'aveu d'ignorance vidé de sa force pragmatique usuelle finissent d'achever l'historien. Sa parole est annulée et son être est atteint: il ne reparlera plus de tout le récit.

Cet exemple démontre que l'usage des parenthèses dans le dialogal proustien n'est pas moins appréciable que leur usage dans le récit narratoriall l

, où elles servent à encadrer

réflexions, comparaisons, anticipations, retours en arrière, généralisations ou exemples, d'allure souvent accessoire, mais qui s'avèrent quelques pages plus loin, voire un tome plus loin, des indices narratifs précieux. En effet, les intrusions parenthétiques narratoriales, qui abondent dans les dialogues

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proustiens et pourraient être senties comme une rupture, nous semblent autrement intéressantes dans la mesure où, d'une part,

la mimo-gestualité ( ... ) et le suprasegmental ( ... )

[y] reçoivent une inscription dialogale non plus

implicite mais explicite, ( ... ) il s'agit d'importer au sein des chaînes parlées, tantôt de façon oblique, tantôt de façon ostentatoire, des composantes foncièrement non verbales, afin de suggérer (.0.) une épaisseur énonciative «réaliste» dont les couches se trouvent dès lors juxtaposées

(Lane-Mercier, 1989, p. 152-153);

et où, d'autre part, des manipulations narratoriales peuvent fréquemment y survenir.

Analysons et comparons les deux exemples suivants: Je dois dire que ça arrive chez la tante Madeleine (Mme de Villeparisis) qu'on serve des choses en putréfaction, même des oeufs (et comme Mme d'Arpajon se récriait): Mais voyons, Phili, vous le savez aussi bien que moi (II, p. 794).

«- Je crois vous avoir vu chez elle le jour où elle a fait cette sortie à ce M. Bloch (M. de Guermantes, peut-être pour donner à un nom israélite l'air plus étranger, ne prononça pas le

ch de Bloch comme un k, mais comme dans hoch en allemand) qui avait dit de je ne sais plus quel

poite (poète) qu'il était sublime» (II, p. 795).

L'une des intrusions parenthétiques narratoriales du premier extrait souligne les rapports de force qui se jouent entre ces deux personnages dans la mesure où la réaction de Mme d'Arpajon est reléguée entre parenthèses et où le diminutif «Phili» connote moins la familiarité qu'il ne confirme la supériorité de la duchesse et corrobore l'acte de langage qui lui succède. En suggérant que Mme d'Arpajon a menti, la duchesse ne reconnaît pas la position que se

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prévalait d'occuper son interlocutrice et l'exclut de l'acte d'allocution. Loin «d'entraver l'impression de célérité que, pour paraître réaliste, une réplique littéraire doit s'efforcer de reproduire» (Lane-Mercier, 1989, p. 155), cet artifice narratorial favorise au contraire la récupération d'une couche énonciative ironique.

Néanmoins, la plupart des intrusions narratoriales dans le dialogal, malgré leur prétention à la vraisemblance, contreviennent aux «impératifs de lisibilité et [à] ceux de mimésis» (Lane-Mercier, 1989, p. 155). Aussi bien la précision nominale du premier extrait, qui vise à corroborer l'effet de familiarité connoté par «la tante Madeleine», que l'annexion de «(poète)>> dans le deuxième, qui vient accentuer l'effet produit par la superposition de la déformation graphique et de l'italique (poite) , sont superflues en ce sens qu'elles contribuent à corroder la vraisemblance des répliques en confirmant la présence de l'instance narratoriale. De même, la première ingérence narratoriale du deuxième extrait contrevient aux exigences de la vraisemblance et rappelle la subjectivation constante du dialogal proustien. Elle s'étire et oblique vers la caractérisation idéologique du locuteur (le duc n'aime pas les Juifs), d'autant plus imperceptiblement que le narrateur y introduit un modalisateur de doute (peut-être). La présence je telles unités diégétiques dans le dialogue proustien ne devrait pas être prise à la légère en raison de

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la perniciosité de ces ingérences, qui trahissent la présence du système axiologique du narrateur .

