• Aucun résultat trouvé

Cultiver les conditions idéales de la démocratie : l'affaire Dion-O'Neill, le scandale du gaz naturel et la moralité politique au Québec, 1956-1963

N/A
N/A
Protected

Academic year: 2021

Partager "Cultiver les conditions idéales de la démocratie : l'affaire Dion-O'Neill, le scandale du gaz naturel et la moralité politique au Québec, 1956-1963"

Copied!
165
0
0

Texte intégral

(1)

Cultiver les conditions idéales de la démocratie :

L’affaire Dion-O’Neill, le scandale du gaz naturel et la moralité politique au Québec, 1956-1963

Mémoire

Sarah-Émilie Plante

Maîtrise en histoire

Maître ès arts (M. A.)

Québec, Canada

(2)
(3)

iii Résumé :

Dans le Québec d’après-guerre, les préoccupations morales des opposants au gouvernement de l’Union nationale se cristallisent autour de deux dénonciations virulentes de la corruption politique : celle des mœurs électorales et celle des gouvernants. En 1960, la moralité politique est un enjeu électoral d’importance. Le Parti libéral est élu en promettant de réformer la vie politique. La « guerre au patronage » menée par le gouvernement passe par la condamnation des méthodes administratives utilisées par l’Union nationale. Entre 1956 et 1963, l’opinion publique, puis le gouvernement confèrent une importance grandissante à la responsabilisation des comportements et à la valorisation de la politique. Au fil des débats soulevés, nous voulons étudier les motivations des intervenants et leurs discours tels que rapportés dans la presse. Il en résulte la rencontre de deux visions de la vie dans la Cité, entre un idéal de vertu et la réalité effective de la politique partisane.

(4)
(5)
(6)
(7)

v

Table des matières

Résumé ... iii

Table des matières ... v

Remerciements ... xi

Introduction : Le Québec d’après-guerre : un ordre social et politique menacé de l’intérieur ... 1

Sujet posé ... 3

Problématique et hypothèse ... 6

Historiographie ... 7

Cadre conceptuel ... 12

Sources, méthodes et plan ... 14

Premier chapitre : L’immoralité politique dans la province de Québec. L’affaire Dion-O’Neill et ses suites, août 1956 - janvier 1957 ... 21

1. Évolution des mœurs et des pratiques électorales au Québec ... 23

2. État des lieux de la campagne électorale de l’été 1956 ... 25

3. Fraude et violences lors de la campagne électorale et du vote ... 27

3.1 Interférence du législateur dans l’atteinte d’un idéal : la loi 34 et ses conséquences dans la confection des listes électorales ... 28

3.2 Procédés rhétoriques et diffamation de l’adversaire ... 29

3.3 Violences et fraudes le 20 juin ... 31

4. « Lendemain d’élections », une dénonciation virulente du climat moral politique de la province ... 32

4.1 Un texte pamphlétaire ... 32

4.2 Motivations des auteurs, originalité et continuité du texte ... 35

4.3 Rayonnement et développements à la suite de sa parution ... 38

5. Réflexions et débats autour du texte « Lendemains d’élections » ... 41

5.1 Actualité et pertinence d’un débat sur les mœurs électorales au Québec ... 41

5.2 Réguler les comportements dans l’espace public : une moralité à deux poids, deux mesures, et une formation civique latente ... 45

(8)

vi

5.4 Le rôle des institutions, des partis politiques et des associations dans l’éducation

civique et politique ... 49

Conclusions ... 53

Deuxième chapitre : La corruption du personnel politique et la gestion de l’État. Le scandale du gaz naturel et la fin du gouvernement Duplessis, 1958-1960 ... 55

1. La transaction de la vente du réseau de gaz naturel et les événements entourant sa révélation ... 59

1.1 La genèse d’un scandale : révélations et accusations portées par Le Devoir ... 59

1.2 Évolution des révélations autour du réseau de gaz naturel. Réactions du gouvernement, de l’Opposition et de la presse ... 61

2. Comprendre le scandale du gaz naturel. Étendue, précisions et référents ... 66

3. Rôle des acteurs et leurs motivations ... 70

3.1 Fais ce que dois : Le Devoir ... 70

3.2 Le gouvernement de l’Union nationale : libéralisme conservateur et pratique du patronage ... 74

4. Les conditions d’une saine démocratie ... 77

4.1 Égalité entre les citoyens ? La question du patronage et des pratiques arbitraires de l’Union nationale ... 77

4.2 Une hydre de Lerne domestiquée : la liberté de presse ... 80

5. En guise d’épilogue au scandale du gaz naturel ... 85

Conclusions ... 87

Troisième chapitre : La fabrique de l’électeur et du gouvernant vertueux ? L’élection du 22 juin 1960, le gouvernement Lesage et l’assainissement de la politique provinciale. 1960-1963. ... 91

1. L’élection de l’été 1960, un état des lieux ... 93

2. Un enjeu officieux ? Intégrité du gouvernement et vigilance morale comme moteurs de la campagne ... 96

3. Idéal-type du citoyen, de l’élu et du clergé ... 100

4. « Guerre au patronage et à l’immoralité politique » ... 106

4.1 Changement de disposition face au pouvoir politique : réformes politiques, comportements des citoyens et des députés ... 106

4.2 Centralisation, rationalisation des pratiques administratives et pérennité du patronage 111 5. La commission Salvas ... 114

(9)

vii

5.1 Mandat et portée ... 114

5.2 Première tranche du rapport : les dessous du scandale du gaz naturel ... 115

5.3 Seconde tranche du rapport : un système de versement de commissions ... 119

Conclusions ... 123

Conclusion générale Entre éveil démocratique et délinquance de la classe politique, deux conceptions opposées de la vertu en politique ... 125

Bibliographie ... 131

(10)
(11)
(12)
(13)

ix « […] vous la connaissez, la pourriture. La vieille politique, les élections sales, la grosse piastre et la petite pègre. […] Vous-même, quand vous étiez au Devoir, vous avez regardé passer le train et peut-être dénoncé un scandale ou deux, mais ça, c’était avant de vous retrouver de l’autre côté de la clôture. » Louis HAMELIN, La constellation du lynx « Je songe donc au jour où, la morale étant bien gardée, nous pourrons avec autorité demander le respect des lois. Car la véritable moralité politique réside dans le respect des lois, sans lequel il est inutile de parler de conscience et de démocratie. » Georges-Émile LAPALME,Pour une politique

(14)
(15)
(16)

xi Remerciements :

Au fil des heures heureuses et plus difficiles qui ont jalonné mon parcours à la maîtrise, plusieurs personnes m’ont offert leur soutien sans lequel je n’aurais pu terminer. Mes premières pensées vont à mes parents pour leurs encouragements, en dépit de mon chemin si différent du leur. Martin Pâquet a tenu une place déterminante dans ce projet. Depuis que je travaille avec lui, il a multiplié les rôles, en étant à la fois directeur de recherche, mentor et conseiller. J’exprime aussi une grande reconnaissance à Jean-Philippe Warren, pour son support et sa confiance indéfectibles. Merci, encore, à Mme Brigitte Caulier pour ses judicieux conseils pour la version finale de ce mémoire.

Amis, amies et collègues ont également joué un rôle primordial. Je remercie mon voisin de bureau et collègue Jules Racine Saint-Jacques. Tu as toute ma gratitude pour nos échanges, ton regard critique, et surtout les bons conseils passés et à venir. Merci aussi à la pétillante Anne-Sophie Fournier-Plamondon pour sa bonne humeur contagieuse et tous les thés pris ensemble dans son bureau.

Je pense aussi à mon excellent ami David Jolin. Alors que nous franchissions les mêmes étapes dans nos recherches respectives, notre guerre à la procrastination nous a emmenés à visiter tous les cafés de Québec. À mes complices Mélissa D’Auteuil, Christine Rousseau, Andréanne Cantin et Joëlle Rheault, pour leur présence, leur amitié indéfectible et leur patience quand elles ont relu mes articles et communications. Au moment de soumettre ce mémoire pour évaluation terminale, mes pensées toutes entières sont dirigées vers mon meilleur ami Paul-Antoine Cardin. Puisses-tu trouver le courage de passer au travers toutes ces épreuves.

J’ai eu le plaisir de côtoyer à différentes occasions les évaluateurs de mon mémoire. Je tiens à les remercier pour leurs commentaires sur ce manuscrit encore à peaufiner. Merci finalement à la Chaire de recherche sur les institutions parlementaires et la démocratie de l’Université Laval pour sa reconnaissance et son soutien financier.

(17)
(18)
(19)

1

Introduction

Le Québec d’après-guerre : un ordre social et politique menacé de

l’intérieur

L’implication du Québec et du Canada dans la Seconde Guerre mondiale chamboule profondément la société. L’effort de guerre a pour effet d’accentuer et d’accélérer des mutations déjà à l’œuvre : il affecte un ordre social et moral déjà fragilisé par les bouleversements des années 1920 et le lent effritement des valeurs victoriennes1. Des femmes et des jeunes affluent en grand nombre vers les villes pour travailler dans les usines d’armement. Le contexte exceptionnel du front intérieur met en contact ces jeunes, hommes et femmes, civils et militaires, en dehors de l’encadrement moral connu en temps de paix. De telles sociabilités potentiellement dangereuses pour la morale de l’époque ont pour toile de fond la ville et ses nombreux divertissements. Elle offre aux citadins cabarets-spectacles, débits de boisson, maisons de jeux et de paris, littérature obscène et prostitution. Pour fleurir, maisons de jeu et de passe profitent d’une tolérance voire d’une certaine complicité des autorités municipales ou provinciales2. Tolérance peut-être immorale, mais fort lucrative pour la Ville qui profite des retombées économiques de cette industrie. Pour ses contempteurs, avec sa réputation de « ville ouverte », Montréal incarne tous les périls de la modernité urbaine.

Au Québec, la guerre accroît le décalage déjà existant entre l’idéal social urbain du clergé catholique et la réalité3. L’instabilité engendrée par les problèmes sociaux et les nombreuses transformations subies par la société sont des réalités angoissantes pour les tenants de l’ordre social. Ces nouveaux phénomènes se conjuguent à des peurs déjà présentes, dont l’amplification crée une panique morale (moral panic), qui pousse à la régulation et au contrôle des comportements individuels4. Après le hiatus de la Crise, la prospérité économique voit la reprise en force de croisades de moralité en Amérique du Nord. Aux États-Unis, des ligues de moralité et l’État interviennent pour conserver un

1 Suzanne MORTON, At Odds, Gambling and Canadians 1919-1969, Toronto, University of Toronto Press,

2003, p. 13.

2 Magaly BRODEUR, Vice et corruption à Montréal, 1892-1970, Québec, Presses de l’Université du Québec,

2011, p. 30.

3 Jean HAMELIN, Histoire du catholicisme québécois, vol. 3 : Le XXe siècle, t. 2 : de 1940 à nos jours, Nive

VOISINE, dir., Montréal, Boréal Express, 1984, p. 26.

(20)

2

certain ordre social. Au Québec, ce combat contre l’alcoolisme, l’indigence, la prostitution et le jeu est mené par l’Église, grâce au soutien actif des laïcs et des médias écrits. En dehors du « vice commercialisé », la régulation touche également la mode féminine, le cinéma, le théâtre, la littérature et la sexualité. Par l’importance de sa population et de son

Red Light, Montréal est l’épicentre des campagnes de moralité, qui débutent dès 1940 avec

la lutte contre la prostitution, de plus en plus visible en ville. La délinquance des autorités subit aussi un examen, comme le rappelle le passage rapide de la commission Cannon de 1944 sur les agissements de la police municipale et de la police des liqueurs dans la métropole. L’exemple le plus éclatant de ce moralisme d’après-guerre est la croisade civique de Pacifique « Pax » Plante et du Comité de moralité publique à Montréal. Par ses articles dans le journal Le Devoir, l’avocat expose à ses lecteurs métropolitains la réalité du « règne de la pègre » dans leur ville. La sortie publique de l’ancien chef de l’escouade de moralité de la police municipale galvanise plusieurs citoyens, qui réclament une enquête sur les allégations de P. Plante. Instituée grâce à la mobilisation civique, l’enquête Caron documente entre 1950 et 1954 la collusion entre les politiciens, la police et le crime organisé.

Les élections municipales de 1954 portent au pouvoir la Ligue d’action civique et son chef Jean Drapeau avec le mandat de « nettoyer la ville ». Le célèbre Red light montréalais passe sous le scalpel de l’assainissement moral : il est rasé de la carte en 1957. Les croisades de moralité montréalaises se développent sous l’impulsion du Comité de moralité publique, avatar des comités civiques contre le crime qui agissent alors aux États-Unis5. Tout au cours de la décennie 1950, son influence sur la société montréalaise et québécoise et ses dirigeants est non négligeable6. Cette rencontre entre morale et politique est palpable dans les deux grands principes dirigeant l’action du Comité de moralité publique : la défense de la morale et des institutions démocratiques. L’une et l’autre sont indissociables dans ce contexte puisque les vices et la corruption sont autant de menaces qui guettent la

5 Mathieu LAPOINTE, Le Comité de moralité publique, l’enquête Caron et les campagnes de moralité publique

à Montréal, 1940-1954, thèse de doctorat (Ph. D), Toronto, Université York, 2010, p. 20.

6 François DAVID, « Le Comité de moralité publique de Montréal », Cultures du Canada français, vol. 8, no.

(21)

3 démocratie. L’affaiblissement de cette dernière par l’immoralité la rend plus vulnérable au péril communiste, alors ultime menace à l’ordre chrétien.

Sujet posé

La morale, comme connaissance du bien et du mal, touche l’ensemble de la société ; aussi peut-elle s’appliquer à l’analyse des comportements politiques. D’ailleurs, comme le souligne l’historien Mathieu Lapointe, la moralité publique n’est-elle pas une notion à plusieurs dimensions, englobant à la fois l’espace public, le public lui-même, mais aussi l’État et ses acteurs7 ? Les comportements des gouvernants et des électeurs, passés sous la loupe moraliste, prennent une autre dimension. L’exercice d’une charge publique est affaire grave, car elle touche directement le bien-être de la communauté politique. Des lois et des normes encadrent et dirigent les élus, mais la corruption et la fraude sont des phénomènes récurrents dans l’histoire des régimes politiques nord-américains et européens. Partis politiques et politiciens s’accusent mutuellement de profiter de leur passage au pouvoir pour s’enrichir aux dépens du public. L’immoralité des gouvernants défraie sporadiquement la chronique au Québec comme au Canada. Elle parvient jusqu’au public grâce aux journalistes et à l’opposition au gouvernement. Lorsque les questions de moralité et d’intégrité sont à l’ordre du jour, la délinquance des élus sème l’émoi, parfois au point de faire et défaire les gouvernements8.

Entre 1950 et 1960, les préoccupations de moralité politique sont réactualisées avec force. À la suite du mandat libéral d’Adélard Godbout durant la guerre, de 1940 à 1944, les années 1945-1960 connaissent une stabilité politique continue avec la majorité de l’Union nationale à l’Assemblée législative. L’opposition au gouvernement se constitue lentement, puis se consolide lors des événements de la grève d’Asbestos de 1949. Cette opposition se vit principalement hors les murs du Parlement. Le Parti libéral, réduit à une minorité parlementaire presque impuissante, ne récolte pas un appui enthousiaste parmi les intellectuels. Le fossé entre le gouvernement et ses adversaires s’accentue par la suite, ces

7 Mathieu LAPOINTE, op.cit., p. 22.

8 Le scandale de la Baie des Chaleurs coûte à Honoré Mercier son gouvernement provincial en 1891. Un autre

accable le ministère libéral de Louis-Alexandre Taschereau qui démissionne en 1936, sous le poids de

révélations de corruption et de népotisme. Jeffrey SIMPSON, Spoils of Power, Politics of Patronage, Toronto,

(22)

4

derniers offrant à l’Union nationale une résistance de plus en plus articulée9. La rupture semble nettement consommée lors des polémiques suivant l’élection provinciale de 1956 jusqu’au décès de Duplessis en 1959. Entre ces deux moments, l’image du gouvernement se ternit considérablement sous le coup de virulentes dénonciations morales.