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LES ACCIDENTS DE PAROLE

L'importance du nombre de personnages dans le Côté de

Guerman tes et la diversi té de leurs origines - sociales,

ethniques, nationales favorisent la prolifération de dysfonctionnements communicatifs: non-alternance de répliques, interruptions, mauvaise compréhension, etc., qui «s'offrent surtout comme le lieu d' e inscription énigmatique d'une activité communicative non verbale» (Lane-Mercier, 1989, p. 189), puisque les accidents de parole perpétrés par un personnage ne sont jamais dissociables de la position qu'il occupe dans 1 ' univers de discours. Si, dans «l'usage du langage, les interlocuteurs, émetteurs ou récepteurs, se montrent souvent déficients» (Ghinste, 1975, p. 95) et si l'apparition d'un accident de parole suppose qu'une norme n'est pas respectée, il est assez particulier que dans le Côté

de Guermantes un nombre important de ces désordres élocutoires

s'avèrent de fausses déficiences. Plusieurs personnages transgressent volontairement les règles conversationnelles sans pour autant subir de sanctions, bien au contraire. Se dessinent alors les rapports de force et se précise le système de valeurs en vigueur dans ce milieu, où seule une parole qui arrive à ses fins, c'est-à-dire à faire reconnaître l'insigne dont elle est emblématique, est valorisée. Dans l'univers de discours du Côté de Guermantes, que les locuteurs transgressent les normes conversationnelles par ignorance ou

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parce qu'ils choisissent de les ignorer n'est pas du tout indifférent.

L'un des accidents de parole les plus récurrents dans le système dialogal proustien et qui découle de la nature argumentative des répliques actorielles de ce roman" consiste dans le mauvais enchaînement des répliques, à la fois sur le plan du déroulement conversationnel et sur le plan de la syntaxe phrastique. Compte tenu du fait que les présupposés se posent «comme un cadre incontestable oü la conversation doit nécessairement s'inscrire, comme un univers du discours» (Ducrot, 1984, p. 20), un personnage réussissant à contester les présupposés de son interlocuteur affiche sa supériorité interactionnelle: «Ruiner la portée d'une énonciation qui prétend présenter une valeur de complétude, c'est dégrader l'insigne produit comme demande de reconnaissance par le sujet qui formule l'énonciation» (Flahault, 1978, p. 120).

Considérons l'extrait suivant:

«- vous, monsieur», dit Bloch, en se tournant vers M. d'Argencourt à qui on l'avait nommé en même temps que les autres personnes, «vous êtes certainement dreyfusard: à l'étranger tout le monde l'est.

- C'est une affaire qui ne regarde que les Français entre eux, n'est-ce pas?» répondit M. d'Argencourt avec cette insolence particulière qui consiste à prêter à l'interlocuteur une opinion qu'on sait manifestement qu'il ne partage pas, puisqu'il vient d'en émettre une opposée.

Bloch rougit, M. d'Argencourt sourit ( ... ) Pour se rattraper, Bloch se tourna vers le duc de Châtellerault: «vous, Monsieur, qui êtes français, vous savez qu'on est dreyfusard à l'étranger, quoiqu'on prétende qu'en France on ne sait jamais ce qui se passe à l'étranger. Du reste je sais qu'on peut causer avec vous, Saint - Loup me l'a

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dit.» Mais le jeune duc, qui sentait que tout le monde se mettait contre Bloch et qui était lâche comme on l'est souvent dans le monde, usant d'ailleurs d'un esprit précieux et mordant que, par ataviste, il semblait tenir de M. de Charlus: «Excusez-moi, monsieur, de ne pas discuter de Dreyfus avec vous, mais c'est une affaire dont j'ai pour principe de ne parler qu'entre Japhétiques.» Tout le monde sourit, excepté Bloch ( ... ) (II, p. 543 -544) .

Bien que la réplique de M. d'Argencourt maintienne des liens conversationnels avec l'énoncé de Bloch - il parle toujours de l'affaire Dreyfus, elle se révèle problématique dans la mesure où il refuse de reprendre à son compte les présupposés qui soutendent l'énoncé de Bloch. D'une part, si la présence de l'adverbe «certainement» permet d'inférer que Bloch tente de réduire les possibles dialogaux qui s'offrent à son interlocuteur en sollicitant une confirmation positive (le manque de pertinence de l'assertion signale qu'il s'agit d'une requête indirecte) et si poser cet acte équivaut à imposer le dialogue, puisque «la phrase interrogative a cette propriété remarquable d'obliger le destinataire à reprendr!, à son compte telle ou telle proposition qu'on a présupposée dans la question» (Ducrot, 1984, p. 92-93), en refusant de répondre à Bloch, M. d'Argencourt rejette le présupposé pragmatique de son énoncé, dégrade l'insigne dont Bloch s'était prévalu, et son comportement, loin d'être senti comme répréhensible, renforce les rapports de force déjà étayés par l'écart social qui sépare ces deux locuteurs.