Le journal Le Devoir est à la fois carrefour et véhicule des préoccupations à l’égard de l’immoralité des mœurs, sociales et politiques, dans la ville de Montréal ou dans la Province de Québec10. Avec une force sans cesse accrue au fil des années 1950, il critique les politiques du gouvernement Duplessis. Dans ses pages il révèle avec fracas l’immoralité politique dans la province de Québec. Le premier débat prend forme au lendemain de l’élection générale de 1956, et concerne les mœurs électorales. Depuis le début du XIXe siècle, la lutte des partis politiques pour le pouvoir fait des élections une entreprise d’intérêts concurrents. Leur affrontement entache de violence et de fraude le processus11. Les techniques illégales permettant d’obtenir davantage de voix évoluent et se perfectionnent au fil du temps, que le personnel politique des différents partis politiques s’approprie tour à tour. Un point culminant semble être atteint lors de l’élection de l’été 1956 où leur emploi est plus systématique et soutenu grâce aux importantes ressources allouées par l’Union nationale12.

Au fait de ces pratiques sur lesquelles il ferme les yeux, le public est confronté à leur incongruité dans un pamphlet de deux abbés et professeurs à l’Université Laval, Gérard Dion et Louis O’Neill. Dans leur texte « Lendemain d’élections », ils dressent un état alarmant des mœurs électorales. Les pratiques frauduleuses portent une atteinte grave au sens moral de la province – ne serait-ce qu’en vertu du respect de la vérité de la morale chrétienne – et elles compromettent aussi son avenir en tant qu’État politique. Les deux abbés plaident pour un assainissement des mœurs politiques. Diffusée à grande échelle dans la presse à l’instigation du Devoir, leur étude crée de profonds remous. Pendant quelques

9 Ibid., p. 374.

10 André-J. BÉLANGER, « Les idéologies politiques dans les années 50 », Jean-François LÉONARD, dir.,

Georges-Émile Lapalme, Québec, Presses de l’Université du Québec, 1988, p. 131.

11 Jean HAMELIN et Marcel HAMELIN, Les mœurs électorales dans le Québec, de 1792 à nos jours, Montréal,

Éditions du Jour, 1962, p. 40.

12 Alain LAVIGNE, Duplessis, pièce manquante d’une légende. L’invention du marketing politique, Québec,

(23)

5 mois, « l’affaire Dion-O’Neill » fait couler beaucoup d’encre, tant chez les détracteurs que les partisans du brûlot13.

Le Devoir intervient de nouveau en juin 1958 en révélant un scandale énorme. À la

suite d’une enquête fouillée14, le journaliste Pierre Laporte étale à la une du journal la collusion de ministres, de fonctionnaires et de conseillers législatifs dans la vente du réseau de gaz naturel public à une compagnie privée, dont ils détiennent des intérêts. Le « scandale du gaz naturel » remet à l’avant-plan la question de la régulation des comportements en politique, mais cette fois pour s’attarder au personnel politique. Une fois au pouvoir, soutient le Devoir, les élus doivent faire l’objet de surveillance constante, pour que seule la poursuite du bien commun aiguille leurs actions. Les demandes d’enquête publique et de démissions se succèdent, sans toutefois que le premier ministre n’obtempère. Il oppose à ces demandes des poursuites judiciaires pour diffamation contre le Devoir. Ce procédé d’évitement nuit à la crédibilité du gouvernement, heurté par des révélations difficiles à réfuter. Le nouveau chef libéral, Jean Lesage, saisit cette chance pour mousser son entrée sur la scène politique provinciale. Il profite de plusieurs tribunes pour faire connaître et dénoncer le scandale du gaz naturel, de même qu’il promet à ses auditeurs une enquête sur le dossier, s’il est élu.

Produits d’une période de sensibilité exacerbée face aux déviances, ces deux affaires l’alimentent également. Elles révèlent un changement de disposition par rapport à certaines normes dans la régulation des comportements politiques. La mort de Duplessis en septembre 1959 et l’éphémère passage au pouvoir de Paul Sauvé accélèrent cette transition. L’assainissement des mœurs politiques prend une importance telle qu’elle devient un des principaux enjeux de l’élection de l’été 1960. Le programme libéral contient plusieurs mesures pour réformer les institutions politiques de la province. Après le scrutin du 22 juin, les préoccupations morales dépassent le simple cadre des critiques sur la place publique

13 « Lendemains d’élection » des abbés Dion et O’Neill est intimement lié au débat étudié au premier chapitre.

Je réfère parfois à ce texte avec les termes « brûlots » et « pamphlets », qui sont choisis ici à dessein de souligner la charge polémique et critique du texte.

14 Jean-Charles PANNETON, « La presse écrite : Pierre Laporte, une figure singulière du journalisme sous

Duplessis », Lucia FERRETTI et Xavier GÉLINAS, dir., Duplessis, son milieu, son époque, Québec, Septentrion,

(24)

6

pour devenir impératif d’État. Ainsi, lors des débuts de la Révolution tranquille, plusieurs changements s’opèrent : certaines lois sont appliquées dans leur pleine rigueur, des organes de contrôle et de vérification sont créés ou remis sur leurs rails, et des pratiques de gestion plus transparentes sont instaurées15. La clé de voûte de ces politiques est la compréhension profonde de la corruption de l’Union Nationale et sa condamnation. La commission Salvas est mise sur pied en octobre 1960, à cette fin. Le gouvernement Lesage lui attribue le double mandat d’enquêter sur le système de distribution de commissions au gouvernement entre 1955 et 1960, ainsi que de fouiller de fond en comble la transaction du gaz naturel16. Les deux rapports du juge Salvas et de ses collaborateurs sont rendus publics en juin 1962 et en juillet 1963. Les commissaires proposent de resserrer les lois consacrant le principe d’indépendance du législateur et sa responsabilité face à ses actes. Chose jusqu’alors inédite, le gouvernement donne suite aux recommandations du rapport et poursuit les personnages politiques impliqués. Malgré tout, Lesage tempère son élan et soumet les accusés à des peines adoucies. Lors du retour au pouvoir de l’Union nationale en 1966, les accusations imputées en période libérale tombent finalement. L’expérience de la commission, en fin de compte, donne des résultats qui sont plus ou moins éloignés des intentions initiales de ses instigateurs.

Problématique et hypothèse

Comment arrive-t-on à cultiver les conditions idéales pour l’épanouissement de la démocratie ? La moralité des acteurs politiques transcende les événements et les discours à l’étude. Différentes propositions quant à la manière dont devrait être menée une vie juste et bonne dans la Cité sont élaborées dans les débats. Plusieurs raisons expliquent le choix d’étudier l’évolution de telles préoccupations entre l’affaire Dion-O’Neill de 1956 et les rapports de la Commission Salvas en 1962-1963. En premier lieu, un processus se dégage du cours de ces événements. Dans un premier temps, des préoccupations morales prennent corps dans les dénonciations, qui engendrent à leur tour un débat polémique. Puis, dans un deuxième temps, l’État donne suite à ces critiques par son intervention. Son action

15 Dale C. THOMSON, Jean Lesage et la Révolution tranquille, Saint-Laurent, Trécarré, 1984, p. 116.

16 Michel LÉVESQUE, « Il y a 50 ans, la commission Salvas, une enquête sur le gouvernement de Duplessis »,

Le Devoir, 29 octobre 2011, (en ligne), http://www.ledevoir.com/politique/quebec/334754/il-y-a-50-ans-la-commission-salvas-une-enquete-sur-le-gouvernement-de-duplessis , consulté le 6 octobre 2014.

(25)

7 concertée a également comme objectif de rétablir sa légitimité, abîmée par la perte de confiance d’une partie des citoyens. Évidemment, le resserrement des lois et le contrôle de la délinquance des gouvernants par l’État ne sont pas pleinement réalisés à la suite des actions du gouvernement Lesage, qui offre à certains chapitres des résultats mitigés. La commission Salvas est un point d’arrêt opportun permettant d’observer les conséquences et les développements de ce changement dans l’ordre des valeurs de la vie politique. De plus, la commission documente plus largement l’attitude face à la politique cultivée par l’Union nationale, tant critiquée dans les prises de parole de 1956 et 1958. Cette balise cimente également la cohérence de l’étude, en tirant un trait a posteriori sur seize ans de duplessisme.

Historiographie

Le sujet ainsi délimité concerne les comportements des citoyens et des gouvernants dans la poursuite de la vie bonne dans la Cité. Ces manifestations tangibles de la vie politique soumises à l’étude ancrent la présente recherche dans le domaine de la politique.

Le politique, quant à lui, transcende et se distingue de cette notion, car il regroupe tous « les

rapports au pouvoir de la société17 ». La présente recherche s’inscrit principalement dans le champ de l’histoire politique. Elle s’y attache au sens plus strict, car elle touche directement aux institutions démocratiques, aux grands partis politiques et à la vie parlementaire. Une part enviable de l’historiographie politique est consacrée à Maurice Duplessis et à l’Union nationale. Le premier ministre de 1936 à 1939 et de 1944 à 1959 est indissociable du Québec d’après-guerre qu’il a fortement influencé. L’interprétation de cette période a connu – et connaît toujours – des changements considérables.

Lors des grandes refontes étatiques du gouvernement Lesage entre 1960 et 1966, période dite de la Révolution tranquille, un changement de garde majeur s’opère. Occupant dorénavant des positions centrales dans la société canadienne et québécoise18, les opposants à l’ancien régime, tels que Pierre Elliott Trudeau et Georges Pelletier, donnent le ton aux premières rétrospectives de l’époque de Duplessis par leurs écrits engagés. Leurs idées se

17 Réal BÉLANGER, « Pour un retour à l’histoire politique », Revue d’histoire de l’Amérique française, vol. 51,

no. 2 (1997), p. 226.

18 Charles-Philippe COURTOIS, « Cité libre, Duplessis et une vision tronquée du Québec », Lucia FERRETTI et

(26)

8

cristallisent autour d’une interprétation opposant le Québec de la « Grande noirceur », période conservatrice et étouffante, à celui qui naît en 1960, année zéro de la modernité.

Cette interprétation est à l’opposé de celle des partisans de l’Union nationale et tenants d’une vision conservatrice, dont les voix se font de nouveau entendre dans les années 1970. En réponse à ces témoignages critiques, Duplessis fait l’objet d’ouvrages biographiques élogieux à saveur anecdotique. Conrad Black et Robert Rumilly lui consacrent des titres volumineux, qui défendent le caractère moderne et innovateur des politiques de Duplessis19. Cette disparité d’interprétation soutient l’appel à la nuance lancé par l’historien Xavier Gélinas. Entre la Grande noirceur absolue et la légende rose de Duplessis, il nous rappelle que le régime a sans doute compté des avantages, pour avoir perduré pendant dix-huit ans20.

À partir des années 1980, les historiens approchent différemment la période duplessiste. Une école révisionniste souligne le caractère « normal » du Québec en mettant sa trajectoire en parallèle de celle des autres sociétés nord-américaines. Les tenants de cette pensée voient dans la présence d’un État, d’un système parlementaire et d’une économie de marché les caractéristiques d’une société moderne. Cette lecture conteste la vision caricaturale d’un Québec « archaïque » et « conservateur » sous la houlette de Duplessis et de l’Église21. Ainsi, Gérard Boismenu offre dès 1981 une lecture inédite de la période duplessiste. Il décrit l’alliance de classe duplessiste entre la petite bourgeoisie canadienne-française, le clergé et les agriculteurs avec comme toile de fond la tertiarisation de l’économie capitaliste. Les sociologues Gilles Bourque, Jules Duchastel et Jacques Beauchemin proposent une interprétation nuancée du caractère « traditionaliste ». Par leur analyse de la société libérale duplessiste, ils situent les discours politiques du premier ministre entre libéralisme économique et apologie de la vie rurale et agricole. En 1996 et en 2009, deux grands colloques consacrés au duplessisme contribuent à mettre en relief ses zones d’ombre

19 Robert RUMILLY, Maurice Duplessis et son temps, Montréal, Fides, 1973, 2 volumes. Conrad BLACK,

Duplessis, Montréal, Éditions de l’Homme, 1977, 2 volumes. Pierre Laporte, Le vrai visage de Duplessis, Montréal, Éditions de l’Homme, 1962, 140 p.

20 Xavier GÉLINAS, « Duplessis et ses historiens, d’hier à demain », Lucia FERRETTI et Xavier GÉLINAS, dir.,

Duplessis, son milieu, son époque, Québec, Septentrion, 2010, p. 21.

(27)

9 et de lumière : les différents acteurs, les idéologies progressistes et conservatrices, les lieux de résistance, mais aussi le rapport ambigu entretenu par la société québécoise à cette période22.

Les études du « para-duplessisme », pour reprendre l’expression de Xavier Gélinas, perfectionnent la connaissance de l’époque en l’élargissant au-delà du gouvernement et des rapports qu’il entretient avec la société. De telles études s’attardent aux institutions, aux individus, aux mouvements et aux idées contemporaines qui composent la société d’alors. Par exemple, les historiens Louise Bienvenue et Michael Gauvreau soulignent l’apport de l’action catholique spécialisée, qui infuse des valeurs progressistes et civiques, adaptées au milieu urbain chez de jeunes laïcs dans les années 1930 et 194023. Leurs études contribuent à la meilleure compréhension des dynamiques à l’œuvre dans les années Duplessis, en étudiant les lieux et les artisans de réflexions critiques sur la politique ; elles éclairent d’un angle nouveau les pratiques politiques et l’engagement civique du Québec des années 1950.

La critique politique existe à cette époque, bien que marginalisée par l’ordre établi. Le politologue Léon Dion montre le décalage entre les représentations des intellectuels québécois et leur société dont ils critiquent les tares. Les grands écrits politiques de ces intellectuels nous parviennent par des anthologies commentées qui témoignent de la vivacité de la vie intellectuelle et de la nature des réflexions sur la société et la politique d’alors24. Mémoires et témoignages de personnages politiques contribuent à compléter notre connaissance de l’époque et des acteurs à l’étude. Certains rendent un témoignage plutôt amer, tels Georges-Émile Lapalme, ou présentent les combats menés d’un ton franc

22 Gérard BOISMENU, Le duplessisme, politique économique et rapports de force, 1944-1960, Montréal,

Presses de l’Université de Montréal, 1981, 432 p. ; Jacques BEAUCHEMIN, Gilles BOURQUE et Jules

Duchastel, La société libérale duplessiste, Montréal, Presses de l’Université de Montréal, 1994, 435 p. Aussi, Alain-G. GAGNON et Michel SARRA-BOURNET (dir.), Duplessis : Entre la Grande Noirceur et la société libérale, Montréal, Québec Amérique, 1997, 396 p.

23 Michael GAUVREAU, Les origines catholiques de la Révolution tranquille, Montréal, Fides, 2008, 457 p. ;

Louise BIENVENUE, Quand la jeunesse entre en scène, l’Action catholique avant la Révolution tranquille,

Montréal, Boréal, 2003, 271 p.