D'autre part, en adjoignant l'expression en'est-ce pas?» à une question intonative (rhétorique), à laquelle la seule

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réponse possible: «Oui, l'affaire Dreyfus ne regarde que les Français» ne peut être formulée par Bloch à moins de contredire son propre présupposé, M. d'Argencourt réussit à

sanctionner sa supériorité interactionnelle (confirmée par la description du mimo-gestuel): Bloch n'a d'autre choix que de rester muet.

La parole de Bloch est dévalorisée et «il se trouve dépourvu d'une place et d'un rôle sociaux viables» (Lane-Mercier, 1989, p. 117), parce qu'il ignore les règles de ce milieu, qu'il s'adresse à un personnage à qui il vient d'être «nommé en même temps que les autres personnes». Bloch ne réussit pas à orienter la conversation en raison de son manque de tact, à savoir: «l'art de prendre acte de la position relative de l'émetteur et du récepteur dans la hiérarchie de différentes espèces de capital, ( ... ) et des limites qui se trouvent inscrites dans cette relation» (Bourdieu, 1982, p. 80-81), mais aussi parce qu'il se heurte aux présupposés antisémites de son interlocuteur.

Plutôt que de battre en retraite afin de sauvegarder le peu de dignité qui lui reste, Bloch force la continuation du dialogue en s'adressant au duc de Châtellerault. Comme la continuation d'un dialogue à la suite d'une répudiation de la parole ne peut être fondée que «sur la renégociation de la validité du discours» (Lane-Mercier, 1989, p. 117), Bloch lui demande de confirmer qu'à «l'étranger on est dreyfusard». Bien que Bloch tente de valider son discours en signalant que le

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duc est Français (en réaction à l'annulation précédente) et en invoquant une autorité, Saint-Loup, sur lequel il appuie le présupposé «je peux parler avec VOllS», le duc de Châtellerault refuse de répondre à Bloch en usant d'une stratégie typiquement «Guermantes». Tout en feignant de s'excuser de ne pas répondre, il justifie ce refus en invoquant les origines juives de Bloch par le biais du sous-entendu. La force de l'annulation de la parole de ce dernier est décuplée en raison de l'insincérité des excuses du duc qui rappelle la hiérarchie

en vigueur: «Le faux regret prend place ( ... ) sur le ton de l'ironie» (Dupriez, 1984, p. 208). La production d'un marqueur de position haute par Bloch se solde par un échec, son être même est mis en cause: le jeune duc lui rappelle qu'il ne fait pas partie de leur «clan».

La répudiation de la parole de Bloch par ces deux personnages leur permet de briller, de faire apprécier leur «esprit». Respectivement lâche et étranger, le duc de Châtellerault et M. d'Argencourt adoptent les comportements langagiers valorisés ~ans le monde des Guermantes afin que les personnages détenant le pouvoir dans ce milieu apprécie leur

insigne: «Chacun, pour autant qu'il est pris dans le réseau d' interlocution de la mondanité, est davantage contraint ( ... ) de se rapprocher de ceux dont l'image occupe à ses yeux la place de l'objet» (Flahault, 1978, p. 140).

À la suite de cet échange, la marquise de Villeparisis commet un accident de parole des plus intéressant dans la

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mesure où il se révèle cohérent avec son rôle de directrice de salon (présentation des personnages, ouverture, orientation et clôture des conversations, etc.), et où il lui permet non seulement de révoquer le droit de parole de Bloch, mais de le «remercier». Le comportement de Bloch devenant embarrassant, la ma:'quise de Villeparisis, qui l'avait invité parce qu'elle désirait qu'il écrive une pièce pour l'une de ses matinées, décide de mettre un terme à ses agissements:

Elle voulut donc signaler à Bloch qu'il eat à ne pas revenir et elle trouva tout naturellement dans son répertoire mondain la scène par laquelle une grande dame met quelqu'un à la porte de chez elle, scène qui ne comporte nullement le doigt levé et les yeux flambants qu'on se figure. ( ... ) Les adieux de Bloch, déplissant à peine dans la figure de la marquise un languissant sourire, ne lui arrachèrent pas une parole, et elle ne lui tendit pas la main. Cette scène mit Bloch au comble de l'étonnement, mais comme un cercle de personnes en était témoin alentour, il ne pensa pas qu'elle pat se prolonger sans inconvénients pour lui et, pour forcer la marquise, la main qu'on ne venait pas lui prendre, de lui-même il la tendit. Mme de Villeparisis fut choquée. ( ... ) «Adieu, madame, cria-t-il» (II, p. 545).