24 André J. BÉLANGER, Ruptures et constantes : quatre idéologies du Québec en éclatement, La Relève, la

JEC, Cité libre et Parti Pris, Montréal, Hurtubise, 1977, 219 p. ; À la hache et au scalpel, cinquante éditoriaux pour comprendre Le Devoir sous Gérard Filion, Michel LÉVESQUE éd., Québec, Septentrion, 2010, 439 p. ;

Léon DION, Québec 1945-2000, tome II : Les intellectuels et le temps de Duplessis, Québec, Presses de l’Université Laval, 1987, 452 p.

(28)

10

et avec une pointe d’humour, comme Gérard Filion. Se penchant sur cette période des décennies plus tard, les acteurs en rendent un bilan nuancé, à l’instar de Louis O’Neill, ou rancunier, tel Jacques Hébert et son vitriolique Duplessis, non merci! qui conteste toute réhabilitation de l’époque25.

Les pratiques politiques, dans leurs dimensions électorale et administrative, concernent les pratiques officielles, mais englobent également leur contournement par les pratiques informelles, facette qui concerne plus particulièrement ce mémoire. Ces dernières, dont le patronage et le népotisme, sont dénoncées de plus en plus au fil de l’après-guerre. Les intellectuels québécois déplorent à de maintes reprises l’influence d’intérêts privés et personnels sur la charge publique des gouvernants. Ces influences se déclinent sous plusieurs formes, dont la corruption, définie ici dans son sens large avec la proposition de l’historien Frédéric Monier : « l’abus d’une position publique à des fins privées et intéressées26 ». Cette définition inclut des pratiques qui ne sont pas illégales au sens strict, mais qui contournent la loi ou s’immiscent entre ses mailles. Le patronage est une pratique informelle qui peut opérer dans les marges de la loi, sans être strictement illégale. Il sert, entre autres, à affirmer l’ascendant d’un groupe dans la communauté. L’étude de Jean-Pierre Wallot et Gilles Paquet analysait les enjeux autour de la liste civile aux XVIIIe et XIXe siècles. Les réseaux de clientélisme autour des élites bas-canadiennes constituaient « un nœud complexe de relations entre ceux qui usent de leur influence, de leur position sociale ou de quelque attribut pour en protéger d’autres, et par ailleurs ceux qui bénéficient de leur aide27 ».

Le journaliste Jeffrey Simpson présente l’étendue du patronage dans la culture politique canadienne fédérale et provinciale. Malgré l’idée répandue par les critiques de la politique

25 Georges-Émile LAPALME, Mémoires, Montréal, Leméac, 1969-1973, tome I : le bruit des choses réveillées,

tome II : le vent de l’oubli, tome III : le paradis du pouvoir ; Gérard FILION, Fais ce que peux, en guise de

mémoires, Montréal, Boréal, 1989, 381p. ; Louis O’NEILL, Les trains qui passent, propos et souvenirs d’un citoyen libre, Montréal, Fides, 2003, 240 p. ; Jacques HÉBERT, Duplessis, non merci!, Montréal, Boréal, 2000, 205 p.

26 Frédéric MONIER, op.cit., p. 16.

27 Gilles PAQUET, Jean-Pierre WALLOT, Patronage et pouvoir dans le Bas-Canada, 1794-1812, un essai

(29)

11 québécoise, le patronage n’est pas un phénomène exclusivement québécois28. Au contraire, les réseaux de clientélisme ont consolidé au XIXe plusieurs intérêts politiques et financiers, autour des réseaux routiers et ferroviaires canadiens. Le patronage québécois est mieux connu grâce aux travaux du politologue Vincent Lemieux. À partir de témoignages d’anciens ministres et députés et de données statistiques, Lemieux et son collaborateur Normand Hudon établissent la nature du patronage québécois, son articulation et sa perception par les libéraux et les unionistes. Considérant une plus longue durée dans la culture politique québécoise, le politologue Ralph Heintzman souligne pour sa part l’importance cruciale des années Lesage dans le rapport entretenu au pouvoir et au patronage29.

Le spectre de l’immoralité politique a également une dimension électorale. Les historiens Jean Hamelin et Marcel Hamelin apportent une première vue d’ensemble sur les mœurs électorales au Québec entre le XVIIIe siècle et le milieu du XXe siècle. Étude des journaux à l’appui, ils explorent les comportements violents et frauduleux, mais aussi leur critique30. Publiée alors que la loi électorale était en refonte, leur étude appelait à une épuration des mœurs et un contrôle accru des stratégies électorales. Si la législation électorale et son évolution sont bien connues, on ne peut en dire autant des mœurs électorales, hormis l’étude des Hamelin. Il s’agit ici d’éclairer en partie ce champ avec l’étude comparée des élections de 1956 et de 1960.

L’analyse de la corruption politique et de la culture politique québécoise gagnent à être davantage creusées sous l’angle de la moralité et avec une perspective historique. Les comportements et leur régulation par la morale, la loi ou des normes intéressent déjà les historiennes et historiens. La déviance s’exprime notamment par le rapport houleux des Canadiens entre les jeux de pari et de hasard, sujet exploité par Suzanne Morton. L’intérêt des historiens se manifeste aussi par l’étude de la prostitution et de la propagation des maladies vénériennes à Montréal et au Québec. La métropole interlope est de mieux en

28 Jeffrey SIMPSON, Spoils of Power, Politics of Patronage, Toronto, Collins, 1984, 413 p.

29 Ralph HEINTZMAN, « The Political Culture of Quebec, 1840-1960 », Canadian Journal of Political

Science/Revue canadienne de science politique, vol. 16, no. 1 (1983), p. 9.

30 Jean HAMELIN et Marcel HAMELIN, Les mœurs électorales dans le Québec, de 1791 à nos jours, Montréal,

(30)

12

mieux connue, grâce aux travaux de Magaly Brodeur sur les maisons de jeu, et à l’éclairage fourni par Mathieu Lapointe sur le Comité de moralité publique31. Une lacune dans la littérature subsiste cependant lorsque cette sensibilité morale d’après-guerre pose son regard sur la politique. C’est en partie cette lacune que notre mémoire souhaite combler, en étudiant la rencontre du faisceau moral avec les comportements et les mœurs de la sphère politique. La critique des tenants d’une certaine morale contribue à la création d’un idéal de vertu politique, qui s’érige en contrepoids à la corruption décriée.

Cadre conceptuel

Les scandales politiques, comme ceux ici retenus, permettent d’étudier ces motivations. Ils sont des archétypes de pratiques courantes révélées au grand public32. Lorsqu’ils parviennent à émerger véritablement dans l’espace public sans faire l’objet d’un quelconque étouffement33, ils sèment l’émoi, car ils dénoncent l’usage de pratiques proscrites ou litigieuses. La corruption des élus renvoie à une forme de jugement politique sur les pratiques de l’autorité. Les scandales ne sont pas que de simples miroirs des valeurs d’une société, mais ils jouent aussi un rôle de catalyseur. Ils peuvent activer un processus d’évolution, qui parfois aboutit à une intervention de l’État.

Il importe de mentionner que le champ lexical relié aux scandales, controverses, affaires, polémiques est utilisé de manière floue et plurivoque. Dans les discours des années 1950 et 1960 ici à l’étude, les termes « scandale » et « affaire » sont utilisés sans distinction. Pour le spécialiste en éthique Yves Boisvert, il y a une différence de degré entre ces termes. Si tous deux désignent la manifestation d’une indignation, seul le scandale se conclut par une forme de condamnation. La défaite du ministère de l’Union nationale en 1960 tient partiellement à sa réputation entachée, mais elle ne se réduit pas à cette seule explication. Les accusations de corruption des électeurs et des élus sont toutes deux graves, mais entraînent des conséquences différentes. La dénonciation des mœurs électorales de

31 Suzanne MORTON, At Odds, Gambling and Canadians 1919-1969, Toronto, University of Toronto Press,

2003, 272 p. ; Magaly BRODEUR, Vice et corruption à Montréal, 1892-1970, Québec, Presses de l’Université

du Québec, 2011, 129 p. ; Mathieu LAPOINTE, Le Comité de moralité publique, l’enquête Caron et les campagnes de moralité publique à Montréal, 1940-1954, thèse de doctorat (Ph. D), Toronto, Université York, 2010, 484 p.

32 Scandales politiques, le regard de l’éthique appliquée, op.cit., p. 7.

33 Luc BOLTANSKI et al, dir., Affaires, scandales et grandes causes, de Socrate à Pinochet, Paris, Stock, 2007,

(31)

13 Gérard Dion et Louis O’Neill, à la différence du scandale du gaz naturel, n’aboutit pas directement à des accusations ou des poursuites. Son apport est plus intangible, en prenant part à un bouleversement dans l’ordre des valeurs. Compte tenu également de l’attraction de la vertu politique auprès de l’électorat et de la répulsion suscitée par son contraire, leur dénonciation n’est sans doute pas étrangère à la disposition subséquente des gouvernants face aux mœurs électorales. Au contraire de la vente du réseau gazier, elle ne mène pas à des condamnations en justice ou de lois. Le dossier du gaz naturel fait l’objet d’une commission d’enquête publique qui entraîne des modifications législatives. C’est pourquoi il est question, au premier chapitre, de « l’affaire Dion-O’Neill », et que le deuxième chapitre concerne le « scandale » du gaz naturel.

L’intention fondamentale de cette recherche n’est pas de mesurer la diffusion ou le confinement de ces affaires ou le jugement du « tribunal de l’opinion », mais plutôt de cerner, par l’étude des discours politiques et journalistiques, les motivations fondamentales des intervenants ainsi que leurs idées. L’étude attentive de leurs prises de parole dans l’espace public, qui expriment leur rejet de pratiques perçues comme litigieuses, permet de les dégager. De plus, ces interventions mêmes tendent à indiquer une hausse du seuil normatif des comportements dans l’espace public. Pris entre les deux grands pôles de la vie politique – ceux de la vertu et de la corruption –, les acteurs, qu’ils soient citoyens ou gouvernementaux, obéissent à des convictions et des motivations propres. La pensée wébérienne fournit une lentille utile pour jauger les intentions et l’éthique des intervenants en politique. Dans sa conférence Le métier et la vocation de l’homme politique (1919), le sociologue Max Weber discute de la portée du rôle de la politique, au sens strict de l’État moderne, dans une communauté où les individus qui s’investissent dans la politique sont animés d’une quête de pouvoir34. Il souligne l’apparition de plusieurs acteurs politiques « dépossédés » de tout pouvoir par l’État bureaucratique. Les hommes politiques professionnels sont au cœur des écheveaux d’intérêts tissés autour des partis politiques. Pour aspirer à la véritable vocation politique, l’homme politique doit posséder plusieurs qualités fondamentales que M. Weber prescrit : il doit posséder simultanément passion,

(32)

14

coup d’œil – intuition et analyse – et surtout un sentiment de responsabilité envers l’avenir35.

La responsabilité devant l’avenir est un concept central dans l’éthique wébérienne ; il pousse l’homme politique à peser pleinement les conséquences des moyens utilisés pour arriver à ses fins. Weber résume en deux pôles opposés les éthiques animant toute activité politique, soit l’éthique de conviction et l’éthique de responsabilité. Alors que le partisan de l’éthique de conviction aura recours à tous les moyens possibles pour faire prévaloir sa cause, celui qui procède de l’éthique de responsabilité est imputable quant à ses gestes. Avant de passer à l’action, ce dernier évaluera pleinement les conséquences possibles de ses gestes. Le premier veille à ce que les valeurs et idéaux qu’il défend finissent par prendre le dessus. Le cadre spatio-temporel qui nous intéresse ici se pose en termes très différents de celui dans lequel Weber a approfondi sa pensée. Le Québec de Duplessis n’est pas menacé d’insurrection socialiste ou spartakiste ; mais la réalité qu’il décrit, celle des réseaux d’intérêts politiques de plus en plus structurés et la professionnalisation du métier politique, demeure pertinente.

En plaçant au cœur du débat les enjeux de la corruption et des mœurs politiques, la polémique témoignerait d’un changement de perspective éthique parmi les intervenants. Les intervenants de la société civile, les participants à la polémique, adhèreraient surtout à une éthique de conviction au sens donné par Weber. Dans le cadre d’une éthique de conviction, les acteurs se préoccupent essentiellement du principe moral qui motive leur engagement. Les conséquences des gestes posés sont secondaires. La cause qui les anime est pour eux fondamentalement juste ; elle est la finalité ultime expliquant tous leurs gestes.

Sources, méthodes et plan

Une étude attentive de la presse écrite québécoise sert ici à prendre le pouls des idées qui circulent autour de ces événements36. Les discours participent à des débats survenant à

35 Ibid., p. 195.

36 Pour la présente recherche, je me suis rabattue exclusivement sur l’imprimé, bien qu’il ne s’agisse pas de la

seule source existante. Pierre Pagé, historien des médias, souligne l’importance que la radio possède à l’époque, qui aurait pu s’inclure dans nos sources. Elle crée un espace public accessible où est également cultivée la volonté d’informer et de favoriser les débats. Les affaires publiques québécoises font l’objet de discussions, notamment à Radio-Canada. Plusieurs documents radiophoniques ont été détruits ou consignés dans des archives institutionnelles, et donc plus difficiles d’accès. Pierre PAGÉ, « Actualité et liberté de parole

(33)

15 la suite d’événements précis allant de 1956 à 1963. La trame chronologique qui structure ce mémoire va comme suit. Il est d’abord question de la campagne électorale de l’été 1956, du 27 avril au 20 juin 1956, toile de fond à la publication de « Lendemain d’élections » du tandem Dion-O’Neill. Une fois publiée dans les pages du Devoir le 7 août, elle déclenche la polémique, qui est ici suivie jusqu’à la publication d’articles dressant un bilan de cette affaire le 15 janvier 1957. Ensuite vient l’étude du scandale du gaz naturel, révélé par le

Devoir le 13 juin 1958, suivi jusqu’à la victoire symbolique en cour du quotidien le 6

octobre 1958. Puis, la période suivant le décès de Maurice Duplessis est soumise à l’étude, balisée ici entre le 7 septembre 1959 et le début janvier 1960 ; elle recoupe de plus le passage éphémère de Paul Sauvé au pouvoir. Ensuite, l’élection générale de 1960 touche directement aux préoccupations civiques et morales. Elle s’étend du 25 avril au 22 juin 1960. Le premier mois de gouvernance du cabinet Lesage, entre juillet et août 1960, est ponctué de réformes et de législations sur l’administration et les pratiques politiques. Avec l’enquête sur l’administration de l’Union nationale et sur la transaction du gaz naturel, la Commission Salvas, est au centre de la stratégie libérale d’assainissement des mœurs politiques. Elle débute le 5 octobre 1960 et se termine avec le dépôt de ses deux rapports, en juin1962 et en juillet 1963.

Pendant ces périodes, les sources choisies, journaux et revues d’idées, sont dépouillées systématiquement37. Malgré sa lentille déformante, la presse est le lieu tout désigné de la présente étude. Elle est l’outil premier d’information et d’éducation politique populaire, et souvent le seul contact avec le monde politique pour la majorité des citoyens. Par ailleurs, les journaux sont les observatoires privilégiés de la corruption des gouvernants. Les lecteurs peuvent y observer la genèse, l’évolution et le dénouement des scandales politiques. Quant à eux, les journalistes veulent alerter leur public des normes et des valeurs transgressées ou dénoncer les abus d’un parti au pouvoir38. Ces sources offrent d’autres avantages, tels que la constance de leur production, l’étendue de leur lectorat et la grande

dans les revues catholiques : quelques jalons, 1940-1975 », Études d’histoire religieuse, volume 76 (2010), p. 95.