L'accident de parole simulé par la marquise vise à

signaler à Bloch que son comportement est injustifiable puisque:

feindre de ne pas avoir entendu relève en effet, affirme G. Lane-Mercier, d'une stratégie dialogale bien précise, dont les motivations peuvent être mul tipIes. ( ... ) il s'agit, en règle générale, d'une man~ere particulière d'annuler la parole d'autrui (Lane-Mercier, 1989, p. 193-194).

Ce manège de la marquise, accentué par la présence de marqueurs non verbaux et paraverbaux de distance sociale (gestes, posture, sommeil simulé, etc.), assure sa supériorité

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interactionnelle, d'autant plus que le comportement de Bloch trahit son ignorance des rêgles du milieu mondain (recours à

la formulation indirecte - souci de politesse, rêgles de préséance ne pas présenter sa main à un personnage supérieur, etc.). L'incise «crier» dévoile l'ampleur de son inadaptation - il ne masque pas ses véritables intentions, tout comme la présence du lexême «adieu» dans sa réplique puisque, comme le souligne S. Durrer: «La présence d'un "adieu" ou d'un "au revoir" au discours direct manifeste plus souvent la rupture brutale que la clôture doucement négociée et agréée par les deux interlocuteurs» (Durrer, 1990, p. 41). La reproduction de cet accident permet de dépeindre le rôle de ces deux personnages (étranger et directrice) et exemplifie le systême de valeurs de ce milieu, où le succês d'un personnage est proportionnel à sa maîtrise de la mise en scêne, de la manipulation des comportements langagiers. «Il va de soi, comme l'affirme G. Genette, que les figures de la rhétorique mondaine, comme toutes les figures, sont des formes déclarées du mensonge, qui se donnent pour telles et attendent d'être déchiffrées selon un code reconnu par les deux parties»

(Genette, 1969, p. 251-252).

L'examen de la transcription proustienne d'un dernier type d'accident de parole, l'auto-interruption, nous semble opportun. Ce désordre élocutoire est généralement signalé par la présence de points de suspension qui prolongent l' inachêvement phrastique et auxquels se suraj oute quelquefois

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une unité méta-discursive. Le silence intradialogal, observable tant dans les répliques de personnages «fortG~ que dans celles de personnages «faibles~, connote toujours, sinon un arrêt plus ou moins subit du dialogue, une variation dans le débit de l'élocution, qui peut, selon P. Larthomas: «marquer l'embarras d'un interlocuteur, l'émotion de tous, l'attente angoissée, l'absence de sympathie ou, le plus souvent, le manque d'imagination et la présence d'esprit,

(

...

) l'émotion d'un personnage ou son impuissance~

(Larthomas, 1972, p. 162), mais également, à notre avis, une manipulation calculée de la part d'un locuteur.

Considérons, par exemple, l'extrait suivant:

«Je vous remercie beaucoup de me recevoir,

Madame~ dit-il [Legrandinl en insistant sur le mot

«beaucoup~; c'est un plaisir d'une qualité tout à fait rare et subtile que vous faites à un vieux solitaire, je vous assure que sa répercussion ...

Il s'arrêta net en m'apercevant (II, p. 498).

Dans cet extrait, l'interruption intradialogale, signalée par les points de suspension, l'inachèvement phrastique et le commentaire narratif, crée un effet de réalisme en simulant une épaisseur situationnelle. Ce procédé romanesque permet à

Proust de récupérer «une certaine densité ( ... ) actionnelle que le parlé écrit est incapable de rendre~ (Lane-Mercier, 1991(a), p. 96), mais il sert surtout à connoter la position de ce locuteur dans le discours. Legrandin, un bourgeois ayant finalement réussi à pénétrer dans le salon de la marquise de Villeparisis, se censure à la vue du narrateur parce que ses propos, «truffés d'épithètes louangeurs:>, contredisent son

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