37 Pour éviter un trop grand foisonnement des sources et par souci de cohérence interne et de concision, j’ai

passé outre les élections municipales et fédérales et les autres scandales politiques contemporains. Ces événements, bien que connexes, ont des implications propres qui feraient déborder la présente recherche du cadre de la maîtrise.

(34)

16

variété d’opinions qui y circulent. Le parti d’opposition comme le parti au pouvoir ont voix à ce chapitre par leurs organes officiels et officieux. De même, l’Église catholique participe activement à la diversité de la presse québécoise39. Afin de représenter cette diversité d’opinions, quatre périodiques sont sélectionnés, deux hebdomadaires et deux quotidiens, de même que trois revues. Ils sont cléricaux et laïcs, métropolitains et ruraux, libéraux, unionistes, ou politiquement indépendants.

Le Devoir est incontournable puisqu’il joue un rôle central dans la vigie et la

dénonciation de l’immoralité politique. Fondé en 1910 par Henri Bourassa, ce journal se veut indépendant, il critique les dérives partisanes et vénales du pouvoir40. Il a à sa barre Gérard Filion à partir de 1947 qui maintient la visée première du quotidien grâce à une équipe solide. En 1936, le journal montréalais encourage d’abord la jeune Union nationale et son fougueux chef à renverser le gouvernement libéral. Toutefois, cet appui s’affaiblit au fil du temps, avant de devenir une véritable opposition à partir de l’élection de 195241. Pendant la période duplessiste, il fait pratiquement cavalier seul comme observateur critique du régime dans un paysage journalistique plutôt tolérant.

Si la presse est idéalisée comme une lumière servant à éclairer ses lecteurs et à chasser les ténèbres de l’ignorance, elle peut aussi devenir un efficace outil de propagande. Grâce à elle, il est possible de façonner la disposition du lectorat face à un parti politique42. En faisant main basse sur la presse et en gardant un contact étroit avec les grands propriétaires de journaux, Maurice Duplessis utilise à son profit les tactiques éprouvées par ses prédécesseurs. Plusieurs journaux voient ainsi leur ligne éditoriale neutralisée, ou encore repositionnée. D’autres au contraire sont favorables au gouvernement. L’hebdomadaire Le

Temps, produit par l’Union nationale, s’impose pour sonder les activités du parti au

pouvoir. Établi à Québec, il rapporte de longs extraits de discours politiques, de même que

39 Gilbert MAISTRE, « Aperçu socio-économique de la presse quotidienne québécoise », Recherches

sociographiques, vol.12, no. 1 (1971), p. 108.

40 Pierre-Philippe GINGRAS, Le Devoir, Montréal, Libre Expression, 1985, p. 33.

41 Alain-G. GAGNON et Louiselle LÉVESQUE, « Le Devoir et la Gazette face aux gouvernements Duplessis »,

Alain-G. GAGNON et Michel SARRA-BOURNET, dir., Duplessis, entre la Grande noirceur et la société libérale,

Montréal, Québec-Amérique, 1997, p. 77.

42 Jeffrey L. MCNAIRN, « The Most Powerful Engine of the Human Mind : The Press and Its Readers »,

Communication History in Canada, Daniel J. ROBINSON, dir., Don Mills, Oxford University Press, 2009, p. 93.

(35)

17 plusieurs faits et gestes de politiciens unionistes. Avec ses pages d’actualité rurale, ses chroniques agricoles et féminines, il se destine toutefois à un large lectorat. En tant que journal partisan, il suit de près les idéaux du parti, soit la défense de l’autonomie provinciale, de la religion catholique et de la propriété privée. Il attaque vertement et ridiculise l’opposition libérale43. Un second organe de parti figure parmi les sources retenues. Il s’agit de La Réforme, hebdomadaire fondé en 1955 par la Fédération libérale provinciale. Cette fédération de membres est créée lors de la démocratisation du Parti libéral par son chef Georges-Émile Lapalme et ses lieutenants. La Réforme présente l’actualité du parti, tout en critiquant le duplessisme dans ses politiques et son esprit. À l’instar du Devoir, des textes d’opinion paraissent régulièrement dans ses pages, de même que de larges extraits de discours de libéraux. En sa qualité de journal du parti d’opposition,

La Réforme soutient activement les critiques et les mobilisations face au gouvernement, et

prend part aux discours d’opposition.

En tant qu’organe du diocèse de Québec, L’Action catholique applique dans son traitement de l’actualité les lignes directrices de la morale chrétienne. La surveillance de l’Action sociale catholique et de l’Œuvre de la presse catholique teinte fortement sa mission de journal d’information44. Après 1930, il compte de plus en plus des laïcs parmi ses rédacteurs, tandis que les contributions de prêtres et religieux s’amenuisent. Pourtant au diapason de la pensée catholique de l’époque et des inquiétudes morales, le journal hésite à appliquer sa rigueur morale usuelle aux comportements politiques. Tout au long du dernier mandat de Duplessis jusqu’à sa mort, sa neutralité favorable au pouvoir est sensible. Toutefois, après le décès de ce dernier et surtout après l’élection de juin 1960, la langue de la rédaction se délie et le journal critique le duplessisme dans ses excès.

Afin d’élargir l’horizon de cette étude au-delà des titres, l’examen de revues spécialisées s’impose. Au XXe siècle, plusieurs revues catholiques présentent un contenu

43 Alain LAVIGNE, Duplessis, pièce manquante d’une légende. L’invention du marketing politique, Québec,

Septentrion, 2012, p. 70.

44 Dominique MARQUIS, « Un nouveau combat pour l’Église : la presse catholique d’information

(36)

18

engagé, qui vise à rejoindre un lectorat attentif au déroulement de la vie dans la Cité45. Parmi ces revues, trois tiennent compte du débat et des sujets s’y rattachant, et offrent un discours complexe et de qualité. Il y a d’abord la revue Ad Usum Sacerdotum, qui existe sous ce nom entre 1945 et 1959 pour devenir Perspectives sociales jusqu’en 1970. Dirigée par l’abbé Gérard Dion, elle se destine au clergé responsable d’action sociale. Le bulletin est aussi la tribune de son directeur, qui y consigne ses observations et ses critiques sur la sphère sociale, la politique et le monde du travail. Nous considérons aussi la revue Cité

libre, qui jouit d’une certaine estime parmi les intellectuels québécois. Paraissant

sporadiquement entre 1950 et 1966, elle présente néanmoins un grand foisonnement idéologique. Le gouvernement Duplessis et le cléricalisme sont ses cibles de prédilection dans ses revues de l’actualité québécoise46. La revue propose plusieurs réflexions sur la société, tout en revendiquant une plus grande liberté et une participation accrue de laïcs dans l’Église. Enfin, publiée depuis 1941, la revue jésuite Relations passe l’actualité au crible de la pensée sociale catholique. Connue pour avoir publié les articles menant à l’affaire Silicose en 1948 – qui dévoile et condamne la recrudescence des maladies industrielles –, la revue, malgré des années de relative neutralité, demeure critique pendant les années Duplessis, particulièrement après 195647.

À ce corpus de revues et de journaux s’ajoute le dépouillement d’un fonds de la Division des archives de l’Université Laval. Le fonds Gérard-Dion contient plusieurs documents contemporains à notre étude, rassemblés par l’abbé Dion, observateur privilégié de la scène politique québécoise. Plusieurs dossiers regroupés autour de la moralité en période électorale, du civisme et des rapports au gouvernement en font une source d’information pertinente. Puisque les médias écrits font déjà l’objet d’une consultation, le volumineux dossier de presse du fonds a été laissé de côté, pour tirer profit des documents et brochures connexes aux débats étudiés.

45 Pierre PAGÉ, « Actualité et liberté de parole dans les revues catholiques : quelques jalons, 1940-1975 »,

Études d’histoire religieuse, volume 76 (2010), p. 99.

46 André J. BÉLANGER, Ruptures et constantes : quatre idéologies du Québec en éclatement, La Relève, la

JEC, Cité libre et Parti Pris, Montréal, Hurtubise, 1977, p. 70.

(37)

19 Le présent mémoire se déploie en fonction de la trame chronologique précitée, avec pour fil conducteur la moralité politique. Les premier et deuxième chapitres constituent une phase d’amorce, celle des critiques et de l’exhortation à l’assainissement, où l’engagement civique adopte les traits de l’éthique de conviction wébérienne. Le premier chapitre est consacré aux mœurs électorales québécoises telles que débattues pendant « l’affaire Dion-O’Neill ». Un bref portrait des mœurs électorales québécoises est présenté, mis en parallèle avec le déroulement de l’élection de l’été 1956. Les excès dans les discours et les moyens déployés pendant cette campagne suscitent la critique des abbés. Intitulée « Lendemain d’élections », leur prise de parole réactualise avec virulence le débat sur les mœurs électorales. Leur texte fait l’objet d’une présentation et d’une analyse, avant d’en suivre les développements alors qu’il est plus largement diffusé dans les journaux. Le gouvernement provincial, indirectement touché par les accusations portées, évite la question alors que le débat fait rage. La polémique aborde le rôle joué par l’éducation civique, la législation électorale et les médias dans la création d’une vie politique saine.

Objet du deuxième chapitre, le scandale du gaz se distingue de la première polémique en mettant en cause les agissements des gouvernants. En 1958, Le Devoir révèle les manipulations et la collusion politico-financière derrière la vente du réseau public gazier à des intérêts privés. Prenant une grande ampleur dans les journaux, le scandale du gaz naturel offre l’occasion de se pencher sur le patronage et les pratiques informelles, qui sont ici mises en cause. Par les liens de dépendance que celles-ci développent, elles influencent la vie politique de la province. Les élus réagissent fortement à ce scandale qui défraie les chroniques. Le Parti libéral profite de la déconfiture du gouvernement pour en dénoncer la corruption, tandis que des élus de l’Union nationale poursuivent Le Devoir en diffamation et s’en prennent à ses journalistes. Les manifestations de cette polémique inscrivent les questions du rôle de la presse au sein de la Cité et de l’importance de sa liberté. Enfin, le décès de Maurice Duplessis en 1959 bouleverse le paysage politique québécois et la relation entretenue face à la politique provinciale. Le court mandat de trois mois de Paul Sauvé est riche en réformes administratives, mais surtout, il renoue les liens entre le gouvernement et plusieurs acteurs de la société québécoise.

(38)

20

Les événements au cœur du troisième chapitre sont le prolongement des débats examinés lors des chapitres précédents. L’élection de l’été 1960 se déroule sous haute vigilance morale, sous l’effet de la stigmatisation des mœurs électorales de 1956. Les journaux décrivent un public alerte, alors que la moralité et de l’assainissement de l’administration publique sont à l’ordre du jour. L’arrivée au pouvoir du gouvernement libéral coïncide avec la prise d’importance de l’État, acteur faisant figure passive lors des chapitres un et deux. Le cabinet Lesage reprend l’entreprise de réformes entamée par Paul Sauvé. Les mois de juillet et d’août 1960 sont marqués par les efforts du gouvernement pour réformer les institutions politiques. Son action touche également le rapport des citoyens, députés et fonctionnaires au pouvoir politique, qu’il tente de modifier. Il cherche ainsi à donner voix et corps aux changements normatifs demandés notamment par les acteurs de 1956 et 1958. Les exigences de l’État diffèrent de celles régissant les interventions du Devoir ou des abbés Dion et O’Neill. Sa perspective éthique est autre, elle est celle de l’éthique de responsabilité, celle qui devrait animer le véritable homme politique au sens wébérien. En octobre 1960, la Commission Salvas concrétise la promesse de faire la lumière sur les allégations de corruption du gouvernement unioniste. Celle-ci enquête en un premier temps sur le dossier du gaz naturel, puis en un second temps sur les pratiques administratives. Elle offre des résultats mitigés. Le gouvernement Lesage, d’abord empressé de mener la guerre au patronage, tempère son ardeur à nettoyer la politique provinciale en se pliant à la réalité de la joute politique.

(39)

21

Premier chapitre

L’immoralité politique dans la province de Québec. L’affaire

Dion-O’Neill et ses suites, août 1956 - janvier 1957

Après près de dix ans à la barre du Parti libéral, Georges-Émile Lapalme écrit en 1959 ses réflexions sur le paysage politique québécois. Au chapitre des mœurs politiques, il note à propos de l’élection de 1956 qu’elle suscite une vague indignation chez ses concitoyens :

Depuis la dernière victoire de l’Union nationale, celle de 1956, on ne compte plus les écrits, les discours, les conférences et les enquêtes qui ont eu pour thème cette colossale éclaboussure. Au départ, on aurait dit que la corruption électorale se révélait pour la première fois aux yeux de ceux qui, venant d’un peu tous les milieux, criaient leur dégoût. Subitement, on venait d’apprendre quelque chose1 !

Le spectacle de la corruption électorale ne surprend guère les observateurs de la scène politique québécoise. Selon G.-É. Lapalme, l’élection de 1956 serait la réédition de pratiques bien connues appliquées à plus grande échelle. L’affrontement réglementé d’intérêts convergents des partis politiques qui se disputent le pouvoir emprunte des traits à la joute sportive2. Il faut également compter avec la participation du public, les électeurs, qui font l’objet de l’attention des partis politiques. Ces dispositions, et surtout la gravité entourant la destination du vote, celle de constituer l’autorité, font des élections des périodes sensibles aux débordements à l’ordre et à la morale.

Au cours des années 1950, le moralisme ambiant s’incarne par la régulation et le contrôle des comportements individuels. Ce moralisme trouve écho en politique, où les manifestations politiques contemporaines sont également soumises à la lecture attentive d’observateurs des scènes politiques provinciale et municipale. De manière générale, et tout au long de la décennie, le gouvernement Duplessis ne semble pas partager ces inquiétudes. En effet, la moralité est un sujet sur lequel il n’intervient que très peu. Les intellectuels contemporains dénotent un déclin de la moralité des personnages politiques, qui entraîne

1 Georges-Émile LAPALME, Pour une politique, Montréal, VLB éditeur, 1988, p. 29.

2 Martin PÂQUET, « Le « sport » de la politique. Transferts et adaptations de la culture politique britannique au

Québec, 1791-1960 », Jean MORENCY et al, dir, Des cultures en contact, visions de l’Amérique du Nord francophone, Québec, Éditions Nota Bene, 2005, p. 161.

Références

Documents relatifs

L'ensemble de cette intervention n'a pas permis de découvrir de nouveaux sites archéologiques; le ministère des Transports peut procéder aux travaux prévus, sans conséquence pour

L'inventaire a porté sur deux secteurs situés sur les rives de la rivière Matane (photos 23 et 24). La topographie générale du sol est plane. Un remblai constitué de gravier

La présente proposition de modification réglementaire donne suite à la recommandation des actuaires de Retraite Québec de procéder à la mise à jour des taux de cotisation au

Le nouveau Plan d’action concerté pour prévenir et contrer l’intimidation et la cyberintimidation 2020-2025 : S’engager collectivement pour une société sans intimidation

Pour tenir compte des conséquences de la pandémie sur la disponibilité de la main- d’œuvre qualifiée, l’annexe du décret numéro 505-2020 du 6 mai 2020, telle que modifiée

Dans la perspective de la mise en oeuvre des plans directeurs de l’eau et de la Loi affirmant le caractère collectif des ressources en eau et visant à renforcer leur protection,

Cette intervention n'a pas permis de découvrir de nouveaux sites archéologiques; le ministère des Transports peut donc procéder aux travaux prévus sans conséquence pour le

De plus, l'examen du fichier de l'inventaire des sites archéologiques du Québec (ISAQ) au ministère de la Culture et des Communications du Québec n'indique aucun site archéologique à